Céline voulait se réfugier chez Franco
Louis-Ferdinand Céline a songé à
se réfugier dans l'Espagne de Franco, en 1949.
Le gouvernement français l'en a dissuadé.
L'auteur
de
Voyage au bout de la nuit
a songé à se réfugier dans l'Espagne de Franco,
en 1949, alors qu'il était sous le coup de
poursuites pour trahison en France. C'est ce que
révèlent des documents inédits du ministère des
Affaires étrangères espagnol publiés dans la
revue
Histoires littéraires.
Mais
la demande officielle de l'écrivain, qui
semblait avoir obtenu dans un premier temps
l'assentiment de l'Espagne, s'est heurtée à une
mise en garde des autorités françaises, laissant
entendre qu'un tel acte nuirait aux bonnes
relations entre les deux pays. Fin du rêve
espagnol de Louis-Ferdinand Céline, qui conclura
philosophiquement : " Ça tourne en couille...
"
(L'Express,
05/12/2012, in Le Petit Célinien, 9 décembre
2012).
***
GUY de GIRARD de CHARBONNIERE (1907-1990)
" Des
Ublons grimaud dépaysé fou des ses coudées
franches " (Cahier de prison)
" Ici
j'ai eu affaire à Guy de la Charbonnière
ambassadeur de France, jeune 1/2 juif, con
effréné de faire oublier ses origines
vichyssoises " (Lettre inédite au docteur
Tuset, 27 mars 1947)
" Gaëtan
Serge d'Hortensia, l'Assesseur nègre de
l'Ambassade, représentant l'union des Cingles,
diplomatiques, politiques, coloniaux, et
ectoplasmiques " (Féerie pour une autre fois I,
Romans IV, p. 26)
Guy de
Girard de Charbonnière de Rozet, dont les
ancêtres originaires de Forez furent anoblis en
1583, portait sur ses armes d'or " un lion
rampant ".
Sous la plume de Céline, dans Féerie pour une autre fois, il
passera à la postérité sous le nom d'Hortensia,
après avoir été " Charbouniat " et " des Ublons
". Sa carrière de diplomate, jusque-là, avait eu
un parcours classique. Attaché d'ambassade à
Londres avant la guerre, il avait fort
déplu à Paul
Morand, pour trop afficher ses origines
nobiliaires. Ayant rejoint le ministère des
Affaires étrangères à Vichy, dans le cabinet de
René Massigli, il rallia la France Libre en
1942, servit le général de Gaulle avec le même
zèle qu'il avait servi le maréchal Pétain, et
fut nommé commissaire aux Affaires étrangères du
Comité français de libération nationale en 1943,
puis de Georges Bidault, alors ministre des
Affaires étrangères, qui le nomme chef de la
légation de France au Danemark en septembre
1945.
Les Danois
n'aimaient pas ce représentant de la France,
jugé vaniteux et désagréable
(1),
marié avec la comtesse Marianne de Rumerskirch,
divorcée de Roger Lalouette dont elle avait eu
deux enfants.
S'il n'avait tenu qu'à lui, le 19 décembre 1945, Céline aurait été
embarqué pour Fresnes. N'ayant pu obtenir son
extradition, il s'opposa à sa libération, et ne
s'y résolut qu'après une longue détention,
incapable qu'il était d'apporter d'élément
nouveau au dossier pénal.
En bon diplomate, Charbonnière savait avoir un double langage. Ainsi, au
pasteur Löchen, qui venait le voir régulièrement
à l'ambassade pour intervenir en faveur de
Céline, il ne cessait de répéter : " Je suis
ridiculisé toutes les semaines en demandant
l'extradition de Céline... Son dossier est vide
! Il ne risque rien... Le seul reproche que je
lui fais, c'est d'avoir un vocabulaire
ordurier... "
(2)
Après
Copenhague, Charbonnière sera ambassadeur à
Buenos-Aires (1951), Athènes (1957), Berne
(1963), à Vienne enfin (1966), puis conseiller
diplomatique du gouvernement, avant de prendre
sa retraite en 1973.
François Gibault entendit Charbonnière pendant la préparation de sa
biographie. Il disait alors admirer Voyage au
bout de la nuit... L'ambassadeur avait dû
entre temps devenir célinien !
(1)
Témoignage d'Anne-Kristine Thomassen, libraire,
qui le tenait de ses parents.
(2) Témoignage de Fr. Löchen aux auteurs.
(Images d'exil, Eric Mazet et Pierre
Pécastaing, Du Lérot, 2004, p. 109).
***
GUSTAV RASMUSSEN (1895-1953)
Ce
diplomate danois, secrétaire d'ambassade à
Londres jusqu'en 1942, congédié, puis réintégré
comme ambassadeur du Danemark à Rome, a été
nommé, en 1945, ministre des Affaires étrangères
dans le gouvernement de Knud Kristensen. Sa
biographie ne mérite d'être connue qu'en raison
de son attitude hostile à l'égard de Céline.
Avec M. Dahl, directeur politique du ministère,
il était partisan d'extrader Céline,
contrairement à Per Federspiel, ministre des
Affaires spéciales.
C'est lui seul qui s'opposa à la libération de Céline en septembre 1946.
En revanche, il ne put s'opposer au transfert à
l'hôpital, décision administrative interne à la
maison d'arrêt, du ressort de son seul directeur
et motivée par un rapport médical. A l'hôpital,
Céline demeurait légalement sous l'autorité de
l'administration pénitentiaire, et conservait
ainsi son statut de détenu. Cette
hospitalisation fut donc décidée
autant
pour des motifs tenant à la santé de Céline que
pour commencer à le faire glisser d'entre les
mains de Gustav Rasmussen. Il ne restait, une
fois le prisonnier hospitalisé - ce qui ne
pouvait pas l'être à l'intérieur de la prison -
qu'à faire constater que le régime de la
détention était incompatible avec son état de
santé.
Remis en liberté, Céline qui n'avait pas de statut de résident et qui de
ce chef était en infraction, pouvait à tout
moment être l'objet d'une expulsion
immédiate, sans recours judiciaire interne.
Mais, en même temps, était pendante une autre
procédure, celle de l'extradition, de
nature différente, et qui était instruite. En
attendant qu'il en fût décidé, Céline se
trouvait sous contrôle judiciaire,
déclarant résider à Korsor et, à ce titre, tenu
à l'obligation de ne pas troubler l'ordre
public, sous peine d'être de nouveau mis en
détention. Ce qui explique son extrême prudence.
Dans ce
contexte judiciaire complexe, Rasmussen, qui
n'avait aucune formation juridique, était dans
l'obligation de s'en remettre aux membres de ses
services et de son cabinet, qui étaient sous
l'influence de trois compères : Mikkelsen,
Dedichen et Federspiel...
On peut s'interroger sur le point de savoir pourquoi Mikkelsen " paraît
s'être endormi sur un dossier qui avait perdu de
son urgence et beaucoup de son importance ".
(1)
L'explication est simple : en 1945, le Danemark
était toujours un Etat de droit, puisque sa vie
législative n'avait pas été troublée par la
guerre ni l'après-guerre, avec ses règles de
procédure pénale toujours scrupuleusement
appliquées. Il n'en était pas de même en France,
où, dès la Libération, l'autorité judiciaire
décidait sans entrave.
Sous
l'apparence, et la réalité, d'un strict respect
de la loi, Thorvald Mikkelsen et ses amis
menèrent donc de main de maître, mais avec
difficulté, l'affaire Céline. Mikkelsen se
rendit même à Londres pour y recueillir un avis
des autorités judiciaires anglaises ; il le fit
transmettre aux services du ministère de la
Justice danois, pour l'éclairer sur
l'interprétation, face à une situation politique
française particulière, des textes danois. Tout
cela prenait du temps.
Gustav Rasmussen, dans les rets d'un formalisme garant des droits de la
défense, mais qui le dépassait, ne renonça
néanmoins jamais à l'extradition, jusqu'à ce que
Céline soit amnistié. Diplomate de formation,
comme Girard de Charbonnière, il était, malgré
sa fonction politique, resté d'abord un agent de
l'Etat.
A la chute du gouvernement Kristensen, en novembre 1947, Rasmussen avait
gardé son poste dans le cabinet de Hans Hedtoft
(social-démocrate). Chaud partisan de l'adhésion
du Danemark au Traité de l'Atlantique Nord,
Gustav Rasmussen démissionnera à la chute du
gouvernement Hedtoft en octobre 1950. Il
redevint alors ambassadeur du Danemark à Rome.
Dans sa correspondance avec Le Vigan, Céline fera de Gustav Rasmussen un
allié de Charbonnière et un " pédoc " comme ce
dernier.
(1) Préface de François Gibault à son
édition des Lettres de prison.
(Images d'exil, Eric Mazet et
Pierre Pécastaing, Du Lérot 2004, p. 107).
***
LA JUSTICE DE GRAPPA.
C'était
aussi le jour d'audience à son tribunal. Il
voulait m'étonner. Autour de sa case, arrivés
dès le matin, se pressaient les plaignants,
masse disparate, colorée de pagnes et bigarrée
de piaillants témoins. Justiciables et
simple public debout, mêlés dans le même cercle,
tous sentant fortement l'ail, le santal, le
beurre tourné, la sueur safranée.
Tels les miliciens d'Alcide, tous ces êtres semblaient tenir avant tout à
s'agiter frénétiquement dans le fictif ; ils
fracassaient autour d'eux un idiome de
castagnettes en brandissant au-dessus de leurs
têtes des mains crispées dans un vent
d'arguments.
Le
lieutenant Grappa, plongé dans son fauteuil de
rotin, crissant et plaintif, souriait au-devant
de toutes ces incohérences assemblées. Il se
fiait pour sa gouverne à l'interprète du poste
qui lui bafouillait en retour, à son usage et à
pleine voix, d'incroyables requêtes.
Il s'agissait peut-être d'un mouton borgne que certains parents se
refusaient à restituer alors que leur fille,
valablement vendue, n'avait jamais été livrée au
mari, en raison d'un meurtre que son frère à
elle avait trouvé le moyen de commettre
entre-temps sur la personne de la soeur de
celui-ci qui gardait le mouton. Et bien d'autres
et de plus compliquées doléances.
A notre
hauteur, cent faces passionnées par ces
problèmes d'intérêts et de coutumes découvraient
leurs dents à petits coups secs ou à gros
glouglous, des mots nègres.
La chaleur parvenait à son comble. On en cherchait le ciel des yeux par
l'angle du toit pour se demander si ce n'était
pas une catastrophe qui arrivait. Pas même un
orage.
- Je vais tous les mettre d'accord tout de suite moi ! décida finalement
Grappa, que la température et les palabres
poussaient aux résolutions. Où est-il le père de
la mariée ?... Qu'on l'amène !
- Il est là ! répondirent vingt compères, poussant devant eux un vieux
nègre assez flasque enveloppé dans un pagne
jaune qui le drapait fort dignement, à la
romaine. Il scandait, le vieillard, tout ce
qu'on racontait autour de lui, avec son poing
fermé. Il n'avait pas l'air d'être venu là du
tout pour se plaindre lui, mais plutôt pour se
donner un peu de distraction à l'occasion d'un
procès dont il n'attendait plus depuis longtemps
déjà de résultat bien positif.
- Allons !
commanda Grappa. Vingt coups ! qu'on en finisse
! Vingt coups de chicotte pour ce vieux
maquereau !... Ça l'apprendra à venir m'emmerder
ici tous les jeudis depuis deux mois avec son
histoire de moutons à la noix !
Le vieux vit arriver sur lui les quatre miliciens musclés. Il ne
comprenait pas d'abord ce qu'on lui voulait et
puis il se mit à rouler des yeux, injectés de
sang comme ceux d'un vieil animal horrifié qui
jamais auparavant n'aurait encore été battu. Il
n'essayait pas de résister en vérité, mais il ne
savait pas non plus comment se placer pour
recevoir avec le moins de douleur possible cette
tournée de justice.
(Voyage au bout de la nuit, Poche, 1968, p.155).
***
LETTRE à Louis
PAUWELS (Le Libertaire)
"
Une lettre de L.-F. Céline était jointe à la
réponse de Louis Pauwels, la voici :
" Mon cher ami,
Votre admirable article de " Carrefour " me
parvient, avec quel retard ! Voilà enfin bien du
courage !
Il est dur de nos jours d'être simplement Français en France ! Quelle
audace ! Quelle insolence ! J'ai dû partir, vous
le voyez, pour me faire foutre en prison un peu
partout !
Et persécuté tant que ça peut ! Ah ! que ne suis-je un peu cousin de
Joanovici ! Qu'au lieu de me faire étriper en 14
n'ai-je été pendant 4 ans vendre quelque chose
aux gens d'en face ! On ne savait pas encore les
façons de se retourner, on manquait
d'intelligence. On me fait à vrai dire un procès
d' " inintelligence avec l'ennemi " !
Tenez, vous savez que la maison Denoël a été parfaitement acquittée en
cour de justice, blanche comme neige... Maison
intelligente... Directrice intelligente...
C'est moi, pour les mêmes griefs, qu'on veut pendre ! Et ça ne va
pas être long !
Vous êtes sans doute intelligent, vous, vous êtes d'une autre
génération... Vous comprenez !
Votre bien amical.
L.-F. Céline.
Pardonnez mon écriture. Je suis paralysé,
couché, grelottant... (je trouve encore moyen
d'avoir une crise de paludisme. Cameroun 1916 !)
et vieux surtout. J'ai 300 ans au pouls de la
vacherie humaine !
Et c'est pas fini, m'assure-t-on ! "
L'arrêt rendu par la 11e Chambre sous-section
départementale de la Seine le 30 avril 1948 a
ACQUITTÉ purement et
simplement la Société d'Editions Denoël des
poursuites exercées contre elle, la relevant des
dépens.
Peut-on établir un acte d'accusation avec des faits sur lesquels la
juridiction compétente s'est déjà prononcée ? "
(Céline et l'actualité 1933-1961, Cahiers de la NRF, Gallimard,
janvier 2003, p.309).
***
L' ARTICLE 75
LIVRE TROISIEME (1)
DES CRIMES, DES DELITS ET DES
PUNITIONS.
----------
TITRE PREMIER
Crimes et délits contre la chose publique.
Chapitres 1er-II. -
Loi décrétée le 15 février 1810,
promulguée le 25 du même mois.
Chapitres III. - Loi décrétée le 16 février
1810, promulguée le 26 du même mois.
----------
CHAPITRE PREMIER
Crimes et délits contre la sûreté de l'Etat.
SECTION
PREMIERE
Des crimes et délits contre la sûreté extérieure
de l'Etat.
(Décr. -L. 29 juillet 1939.)
Art. 75. Sera coupable de
trahison et puni de mort :
1e Tout Français qui portera les armes contre la
France ;
2e Tout Français qui entretiendra des
intelligences avec une
puissance étrangère, en vue de l'engager à
entreprendre des hostilités
contre la France, ou lui fournira les moyens,
soit en facilitant la pénétration
de forces étrangères sur le territoire français,
soit en ébranlant la fidélité des
armées de terre, de mer ou de l'air, soit de
toute autre manière ;
3e Tout Français qui livrera à une puissance
étrangère ou à ses agents,
soit des troupes françaises, soit des
territoires, villes, forteresses, ouvrages,
postes, magasins, arsenaux, matériels,
munitions, vaisseaux, bâtiments ou
appareils de navigation aérienne, appartenant à
la France, ou à des pays sur
lesquels s'exerce l'autorité de la France.
4e Tout Français qui, en temps de guerre,
provoquera des militaires ou
des marins à passer au service d'une puissance
étrangère, leur en facilitera
les moyens ou fera des enrôlements pour une
puissance en guerre avec la
France.
5e Tout Français qui, en temps de guerre,
entretiendra des intelligences
avec une puissance étrangère ou avec ses agents,
en vue de faciliter les
entreprises de cette puissance contre la France.
Seront assimilés aux Français, au sens de la
présente section, les indigènes
des pays sur lesquels s'exerce l'autorité de la
France ainsi que les militaires ou
marins étrangers au service de la France.
Sera assimilé au territoire français, au sens de
la présente section, le
territoire des pays sur lesquels s'exerce
l'autorité de la France. - Pén. 76 s. 103 s.
Ancien art. 75. - Tout Français qui aura porté
les armes contre la France sera
puni de mort.
(1) Code pénal (éd.
1960), pp. 69-70.
(Cahiers de la NRF,
Céline et l'actualité 1933-1961, Gallimard,
janvier 2003, p.348).
***
SUR L'AMNISTIE.
"
On en a beaucoup ri, entre intimes et à voix
basse, dans les couloirs de la Télévision
française. C'était juste après l'étonnante
émission de Louis-Ferdinand Céline et l'histoire
qui a fait tant rire ses amis est celle de son
amnistie.
La mésaventure n'est pas récente puisqu'elle remonte à six ans déjà, mais
elle était restée secrète jusqu'ici et vaut la
peine d'être révélée.
A l'époque où elle débuta, en avril 1951, Céline était toujours réfugié
au Danemark : la Cour de Justice l'avait
condamné à un an de prison par contumace, à 50
000 francs d'amende et à la confiscation de ses
biens. De biens, Céline n'en avait plus et il se
moquait bien de les perdre. Tout ce qu'il
voulait, c'était revenir à Paris,
mais le contumax était toujours suspendu
au-dessus de sa tête...
Sa chance fut d'avoir un
avocat malin, à l'autorité convaincante. Me
Tixier-Vignancour.
Un matin donc, Me Tixier-Vignancour entre dans le bureau d'un officier
supérieur du Tribunal militaire :
- J'ai, lui dit-il, un de mes amis qui marie sa fille demain. Il a été
condamné à la Libération. Et je serais si
heureux de lui annoncer qu'il est amnistié...
- Pourquoi a-t-il été condamné ?
- Oh, une histoire de rien du tout : quelques petits articles sous
l'Occupation. Et la preuve que ce n'était pas
grave, c'est qu'il a eu seulement un an par
contumace.
L'officier acquiesce.
- Qui est-ce ? demande-t-il.
Et c'est là que Me Tixier-Vignancour a un trait de génie.
- Oh ! son nom ne vous dira rien, assure-t-il. Il s'appelle Destouches.
L'officier insiste.
- Je vais faire descendre son dossier.
- Mais non, mon cher, proteste Me Tixier-Vignancour. Je suis pressé.
Donnez-moi simplement un avis favorable et
j'irai en discuter avec le président du
Tribunal.
L'officier hésite, mais l'avocat se porte garant du fait que son client
inconnu est un médaillé militaire, grand blessé
de la guerre 14-18. C'est là un titre valable à
l'amnistie et l'officier s'exécute.
Me Tixier-Vignancour, d'un
pas pressé, se dirige alors vers le bureau du
président du Tribunal militaire. Il commence à
l'entretenir longuement du baccalauréat que son
fils vient de passer, puis, presque
distraitement :
- J'ai une petite faveur à vous demander. Un de mes amis, qui marie sa
fille, etc.
Et l'avocat conclut sournoisement :
- D'ailleurs, le commandant X... a donné son avis favorable à l'amnistie.
- Je vais faire descendre le dossier, suggère le président.
- Mais, mon cher président, coupe l'avocat, ce n'est pas la peine. Je suis
si pressé et puisque le commandant a donné un
avis favorable, c'est qu'il a ses raisons.
Et le président signe l'amnistie de Louis-Ferdinand Destouches.
Deux jours plus tard, quand la presse annonça que Céline était amnistié,
ce fut un rude tohu-bohu au ministère de la
Justice. Convoqué par le ministre, le président
du Tribunal militaire commença par affirmer, en
toute bonne foi, qu'il s'agissait d'une fausse
nouvelle.
Finalement, il lui fallut bien se rendre à l'évidence et comprendre que
le Dr Destouches ne faisait qu'une seule et même
personne avec l'écrivain Céline.
Que peut-on reprocher à Mr Tixier-Vignancour ? Rien, il n'avait dit que la
vérité. Quelques semaines plus tard, Céline
déambulait librement sur la Croisette. Et Mr
Tixier-Vignancour s'était fait deux ennemis de
plus au Tribunal militaire ! "
(Les Cahiers de la NRF, Céline et l'actualité 1933-1961, Gallimard,
janvier 2003, p.371).
***
AUTRE VERSION...
La réalité est tout
autre. On sait aujourd'hui que l'amnistie de
Céline a fait certainement l'objet d'un "
arrangement " entre Me Tixier-Vignancour et
André Camadeau, Commissaire du gouvernement et,
à ce titre, chargé de l'accusation. Ce dernier,
en 1944, était le doyen des juges d'instruction
militaires en poste en Algérie, et il avait eu
maille à partir avec les gaullistes dans une
sombre affaire de tentative d'assassinat à
l'encontre de Giraud. Mis sur la touche par les
gaullistes, Camadeau s'était juré de leur rendre
" la monnaie de leur pièce ".
Tixier-Vignancour
connaissait bien le Commissaire du gouvernement
qui était, comme lui, originaire de Pau. Devenu
chef du Parquet militaire à Reuilly, il devait
plaider contre " Louis-Ferdinand Destouches "
défendu par Me Tixier-Vignancour... qui organisa
minutieusement la comparution. Le dossier de
Céline est présenté le matin, noyé au milieu de
dossiers anonymes. Pour plus de discrétion,
Céline, exilé au Danemark, est domicilié à
l'étude parisienne de son avocat, sise boulevard
Raspail, à Paris. Quant au dossier, il est
solidement ficelé, cela évite les indiscrétions.
Quand le président Raynard
interroge l'accusation, Camadeau (qui sait
parfaitement à qui il a affaire) donne oralement
son avis sur le dossier en précisant qu' " il
n'y a pas de quoi fouetter un chat ". Les
réquisitoires de l'accusation étant en général
toujours suivis, l'amnistie de " Louis-Ferdinand
Destouches " est prononcée. Une fois le délai en
cassation expiré, elle devient définitive. "
(David Alliot, Madame Céline, Tallandier, janvier 2018, p.167).
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