SES
 

 

 

 

 

 

 

                                                                                          LES ANIMAUX

 

 

                A  KLARSKOVGAARD

  Dans la cuisine, par exemple, il a enlevé un carreau pour laisser le passage à une vingtaine de chats à demi sauvages qui vont se réfugier sous la cuisinière à hauts pieds, tandis que le roi Bébert, du haut de son perchoir, veille d'un œil jaloux sur toute cette gent féline. Dans la maison règne un désordre indescriptible, mais humains et animaux s'y côtoient en parfaite intelligence. Juste devant la cour, des cordes ont été tendues entre les arbres : y pendent des paniers remplis de pain et de graines pour les oiseaux. Jamais, au dire d'Erna, on n'a vu autant d'oiseaux et de toutes les variétés que du temps de Céline, à Klarskovgaard.
 
 Autre familière de la maisonnée, la chienne Bessy. Dans la bouche de Céline, l'histoire de Bessy est pure affabulation. Pas une seule once de vérité, cette fois ! Non, Bessy n'a jamais été un chiot abandonné par un soldat allemand. C'est une chienne de race, achetée toute petite par les Petersen dans un chenil réputé de Fionie. Ce n'est pas un animal martyrisé qu'on affame en le gardant encagé pour le rendre encore plus sanguinaire dans la chasse aux lièvres et aux lapins sauvages. Non décidément : c'est un fin berger allemand, une bête docile, affectueuse, avec laquelle joue le petit Erik. Mais Bessy va s'attacher à Céline : instinct de l'animal qui sent l'homme désemparé et veut le consoler ?
  Les Petersen, émus, ne vont pas hésiter à offrir Bessy au couple. Elle sera de toutes les promenades à travers la campagne, la forêt et le long de la plage. En juillet 1951, elle fera partie, en compagnie des chats Bébert, Thomine et Flûte, du voyage-retour des Destouches en France. Elle mourra à Meudon. Dans D'un château l'autre, la mort de Bessy, telle que la décrit Céline, est peut-être la plus émouvante fin d'un animal qu'on ait lue sous la plume d'un écrivain ! A vous tirer des larmes !

 Bien sûr, Céline et Lucette se rendent régulièrement à Korsor. Céline parle d'un trajet de quinze kilomètres. Quinze kilomètres, oui, mais aller et retour. Si l'on coupe par des sentiers en forêt et un chemin qui longe la côte, la distance est réduite presque de moitié. Korsor ne compte pas plus d'une douzaine de milliers d'habitants, mais c'est un port de marchandises et de voyageurs important, point de départ et d'arrivée de nombreuses lignes de ferries, vers la Fionie, l'île de Langeland, l'Allemagne du Nord. La pêche y est également active, et Céline pourrait se procurer à petits prix la marée fraîchement pêchée. Mais il n'aime pas le poisson. La viande non plus, du reste, et lorsqu'on lui en offre, la libraire française de Copenhague, Denise Thomassen, par exemple, ou encore un généreux boucher korsorois, il la donne aux animaux. De même que la majeure partie du pain acheté au boulanger ambulant va aux oiseaux, et presque tout le lait aux chats et aux hérissons.
 (David Alliot, François Marchetti, Céline au Danemark 1945-1951, Editions du Rocher, 2008, p. 56).