Marc
LAUDELOUT
Louis-Ferdinand
Céline
appréciait
surtout le
cinéma muet.
Cela datait
de l'époque
où sa
grand-mère,
Céline
Guillou,
l'emmenait
voir Le
Voyage dans
la lune
de Méliés.
Il révérait
aussi Max
Linder,
Buster
Keaton et
Chaplin
(celui
d'avant le
cinéma
parlant).
Plus tard,
il fréquenta
le milieu du
cinéma au
point de
faire une
figuration
dans le film
de Jacques
Deval,
Tovaritch
(1935),
tiré de sa
pièce
éponyme. Il
fut
également
l'ami d'Abel
Gance qui
tenta
vainement
d'adapter
Voyage au
bout de la
nuit.
L'auteur
de
Bagatelles
pour un
massacre
polémiqua
ensuite avec
Jean Renoir
dont il
détesta
La Grande
Illusion
ainsi que,
d'une
manière
générale, le
"
progressisme
bêtifiant
que l'on
retrouve
dans les
films
français des
années
trente " (Gripari).
C'est aussi
dans ce
pamphlet que
l'on trouve
un portrait
féroce, "
avant la
lettre ", de
Harvey
Weinstein
lorsque
Céline
épingle un
producteur
de "
Hollywood la
juive ".
Lui-même
essaya
pourtant en
Amérique de
faire
adapter son
premier
roman sur le
grand écran.
Mais à ce
jour, aucun
film n'a été
réalisé à
partir de
son œuvre
romanesque. |
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Céline
figurant
dans
Tovaritch,
1935 |
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La Grande
Illusion,
Jean Renoir
1937 |
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De Sergio
Leone à
Pialat, en
passant par
Maurice
Ronet.
Dans sa
biographie
de Madame
Céline
(Taillandier),
David Alliot
consacre un
chapitre
entier aux
nombreux
projets qui,
tous,
avortèrent.
L'un des
plus fameux
fut celui de
Michel
Audiard qui
rêva
longtemps
d'adapter
Voyage
avec Fellini
comme
metteur en
scène et
Belmondo
dans le rôle
de Bardamu.
Mais tout le
monde se
cassa les
dents sur
les
différents
projets, de
Sergio Leone
(qui voulait
également
adapter ce
roman) à
Pialat (Mort
à crédit)
en passant
par Maurice
Ronet
(Semmelweis)
ou
Jean-François
Stévenin (Nord).
Le dernier
projet en
date fut
celui de
François
Dupeyron
qui, en
2001, prit
une option
sur
l'adaptation
de Voyage
au bout de
la nuit.
Si aucun
roman de
Céline n'a
été porté à
l'écran, sa
présence
n'en est pas
moins
perceptible.
Bertrand
Tavernier
s'est
manifestement
inspiré de
l'épisode
africain
de Voyage
pour
Coup de
torchon
(1981). |
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Coup de
torchon,
1981 |
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|
Et dans
La Femme
flic
d'Yves
Boisset,
sorti
l'année
précédente,
François
Simon
incarne un "
docteur
Godiveau "
qui rappelle
furieusement
le docteur
Destouches
de Meudon.
Ce comédien
était le
fils de
Michel
Simon, grand
admirateur
de Céline.
Avec Pierre
Brasseur et
Arletty, il
fut l'un des
premiers à
lire des
extraits des
premiers
romans pour
l'édition
discographique.
Et n'ayons
garde
d'oublier
Robert Le
Vigan, l'un
des
personnages
de la
trilogie
allemande,
qui, à la
fin de sa
vie, lut des
extraits de
Nord
et de la
correspondance
qu'il reçut
de Céline
alors qu'il
était exilé
en
Argentine.
(Présent,
Hors-Série,
mai-juin
2018,
consacré au
cinéma).
Pierre
ASSOULINE
Si les
producteurs
et les
réalisateurs
pouvaient
imaginer
qu'une
malédiction
pèse sur
certains
classiques
de la
littérature,
ils n'y
toucheraient
pas. Don
Quichotte,
La Condition
humaine,
Belle du
Seigneur,
entre
autres, sont
maudits. Les
cinéastes
qui ont osé
s'en emparer
s'y sont
brûlé les
doigts, ce
qui ne
décourage
pas pour
autant les
plus
persévérants
d'entre eux
de monter
des projets
dans le fol
espoir de le
voir
aboutir.
Dernier en
date :
Voyage au
bout de la
nuit.
François
Dupeyron,
qui a déjà
porté deux
romans à
l'écran avec
succès (La
Chambre des
officiers,
de Marc
Dugain, et
M.
Ibrahim et
les fleurs
du Coran
d'Eric-Emmanuel
Schmitt),
savait qu'il
s'attaquait
cette fois à
un monstre
qui en avait
terrassé
plus d'un :
Abel Gance,
Michel
Audiard,
Sergio
Leone,
Claude
Berri...
Tous avaient
déjà essayé
et abandonné
pour les
mêmes
raisons : "
L'angoisse
de se casser
la figure
sur un
projet aussi
ambitieux,
l'injonction
de Flaubert
selon
laquelle on
ne doit pas
imposer
d'images au
lecteur et
le coût
énorme d'un
tournage à
New York, en
Afrique et
pendant la
guerre ",
explique
François
Gibault, le
biographe de
Céline qui
détient
également un
mandat de
gestion, de
son œuvre
que lui a
confié sa
veuve. Et il
y a même eu
un projet
d'opéra !
François
Dupeyron
s'est donc
lancé à leur
suite. Il y
a travaillé
d'arrache-pied
neuf mois et
demi durant
dans l'idée
de faire non
un mais deux
films, ou un
film en deux
parties,
tant la
scission est
naturelle
dans le
roman, et la
matière
riche.
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La chambre
des
Officiers,
2001 |
|
|
|
Monsieur
Ibrahim et
les fleurs
du Coran,
2003 |
|
|
|
Mais les
états
successifs
de son
scénario ne
le
satisfaisaient
pas. Il
vient donc
de jeter
l'éponge : "
Je renonce !
", m'a-t-il
confié
l'autre jour
mais avec le
sourire,
comme s'il
n'était pas
mécontent au
fond d'être
débarrassé
du poids
d'une telle
entreprise.
Ce qui ne
l'empêche
pas de s'encolérer
contre les
nouvelles
conditions
économiques
du
financement
des films
qui ont
rendu les
financiers
prudents,
frileux et
donc moins
ambitieux,
cela dit
pour être
complet sur
les raisons
de cet
abandon.
Gallimard a
donc
récupéré les
droits
audiovisuels
du
chef-d'œuvre
de Céline.
Pour combien
de temps ?
Car un grand
roman peut
être maudit,
il y aura
toujours des
aventuriers
pour s'en
emparer. A
peine
François
Dupeyron
avait-il
lâché la
balle que
Yann Moix
s'en
emparait,
même s'il
n'en pas
encore
formellement
acquis les
droits. Fort
de la
réussite de
son premier
film (Podium),
cet autre
fou de
Céline qui a
l'indispensable
grain
luchinien
pour
s'embarquer
dans cette
histoire,
s'est mis au
travail. Et
d'emblée il
balaie
l'obstacle
du coût
d'une
reconstitution
historique
car ce sera
une
transposition
: " Je ne
prends
qu'une
partie du
roman : la
guerre de
14,
l'arrivée à
New York,
l'Afrique. |
|
|
|
Et je
piquerai ici
ou là dans
l'ensemble
de l'œuvre
de Céline.
Mais ça se
passera de
nos jours.
Mon Bardamu
est un
médecin
humanitaire,
sa guerre se
livrera
contre le
terrorisme
dans les
tours du
World Trade
Center le 11
septembre.
D'ailleurs,
ça
s'appellera
" Un voyage
au bout de
la nuit ".
Ce que je
veux, c'est
filmer le
chaos. "
Peut-être
faut-il
passer par
cette
trahison de
la lettre
pour être
mieux fidèle
à l'esprit
? Céline
aimait
beaucoup le
cinéma, il
avait même
fait le
voyage de
Hollywood
dans les
années 1930
dans
l'espoir que
son roman
intéresserait
les studios.
C'est
pourquoi sa
veuve et son
biographe y
sont
favorables "
tant que
cela sert
l'œuvre ",
précise
François
Gibault. En
attendant,
on pourra
dire des
films à
venir tirés
des
classiques
de la
littérature
ce que
Céline
lui-même
écrivait de
son
Voyage au
bout de la
nuit sur
la page de
garde : "
Et puis
d'abord tout
le monde
peut en
faire
autant, il
suffit de
fermer les
yeux. "
(BC n° 284,
mars 2007,
p. 5).
Frédéric
VITOUX
Selon
vous,
amoureux et
critique de
cinéma,
peut-on
adapter
Céline sans
le trahir ?
C'est
un énorme
sujet. La
malédiction
de Céline au
cinéma est
due à sa
personnalité,
à ce côté
sulfureux,
aux
inquiétudes
et aux
dangers qui
y sont liés.
J'avais par
exemple
proposé à un
producteur
non pas une
adaptation
de Céline,
mais un
projet de
film qui se
passerait à
Montmartre
dans les six
derniers
mois de
l'Occupation,
parlant de
Céline, de
sa maison,
des
résistants
qui
habitaient
en-dessous
de chez lui,
de Roger
Vaillant...
Bref, une
petite
comédie
tragique
dont Céline
aurait été
l'un des
protagonistes.
Mais parler
de Céline,
cela fait
très peur.
Peut-on
adapter
Céline au
cinéma ? Je
dirais a
priori que
de tous les
grands
écrivains,
Céline est
l'un des
moins
adaptables.
Et ce pour
une raison
très simple
: les
intrigues de
Céline ne
sont pas
inintéressantes,
mais ce qui
compte,
c'est
d'abord la
voix, le
timbre de la
voix
célinienne.
Ce n'est pas
le spectacle
ou les
actions,
c'est le
regard et le
commentaire
des actions
par une
voix, par un
style.
Céline, ce
n'est pas de
la pure
aventure. |
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|
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|
4 rue
Girardon,
Paris 8°, 5ième
étage |
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 |
Le château de Sigmaringen où séjournèrent les 1142 collabos. " On
n'est pas
loin de
Shakespeare...
" |
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|
|
Raconter
Voyage au
bout de la
nuit,
qui est
encore le
livre où il
se passe le
plus de
choses ?
Cinquante
mille livres
ont des
intrigues
plus riches.
Ce qui, en
revanche,
est le génie
de Céline,
c'est le
style. C'est
le regard
qui
transforme,
qui tord la
réalité, qui
joue avec
les mots.
A l'inverse,
le
personnage
de Céline
est
intéressant.
J'avais eu,
il y a
quelques
années un
projet avec
Roger
Planchon qui
voulait
traiter des
mois de
Sigmaringen.
Ayant été
l'un des
plus jeunes
résistants
de France,
il pensait à
bon droit
qu'on ne lui
chercherait
pas
d'ennuis.
Mais il n'a
pas réussi à
monter ce
film.
C'était
pourtant un
sujet
extraordinaire
! La
tragi-comédie
de ces
collabos
rescapés,
hagards, qui
se
retrouvent
dans le sud
de
l'Allemagne
fin 1944 et
début 1945
dans un
climat
totalement
surréaliste,
avec Céline
qui est
parmi eux,
les anciens
miliciens,
les
épidémies de
chaude-pisse
ou de
vérole, les
gens qui
prétendent
constituer
un
gouvernement
français en
exil contre
toute
logique,
contre toute
raison, ce
territoire
français en
plein cœur
de
l'Allemagne... |
|
|
|
Il y a une
sorte de
folie
presque
shakespearienne,
que Céline a
admirablement
évoquée dans
D'un
château
l'autre,
qui pourrait
faire un
formidable
sujet pour
le cinéma.
Ne serait-ce
que la
silhouette
de Céline.
C'est un
personnage
incroyable.
Raconter
Céline, sa
fuite, le
Danemark,
oui, cela
peut être
formidable.
Il y a des
visions
céliniennes.
Dans
Nord,
toutes les
scènes dans
le
Brandebourg,
avec le
château...
on n'est pas
loin de
Shakespeare
: une sorte
de tragique,
d'horreur,
de
grotesque,
des
personnages
qui
s'entrecroisent...
On peut
faire un
film
là-dessus.
Mais
l'adaptation
de l'œuvre
stricte de
Céline en
elle-même ne
serait pas
intéressante.
Et tout le
monde s'est
cassé le
nez, depuis
Abel Gance
jusqu'à
Sergio Leone
et Michel
Audiard.
Pour
entendre le
timbre
célinien, on
peut
effectivement
écouter
Fabrice
Luchini lire
du Céline,
c'est très
bien. On a
la voix de
Céline, on a
le rythme,
on découvre
un texte.
Mais le
timbre
célinien
dans un
film, je n'y
crois pas.
(Joseph
Vebret,
Céline
l'Infréquentable,
Jean
Picollec,
mai 2011,
p.180). |
|
|
|
Emile BRAMI
Céline au
cinéma
Voici le
texte de
l'allocution
d'Emile
Brami lors
du colloque
Céline des 4
et 5 février
2001 au
Centre
Pompidou.
" Céline et
le cinéma,
c’est une
vieille
histoire.
Elle
commence
avec la
grand mère
Guillou
emmenant son
petit fils
Louis voir
les films de
Méliès. Ce
seront par
la suite,
dans
Voyage au
bout de la
nuit,
les
pensionnaires
de l’asile
d’aliénés
que Parapine
enferme dans
la salle du
Tarapout
où ils
reverront en
boucle le
même film
appliquant
les «
théories
récentes du
professeur
Baryton sur
l’épanouissement
des petits
crétins par
le cinéma
». C’est
encore cette
séquence de
Tovarich,
un film de
Jacques
Deval daté
de 1935 où
le docteur
Destouches
fait
quelques
secondes de
figuration.
[...]
Mais,
jusqu’à la
fin de sa
vie, le
grand rêve
cinématographique
de Céline
resta
l’adaptation
de Voyage.
Cette
volonté de
l’écrivain
ayant trouvé
un fort écho
dans le
milieu du
cinéma, on
s’étonnera
que 75 ans
après la
publication
de son
premier
livre,
aucune de
ses œuvres
n’ait été
portée à
l’écran.
Pourtant
l’idée de
filmer
Voyage
vient quasi
immédiatement.
Alors que le
livre est
sorti en
octobre
1932, le 4
mars 1933
les éditions
Denoël
cèdent à
Abel Gance
les droits
d'adaptation.
La carrière
de Gance bat
déjà de
l’aile,
réaliser ce
roman
sulfureux
qui est
aussi un
énorme
succès de
librairie la
relancerait
peut-être.
Le critique
Élie Faure,
amis commun
aux deux
hommes, sert
d’intermédiaire.
Il écrit à
Gance le 13
mars :
« Je
crois qu'on
peut tirer
un très beau
film de
cette orgie
littéraire,
qui
s’accorde
assez bien
avec votre
génie
tumultueux.
mais il
faudra faire
appel a tout
ce que vous
pourrez
découvrir en
vous de
mesure et
d’équilibre,
justement
pour
maintenir
dans l’ordre
bondissant
de son cœur
et du notre
cette épopée
multitudinaire.
Quels
tableaux a
brosser : la
guerre,
l’Afrique,
l'Amérique
des
buildings et
des girls,
la banlieue
sordide,
l’asile
d’aliénés !
Je voudrais
être a votre
place. »
La
rédaction
d’un premier
découpage
est confié à
un
journaliste
bordelais,
Maurice
Norman qui,
ayant eu
vent du
projet, a
proposé ses
services. Le
17 décembre
il envoie 22
feuillets
dialogués
intitulés
L’arrivée à
New York.
Le travail
n’est pas
fameux,
Gance est un
esprit
brouillon
qui brasse
en
permanence
mille
projets, il
passe
rapidement à
autre chose.
On en
restera là.
Après cet
échec,
Céline se
fera son
propre
démarcheur.
le 23 juin
1933 il
écrit à
Robert
Denoël :
« J'ai
rencontré à
Prague le
metteur en
scène
Youngbans.
Il se
pourrait
qu'il
s'entende
avec moi
pour tenter
a Paris la
mise en film
du Voyage.
Il viendra
en
septembre.
»
Youngbans
s’appelle en
réalité
Junghans, on
n’entendra
plus parler
de lui.
|
|
|
|
Pendant
l’été 1934,
aux
Etats-Unis,
tout en
essayant de
reconquérir
Elisabeth
Craig,
Céline
toujours
pragmatique
essaie de
vendre son
livre à
Hollywood,
aidé par
Jacques
Deval qui
travaille
sur place,
là encore
sans succès.
Par la
suite, de
nombreux
réalisateurs
parmi les
plus connus
de l’époque
auront à
leur tour la
velléité de
porter
Voyage
au cinéma.
On peut
citer parmi
les plus
connus
Julien
Duvivier,
Pierre
Chenal,
Claude
Autant-Lara.
Le nom de
Gabin,
spécialiste
des rôles
d’homme du
peuple
écrasé par
la vie, est
avancé pour
jouer
Bardamu.
Rien
n’abouti.
De façon
étonnante,
alors que
l’on a
jamais
tourné
autant que
pendant la
période de
l’occupation,
que Céline
est à
l’apogée de
sa gloire,
aucun projet
n’est à
signaler
entre 1940
et 1945.
Il faudra
attendre le
retour
d’exil et le
succès de
D’un château
l’autre
pour voir
apparaître
d’autres
tentatives.
On parle
d’une
adaptation
par Jean
Anouilh,
Claude
Autant-Lara
manifeste de
nouveau son
intérêt pour
Voyage
et commande
même la
musique du
film à
Jean-Claude
Descaves, le
petit fils
de Lucien
Descaves qui
avait
défendu le
livre pour
le prix
Goncourt.
Roger Nimier
avance le
nom de Louis
Malle.
|
|
|
|
Après la
disparition
de Céline,
tout ce qui
compte dans
le cinéma se
mettra sur
les rangs,
Claude
Berry,
Jean-Claude
Rassam,
Clément,
Téchine,
Corneau,
Vadim,
Malle,
Godard,
Milos
Forman,
Pialat qui
se
distinguait
en voulant
mettre en
scène
Mort à
crédit.
Trois noms
émergent
toutefois de
la foule des
candidats :
Michel
Audiard,
Sergio Leone
et
Jean-François
Stévenin
qui, chacun
à sa
manière,
semblent
vouloir
aller plus
loin que le
simple effet
d’annonce.
Audiard,
qui ne cesse
de clamer
son
admiration
pour Céline,
est celui
qui fera le
plus de
bruit
médiatique.
En 1964, il
déclare dans
la presse
qu’il
rédigera
l’adaptation
et les
dialogues de
Voyage,
que Fellini
le mettra en
scène avec
Belmondo
dans le rôle
de Bardamu,
Shirley mac
Laine sera
Molly, le
financement,
un milliard
d’ancien
francs, une
somme énorme
pour
l’époque, a
été réuni,
et madame
Destouches a
donné son
accord. Le
projet
n’avance
pas, mais
Audiard ne
cessera d’y
revenir, du
moins en
paroles.
Sergio Leone
est un autre
grand
admirateur
de Céline,
dans des
entretiens
accordés à
Noël Simsolo
il dit :
« Céline
vous marque
jusqu’a la
mort. J’ai
souvent
pensé en
faire un
film. Mais
je ne sais
pas s’il
serait
raisonnable
de toucher
un tel
chef-d’œuvre.
Quand j’aime
un auteur,
j’étouffe
d’un
sentiment de
pudeur. Je
suis aussi
un auteur,
en tant que
cinéaste.
Spontanément,
je trahirai
l’œuvre de
base de
Céline. J’en
ferai
quelque
chose
d’autre. et
je ne sais
pas s’il
faut le
faire. »
|
|
|
|
|
Jean-Paul
Belmondo
dans le rôle
de Bardamu |
|
|
|
Shirley
MacLaine
serait alors
la tendre
Molly |
|
|
|
Jean-François
Stévenin,
enfin, fait
partie des
originaux
qui veulent
adapter un
autre livre
que
Voyage au
bout de la
nuit, il
rêve de
mettre en
scène
Nord. Il
raconte
volontiers
le film tel
qu’il
l’imagine :
« Une
histoire
sans
chronologie,
comme un
rêve
éveillé, un
film sur la
fatigue,
l’épuisement
dit-il. Mais
à ce jour il
n’a pas
écrit de
scénario
».
Ces trois
projets,
malgré leur
sérieux
apparent,
n’étaient
pas destinés
à aboutir,
tant ils
étaient pour
leurs
auteurs des
fantasmes
destinés à
nourrir leur
création
personnelle.
Les deux
dernières
tentatives
connues se
sont elles
aussi
soldées par
des échecs.
François
Dupeyron,
réalisateur
de La
chambre des
officiers,
film assez
proche de ce
que Céline a
pu écrire
sur la
grande
guerre
déclarait en
décembre
2004 :
« Je
travaille
seul depuis
six mois a
l’adaptation
du Voyage
au bout de
la nuit
de Céline,
avec
l’impression
d’avoir en
permanence
une peau de
banane sous
la semelle.
Il est
inouï, ce
livre : vous
découvrez
des choses à
la dixième
lecture,
mais vous
pouvez aussi
rester un
mois bloqué
sur une
scène. Si
j’arrive a
tourner le Voyage…
je ne sais
pas si je
parviendrais
ensuite a
réaliser
d’autres
films. »
En avril
2005, le
magazine
Le Point
annonçait
que la
première
version du
scénario
était
terminée.
Puis, sans
autre
explication
que « Je
n’y suis pas
arrivé parce
que je n’y
suis pas
arrivé
», Dupeyron
abandonne le
projet.
Yann Moix,
auréolé du
succès de
Podium,
se lance à
son tour
dans
l’aventure,
mais en
voulant plus
s’inspirer
du livre que
réellement
l’adapter,
et surtout
il envisage
de le
transposer
dans notre
époque
A son tour,
comme ses
prédécesseurs,
sans donner
d’explication
a son échec,
Moix
abandonne.
[...] Mais,
quel serait
alors
l’intérêt
d’adapter
Féerie
comme le
pensent
Gillain et
Chuat ou
Casse-pipe
comme le
suggèrent
Sautermeister
et Rucheton
? Ainsi
qu’ils le
démontrent,
ces livres
ne sont pas
écrits
comme
des films,
ils sont,
par les
choix
esthétiques
qui les
sous-tendent,
déjà
des films,
conçus pour
fonctionner
comme une
projection
dès la
lecture.
Gide l’avait
deviné très
tôt en
écrivant : «
Céline ne
décrit pas
la réalité,
mais
l’hallucination
qu’elle
provoque
», une
hallucination
provoquée
par la
réalité,
voila qui
pourrait
être une
bonne
définition
du cinéma et
du processus
qu’il induit
dans
l’esprit du
spectateur.
Adapter les
romans qui
suivent
Mort a
crédit
et sa
révolution
stylistique
ne pourrait
aboutir qu’à
un pléonasme
du texte
original.
Au bout du
compte, «
les
professionnels
de la
profession »
dont parle
Jean-Luc
Godard, ne
se
trompaient
pas : ne
serait donc
possible au
cinéma que
Voyage au
bout de la
nuit
première et
seule œuvre
de Céline se
rattachant
encore, quoi
qu’on en
pense, à une
forme
d’écriture
romanesque
classique.
Cependant,
aucune des
tentatives
n’a abouti.
Les raisons
qui
reviennent
le plus
souvent pour
expliquer
ces échecs
répétés sont
:
* le cout
élevé de la
production
d’un film en
costumes.
* la
difficulté
d’écrire un
scenario ne
trahissant
pas un texte
majeur de la
littérature
contemporaine.
* la
nécessité de
confier la
réalisation
à un metteur
en scène
qui, du
point de vue
artistique,
pourrait se
mesurer à
Céline
(c’est ainsi
qu’Audiard
envisageait
de confier
la
réalisation
du scenario
qu’il
voulait
écrire à
partir de
Voyage à
Fellini).
Or ces
obstacles
semblent
levés ou
n’existent
pas encore
lorsqu’en
mars 1933
Abel Gance
décide de
porter le
roman au
cinéma :
* le livre
est
contemporain
de la
période où
il sera
tourné et,
sauf pour
quelques
scènes de
guerre, il
n’est pas
nécessaire
de recourir
a une
reconstitution
ruineuse.
* on peut
envisager
une
adaptation
de Voyage
au bout de
la nuit
qui n’est à
cette date
qu’un roman
à succès
parmi
d’autres, la
postérité ne
lui ayant
pas encore
donne la
dimension
qu’il
prendra, ni
la révérence
respectueuse
qui
l’entourera
par la
suite.
* enfin,
Gance est
encore
reconnu
comme l’un
des plus
grands
réalisateurs
de son
temps. Si
parmi tous
les projets
suscités par
Voyage au
bout de la
nuit un
seul aurait
du aboutir,
c’était bien
celui-là.
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La
traversée
de
Paris,
1956
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Les
chinois
à
Paris,
1974
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Il faut s’y
résoudre,
nous ne
verrons sans
doute jamais
(et
heureusement)
Voyage au
bout de la
nuit au
cinéma. Il
n’en reste
pas moins,
que, depuis
Gance,
annoncer
pour un
réalisateur
qu’il
s’apprête a
adapter
Céline est
une garantie
de
respectabilité,
une médaille
qu’il peut
s’accrocher
à peu de
frais. C’est
se retrouver
immédiatement
mis au
niveau,
assimilé au
chef-d’œuvre
que l’on
prétend
mettre en
scène.
Cependant,
malgré - ou
à cause - de
l’échec,
Céline
continuerait
de hanter
ceux qui
voulaient le
porter à
l’écran,
leur servant
par la suite
de source
d’inspiration
et l’on
retrouverait
des traces
indirectes
de Voyage
dans leurs
films.
On pourrait
citer : la
scène du
médecin
avorteur que
joue Pierre
Blanchar
dans Un
carnet de
bal
(1937) de
Julien
Duvivier. La
scène du
café de
La Traversée
de Paris
(1956) de
Claude
autant-Lara
et sa
célèbre
réplique : «
salauds de
pauvres ! ».
Certaines
séquences du
médiocre
Les chinois
à Paris
de Jean Yann
qui
paraissent
directement
recopiées de
passages de
Rigodon.
Ce ne sont
là que
quelques
choix
personnels,
donc
discutables.
Chacun
pourra à son
tour, en
s’amusant à
ce petit jeu
cinéphilique,
retrouver au
gré de ses
lectures et
de ses
goûts, la
séquence ou
le film qui
lui parait
prendre
source dans
tel ou tel
roman de
Céline.
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Les
portes
de
la
nuit,
1946
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Voici, pour
exemple,
l’opinion
d’un autre
admirateur
de Céline,
Jacques
Tardi :
« […] on
peut
considérer
que le film
a été fait,
et que l’on
retrouve des
adaptations
du Voyage
au bout de
la nuit
dans de
multiples
séquences de
plusieurs
petits
films. Si
l’on regarde
bien
certains
films,
l’influence
de Céline
est
perceptible.
Dans Panique
de Duvivier,
il y a une
place avec
des forains
et un "
stand des
nations ",
comme dans
le Voyage
au bout de
la nuit.
Dans Les
portes de la
nuit, il
y a des
scènes qui
se passent
en banlieue,
on retrouve
la
mesquinerie
des gens…
Idem dans Pépé
le moko
et Carnet
de bal,
qui ont des
ambiances
très
céliniennes.
Si l’on met
bout a bout
ces extraits
de film, on
retrouve
l’œuvre de
Céline. »
C’est sans
doute
pourquoi
Sergio Leone
a pu dire :
« J’ai
fait Il
était une
fois
l’Amérique,
je n’ai plus
besoin de
tourner Voyage
au bout de
la nuit ».
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Voyage
au
bout
de
la
nuit,
1988
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Mais, si
toutes les
tentatives
cinématographiques
ont échoué,
nous avons
pourtant été
tout près de
voir une
adaptation
de Voyage
au bout de
la nuit.
Jacques
Tardi, après
avoir donné
sa
remarquable
interprétation
de
Brouillard
au pont de
Tolbiac
de Léo Malet
s’est
attaqué à
l’illustration
de trois
livres de
Céline :
Voyage au
bout de la
nuit
(1988),
Casse pipe
(1989) et
Mort à
crédit (1991)
publiés chez
Futuropolis.
Issu d’un
milieu de
petits
commerçants
proche de
celui où
naquit Louis
Destouches,
grand
amateur de
l’écriture
de Céline,
obsédé par
la guerre de
14, capable
comme
personne de
reconstituer
en trois
traits
l’ambiance
cafardeuse
de la
banlieue de
l’entre deux
guerre,
Tardi
semblait
être celui
qui pouvait
le mieux
réaliser
cette
transposition
infiniment
délicate,
tant son
empathie
avec les
personnages
inventés par
Céline est
grande.
Pourtant,
Tardi n’a
pas osé
adapter le
texte et
faire parler
les
personnages,
se
contentant
d’illustrer
de façon
qu’il
qualifie lui
même de «
redondante »
les trois
ouvrages sur
lesquels il
a choisi de
travailler.
Nous
continuerons
de penser
que Tardi a
eu tort
d’avoir
reculé, de
ne pas avoir
réalisé sa
propre mise
en scène de
Voyage au
bout de la
nuit en
bande
dessinée.
Il aurait
certainement
trahi
Céline,
déplu à
nombre de
ses
admirateurs,
et
contrairement
à ce qu’il
en pense, le
résultat
n’aurait pas
été «
nettement
moins bon
que
l’original
», il aurait
été autre.
En effet et
par
définition,
toute
adaptation
d’un texte,
si grand
qu’il soit,
ne doit-elle
pas être une
trahison
assumée ?
De tous les
échecs
rapportés
ici, celui
qui laisse
le plus de
regrets est
certainement
ce dernier.
On ne peut
que rêver à
l’extraordinaire
adaptation
que Tardi
aurait pu
faire de
Voyage au
bout de la
nuit de
Céline.
(Le Petit Célinien, 28 avril 2011, Céline au cinéma par Emile BRAMI).
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