1926
Mission
médicale en Afrique pour le compte de la SDN. Divorce
d’avec Edith Follet.
Mars
- Ces différents voyages lui font délaisser sa vie de
couple ; de Rennes, sa femme Edith entame une procédure
de divorce.
Avril-Mai
- Sénégal, Soudan, Côte
d'Ivoire, Guinée, Dahomey, Togo, Sierra Leone, Nigéria,
Gold Coast.
Juin
- Retour à La Rochelle.
- A Rennes,
le 21 juin 1926, Edith obtient la prononciation du
divorce à ses torts.
- Fin
1926 : le Docteur Louis Destouches rencontre à Genève,
Elisabeth Craig, 24 ans, petite, rousse aux yeux verts,
sensuelle, américaine originaire de Los Angeles qui suit
des cours de danse classique. Elle y séjourne avec
ses
parents. Une très grande passion va naître... Elle sera
la dédicataire de Voyage au bout de la nuit.
A Oslo, le
prix Nobel de la paix est attribué au ministre français
Aristide Briand. A Giverny, meurt le peintre Claude
Monet. A Paris la censure interdit Le Cuirassier
Potemkine d'Eisenstein. Et à Genève il ne se passe
rien, sauf la rencontre d'un homme et d'une femme.
Lui, a trente-deux ans. Il est grand, mince, les yeux d'un bleu très
clair. Il est élégant, et même un peu dandy, la mise
recherchée, veste de tweed et cravate assortie. Elle,
une très jolie femme, menue, ravissante, de petite
taille, le visage encadré d'une somptueuse chevelure
rousse. Arrêtée devant une librairie, il parle du livre
qu'elle admirait. Puis ils achètent à l'intérieur un
livre sur Paris qu'elle gardera des années durant. Il la
questionne : elle est américaine, danseuse, elle réside
avec ses parents, victime d'une atteinte de tuberculose
à Paris, les médecins lui ont conseillé pour un temps le
climat de la Suisse.
Louis Destouches
après chacun de ses déplacements regagnent chaque fois
Genève où il a fini par s'installer dans un trois pièces
à Champel, au 35 d, chemin de Miremont, sur la rive
gauche, dans la banlieue de cette ville si sage, si
prospère, si neutre, si peu accordée à son tempérament,
lui qui n'est ni sage, ni prospère (il fait des dettes,
jette l'argent par les fenêtres), ni neutre non plus.
Autant dire qu'il est prêt à toutes les rencontres. Ou
mieux, toutes les aventures...
La jeune fille :
son nom, Elizabeth Craig, elle est née en 1902. Son père
est juriste, sa mère a renoncé à de brillantes études
pianistiques. Un milieu américain bourgeois, pour autant
Elizabeth se veut danseuse, elle suit des cours, elle
noue des relations dans les milieux chorégraphiques
comme dans ceux du spectacle. On la retrouve, modeste
figurante, dans Les Dix Commandements de Cecil B.
DeMille. Avec d'autres ambitions, plus classiques. A
Paris, elle est venue danser avec la compagnie Albertina
Rasch, jusqu'à ce que des difficultés respiratoires la
contraignent à ce séjour en Suisse où ses parents sont
venus la rejoindre.
Très vite
amoureux, ils se retrouvent dans les cafés, dînent
ensemble. Très vite, Elizabeth doit regagner Paris. Ses
parents on loué un appartement boulevard Raspail. Elle
espère rejoindre les Ballets russes pour mieux se
perfectionner. Il s'embarquera pour Paris pour la
retrouver, quelques jours plus tard.
- Toujours à Genève, il y laisse une
pièce de théâtre à l'état d'ébauche : il a écrit les trois
premiers actes de L'Eglise. Sorte de répétition
générale du Voyage, où il évoque déjà l'Afrique,
l'Amérique, le monde frivole et bouleversant des
danseuses et celui, misérable des banlieues ouvrières.
Dans L'Eglise, il dressait un portrait guignolesque et hargneux de
la SDN - portrait largement teinté d'antisémitisme. Les
Juifs devenaient là les grands prêtres intéressés et
grotesques de cette nouvelle " Eglise " que représentait
à ses yeux la SDN.
Plus tard, dans Bagatelles
pour un massacre, quand son antisémitisme aura
éclaté ou qu'il s'exprimera de façon plus avouée, Céline
donnera sa relation d'une telle lecture :
" Tel qu'il était il (Yubelblat, c'est-à-dire Rajchman), me plaisait
bien... j'avais même pour lui de l'affection... Bien sûr
il oubliait pas de m'arranger de temps à autre... de me
faire déguster une vacherie... Mais moi je me gênais pas
non plus... Y avait une petite lutte sournoise. Un jour
qu'il m'avait laissé comme ça trop longtemps à Genève,
dans les boulots imbéciles, à mariner sur les dossiers,
j'ai comploté dans mon genre, une petite pièce de
théâtre, c'était assez inoffensif, L'Eglise. Elle
était ratée, c'est un fait... mais quand même y avait de
la substance... Je lui ai fait lire à Yubelblat. Lui qui
se montrait dans la vie le plus éclectique des youtres,
jamais froissé de rien du tout, ce coup-là quand même,
il s'est mordu... Il a fait une petite grimace... Il a
jamais oublié... Il m'en a reparlé plusieurs fois.
J'avais pincé la seule corde qu'était défendue, qu'était
pas la bonne pour les joujoux. Lui il avait nettement
compris. Il avait pas besoin de dessin... "
1927
L'année
1927 fut une année d'ennui, d'oisiveté, entrecoupée de
pâles besognes administratives. S'il ne voulait plus de
la SDN, la SDN ne voulait plus de lui. Malgré l'appui de
Rajchman on le maintient à l'écart. Il se contenta de
dépenser son argent : il acheta des meubles, des tapis,
un cabriolet Citroën 5 CV, il reçoit chez lui de jolies
femmes. Les dettes laissées à Genève, couvertes
momentanément par Rajchman, seront laborieusement
remboursées par la suite. Mais il y a surtout Elizabeth.
Avril
- En
avril, il a obtenu de venir à Paris prétextant une série
de conférences sur la rage auxquelles il devait
assister.
Mai
Il repart à Genève le 6 mai, et revient en
juillet pour les vacances. Ecarté de la Société des
Nations, sans doute après avoir fait lire
L'Eglise
au Dr Rajchmann.
- Il ne retournera pas en Suisse achever sa mission : au
début du mois de septembre, le professeur Léon Bernard
lui rédige un certificat médical de complaisance et
prescrit quatre mois de repos pour des complications
dues au paludisme, quatre mois calculés de telle façon
que la fin du congé coïncide avec la fin du contrat SDN,
le 31 décembre 1927 - contrat non renouvelé bien
entendu.
Il emporta de Genève les ferments d'un antisémitisme qui avait déjà hanté
sa jeunesse. L'ordre et la logique anonymes des
appareils qu'il lui avait été donné d'approcher là-bas,
cet ordre dont il ne cessa plus tard de stigmatiser
l'inhumanité, la bonne conscience abêtie ou criminelle.
Il l'assimila désormais - dans son délire encore
inavoué, par conviction autant que par prudence - à une
Internationale juive dont il croyait avoir surpris
certains responsables.
-
Il dépose un acte de candidature au poste de
médecin-conseil du Bureau parisien de la section
Hygiène, mais n’est pas retenu.
- Il s’installe alors, à l’automne, à Clichy, au n° 36 de
la rue d’Alsace, un appartement de trois pièces et
il y ouvre un cabinet de médecine
générale. La plaque indique « Docteur Louis Destouches.
Médecine générale. Maladies des enfants. 1er
gauche ». Elizabeth Craig vit avec lui.
" Les gens du quartier sont venus la regarder ma plaque, soupçonneux.
Ils ont même été demander au commissariat de police si
j'étais bien un vrai médecin. Oui, qu'on leur a répondu.
Il a déposé son diplôme, c'en est un. Alors, il fut
répété dans tout Rancy qu'il venait de s'installer un
vrai médecin en plus des autres. " Y gagnera pas son
bifteck ! a prédit tout de suite ma concierge. Il y en a
bien trop des médecins par ici ! " Et c'était exactement
observé. "
Ce n'est pas avec des
vieillards cacochymes, des chômeurs syphilitiques, des
ouvriers alcooliques, des concierges tuberculeuses ou
des enfants typhoïdiques que Louis Destouches risquait
de faire fortune. Et c'est eux qui constituaient
pourtant la presque totalité de sa clientèle. Pour la
première fois il se trouvait confronté à la misère
sociale la plus cachée, la misère prolétaire.
" Pendant des mois, j'ai emprunté de l'argent par-ci et par-là. Les
gens étaient si pauvres et si méfiants dans mon quartier
qu'il fallait qu'il fasse nuit pour qu'ils se décident à
me faire venir, moi, le médecin pas cher pourtant. J'en
ai parcouru ainsi des nuits et des nuits à chercher des
10 francs et des 15 à travers les courettes sans lune. "
- En même temps il présente chez Gallimard le manuscrit
d’une pièce de théâtre, L’Eglise, écrite en
partie à Genève dans les mois précédents. Le manuscrit
est refusé : "
De la vigueur satirique, mais manque de suite. Don de la
peinture des milieux très divers.
"
Mai
C’est en
mai 1927
également qu’est rédigé un autre essai théâtral, farce
en trois tableaux et quelques divertissements, intitulé
Périclès, réunissant quelques-uns des familiers
de Destouches : sa mère, douce et boitant légèrement –
première ébauche de la Clémence de Mort à crédit
-, sa grand-mère, son père « impuissant et passionné »,
tous évoluant dans un climat petit-bourgeois volontiers
politicard et où sont fustigés milieux financiers et
francs-maçons.
François Gibault précise que sur le brouillon du
manuscrit qu’il a pu consulter, le titre Périclès
a été modifié en Progrès de la main de
l’écrivain. Sa rédaction survient après celle de
L'Eglise, Céline ayant soumis cette dernière aux
Editions Gallimard et la maison l'ayant refusée, il ne
tentera pas sa chance avec Progrès.
Les Editions Mercure de France publieront la pièce en 1978 ; sous titrée
" Farce en trois tableaux et petits divertissements ",
cette pièce présente d'évidentes imperfections, mais a
le mérite de porter en elle de nombreux points communs
avec le futur Mort à crédit.
1928
L’atelier d’Henri Mahé, rue Paul-Albert
devient trop exigu pour recevoir tous les amis. Une
péniche tronquée est en vente. Mahé l’achète et la
baptise La Malamoa – du nom d’une île de la
Société où Doderet a situé son dernier roman du même
nom. Elle mesure vingt-cinq mètres, contient un atelier
sous verrière, un salon avec un Pleyel à queue,
d’anciens meubles bretons et une chambre décorée de
fresques. Point de moteur ni d’électricité. On s’éclaire
à la lampe à pétrole. Pour les déplacements, on a
recours au remorqueur.
- Des activités médicales
essentiellement en 1928.
Mars-Avril
- Il est reçu à la Société
de Médecine de Paris. Son adhésion à la Société de
médecine de Paris ne modifia pas son statut social. Le
Dr Destouches, avec les dettes de Genève à rembourser,
se retrouva vite en faillite. Il appela à l'aide le Dr Rajchman qui le recommanda au Dr Léon Bernard, titulaire
de la chaire d'hygiène de Paris, qui l'accueillit dans
son service de l'hôpital Laennec.
Mai
- Il rédige une communication : "
A propos du service sanitaire des usines Ford ".
Juillet
- La Vie de Semmelweis
est refusé par Gallimard.
Il entre au laboratoire " La
biothérapie ", rue Cambronne, comme collaborateur ; il y
restera attaché jusqu'en 1937.
1929
Janvier
- Le
manque de clientèle l'oblige à fermer son cabinet. Après
son stage à l'hôpital, il se vit offrir une vacation régulière au
nouveau dispensaire municipal de Clichy, 10 rue Fanny, sous la direction du Dr
Grégoire Ichok, un juif né en Lituanie. Une hostilité et
une méfiance réciproque régna très vite au dispensaire
où le personnel prenait partie soit pour l'un ou pour
l'autre des deux hommes.
Sa consultation quotidienne de médecine générale a lieu l'après-midi, de
cinq heures à six heures et demie. Il est également consultant au
dispensaire Martin-Brandès, avenue de Saint-Ouen.
Février
- Il n'avait pas rompu tous les liens avec
la SDN, il sollicite du bureau d'hygiène des subsides
pour effectuer en Angleterre une enquête sur la médecine
de dispensaire. Ludwig Rajchman lui donne satisfaction.
Mars
- A la fin mars, Louis quittait Paris. Il n'adressa
jamais de rapport à la SDN... Ce qui ne l'empêcha pas de
réclamer une nouvelle aide pour d'autres visites en
Europe, en novembre-décembre.
- Printemps 1929, début de la rédaction de Voyage au
bout de la nuit.
Août
- Emménage avec Elizabeth Craig, 98
rue Lepic à Montmartre.
-
La Malamoa gagne le quai d’Anjou en 1929. C’est la
vie de bohème.
Septembre
- Il fait allusion à un projet de roman dont
une partie se passe à Londres, dans une lettre à Joseph
Garcin (né en 1894, blessé et décoré comme lui, familier
des milieux du proxénétisme à Londres et à Montmartre).
A
cette époque, il fréquente les théâtres, écrit à Dullin,
va voir des opérettes. Il fréquente la danseuse Karen
Marie Jensen, la comédienne Nane Germon. Il rencontre le
peintre Henri Mahé, décorateur de boîtes de nuit, breton
vivant sur une péniche, La Malamoa, amarrée à
Croissy puis quai de Bourbon et quai des Tuileries, où
viennent des écrivains, des artistes et des gens du
music-hall. La femme d'Henri Mahé joue de l'accordéon,
ils ont des amis dans " le milieu ".
Après avoir écrit une seconde pièce (après Des Vagues)
: " Progrès ", la rédaction de Voyage au bout
de la nuit est vraisemblablement commencée, et le
principal personnage Bardamu, semble être à la fois un
double de l'auteur et également inspiré par Joseph
Garcin.
Octobre
- C’est en octobre que Germaine Constans et Aimé Barancy,
journaliste à L’Intransigeant, présentent le
docteur Destouches à Mahé, qui va devenir un ami. Avec
Mahé, Louis Destouches découvre ou, tout au moins,
pénètre mieux cette bohème parisienne qu’il fréquentera
quelques années.
Dans un texte inédit que Mahé avait écrit en guise de
préface à La Brinquebale avec Céline et qui fut
finalement retiré, on trouve bon nombre d’expressions
qui permettent de comprendre pourquoi Abel Gance,
rencontrant les deux hommes, ses amis, s’exclamait : « Tiens !
Verlaine et Rimbaud… » Lui : Etait médecin chez les
pauvres. L’autre : Décorait un bordel chez les riches.
Lui : Nichait, tout en haut, 98 rue Lepic. L’autre :
Pénichait tout en bas, en aval, à Croissy, sur la
Malamoa… »
Qui sont ces familiers de La Malamoa en octobre 1929 ?
Destouches n’est pas indifférent à ce milieu. Il a
commencé le roman qui dépassera parfois son imagination,
le videra de sa substance et fera de lui l’écho de
monstres inavoués jusqu’alors. Il retiendra dans ses
livres : Paul Azaïs, qui joue dans Les Croix de bois
avec Antonin Artaud ; la pétulante Aimée Barancy, qui
critique concerts et spectacles au Courrier musical
et à L’Intransigeant, dans un style syncopé ;
Béby, qui fait rire les enfants des quais et qui parle
dix langues ; Martine Belinko, qui chante et danse aux
Bouffes-Parisiens sous le nom de Moussia, et qui
deviendra la marquise de Breteuil ; Philippe-André
Crozier, dit « Pip », qui a ses entrées chez les
Gould ; Denizoff, avocat excentrique, émigré de Russie ;
Maurice Dufrêne, qui révolutionne l’art décoratif ;
Yolande Fièvre, peintre de Nantes, qui se lancera dans
l’art brut ; Emery Garay, échotier mondain, photographe
des artistes et neveu du fondateur de l’agence Keystone ;
Nane Germon, qui joue les soubrettes, mais que Jouvet va
remarquer ; Marie Hémon, couturière bretonne à Paris ;
Roger Lecuyer, fils d’épiciers de la rue de Buci et
représentant chez Rivoire et Carré, qui compose des
chansons ; M. Lubbé, riche Américain, influent dans le
cinéma ; Marcel Pierre, garagiste aux armées, que l’on
déguise en charbonnier ; Raphaël, dit « Zozo »,
mi-proxénète mi-comédien ; André Saudemont, avocat des
acteurs du Français, qui chante si bien et qui écrit
pour Lys Gauty et Johnny Hess ; Eliane Tayar, de père
libyen et de mère nantaise, déjà veuve, et qui a joué
dans six films, dont L’Argent de L’Herbier, avant
d’être assistante de Carl Dreyer pour Vampyr ;
Titaÿna, enfin, romancière, reporter pour
L’Intransigeant, qui lance la revue Jazz avec
Carlo Rim et Louis Querelle.
A cette longue liste il faut ajouter les personnes que Destouches
amènera sur la péniche et dont nous connaissons les noms
par sa correspondance : la danseuse Drena Beach, issue
du Cotton Club de New York ; Georges Bloch, propriétaire
de la minoterie des Blés de France, qui assiste aux
ébats de sa femme avec la très jeune Moana ; Marcel
Brochard, le jeune ami de Rennes ; Germaine Constans,
représentante en pharmacie, au bel accent méridional ;
« l’Impératrice », évidemment, Elizabeth Craig, dont le
portrait trône dans le salon de La Malamoa ;
Colette Destouches, dix ans, venue là en vacances ;
Fernand Destouches même un peu ébahi ; Robert Gallier,
le pharmacien de Montparnasse ; Helen Howell, une
Hawaïenne qui a épousé Hebert Harger, son professeur de
danse acrobatique ; Erika Irrgang, étudiante allemande
en détresse ; Paulette Ladoux, jeune Bretonne, ouvrière
à Clichy et prête à tous les jeux avec les amis des deux
sexes ; la petite Pallas, que sa mère a prostituée, et
qui cherche une place d’ouvreuse ; enfin, Margaret
Severn, danseuse américaine, célèbre pour ses danses
avec masques, un vrai « trois-mâts » qui fait escale au
Marigny avec Mona Doll, une autre danseuse venue
d’Amérique.
Décembre
- Fin
décembre : voyage d'études à Berlin, Hambourg,
Copenhague, Oslo, Stockholm. Il parcourt Pays-Bas,
Danemark, Suède et Allemagne...
1930
Février
En
rentrant de Norvège, en février 1930, Mahé lui annonce
qu’il va décorer une maison close le « 31 », Cité
d’Antin. Cet « hôtel privé » était tenu par M. Supper et
Mme de Lisy. Maurice Dufrêne, Gabriel Sébastien et
Raymond Nicolas, tous trois membres de la Maîtrise, ont
proposé à Mahé d’égayer l’escalier par une série de
fresques.
Mahé choisit comme thème « l’Histoire amoureuse ». Treize épisodes
s’enchaînent, avec des légendes écrites, dans une
guirlande de couleurs. Au dernier étage, Mahé a peint
son autoportrait : il joue de l’accordéon devant
Elizabeth Craig qui danse pour le docteur Destouches,
peint de profil.
Destouches se rend parfois au « 31 », accompagné de
Craig ou de Drena Beach, et aime se placer derrière la
glace sans tain. Il retrouve souvent le peintre pour
manger avec « les filles ».
- Collaborateur des laboratoires Gallier
(boulevard du Montparnasse ), il rédige des prospectus
pharmaceutiques et met au point un médicament, la "
Basedowine ".
Mars
- " La santé publique "
dans Monde, hebdomadaire de gauche dirigé par
Henri Barbusse.
Juin-Juillet
-
Du 28
juin au17 juillet, voyage de trois semaines, Louis
Destouches visite Dresde, Prague et Vienne.
1931
Janvier
- Il
accomplit une mission médicale à Genève du 8 au 11
janvier 1931. Il semble qu’Elizabeth Craig l’ait
accompagné. Il revient par les Alpes et Megève.
Février
-
En
février, il sert de guide à plusieurs médecins étrangers
envoyés à Paris par la SDN.
A partir de 1931, le docteur Destouches assura un service au dispensaire
Marthe-Brandès (du nom de la comédienne morte à Paris le
27 avril 1930), où il soigne beaucoup d’anciens
combattants et notamment des blessés du poumon.
Au
printemps 1931 une secrétaire du dispensaire de Clichy,
Aimée Paymal, commence la dactylographie de Voyage au
bout de la nuit.
Mars-Avril
En
1931, Mahé décore encore le Joubert, maison close de la
rue Joubert, tenue par M. Gallon, où ses fresques
rendent hommage au chevalier de Bouflers. On comprend
pourquoi Destouches écrit en avril à Joseph Garcin,
proxénète londonien : « Mahé est un grand connaisseur
des collégiennes en cavale […] Ensemble nous
encourageons les danseuses, entrée des artistes. […]
Nous travaillons pour le délire […] je connais tous les
bobis de Paris, cette humanité du derrière me chaut. »
Mais la consécration vient pour Mahé, le genre pictural
n’est pas son seul registre : au cinéma Elysées-Gaumont
de Bernard Natan, inauguré aux Champs-Elysées en mars,
il exécute une dizaine de fresques décoratives qui
s’enchaînent sur plusieurs étages et dont certaines
rendent hommage à Drena Beach et André Doderet.
Décembre
- Mahé expose des paysages et des portraits à la Galerie
de la Renaissance, rue Royale, chez Mme Lapauze, avec
Auricoste, Bouisset, Délaurier, Moussempès et Max Jacob.
Il composera des vignettes publicitaires pour la
Kidoline et le Basedowine, deux médicaments inventés par
le docteur Destouches.
1932
Mars
- 14 mars, mort de son
père, Fernand Destouches d'une congestion cérébrale.
Louis écrit à Mahé : " Mon père est mort. Je ne t'ai
pas fait venir. J'aime à réduire le chagrin au minimum.
Ce n'est pas facile. Je suis à un âge où plus rien ne
s'oublie. "
Fernand Destouches, fier de son fils médecin, ne connaîtra pas son
succès d'écrivain. Pour aider Marguerite Destouches sa mère (photo en
train de lire le Voyage), qui n'a plus que de modestes revenus,
Céline lui fera reverser jusqu'à sa mort, en 1945, les revenus qu'il
touchait sur l'invention de la Basedowine et lui obtiendra une place de
visiteuse médicale au laboratoire Gallier.
Avril
- Le 14, le manuscrit de Voyage au bout de
la nuit est remis à la NRF chez Bossart, Figuière, en
lecture, sans réponse. Décidemment,
Gallimard allait s'obstiner à
méconnaître Céline. Le
manuscrit traîna là-bas. Benjamin Crémieux le qualifia
de roman " picaresque ". Malraux et Berl prirent
connaissance du texte. Il sera quelques jours plus tard
accepté par les Editions
Denoël (maison d’édition moins connue, mais qui avait
publié le roman d’Eugène Dabit, Hôtel du Nord).
Robert Denoël, un jeune belge est enthousiasmé par sa
lecture.
André
Malraux explique : « Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas
eu de refus. Voici quelles ont été les circonstances :
Céline avait envoyé à Gallimard le texte du Voyage
en manuscrit c’est-à-dire non pas dactylographié mais
recopié par un copiste. Cela faisait un tas de feuillets
gros comme ça. J’ai lu ce manuscrit. J’ai donné un avis.
Gaston Gallimard a alors passé ce « monstre » à Benjamin
Crémieux. Dans sa note de lecture, Benjamin Crémieux a
dit que c’était très bon mais que c’était trop long. Il
était en faveur de la publication mais avec des
coupures. Or, Céline avait donné son manuscrit en même
temps à Denoël et celui-ci lui
avait donné son accord
sans réserve. Entre un éditeur qui demandait des
coupures à son texte et un éditeur qui l’acceptait sans
remaniements, Céline a dit : « Je choisis celui qui me
laisse tranquille. »
Robert
Denoël était un jeune éditeur belge récemment installé
avec son associé Bernard Steele, un Américain d'origine
juive, dans une chapelle désaffectée de la rue Amélie.
L'Hôtel du Nord d'Eugène Dabit publié en 1929,
avait assuré sa réputation. Deux ans plus tard, le prix
Renaudot attribué à Philippe Hériat la confirma.
Le manuscrit du Voyage fut déposé rue Amélie par une voisine
de Céline. Denoël le trouva en rentrant du théâtre. Il
le lut dans la nuit et durant toute la journée du
lendemain. Fébrilement. Il le fit lire à mesure à ses
collaborateurs qui se transmettaient les feuillets. Ce
fut le coup de foudre. Bernard Steele dut convaincre les
financiers américains qui géraient sa fortune de lui
libérer les capitaux. Mais qui était cet auteur
mystérieux et introuvable ? Le manuscrit dactylographié
ne portait que le nom de la voisine...
Finalement Louis Destouches fut identifié par un échotier et se
présenta rue Amélie.
- Avril : lors d'un séjour aux
Etats-Unis d'Elisabeth Craig, il rencontre Erika Irrgang,
une jeune allemande en détresse, qu'il héberge pendant
quelques semaines, qu'il reverra et avec laquelle il
restera en correspondance.
Maurice Dufrêne fait à nouveau appel à Mahé pour
décorer, avec l’équipe de la Maîtrise, le cinéma Le
Rex de Jacques Haïk, boulevard Poissonnière. Le
Rex est un temple élevé à la gloire du cinéma. Les
travaux durent dix mois. La Malamoa est amarrée
quai des Tuileries. Les Galeries Lafayette prêtent au
peintre un entrepôt de la place Blanche. Mahé choisit
pour thèmes « l’Homme-orchestre », « la Mère
Michel à sa fenêtre », « les Trois de Paris »,
« le Moulin de la Galette », « Visite d’un
Chinois au 31 Cité d’Antin », « le Voyage en
ballon montgolfière » et « le Père Lustucru ».
Il ajoute les portraits de Missia et de Lécuyer à ceux
des Harger et de Charlot dans un « Hommage au 7ième
art », fresque de l’entrée qui montre un abordage de
flibustiers dans un studio de cinéma. Auricoste écrira :
« L’originalité de sa conception était d’une
nouveauté exceptionnelle. Mais la luxuriance, la santé,
la fantaisie de sa peinture étaient d’un classicisme
scandaleux pour notre époque. »
Juillet
-
Louis Destouches se rend dans la première quinzaine de
juillet dans le sud de la France, à Marseille en
particulier.
Août
-
Séjour en Bretagne.
Septembre
- Il rencontre Cillie
Ambor, 27 ans, qui dirige des classes de gymnastique à
Vienne. Elle vit avec Destouches deux semaines rue Lepic
; ils continueront à correspondre jusqu'en 1939.
Octobre
-
Europe et
les Cahiers du Sud publient des " bonnes feuilles "
de Voyage. Le livre est tiré à 2000 exemplaires
et se vend peu au départ, malgré un article favorable de
Georges Altman dans Monde puis une interview de
l'auteur dans Paris-Soir.
Mahé échoue en juin au prix Blumenthal. Tous sursis
militaires épuisés, il est appelé, à vingt-cinq ans sous
les drapeaux. Incorporé à la météo militaire il amarre
sa péniche à Saint-Cloud en octobre et achète un chien à
Maguy – Major, bouvier des Flandres
-, pour qu’elle ne soit pas seule à bord. Les travaux du
Rex l’ont épuisé. Le docteur Destouches
diagnostique une sclérose pulmonaire. Mahé est
hospitalisé au Val-de-Grâce. Il a pour voisin de lit un
jeune ouvrier marbrier, Georges France, dit
Jojo,
qui vient d’acheter un hôtel. Le Charonne’s Hôtel
deviendra un jour le refuge d’un certain milieu.
-
Voyage au bout de la nuit est mis en vente le 20
octobre 1932.
Novembre
- Le 30 novembre 1932, les Dix du jury Goncourt se
réunissent pour un déjeuner préparatoire. C’est avec
chaleur que le retour de Lucien Descaves est accueilli
par ses collègues. Descaves serre la main de Jean
Ajalbert scellant la réconciliation. Mais après les
retrouvailles, les tractations : dans l’ensemble les
jurés sont favorables au livre de Guy Mazeline. Lucien
Descaves sait se montrer convaincant, car les deux
Rosny, Léon Daudet et Jean Ajalbert se déclarent pour
Céline. Dorgelès hésite…Raoul Ponchon, Léon Hennique et
Gaston Chérau campent sur leurs positions. Léon Daudet
demande de procéder au vote. Proposition rejetée, la
presse n’étant pas prévenue. Les jurés se séparent et se
donnent rendez-vous le 7 décembre.
Au même moment, la saison des prix commence : le 30 novembre, Ramon
Fernandez obtient le Fémina et le 2 décembre
l’Interallié est attribué à Simonne Ratel.
La rumeur se répand auprès des journalistes, Céline est
le favori. Denoël fait même imprimer des bandeaux avec
la mention « Prix Goncourt 1932 » aujourd’hui très
prisés. Le premier tirage est épuisé et une réimpression
de 10 000 exemplaires est réalisée. Aux éditions
Denoël c’est la cohue. Léon Daudet, seul juré disposant
d’une tribune dans un journal a (presque) annoncé la
victoire de Céline dans L’Action française.
Décembre
- Le 6 décembre, le lancement du Voyage
est assuré par un tonitruant article de Léon Daudet dans L'Action
française : " Un
ouvrage truculent, extraordinaire, que beaucoup trouvent révoltant parce
qu'il est écrit dans un style cru, parfois populacier, mais de haute
graisse. "
- Le 7 décembre, les Dix se réunissent comme d’habitude chez Drouant et
procèdent au vote. Le Goncourt est décerné à Guy
Mazeline… au premier tour ! Par six voix contre trois,
au détriment du Voyage au bout de la nuit.
Le décompte est simple : Lucien Descaves, Léon Daudet
et Jean Ajalbert sont restés fidèles à leur choix. Raoul
Ponchon, Léon Herrique, Pol Neveux et
Gaston Chérau ont voté pour Mazeline. Restent les trois
autres jurés. Par amitié Rosny aîné a voté pour le livre
d’un ami Les Forniciens de Raymond de Rienzi qui
ne figurait sur aucune liste. Roland Dorgelès qui était
hésitant a rallié Mazeline et Rosny jeune a également
voté pour celui-ci.
Que s’est-il passé entre le 30 novembre et le 7
décembre ? Il est probable que des considérations
commerciales aient primé sur des considérations
littéraires. En 1932, Gallimard qui publie Mazeline est
distribué par les très puissantes et influentes
messageries Hachette qui ne souhaitent pas voir échapper
la manne que représente le Goncourt.
Révolté par ces magouilles éditoriales, Lucien Descaves quitte les
membres du jury, raconte aux journalistes le déroulé des
évènements – en précisant avec cette phrase qui sera
reprise dans de nombreux journaux : « J’étais
retourné avec plaisir à l’académie Goncourt, mais je
n’avais pas pensé devoir être obligé d’arriver à la
salle à manger en passant par la cuisine » et
rejoint les membres du jury Renaudot qui déjeunent dans
une autre pièce.
- Après
d’âpres discussions, le prix Renaudot 1932 est
finalement attribué au Voyage au bout de la nuit.
Cette non-attribution sera la cause d’un violent scandale qui durera
toute l’année 1933. Les Dix sont attaqués et pris à
partie par la presse. Le Voyage se vendra à plus
de 100 000 exemplaires, le double des Loups. La
mairie de Clichy, très honorée de compter
un écrivain primé parmi ses employés, vote une
subvention de 5 000 francs (l’exact montant de la
dotation du Goncourt) à son bénéfice. Bien que touché
par le geste, il déclinera l’offre.
- L’inauguration du Rex a lieu le 8 décembre dans un faste
extravagant. Mahé va se reposer à Camaret où il
rencontrera celle
qui sera sa seconde épouse, Madeleine Drévillon, sa « petite sirène ». Avec l’argent gagné au
Rex, il fait construire un petit cotre, l’Enez
Glaz, sur lequel il pourra naviguer seul.
- Après quelques rencontres avec
divers journalistes, Céline quitte Paris pour Genève, où
sa mère le rejoint. Elle va l'accompagner dans un voyage
professionnel en Autriche et en Allemagne. Mission que
le docteur Rajchman lui avait réservée.
- Le 22 décembre, Léon Daudet récidive
après le scandale, cette fois dans Candide : "
Voici un livre étonnant, appartenant beaucoup plus par
sa facture, sa liberté, sa hardiesse truculente, au XVIe
siècle qu'au XXe, que d'aucuns trouveront révoltant,
insoutenable, atroce, qui en enthousiasmera d'autres et
qui, sous le débraillé apparent du style, cache une
connaissance approfondie de la langue française, dans sa
branche mâle et débridée. [...] Le titre du livre,
Voyage au bout de la nuit, vous indique de quoi il en
retourne : la nuit, c'est le bas-fond de l'être humain,
ce marais des instincts troubles, où barbotent, autour
de la peur, viscosité centrale, les grenouilles, têtards
et serpents d'eau de la basse concupiscence, de l'envie,
de la cupidité, du vol et, finalement, du meurtre.
Bardamu est une fiction tirée du réel, qui n'a point d'autre rapport avec
l'auteur, M. Céline-Destouches, que l'imagination de
celui-ci. Les assimiler l'un à l'autre, comme le font
quelques critiques imbéciles, c'est assimiler
Shakespeare à Falstaff, c'est le rendre responsable du
crime de Macbeth, c'est accuser Sophocle d'inceste à
cause d'Oedipe-Roi, c'est identifier Molière à Tartuffe.
Une telle façon de voir et de juger limiterait vite la
littérature française à des ouvrages de patronage [...]
les lettres ne sont point un divertissement de jeunes
filles ni de frères lais, et la vraie bibliothèque n'est
pas rose. La vraie littérature, c'est la vie fixée et
non plus seulement coulante. "
Il faut signaler
l'immense succès du livre après un tel scandale : "
il ne faudra pas moins de trois imprimeries pour faire
face à la demande et fournir les libraires " précise
Emile Brami.
-25 décembre : Breslau, Erika Irrgang.
-28 décembre : Vienne, Cillie Ambor.
Il rencontre Anny Angel.
- A son retour, il rédige un article : "
Pour tuer le chômage, tueront-ils les chômeurs
? "
Mais la grande
peine de Louis Destouches en 1932 demeure la mort de Fernand, son père,
le 14 mars...
Les fréquentations de Céline se diversifient et il
commence à entretenir quelques correspondances avec Léon Daudet, Lucien Descaves, mais aussi Elie Faure, Georges Altman, Elisabeth Porquerol.
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