TEMOIGNAGES
Tu as également
rencontré les amis de Pierre : Louis Nucéra et
Alphonse Boudard ? Quelles impressions t'ont
laissées ces écrivains ?
Pierre Monnier et moi sommes devenus très amis. Nous habitions dans
le même quartier et les couples se recevaient.
Pierre venait me chercher souvent à midi pour
déjeuner et c'était toujours un enchantement de
l'entendre décortiquer l'actualité, ses trois
quotidiens sous le bras, se servant de ses
innombrables petits carnets de notes. Il
écrivait A l'ombre des grandes têtes molles
puis Les Pendules à l'heure et il avait
besoin d'allers et retours rapides pour la
correction de ses manuscrits avec Paris ou
Monaco pour son Arletty édité par Le
Rocher.
C'est pour cette raison qu'il m'a fait rencontrer Alphonse Boudard.
Celui-ci voulait que les corrections de ses
manuscrits ne se perdissent pas en route et
surtout, grâce à " Chronopost ", qu'ils lui
fussent retournés dans les 48 heures. Les
guichetières de mon bureau de poste étaient très
fières de les voir fréquenter régulièrement leur
établissement.
Quand les Boudard étaient
à Nice, le soir, invité au " Vieux Four
", je vivais des moments fabuleux. Le patron
nous réservait la moitié d'une salle. Alphonse
et sa femme Gisèle, Louis Nucéra et Suzanne,
Pierre et Renée Monnier préféraient s'isoler un
brin pour éviter les sollicitations incessantes
des curieux, admiratifs empressés.
A ces trois extraordinaires conteurs, Gisèle Boudard venait apporter à
son tour ses souvenirs les plus pittoresques.
Secrétaire de Jean-Jacques Servan-Schreiber, le
patron de L'Express, elle y avait côtoyé
Françoise Giroud et Madeleine Chapsal. Elle
évoquait notamment les prises de position du
journal qui militait pour l'indépendance
algérienne, les frasques inconnues de ses
dirigeants, les élucubrations de Giroud,
ministre durant deux ans de Giscard, et la
fameuse interview de Madeleine Chapsal que Roger
Nimier, son bon ami, avait provoquée.
Les trois écrivains ajoutaient leurs propres visions historiques des
choses et je buvais littéralement leurs paroles.
Ils appelaient un chat un chat et les mythes
fabriqués par les vainqueurs et les médias aux
ordres ne résistaient pas longtemps à leurs
révélations successives. Quelle complicité
unissait ces trois écrivains !... Et que
j'aimais Pierre quand je l'entendais le plus
souvent pour conclure un souvenir :
- " De toute manière, le peuple, il est toujours
cocu avec son bulletin. Le vrai pouvoir, il se
trouve entre les mains de groupes de pression
occultes qui arrangent les guerres dans
lesquelles on vous occit !... "
Ah ! Pierrot, Alphonse et Louis et le politiquement correct !...
Quelles ont été tes
critères pour réaliser ta collection autour de
Céline et qu'est-elle devenue aujourd'hui ?
Les rayons de ma
bibliothèque célinienne continuaient de se
remplir. La librairie " D'un livre
l'autre " d'Emile Brami et Jacques Giraudo,
un Niçois, bouquiniste sur les quais de Paris, y
avaient beaucoup contribué. C'est avec lui et
Pierre que l'idée germa... L'expérience de
l'exposition de Lausanne en 1977 dans un musée
est remontée à la surface. Cette suggestion
restée un an en l'état, n'avait pas quitté mon
esprit et mes achats s'intensifiaient. Je
décidais même jusqu'à " faire " toutes les
éditions pour chaque roman ou chaque biographie.
J'étais en relation, je me souviens avec près de
110 librairies et bouquinistes à travers la
France.
Un soir, tous attablés dans un restaurant du cours Saleya, la " Socca " et
le petit vin de Bellay à peine dégustés,
Alphonse me questionna sur cette expo, son lieu
éventuel, son cadre qu'il fallait prestigieux,
le parrainage par la municipalité (Louis Nucéra
pourrait s'en occuper...) et avança alors une
proposition fantastique... qui m'emballa
littéralement.
- " Sur une semaine complète, un jour entre
autres, on choisit en fonction de nos séjours et
disponibilités à Nice, Louis, Pierre et moi,
trois cycles de conférence avec trois thèmes
bien définis sur l'énergumène de Meudon... On
associe la Mairie, on trouve le cadre idoine
(Musée, abbaye, le C.U.M.), Raoul Mille et Raoul
Gatti seront O.K. Pas mal, mon pote ?... Non
?... Michel fera gaffe pour bien assurer ses
bouquins, qu'aucun salopiau vienne nous emm... !
"
Aux anges... Michel...
Vingt-deux ans après Lausanne, je préparais une
plaquette, je voyais ces trois éminents
céliniens, micro en mains, ici, à Nice, dans un
amphithéâtre bondé, présenter successivement une
conférence sur L.-F. Céline... Raoul Mille,
écrivain, historien, grand responsable culturel
à la Mairie " tartiner " dans Nice-Matin,
Raoul Gatti, le photographe, ami de Pierre et
Renée, œuvrer à son
tour... Sur un petit nuage... Il ne me restait
plus qu'à acheter encore et encore.
Hélas, les évènements qui allaient se succéder, en décidèrent tout
autrement. L'année suivante, en tout début
d'année, l'auteur du merveilleux Mourir
d'enfance disparut... le cœur...
Quelques mois plus tard, en plein été, la mort
de Louis Nucéra allait bouleverser tous les
Niçois. A bicyclette, sport qu'il pratiquait
intensément, le grand Prix de Littérature de
l'Académie Française était fauché par une auto
sur la route de Grenoble tout près de Carros...
Le destin... et j'avoue bien volontiers que dans
mon esprit, tout avait bien disparu quant à
l'idée de ma future exposition...
(Entretien avec Michel Mouls, Bulletin célinien, n°345, octobre 2012).
***
Salut, Alphonse !
Vous le voyez sur
l'écran de votre téléviseur avec sa grande
silhouette et son regard goguenard. D'une voix
calme et légèrement assourdie comme par un
souvenir lointain du sanatorium, il parle pour
éclairer des questions que les autres ne
maîtrisent pas toujours très bien, l'argot, le
crime, la prostitution, la marginalité. " A la
ville ", comme on dit des acteurs, il raconte
des histoires très drôles et dit des énormités
qui révèlent sans un hiatus une culture acquise
à la force du coup d'œil
et du jugement.
Sur
son art d'écrire, Frédéric Dard a dit
l'essentiel et réglé une fois pour toutes la
question de la filiation célinienne. Seul en
face des épigones anémiques et des imitateurs
aux " maigres couillettes ", Alphonse est
original parce qu'il est le greffon le plus
vigoureux sur le chêne de Mort à crédit.
Il sait, comme le grand, dire sa petite chanson.
S'il est vrai que les écrivains sont de deux
sortes : ceux qui " expliquent " (Sartre) et
ceux qui " disent " (Céline), Alphonse Boudard
est l'un des meilleurs parmi ces derniers. Une
expérience démontre que ceux qui savent dire
expliquent finalement beaucoup mieux que ceux
qui " expliquent ". Ainsi en apprend-on de
savoureuses en lisant La Cerise (la
tôle), L'Hôpital ou Cinoche.
Alphonse avait un jour décidé de mettre noir sur
blanc tout ce qui retenait son attention : "
Auparavant, je me contentais de la jactance...
", il fallait maintenant " amener sur le
papier mes salades... mes rêvasseries... "
Et cela, comme il en éprouve l'exigence, "
avec le goût d'être drôle et de faire rire...
" Il a d'emblée cette sûreté instinctive qui
fait l'écrivain, comme il sait discerner
l'indispensable : " C'est la technique...
Sans elle, nous chantait Brassens, un don n'est
rien qu'une sale manie. "
Sans
tâtonner, très vite, il trouve le ton. Les
Combattants du petit bonheur, c'est dès le
premier coup, du Boudard. Et du bon. La guerre,
qu'il a faite à dix-sept ans, sera naturellement
sa première source d'inspiration. Après un
passage aux FTP d'où il allait " s'esbigner
au moment où l'on épurait du groupe tactique
Lorraine les éléments douteux, les anarchos, les
trotskistes... ", il se retrouve aux
Commandos de France où naît son amitié pour
Jean-Baptiste Biaggi, le célèbre J.-B.B. qui a
ramené une Légion d'honneur de la " drôleffe "
en 1940. Salut, Bap ! Viendront bientôt (je cite
en désordre) Bleubite, La Métamorphose des
cloportes, Le banquet des léopards, Le
corbillard de Jules, Le café du pauvre...
Plongez dans tout ça, mesdames, messieurs, voilà
l'plaisir...
Un
cycle attachant de son œuvre
est celui qu'il a consacré aux maisons dites "
de tolérance ". Il était encore jeune quand le
coup de grâce fut porté à cette institution
millénaire en qui certains pensaient voir un
inévitable fait de civilisation. Alphonse a
dépeint les affres de la Fermeture dans
un ouvrage édifiant où l'on pressent que les
défenseurs de la morale étaient peut-être des
champions de l'ambiguïté telle cette Marthe
Richard dont on se demande si elle ne fut pas
elle-même un peu " pensionnaire ". En tout cas,
si le but de l'entreprise était de supprimer le
proxénétisme et la prostitution, c'est loupé.
Alphonse a élargi son étude en publiant avec la complicité de Romi,
prodigieux rassembleur de documents de toute
sorte, un superbe livre illustré sur les
Maisons closes. C'est historique et
pittoresque... Et très sérieux.
Il
est un autre domaine où notre ami fait figure de
tuteur, celui de l'argot. La méthode à Mimile,
écrite avec son compère Luc Etienne et récemment
rééditée avec des dessins de l'ami Trez, est de
ces ouvrages qui élargiront le champ des
connaissances. Il est difficile de n'être pas
séduit par les concordances du langage argotique
et de l'expression châtiée. Vous l'ignorez
peut-être, mais sachez que... " question
limace, c'est la couleur du rider qui décide, il
faut que ça se marida quart de poil " n'est
d'autre signification que celle-ci : " Pour
ce qui est de la chemise, tout dépend de la
couleur du costume, il sied qu'elle y soit très
exactement assortie ".
Alphonse Boudard est à l'image de ce qu'il écrit
rapide, intelligent, convivial... et sensible...
et moqueur. Ce n'est pas un hasard si son visage
est, ici, mêlé à ceux de Nucéra, Céline,
Brassens... Comme dans une famille unie et un
peu dispersée, on se fait des signes... de loin.
J'aime aussi ce génie de la répartie qui ne l'abandonna jamais. A la
jeune journaliste qui l'interroge sur son livre
L'éducation d'Alphonse et qui lui demande
en toute innocence : " Avez-vous écrit
d'autres livres ? ", il répond : " Bien
sûr ! Le père Goriot, Madame Bovary, La
Chartreuse de Parme... " Salut, Alphonse
!...
Pierre MONNIER
C'est
une dizaine d'années avant sa mort que son ami
Pierre Monnier avait tracé de lui ce portrait
pour une galerie de portraits d'écrivains. Nous
le reproduisons ici tel quel. Hommage de l'ami
et du lecteur admiratif.
(Bulletin célinien, n°206, février 2000).
***
Une longue amitié
Je
n'étais pas installé à Paris depuis une
quinzaine - c'était donc en 1964 - qu'on me
demandait d'accompagner Raymond Devos à une
réception. Ce ne fut pas un mince avantage
pour moi que de retrouver dans mon nouveau
métier d'attaché de presse des hommes comme
Brassens ou Devos. N'enregistraient-ils pas pour
la firme Philips qui m'avait engagé ? Mais je me
répète ! Il devenait urgent d'écrire ces
souvenirs !
Ce jour-là, rue Séguier, Devos recevait le prix du Bougnat, dans un
restaurant du même nom. Nous étions bien aises
d'être ensemble. Dans le taxi, comme à
l'habitude, il juxtaposait mots et situations,
chevauchait une idée après l'autre, se
dédoublait, mimait et, bien sûr, observait si le
manège étourdissant qu'il animait portait sur
celui qui l'écoutait. Au restaurant, il fut
happé par ses zélateurs.
Chacun
prit place. Je serrai la main de mon voisin de
table et me présentai, il fit de même.
" Boudard.
- Alphonse ?
- Oui. "
La
Métamorphose des cloportes était prévue en
1962 ; La Cerise l'année suivante ; le
prix Sainte-Beuve l'avait récompensé ; Henri
Jeanson n'avait pas été un des moindres à
défendre le livre auprès des autres membres du
jury ; et moi, j'avais l'air du " ravi " de la
crèche tant j'étais surpris et heureux.
J'avais écouté Rinaldi ; lu et relu Boudard sans que fléchît mon
enthousiasme. Au contraire. Chaque lecture
accroissait ce pouvoir que donnent talent,
opiniâtreté et cette esthétique fondée sur l'art
de muer le tragique en burlesque. D'infimes
détails, de macabres évènements, des offenses,
des coups fourrés, des peurs, des fiascos, le
cauchemar d'un corps torturé, l'impérieux appel
de la vie malgré le règne des sépultures, les
libertés étouffées, les dépits, les tendresses
refoulées, les remords, les griefs : tout était
mis en lumière après avoir mûri saison après
saison dans de dures contraintes.
Un être de fer, qui avait longtemps erré à la recherche d'une raison
d'exister, avait pris la parole. " Les vers
ne sont pas, comme le croient les gens, des
sentiments - ceux-ci on les éprouve assez tôt -
ce sont des expériences. Pour composer un seul
vers, il faut voir beaucoup d'hommes et de
choses. " Ces lignes sont de Rilke. Boudard
avait beaucoup vu avant de tracer ses premières
phrases.
Vit-il
en moi un lecteur à sa convenance ? J'eus
l'impression de le connaître depuis mon plus
jeune âge. C'est que les affinités viennent
parfois de loin, sans même qu'on le sache. Celui
qui fut enfant dans le Loiret chez des parents
nourriciers, puis chez sa grand-mère dans une
chambre du XIIIe arrondissement de Paris et cet
autre qui vécut à Nice plus de trente années
durant lesquelles les fins de mois se
prolongeaient quinze jours, se retrouvaient.
L'accent les différenciait ; des chemins opposés
aussi ; mais pas certaines blessures creusées et
évasées par les scalpels et le poids d'une
société qui a ses têtes. En général, les choix
de cette société ne se portent pas sur les
sans-le-sou, les impécunieux invétérés. Et loin
de moi l'idée de faire de la pauvreté une arme.
Comme
pour Kessel, cette première rencontre avec
Boudard fut le départ d'une longue amitié, de
ces amitiés où les singularités sont respectées,
où l'on n'essaie pas de corriger l'autre (si
l'on s'amende, c'est de son propre chef, par
réflexion, par une sorte d'osmose, sans que
l'exemplarité soit étalée), où les conseils ne
sont donnés que s'ils sont sollicités, où la
familiarité est exclue, où les jérémiades ne
sont pas de mise, où le mot respect s'écrit en
lettres d'or, où l'indépendance est sacrée mais
où on se regroupe dès que la vie l'exige sans
que le sentiment d'obligation entre en ligne de
compte, où, sans vérifier, on peut réfuter une
accusation, car on sait ce dont l'ami ne peut se
rendre coupable.
Je ne serai jamais assez reconnaissant au destin. Ses libéralités m'ont
fait naître sous une bonne étoile : celle du don
d'amitié. Je n'y suis pour rien.
S'enorgueillit-on de ce que le ciel nous octroie
?
Louis NUCERA
(Mes ports d'attache, éd. Grasset, 1994).
***
Brèves rencontres avec Alphonse Boudard
Il
m'avait reçu le 27 septembre 1995 pour
m'accorder un entretien dont l'essentiel parut
dans Le Bulletin célinien d'avril 96
consacré à Albert Paraz. Dans son appartement de
la rue Henri Monnier évoqué dans sa biographie
par Lucien d'Azay.
Jusque-là je ne l'avais vu qu'en photo. Je le trouve très simple et
sympathique. Cheveux grisonnants, un regard
voilé par des lunettes noires, une voix
assourdie, héritage de sa tubardise...
Outre Paraz, nous avons évoqué bien des
sujets. Car Boudard était un excellent conteur
servi par une mémoire infaillible. Nous parlons
de son quartier qu'il aime bien - " on n'est
qu'à quelques minutes du centre de Paris ".
Plus haut, c'est Pigalle. Ce n'est plus son
Pigalle - celui que, par exemple, Melville
restitue dans Bob le Flambeur. Trop de
sex-shops, de touristes... " A partir de mai,
n'allez plus à la place du Tertre. C'est la
cohue. " Il est inquiet - " des Noirs
commencent à s'installer... Ensuite ce sera un
flux redoutable. "
Des propos politiquement très incorrects... Prodigieux observateur de la
rue et piéton de Paris, il est le mieux à même
d'enregistrer la disparition du Paris pauvre et
populaire de son enfance et de son adolescence -
et de son remplacement par un peu n'importe
quoi...
Evocation
de personnalités troubles de l'occupation. Comme
Joanovici sur lequel il a un dossier dont il
espère tirer un livre. Je suis heureux de
trouver en Boudard un historien. Mais lui ne
s'encombre pas des prudences universitaires. Il
fut jeune résistant, mais pas résistantialiste.
Il ne s'est pas gêné pour mettre à mal,
notamment dans Le Corbillard de Jules,
les ambiguïtés et les mensonges de l'Occupation
et de la Libération.
Il me parle d'une étrange personne qui aurait pratiqué un drôle de jeu
dans les années 40. Surnommée " la rouquine ".
Il lui a consacré un livre qui, aussitôt
imprimé, a été retiré de la vente par l'éditeur
qui l'a fait pilonner. Pour ne pas salir la
Résistance, noble prétexte, mais peut-être aussi
crainte de procès ? " La rouquine " existe
toujours. Et dans les meilleurs termes avec un
grand personnage du clan mitterrandien.
Nous
en sommes à la guerre et à sa campagne d'Alsace.
Nous parlons de l'étrange mort du " colonel "
Fabien, tué par l'explosion d'une mine qu'il
manipulait. Un accident ou un attentat ? Encore
maintenant certains communistes insinuent que
Fabien a été liquidé par des éléments
anticonformistes de la Sécurité militaire.
Boudard qui connaît bien l'histoire du Parti (il
me cite Robrieux) pense que le coup est venu de
l'intérieur du Parti. Fabien était un
révolutionnaire qui désapprouvait le pacte
Thorez-De Gaulle, le légalisme du Parti, la
dissolution et le désarmement des milices
patriotiques, etc.
Je
retrouverai Boudard fin août 98 dans le cadre
magnifique de l'Aubrac où régulièrement deux
enseignants (qui ont bien du mérite) organisent
des rencontres sur différents thèmes. Celui de
98 est la littérature de sanatorium ; Boudard y
fera une communication remarquée. Sur ses
souvenirs de tubard racontés de manière
picaresque. Qui gondoleront l'assistance. Mais
c'était un masque pour évoquer un passé
douloureux et macabre. Dont Boudard esquivait
qu'il s'en était sorti par une volonté de fer.
Autre plaisir rare : Boudard parlait d'Albert
Paraz qui conseilla ses premiers pas d'écrivain.
Et il lut des extraits du Gala des vaches.
Paraz qui mourut d'un cancer et d'une laryngite
tuberculeuse... Boudard avait vaincu le mauvais
sort et affirmait que, tout en se ménageant, il
profitait de la vie. Au hasard des repas et des
discussions, nous avons passé là quelques bons
moments avec lui et Jacques Aboucaya, un de ses
vieux copain.
Ce
sont ces souvenirs heureux que je conserve
d'Alphonse Boudard. Je ne devais plus le revoir,
mais le suivais un peu grâce aux informations
que me donnait régulièrement ADG (Alain
Camille), autre pote de Boudard.
J'ai appris son hospitalisation avec inquiétude. Et puis tout a été très
vite. Ses obsèques le 19 janvier à
Saint-Germain-des-Prés ont été marquées par
l'émotion et le recueillement. D'une assistance
où se cotoyaient gens du peuple, écrivains,
artistes. Et de nombreux amis de sensibilités
politiques très opposées. Boudard nous
réconciliait (provisoirement).
Au
cimetière de Montparnasse, sur le cercueil
déposé dans la tombe ouverte, nous avons jeté
une fleur. Arrivé là-haut, Boudard a retrouvé
Louis-Ferdinand (Céline), Marcel (Aymé), Albert
(Paraz) et Albert (Simonin). Et tant d'autres
(Audiard, Brassens...) M'est avis qu'ils n'ont
pas fini de rigoler...
Jean-Paul ANGELELLI
***
Une gaieté
constante
Il
m'avait dit au téléphone, comme chaque fois :
- Paul, je barre. Samedi, je vais à Nice.
J'avais chaque fois un sentiment indéfinissable, peu plaisant. Depuis
quelques années, il partageait son emploi du
temps entre Paris et Nice. Là-bas, il avait un
climat souvent plus agréable, il respirait
mieux.
Le matin, par beau temps, la mer. Un groupe
d'amis valorisés par sa présence, son relief, sa
gaieté. Une tentation. Mais de Paris à Nice, il
y a un bon millier de kilomètres. Un parcours de
jeunesse... mais un effort, une fatigue. J'avais
moi-même travaillé à Monaco, voici quelques
années ; j'avais préféré le train de nuit. Le
matin, je me levais au bord de l'eau.
Méfions-nous
de ceux qui prétendent nous faire gagner du
temps. La distance est une ennemie avec laquelle
on triche. Le train est une drogue douce.
L'avion une drogue dure. La voiture, n'en
parlons plus.
Lorsqu'il ressentait une lassitude, il me le
disait. Ou bien :
- J'ai la crève...
Un rhume, une poussée de fièvre. Il gardait ses séquelles, du poumon en
moins, souvenir de guerre et de répression.
Alors, on crevait sec dans les prisons de
France. Il paraît que cela a changé, sans
s'améliorer pour autant.
*
Tout
bien compté, nous nous connaissons depuis
cinquante ans, nous nous parlions
quotidiennement. C'est Albert Paraz qui m'avait
suggéré... " Allez voir B. Il est au sana
". Ni une ni deux... Un dimanche de printemps,
on y était allé. Alphonse était là, élégant, en
compagnie de sa ravissante femme. On était "
venu le voir ", comme on disait. Nous avons tout
de suite parlé le même langage, lui le
Paris-Sud, moi les Quatre-Chemins. Un bonheur
constant... La chose est si rare.
*
Et
puis, Alphonse savait tant de chose... En
littérature... En histoire... Pas seulement les
anecdotes, mais les tenants, les aboutissants,
le fond des choses. Il n'était dupe de rien. Il
était docteur de cette université redoutable aux
médiocres : les Autodidactes. Ceux qui veulent
comprendre. Il avait compris. Très tôt vacciné.
Travailler
avec lui était un bonheur qui effaçait l'effort.
Dès nos premières rencontres nous évoquions des
projets. Nous nous sommes revus dans d'autres
sanas, au Grand-Lucé dont il avait cocassement
recomposé le nom.
Une plongée dans la France profonde sonnée par les années de guerre. Il
avait chaque jour cette gaieté constante qui
éclaire ses écrits, cette distance face aux
malheurs, aux réalités.
Il
n'était pas " bon public " - ce qui serait de la
complaisance. Il saisissait toutes les failles,
toutes les intentions, tous les ridicules, tous
les comiques... Moquer pour mettre à jour. Une
liberté légère. Qualité rare que je n'ai trouvée
que chez peu d'amis : Jacques Prévert, Pierre
Gripari, Jean Poiret... Ces grands inventeurs de
fables savaient rire des plaisanteries des
autres.
Grand miracle...
Autre chose, plus rare encore... Un mot l'engageait. Pas même un mot : une
intention acceptée, un accord tacite. Force de
contrat. Jamais d'argutie, de malentendu...
Encore un bonheur.
*
Alphonse
était un grand travailleur. Qui le dira ? Il
était toujours au charbon, sur la brèche. On ne
sait guère ce qu'est la vie d'un auteur fêté,
d'un grand écrivain. Inventer, écrire, mais
aussi répondre aux attentes, séduire, amuser. On
l'invite, on le sollicite, on le met en valeur.
Chacun brille de ses lumières. Une émission avec
Alphonse était un succès pour tout le monde.
Mais les fatigues restent. Alphonse ne comptait
pas ses efforts. La chandelle brûle. Et voilà.
*
Il
aimait beaucoup les plaisirs de la vie, et au
fond cela non plus n'est pas si fréquent. Nous
en avons partagé quelques-uns. Ici quelques
difficultés... insurmontables... Régler
l'addition après un joyeux déjeuner... Difficile
d'y parvenir !
*
Ces années d'amitié
auront été bien davantage, bien mieux qu'une
fraternité. Un nouveau sens, un nouvel éclat
pour le mot frère. Une harmonie. Une chose qui
semblait toute naturelle, et qui l'était.
*
En se levant d'un
dîner où il l'avait enjôlée de français
académique, sa voisine avait remarqué :
- Mais je pensais que vous parliez argot...
Il avait répondu :
- Je suis bilingue.
Le mot avait fait fortune. On le répétait volontiers. Il y a peu de
bilingues désormais, et ceux qui restent
parlent... anglais.
*
Un
de mes parents, néo-zélandais, qui résidait chez
moi pour quelques semaines (il était professeur
de français) avait remarqué :
- Lorsque tu téléphones à Boudard, tu ne parles
pas le même langage... Certains remarquent ces
choses-là. Tous nos messages, il est vrai,
commençaient par le même mot : pote. Cette
fois-ci, il avait dit :
- Pote, je barre...
Je lui avais demandé :
- Tu restes longtemps ?
- Oh... Trois semaines.
Je m'étais programmé pour trois semaines. C'est vite dit !
*
Tout
a été très vite. Il a fallu que je me fasse à
cela, qui est de notre destin. Je ne le verrai
plus, on ne parlera plus. Le mercredi précédent,
nous avions passé l'après-midi à la Rhumerie,
qui jouxte l'église Saint-Germain-des-Prés. On
avait parlé de son nouveau livre, et d'un projet
auquel il songeait : consacrer un recueil à
Georges Brassens dont l'œuvre,
pour nous, n'avait pas vieilli.
Et ce mercredi-là, à quelques mètres, c'était le grand rendez-vous du
départ. Les fastes absurdes. Exception là
encore, la peine et l'affection étaient
sensibles. Je ne cite personne, mais il y avait
là des gens que j'admire et que j'aime, et cela
réchauffe le cœur.
On a beau dire...
*
Alphonse avait parlé
son propre langage, haut et fort, après avoir
passé par les portes que Céline avait forcées.
On peut imaginer qu'à l'église
Saint-Germain-des-Prés, un ange un peu canaille
est allé subtiliser un peu de cette atmosphère
chaleureuse et qu'au creux de son aile il en a
rapporté une trace là où les amis partis nous
attendent. Qu'il la lui a fait respirer en
souriant :
- Tiens, Alphonse. Voilà ton fade...
Cela valait un sourire, en effet.
Paul CHAMBRILLON
(BC n°206, février 2000, Hommage à Alphonse Boudard).
***
François Cérésa
Plus de dix ans après sa disparition, on
réédite les œuvres du truculent écrivain. Un
festin de bons mots dont François Cérésa, son
ami, se régale encore.
Le temps passe vite. Rappelez-vous, il n’y a pas
si longtemps, Alphonse Boudard était le
défenseur et l’illustrateur de la langue
française. Orphelin au cœur pur, gouaille et
poésie, il était le Musset de l’argomuche. Il
n’a jamais cessé d’évoquer les petites gens.
Libertaire, il se battait pour la liberté
d’expression. Fraternel, il plébiscitait la
liberté d’impression. Egalitaire, il croyait en
la santé du pessimisme. Bleu comme la
République, blanc comme la monarchie, rouge
comme le marxisme : Boudard était un homme
tricolore.
Il faut relire l’histoire de la fermeture des claques (pauvre
Marthe Richard !) et le parcours de Joseph
Joanovici (un Juif collabo !) pendant la Seconde
Guerre mondiale. C’est vivant, coloré,
documenté, plein de cet allant roboratif qui
manque tant à la littérature française. Cet
enfant du siècle avait la confession soyeuse, la
colère précise, l’interjection salutaire.
Tubard, taulard, tricard, Michel Boudon, alias Alphonse Boudard, en avait
trop bavé pour dire aux autres ce qu’il faut
faire. Avec lui, comme avec Céline, on rit.
L’argot est sous sa plume virevoltant,
néologique, rigolo, moqueur, créatif, truculent,
digne de Dard et d’Audiard. Ces trois noms qui
riment étaient frères d’âme. Des hommes de
ferveur. Des mystiques d’amitié.
J’ai bien connu Alphonse. C’était un ami. Le mot est facile, mais
il n’avait pas le tic du toc. C’était un
raffiné. Avec « Mourir d’enfance », il n’assène
pas, il suggère. Boudard a obtenu le Grand Prix
du roman de l’Académie française pour ce livre.
Je me rappelle sa joie contenue lors de la
cérémonie présidée par Maurice Druon. Après
avoir honoré le Rabelais moderne de la langue
verte, on honorait en vert un magnifique et
délicat écrivain français. Les autres ont beau
dire, rien n’est oublié. Boudard nous rappelle à
son bon souvenir. Salut, Alphonse.
« Les métamorphoses d’Alphonse », d’Alphonse
Boudard, préface de Régine Deforges, éd. Robert
Laffont "
(Paris-Match,
Livres, 11 février 2011).
***
Quand PARAZ et BOUDARD
s'époumonent
Depuis 1994, François
Cransac organise chaque année sur le plateau
d'Aubrac, à la croisée des chemins de l'Aveyron,
de la Lozère et du Cantal, des Rencontres de
haute tenue où des spécialistes disputent des "
écrivains découvreurs de montagne " devant un
public nombreux.
Giono, Ramuz, Pourrat et Vialatte ont déjà été, si j'ose dire,
redécouverts (1).
Le troisième Cahier de la collection, consacré à
la " Littérature de sanatorium ", vient
de paraître sous les presses de Jean-Paul Louis.
Paraz et Boudard y ont la part belle, parmi
d'autres tubards époustouflants, dont Gadenne et
Crevel.
Jacques
Aboucaya, après une présentation détaillée de la
vie et de l'œuvre de
Paraz, dialogue avec Alphonse Boudard sur Le
Gala des vaches, l'hosto au vitriol. Boudard
raconte comment sa correspondance avec Paraz
décida de sa vocation littéraire : il revient
sur leur rencontre commune avec Céline, à
Meudon, sur le sens comique des duettistes et
leurs styles si différents.
Boudard évoque ensuite son " hostobiographie ". (Outre la transcription
écrite de son intervention, ce Cahier n° 3
comprend un CD où retentit, d'outre-tombe, la
parole d'Alphonse.) Il insiste sur " les deux
endroits essentiels pour lui, la prison et
l'hôpital. " Au sanatorium de
Saint-Martin-du-Tertre, Boudard défend la Série
noire contre le parti communiste ; à Bligny, le
taulard polymorphe se comporte en potache
indiscipliné. Il blague, joue au poker, arrête
de boire. Le confinement des malades révèle les
caractères, entre comédie et tragédie. La mort
seule inspiratrice...
Une
quatrième livraison des Cahiers est attendue sur
le " Génie conteur du Nord ". Les prochaines
Rencontres d'Aubrac auront lieu à la fin du mois
d'août 2001 ; les " Récits d'aventures sur les
routes médiévales européennes " tiendront en
haleine les heureux transhumants.
Rémi SOULIÉ
(1)
Ecrivains découvreurs de montagne, 5es
Rencontres d'Aubrac, Cahier n°3, " Littérature
de sanatorium ", Association A la rencontre
d'écrivains... et Editions du Rouergue, 2000,
236 p. (livre et CD). S'adresser à Francis
Cransac, 4 square Auguste-Renoir, 75014 Paris.
(BC n°215, décembre 2000).
***
Adieu à Alphonse
Boudard
En complément au bouquet d'hommages
publié dans notre numéro précédent, nous
reproduisons ici l'allocution que Louis Nucéra
prononça lors des obsèques de son ami en
l'église Saint-Germain-des-Prés. Outre l'auteur
du Chemin de la Lanterne, nombreux
étaient les journalistes et écrivains à y
assister : A.D.G., Jean-Paul Angelelli, Serge de
Beketch, François Brigneau, Paul Chambrillon,
Christian de La Mazière, Pierre Monnier, pour ne
citer que ceux-ci.
Nous sommes venus rendre hommage à un grand écrivain. Nous sommes venus
dire au revoir à un ami, un père, un grand'père,
un époux. Depuis toujours, Alphonse Boudard
menait des luttes de dieux pour échapper au
terrible. Il avait vécu ses sept premières
années dans le Loiret, chez des paysans, où sa
mère nourricière l'appelait " le gosse de
compagnie ", tant il aimait raconter des
histoires. Puis ce fut Paris, chez sa
grand'mère, dans le XIIIe arrondissement. Le
petit paysan se transformait en citadin dans un
quartier populaire. La langue verte entrait dans
sa vie. Elle irriguera son inspiration ; elle en
fera un descendant de Villon, de Rabelais, de
Céline, d'Albert Simonin qui fut un de ses
fervents lecteurs dès les commencements, juste
après Michel Tournier et Robert Poulet.
À 18 ans, il entre au maquis. L'inconséquence d'un de ses chefs fit
qu'avec son copain " Musique ", ils n'arrivèrent
pas à l'heure au rendez-vous de la Ferme du By
en
Sologne. Quarante jeunes gens qui, eux, avaient
été bien dirigés, furent passés par les armes.
Déjà, quelques mois auparavant, il l'avait
échappé belle quand, arrêté par une patrouille
allemande dans une rue de son Paris, il dut à
l'absence de curiosité des soldats d'avoir la
vie sauve. Ses poches étaient bourrées de
tracts. Une troisième fois, alors qu'il roulait
à vélo en pleine campagne, une mitraillette Sten
et un révolver Mauser dans ses sacoches, il
entendit un bruit de moteur. Il se jeta dans un
fossé gorgé d'eau. Un convoi militaire passa...
Sa
confrontation avec la mort se poursuivra pendant
la Libération de Paris, place Saint-Michel,
lorsqu'il se retrouvera nez-à-nez avec un
Allemand qui avait dégainé avant lui ; l'arme
s'enraya. Ce fut ensuite l'Alsace près de Colmar
où, soldat des commandos de France de la
première armée de Lattre, il fut blessé au
combat, ce qui lui valut la Croix de guerre avec
étoile d'argent. Et il y eut les ravages de la
tuberculose. Il en demeurera handicapé à vie,
sans que jamais l'humour ne le déserte. Le mot
plainte n'appartenait pas à son vocabulaire.
Cette fois, le combat a tourné court. Son
souffle si précaire s'est définitivement bloqué
à Nice où il aimait se rendre, car – disait-il –
" j'y respire mieux ".
Le galop d'une plume exceptionnelle s'est arrêté. Le froid qui nous
pénètre devient excessif.
Boudard sur les barricades à la Libération
" Tout ce qui a du prix en ce monde vient d'une poignée d'aristocrates.
Ils sont fils de ducs ou enfants de personne ".
Ces lignes semblent avoir été conçues pour
Alphonse. À l'heure où la perte de qualité érode
notre civilisation, où se restreint le nombre
d'individus doués de fierté, il appartenait à la
caste de ceux qui s'évertuent à maintenir la
planète à bonne température. Il avait fait ses
universités en des lieux inhabituels. Mais
quelle érudition, quel amour du français ! Qui,
comme lui, pouvait parler de la Révolution 1789,
de l'épopée napoléonienne, de l'histoire
contemporaine avec cet air d'indépendance, ce
mélange de premier de la classe, de pédagogue et
de goguenardise ?
" J'ai joué le jeu. J'ai perdu. J'ai payé ". Ainsi commentait-il
ses mauvaises années. Dieu, que cela nous change
des misérables qui n'ont d'indulgence qu'à leur
endroit ! Et pourtant, n'aurait-il pas eu le
droit d'en vouloir aux policiers qui le menèrent
à la porte de l'hôpital où se mourait sa mère ?
" Si tu nous donnes les noms de tes complices,
nous te conduirons auprès d'elle ",
promirent-ils. Il se tint coi. Il ne la revit
pas vivante. Le jour de l'inhumation, au
cimetière, on ne lui ôta pas les menottes.
Un autre aspect de son caractère ? En 1958, alors qu'il croupissait dans
un cachot, malade et criblé de dettes, il
n'accepta pas de publier Les vacances de la
vie, car, relisant son manuscrit, il n'en
fut pas satisfait. Oui, c'est cet être de fer,
qui erra quelques temps avant de se révéler à
lui-même, qui vient de nous quitter. Il arrive
que l'on entre fermement en dissidence contre
l'ordre du monde. " Hommes de l'avenir,
souvenez-vous de moi, " demandait Apollinaire.
Se souviendra-t-on d'Alphonse Boudard longtemps ? Cet incurable besoin de
croire aux contes de fées qui atteint les plus
désespérés nous incite à le croire.
Louis NUCÉRA
(louisferdinandceline.free.fr/bulletin).
***
Quand Laurence (Jyl) raconte Alphonse (Boudard)
Ce que je sais d'Alphonse
Je me souviens du prix
Renaudot d’Alphonse Boudard attribué pour «
les Combattants du Petit Bonheur » (La Table
Ronde, 1977). C’était au Pont Royal qui
possédait encore son look d’avant, boisé,
patiné, très 1950. Roland Laudenbach, l’éditeur
des Hussards et de l’Alphonse qui en était la
pièce rapportée (ou rapiécée), avait invité le
grand chic de la presse littéraire (j’étais, à
l’époque, aux Nouvelles Littéraires), le
ban et l’arrière-ban de la littérature de droite
et du centre-gauche), mais aussi les amis
d’Alphonse, qui était, rappelons un ancien
taulard rattrapé par la grâce (de l’écriture),
avait écrit « la Métamorphose des Cloportes
" , porté à l’écran avec le succès qu’on
sait par Pierre Granier-Deferre, avait obtenu le
prix Sainte-Beuve pour la Cerise et était
considéré comme une sorte d’héritier en ligne
directe de Céline.
Je vous passe le reste. Ce qui était extraordinaire, ce soir là,
c’est le formidable mélange de personnages
rassemblés autour du lauréat et qui faisait
notre admiration sincère et épatée à moi, bien
sûr, mais aussi à Robert Sabatier, venu tout
exprès de la soirée Goncourt, et de mon vieux
pote Jean-Claude Lamy, qui avait alors en charge
la rubrique littéraire de France-Soir.
Laudenbach et ses auteurs chéris ou fétiches,
Déon, Laurent et quelques autres, mêlés si l’on
peut dire à quelques malfrats anonymes de haut
vol, avec grands chapeaux à la sicilienne et
poules de luxe (ou prostituées de haut vol…), ça
vous avait une allure très cinématographique à
la Audiard. Du moins, c’est ce que nous
suggérâmes.

Je rapporte la chose pour l’anecdote. Plus de trente ans après, s’il y a
prescription, il y a aussi la couleur du mythe.
Auquel Laurence Jyl apporte aujourd’hui sa note
intime. Cela s’appelle simplement « Ce que je
sais d’Alphonse ». C’est également (comme le
Renaudot d’Alphonse) publié à la Table Ronde et
il y a là la belle et riche matière d’un roman
vif, drôle, picaresque avec aussi et d’abord le
souci de l’authenticité.
Durant vingt ans, il est vrai, Laurence Jyl fut la compagne d’Alphonse
Boudard, sa « femme pas officielle »,
mais aussi la mère de son fils, son
accompagnatrice lors des croisières culturelles
et des festivals de livres. L’auteur du «
Mari de Maman », qui est aussi un auteur de
théâtre à succès et la fille aimante et aimée
d’Yves Jamiaque, qui fut aussi, en son temps, un
dramaturge et un scénariste largement fêté,
raconte cet amour semi-caché avec un mélange
d’humour, de malice, d’émotion, de fausse
naïveté qui est sa marque.
Alphonse en scénariste zélé, en danseur improvisé, en croisiériste qui
s’amuse sous le regard critique, mais complice,
des Dutourd et des Nourissier, Boudard le dur,
Boudard le tendre. Ses cadeaux surprises comme
ces mystérieuses boîtes de caviar à Noël ou ce
tailleur cuir offert sous sac plastique, dont
Laurence préférait ignorait la provenance, sont
d’abord des sujets d’amusement. Alphonse, l’ami
des bourgeois et des malfrats, l’écrivain
prolifique, le scénariste à tête multiple
(l’épisode du tournage en Normandie du Chêne
d’Allouville avec un producteur péquenaud et
loufoque: vaut à lui seul son pesant d’humour.
Tout est là, dit avec tendresse, vigueur,
justesse.
La belle Laurence sait se retirer du jeu avec charme, quand il le faut,
joue la dame de l’ombre sans trémolo, cuisine
chez elle, dans son petit appartement du 13e
garni de peluches pour les académiciens qui se
prennent au jeu de Boudard l’imprévisible,
apprend tristement, d’une voix amie, la fin de
son amoureux et ne peut
assister à son enterrement. C’est là un bel
hommage amoureux, certes, mais d’abord un
magnifique portrait en creux. A lire et à
méditer.
Avec ses potes à la
Tour de Montlhéry, 1994.
Ce que je sais d’Alphonse, de Laurence Jyl (La Table Ronde).
(Blog de Gilles
Pudlowski, Les pieds dans le plat, 4 février
2011).
***
REGINE DEFORGES
J'étais libraire au Drugstore des Champs-Elysées
lorsque parut en 1962 La Métamorphose des
cloportes, d'un auteur inconnu, Alphonse
Boudard. Je lus le roman avec gourmandise et
m'empressai de le recommander aux clients de la
librairie qui, à leur tour, en parlèrent avec
enthousiasme. Dès sa sortie, grâce au bouche à
oreille, le livre eut un grand succès. Chaque
jour je voyais la pile diminuer, chaque jour je
remettais des livres. Par la suite, je lus
L'Hôpital et La Cerise avec le même
plaisir. " La prison, c'est d'abord une odeur. "
Telle était la première phrase de La Cerise.
J'étais curieuse de connaître l'auteur dont on
disait que c'était un voyou, un repris de
justice mais aussi un résistant qui avait
participé à la libération de Paris, un soldat de
la troupe du colonel Fabien, qui avait combattu
dans l'armée du général de Lattre, avait été
blessé et décoré de la médaille militaire. Grâce
au représentant des Editions de la Table ronde,
son éditeur, je fis sa connaissance. Je fus
séduite par ce grand gaillard à la langue bien
pendue qui me faisait rire en me parlant de ce
milieu littéraire parisien dont les ridicules ne
lui échappaient pas.
En revanche, il restait très discret sur sa vie privée. Quand il eut le
prix Sainte-Beuve pour La Cerise, il fêta
cet évènement en invitant quelques amis à boire
un verre dans un de ses bistrots favoris des
Halles. Quelques-uns avaient fait de la prison,
d'autres sortaient du sanatorium : tous
parlaient argot avec une aisance qui me
fascinait. Luc Etienne, qui tenait au Canard
enchaîné la rubrique de " L'album de la
Comtesse ", avait publié chez Jean-Jacques
Pauvert L'Art du contrepet. Il était là,
lui aussi, car, en collaboration avec Alphonse
Boudard, il avait fait paraître La Méthode à
Mimile, l'argot sans peine. Ce professeur de
mathématiques avait pour Alphonse une profonde
amitié. Les deux compères s'entendaient comme
larrons en foire et s'amusaient à me voir
patauger devant leur contrepétries.
[...]
Alphonse ne s'intéressait pas qu'à la période
trouble de l'Occupation, il s'intéressait aussi
au petit monde de la prostitution, les filles et
les bordels. On lui doit La Fermeture,
qui relate la fin des maisons closes et la vie
de Marthe Richard, qui fut à l'origine de cette
fermeture, et Madame de Saint-Sulpice,
qui raconte l'histoire d'une mère maquerelle
dans le quartier Saint-Sulpice. Ces deux
ouvrages sont très sérieusement documentés. Il
est vrai que Boudard avait eu comme mentor un
spécialiste dans le genre : Romi, avec lequel il
écrivit L'Age d'or des maisons closes.
Quand on demandait à Boudard pourquoi il
s'intéressait tant à ce sujet, il répondait : "
Je sais de quoi je parle, je suis né dedans. "
Allusion à sa mère prostituée qu'il voyait
rarement. Dans Mourir d'enfance, il
évoque une jeune et belle dame, parfumée,
portant un joli chapeau sur ses cheveux bien
coiffés, qui descend d'une automobile,
l'embrasse et s'en va, le laissant aux mains de
Blanche, sa mère adoptive.
Quand
je créai le Salon du livre de Montmorillon,
Alphonse Boudard répondit présent à mon
invitation. Sa joie fut grande de retrouver des
" potes " : Cavanna, Robert Doisneau, Louis
Nucéra. Nous chantâmes les complaintes jouées
par une orgue de barbarie, puis nous valsâmes
sur " La valse brune ". Alphonse était de ces
danseurs qui tiennent fermement leur cavalière.
Dans ses bras, je me sentais en sécurité et me
laissait conduire. Quand la danse cessa, nous
nous arrêtâmes, essoufflés tous les deux. " Tu
vois, tu devrais arrêter de fumer ! " dit-il en
appliquant ses mains sur sa poitrine.
Après sa mort, la municipalité de Montmorillon donna son nom à un square
devant l'église Notre-Dame. Nous nous amusâmes
du voisinage, certains que cela l'eût amusé
aussi. Chaque fois que je passe devant la plaque
qui porte son nom, je suis envahie d'une grande
tristesse et j'entends le rire de mon ami.
Il y
avait beaucoup de monde à l'église
Saint-Germain-des-Prés le jour de ses obsèques.
Une foule recueillie entourant le cercueil
recouvert du drapeau tricolore. Je fus émue
devant les trois couleurs, émue que la nation
rende hommage à un de ses défenseurs. Il aurait
ricané sans doute mais, dans le fond, il aurait
été content. C'est alors que mon téléphone
portable sonna. Je n'arrivai pas à l'éteindre,
ne l'ayant que depuis la veille. Rouge de honte,
je me levai et gagnai la sortie, prise d'un fou
rire à la pensée qu'Alphonse se gondolait dans
sa boîte.
(Préface de Régine Deforges, 25 octobre 2010, in Les métamorphoses
d'Alphonse, Robert Laffont, janvier 2011).
***
DANIEL
COSTELLE
Le monde des lettre lui avait fait une
consécration unanime :
... Alphonse
Boudard, seul écrivain apparu au cours de ces
dernières années... (René Fallet).
... Boudard
fait figure d'un météorite dans le monde des
lettres. En quelques semaines il devient un
écrivain considéré... (Gilbert Ganne).
... L'auteur
regorge d'un talent acide, agressif et parfois
truculent. Un univers obsédant, d'une
authenticité sans romantisme... La lucidité sans
phrase. La langue enrichie de trouvailles
personnelles est pleine du pittoresque et de la
poésie du vrai... Un homme authentique sans
complaisances ni grimaces... (Roger Rabiniaux).
... L'argot,
ça va plus loin que le vocabulaire. C'est une
façon de respirer. Celui de Boudard est vrai...
(Alexandre Breffort).
... Un chef-d'œuvre
d'humour et d'amère sincérité... (Boileau-Narcejac).
... Alphonse
Boudard a le ton, si rare, de la désespérance
gaie, du burlesque désolé... La truculence et
l'argot, le style vorace et bariolé sont comme
les masques de la parodie... (François Bott).
... Non
seulement Boudard est pro-di-gieu-se-ment
soi-même, mais encore cette personnalité
puissante et pittoresque en même temps réfléchit
avec une netteté, un rendu, une vérité qui font
croire à l'Art. C'est peu commun... Justement on
ne saurait trop louer l'artisan, l'écrivain,
chez A. Boudard, qui use de l'argot et du
langage parlé comme d'un orgue aux ressources
infinies et à la résonance enchanteresse qui
vous emporte... (Michel Chrestien).
... On a
rarement lu, en particulier avec La Cerise,
document plus criant de vérité... La langue,
sans cacher ce qu'elle doit à Céline, est d'un
pittoresque personnel. La conduite du récit a de
la sûreté sous son apparente nonchalance.
Boudard, qui est évidemment très supérieur à la
truanderie dans laquelle il a évolué, la
dépouille de tout romantisme...
(François Vinneuil).
... Une odeur
flottant sur ce septième cercle de l'enfer que
Boudard évoque, décrit, analyse avec tant de
lyrique véhémence que nous la sentons encore, le
livre refermé. Dans une architecture à la
Piranèse, Kafka tend la main à Courteline... Le
truand aux camélias, amer et rigolard. Avec
Boudard, la langue verte verdoie... vraie langue
vivante, elle bourgeonne, les mots remuent, se
transforment, on les surprend à l'instant de
leur perpétuelle dérobade... Ce langage sans
cesse en gésine, en métamorphose, où les mots
viennent crever comme les bulles à la surface
d'une matière en fusion... Langue de poète,
assurément, sans aucun romantisme de la canaille
ou du forçat... (Jean-Louis Bory).
On
pourrait continuer longtemps... le monde
littéraire parisien, réuni, pour une fois
unanime, autour du nouveau-né, dans son étable,
c'est vraiment le cas, et apportant, rois mages
de la culture, tout l'encens disponible..
Quand parait en janvier 1966 les Matadors (titre expurgé pour
Bleubite), la critique monte d'un cran, si
possible :
... Ce roman
serait très horrifique si Alphonse Boudard ne
montrait tant d'ironie, et parfois même de bonne
humeur. Certaines formes du langage, certaines
tournures de style, certaines façons de ponctuer
font évidemment penser à Céline.
Si l'on se borne à comparer la nature des deux écrivains, on constate que
Boudard est beaucoup moins amer tout en se
montrant aussi profondément anarchiste, aussi
résolu à ne croire en rien. Mais Céline prenait
le monde au tragique. Boudard ne le prend même
pas au sérieux. (Kléber Haedens).
... Avec son
dernier livre, il fait un pas de plus vers
l'Académie française. Ces Matadors ont
toutes les qualités exigées du roman classique :
une histoire avec une intrigue rigoureuse et les
personnages si bien dessinés qu'ils en
deviennent inoubliables... Quand on dit d'un
roman que Stendhal l'aurait aimé, c'est un
éloge. Quand on dit du roman de Boudard que
Céline en aurait fait la préface, il parait que
c'est moins bien. Pas à mon avis.
Et quel film ce serait pour Fellini... (Yvan
Audouard).
L'apparition
d'un homme providentiel - il y en a, comme ça,
de temps à autre dans la vie d'Alphonse -
l'éditeur Roland Laudenbach. C'est le patron de
la Table Ronde, le neveu du grand Pierre
Fresnay. Il a débuté comme scénariste, surtout
pour Alexandre Astruc (Une vie, les Mauvaises
Rencontres, etc.). Laudenbach va s'enflammer
- et militer - pour Alphonse Boudard. Il
commence par racheter à Plon les contrats et les
livres déjà publiés, puis fait la leçon à
Alphonse : " Laisse tomber ces histoires de
cinoche, je te fais des mensualités pour que tu
écrives. "
Ouf ! Enfin... la démarche qu'il fallait faire. Désormais, Alphonse,
tranquille, peut écrire. En 1977, les
Combattants du petit bonheur. Et là, il va
gagner.
Alphonse avait reçu, quelque temps auparavant,
en 1970, une très belle lettre, signée Alfred
Sauvy :
" Je dois vous dire, sans aucune idée de plaire,
que je vous place à un niveau très élevé parmi
les écrivains français. Croyez que je suis
toujours très ménager de mes mots. Et mon seul
regret est que vous n'ayez plus écrit depuis
quelques années. "
Désormais, grâce à l'extraordinaire gentillesse
- c'est le mot - de Roland Laudenbach, à
l'attention constante sans être tatillonne, à
toute cette aide faite de conseils intelligents
et de tranquillité matérielle, Alphonse va
vraiment s'épanouir.
Après le feu d'artifice de l'Hôpital, il reçoit cette fois une
lettre de Jean Anouilh :
" Vous êtes un des rares noms que je lis d'une
traite en me marrant tout le temps - avec le
désespoir à la fin, pas de la condition humaine,
je l'ai acceptée depuis longtemps, mais tout
simplement que ce soit fini.
J'en veux un autre. Vous m'avez fait plaisir et c'est ce qu'il y a de
plus rare. "
L'autre livre - qui suit presque aussitôt -, ce sera Cinoche.
Lettre, cette fois de Brassens :
" Ça m'arrive chaque
fois que tu publies quelque chose. Avant même
d'avoir terminé la lecture de ton dernier
bouquin Cinoche, j'avais la certitude que
j'éprouverais le besoin de le relire plusieurs
fois. C'est mon petit critère personnel et qui a
fait ses preuves pour décider de la qualité d'un
ouvrage. Merci pour avoir écrit Cinoche
et aussi pour me l'avoir envoyé.
[...] Cette "
petite musique boudardienne ", Georges Walter,
dans le Matin, en parle aussitôt :
" De sa langue maternelle, il a fait un instrument littéraire d'une
efficacité, d'une cadence incomparables. Avant
tout un instrument de musique... "
C'est
ensuite Michel Déon, dans le Journal du
Dimanche, qui explique ce qu'est cette
musique :
" C'est très beau et cela va crescendo dans cette langue qui
n'appartient qu'à Boudard, qu'il forge à chaque
phrase avec un génie de l'invention verbale qui
ne doit à personne. Sa voix est reconnaissable
entre toutes, économe (un adjectif pour un
adverbe), scandée, presque rimée. Il donne
l'impression de la liberté, de l'abondance, mais
à le lire mieux, on reconnait l'écrivain à son
économie, à ses rigueurs, à ses chutes, à ce
maniement des syllabes. Au vocabulaire qui se
meurt, il insuffle la vie, comme il insuffle la
vie à ce quartier aujourd'hui presque disparu
sous la pioche des promoteurs, le XIIIe
arrondissement. "
Et
Angelo Rinaldi dans l'Express :
" Pas de doute pour ce qui est de l'atmosphère, Arletty serait d'accord :
Boudard a vraiment une gueule d'atmosphère. "
Pour
Alain Bosquet, Boudard, c'est notre Malaparte.
Et Louis Nucera, qui deviendra son meilleur ami,
qui partage tant de passions avec Alphonse (à
commencer par celle du vélo), tire une
conclusion à cette avalanche d'articles plus
élogieux les uns que les autres :
" Alphonse Boudard a le don des nostalgies. Il convoque la mélancolie ou
le terrible, la truculence et les rires à son
gré : il suffit qu'il se laisse aller, qu'il
retourne le sablier. C'est de l'émotion
douce-amère qu'il nous propose, des sentiments
vrais.
Il existe un groupe de lecteurs (qui tend à s'agrandir) pour lequel
chaque livre d'Alphonse Boudard est un
évènement. Il y a là un homme que les idéologies
ne dupent pas. Une fois encore ces lecteurs -
qui aiment retrouver la vie dans les livres et
non de piètres fictions - seront comblés. "
Enfin,
même Jacqueline Piatier, du Monde, la
grande prêtresse des " Modernes ", celle qui n'a
d'yeux que pour les Robbe-Grillet et consorts,
la voilà qui s'émeut avec Alphonse :
" Il a beau dire que son seul souci est de faire " se marrer " ses
lecteurs, tout autre chose passe dans son livre,
et bien plus que de la rigolade... "
Le 23
novembre 1977, les Combattants du petit
bonheur a le Renaudot.
(Daniel Costelle, Ma vie pleine de trous, Presses Pocket, Plon 1988, p.
134).
***
Le dernier BOUDARD
Mort en janvier dernier à
Nice, Alphonse Boudard était le dernier " voyou
" des lettres françaises. Dans ce milieu si
policé, il faisait figure de trublion. Après
avoir été résistant et tubard, il était entré en
littérature en 1962 avec La Métamorphose des
cloportes, pour n'en plus ressortir. Chantre
de la canaille et du Paris populaire, il était
aussi devenu l'un des plus grands
historiographes des maisons closes (La
Fermeture, 1986 ; L'Age d'or des maisons
closes, 1990).
Cet ouvrage posthume, achevé juste avant sa mort, lui avait fait
retrouver, le temps d'un livre, ces "
établissements " qu'il connaissait si bien. En
1855, non loin des Halles, un bébé abandonné est
découvert à la porte du plus fameux " bordel "
de l'époque, " La Cigale d'or ". Emues, ses
pensionnaires décident de l'adopter et, comme
elles l'ont trouvé le jour de Noël, elles le
baptisent tout naturellement... Jésus.
C'est
donc la " vie de Jésus " que nous raconte
Boudard, dans sa langue rugueuse, riche et
gouailleuse. Divisé en chapitres aux titres
évocateurs, " Jésus dans sa crèche ", " Jésus
au collège ", " Ministère de Jésus en Argentine
", " L'Ascension ", le livre ne se veut pas
un pastiche des Ecritures, mais le portrait haut
en couleur d'un " caïd " du moment. Toutefois,
Boudard ne manque pas de conclure en citant
Saint Jean : " Il y a bien d'autres choses
qu'a faites Jésus. Si on les mettait par écrit,
une à une, je pense que le monde lui-même ne
suffirait pas à contenir tous les livres qu'on
en écrirait. " A chaque époque son
apocryphe.
Nicolas d'ESTIENNE d'ORVES
(BC
n°209, mai 2000, Les Trois Mamans du petit
Jésus, Ed. Grasset, 2000).
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