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UN EXTRAIT DE LA DERNIERE
RENCONTRE AVEC CELLE QUI A
SACRIFIÉ SA VIE AU DOCTEUR
DESTOUCHES.
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"
Ma féerie " disait-il.
" On ne l'a pas compris. Il
aimait les pauvres gens, les
malades, les souffreteux, les
prisonniers, les vieux, les
chiens moches... "
Ça a débuté comme ça. Moi,
j'avais rien dit, seulement
sonné. Roxane est arrivée la
première, au galop du fond du
jardin, tous crocs dehors. Dans
son sillage, Fun se prenait pour
un loup. Feindre la hargne est
une vieille habitude de la
maison. Il ne faut pas s'y
laisser prendre. Quelques
caresses et on copine.
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Trente ans sont passés... |
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Tout de même, on n'entre pas
dans l'univers célinien comme à
la Sainte Chapelle.
Rien n'a changé au fond, route
des Gardes à Meudon. Si, quelque
trente années sont passées. On
n'y voit plus Michel Simon,
Arletty, Marcel Aymé, Blondin ou
Nimier.
Et on n'y garde plus qu'un
souvenir, mais si passionné, si
compromettant, toujours en
éruption...
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Encore un journaliste, un
voyeur, un dévot en extase, un
célinomane à deux doigts de
l'overdose. On en finira donc
jamais avec le scandale. Avec ce
brasier. Le Feu de l'enfer.
Lucette est fatiguée par tout
ça. La candeur, la douceur, la
grâce, encore et toujours
confrontées à cette lave en
fusion : Louis-Ferdinand Céline,
son mari. Et on trouve des gens
pour dire : " Ce sera pareil
en l'an 3000 ". |
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« La maison de Céline doit
être inscrite à l’inventaire du
patrimoine », déclare Jack
Lang, qui avait entamé des
démarches infructueuses en ce
sens dès 1992.
Pour Stéphane Bern, chargé de la
mission patrimoine par le
président Emmanuel Macron, «
l’œuvre de Céline mérite d’être
lue. Mais sa vie est plus
controversée et il faudrait
éviter que cela devienne un lieu
de pèlerinage pour ceux qui
veulent récupérer l’auteur à des
fins polémiques ». |
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La
villa " Maïtou " |
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La maison de style
louis-philippard perchée sur les
hauteurs de Meudon sera ou ne
sera pas classée comme " lieu de
mémoire ". Peu importe.
Désormais, Lucette s'en moque.
Elle y tenait seulement pour les
animaux, les compagnons du
malheur, tous enterrés là,
Bébert le chat, Toto le
perroquet, Bessy la chienne, et
tant d'autres... A présent, elle
n'attend plus que le repos
éternel.
A quatre-vingts ans, la femme
du Dr Destouches est pourtant
bien alerte. Même si elle se
plaint d'être " fatiguée
", il faut la voir dans la salle
de danse. Droite, souple,
légère, une plume au vent.
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Au volant pour aller à Dieppe |
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Ou au volant de sa voiture,
prendre la direction de Dieppe
où elle a un petit appartement.
Sûr qu'il est difficile de se
faire obéir par ses chiens, tous
tirés des cages de la SPA, de
costauds bâtards, elle est si
frêle, mais elle l'a toujours
été, n'a jamais opposé que
tendresse et sourire aux grêlons
comme aux frelons, elle est
comme ça et on ne se refait pas.
Avec Louis non plus, elle
n'avait jamais le dernier mot,
la discrète Lucette. Mais que
dire encore sur celui qui l'a
séduite lorsqu'elle avait 23 ans
? Que dire encore sur Céline ? "
J'ai déjà tout dit, cent
fois, mille fois... Oh ! pas
grand-chose, vous savez, et
toujours la même chose... Mais
je n'ai plus rien à dire sur
Louis... Plus rien. " |
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On
n'ose trop insister. Lui
quémander quelque anecdote
inédite sur la vie au château de
Sigmaringen, devenu un camp
retranché pour " collabos
" aux abois et où Céline est
arrivé un vilain matin comme un
cheveu dans la soupe avec Bébert
dans sa musette. On voudrait
bien, mais on hésite à
l'interroger sur la délirante
épopée de l'apocalypse sous les
bombes, à travers l'Allemagne en
flammes, ou sur l'exil au
Danemark, ses onze jours de
prison à la forteresse de Vestre
Faengsel, où son mari, lui, est
resté un an et demi, " un
cul-de-basse-fosse ", se
lamentait-il.
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D'ailleurs, tout est dit dans la
trilogie (D'un château
l'autre, Nord, Rigodon) et
dans les nombreuses biographies
qui lui sont consacrées,
notamment celle, en trois
volumes, de l'avocat François
Gibault, devenu l'ami et le
confident de Mme Destouches. |
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Au Danemark, Lucette avec Bébert
dans sa musette |
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Il vient la voir chaque
dimanche depuis trente ans, lui
téléphone chaque jour à midi et
elle l'appelle chaque nuit à
minuit... Mais enfin, lorsqu'on
tient un témoin si privilégié,
personnage d'un roman vécu de ce
tonneau, lorsqu'on se trouve en
face de la compagne de tant
d'années, de tant d'épreuves, la
femme de Louis-Ferdinand Céline,
on ne la lâche pas comme une
baudruche dans l'air des jardins
du Luxembourg.
Qu'il ait été un rêve enchanté
ou un cauchemar, il est toujours
pénible de revenir sur le passé
lorsqu'on a parcouru un tel
chemin. |
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Les amis ont presque tous
disparu. Arletty que Céline,
natif comme elle de Courbevoie,
appelait " ma payse ",
est partie aussi pour le grand
voyage...
Lucette
la voyait souvent rue Rémusat.
Elles déjeunaient en tête à
tête, simplement, un plat de
pâtes, des yaourts. Elles
parlaient cinéma. Et de Céline
aussi. Ah ! Céline, un sujet
inépuisable... Bien sûr, elle
était à ses obsèques, effacée
comme toujours, personne ne l'a
reconnue.
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Mme Lucie Destouches, née
Almansor, danseuse étoile, puis
professeur de danse, sourit d'un
air tendre à l'évocation de ses
souvenirs. Tandis que Bonhomme,
un cocker au caractère joyeux,
lui mordille les mollets, elle
regarde Paris au loin, lève
lentement son bras droit avec
grâce comme si elle revoyait ces
visages d'amis fidèles, de la
Butte à Meudon. " Marcel Aymé
venait nous voir chaque dimanche
matin. Mais il fallait qu'il
nous quitte à midi pile car sa
femme l'attendait à Paris pour
déjeuner. Faussement bougon,
Céline le laissait partir à
regret en lui disant à midi
moins cinq : " Allez, tire-toi,
tu vas te faire engueuler, y a
ton rôti qui t'attend. " |
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Elle regarde Paris au loin. |
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Michel Simon, Arletty et Céline |
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Avec Michel Simon, le dialogue
n'était pas triste, on s'en
doute. Lucette les laissait
souvent bavarder entre hommes.
D'ailleurs, elle avait ses cours
de danse dans la salle du haut.
Que se racontaient ces deux
compères ? Des histoires
d'animaux, souvent. Chacun avait
un perroquet et lui apprenait
des mots rarement employés dans
les salons. Ou des histoires
salaces, peut-être... En tout
cas, le rire, pour ne pas dire
le ricanement de Michel, résonne
encore dans ses oreilles.
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Leurs points communs étaient
nombreux. Entre autres, ils ne
se lassaient pas de railler
Sartre, traité de " méchant
pitre " et, plus
généralement, de dénigrer les "
raisonneurs ", les "
intellectuels " en appuyant
bien sur les syllabes. Céline
disait : " J'ai pas d'idées,
moi ! aucune ! et je trouve rien
de plus vulgaire, de plus
commun, de plus dégoûtant que
les idées ! Les bibliothèques en
sont pleines ! et les terrasses
de cafés ! tous les impuissants
regorgent d'idées ! "
L'acteur applaudissait gaiement
l'artiste.
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Meudon, séance de danse à
l'étage |
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C'était le folklore de la
maison. L'ermite de Meudon, nid
de contradictions, excellait
dans tous les numéros. Eternel
provocateur, grommelant souvent,
se lançant soudain, après un
long silence, dans un flot
imprécatoire que rien ni
personne ne pouvait arrêter,
jetant ses anathèmes à défaut de
ses oripeaux, mais toujours
cocasse cependant, même
lorsqu'il |
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La journaliste Claude Sarraute |
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prédisait l'apocalypse, il
pouvait faire le charmeur, jouer
de la flûte, et séduire aussi
bien les dames que les
messieurs. Demandez donc à
Claude Sarraute, devant laquelle
l'ogre de Meudon se fit tout
miel un jour pour les lecteurs
du Monde, " avec qui
on doit se montrer aimable,
gentil... " La journaliste
le quitta épatée, presque
envoûtée par cet " homme
délicat et délicieux ". |
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Pour
Bardamu, mais aussi pour
beaucoup d'autres, Mme
Destouches regorge d'indulgence.
Entre sa cuisine, petit
capharnaüm très célinien, et le
salon, qui fut autrefois, avant
que la maison ne brûle en mai
68, le bureau foure-tout de son
mari, où cohabitaient un couple
de tortues et un hérisson
apprivoisé, elle murmure
tristement, comme si elle se
parlait à elle-même. " On n'a
pas compris Céline. Il aimait
les pauvres gens, les malades,
les souffreteux, les
prisonniers, les vieux, les
chiens moches... Ah ! ça, il n'a
jamais voulu d'un chien de race.
S'il avait pu, il aurait
recueilli tous les chiens
perdus, tous les oiseaux
blessés. "
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On
dirait que les animaux du coin
se sont donné le mot. Dans le
jardin soigné de Meudon où
Bébert a chassé ses dernières
souris, on rencontre des
hérissons, des lapins, sans
parler des chats, bien sûr, qui
connaissaient bien l'adresse...
En 1953, le Dr Destouches
s'était réinscrit au Conseil de
l'Ordre (alors de
Seine-et-Oise), mais n'exerçait
plus qu'occasionnellement pour
des voisins et toujours " à
l'œil ". |
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Mais l'antisémitisme de Céline ?
Il faut évidemment, il faudra
toujours, y revenir. Lucette,
qui s'était opposée fermement à
son mari lorsqu'il lui lisait
des pages de ses pamphlets, a
son explication, qu'elle répète
inlassablement, sans toujours
convaincre : " Il voyait en
eux des fauteurs de guerre. Je
lui ressassais : " Tu as tort,
tu t'envoies un pavé à la
figure, jette ça au feu ". Mais
il ne m'écoutait pas. Il me
répétait : " Tu verras, tu
verras, ils vont tous s'étriper
". Mais il était si excessif, si
outrancier, que cela en devenait
dérisoire ".
Les faits demeurent et ne
pourront jamais être gommés : si
Bagatelles pour un massacre
et L'Ecole des cadavres
ont été publiés avant la guerre
et même si on n'imaginait pas
alors la réalité des camps de la
mort, Les Beaux draps
sont bel et bien sortis en 1941.
Il faut donc prendre Céline tel
quel, tel qu'il était. En bloc.
" Admirez Céline, ne le
défendez pas " a écrit un
jour François Nourissier.
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La
vie avec cet homme, chacun s'en
doute, ne devait pas être drôle
tous les jours. Consciente
d'avoir rencontré et d'aimer un
génie, Lucette lui avait
sacrifié la sienne, une vie
d'artiste qu'elle qualifie d' "
amusante ". Danseuse dans
une troupe recherchée, elle
était partie en tournée aux
Etats-Unis pendant un an, puis à
Tunis, à Cracovie, en
Lituanie... Elle avait dû
renoncer à tout pour rester à
ses |
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côtés, le materner. " Il en
avait tant besoin. Oui, il était
exigeant, mais par amour, il ne
voulait pas que je fasse le
ménage, ni la cuisine.
Seulement, ma présence lui était
indispensable ". Elle était
sa " féerie ", ne
cessait-il de dire.
Leur vie était bien réglée. Le
mardi, elle n'avait pas de cours
de danse. Elle " descendait
" à Paris en train pour faire
des achats, surtout chez
Fauchon. Il s'inquiétait,
connaissait toutes les heures
d'arrivée des trains, imaginait
toujours une catastrophe
ferroviaire lorsqu'elle n'était
pas revenue à l'heure. "
Louis était un anxieux perpétuel
", dit-elle, songeuse, regardant
Paris au loin.
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Parfois, lorsqu'il estimait
qu'elle avait dépensé trop
d'argent, " il m'engueulait
". Le soir, de son débit
saccadé, il lui lisait ce qu'il
avait écrit, toujours à l'encre
sur des feuilles abondamment
raturées de papier jaune qu'il
réunissait avec des pinces à
linge et suspendait dans sa
cave, un endroit où il se
plaisait bien. Il se nourrissait
peu et mal : du thé léger, des
croissants, quelques gâteaux
dans la journée, " il
adorait les croissants ",
une soupe le soir. " Chaque
matin, il tenait à me préparer
mon bol de café ". Puis il
allait chercher son Figaro
dans la boîte à lettres. Il
s'y était abonné dès son arrivée
à Meudon, " pour le carnet du
jour et plus précisément la
chronique nécrologique ",
affirmait-il. |
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Chercher son Figaro dans
la boîte aux lettres |
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Lui, ne sortait jamais, sauf
pour se rendre chez le dentiste
et, deux ou trois fois, chez son
éditeur, Gaston Gallimard avec
lequel il entretenait une
correspondance tumultueuse. Un
soir, et ce fut un évènement, il
alla à Paris pour applaudir une
pièce de l'ami Marcel, La
Tête des autres. Mais, de
son arrivée à Meudon en 1951 à
sa mort dix ans plus tard, il ne
s'est plus jamais rendu à
Montmartre. Ses amis venaient le
voir : le peintre Gen Paul, son
grand pote, le danseur Serge
Perrault, de la compagnie Roland
Petit, un ami de sa femme qui
s'était pris de passion pour
lui, et deux confrères, le Dr
Brami, un fidèle, et le Dr
Willemin, qui lui fermera les
yeux, quelques autres. |
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Tout cela est bien loin. Bien
vieux. Aujourd'hui, route des
Gardes, à Meudon, il ne reste
qu'une vieille dame entourée
d'animaux, de souvenirs, de
quelques amis.
Et un fantôme qui voyage au
bout de la nuit.
Un fantôme tout noir.
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Bien
loin, bien vieux... |
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Né en 1943, grand reporter à
l'Aurore et au Figaro.
Fin connaisseur de L.F. Céline,
a retrouvé la liberté après 40
ans de carrière.
(Francis Puyalte, Le Figaro,
30 décembre 1992, in Bulletin
célinien n° 127, avril 1993, p.
15). |
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