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LA FRANCE D'AUDIARD :
(LOUIS-FERDINAND
CÉLINE) |
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1er juillet 1961. Dans son
pavillon du 25 ter, route des
Gardes à Meudon, Louis-Ferdinand
Destouches, alias Céline, achève
son voyage terrestre, dix ans
après son retour d'exil au
Danemark et l'amnistie dont il a
une incidence. Il vient de
mettre le point final à son
dernier livre, Rigodon,
ultime volet de la Trilogie
allemande.
Un an plus tard se réalisera ce
qu'il aurait tant voulu voir de
son vivant : la parution du
Voyage au bout de la nuit et
de Mort à crédit dans ce
panthéon littéraire qu'est la
collection de la Pléiade. |
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Tardif, mais ô combien manque
de témoignage de reconnaissance
pour ce qu'il a apporté à la
littérature française...
Apprenant la nouvelle, Audiard,
bouleversé, ne peut s'empêcher
de pleurer. « Sans Céline, point
d'Audiard », comme l'écrit son
fils Bruno Meynis de Paulin, dit
Bruno M., dans son livre
Audiard donne la réplique
(Éditions Nouveau Monde, 2017)
. C'est même peu de le dire,
tant l'onde de choc de la
découverte avant guerre,
du Voyage au bout de la nuit
(1932) , lu d'une traite
deux fois d'affilée, et sans
cesser relu par la suite , ne
va, jusqu'au bout, jamais cesser
de le hanter. " Tout d'un
coup, ce langage, cette masse,
ce coup de poing..., a t-il
raconté . Les gens de ma
génération, on l'a pris sur la
tête, ça a quand même fait mal.
" Pas un jour, depuis, où
les ouvrages du sulfureux
écrivain ne l'étaient pas
accompagnés dans tous ses
déplacements, y compris, au
calme dans un coin, sur les
lieux de tournage. Une
quasi-obsession qui le poussera
même, après avoir
personnellement rencontré
l'auteur chez lui en 1951, à
faire plusieurs fois, après sa
mort, le « pèlerinage de Meudon
» et à ouvrir à Paris, en 1971,
une librairie exclusivement
consacrée à celui-ci... |
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" C'est moi qui ai redonné
l'émotion au langage écrit "
Avec ce mélange d'orgueil
prophétique et de bouffonnerie
qui font sa marque, Céline avait
lui-même proclamé dès 1932, à la
remise du manuscrit du Voyage
au bout de la nuit, la
nouveauté révolutionnaire de son
œuvre : " Une symphonie
littéraire émotive. (...) Du
pain pour un siècle entier de
littérature (...) et le Goncourt
dans un fauteuil pour l'heureux
éditeur qui saura retenir cette
œuvre sans pareille, ce moment
capital de la nature humaine. "
En 1955, dans son désopilant
Entretiens avec le Professeur Y,
où il livre les secrets de
fabrication de son œuvre, le
même réaffirme l'importance de
la révolution dont il a été le
déclencheur : |
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" L'émotion dans le langage
écrit !... Le langage écrit
était à sec, c'est moi qu'ai
redonné l'émotion au langage
écrit ! (...) C'est pas qu'un
petit turbin je vous jure !
(...) C'est infime, mais c'est
quelque chose ! |
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Le " Voyage ", livre de
poche le plus volé dans les
librairies !
Depuis
la disparition de l'écrivain, sa
stature et son audience n'ont
cessé de croître, au point qu'il
est aujourd'hui l'auteur
français auquel ont été
consacrés le plus grand nombre
de travaux, en France et à
l'étranger, tandis que ses
romans figurent parmi les plus
vendus, dans la Pléiade comme en
poche. Anecdote : Voyage
est même le livre de poche le
plus... volé dans les librairies
! Pour autant, l'homme continue
à susciter " haines et
passion ", titre du livre de
l'un de ses biographes,
Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011).
Pour preuve, son éviction en
2018 des " commémorations
nationales ", de la part de la
ministre de la Culture d'alors,
Françoise Nyssen. Suivie, la
même année, par l'incroyable
levée de boucliers des élites
bien-pensantes contre la
réédition de ses pamphlets.
C'est un fait : l'imprécateur le
plus forcené de la littérature
française ne sera jamais l'objet
d'un consensus fade. Cela tombe
bien : il aurait détesté ça !
Près de soixante ans après sa
disparition, ce mort encombrant,
perpétuel sujet de scandale et
d'empoignades, est en réalité
bien plus vivant que nombre de
momies contemporaines...
D'outre-tombe, c'est lui qui
nous fait, encore, nous poser la
question : comment concilier
génie littéraire et morale ?
Comment peut-on à la fois être
l'auteur d'une œuvre puissamment
originale, humainement
bouleversante, et la bouche
d'ombre sacrilège qui proféra
invectives et élucubrations
racistes et antisémites ?
Longtemps une thèse a prévalu,
celle des " deux Céline " : le
Céline d'avant Bagatelles
pour un massacre et celui
d'après. Comme si une soudaine
conversion avait, en 1937,
métamorphosé l'écrivain sensible
à la détresse des humbles en un
antisémite enragé et
paranoïaque, dénonçant la "
persécution " infligée aux goyim
par les futurs persécutés.
Postulant la folie ou
l'irresponsabilité d'un homme en
proie à l'ébriété verbale (sans
même évoquer l'accusation -
gratuite - de vénalité lancée
par Sartre), cette thèse avait
l'avantage de concilier
occultation et morale sociale. |
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Elle permettait aussi d'exonérer
les admirateurs du " premier
Céline " - à commencer par
Sartre lui-même, qui avait
inscrit en exergue de La
Nausée (1938) une
citation tirée de L'Eglise
(1933) - du soupçon de
complicité ou d 'aveuglement.
Pratique, mais faux : Céline n'a
pas attendu 1937 pour verser
dans le racisme. De même que
l'on ne saurait voir dans son «
délire » une sorte d'accès de
folie liée à des raisons
contingentes. La vérité oblige à
le dire : l'imprécateur
solitaire s'était en réalité
imprégné très tôt de la vulgate
antisémite de la Belle
Epoque, des textes de
Toussenel " et autres
socialisants qui dénoncent la
puissance de l'or juif ", avant
qu' Edouard Drumont ne fera
basculer l'antisémitisme de la
gauche vers la droite. |
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" L'interdit, secret tragique de
la bête humaine "
Nulle originalité donc - hormis
celle du style et de la mise en
scène - dans Bagatelles
et Les Beaux Draps, mais
l'écho amplifié d'un
antisémitisme largement partagé,
à gauche comme à droite, que
Céline laïcise dans le fond et
la forme. A rebours du vieil
idéalisme grec où le Beau se
confond avec le Bien, il faut
donc admettre qu'un grand
créateur peut aussi être un "
monstre " et que littérature et
morale peuvent faire chambre à
part. Un point de vue que
partagent la majorité des
céliniens interrogés par Joseph
Vebret dans son livre Céline,
l'infréquentable ? (Jean
Picollec, 2011). Il est donc
absurde de vouloir séparer le
Céline romancier et le Céline
pamphlétaire, l'auteur du
Voyage et celui de
Bagatelles, L'Ecole des
cadavres et Les Beaux
Draps. Prétendre cataloguer,
étiqueter, et donc neutraliser
Céline participe d'un vain
combat. A cet égard, D'un
Céline l'autre, de David Alliot
(Robert Laffont, 2011),
recueil de tous les témoignages
sur l'écrivain, dont nombre
d'inédits, en fait foi,
dévoilant combien l'homme et son
œuvre sont grevés de
contradictions : un immense
bric-à-brac de visions
hétéroclites et terrifiantes,
contenant tout et le contraire
de tout. |
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On n'a pas voulu voir que ce
réfractaire inclassable, ce
poète enragé, rebelle à toute
annexion, était d'abord un
écrivain, mi-Diogène mi-roi
Lear, visionnaire halluciné qui
bouleversa, à l'égal de Joyce,
la forme et l'idée même de
littérature en exprimant, dans
une voix jamais entendue
jusqu'alors, ce que Maurice
Bardèche a nommé " l'interdit,
l'innommable, le secret tragique
de la bête humaine " et ce "
avec des mots proscrits " . De
cela aussi, Audiard était
convaincu, parsemant nombre de
ses films de références
discrètes au paria de Meudon,
telle cette plaque de rue au nom
de Céline dans Elle boit pas,
elle fume pas, elle drague pas,
mais... elle cause. A la
fois pied de nez à la trop
stricte bien-pensance et volonté
de réhabilitation... |
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QUAND AUDIARD VOULAIT
ADAPTER LE " VOYAGE "...
En 1960, Audiard fait acheter
les droits de Voyage au bout
de la nuit par son
beau-frère producteur Jean-Paul
Guilbert. Objectif : adapter
l'œuvre au cinéma. Sollicité,
Jean Gabin donne son accord pour
y participer. Mais le projet
traîne. Trois ans plus tard, il
renaît de ses cendres, avec
cette fois Jean-Paul Belmondo.
L'acteur convainc même Audiard
d'engager comme réalisateur...
Jean-Luc Godard. Pourtant peu
porté sur la Nouvelle Vague, le
dialoguiste approuve : " Tu
as raison, pour Céline il faut
un gars comme lui ! lui
répond-il. Ah, quand Bardamu va
à New York, je vois ça d'ici. Il
n'y a que Godard pour faire ça.
" Après avoir sondé
plusieurs metteurs en scène,
dont Godard luimême, il se
montre encore plus convaincu : "
Il est le seul, dit-il, à
avoir une parfaite connaissance
de l'écrivain, de son souffle,
de sa pensée. " Outre
Belmondo, le casting prévoit
Georges Géret (Robinson) et...
Shirley McLaine (Molly, la
prostituée américaine). |
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Pourtant, là encore, le projet
capote - pour des questions de
financement. Il sera finalement
abandonné. Avec le recul,
Audiard confiera son soulagement
: " Dieu merci, on ne l'a pas
fait. On se ridiculisait pour la
postérité. (...) La littérature
à ce niveau-là, on ne peut que
saloper. " A.F. |
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LA
LIBRAIRIE CELINIENNE D'AUDIARD
Dix ans après la mort de
l'écrivain, en 1971, la passion
d'Audiard pour Céline le pousse
à acheter avec ses propres
deniers une librairie parisienne
spécialisée dans le fantastique,
La Mandragore, pour la
transformer en lieu de vente
entièrement consacré à l'auteur.
Située 30, rue des
Grands-Augustins (VIe
arrondissement), la boutique
proposait notamment nombre de
pièces rares (exemplaires
numérotés, manuscrits, éditions
originales...) lui ayant été
confiées par Lucette Almanzor,
la veuve de Céline. |
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" Mais l'aventure tourne court
par manque de clients et aussi,
finalement, par manque d'intérêt
",
relate Philippe Lombard dans
Le Paris de Michel Audiard.
Lui-même en conviendra après sa
fermeture :
" J'avais acheté ça en
croyant que ça m'amuserait parce
qu'on croit toujours que c'est
drôle de vendre des livres, mais
c'est plus intéressant de les
écrire. Il aurait fallu que je
mette une blouse grise, que je
tienne boutique, ce qui n'est
pas ma vocation. " A.F. |
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PELERINAGES SECRETS...
Après
avoir rencontré Céline chez lui,
Audiard, après sa mort,
retournera discrètement à
plusieurs reprises devant la
maison de l'écrivain. Pour s'y
recueillir. Par Arnaud Folch
Après avoir passé le tunnel du
Point-du-Jour, à Boulogne,
Audiard, dans son livre La
nuit, le jour et toutes les
autres nuits (Denoël, 1978)
se revoit " débouchant juste
après le bras mort où
pourrissent d'incroyables
barcasses, dans le boyau
carcéral du Bas-Meudon ". Là, il
" gare l'auto sur le terre-plein
de mâchefer... La route des
Gardes est juste en face...
abrupte, rocailleuse, quasi
pyrénénne... C'est tout là-haut
que nichait le traître, l'impuni
monstre dont on chercherait en
vain la trace. Nul vestige. Rien
qu'une bicoque sans passé, ni
avenir, construite sur l'autre,
la maudite, celle partie en
fumée avec les manuscrits, les
lettres, toute la paperasse et
les pinces à linge. Une gentille
apocalypse tout à fait conforme
au répertoire ".
" Là, comme figé, Audiard,
l'homme si plein de mots, n'en
dit plus un seul "
S'approchant du portail
d'entrée donnant sur le petit
jardin, " je ne sonne plus, la
vue me suffit ", poursuit-il. Il
en sera ainsi à de multiples
reprises : après la mort de
Céline, Audiard viendra, comme
ce jour-là, se recueillir une
dizaine de fois devant ce qu'il
surnomme le " terrier " de
l'écrivain. S'il y a, un temps,
fréquemment rencontré sa veuve
Lucette, notamment dans le cadre
de la |
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création de sa " librairie
célinienne ", nul ne connaît en
revanche le nombre précis de ses
entretiens avec Céline
lui-même.
Une seule fois, sans doute.
Deux, peut-être. Une certitude :
c'est en 1951, peu après le
retour d'exil de l'écrivain,
qu'à lieu le premier, et donc
probable unique tête-à-tête. Ici
même, à Meudon. |
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Celui qui débutait alors tout
juste dans le cinéma rêvait
depuis sa toute première lecture
du Voyage d'être ainsi
reçu par le proscrit. Il ne sera
pas déçu. Alors âgé de 57 ans,
l'homme se montre en effet
devant son jeune visiteur aussi
emporté et haché que sa prose. "
Céline râlait tout le temps,
et contre tout, a raconté
Audiard dans Paris-Presse
en 1967. Il parlait comme il
écrivait, avec la même invention
verbale. C'était prodigieux. Il
attachait ses textes avec des
épingles à linge. Mais il ne
fallait surtout pas lui dire
qu'on aimait ce qu'il écrivait,
car il se mettait alors à râler
de plus belle. " De cette
rencontre - " l'un des
moments les plus forts de ma vie
", dira-t-il - Audiard
gardera toujours le souvenir. Et
la nostalgie. D'où ses discrets
" pèlerinages " sur place,
auquel il convia un jour son
fils (non reconnu) Bruno, qui
l'a raconté avec émotion dans
son livre Audiard donne la
réplique : " Là, comme figé,
Audiard, l'homme si plein de
mots, n'en dit plus un seul,
écrit-il. Son recueillement
admiratif ne fut brisé que par
un murmure à peine audible : |
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" Un jour, je hurlerai avec
les loups "
Puis il se mit à me réciter
l'arrivée à New York du
Voyage. Là, comme ça,
naturellement. Et sans déclamer.
Je n'ai jamais retrouvé cela...
"
Après quoi, poursuit-il, " il me
conduisit sans parler jusqu'à
Montmartre, devant l'immeuble du
4 de la rue Girardon, à l'angle
de la rue Norvins. Là où Céline
vécut pendant les années de
guerre. Un appartement qui fut
pillé à la Libération. Des
manuscrits détruits, des écrits
perdus à jamais. " Quel
gâchis ", conclut Michel
après un long regard. " Un long
silence, puis le départ, " seul,
plongé dans une tristesse
palpable et dans la nostalgie
d'un auteur qu'il vénérait "...
En réalité, le logement occupé
par Céline se situe au cinquième
étage. Deux fenêtres s’ouvrent
sur l’atelier de Gen Paul et le
moulin de la Galette, deux
autres sur la cour intérieure,
avec Paris pour toile de fond.
(Le Petit Célinien). |
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ARLETTY,
GAULOISE SANS FILTRE
Au
panthéon d'Audiard, la célèbre
actrice des " Enfants du paradis
" a eu une vie placée sous le
signe de l'insolence et de la
liberté. Qualités qui lui ont
coûté cher. Mais qui nous la
rendent si chère.
Par Laurent Dandrieu.
On aurait sans doute bien fait
rigoler Arletty si, dans les
années 1950 ou 1960, alors que
sa carrière battait aussi
sérieusement de l'aile que celle
d'Audiard décollait, on lui
avait dit que, de toutes ses
contemporaines, elle resterait
l'actrice la plus célèbre,
élevée au rang de légende : "
Légende, légende : est-ce que
j'ai une gueule de légende ?
", aurait-elle pu rétorquer avec
son célèbre accent parigot, son
regard flamboyant et son sourire
inimitable de gouaille
insolente. L'artiste a certes
tenu la vedette dans Les
Enfants du paradis (1945),
le film le plus mythique du
cinéma français, et peut
s'enorgueillir d'avoir à son
actif, dans Hôtel du Nord
(1938), une réplique aussi
culte qu' " Atmosphère,
atmosphère : est-ce que j'ai une
gueule d'atmosphère ? ".
Pour autant ni un film ni une
réplique ne suffisent à
construire une légende. |
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Or Arletty en est une...
ARLETTY, GAULOISE SANS FILTRE
Au-delà des aléas de sa
carrière, si Arletty a si
profondément marqué les
mémoires, c'est qu'elle incarne
l'esprit français comme aucune
autre femme à l'ère moderne. Un
esprit frondeur, enivré de bons
mots, à la fois anarchiste et
épris de beauté, amoureux de
l'indépendance jusqu'à l'absurde
et farouchement fidèle à ce
qu'il a aimé, insolent par goût,
au mépris de toute prudence et
de tout calcul, raisonneur et
passionné : telle est, pour le
meilleur et pour le pire,
l'incarnation qu'Arletty a donné
de l'esprit national. Pour
incarner un peuple, rien ne vaut
sans doute d'avoir traversé ses
strates sociales : parvenue par
la gloire au sommet de la
société, Arletty, fille d'un
père ajusteur et d'une mère
blanchisseuse, venait du peuple.
Elle est née Léonie Bathiat le
15 mai 1898 (le même jour
qu'Audiard, né vingt-deux ans
plus tard) à Courbevoie, à
quelques centaines de mètres de
Céline, baptisé dans la même
église qu'elle et qui deviendra
par la suite l'un de ses plus
chers amis. |
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"
CELINE, MON AMI "
Dans un long entretien à
Valeurs actuelles (26 juin 1978),
Arletty s'est notamment confiée
sur ses relations avec Céline, "
référence absolue " d'Audiard,
qu'elle a rencontré pour la
première fois en 1941. A la
question " Vous étiez sa grande
amie, l'avez-vous revu à son
retour du Danemark ? ", celle-ci
répond : " Je venais quand il
m'appelait. C'était un grand
solitaire lui aussi. Fallait pas
s'incruster. " De
l'écrivain, dans l'intimité,
elle explique être touchée par "
son mutisme, sa rigueur " : |
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" C'était un être très
pudique, fait pour se dévouer.
" Mais parfaitement conscient de
l'opprobre dont il était l'objet
: " Céline, affirmait
Arletty, avait assez de génie
pour croire que tout ce qu'on
lui avait fait le
suivrait. Que toutes ces
tortures morales ajouteraient à
son personnage et à son lustre.
" Autre sulfureux ami
regretté par l'actrice, le
comédien Robert Le Vigan, mort
en exil après sa condamnation à
la Libération : " Je
l'adorais, c'était un personnage
irrésistible, dit-elle. Il est
mort ; il a beaucoup souffert
mais quand je pense à lui je ne
peux que rire. " A.F. |
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Rencontres avec Pierre Laval,
danse avec Stavisky, déjeuner
avec Trotski...
Un jour de 1919, un homme
l'accoste sur les boulevards : "
Paul Guillaume, amateur d'art ",
se présente-t-il. Le célèbre
collectionneur a remarqué son
élégante silhouette et veut lui
donner quelques introductions
auprès de directeurs de théâtre.
Passant peu après devant les
Capucines, elle se souvient
avoir conservé dans son sac une
lettre de recommandation : elle
entre, on lui fait chanter un
refrain, on l'embauche. Comme
nom de scène, elle propose, pour
rire, " Victoire de la Marne ".
Son mentor a un trait de génie :
ce sera Arletty. Elle multiplie
alors les rôles avec un succès
croissant, notamment dans des
revues signées Rip, Yvain ou
Guitry. Pour avoir la grâce de
la capter sur pellicule, le
cinéma devra attendre d'être
parlant : Arletty sans sa voix,
c'est comme Paris sans la Seine
- inconcevable. Elle ne débute
donc sur grand écran qu'en 1930,
enchaînant les rôles, le plus
souvent alimentaires : " Le
théâtre : mon luxe. Le cinéma :
mon argent de poche ",
dira-t-elle. Quand, en 1938,
Marcel Carné, " le Karajan du
septième art " selon elle, lui
propose d'incarner Mme Raymonde,
la prostituée au verbe haut d'Hôtel
du Nord, ce n'est encore une
fois qu'un second rôle. Mais son
duo avec Louis Jouvet et la
réplique atmosphérique d'Henri
Jeanson emportent tout.
Principale vedette du film,
Annabella est éclipsée. Dès
lors, Arletty accède à la tête
d'affiche : dans Fric-Frac,
elle donne la réplique à Michel
Simon et à Fernandel, dans Le
Jour se lève (à nouveau
Carné et Prévert, qui parodie
Jeanson, faisant dire à Arletty
: " Est-ce que j'ai une
gueule à faire l'amour avec des
souvenirs ? "), elle forme
un couple mythique avec Jean
Gabin. |
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" En l'espace de deux ans,
Arletty est devenue l'actrice la
mieux payée du cinéma français
", écrit David Alliot dans sa
biographie Arletty, " Si mon
cœur est français " (Tallandier,
2016).
Durant cette période
d'entre-deux-guerres, l'un de
ses amants l'introduit dans la
haute société : elle devient une
proche de Josée de Chambrun, |
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la fille de Pierre Laval,
qu'elle surnomme " Bougnaparte
", danse avec Stavisky, déjeune
avec Trotski, rencontre la
duchesse Antoinette d'Harcourt,
qui devient son amie plus
qu'intime... L'Occupation sera
son chant du cygne. Elle tourne
peu mais bien : Madame
Sans-Gêne (1941), Les
Visiteurs du soir (1942) et
surtout ces Enfants du
paradis (1945) où elle prête
sa beauté mélancolique à
l'inoubliable Garance. Elle
refuse tous les scénarios
proposés par la firme allemande
Continental (dont
L'assassin habite au 21), a
le flair de répondre " non " aux
invitations officielles à se
rendre outre-Rhin - c'est
Danielle Darrieux, la vedette de
la Continental, qui sera
du voyage à Berlin. Elle commet
en revanche l'erreur de tomber
folle amoureuse d'un officier
allemand, et surtout de ne pas
s'en cacher. Continuant sur sa
lancée d'avant-guerre sa
brillante vie mondaine, elle se
rend avec lui à l'ambassade
d'Allemagne, où elle rencontre
Goering ; à l'exposition d'Arno
Breker, où elle côtoie le gratin
collaborationniste. |
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" Un goût inné de Gavroche
séditieuse "
Sentant
les regards mauvais suscités par
son attitude, elle en rajoute. A
un indiscret qui lui demande si
elle est gaulliste, elle répond
: " Non, Gauloise ! " Un
" goût inné de gavroche
séditieuse pour le défi et les
provocations ", comme la décrit
Patrick Buisson dans
1940-1945, années érotiques
(Albin Michel, 2008). Seule
démarche officielle effectuée
auprès des autorités
d'occupation : avec Guitry, elle
parvient à faire libérer Tristan
Bernard de Drancy. Sans savoir
qu'elle même va s'y retrouver
deux ans plus tard... Août 1944
: le nom d'Arletty figure en
effet sur la liste des condamnés
à mort diffusés par la BBC. Elle
refuse pourtant de fuir en
Allemagne, même de quitter la
capitale. Les fenêtres de son
appartement sont mitraillées,
elle doit se cacher. Mais la
clandestinité n'est pas pour
cette flamboyante : elle prend
une suite au Lancaster sous son
nom de scène. La police ne tarde
pas à l'y arrêter. En montant
dans le panier à salade, elle ne
peut s'empêcher de recycler sa
réplique d'Hôtel du Nord
: " Pour une belle prise,
c'est une belle prise ! " "
Tirez, que je ne voie plus vos
sales gueules. Vous êtes trop
moches ! ", lance-t-elle
ensuite aux FFI montant la garde
devant sa cellule. A-t-elle
prononcé, lorsqu'on l'accusait
d'avoir aimé un |
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occupant, la fameuse phrase : "
Si mon cœur est français, mon
cul est international " ?
Comme elle l'écrit elle-même
dans ses Mémoires : "
On ne prête qu'aux riches... "
A un enquêteur qui lui demande
comment elle se sent, elle
rétorque en tout cas : " Pas
très résistante... " " Je
résiste à la Résistance ",
dira t-elle aussi.
Après un an d'assignation à
résidence et deux ans de
procédure, elle s'en sort avec
un " blâme " en 1946. Mais la
voilà désormais " femme la plus
évitée de Paris ". Les
propositions de travail ne se
bousculent pas. A la sortie des
Enfants du paradis, en
mars 1945, son nom ne figure
même pas sur l'affiche !
Arletty, une passion coupable,
tourné en 2015 avec Laetitia
Casta |
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Elle jouera cependant dans une
vingtaine de films, de 1947 à
1963, mais rien qui soit à la
hauteur de son talent. Elle
triomphe heureusement au théâtre
en 1949 dans Un tramway nommé
Désir - obtenant juste qu'on
change la dernière phrase : "
J'ai toujours suivi des
étrangers " en " J'ai toujours
suivi des inconnus "... Jusqu'en
1966, elle jouera Achard,
Tennessee Williams à nouveau,
Félicien Marceau, Colette,
Cocteau... 1966, la dernière
épreuve : elle perd la vue.
Jusqu'à sa mort, en 1992, elle
ne connaîtra plus que les
séances de lecture et les
promenades avec ses amis ainsi
que la radio écoutée à toute
heure. Dans ses Mémoires
comme dans ses derniers
entretiens, pourtant, pas la
moindre plainte. Jusqu'au bout
la même élégance de gaieté et
d'ironie. Pudeur face à la
souffrance et au malheur,
aptitude à les masquer sous un
rire et un trait d'esprit : en
cela aussi, Arletty est
totalement et merveilleusement
française. |
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La
France d'Audiard
Valeurs Actuelles - 2019
Hors-Série n° 19 |
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VOUS ÊTES INSCRITS SUR " Céline
en phrases "
MAIS ÊTES-VOUS
MEMBRE DE
LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DE
CÉLINE ? |
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Créée à Meudon le 1er juillet
2021, elle ne se veut nullement
une rivale de la Société des
Etudes Céliniennes. La SLC
entend favoriser la diffusion et
la compréhension de l'œuvre de
Louis-Ferdinand Céline.
Présidée par Christian Mouquet,
célinien émérite et journaliste
professionnel durant vingt ans
dans la presse généraliste et
institutionnelle, la SLC adresse
six fois par an à ses membres
une lettre d'information
électronique sur l'actualité
célinienne et celle de ses
sociétaires.
Elle publie également deux fois
par an une plaquette à tirage
limité sur beau papier. |
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Merci bien, Monsieur Céline ! |
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Le trésor exhumé de
Louis-Ferdinand Céline |
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Il s'agit de textes rares ou
inédits concernant L.-F. Céline.
Les précédentes plaquettes sont
: Alain Vergneault, Féerie
sur ordonnance (avant-propos
de Marc Laudelout) parue en
Décembre 2022 (28 Euros franco)
; La réception de
Guignol's band dans
Révolution Nationale (1ère
partie)
: Jean Fontenoy, Merci bien,
Monsieur Céline !
(avant-propos de Philippe
Vilgier) parue en juin 2023 (35
Euros franco) ; Jacques Joset,
Le trésor exhumé de
Louis-Ferdinand Céline parue
en décembre 2023 (28 Euros
franco). |
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La première plaquette de cette
année est parue en juin : la
réception de Guignol's band
dans Révolution Nationale
en 1944 (2ième
partie) : Intellectuels dans
la tourmente (ci-contre).
Comment
adhérer à la SLC ?
Cotisation : 35 Euros, couple :
45 Euros.
Mode de paiement : par chèque à
l'ordre de la Société des
Lecteurs de Céline à
adresser au trésorier, Gérard
Silmo, 47 avenue du Président
Wilson, A2, 94340
Joinville-le-Pont.
Membres du Bureau : Christian
Mouquet (président), Gérard
Silmo (trésorier), Marc
Laudelout (secrétaire), Marc Van
Dongen (secrétaire adjoint),
Françoise Suberville (trésorière
adjointe).
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Intellectuels dans la tourmente |
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La SLC compte plus d'une
centaine de membres dont
Philippe Alméras, Alain de
Benoist, Pierre de Bonneville,
Rémi Ferland, Valeria Ferretti,
Yannick Gomez, Claude Haenggli,
Pascal Ifri, Jacques Joset,
Motochika Kinoshita, Eric Mazet,
Jean Monnier, Michel Mouls,
Christian Senn, Alain Vergneault,
pour ne citer que des céliniens
connus.
(Remerciement à Marc
Laudelout). |
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