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SA  VISION

 

 

 

         C'est beau la vie

  Sous le titre Un Français libre, L'Age d'Homme publie le journal d'un écrivain méconnu du grand public qui entretient une fraternité d'esprit avec ces grands vivants que furent Cendrars, Miller ou Stevenson.
 
  Grand voyageur, ethnologue, cinéaste, artiste par-dessus tout, Jacques d'Arribehaude considère la générosité comme la plus grande qualité qu'on puisse trouver chez un être humain. Originaire de Bayonne, émule de Don Quichotte, il est adolescent quand l'armée allemande envahit la France. Première rébellion, premières aventures. Après avoir goûté de la prison, il bourlingue sur les confins d'une Europe en ruines, rencontre Céline puis appareille pour l'Afrique... Pour lui, vie et littérature sont inséparables... Perchée sur son épaule, la perruche Phébus s'attaque à la Légion d'honneur cousue au revers de son veston. Dans un flamboiement d'élégance, il récite un poème espagnol, parle de Shakespeare ou Saint-Simon... Dans un monde critiqué pour son matérialisme, cet incorrigible rêveur nous donne une belle leçon de résistance...

  Les quatre volumes du journal publiés aujourd'hui couvrent les années 60 à 68... Dans quelles circonstances les avez-vous rédigés ?
 
 
C'est la maladie qui m'a poussé à écrire... Ma santé se dégradait, j'avais le foie en miettes. On me faisait des transfusions, j'avais les pieds qui enflaient. Les médecins m'ont dit : « Il faut faire une transplantation du foie. » L'intervention a été lourde puisqu'il a fallu non seulement me changer le foie mais aussi un rein...

  Votre existence a pris un tournant capital au moment de la guerre car vous ne pouviez accepter l'Occupation...

  J'étais un rebelle depuis l'adolescence. J'habitais alors chez mes parents à Bayonne, petite sous-préfecture à la frontière espagnole. L'inadmissible, ça d'abord été la défaite de 1940, puis l'arrivée des Allemands jusque chez nous, précédés par ce flot insensé de réfugiés qui débarquaient dans des conditions épouvantables. Du jour au lendemain, le drapeau à croix gammée a flotté sur la mairie. On entendait les chants allemands... Dès que j'ai atteint dix-sept ans, je suis parti vers la France libre. J'ai alors connu des moments d'exaltation, mais aussi pas mal de déceptions.
  À la Libération, je n'ai pas rencontré l'idéal que je recherchais, pour la bonne raison que la victoire, au lieu d'amener le renouveau espéré, a réinstallé la situation qui nous avait conduits à la défaite. J'ai vécu cela comme une imposture, et à partir de cette période, je me suis trouvé à contrecourant des opinions générales... Heureusement, toute ma vie, j'ai été accompagné par de grandes lectures. Et cela me délivrait de l'impression de solitude effroyable où je marinais.
 
  Vous avez eu le privilège de rencontrer un de ces grands écrivains, justement. Je veux parler de Céline...

  La rencontre de Céline m'a permis de surmonter la dépression que je traversais durant les derniers mois de la guerre. À la suite de mon incarcération dans une prison d'Espagne, à Badajoz, j'avais été très malade. J'avais attrapé une hépatite qui m'avait considérablement affaibli. Après un petit intervalle à la première division française libre en Libye, je ne fus pas admis dans le service armé. Je me suis donc retrouvé inscrit maritime à Alger et bon pour la marine marchande. J'ai navigué sur un pétrolier, notamment en Sicile, dans l'Adriatique, et jusqu'en Grèce... Tout le long, surtout en Italie, je voyais un pays bombardé, dévasté.
  Il régnait partout une misère et une corruption abominables. Je voyais la destruction de l'Europe, une guerre fratricide épouvantable, ce qui m'a plongé dans une dépression profonde... En Sardaigne, j'ai acheté le " Voyage au bout de la nuit " chez un bouquiniste. Ça été une vraie thérapie, parce que Céline exprimait exactement ce que je ressentais, et notamment l'horreur de la guerre...

 Il avait plutôt mauvaise réputation...

 Oui, mais je l'ignorais. Je voulais absolument le rencontrer. Cela s'est produit quinze ans plus tard, grâce à un ami, Philippe Sénart, qui connaissait une femme inscrite aux cours de danse de Lucette Almanzor, la compagne de Céline.

 La première rencontre a été plutôt brève. À votre demande d'entretien, Louis-Ferdinand Céline répond : « Je n'entretiens pas. »

  C'est exact... Mais j'avais quand même senti de sa part un accueil sympathique. Il avait fini par dire : « Écrivez-moi et je vous répondrai... » Ce qu'il a effectivement fait.

  Comme vous étiez cinéaste, Céline a fini par imaginer que vous alliez adapter le " Voyage au bout de la nuit ".

 Il m'a même raconté un nouveau départ du " Voyage " dans la perspective d'une adaptation filmée ! C'est un récit tellement intérieur... À mon avis, il ne faut pas y toucher. Ce que je regrette n'avoir pu faire, en revanche, c'est un documentaire sur Céline. On a enregistré sa voix, mais il ne voulait pas d'images. « Pas d'images ! », voilà ce qu'il répétait.

 D'importants chapitres de votre livre se déroulent en Afrique...

  J'ai travaillé trois ans au Tchad dans une grande société... Puis, ça été l'lndochine... J'ai tardivement obtenu un diplôme d'ethnologue, et j'ai ainsi pu retourner en Afrique. Ce magnifique continent a beaucoup compté pour moi car j'y ai trouvé ce qui me manquait le plus en Europe, une absence totale de souci du temps et de l'argent. Je préférais rester pauvre, mais garder la liberté de ne pas me presser, de coller au rythme naturel des choses. Échapper à la frénésie, voilà le luxe véritable.

 Vous ne vous êtes jamais laissé embrigader. Est-ce par tempérament ?

 Je suis vraiment individualiste dans le sang. Peut-être est-ce dû à mes origines ? Les navigateurs, les corsaires basques, vivaient en marge des lois... Inféodés à rien. Tous les Navarrais se considèrent comme nobles. Ce qui compte, c'est la démocratie municipale, aristos et peuple confondus... Vous savez, j'ai récemment rencontré des jeunes gens d'une trentaine d'années qui se retrouvent tout à fait dans ce que j'écris. Le temps permet de réajuster les choses, de s'y retrouver. Le secret, c'est de durer.
  (Entretien recueilli par Serge Sanchez, Imprévu, n° 5, avril 2001 (" C'est beau LA VIE ")

 

 

 

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               AMITIES

  1942-1943 : J'ai pour professeur d'anglais au lycée de Bayonne Jean-Louis Curtis (de son vrai nom Louis Laffitte), futur prix Goncourt, qui, le premier, m'encourage à écrire. Une amitié sans faille qui s'est maintenue jusqu'à la mort de l'académicien, en 1996.

  1949 : Rencontre au Festival du Film Maudit à Biarritz de Roland et Denise Tual, producteurs et réalisateurs associés, dont je deviens l'assistant. Roland Tual, lié dans sa jeunesse au surréalisme, proche de Gallimard et de tout ce qui compte dans la vie artistique et littéraire de l'époque, s'éprend de mon premier manuscrit, " Semelles de vent ", et s'indigne de le voir refusé, malgré son insistance, par son ami Gaston Gallimard.
  Je reçois un meilleur accueil auprès des naissantes éditions de La Table Ronde, que dirige Roland Laudenbach. C'est chez mes amis Tual que je rencontre René Clair, Jean Cocteau, Laurence Olivier et Vivian Leigh, Annabella, et autres figures de l'époque, mais c'est seulement avec Roland Tual que je garde une relation durable jusqu'à sa mort en 1955, peu après mon long séjour outre-mer, au Tchad et en Indochine.

 1951 : Rencontre du génial Émile Cioran.

 1956 : Rencontre du graphiste, créateur notoire de la maquette du Club Français du Livre, l'artiste et illustrateur Jacques Darche, qui comptera jusqu'à sa fin parmi mes meilleurs amis, et me fait connaître l'écrivain et critique Philippe Sénart, qui soutient mon premier livre publié à La Table Ronde, " La grande vadrouille ", comme il soutiendra " Semelles de vent " enfin paru en 1959, ainsi que la suite de mes publications jusqu'à nos jours.
  Roland Laudenbach me présente Alexandre Astruc, avec lequel je sympathise, et Jean-Edern Hallier, que je reverrai souvent et longuement par la suite.

 1957 : Guy Deray, jeune cinéaste connu au Laos (auteur du court-métrage : " Les petites filles modèles ", tiré de la comtesse de Ségur), me présente Éric Rohmer. Ce sera le début de relations durables. En 1967, Rohmer m'aidera à remanier le scénario du film " Deux filles " (co-écrit avec Roussia de Khotcholava, ma future épouse) pour lequel j'obtiens l'avance sur recettes du C.N.C. (Centre National de la Cinématographie), que les événements de 1968 m'empêchent de réaliser.

 1959 : Rencontre du légendaire scénariste Charles Spaak et relations amicales jusqu'à sa retraite dans le Midi...

 1960-1961 : Entretiens à Meudon avec Louis-Ferdinand Céline. Philippe Sénart me fait connaître deux jeunes auteurs que j'apprécie autant que lui, Gabriel Matzneff et Christian Dedet. Origine d'une relation suivie et particulièrement amicale avec Christian Dedet, prix des libraires 1985 avec " La mémoire du fleuve ".     Rencontre des cinéastes Jean Rouch et Joris Ivens.


 1963 : Correspondance et amitié avec Dominique de Roux, fondateur des célèbres Cahiers de l'Herne.

 1967 : Rencontre de l'écrivain et philosophe Edgar Morin, qui donne un avis favorable au C.N.C. pour l'attribution d'une avance sur recettes pour mon scénario : " Deux filles ", et que je reverrai beaucoup plus tard.

 1972 : Rencontre et correspondance amicale avec le romancier Willy de Spens que me fait connaître Philippe Sénart.

 1982 : Correspondance et amitié avec Marc Laudelout, directeur du Bulletin célinien.

 1983 : Rencontre avec l'écrivain-mélomane Marc-Edouard Nabe.

 1995 : Lettre d'Edgar Morin, intéressé par le manuscrit d' " Une saison à Cadix ". Sur la suggestion d'Edgar Morin, l'essayiste Jean-Claude Guillebaud envisage, sans se décider, la publication du manuscrit chez les éditions Arléa.
  Rencontre très amicale du jeune auteur-éditeur Pierre Chalmin, qui publie " Une saison à Cadix ", premier volume de mon journal, Jean-Claude Guillebaud acceptant sa distribution par Le Seuil.

 1997 : Rencontre de l'écrivain, scénariste et critique cinématographique Michel Marmin, qui me fera connaître un autre poète remarquable, son ami Jean-Charles Personne.

 1999 : Rencontre de Michel Arveiller, universitaire, spécialiste de Léon Bloy, dont l'érudition et l'amitié apportent un précieux soutien dans mes recherches.
 


 

 

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     L'encre du Salut, par Pierre-Vincent Guitard
 

  L'encre du Salut est l'histoire de ce troc, où il abandonnera le vagabondage sexuel qui commence à lui peser pour entrer dans un monde où l'argent ne manque plus :

- Maintenant à moi de m'accrocher, mais c'est bien parti. Très bons contacts avec les techniciens, caméraman, sondier, chauffeur-éclairagistes, monteur, et pour les conditions, j'ai failli tomber raide, finie la mouise, c'est Byzance!

  C'est à partir d'un travail sur Louis Lecoin que commence sa carrière cinématographique et c'est pour nous l'occasion de revenir sur les idées de J. d'Arribehaude héritier de Céline bien sûr, et bien que ne l'ayant pas vécue ayant comme lui en mémoire le souvenir de cette effroyable guerre de 14 .

- Il me suffit d'être un peu fatigué ou désemparé pour que la moindre évocation des tueries de 14-18 me submerge parfois, et de plus en plus fortement avec les années, d'émotions incontrôlables. [...]

La dignité, le courage, l'honneur, de tous ces humbles massacrés, morts pour rien, et tellement bafoués.

A chacun de mes séjours à Bayonne, je regarde la photo de cet oncle que je n'ai pas connu ; sa croix de guerre, sa " médaille militaire à titre posthume ", l a " citation à l'ordre du régiment ".

Maman m'a toujours dit que je lui ressemblais.

C'est peut-être là que commence la parenté avec Céline, c'est en tout cas l'une des racines où se nourrit sa résistance aux idées toutes faites, la seconde étant la défaite de 40. Jacques d'Arribehaude est avant tout un résistant :

- Réaction se confond tout simplement pour moi avec résistance, et de toutes mes forces. Résistant, donc réactionnaire, mais bien sûr, et plutôt mille fois qu'une. Dissident j'étais, dissident je reste.

  Si l'on est parfois choqué de ses accès de colère et de la violence non maîtrisée de ses mots contre les lieux communs de notre époque c'est de ne pas comprendre le désespoir qui les anime, la formidable perte dont ils sont issus, celle du paradis, celui de l'enfance bien sûr et particulièrement de la sienne, mais c'est surtout de ne pas comprendre la violence de l'agression qu'il a subi lorsque les Allemands entrant dans Bayonne lui ont volé ses rêves.
 
Cette colère apparaît ici parfaitement cohérente, tout d'abord celle de l'inhumain sacrifice de 14, puis du stupide traité de Versailles, de l'incompétence de la 3eme République, enfin après la guerre, des mensonges sous lesquels on a enseveli la réalité de Vichy :

-  Dieu sait pourtant si [...] j'avais pu me sentir loin des mines contrites, des faces de carême et du " patrouillotisme " cocardo rataplan catéchiseur de Vichy-les-Nouilles, mais enfin, tant d'acharnement à dénoncer ce régime si tranquillement supporté par l'immense majorité de la population n'en est pas moins répugnant.
  Et de la Résistance : [...] mais il [de Gaulle] porte le poids de l'immense supercherie, qui me fut intolérable à l'époque, d'un pays unanime dans la " Résistance " ...
                                                                                                                                                 PENVINS (20-08-2005)

 

 

                                                                                                                              ***

 




     QUESTIONS A JACQUES D’ARRIBEHAUDE

  Au sujet de La grande vadrouille, d'abord la même question : quelles années de votre vie sont narrées là ? La fin des années 40, le début des années 50 ? Y a-t-il  des épisodes fictifs dedans ?

 La grande vadrouille. Puisé dans mon Journal de 50 à 54. Arrangé en roman mais avec moins de fiction que dans Semelles de Vent. Tout ce qui concerne mes relations avec " Sébastien " est pure réalité. En reprenant cela dans Cher Picaro, j'avais l'intention d'améliorer le personnage pour lequel on me reprochait d'avoir été trop dur. Je voulais ignorer ses mœurs particulières, qu'il prenait soin de me cacher, et n'ai pu me faire à la petite bande de pédés choisis par lui pour que je les dirige dans ses projets d'exploitation, derrière lesquels il dissimulait un très secret trafic d'opium avec les maîtres du Laos. J'aurais dû prévoir tout cela, qui fait ressortir l'étendue de ma connerie, mais je ne vois pas comment la figure du personnage (Préval dans Cher Picaro et non plus Sébastien) pouvait sortir améliorée d'un nouvel éclairage cinquante ans après.

 La grande vadrouille est le seul de vos livres à ne pas avoir été publié ou republié récemment. Cela vous est-il interdit depuis que le titre a été racheté pour le cinéma ou cela tient-il à d'autres raisons ?

 Claude Guillebaud avait envisagé de rééditer La grande vadrouille chez Arlea, filiale du Seuil qu'il dirige, mais la confusion avec le film risquait de déplaire et nous avons préféré renoncer.

 Le maître à penser Snadjieff que vous nommez pages 137 et 141, c'est Gurdjieff ? Vous avez l'air d'avoir de lui une piètre opinion.

  Snadjeff = Gurdjieff, bien sûr. Type d'un charisme incontestable, dont j'ai connu des disciples. Il a hâté la mort de Catherine Mansfield en prétendant la guérir. Un peu de charlatanisme et beaucoup de dégâts, que Pauwels était le premier à reconnaître en dépit de son admiration.

  Page 242 vous donnez entre guillemets une citation non signée dans laquelle on peut reconnaître une phrase de Rimbaud, dans Une saison en enfer : " Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre sur la grève ". Vous en omettez la syllabe " c'est ". Est-ce pour le plaisir d'en faire un alexandrin ?

 J'ai fait la citation sans vérifier dans Rimbaud tant elle me paraissait connue, et en supprimant le " c'est " parce que, isolée du contexte, la musique des mots sonnait mieux, me semblait-il, et sans penser, pour autant, à l'alexandrin.
 (Journal documentaire, Messages 3 mai 2005).

 


 

 

                                                                                                          ***



 

 

 REPONSES DE JACQUES D’ARRIBEHAUDE AU QUESTIONNAIRE DIT DE PROUST
  (janvier 2005)
 
Quel est votre principal trait de caractère ? – L’incertitude.

Quelle qualité appréciez-vous le plus chez un homme ? – La loyauté.

Quelle qualité appréciez-vous le plus chez une femme ? – La bonté.

Quelle est votre vertu préférée ? - La volonté.

Quel est votre principal défaut ? – La paresse.

Quelle est votre occupation préférée ? – La rêverie.

Quel est votre rêve de bonheur ? – Aimer et être aimé.

Quel serait votre plus grand malheur ? – Survivre à la perte de toutes mes facultés.

Qui aimeriez-vous être ? – Un des 13 de Balzac.

Où aimeriez-vous vivre ? – Là où je suis (Nice).

Quelle est votre couleur préférée ? - Bleu roi.

Quelle est votre fleur préférée ? – La pensée.

Quel est votre oiseau préféré ? - Le canari.

Quels sont vos prosateurs préférés ? – Shakespeare, Balzac, Dostoïevski, Céline.

Quels sont vos poètes préférés ? – Villon, Ronsard, Rimbaud, Apollinaire.

Quels sont vos héros favoris dans la fiction ? – Don Quichotte, Fabrice del Dongo, le Prince André.

Quelles sont vos héroïnes préférées dans la fiction ? – Les Illustres Françaises, du roman éponyme du XVIIIe siècle.

Quels sont vos compositeurs préférés ? – Bach, Beethoven, Chopin, Albeniz.

Quels sont vos peintres préférés ? – Angelico, Rembrandt, Velázquez, Goya, Matisse, Bonnard.

Quels sont vos héros dans l’histoire réelle ? – César, Napoléon.

Quelles sont vos héroïnes dans l’histoire réelle ? – Héloïse, Jeanne d’Arc.

Quels sont vos noms favoris ? – Horst, Kurt, Knut (scandinaves ou germaniques, qui claquent comme des épées.

Que détestez-vous par-dessus tout ? – Prétention, lâcheté, bêtise.

Quels personnages historiques méprisez-vous le plus ? – Pilate, nos dirigeants politiques de 36-39.

Quel fait militaire admirez-vous le plus ? / Quelle réforme estimez-vous le plus ? - M'en fous. L'Angleterre se passe de constitution depuis mille ans.


Quel don naturel aimeriez-vous avoir ? – La composition musicale.

Comment aimeriez-vous mourir ? – Intact, sans m’en apercevoir.

Quel est votre état d’esprit présent ? – Le doute, ouvert à l’espoir.

Quelles fautes tolérez-vous le mieux ? – La gourmandise, la curiosité.

Quelle est votre devise ? – Celle du Taciturne : « Il n’est pas besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. "

 POST-SCRIPTUM au questionnaire de Proust :
L’incertitude vient en premier. Et pourtant je suis plutôt gai, bon public,
me marre facilement. Questions bizarres, choix pas évident pour les réponses. Je n'ai jamais songé à être quelqu'un d'autre et si je m'emmerde quelque part, je vais ailleurs, voilà tout. " Où aimeriez-vous vivre " n'a pour moi aucun sens. Noms favoris : lesquels ? Lieux ? Professions ? Pour les prénoms, les français manquent de musicalité, sonnent neutre, plat. Je préfère les sonorités scandinaves ou tudesques, ou le romantisme latin hispanique ou italien : Consuelo, Maria, Silvio, Salvador, Ettore.
 Personnages historiques détestés ? Tout le personnel de la IIIe, mais surtout toutes les crapules vénérées comme " grands ancêtres " de la Révolution et toutes celles qui ont suivi, plus néfastes et stupidement criminelles les unes que les autres.
 
 (par Philippe BILLÉ, dans Notes et documents sur Jacques d'Arribehaude).

 

 

                                                                                                         ***

 

 

      Le chroniqueur

  De 1987 à 1999, Jacques d'Arribehaude donna une vingtaine de chroniques littéraires au Bulletin célinien. Nous en avons exhumé quelques-unes où ressortent sa vision des choses, comme son tempérament d'homme libre et dérangeant pour ce que l'on nomme " le politiquement correct "...

 Eric Séebold, Essai de situation des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline (nouvelle édition revue). Editions du Lérot, coll. " Céline Etudes ", 1987.

 " Le mérite de Séebold est de ne viser ni au panégyrique ni à l'éreintement, mais de s'en tenir le plus rigoureusement possible aux faits. D'emblée il rejette ainsi les amalgames et tripotages de textes qui tentent trop souvent d'imposer la pire image de l'écrivain français le plus génial mais aussi le plus dérangeant du siècle.
  Caractéristiques de ces tripotages, grossièrement montés au nom d'un " ordre moral " digne de Tartuffe, les publications du " journaliste " Ganier-Raymond, ou de " l'historien " Pascal Ory, fanatiques de délation et de zèle épurateur.
  Dans le fourmillement de polygraphes qui officient par ailleurs dans une " critique " tout aussi alignée et chafouine, Séebold épingle également Nourissier qui, s'avisant de distinguer entre le Céline romancier et le Céline pamphlétaire, nous ressert l'écœurant poncif habituel : " Outre que les pamphlets de l'avant-guerre sont méprisables dans leurs propos, ils sont littérairement assez médiocres ".
  Séebold n'a aucune peine à démontrer que l'éblouissante virtuosité des pamphlets, leur verve torrentielle, leur puissance satirique inégalée, s'intègrent parfaitement à l'ensemble de l'œuvre et qu'il est ridicule de prétendre les en dissocier.

 (...) En 1934, trois ans avant Bagatelles, Paul Morand, dans France la doulce, observant la jungle financière de certains milieux, " qualifiés on ne sait trop pourquoi de français ", avouait, face à " ce mépris pour nos mœurs, la torture infligée à notre langue et à notre culture, n'avoir rien inventé et s'être souvent tenu en deçà du réel... En défendant les Français, je revendique simplement pour eux, écrivait ironiquement Morand, le droit des minorités. "
 
Céline, au fond, n'en demandait pas davantage, mais comme il criait plus fort que Morand, qu'il n'épargnait personne et qu'il s'époumonait surtout à vouloir la paix avec l'Allemagne - crime inexpiable - rien ne pouvait lui être pardonné. "
 (BC n° 62, octobre 1987).

                                                                                                         *

 
 Marc-Edouard Nabe, Le Bonheur (roman), Editions Denoël, 1988.

 " Déjà manifeste avec Au régal des vermines et les diverses publications qui ont suivi, le talent de Marc-Edouard Nabe force à nouveau l'attention avec son premier roman, Le Bonheur.
 On se souvient que d'emblée, l'exceptionnelle liberté de ton, la voix éclatante et l'ironie dévastatrice du jeune auteur eurent ce mérite d'arrêter net le bêlement morne, exaspérant et satisfait, des cuistreries régnantes. On put voir alors des brebis de la tolérance universelle, des professionnels de la pétition larmoyante et de la bonne conscience à pancartes, tomber sur Nabe à bras raccourcis et le désigner à la vindicte publique comme un criminel de guerre en puissance, digne de la potence de Nuremberg.
  La cavale des dévots et des médiocres qui orchestre le matraquage et la crétinisation des médias veilla dès lors avec un soin maniaque à ce que ni le nom ni les écrits de Nabe ne fussent désormais mentionnés. Cependant, l'image de cet auteur solitaire, armé de sa jeunesse, de son courage et de sa passion d'écrire, et continuant à produire malgré tout, a fini par toucher des écrivains, des artistes, sensibles au véritable talent (il en existe encore), au point qu'il est permis de penser que la tentative d'étouffement a heureusement fait long feu. "
  (BC n° 66, février 1988).

                                                                                                        *
 

  Micberth, La Lettre, Editions Res Universalis, 1986, 296 p.

 Je viens de dévorer La Lettre, de Michel-Georges Micberth, suite d'articles et de textes parus Dieu sait où en 84-85, qui ont l'admirable éclat d'une série de beignes appliquées à toute volée sur les faces de pitres, de loufiats et de tarés qui règnent sur ce pauvre monde et mettent à l'abrutir une opiniâtreté, une haine, une infamie dans la délation et le sournois verrouillage juridique, qui rendraient aimable le souvenir de l'Inquisition.
 (...) Je reprends Micberth pour respirer un peu d'air frais et ne pas me sentir trop seul : " La simple honnêteté et l'hygiène mentale " ont justement inspiré à Micberth quelques réflexions sur l'affaire Barbie que vous ne trouverez pas dans vos quotidiens habituels. " Mais les Juifs ! écrit-il. Vous oubliez les Juifs, les enfants Juifs, les vieillards juifs, les femmes juives ! " A cela je réponds : " Mais vous oubliez les catholiques, les enfants catholiques, les femmes catholiques ! "

  A trop en faire dans l'exploitation holaucostique à sens unique, craignez que l'ultime réponse chrétienne aux " Six millions " de " l'Unicité fatidique " (dixit Levy) devienne, un jour de très humaine lassitude : " Et que voulez-vous que ça nous foute ? ". " Sous la plume des apprentis sorciers qui le couvrent d'immondices, écrit encore Micberth, Hitler apparaît aux nouvelles générations comme une sorte d'ange satanique blasphémé par les penseurs épais du conformisme débilitant. Pour un peu, il deviendrait le symbole d'un romantisme intemporel. "

 N.B. Avis à la LICRA et à ses cafards. Je suis Grand Invalide de guerre 100/100 au titre " interné résistant ", couvert de toutes les bananes patriotiques que vous n'avez généralement pas, évadés, engagé, FFL et tout le boxon. Inutile de m'emmerder.
                                                                                                                                 Jacques d'ARRIBEHAUDE
 (BC n° 67, mars 1988).

                                                                                                        *
 

   François Richard. L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine. Presses Universitaires de France, coll. Littératures modernes, 1988.

 ... On conçoit aussi que, dans l'asphyxie du conformisme ambiant, étayé d'un appareil judiciaire et policier parfaitement au point, appuyé à tous les créneaux possibles par des aboyeurs médiatiques, des enseignants abrutis et l'armée socialisante d'une pléthorique fonction publique où nul ne semble avoir jamais vu l'ombre d'un prolétaire, le moindre propos d'un Drumont, d'un Céline, d'un Rebatet, et, plus près de nous, d'un Nabe ou d'un Micberth, soit aussitôt perçu comme une menace intolérable.
  De Gobineau à Micberth en passant par Drumont, Bloy, Darien, Léautaud, Daudet, Céline, Rebatet, Marcel Aymé, Bernanos et bien d'autres, François Richard éclaire à merveille le talent, la vigueur polémique et la fécondité d'un courant qui, en dépit de toutes les censures, de tous les éteignoirs et de l'immense peur des Bien-pensants de tous bords, apparaît " comme l'une des tendances politiques, morales et intellectuelles les plus stimulantes de notre modernité. "

 Où l'auteur de cette excellente étude s'égare un peu, me semble-t-il, c'est lorsqu'il cite Louis Pauwels en bonne place parmi ces irréductibles briseurs de tabous dont il souligne pourtant bien, par ailleurs, le caractère irrécupérable. Certes Pauwels est honni et abreuvé d'injures par les tout puissants foutriquets de ce qu'il nomme si justement " la gauche caviar ", qui ne sauraient lui pardonner ses ricanements à propos du " sida mental " dont il les voit atteints. Mais Pauwels est une institution qui se recommande, tout comme ses adversaires et détracteurs, de la démocratie, de la République, et de l'épilepsie moralisante de nos cardinaux judéo-chrétiens.
 Je distingue mal le rapport avec Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Darien, Rebatet, Micberth, etc. Je regrette, en revanche, que François Richard ait omis de citer Brigneau, Gripari, Marc-Edouard Nabe, Willy de Spens, d'autres peut-être, qui appartiennent, sans conteste, par l'éclat, le talent et le caractère, à cette flamboyante aristocratie de réprouvés qu'il s'est attaché à dépeindre. Mais ne boudons pas notre satisfaction dès lors qu'il s'agit du premier ouvrage sérieux sur un sujet pratiquement tabou jusqu'à ce jour.
  (BC n° 68, avril 1988).

                                                                                                       *
 

   André Figueras, L'Adieu aux Juifs, Publications André Figueras, 1987.

  Avec sa franchise habituelle, André Figueras nous livre ses réflexions d'honnête homme sur la prétendue race élue et sa fatigante frénésie à abrutir les masses mécréantes.
 " Le seul point commun, écrit-il, entre les personnes dites juives où qu'elles se trouvassent et à quelque époque, est d'avoir été en proie à d'immenses désagréments. On pourrait donc dire que les Juifs semblent secréter l'antisémitisme comme le foie secrète la bile. Et aujourd'hui ils ont réussi à se faire de l'antisémitisme un rempart puisque l'escroc le plus fieffé, s'il a le bonheur de se dire juif (Flatto Sharon), se prétend victime de menées racistes et trouve en tout cas refuge, place et honneurs en Israël. L'antisémitisme a longtemps été un malheur qu'aujourd'hui les malins ont transformé en aubaine. "
  Indemne de toute espèce de racisme mais se reconnaissant néanmoins Français et chrétien, au reste ancien résistant et non suspect de sympathie pour la " bête immonde ", Figueras en a par dessus la tête de se voir à chaque instant chapitré comme un morpion au cas où il oublierait une minute de pleurer sur l'holocauste. Le cas n'est pas rare, finalement, où l'irritation finit par l'emporter sur un chagrin sollicité sans trêve ni répit, à grands renforts de boniments, de gesticulations et d'anathèmes, depuis des générations.
  Geneviève Dormann, qui n'a pas froid aux yeux, déclare tout net que les Juifs l'emmerdent. Les protestants ont eu, note Figueras, l'intelligence et la dignité de ne pas nous pomper l'air en défilant cinquante fois l'an avec les fantômes de la Saint-Barthélémy.

 Le résultat est là. Des Français comme les autres, fondus dans la masse et dont la fortune économique et politique ne soulève nul problème. Mais quand on nous envoie sans arrêt les six millions (?) à travers la gueule, quand il est impossible d'ouvrir un journal, un poste de radio, la télévision, sans que nous soit rappelé à tout instant la communauté de l'exclusif malheur juif, on en a vraiment sa claque.
 Le journal " Le Monde ", qui n'en rate pas une dans ce domaine, vient précisément de nous gratifier (26 mars), sous la plume du rabbin honoraire Poireau-Delpech, du solennel rabâchage de rigueur sur " Auschwitz relais de la mémoire ". Aucun poncif n'est épargné, c'est du pur Hugo lacrymal avec la touche Zola pour le vécu garanti sur facture.
  Pour conclure, une allusion aux masses de cheveux pieusement conservés dans un coin, et cette perle époustouflante : " les bidons de Ziklon B., preuves scientifiques des chambres à gaz. " Fermez le ban ! Aussi définitif que la vérité théologale du XVIe siècle. Pauvres Galilées que nous sommes ! La terre est plate, le soleil tourne autour, il est clair que les Indiens et les nègres n'ont pas d'âme. Inclinez-vous sur les bidons de la transcendance céleste, ou le bûcher vous attend.
                                                                                                                                    Jacques d'Arribehaude
 (BC n° 69, mai 1988).

                                                                                                      *
 

   Jacques Vergès, Je défends Barbie (préface de Jean-Edern Hallier), Editions Jean Picollec, 1988.

 Soigneusement passée sous silence par les médias, couverte par les clameurs hystériques de ceux qui refusent toute vérité dérangeante, la plaidoirie de Jacques Vergès réduisant le procès Barbie à sa triste réalité, celle d'une écœurante palinodie de justice truffée d'impostures, de témoignages bidons et de faux grossiers, marquera certainement une date dans la courageuse dénonciation du mythe extravagant imposé aux masses crédules depuis près d'un demi-siècle et selon lequel le peuple allemand unique au monde serait jusqu'à la fin des temps coupable contre l'humanité de crimes inexpiables.
 (...) Qui peut croire que ces procès de lampistes et de bureaucrates octogénaires dont on nous promet l'incessante répétition, ont un sens quelconque si l'on s'avise que de telles mascarades, affligeantes caricatures, dignes de la pire légende des Inquisiteurs du Saint Office, ne peuvent que desservir le but recherché, qui est la condamnation du racisme en général et de l'antisémitisme en particulier ? Même protégé par tout un arsenal de lois scélérates, un mensonge reste un mensonge, et a tôt fait d'irriter une opinion qui se sent mystifiée.

  Le plus lamentable est ici que des Juifs de bon sens, sages et clairvoyants, le plus grand nombre sans doute, parfaitement conscients du danger, s'efforcent de s'opposer à cette stratégie calamiteuse, et que ce sont les ultras qui l'emportent, avides de pouvoir, ivres de haine, sourds à tout raisonnement susceptible de contrarier la mythologie conquérante née de leurs délires et de leurs fantasmes.
  " Arrêtons le délire, s'est précisément exclamé le député RPR Claude Labbé, repris par d'autres, et nullement suspect de racisme. Le Pen n'est ni raciste, ni nazi. Ce qui est bien plus grave, c'est Simone Veil. Plus elle parle, plus elle développe l'antisémitisme en France. "

  Pareils propos, inconcevables avant le procès Barbie, les anathèmes contre Le Pen quotidiennement rabâchés, en disent long sur un certain ras-le-bol, le même qui expliqua en son temps l'extraordinaire succès de librairie de Bagatelles pour un massacre.
  (BC n° 72, août 1988).

                                                                                                      *
 

  Yves Chiron, Edmond Burke et la Révolution Française, Editions Téqui, Paris, 1988.

 Les " Réflexions sur la Révolution de France ", publiées à Londres le 1er novembre 1790 par Edmond Burke, célèbre parlementaire Irlandais n'ont cessé depuis lors d'irriter la longue suite de nos dirigeants politiques épris de niaiseries démagogiques et accoutumés à endormir l'opinion de mascarades égalitaires dans l'imposture généralisée des " Droits de l'homme et du citoyen ".
 
A la veille du Bicentenaire dont les fastes dispendieux et grotesques vont encore ajouter au trou sans fond de la Sécurité sociale et crever un peu plus la misérable vache à lait électorale saignée à blanc par les criminels irresponsables qui, au nom de l'Etat et pour le bonheur du peuple, osent encore exhiber le bonnet phrygien et se réclamer de la " Carmagnole ", la lecture de Burke, telle une cure d'altitude, est un merveilleux contrepoison.
 
  (...) Or, par une sinistre ironie de l'Histoire, il se trouve que la France s'est précipité dans cet interminable bourbier au moment précis où son prestige était le plus éclatant, son économie en pleine ascension, la qualité de sa civilisation reconnue partout sans conteste. Ainsi que le souligne Yves Chiron, Burke note que les " droits de l'homme " flattent l'égoïsme de l'individu et sont ainsi négateurs, à terme de la vie sociale.
   Dans un discours au Parlement (britannique), en février 1790, il s'élève avec violence contre ces droits de l'homme tout juste bons, dit-il, à " inculquer dans l'esprit du peuple un système de destruction en mettant sous sa hache toutes les autorités et en lui remettant le sceptre de l'opinion. " L'abstraction et la prétention à l'universalisme de ces droits, poursuit Chiron, contredisent trop en Burke l'historien qui n'apprécie rien tant que le respect du particulier, la différence ordonnée et le relativisme qu'enseigne l'Histoire.
   Il n'aura pas de mots assez durs pour stigmatiser Jean-Jacques Rousseau, " ami du genre humain " dans ses écrits, théoricien de la " nature bonne " de l'homme
et qui abandonne les enfants qu'il a eu de sa concubine : " la bienveillance envers l'espèce entière d'une part, de l'autre le manque absolu d'entrailles pour ceux qui les touchent de plus près, voilà le caractère des modernes philosophes... ami du genre humain, ennemi de ses propres enfants. "

 (...) Nul ne s'avisait, dans le tumulte emphatique qui remplissait ces pauvres cervelles de débiles et de gredins, de ces " liaisons secrètes " que Chateaubriand a si bien perçu par la suite entre égalité et dictature, et qui la rendent parfaitement incompatible avec la liberté. L'Angleterre, pays de gens pratiques, ne pouvait qu'être aux antipodes de l'imitation " améliorée " que l'on croyait en faire, et ses grands seigneurs, accourus pour acheter à vil prix le mobilier et les trésors de la Nation vendus à l'encan, n'en revenaient pas de ce vertige de crétinisme et de l'hystérie collective et criminelle emportant follement le malheureux peuple de France vers l'esclavage, la ruine et l'effacement de la scène du monde au nom de fumées et d'abstractions extravagantes, mensongères et pitoyables.
  Quant à la masse du peuple, dit Burke, quand une fois ce malheureux troupeau s'est dispersé, quand ces pauvres brebis se sont soustraites, ne disons pas à la contrainte mais à la protection de l'autorité naturelle et de la subordination légitime, leur sort inévitable est de devenir la proie des imposteurs. Je ne peux concevoir, dit-il encore, comment aucun homme peut parvenir à un degré si élevé de présomption que son pays ne lui semble plus qu'une carte blanche sur laquelle il peut griffonner à plaisir... Un vrai politique considèrera toujours quel est le meilleur parti que l'on puisse tirer des matériaux existants dans sa patrie. Penchant à conserver ; talent d'améliorer ; voilà les deux qualités qui me feraient juger de la qualité d'un homme d'Etat.

  Céline, si lucide et si imperméable à la rémoulade d'abstractions humanitaires dont résonnent sans trêve nos grands tamtams médiatiques, et qui savait son Histoire comme on ne l'enseigne nulle part, a décrit la situation une fois pour toutes dans une des pages les plus saisissantes du " Voyage ". " Ecoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez plus passer sans bien vous pénétrer de son importance, ce signe capital dont resplendissent toutes les hypocrisies meurtrières de notre société : L'attendrissement sur le sort du miteux... C'est le signe... Il est infaillible. C'est par l'affection que àa commence... Autrefois, la mode fanatique, c'était " Vive Jésus ! Au bûcher les hérétiques ! " mais rares et volontaires, après tout, les hérétiques. Tandis que désormais... les hommes qui ne veulent ni découdre, ni assassiner personne, les Pacifiques puants, qu'on s'en empare et qu'on les écartèle afin que la Patrie en devienne plus aimée, plus joyeuse et plus douce ! Et s'il y en a là dedans des immondes qui se refusent à comprendre ces choses sublimes, ils n'ont qu'à aller s'enterrer tout de suite avec les autres, pas tout à fait cependant, mais au fin bout du cimetière sous l'épithète infâmante des lâches sans idéal, car ils auront perdu, ces ignobles, le droit magnifique à un petit bout d'ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l'allée du centre, et puis aussi perdu le droit de recueillir un peu de l'écho du Ministre qui viendra ce dimanche encore uriner chez le Préfet et frémir de la gueule au-dessus des tombes après le déjeuner. "

  Que l'on me pardonne cette citation un peu longue et d'ailleurs incomplète, mais elle m'a paru comme un prolongement naturel des " Réflexions " de Burke, tout en évoquant irrésistiblement l'Auguste Président, grand amateur de cimetières, panthéons et nécropoles, qui s'apprête à commémorer en grande pompe et dans l'extase universelle le Bicentenaire de l'incomparable Révolution Française.
  (BC n° 73, septembre 1988).

                                                                                                       *
 

 Elizabeth Craig raconte Céline (Entretien avec la dédicataire de Voyage au bout de la nuit, par Jean Monnier) Bibliothèque de Littérature Française Contemporaine, 1988, 45, rue de l'Abbé Grégoire, 75006 Paris).

 Une rumeur cafarde suintait de quelques officines éditoriales et journaleuses. L'héroïque phalange de cloportes, d'enflures et d'arrogantes nullités qui règne sur le prêt-à-penser de la chienlit culturelle assurait d'une seule voix qu'il s'agissait d'un document minable et fabriqué. Elizabeth Craig, n'ayant strictement rien à dire, gâteuse au dernier degré, aurait été passée à la moulinette pour exprimer, vaille que vaille, l'ombre de souvenirs sans intérêt aucun.
 Mais tout lecteur de bonne foi qui ne se laisse pas impressionner par ces glapissements de nains découvrira ici un témoignage exceptionnel de sincérité, de présence authentique, de précision dans le souvenir, de dignité dans l'évocation et la mémoire, un témoignage - et c'est probablement cela qui agace et fait grincer pas mal de dents - d'où l'image de Céline sort grandie, magnifiée, et décisivement anoblie.

  D'entrée de jeu, Jean Monnier fait pourtant ce qu'il peut pour complaire à nos sourcilleux cagots rabâcheurs de patenôtres et de vulgates où la " bête immonde " n'en finit  pas de nous être envoyée à travers la gueule. Le dialogue vaut d'être cité. Sur Céline, à Jean Monnier qui lui parle de sa collaboration, Elizabeth a cette réaction.
- " Collaboré avec qui ? Etait-elle contre la France ? - Il était pro Nazi. - Eh bien !... Il a toujours été pour les pauvres. Il était médecin et il n'a jamais pris un sou à ses malades ! " De toute évidence, le cri d'un cœur toujours ardent et généreux, chez cette dame de quatre-vingt-six ans qui n'a rien oublié d'une passion exceptionnelle vécue il y a près de soixante ans avec un homme qui, privé de sa présence et de sa grâce, n'aurait peut-être pas écrit le " Voyage " et réduit à l'insignifiance d'immenses pans de la littérature contemporaine (ce qu'on lui pardonne encore moins que sa prétendue collaboration ou " intelligence avec l'ennemi ").
 A plusieurs reprises, et probablement conscient d'être guetté au tournant par la cabale des cagots et les inquisiteurs du nouveau Saint-Office, Monnier s'efforce de remettre sur le tapis la " bête immonde ". Chaque fois, Elizabeth Craig, avec des mots très simples, des souvenirs très précis, écarte ses niaiseries et complaintes de demeurés pour en revenir à Céline douloureusement marqué par la guerre, désespérément attentif à la misère et aux souffrances des humbles.
  Pour la première fois aussi nous avons une évocation précise et touchante de sa mère, qu'au fond il vénérait. Les Juifs ? S'il ne les a pas épargnés, il en voulait davantage à la faiblesse, à l'incurie, à l'aberration cocardière des Français toujours prêts à se laisser mener à l'abattoir pour des motifs qui ne le concernaient pas. En tout cas il était incapable de bassesse, de délation.
- " Il était toujours en train de combattre pour l'humanité, il était l'ennemi de l'autocratie et se voulait le défenseur des petites gens, des gens qui souffrent, les exclus qui n'ont pas le droit à la parole... C'était un de ces guerriers qui vont se battre tout seul contre le Dragon... il était terriblement émotionnable... "
  (BC n° 77, janvier 1989).
 

                                                                                                        *
 

  Micheline PEYREBONNE, Articles sur l'immigration (1965-1981), Editions Europe Notre Patrie, B.P. 512-02, 75006 Paris Cedex 02, 1987, 150 p.

 Depuis 1965, où elle lançait sa revue Europe Notre Patrie, Micheline Peyrebonne n'a cessé d'écrire des articles bourrés de faits précis, de cas concrets, d'intelligence obstinée et courageuse, sur l'invasion délibérément incontrôlée que les intérêts les plus sordides du patronat, des banques et des gouvernements successifs et interchangeables de la droite mollasse et de la gauche pourrie ne cessent de nous imposer. Dans cette mascarade où les droits de l'homme ne sont plus, sous peine de poursuites judiciaires et de condamnations infâmantes, que le devoir impératif du pauvre Blanc à se faire enculer sans broncher, mais où commence à percer tout de même, en dépit de tous les rabâchages crétinisants des politiciens et larbins médiatiques, un assez évident ras-le-bol, il faut lire, relire et surtout répandre ce recueil d'articles où le pur bon sens de Micheline Peyrebonne, clair comme l'eau de roche et devenu si rare en ces temps d'imposture, est d'un effet aussi ravageur que tonique.
 Quand le sublime Auguste de l'Elysée, lippe tombante, regard au ciel sous la paupière tremblante, profère benoîtement : " Les étrangers sont ici chez eux ", de manière à accélérer sans aucune limite l'invasion de toutes les hordes possibles de raclures, de parasites, et de déchets pestiférés du Tiers Monde, il devrait commencer par élire domicile dans un HLM de banlieue ou dans une des rues poubelles de Marseille. Alors peut-être aurait-il le droit de parler, mais il est probable qu'il fermerait sa gueule ou parlerait un autre langage, vrai, pour une fois.

  (...) Parenthèse. Au moment où j'écris ces lignes, l'épouvante, plus que jamais à l'ordre du jour, désigne à nouveau, toutes chaînes confondues, tous larbins au créneau, l'infortunée " bête immonde ", en l'occurrence Jean-Marie Le Pen, coupable d'avoir utilisé le mot " crématoire " pour désigner un certain Durafour, maniaque zélé de l'ostracisme, de la persécution et de la provocation totalitaire anti-occidentale au nom des " potes ", de droits de l'homme, et du sida réunis.
  Dans une hâte frénétique, guignols habituels du vedettariat politicien, ministres, technocons (je pique la trouvaille à la merveilleuse Peyrebonne), jaillis de tous les fromages nomenklaturés, ont conclu à la nécessité d'une action en justice et d'une exclusion de l'Assemblée européenne en attendant la potence réservée aux crimes contre l'humanité aussi odieux et caractéristiques que la profération du mot " détail " ou du mot " crématoire ". (Il importe à propos que la société Gaz de France renonce de toute urgence à la connotation gravement alarmante de son label).
  Il ne faisait aucun doute que le public invité à participer à l'hallali par Minitel interposé, allait soutenir avec une ardeur sans faille la voix de cette imposante " majorité d'idées " en approuvant incontinent les mesures prises, poursuites judiciaires et tout le tremblement. Un embarras monumental, peint sur la tronche des gilets rayés de service, a précédé  les résultats, péniblement annoncés le lendemain. Les réponses (taux record de participation, avait-on précisé) désapprouvaient à 66 % la farce grotesque et scandaleuse de l'action en justice annoncée à son de trompe. Tout s'est alors terminé en clapotis vaseux, en murmure à peine audible sur " l'absence de signification de tels sondages ". N'empêche que le verdict populaire était on ne peut plus clair. En langage de Cour (celle d'Henri IV), il revenait à dire, sans la moindre équivoque : Allez donc vous faire foutre !

 (...) Quelles que soient les contradictions bibliques et les subtilités dialectiques du pilpoul, l'opinion, il faut s'y résigner, messieurs Fabius, Macias, Béachelle et compagnie, comprend mal cette frénésie qui conduit à vouloir à la fois l'expulsion des arabes d'Israël, et leur installation en France de plus en plus massive dans le plus parfait mépris des misérables autochtones et de leurs protestations risiblement réac.
  Ne croyez surtout pas que je me sois éloigné de Peyrebonne. L'Europe, notre patrie, est comme d'habitude au cœur de l'enjeu. Il est encore temps, tout juste temps, d'arrêter les dégâts et la subversion définitive. Que les technocons dégoisent, nulle importance si nous nous pénétrons bien de ce que martèle inlassablement dans ses articles la vaillante Micheline.
 " L'antiracisme n'est que la forme tyrannique du racisme qui veut imposer aux autres, par la force, une conception contre nature. Toute immigration qui n'apporte pas avec elle une possibilité d'assimilation par le sang est une guerre civile en puissance. "
 
Sur un sujet qui concerne l'intégralité de la civilisation occidentale, toute autre considération ne saurait être que sottise infatuée et criminelle.
 (BC n° 74, octobre 1988).
 

                                                                                                      *

    IN MEMORIAM

 En 1948, les revues étaient encore rares, le conformisme intellectuel dominait, l'existentialisme était accepté comme la marque d'une civilisation insurpassable, et Sartre comme un génie proprement surhumain.
  Rétrospectivement, je me demande si cette époque imbécile n'était pas plus ouverte, malgré tout, que le régime de dictature sournoise et haineuse qui, sous couleur de démocratie et de grands principes, interdit actuellement toute véritable liberté de pensée. C'est ainsi que, en dehors des pesants sermons de Sartre, et de l'assommante prose de sa Beauvoir, Les Temps Modernes à leurs débuts publiaient parfois des textes, des témoignages de jeunes qui, échappant aux catégoriques certitudes, touchaient par leur sincérité. Au sommaire de la revue parue en mai 1948, mon œil fut attiré par l'article d'un certain Pierre Gripari intitulé : " Nés en 25 ". C'était là ma génération, celle-là même qui avait eu le triste privilège d'avoir quinze ans en 40 et vingt ans en 1945. Je courus à l'article et le dévorai.

 " Ce n'est pas en pleurant, écrivait Gripari, qu'on augmente la part de bonheur du voisin. Au contraire, être heureux est une bonne œuvre, car la joie est au moins aussi contagieuse que la tristesse... Je ne crois pas qu'il existe de but plus sérieux dans la vie que mon propre perfectionnement. Travailler à mériter ma propre confiance en moi-même. Car si je n'ai pas confiance en mon propre honneur, en qui, en quoi, pourrai-je l'avoir ? Etre celui qui ne se fie trop à personne et sur lequel les autres puissent se fier. Etre une île, une terre ferme. Augmenter, de si peu que ce soit, la somme de bonheur du monde... "
  Je retrouve aujourd'hui ces lignes, que je notais alors comme un viatique, avec, maintenant que Gripari n'est plus, ce vain regret de ne l'avoir jamais rencontré chez notre ami et éditeur Roland Laudenbach, mort lui aussi après une vie de combat contre le conformisme idéologique et la haine de toute pensée libre.
  Comment ne pas se rappeler, en ces jours calamiteusement victorieux de l'Amérique et de ses tristes vassaux occidentaux sur la malheureuse nation arabe, la courageuse insolence de Gripari qui osa écrire, voilà quinze ans :

  " Il y a, dans Bagatelles pour un massacre, une vision quasi prophétique de tout ce que nous voyons se réaliser aujourd'hui : règne des " idoles " (le mot y est !), de la camelote ; de l'avachissement généralisé ; dévalorisation de la chose peinte, de la chose chantée, de la chose écrite. Le titre signifie que la Seconde guerre mondiale, qui se préparait alors, serait avant tout une guerre coloniale juive, ce qu'elle fut en effet. Voilà ce qui rend ce livre dangereux, il est vrai. (1)

 On peut supposer que la sinistre répétition que nous sommes condamnés à vivre, drapée des mêmes arguments hypocrites, a plus que lassé Pierre Gripari. Il a préféré s'éclipser et rejoindre, sans plus, l'univers enchanté de ses contes d'enfant, où il excellait, et dont le charme survivra, quoiqu'il advienne.

 (1) Frère Gaucher ou le voyage en Chine, L'Age d'Homme, 1975, Réédité par Presse Pockett, 1984.
 

                                                                                                      *

  Michel Lécureur, Marcel Aymé, Lyon, La Manufacture, 1988, 245 p.

 Dès son avant-propos, Michel Lécureur exprime avec une sympathique modestie son inquiétude, " le sentiment désagréable que certains aspects de la vie de l'auteur lui échappent et qu'il s'est peut-être fourvoyé ". Il est vrai que la vie de Marcel Aymé, dans son effacement, son caractère familial un peu terne, routinier, exempt de bouleversements spectaculaires, la rareté de ses apparitions et de ses confidences, n'offre pas au biographe une matière particulièrement romanesque.
  Très honnêtement, Michel Lécureur n'essaie à aucun moment de suppléer à la relative platitude de cette existence par de vains effets de rhétorique et ce que l'on appelle, en langage de prétoire, des effets de manchettes. Son mérite n'en est que plus grand d'être parvenu, par petites touches, à nous restituer un Marcel
Aymé aussi vivant, proche et fraternel que possible.

 " On peut estimer, écrit-il, que Marcel Aymé a créé des héros particulièrement toniques parce que lui-même ne l'était guère... Ainsi s'expliquent en partie, sans doute, sa longue amitié avec Gen Paul et Louis-Ferdinand Céline, ainsi que ses fréquentations de la Butte. Leur truculence, leurs excès même satisfaisaient chez lui une aspiration à la vie que sa propre physiologie ne lui apportait pas. "
 
Ses premiers romans attirent l'attention de Gaston Gallimard qui publie La table aux crevés, prix Renaudot 1929. Désormais, le succès s'installe, et avec lui une
sécurité croissante, soutenue par une production régulière et constante. En même temps naissent les premiers malentendus. Ces années 30, considérées plus tard comme celles de la " montée des périls ", sont marquées en France par toutes sortes d'engagements idéologiques où le conformisme intellectuel penche de plus en plus nettement à gauche. C'est l'époque où il commence à être très mal vu de ne pas prêcher à tout bout de champ les droits de l'homme, le combat à outrance pour les démocraties, et autres redondantes niaiseries de révolutionnaires et de guerriers en chambre.

 Avec une ironie meurtrière, Marcel Aymé fera le parfait tableau de cette société imbécile et de ses grotesques maîtres à penser dans Travelingue et dans Le confort intellectuel. Mais, dès 1935, il s'est distingué par une fausse note retentissante dans le grand concert de pétitions et de déclamations incendiaires contre l'agression de l'Italie " fachiste " contre l'innocente Ethiopie esclavagiste. Au comble de la sottise et de l'abrutissement, des plumes serviles condamnaient le colonialisme italien tout en glorifiant la haute mission civilisatrice des démocraties de Dakar à Djibouti, du Cap au Caire, ou d'Alger à Brazzaville.
 Ne pouvant digérer ces énormités, Marcel Aymé n'hésite pas à écrire : " Il faut être fou de l'espèce furieuse pour vouloir s'embringuer, quels que soient les torts de l'Italie, dans une guerre de principes. Je suis stupéfait de l'empressement des intellectuels de gauche à donner leur accord aux lords de l'Amirauté nous
signifiant par la voie hiérarchique dont ils disposent d'avoir à mettre sac au dos. " Même son de cloche dans une lettre à son frère Georges, auquel il écrit sans la moindre illusion : " On aura vu à l'œil nu comment peuvent nous conduire à la guerre des philosophailleries servant de paravent à des intérêts de grosse galette. Prochainement, quand les droites et les gauches (il n'est pas impossible qu'il y ait unanimité) déclencheront la guerre contre l'Allemagne à propos de quelque Ethiopie de la Baltique ou de l'Europe centrale, j'entends bien protester de toutes mes faibles forces. "

  La guerre venue, et la défaite, que faire, sinon survivre, et pour survivre, quand on ne sait rien faire d'autre, écrire et publier. C'est ce que fait Marcel Aymé, sans se préoccuper de voir paraître ses nouvelles dans un journal aussi marqué que Je suis partout dès l'instant que sa liberté de ton reste entière et que, uniquement concerné par sa création et ses personnages, il demeure étranger en apparence à toute espèce de vicissitude politique. Mais il est trop bon observateur, il a trop bien vu la veulerie sournoise, la couardise geignarde et malveillante, l'opportunisme sordide du grand nombre de ses compatriotes sous l'occupation pour ne pas être révolté par le spectacle de l'épuration. Hostile depuis toujours à la peine de mort, il admet d'autant moins que des écrivains qu'il estime en soient frappés qu'au même moment toutes sortes de trafiquants cyniques, enrichis par l'occupation, ne sont même pas inquiétés et continuent tranquillement leurs profits.
  l'insuccès pour sauver Brasillach le marque alors profondément. Sur de Gaulle, son opinion est alors faite une fois pour toutes. " On chercherait en vain dans sa vie publique, la moindre manifestation de générosité, de bonté, le plus petit élan de bonté et d
e charité. l'homme est sec. "  

 " Sensible à ce qui est vrai ". Voilà bien le maître mot, celui qui définit aussi le mieux l'auteur de La jument verte, du Chemin des écoliers, de Clérambard, et de tant de chefs-d'œuvre où le merveilleux, par les voies les plus imprévues et les plus cocasses, le dispute au réalisme le plus minutieusement saugrenu. Plus encore qu'un très grand écrivain, Marcel Aymé est poète de son temps et rejoint les sources les plus fécondes de notre littérature.
  Michel Lécureur souligne encore avec raison qu'il fut un ami sans faille, et d'une générosité qui le situe bien au delà des considérations partisanes et sectaires qui restent l'horrible plaie de notre époque. Cela, en dépit de ses convictions communistes, un honnête homme comme le cinéaste Louis Daquin, parmi bien d'autres, l'avait parfaitement compris. On connaît la fidélité de Marcel Aymé à ses camarades de la Butte et à Céline en particulier. Fidélité d'autant plus remarquable qu'il arriva à Céline, accablé de ressentiments et d'amertume, de se montrer parfois injuste envers lui. En dépit de quoi Marcel Aymé ne cessa jamais de le soutenir.

  Lécureur fait une part importante, à très juste titre également, à l'œuvre théâtrale de l'auteur de Lucienne et le boucher, œuvre abondante qui accrut sa renommée et assura définitivement son aisance financière et sa liberté créatrice. On peut regretter tout de même le caractère un peu rapide et sommaire de ses aperçus, son manque de discernement par exemple à propos de Vogue la galère, violente satire, pour qui sait voir et entendre, de la démocratie, parue chez Grasset en 1944, et jouée sans aucun succès et dans l'incompréhension la plus totale, en 1951.
  Le triomphe de La tête des autres, plus directement tiré de l'actualité, permit heureusement à Marcel Aymé de surmonter sa déconvenue et de persévérer. Et Lécureur montre très bien, dans sa conclusion, que le profond pessimisme de Marcel Aymé, si naturel aux plus grands auteurs dits " comiques ", n'était nullement fermé à l'espoir. La meilleure preuve en est cette exhortation à la jeunesse, dans le journal Arts que dirigeait alors Roger Nimier, et dont il extrait cet appel poignant et plus que jamais actuel.
 " Ameutez vos amis, ne passez pas devant une fenêtre sans appeler au secours, sans crier qu'on assassine la France. Entre votre génération et les précédentes décidez-vous à creuser le fossé... Refusez carrément le mythe de la gauche et de la droite, qui abuse tant de pauvres gens et sert aux roublards à noyer le poisson. Habituez-vous, en matière politique, à nommer précisément ce à quoi vous tenez. Dites par exemple : " Je suis pour l'école laïque, la neutralité et la bombe atomique. " Et ajoutez rituellement : " Merde pour la droite, merde pour la gauche. "
                                                                                                                                         
Jacques d'Arribehaude. 
 (BC n° 84, août 1989).
 

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