La piste Rosembly
Dès le 17 juin 1944, Céline
et Lucette quittent Montmartre pour gagner le
Danemark via l'Allemagne. L'écrivain laisse une
feuille où il écrit ces simples mots : " Je
pars. " Et, en piles sur le dessus d'une
armoire, divers manuscrits. Ceux-ci
disparaissent dans les jours de la Libération.
Dans sa correspondance, Céline désigne le
responsable : " Oscar Rosembly est venu après
mon départ ravager mon appartement ".(1) Il
est vain d'évoquer d'autres hypothèses. Il
s'agit plutôt de remonter la piste Rosembly,
seul auteur de cette perquisition irrégulière
et... productive.
Curieux itinéraire que
celui d'Oscar Rosembly (1909-1990).
Avant-guerre, il est l'assistant parlementaire
de Camille Chautemps, puis fait carrière dans le
journalisme, notamment
à l'hebdomadaire Gringoire. Après la
défaite, il est employé à la mairie du XVIIIe
tout en étant militant au MSR, éphémère
mouvement de Marcel Déat (chef du RNP) sous
l'occupation. Etant de lointaine ascendance
juive, il se cache un temps chez son ami Gen
Paul. Lors des descentes d'Allemands dans le
quartier, il se réfugie parfois - l'atelier de
l'artiste étant situé au rez-de-chaussée -, dans
l'appartement de Céline, au quatrième étage.
C'est ainsi que celui-ci charge Rosembly,
compétent en matière comptable, de ses problèmes
administratifs et fiscaux.(2)Les
deux hommes s'entendent bien, Céline ayant
besoin de Rosembly et celui-ci aimant rendre
service.
Lieutenant F.F.I.
A la Libération, Rosembly, reconverti de
manière inattendue en lieutenant F.F.I., adopte
un comportement malveillant et organise, avec
l'aide d'un ou deux complices, des perquisitions
irrégulières dans l'appartement de "
collaborateurs " pour y commettre des vols :
notamment ceux de Robert Le Vigan, Ralph
Soupault et... Céline. Il se lance par ailleurs,
sur les traces de l'écrivain en fuite, faisant
arrêter une danseuse amie de Lucette afin de
savoir où il se cache.(3)Dans
une première esquisse de Féerie pour une
autre fois, l'écrivain évoquera " Oscar,
autrefois chez Déat, maintenant en pleine
Résistance. " Ne disposant d'aucune
délégation pour mener de telles opérations,
Rosembly sera arrêté en janvier 1945, puis
incarcéré pendant six mois à Fresnes.(4) Quand
il est élargi, ce faux résistant s'éloigne
quelque temps de la capitale, tente de se faire
oublier de l'autre côté de l'Atlantique, puis
sera employé dans une société de produits
oléagineux dont il dira être le directeur. Et ce
en Corse, où il est né. Pris d'une crise de
mysticisme, il part aux Indes, puis revient au
pays, où il se promène en tenue de moine hindou.
Prescience de Céline qui, dans une version
primitive de Féerie pour une autre fois,
le surnomme " Nostradamus " ! Il s'est marié en
1947 et a une fille, Marie-Luce, née en
1948. Oscar
Rosembly et Gen Paul
Marie-Luce
A la fin des années 1990, Emile Brami,
alors libraire, acquiert le dossier Céline au
fils de l'avocat Tixier-Vignancour. Y
figure le nom de Rosembly : " Je suis remonté
jusqu'à sa fille qui m'a dit qu'elle avait
effectivement des documents. Et que son père
avait une petite maison dans le maquis corse,
dans laquelle il avait entreposé ses archives.
Lesquelles comportait beaucoup de choses de
Céline. Pendant deux ans, nous avons beaucoup
échangé par téléphone, mais je ne l'ai jamais
vue. J'espérais à travers elle récupérer Casse-pipe,
mais son intérêt à elle - j'ai fini par le
comprendre - était que cela dure le plus
longtemps possible. Tant qu'elle ne me donnait
pas les documents j'étais là à tirer la langue,
à parler avec elle, à accepter tout ce qu'elle
me demandait. Au bout d'un certain temps, je me
suis rendu compte que je n'obtiendrais jamais
rien et j'ai proposé au journaliste Jérôme
Dupuis de prendre la suite de cette piste. Il
est le seul à l'avoir rencontrée, une fois à
Paris. Mais cela s'est passé exactement comme
pour moi. Elle l'a fait lanterner et, lui aussi,
a fini par abandonner. La mort de Lucette
Destouches en 2019, puis celle de la fille
d'oscar Rosembly l'an dernier, a permis, je
pense, à Jean-Pierre Thibaudat de ressortir les
manuscrits. "(5)
C'est de toute évidence
un proche de Marie-Luce Rosembly qui lui a remis
ces trésors. La manière dont il dit être entré
en possession de ces manuscrits ne convainc ni
Brami, ni d'autres céliniens. Il affirme les
avoir reçus d'une famille de résistants qui les
auraient détenus durant toutes ces années après
une perquisition faite chez Céline au printemps
44. " Une famille liée au père de Thibaudat,
lui-même résistant, d'où la connexion ", précise
son avocat.(6) On
se demande bien pourquoi des résistants se
seraient emparés de ces manuscrits qui n'avaient
pas d'intérêt pour eux. D'autant que
contrairement à Rosembly, ils n'avaient aucune
idée de leur valeur. Reste à savoir quand
Thibaudat a reçu ces manuscrits. Seul un examen
attentif de ses transcriptions pourraient en
donner une idée.
1. Lettre de Céline du 26
mai 1949 à Henri Mahé. La Brinquebale avec
Céline, éd. Ecriture, 2011, p.395.
2. Jacques Lambert, Gen Paul, un peintre
maudit parmi les siens, La Table ronde,
2007, P. 221.
3. Témoignage de Mireille Martine, in Serge
Perrault, Céline de mes souvenirs, Du
Lérot, 1992, P. 44.
4. Rosembly fut arrêté le 23 janvier 1945.
5. Propos d'Emile Brami recueillis par Benoît
Grossin, France Culture (site internet), 8 août
2021.
6. Propos d'Emmanuel Pierrat recueillis par
François-Guillaume Lorrain, Le Point, 12 août
2021.
(Marc Laudelout, Le
Bulletin célinien n° 443, septembre 2021).
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