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QUAND
ALEXANDRE VIALATTE
NOUS PARLE DE CÉLINE
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VITESSE
DES MORTS ET DES VIVANTS
Peu de gens survivent à leur
mort : le Christ, Lazare, ou,
plus près de nous, Napoléon.
Mais c’est très rare. L’homme
survit peu. En général, il
attend de vivre, c’est une chose
qui dure toute sa vie, et
ensuite on l’enterre au trot. Il
flâne sa vie mais il court à la
tombe. Quelques-uns pourtant
vont au pas. Homère ne s’est
jamais pressé.
Céline, Hemingway iront
lentement. Céline, à l’horizon
de la littérature, laisse de
hauts châteaux d’ordures qui se
détachent sur un ciel d’orage et
qui attireront longtemps le
regard. Ses paysages plus grands
que nature se mirent dans un
fleuve d’immondices. |
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Ernest Hemingway |
Derniers
Géants
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Louis-Ferdinand Céline |
Derniers
Géants |
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C’est un géant qui promène ses
rêves dans un égout. Il n’est,
je crois, pas un de ses livres
où, à un moment ou à l’autre,
ledit égout ne déborde et
n’engloutisse le monde. A moins
qu’une vieille dame méritante,
armée d’un jonc flexible et d’un
pot d’eau bouillante, ne
débouche le trou d’écoulement
par un barattage minutieux, avec
une technique remarquable dont
il fait un éloge très vif. Le
style, c’est l’exagération. Nul
n’exagéra plus que Céline. Il a
bâti des Parthénons en crotte de
chien. La matière est étrange,
les monuments grandioses. |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/Q8kcahxhOLh8.jpg?u=7126MWSP0tEIBKfyovRoO4VMNwA) |
L'égout qui engloutira le
monde |
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La grand-mère de Mort à crédit.
"Elle trifouillait le tréfonds
de la tinette avec son jonc" |
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. Ils seraient plus nobles en
marbre blanc ; mais ceux qui
taillent le marbre blanc n’ont
pas la carrure qu’il faudrait
pour faire des monuments aussi
grands que ceux de Céline.
(La Montagne, Chroniques, 1er
août 1961) |
MON AMI
BARDAMU par Robert Poulet
(PORTRAIT DE CELINE
DANS LE PATMOS DE SA BANLIEUE)
Céline est un monstre sacré. Il
a bâti des cathédrales de
vomissure qui se mirent dans des
lacs de purin. Il n’en reste pas
moins que ce sont des
cathédrales, conçues dans
l’hallucination par un
personnage titanesque,
oraculaire et prophétique,
clownesque et même parfois
féerique, avec des tours et des
gargouilles, des piliers et des
chapiteaux. Sans compter des
vitraux qui éclairent, dans les
ténèbres, d’une lueur
d’apocalypse, un magma de
personnages miteux, bouffons,
grandioses, plus vrais que le
vrai, d’une vérité
invraisemblable, marmiteux et
calamiteux, qui finissent
pêle-mêle dans l’horreur, le feu
des bombes, le feu du ciel ou le
flot de l’ordure, des cabinets
ayant débordé quelque part.
Guignols tragiques d’un Occident
condamné à la catastrophe, noyé
dans son propre excrément. Il
faut toujours avec Céline une
tinette qui déborde à flots et
qui se transforme en Niagara. |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/iM4QdLHkTLGI.jpg?u=7126MWSP0tEIBWlPIZd2CNWVbhC) |
La lueur d'apocalypse dans les
ténèbres |
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Les personnages titanesques |
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C’est parce qu’il n’y a plus sa
grand-mère, silhouette épique,
monstre d’hygiène et modèle des
propriétaires, qui débouchait
les cabinets de ses locataires
en s’aidant d’un jonc souple et
d’un broc d’eau bouillante.
Opération dont elle mourut un
jour de gel.
Quoi qu’il en soit, ce géant
scandaleux, après avoir
scandalisé les bourgeois,
scandalisa sans doute aussi la
Résistance, puisqu’il dut
s’enfuir en Allemagne au moment
de la Libération, avec sa femme,
son chat et l’acteur Le Vigan.
Il nous en a laissé d’ailleurs
plusieurs tableaux inoubliables,
où on les voit errer tous quatre
dans une Allemagne
shakespearienne, livrée aux
bombes, aux flammes et à l’écrabouillis,
ombres chinoises sur un fond
d’incendie, cherchant du poisson
pour le chat. |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/XR-NSdbAml19.jpg?u=7126MWSP0tEIBiqpmDoG0gXepSE) |
Bébert
dans les décombres de Berlin |
" Lilli, moi, Bébert... rien !
le vide...oh, un vide de bien
sept étages, un entonnoir de
très forte bombe. " (Nord) |
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Présente son exploit sur la page
de L'Illustré National |
Qu’avait-il fait ? Je n’en sais
trop rien. Je crois qu’il avait
écrit des choses antisémites,
bien avant la guerre. Mais
contre qui n’avait-il pas écrit,
tonitrué, craché, vomi ? A
commencer par les Français.
C’était pourtant un patriote. Le
Supplément du Petit
Journal avait montré en
1914, sur sa grande image en
couleur, le brigadier de
cuirassiers Destouches (Céline
était le docteur Destouches)
sabrant au galop de charge une
avant-garde allemande. Crinière
au vent. Il ne travaillait que
dans l’épique. |
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Autodidacte, bachelier, puis
marchand de dentelles ambulant,
conférencier à l’esbroufe à
Bordeaux (où il traitait de
n’importe quoi : des fins de
l’homme, du bimétallisme) et
peut-être aussi en Bretagne ;
gendre d’un grand médecin
breton, médecin lui-même,
bourgeois cossu pendant huit
ans, il était parti sur un cargo
à titre de médecin de bord, « se
réfugiant dans l’aventure et
même dans la mésaventure »,
sur un coup de tête.
Que ne fit-il pas ? Délégué à
la SDN pour étudier
l’assainissement des eaux, il
resta longtemps en Afrique (au
Cameroun ou au Gabon), en
Amérique où il était médecin
chez Ford (qui n’employait,
dit-il, et systématiquement, que
des ouvriers infirmes ou
incapables), écrivain célèbre et
honni, « génie infréquentable »
et médecin des clochards, il
avait atterri finalement au
Danemark (après son épopée
allemande), où il fut mis au
cachot pour deux ans, pour avoir
déplu à l’ONU, par les monstres
froids du pays « pris comme
dans du béton dans leur
« vertu » danoise », qui ne
lui rendirent pas un centime des
lingots d’or qu’il avait cru
sauver à l’époque de ses grands
succès en les entassant dans
leurs coffres. |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/-jfD8b-62csq.jpg?u=SyGgH01HHg313bs0iQ3SqcJ5yknC) |
La Médecine chez Ford
(Lecture
40 des 1er et 15 août 1941)
" Chez Ford, la santé de
l'ouvrier est sans importance,
c'est la machine qui fait la
charité d'avoir encore besoin de
lui. " |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/it1fyVklaZoc.jpg?u=SyGgH01HHg3140pDNd0dMTZT19tK) |
Dans les usines Ford :
les chaînes de montage |
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Il en revint cassé, brisé,
faussement repentant et prêt
dans ses propos à tous les
conformismes ; disant amen
et poussant des coups de
gueule ; méfiant, persécuté,
dans un petit pavillon, un
« Patmos de banlieue », écrit
Robert Poulet, gardé par douze
molosses dont le plus petit
avait la taille d’un
saint-bernard. En rogne contre
le monde entier (mais
qu’avait-il jamais fait
d’autre ?), avec son rire
tonitruant. Gorgé d’indignation.
Mentant, trichant, truquant,
disant la vérité. Entouré de
serins, de canaris, de chats, de
tortues, de chiens sauvés,
soignant des clochards dans sa
cave. Une ménagerie, une arche
de Noé. Dans un désordre de
coussins perdant leurs plumes.
C’est là que l’a vu Robert
Poulet, et c’était, assure-t-il,
« un spectacle étonnant que de
voir se dresser ainsi sur
l’Occident vaincu et condamné
(mais qui ne se savait pas
vaincu et condamné) ce génie
saignant traînant son aile
cassée ». Napoléon à
Sainte-Hélène (revu par le
Guignol lyonnais), ou même
l’albatros de Baudelaire. |
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Jean de la Fontaine
de l'Académie Françoise |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/zy2ZqypjLB9E.jpg?u=SyGgH01HHg314ojci2uyOC6D5y5a) |
Dentelle ancienne au Souffle
d'Antan |
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Et que disait-il ? Lisez
Robert Poulet, c’est passionnant
et admirable.
Tout d’abord, j’aimerais
souligner, ce qui surprendra
tous ceux qui ne sont pas du
métier, que sa grande admiration
allait à La Fontaine qui a su
marier le comble du raffinement
avec celui de la simplicité (on
eût plutôt pensé à Hieronymus
Bosch). Qu’il savait que le vrai
littéraire n’est pas le vrai
photographique ; qu’on ne fait
du vrai qu’en arrangeant et
qu’en trichant à bon escient.
Qu’il nécessite un décalage, qui
est dû à ce qu’on appelle le
don. Qu’il considérait ce
qu’écrivaient tous les écrivains
de son époque comme, plus ou
moins, du Paul Bourget, des
textes « plats comme un soufflé
refroidi ». Qu’il fallait
supprimer d’un texte tout ce que
tout le monde connaît déjà par
les journaux et le cinéma, ce
que tout le monde sait avant de
lire, le composer par conséquent
de trous, comme de la dentelle
au carreau. « Ce qui reste,
c’est de la dentelle, la
caractéristique et la ligne
essentielle. Autour ? Des
trous ». Et « la dentelle, ça le
connaissait ». Car sa mère était
dentellière. C’est une chose qui
n’existe plus. Parce qu’elle
exigeait un temps fou ; or,
personne n’a plus le temps de
rien. On fait maintenant de la
dentelle à la machine. De la
littérature aussi. Cet auteur
d’énormes bouquins qui semblent
écrits d’un seul jet, d’un seul
coup de gueule pour dire plus
vrai, passait quatre ans sur un
roman, reprenant, biffant,
supprimant, comme La Fontaine,
écrivant six mille pages pour en
garder finalement six cents. |
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La chienne de tête, celle qui
flaire le danger, et qui
prévient |
La tradition ! Chez un tel
anarchiste ! Il fut bourgeois.
Il est pétri de contradictions.
Qui se fondent dans un rire
énorme. Il faudrait citer tout
l’ouvrage. Peuple (et ennemi du
communisme), artiste et surtout
révolté. Médecin qui ne voit
partout que des morts en sursis.
Qui le font rire par leurs vains
efforts. Il avait été le chien
de traîneau, « le chien de
tête » qui avertit les
autres du trou, de l’obstacle
flairé. Il avait prédit le
cataclysme. Oraculaire et
prophétique. C’était Cassandre,
c’est pourquoi il a tant
d’ennemis. L’humanité ? des «
morts vivants » : « Sanglot,
révolte, ou ce qui est encore
plus bête et vide, « fureur de
vivre ». » Dérisoire ballet de
cadavres récalcitrants qui
s’accrochent au bord du
cercueil ! « Moi, la mort
m’habite et elle me fait rire.
Voilà ce qu’il ne faut pas
oublier : que ma danse macabre
m’amuse ». Une immense
farce. Issue d’une réalité faite
de détails bouffons plus encore
que sinistres et à la surface de
laquelle s’accrochent quelques
milliards d’atomes qui, à peine
liés ensemble, commencent déjà à
se desserrer après avoir crié
vaniteusement leur nom
d’hommes ; y a-t-il rien de plus
bouffon ? Croyez-moi, le monde
est drôle, la mort est drôle ;
et c’est pour ça que mes livres
sont drôles et qu’au fond je
suis gai. |
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Le monde est drôle, la mort est
drôle |
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![](https://3nppv.img.sp1-brevo.net/im/sh/4SDvP1lNwO2L.jpg?u=SyGgH01HHg3161bEhfmTvltKDBNy) |
et c'est pour ça que mes livres
sont drôles et qu'au fond je
suis gai. |
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On a tout fait pour me
détourner de l’être, et quelque
chose l’est quand même en moi ;
encore ; à fond. Jusqu’au moment
où ma gaieté éclatera avec ce
qu’on appelle ma vie, qui n’est
chez moi comme chez tous les
autres que ma façon d’être mort,
presque mort, déjà mort. Un mort
sans colère. " Un mort
heureux. "
Un incendiaire, inventeur
d’une musique, un « éclopé au
cœur déçu », une « clameur de
vitalité » qui sort « d’une
œuvre où se bousculent tous les
démons du désespoir ». Avec des
pudeurs, des tendresses. Et
cette clownerie qui donne le
change.
« Méchant Céline ! Pauvre
Céline ! Et cher Céline ! »
conclut Poulet : le livre
s’achève sur ces lignes.
Et c’est ainsi qu’Allah est
grand.
(Alexandre Vialatte,
Chroniques, La Montagne, 7 mars
1971).
(Merci à Mr Jacques Léger qui
m'a fait découvrir ces textes). |
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Alexandre Vialatte,
né le 22 avril 1901
à Magnac-Laval
(Haute-Vienne) et mort le 3 mai
1971 dans le 7° arrondissement
de Paris, est
un écrivain, critique littéraire
et traducteur français.
A partir de 1952 il publie à un
rythme hebdomadaire un peu moins
de 900 chroniques dans le
quotidien de Clermont-Ferrand
La Montagne, avec une
entière liberté quant au sujet
et rédigeant sur un ton
original.
Trente ans après sa mort,
l’ensemble sera réuni par son
fils Pierre dans une édition
magnifique. Toutes s'achèvent
par une formule fameuse, devenue
un des mots de passe des
Vialattiens, « Et c'est ainsi
qu'Allah est grand », sans
rapport avec le sujet de
l'article, mais témoignant de
son humour anti-conventionnel.
Parmi la masse de ses articles,
billets et chroniques, cette
chute récurrente permet de
distinguer à coup sûr celles qui
sont parues dans La Montagne. |
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