ANNEE 2025 |
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Décembre |
06 |
Info 152 |
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Commerce d'antiquités et de
dentelles |
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La famille Destouches, sous
l’aile d’Hermance, veuve
d’Auguste, est venue s’installer
à Courbevoie en 1884. C’est là
que Fernand va rencontrer
Marguerite Guillou, fille de
Céline Guillou. D’origine
bretonne, Céline Guillou tient à
Paris un commerce d’antiquités,
de dentelles et porcelaines, au
coin des rues de Provence et
Lafayette. Le 13 juillet 1893,
Fernand et Marguerite se marient
et s’installent au 11 Rampe du
pont à Courbevoie. Presque
aussitôt après sa naissance, le
petit Louis est placé chez une
nourrice, d’abord dans l’Yonne,
puis à Puteaux. |
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A Courbevoie la clientèle ne se
précipite pas dans le magasin de
lingerie tenu par Marguerite
Destouches, en 1897 les époux
Destouches décident de s’en
débarrasser et emménagent au 19
rue de Babylone à Paris.
Marguerite est contrainte de
travailler dans le magasin de sa
mère et très vite Louis rejoint
ses parents à Paris et la
famille déménage pour le 9 rue
Ganneron, Louis est plongé au
coeur de la capitale. En 1899,
Marguerite reprend un fonds «
d’objets de curiosité en
boutique » au 67 Passage
Choiseul . |
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Rue Ganneron 18ième
en 1920 |
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L'Exposition universelle de 1900 |
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La Galerie des Machines |
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On l'a vue se construire, au
coin de la Concorde la grande
porte, la monumentale. Chaque
fois qu'on passait à côté on
voyait de nouveaux travaux.
Enfin, ils ont ôté les planches.
Tout était prêt pour les
visites... D'abord, mon père, il
a boudé, et puis il y est allé
quand même et tout seul un
samedi tantôt... A la surprise
générale, il fut ravi de cette
épreuve... Heureux, content,
comme un môme qu'aurait été voir
les Fées... Tous les voisins du
Passage, sauf la Méhon bien
entendu, ils sont accourus pour
qu'il leur raconte. A dix heures
du soir il y était encore en
train de les charmer. En moins
d'une heure dans l'enceinte, il
avait tout vu mon père, tout
visité, tout compris et encore
bien davantage, du pavillon des
serpents noirs jusqu'à la
Galerie des Machines, et du Pôle
Nord aux Cannibales... |
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Grand'mère ça la répugnait
l'effervescence à papa. Elle est
restée huit jours sans venir.
Mon oncle Rodolphe, il a eu des
billets, des gratuits. Alors, on
s'est élancés nous trois dans la
foule un dimanche. A la place de
la Concorde, on a été vraiment
pompés à l'intérieur par la
bousculade. On s'est retrouvés
ahuris dans la Galerie des
Machines, une vraie catastrophe
en suspens dans une cathédrale
transparente, en petites
verrières jusqu'au ciel. |
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La Grande Roue |
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L'Esplanade des Invalides |
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Y avait des marmites
prodigieuses, hautes comme trois
maisons, des bielles éclatantes
qui fonçaient sur nous à la
charge du fond de l'enfer...
[...] L'installation de
L'Esplanade, c'était
mirifique... Deux rangées
d'énormes gâteaux, des choux à
la crème fantastiques, farcis de
balcons, bourrés de tziganes
entortillés dans les drapeaux,
dans la musique et des millions
de petites ampoules encore
allumées en plein midi. Ca
c'était un gaspillage Grand'mère
avait bien raison. |
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Elle se rendait bien compte,
Grand'mère, que j'avais besoin
de m'amuser... |
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Le Voyage dans la lune |
Céline Guillou, la grand-mère,
celle dont il empruntera le
prénom pour en faire l'un des
patronymes les plus illustres de
l'histoire littéraire, l'emmène
parfois au cinéma Robert-Houdin
(aujourd'hui musée Grévin) en
matinée du jeudi. Le chien Tom
est de la partie. Le petit Louis
y reste jusqu'à trois heures
d'affilée pour un franc la
place. Il y découvre |
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Barbe-Bleue |
émerveillé à peu près tous les
films de Mélies : Le Voyage dans
la lune, L'Homme à la tête de
caoutchouc, BarbeBleue, Le
Royaume des fées, Le Petit
Chaperon rouge. A la fin c'est
lui qui réveille le chien et la
grand-mère Guillou. Sur le
chemin du retour, chez le
marchand de journaux, au coin du
Passage, elle lui achète le
dernier numéro des Belles
Aventures illustrées que
l'enfant dévore en cachette de
son père. |
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1ère communion, 18 mai 1905 |
Avec Grand-mère Caroline, on
apprenait pas très vite. Tout de
même un jour, j'ai su compter
jusqu'à cent et même je savais
lire mieux qu'elle. J'étais prêt
pour les additions. C'était la
rentrée de l'école. On a choisi
la Communale, rue des Jeûneurs,
à deux pas de chez nous, après
le Carrefour des
Francs-Bourgeois, la porte toute
foncée. |
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Entouré de ses parents |
On devait s'intéresser qu'aux
devoirs et pas troubler
l'instituteur. Je l'ai connu à
peine celui-là, je me souviens
que de ses binocles, de sa
longue badine, des manchettes
sur son pupitre. C'est
Grand-mère elle-même qui m'a
conduit pendant huit jours, le
neuvième je suis tombé malade. |
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Ensemble à la boutique...
Après la faillite dans les Modes
à Courbevoie, il a fallu qu'ils
travaillent double mes parents,
qu'ils en mettent un fameux
coup. Elle comme vendeuse chez
grand-mère, lui toutes les
heures qu'il pouvait, en plus, à
la " Coccinelle ".
Fallait se méfier du vol et de
la casse, les rogatons c'est
fragile. Grand'mère Caroline se
planquait pendant le travail à
l'abri de " L'Enfant Prodigue "
l'énorme panneau tapisserie.
Elle avait l'œil Caroline pour
gafer les mains. C'est vicelard
comme tout la cliente, plus
c'est huppée mieux c'est
voleuse. Un petit contrepoint
Chantilly c'est un véritable
souffle dans un manchon bien
entraîné. Elle pavanait la
cliente, chassait les monceaux
de bricoles, gloussante, revient
encore sur ses pas...
éparpille... Toujours picoreuse,
cacotante... querelleuse pour le
plaisir. |
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du " rossignol " à la salle des
ventes |
elle parlait pas beaucoup et ça
c'est déjà énorme ; et puis elle
m'a jamais giflé ! Mon père,
elle l'avait en haine. Elle
pouvait pas le voir avec son
instruction, ses grands
scrupules, ses fureurs de
nouille, tout son rataplan
d'emmerdé. Sa fille, elle la
trouvait con aussi d'avoir marié
un cul pareil, à soixante-dix
francs par mois dans les
Assurances. Moi, le moujingue,
elle savait pas trop ce qu'elle
devait encore en penser, elle
m'avait en observation. C'était
une femme de caractère. |
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Grand'mère elle arrêtait pas
d'aller à la remonte... d'aller
piquer du " rossignol " à la
salle des ventes... Elle
rapportait de tout, des fourbis
qui n'ont plus de noms, et des
trucs qu'on saura jamais.
[...] J'avais Grand'mère, elle
m'apprenait à lire. Elle-même
savait pas très bien, elle avait
appris très tard, ayant déjà des
enfants. Je peux pas dire
qu'elle était tendre ni
affectueuse, mais |
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elle m'apprenait à lire |
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Aller chercher l'argent des
loyers |
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la bande des gâteux marrants |
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Au terme de janvier, Grand'mère
Caroline se tapait Asnières pour
toucher l'argent de ses loyers.
J'ai profité de la circonstance.
Elle avait là deux pavillons,
briques et torchis, rue de
Plaisance, un petit et un moyen,
en location ouvrière. C'était
son rapport, son bien, son
économie... Au boulodrome, entre
la grille et la cascade y a la
bande des gâteux marrants, les
vieux pleins de verve, des
plaisantins et des petits
retraités bien râleux... Chaque
fois qu'ils défoncent le jeu de
quilles, c'est un vrai assaut
d'esprit... |
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Une fusée de quiproquos... Leur
coup de pisser c'était le plus
drôle... ils se hâtaient
derrière un arbre, chacun son
tour... Ils avaient un mal
incroyable... " Tu vas le faire
tomber Toto !... " Voilà comment
ils se causaient... Les autres
reprenaient en chœur... Moi je
les trouvais irrésistibles. Je
rigolais tout haut et si fort
que ma Grand'mère était gênée...
Avec une telle bise d'hiver, à
rester debout si longtemps... à
écouter les calembours y avait
de quoi paumer toutes les
crèves... Grand'mère, elle riait
pas beaucoup, mais elle voulait
bien que je m'amuse... C'était
pas drôle à la maison... Elle se
rendait bien compte... On est
resté encore un peu... |
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moi je les trouvais
irrésistibles |
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Fallait déboucher les gogs des
locataires |
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La Garenne, la rue de Plaisance |
fenêtres de la cambuse... Ils
exigeaient qu'on leur
débouche... Et séance tenante
!... Ils hurlaient pour pas
qu'on parle de leurs
quittances... Ils voulaient pas
même les regarder... Ils
abîmaient tout les charognes
!... C'était leur revanche
locative... Et puis aussi de se
faire des mômes... Chaque fois y
en avait des nouveaux... et de
moins en moins revêtus... Des
tout nus même... Couchés au fond
d'une armoire... Les plus
ivrognes, les plus salopes des
locataires, ils nous traitaient
comme du pourri... Ils
surveillaient tous nos efforts
pendant le renflouement. Ils
venaient avec nous à la cave...
Quand on partait chercher notre
jonc... Grand'mère retroussait
haut ses jupes avec des épingles
de nourrice, elle se mettait en
camisole. |
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On atteignait la rue de
Plaisance. Là commençait notre
vrai boulot. Pour toucher le
terme c'était un drame... et la
révolte des locataires. D'abord,
ils nous faisaient des misères
et puis on le touchait pas
entier... Jamais... Ils se
défendaient traîtreusement...
Toujours leur pompe était
cassée... C'était des palabres
infinies... A propos de tout ils
gueulaient et bien avant que
Grand'mère leur cause... Leurs
gogs ils fonctionnaient plus...
Ils s'en plaignaient
énormément... par toutes les |
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elle s'y replongeait à deux bras |
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Et puis débutait la manœuvre...
Il nous fallait beaucoup d'eau
chaude. On la ramenait dans un
broc de chez le cordonnier d'en
face. Les locataires à aucun
prix, ils auraient voulu en
fournir. Alors, à un moment
donné, Caroline trifouillait le
tréfonds de la tinette. Elle
enfonçait résolument, elle
ramonait la marchandise. Le jonc
aurait pas suffi. Elle s'y
replongeait à deux bras, les
locataires ils y venaient tous,
avec leur marmaille, pour voir
si on évacuait leur merde et
puis les papiers... et les
chiffons... Ils faisaient des
tampons exprès... Caroline était
pas rebutable, c'était une femme
qui craignait rien...
Grand'mère les quitte |
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elle est allée se coucher tout
de suite
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Grand'mère, elle s'est tant
donné de mal, ça lui a pas
réussi... C'est de ça même
qu'elle est morte au fond...
C'est d'être restée en janvier,
encore plus tard que d'habitude,
à tripoter l'eau froide d'abord
et puis l'eau bouillante...
Exposée en plein courant d'air,
à remettre de l'étoupe dans la
pompe et à dégeler les robinets.
[...] On a repris la route de la
gare... En arrivant au guichet,
elle a eu un étourdissement
Grand'mère Caroline, elle s'est
raccrochée à la rampe... C'était
pas dans ses habitudes... Elle a
ressenti plein de |
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frissons... On a retraversé la
place, on est entré dans un
café... En attendant l'heure du
train, on a bu un grog à nous
deux... En arrivant à
Saint-Lazare, elle est allée se
coucher tout de suite,
directement... Elle en pouvait
plus... La fièvre l'a saisie,
une très forte, comme moi
j'avais eu au Passage, mais elle
alors c'était la grippe et puis
ensuite la pneumonie... Le
médecin venait matin et soir...
Elle est devenue si malade qu'au
Passage, nous autres, on ne
savait plus quoi répondre aux
voisins qui nous demandaient.
L'oncle Edouard faisait la
navette entre la boutique et
chez elle... L'état s'est encore
aggravé... Elle voulait plus du
thermomètre, elle voulait même
plus qu'on sache combien ça
faisait... Elle a gardé tout son
esprit. Tom, il se cachait sous
les meubles, il bougeait plus,
il mangeait à peine... Mon oncle
est passé à la boutique, il
remportait de l'oxygène dans un
grand ballon.
Un soir, ma mère est même pas
revenue pour dîner... Le
lendemain, il faisait nuit
encore quand l'oncle Edouard m'a
secoué au plume pour que je me
rhabille en vitesse. Il m'a
prévenu... C'était pour
embrasser Grand'mère... Je
comprenais pas encore très
bien... J'étais pas très
réveillé... On a marché vite...
C'est rue du Rocher qu'on
allait... à l'entresol... La
concierge s'était pas couchée...
Elle arrivait avec une lampe
exprès pour montrer le
couloir... En haut, dans la
première pièce, y avait maman à
genoux, en pleurs contre une
chaise. Elle gémissait tout
doucement, elle marmonnait de la
douleur... Papa, il était resté
debout... Il disait plus rien...
Il allait jusqu'au palier, il
revenait encore... Il regardait
sa montre... Il trifouillait sa |
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moustache... Alors j'ai entrevu
Grand'mère dans son lit dans la
pièce plus loin... Elle
soufflait dur, elle raclait,
elle suffoquait, elle faisait un
raffut infect... Le médecin
juste, il est sorti... Il a
serré la main de tout le
monde... Alors moi, on m'a fait
entrer... Sur le lit, j'ai bien
vu
comme elle luttait pour
respirer. Toute jaune et rouge
qu'était maintenant sa figure
avec beaucoup de sueur dessus,
comme un masque qui serait en
train de fondre... Elle m'a
regardé bien fixement, mais
encore aimablement Grand'mère...
On m'avait dit de l'embrasser...
Je m'appuyais déjà sur le lit.
Elle m'a fait un geste que
non... Elle a souri encore un
peu... Elle a voulu me dire
quelque chose... |
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j'ai bien vu comme elle luttait
pour respirer... |
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elle est retombée comme une
masse |
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Ça lui râpait le fond de la
gorge, ça finissait pas... Tout
de même elle y est arrivée... le
plus doucement qu'elle a pu... "
Travaille bien mon petit
Ferdinand ! " qu'elle a
chuchoté... J'avais pas peur
d'elle...
On se comprenait au fond des
choses... Après tout c'est vrai
en somme, j'ai bien travaillé...
Ça regarde personne... A ma
mère, elle voulait aussi dire
quelque chose. " Clémence ma
petite fille... fais bien
attention... te néglige pas...
je t'en prie... " qu'elle a
pu prononcer encore... Elle
étouffait complètement... Elle a
fait signe qu'on |
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s'éloigne... Qu'on parte dans la
pièce à côté... On a obéi... On
l'entendait... Ça remplissait
l'appartement... On est restés
une heure au moins comme ça
contractés... L'oncle il
retournait à la porte... Il
aurait bien voulu la voir. Il
osait pas désobéir. Il poussait
seulement le battant, on
l'entendait davantage... Il est
venu une sorte de hoquet... Ma
mère s'est redressée d'un
coup... Elle a fait un ouq !
Comme si on lui coupait la
gorge. Elle est retombée comme
une masse, en arrière sur le
tapis entre le fauteuil et mon
oncle... La main si crispée sur
sa bouche, qu'on ne pouvait plus
la lui ôter... Quand elle est
revenue à elle : " Maman est
morte !... " qu'elle
arrêtait pas de hurler... Elle
savait plus où elle se
trouvait... Mon oncle est resté
pour veiller... On est repartis,
nous, au Passage, dans un
fiacre... On a fermé notre
boutique. On a déroulé tous les
stores... On avait comme une
sorte de honte... Comme si on
était des coupables... On osait
plus du tout remuer, pour mieux
garder notre chagrin... On
pleurait avec maman, à même sur
la table... On n'avait pas
faim... Plus envie de rien... On
tenait déjà pas beaucoup de
place et pourtant on aurait
voulu pouvoir nous rapetisser
toujours... Demander pardon à
quelqu'un, à tout le monde... On
se pardonnait les uns aux
autres... On suppliait qu'on
s'aimait bien... On avait peur
de se perdre encore... pour
toujours... comme Caroline... Et
l'enterrement est arrivé...
L'oncle Edouard, tout seul,
s'était appuyé toutes les
courses. Il avait |
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fait toutes les démarches... Il
en avait aussi de la peine... Il
la montrait pas... Il était pas
démonstratif... Il est venu nous
prendre au Passage, juste au
moment de la levée du corps...
Tout le monde... les voisins...
des curieux... sont venus pour
nous dire : " Bon courage ! " On
s'est arrêtés rue Deaudeville
pour chercher nos fleurs... On a
pris ce qu'il y avait de
mieux... Rien que des roses...
C'étaient ses fleurs
préférées...
(Mort à crédit, Gallimard,
1990, p.109). |
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C'étaient ses fleurs préférées |
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