BIENVENUE BIOGRAPHIE AUTEURS POLITIQUES MEDIAS REPERES TEMOIGNAGES REGARDS

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                           

 

 

LE  PEUPLE

 

 

 

          LE PRIX D'EMEUTES ÇA CUBE !...

   Ça suffit pas la misère pour soulever le peuple, les exactions des tyrans, les grandes catastrophes militaires, le peuple il se soulève jamais, il supporte tout, même la faim, jamais de révolte spontanée, il faut qu'on le soulève, avec quoi ? Avec du pognon.
 
  Pas d'or pas de révolution.

 Les damnés pour devenir conscients de leur état abominable il leur faut une littérature, des grands apôtres, des hautes consciences, des pamphlétaires vitrioleux, des meneurs dodus francs hurleurs, des ténors versés dans la chose, une presse hystérique, une radio du tonnerre de Dieu, autrement ils se douteraient de rien, ils roupilleraient dans leur belote. Tout ça se paye, c'est pas gratuit, c'est des budgets hyperboliques, des tombereaux de pognon qui déversent sur le trèpe pour le faire fumer. Il faut étaler les factures, qui c'est qui dèche ? C'est à voir.

 Pas de pognon, pas de fifres, pas de grosses caisses, pas d'émeutes par conséquent.

 Pas d'or, pas de révolution ! pas plus de Volga que de beurre en branche, pas plus de bateliers que de caviar ! C'est cher les ténors qui vibrent, qui vous soulèvent les foules en transe. Et les chuchoteries de portes cochères à cinq cents bourriques par carrefour ?
Ça revient des sommes astronomiques ! C'est du spectacle, faut mettre le prix, les frais d'émeutes ça cube, ça ruine ! pour amener le trèpe à plein délire, qu'il secoue ses chaînes, la marmite, le pot-au-feu Duraton, que tout ça culbute et le tyran, qu'on étripe tout ça dans la joie ! la fraternité reconquise ! la liberté de conscience ! le Progrès en marche ! Que ça soye l'énorme Opéra, le plus géant de deux trois siècles que c'est une autre vie qui commence !

 Ah ! ça alors c'est dispendieux ! Au prodige ! Tout un monde de petites bourriques à gaver, festoyer, reluire, des poulets de tous les plumages au picotin plein les Loges, de limaces à redondir, grassoyer, tiédir, mignoter, que tout ça vermoule l'édifice, chuinte et corrode à prix d'or. C'est des notes à n'en plus finir.
 C'est hors de prix la Police qui prépare une Révolution, la pullulation d'émissaires, asticoteurs de griefs, des mille rancœurs à la traîne, retourneurs de fiels. Et il en faut ! Jamais de trop ! Comme c'est passif le pauvre monde, oublieux ! le baratin du damné, voilà du tintouin infernal, lui auquel le gros rouge suffit faut lui donner la soif du sang, qu'il puisse plus tenir dans son malheur, que sa condition le rende maboule, atrocement fauve, anthropophage. Lui qui demande qu'à rester tel quel, grognasseux, picoleux, fainéant. Il veut se plaindre mais pas autre chose. Il faut que tout lui tombe sur un plat. Pardon alors ! Maldonne Mimi ! C'est là qu'il se fait drôlement relancer par les " ardents " à tant par jour, les fonctionnaires de la Révolte. Et c'est encore que le premier acte, les prémices du drame, les exposés de la comédie, les rassemblements tapageurs. Faut pas en promettre des subsides, faut les amener luxurieusement, c'est un gouffre d'insurger le fretin, c'est le
Pérou que ça mobilise, le trésor de la " Shell " y passe.

 Pas d'or pas de révolution.

 Le damné il est pas commode faut qu'on l'éclaire et bougrement, pour qu'il s'élance aux barricades, qu'il commence à faire le fou. Il préfère lui la vie de famille, l'autobus et le meeting baveux. Au fond il aime pas les histoires. Il est conservateur fini, il est de la terre, né Bidasse, faut pas l'oublier. Voter ça devrait bien suffire voilà ce qu'il pense intimement. Il tient pas aux sacrifices, aux piscines de sang. Il y tient même pas du tout. Il faut pour ça qu'on l'enfurie, qu'on le picadorise à mort. C'est un tintouin du tonnerre. Il est gueulard mais pacifique. Plus mendigot que fracasseur. Il veut bien encore des violences mais si c'est les autres qui dérouillent.
 Il est comme toute l'armée française il veut défiler triomphant. Il veut sa voiture, son bois de rose, sa Retraite de vieillard à trente ans, tout des raisons pour pas mourir. La pêche à la ligne. Qui dit mieux ? Il veut pas mourir du tout. Les gardes civiques ça tue très bien ! Ils vous ont de ces mitrailleuses ! Sagesse d'abord !

  A quoi bon changer l'ordre social pour que les autres se régalent et qu'on soye soi morts et martyrs ? Victoire ? C'est vite dit ! Mais pas d'omelette sans casser d'œufs ! Et pas de bonnes victoires pour les morts ! Chacun réfléchit forcément !... Quelles garanties ? Chacun se demande " in petto "... Est-ce bien sérieux ? Va-t-on mourir pour le confort ?
 Que les autres crèvent si ça leur chante ! On verra bien comment ça tourne... C'est là le hic, le point sensible, le " ne-pas-se-mouiller " paysan, c'est là qu'il faut pousser au crime ! à plein orchestre ! que l'or entre en transe et comment ! La vieille Bastille et ses neuf tours, serait toujours au poste, altière, hautaine, formidable, et ne gênerait vraiment personne, pas plus que Fresnes ou l'île de Ré, si les Banques, les démons de Londres, n'avaient pas fait le nécessaire, enflammé la viande saoule à temps, déchaîné l'émeute, le carnage, soulevé l'ouragan des ragots, les torrents de bave conventionnels, l'ébullition de la frime au sang.

 L'arrière-petit-fils de Louis XIV serait encore à l'Elysée, Marie-Antoinette révérée par tous les enfants des écoles, patronne de l'élevage des agneaux, si Pitt avait pas insurgé les petits scribouilleux de l'époque, pourri la noblesse à gaga, versé les ronds à pleines hottes, soudoyé la cour et les champs, les mères abbesses et les bourreaux... Sans or les idées ne sont rien. Il faut verser l'or à foison, à boisseaux, à tonnes, pour soulever le peuple.
 Qui n'en a pas n'insurge personne. Pas plus aujourd'hui qu'autrefois. Tout d'abord un commanditaire ! C'est la condition du spectacle ! Et point petit cave chichiteux ! quelque hagard effaré comparse ! Pouah ! Quelle horreur ! Quelle insolence ! Non ! Tel répondant colossal ! Le plus coûteux des opéras ! Y songez-vous ? L'Opéra des insurrections ! Avec Déluges ! Chœurs symphoniques ! Oh ! la ! la ! Si ça vous entraîne ! Tâtez-vous avant d'y toucher ! Vous en avez ? Z'en avez pas ? Quelle est votre banque ? Vous êtes raide ?

 Alors taisez-vous ! Caltez ! emmerdez personne ! Vous êtes qu'un petit impertinent ! un petit garçon mal embouti ! Allez donc apprendre la musique ! Ça vous disciplinera l'esprit ! On n'insurge qu'avec des espèces et pas du semblant ! des pichenettes ! Non ! Non ! Des trombes ! Cyclones de pèze !
 Guillotine est fille de Guichet.
 (Les Beaux draps, Ecrits polémiques, Ed. 8, 2017, p. 547).

  

 

 

 

                                                                                                                      ***

 

 

 

 

                LA NOUVEAUTE... LE SOLDAT GRATUIT.

   Ah ! camarade ! Ce monde n'est je vous l'assure qu'une immense entreprise à se foutre du monde ! Vous êtes jeune. Que ces minutes sagaces vous comptent pour des années ! Ecoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez plus passer sans bien vous pénétrer de son importance, ce signe capital dont resplendissent toutes les hypocrisies meurtrières de notre Société : " L'attendrissement sur le sort, sur la condition du miteux... " Je vous le dis, petits bonhommes, couillons de la vie, battus, rançonnés, transpirants de toujours, je vous préviens, quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer, c'est qu'ils vont vous tourner en saucissons de bataille... C'est le signe...Il est infaillible.

 C'est par l'affection que ça commence. Louis XIV lui au moins, qu'on se souvienne, s'en foutait à tout rompre du bon peuple. Quant à Louis XV, du même. Il s'en barbouillait le pourtour anal. On ne vivait pas bien en ce temps-là, certes, les pauvres n'ont jamais bien vécu, mais on ne se mettait pas à les étriper l'entêtement et l'acharnement qu'on trouve à nos tyrans d'aujourd'hui. Il n'y a de repos, vous dis-je, pour les petits, que dans le mépris des grands qui ne peuvent penser au peuple que par intérêt ou sadisme... Les philosophes, ce sont eux, notez-le encore pendant que nous y sommes, qui ont commencé par raconter des histoires au bon peuple... Lui qui ne connaissait que le catéchisme ! Ils se sont mis, proclamèrent-ils, à l'éduquer...

 Ah ! ils en avaient des vérités à lui révéler ! et des belles ! Et des pas fatiguées ! Qui brillaient ! Qu'on en restait tout ébloui ! C'est ça ! qu'il a commencé par dire, le bon peuple, c'est bien ça ! C'est tout à fait ça ! Mourons tous pour ça ! Il ne demande jamais qu'à mourir le peuple ! Il est ainsi. " Vive Diderot ! " qu'ils ont gueulé et puis " Bravo Voltaire ! " En voilà au moins des philosophes ! Et vive aussi Carnot qui organise si bien les victoires ! Et vive tout le monde ! Voilà au moins des gars qui ne le laissent pas crever dans l'ignorance et le fétichisme le bon peuple ! Ils lui montrent eux les routes de la Liberté ! Ils l'émancipent ! Ça n'a pas traîné ! Que tout le monde d'abord sache lire les journaux ! C'est le salut ! Nom de Dieu ! Et en vitesse ! Plus d'illettrés ! Il en faut plus ! Rien que des soldats citoyens ! Qui votent ! Qui lisent ! Et qui se battent ! Et qui marchent ! Et qui envoient des baisers !

  A ce régime-là, bientôt il fût fin mûr le bon peuple. Alors n'est-ce pas l'enthousiasme d'être libéré il faut bien que ça serve à quelque chose ? Danton n'était pas éloquent pour les prunes. Par quelques coups de gueule si bien sentis, qu'on les entend encore, il vous l'a mobilisé en un tour de main le bon peuple ! Et ce fut le premier départ des premiers bataillons d'émancipés frénétiques ! Des premiers couillons voteurs et drapeautiques qu'emmena le Dumouriez se faire trouer dans les Flandres ! Pour lui-même Dumouriez, venu trop tard à ce petit jeu idéaliste, entièrement inédit, préférant somme toute le pognon, il déserta. Ce fut notre dernier mercenaire... Le soldat gratuit ça c'était du nouveau... Tellement nouveau que Goethe, tout Goethe qu'il était, arrivant à Valmy en reçut plein la vue. Devant ces cohortes loqueteuses et passionnées qui venaient se faire étripailler spontanément par le roi de Prusse pour la défense de l'inédite fiction patriotique, Goethe eut le sentiment qu'il avait encore bien des choses à apprendre. " De ce jour, clama-t-il, magnifiquement, selon les habitudes de son génie, commence une époque nouvelle ! "

 Mais du fond du jardin, on l'appela Princhard. Le médecin chef le faisait demander d'urgence par son infirmier de service.
 - J'y vais, qu'il a répondu Princhard, et n'eut que le temps juste de me passer le brouillon du discours qu'il venait ainsi d'essayer sur moi. Un truc de cabotin.
 (Voyage au bout de la nuit, Livre de Poche, Gallimard, 1952, p. 73)

 

 

 

 

                                                                                                                        ***

 

 

 

 

        POINT D' ILLUSION A AVOIR.

 Avec mon diplôme, je pouvais m'établir n'importe où, ça c'était vrai... Mais ce ne serait autre part, ni plus agréable, ni pire... Un peu meilleur l'endroit dans les débuts, forcément, parce qu'il faut toujours un peu de temps pour que les gens arrivent à vous connaître, et pour qu'ils se mettent en train et trouvent le truc pour vous nuire. Tant qu'ils cherchent encore l'endroit par où c'est le plus facile de vous faire du mal, on a un peu de tranquillité, mais dès qu'ils ont trouvé le joint, alors ça redevient du pareil au même partout.
 
  En somme, c'est le petit délai où on est inconnu dans chaque endroit nouveau qu'est le plus agréable. Après, c'est la même vacherie qui recommence. C'est leur nature. Le tout c'est de ne pas attendre trop longtemps qu'ils aient bien appris votre faiblesse les copains. Il faut écraser les punaises avant qu'elles aient retrouvé leurs fentes. Pas vrai ?

 Quant aux malades, aux clients, je n'avais point d'illusion sur leur compte... Ils ne seraient dans un autre quartier ni moins rapaces, ni moins bouchés, ni moins lâches que ceux d'ici. Le même pinard, le même cinéma, les mêmes ragots sportifs, la même soumission enthousiaste aux besoins naturels, de la gueule et du cul, en referaient là-bas comme ici la même horde lourde, bouseuse, titubante, d'un bobard à l'autre, hâblarde toujours, trafiqueuse, malveillante, agressive entre deux paniques.

 Mais puisque le malade lui, change bien de côté dans son lit, dans la vie, on a bien le droit aussi nous, de se chambarder d'un flanc sur l'autre, c'est tout ce qu'on peut faire et tout ce qu'on a trouvé comme défense contre son Destin. Faut pas espérer laisser sa peine nulle part en route. C'est comme une femme qui serait affreuse la Peine, et qu'on aurait épousée. Peut-être est-ce mieux encore de finir par l'aimer un peu que de s'épuiser à la battre pendant la vie entière. Puisque c'est entendu qu'on ne peut pas l'estourbir ?
 (Voyage au bout de la nuit, Poche, 1968, p. 344)

 

 

 

                                                                                                              ***

 

 

 

           LA MASSE NE LIT QU'AUX CABINETS...

  " Vous êtes tellement abruti Professeur Y que faut tout vous expliquer !... je vais vous mettre les points sur les i ! Ecoutez bien ce que je vous annonce : les écrivains d'aujourd'hui ne savent pas encore que le cinéma existe !... et que le cinéma a rendu leur façon d'écrire ridicule et inutile... péroreuse et vaine !...
 - Comment ? comment ?
 - Parce que leurs romans, tous leurs romans gagneraient beaucoup, gagneraient tout, à être repris par un cinéaste... leurs romans ne sont plus que des scénarios, plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !... le cinéma a pour lui tout ce qui manque à leurs romans : le mouvement, les paysages, le pittoresque, les belles poupées, à poil, sans poil, les Tarzan, les éphèbes, les lions, les jeux du Cirque à s'y méprendre ! les jeux de boudoir à s'en damner ! la psychologie !... les crimes à la veux-tu voilà !... des orgies de voyages ! comme si on y était ! tout ce que ce pauvre peigne-cul d'écrivain peut qu'indiquer !... ahaner plein ses pensums ! qu'il se fait haïr de ses clients !... il est pas de taille ! tout chromo qu'il se rende ! qu'il s'acharne ! il est surclassé mille !... mille fois !

 - Que reste-t-il au romancier, alors, selon vous ?
 - Toute la masse des débiles mentaux... la masse amorphe... celle qui lit même pas le journal... qui va à peine au cinéma...
 - Celle-là peut lire le roman chromo ?...
 - Et comment !... surtout tenez, aux cabinets !... là elle a un moment pensif !... qu'elle est bien forcée d'occuper !...
 - Ça fait combien de lecteur cette masse ?
 - Oh ! 70... 80 p. 100 d'une population normale.
 - Dites donc, une sacrée clientèle !... " Ça le rend rêveur...
 (Entretiens avec le Professeur Y, Folio, 1995, p.23).

 
 

 

 

                                                                                                            ***

 

 


 

      LETTRE à un CONFRERE (La Vie  Nationale).

                                                                                  Le 27 août 1940

                Mon cher Confrère,

  Toutes ces bonnes choses, ne trouvez-vous pas ? eussent gagné à être dites, écrites surtout, trois ou quatre années plus tôt, sous Blum, par exemple ?
   Qui les écrivait alors ? Personne.
   Qui baisait les mules à Blum ? Tout le monde.
   Les Blumistes d'hier sont les Hitlériens d'aujourd'hui, à peu de choses près, et si le vent souffle, les communistes de demain...
   Les mêmes vus de dos.
  " Qui faisait les chaussures fera toujours les chaussures. "
  Ce peuple clos, racorni, sans folie, grimacier, sans cœur, tourne en rond sans sa raison d'être : chier toujours de plus gros colombins. La France n'est plus qu'un énorme concours de vidanges. La France est à refaire. Là où il nous faudrait un lyrisme de feu on nous propose des jus de pandectes. Misère ! éternelle connerie de ce pays abruti de raison, prosaïque comme une panse . - Nous périssons non seulement de raclée militaire, d'alcoolisme invétéré, de vinasserie inondante, d'égoïsme absolu, de juiverie forcenée, de boustifaille éperdue, mais surtout, avant tout, de notre haine de tout lyrisme.
   La Tare n'est pas d'hier !
  Aucun lyrisme de Villon à Chénier !
  C'est " Mr Mon sous le dieu mufle ".
  Qui hait le lyrisme crève ignoblement. Les poubelles sont là.
     A vous bien cordialement.
                                                                     L.-F. CELINE.

 


 

 

 

                                                                                                                                       ***

 


 

 

             DANS MEA CULPA.

 Ça va finir l'imposture ! En l'air l'abomination ! Brise tes chaînes, Popu ! Redresse-toi, Dandin !... Ça peut pas durer toujours ! Qu'on te voye enfin ! Ta bonne mine ! Qu'on t'admire ! Qu'on t'examine ! de fond en comble !... Qu'on te découvre ta poésie, qu'on puisse enfin à loisir t'aimer pour toi-même ! Tant mieux, nom de Dieu ! Tant mieux ! Le plus tôt sera le mieux ! Crèvent les patrons ! En vitesse ! Ces putrides rebuts ! Ensemble ou séparément ! Mais pronto ! subito ! recta ! Pas une minute de merci ! De mort bien douce ou bien atroce ! Je m'en tamponne ! J'en frétille ! Pas un escudos de vaillant pour rambiner la race entière ! Au charnier, chacals ! A l'égout ! Pourquoi lambiner ? Ont-ils jamais, eux, velus, refusé un seul frêle otage au roi Bénéfice ?

 [...] Vive Pierre Ier ! Vive Louis XIV ! Vive Fouquet ! Vive Gengis Khan ! Vive Bonnot ! la bande ! et tous autres ! Mais pour Landru pas d'excuses ! Tous les bourgeois ont du Landru ! C'est ça qu'est triste ! irrémédiable ! 93, pour ma pomme, c'est les larbins... larbins textuels, larbins de gueule ! larbins de plume qui maîtrisent un soir le château, tous fous d'envie, délirants, jaloux, pillent, crèvent, s'installent et comptent le sucre et les couverts, les draps... Comptent tout !... Ils continuent... Jamais ils ont pu s'interrompre. La guillotine c'est un guichet... Ils compteront le sucre jusqu'à leur mort ! Les morceaux, fascinés. On peut tous les buter sur place... Ils sont toujours dans la cuisine. Rien à perdre ! On peut estimer pour du vent leur brelan d'intellectuels, impressionnistes confusionnistes à tendances, tantôt bafouilleux vers la gauche, tantôt sur la droite, au fond de leur putaine âme tous farouchement conservateurs, doseurs de fines arguties ; tout farcis d'arrière-pensées.

 Ça suffit la vue du réglisse ! Ils iront où l'on voudra, à l'odeur de la vache prébende, à la perspective du tréteau... C'est pas eux qui peuvent la racheter l'imbécilité titanesque, la crasse chromée du cheptel !... Putains de race ils découlent... A l'égout donc aussi l'engeance !... Qu'on nous en parle plus du tout !... Les autres d'en face, c'est du même, pénétrés " redresseurs de torts " à 75 000 francs par an.
  Se faire voir aux côtés du peuple, par les temps qui courent, c'est prendre une " assurance-nougat ". Pourvu qu'on se sente un peu juif ça devient une " assurance-vie ". Tout cela fort compréhensible. Quelle différence, je n'en vois pas, entre les Maisons de la Culture et l'Académie française ? Même narcissisme, même bornerie, même impuissance, babillage, même vide. D'autres poncifs, à peine, c'est tout. On se conforme, on se fait reluire, on se rabâche, ici et là, exactement.

  [...] Enfin voici le principal ! Voici une bonne chose de faite !... Voilà Prolo libre ! A lui, plus d'erreur possible, tous les instruments dont on cause, depuis le fifre jusqu'au tambour !... La belle usine ! Les mines ! Avec la sauce ! Le gâteau ! La banque ! Vas-y ! Et les vignes ! et le bagne aussi ! Un coup de ginglard ! Tout descend ! Nous voilà tout seuls ! Cœur au ventre ! Prolo désormais chargé de tous les bonheurs du troupeau... Mineur ! la mine est à toi ! Descends ! Tu ne feras plus jamais grève ! Tu ne te plaindras plus jamais ! Si tu gagnes que 15 francs par jour ce seront tes 15 francs à toi ! 
 Tout de suite faut l'avouer ça s'engueule. Il pue aussi un peu le larbin. Il a, l'homme de base, le goût des ragots... C'est véniel, ça peut s'arranger ! Mais y a tous les vilains instincts de cinquante siècles de servitude... Ils remontent dare-dare, ces tantes, en liberté, encore beaucoup mieux qu'avant ! Méfiance ! Méfiance !... Etre la grande victime de l'Histoire ça ne veut pas dire qu'on est un ange !... Il s'en faudrait même du tout au tout !...Et pourtant c'est ça le préjugé, le grand, le bien établi, dur comme fer !...

  " L'Homme est tout juste ce qu'il mange ! " Engels avait découvert ça en plus, lui malin ! C'est le mensonge colossal ! L'Homme est encore bien autre chose, de bien plus trouble et dégueulasse que la question du " bouffer ". Faut pas seulement lui voir les tripes mais son petit cerveau joli !... C'est pas fini les découvertes !... Pour qu'il change il faudrait le dresser ! Est-il dressable ?... C'est pas un système qui le dressera ! Il s'arrangera presque toujours pour éluder tous les contrôles !... Se débiner en faux-fuyants ? Comme il est expert ! Malin qui le baisera sur le fait ! Et puis on s'en fout en somme ! La vie est déjà bien trop courte ! Parler morale n'engage à rien ! Ça pose un homme, ça le dissimule. Tous les fumiers sont prédicants ! Plus ils sont vicelards plus ils causent ! Et flatteurs ! Chacun pour soi !...

  Le programme du Communisme ? malgré les dénégations : entièrement matérialiste ! Revendications d'une brute à l'usage des brutes !... Bouffer ! Regardez la gueule du gros Marx, bouffi ! Et encore si ils bouffaient, mais c'est tout le contraire qui se passe ! Le peuple est Roi !... Le Roi la saute ! Il a tout ! Il manque de chemise !... Je parle de Russie. A Leningrad, autour des hôtels, en touriste, c'est à qui vous rachètera des pieds à la tête, de votre limace au doulos.
  L'individualisme foncier mène toute la farce, malgré tout, mine tout, corrompt tout. Un égoïsme rageur, fielleux, marmotteux, imbattable, imbibe, pénètre, corrompt déjà cette atroce misère, suinte à travers, la rend bien plus puante encore.
 (Cahiers de la NRF, Céline et l'actualité 1933-1961, Gallimard, janvier 2003, p.34).   





 

 

                                                                                                                                              ***

 


 

       Cachet de la poste :
                                              2 mars 1935
                Cher Elie,

  Le malheur en tout ceci c'est qu'il n'y a pas de " peuple " au sens touchant où vous l'entendez, il n'y a que les exploiteurs et les exploités, et chaque exploité ne demande qu'à devenir exploiteur. Il ne comprend pas autre chose. Le prolétariat héroïque égalitaire n'existe pas. C'est un songe creux, une faribole, d'où l'inutilité absolue, écœurante de toutes ces imageries imbéciles : le prolétaire à cotte bleue, le héros de demain - et le méchant capitaliste repu à chaîne d'or. Ils sont aussi fumiers l'un que l'autre. Le prolétaire est un est bourgeois qui n'a pas réussi. Rien de touchant à cela : une larmoyerie gâteuse et fourbe. C'est tout - Un prétexte à congrès, à prébende, à paranoïsmes ! L'essence ne change pas. On ne s'en occupe jamais. On bave dans l'abstrait. L'abstrait c'est facile. C'est le refuge de tous les fainéants. Qui ne travaille pas est pourvu d'idées générales et généreuses. Ce qui est beaucoup plus difficile c'est de faire rentrer l'abstrait dans le concret.

  Demandez-vous à Breughel, à Villon, s'ils ont des opinions politiques ?...
 J'ai honte d'insister sur ces faits évidents... Je gagne ma croûte depuis l'âge de 12 ans (douze). Je n'ai pas vu les choses de dehors mais de dedans. On voudrait me faire oublier ce que j'ai vu, ce que je sais - me faire dire ce que je ne dis pas. Je serais fort riche à présent si j'avais bien voulu renier un peu mes origines. Au lieu de me juger, on devrait mieux me copier. Au lieu de baver ces platitudes - tant d'écrivains écriraient des choses enfin lisibles. La fuite vers l'abstrait est la lâcheté même de l'artiste - Sa désertion - Le congrès est sa mort - La louange son collier - d'où qu'elle vienne.

  Je ne veux pas être le premier parmi les hommes. Je veux être le premier au boulot - Les hommes je les emmerde tous, ce qu'ils disent n'a aucun sens - Il faut se donner entièrement à la chose en soi. Ni au peuple - ni au Crédit Lyonnais.
 A personne.
 Bien affect.
                                                                                                                                         LOUIS F. CELINE. 

                      

 

 

 

                                                                                               ***


 

 

 

" (...) Le peuple il a pas d'idéal, il a que des besoins. C'est quoi des besoins ? C'est que ses prisonniers reviennent. (...) Ça suffit pas la misère pour soulever le peuple, les exactions des tyrans, les grandes catastrophes militaires, le peuple il se soulève jamais, il supporte tout, même la faim, jamais de révolte spontanée, il faut qu'on le soulève, avec quoi ? Avec du pognon.

  Pas d'or pas de révolution. Les damnés pour devenir conscients de leur état abominable il leur faut une littérature, des grands apôtres, des hautes consciences, des pamphlétaires vitrioleux, des meneurs dodus francs hurleurs, des ténors versés dans la chose, une presse hystérique, une radio du tonnerre de Dieu, autrement ils se douteraient de rien, ils roupilleraient dans leur belote. "

  (...) Mais Céline vise les meneurs bolchéviques de 1917 qui furent financés par des trusts apatrides. Pour Céline, les idéologies sont des miroirs, des prismes déformants qui se renvoient des images contradictoires, pour s'en nourrir dans une conjuration savamment ourdie par quelques oligarchies. D'où son apparente approbation du judaïsme républicain et du ministère Blum:

 - " Le juif est l'ami de l'ouvrier, démocrate, ami du progrès, partisan de l'Instruction Publique, du suffrage des femmes. C'est ça qui compte ! C'est autre chose que du cagoulard. Un ami de la Liberté ! C'est un persécuté le juif, un homme qui souffre pour sa religion ! "
  (Les Beaux draps).

                             
 

                                                                                  
 

                                                                                ***

 

 

 

                                 ENFANT DU PEUPLE...

  Il existe pourtant de nombreuses preuves de déformations entre l'histoire vécue de Destouches et la vie affichée de Céline-Bardamu : la substitution du thème de la guerre à celui de la SDN d'abord retenu dans L'Eglise ; l'effacement des recherches intellectuelles et des agréments pendant son séjour africain, notamment les profits pécuniaires, qui tenaient tant à cœur à Destouches ; la bravoure du cavalier Destouches, parfaitement couverte par le cri pacifiste de Bardamu ; le remplacement de la visite américaine du docteur Destouches en qualité de fonctionnaire de la SDN, alors accueilli à la Maison Blanche par le président Coolidge en personne, par le portrait assombri de Bardamu à l'usine Ford et au Bureau des Statistiques de New York, etc.
  La prolétarisation délibérée des traits biographiques de Destouches et l'histoire américaine de Bardamu ouvrier, dont un certain Marcel Lafaye fournit la toile de fond réaliste, nous conduisent à penser que Céline, conscient de la valeur de la figure du " peuple ", l'exploite, quitte à forcer la vérité. Car, l'image de l'écrivain, qualification sociale qui ne requiert pas de vérification factuelle, est un " avoir " symbolique dont ses productions à venir et ses comportements doivent nécessairement tenir compte.
  Céline n'a-t-il pas écrit lors de l'affaire Goncourt à Garcin, l'un de ses rares confidents : " La critique déconne, je suis le phénomène et il s'agit de faire le pitre, c'est dans mes cordes vous le savez. [...] Il faut donner aux gens ce qu'ils attendent ? " 
  "
Faire le pitre ", c'est " faire le peuple ", figure en pleine ascension au sein d'une fraction importante du champ littéraire. De même lors de la parution de Mort à crédit en 1936, Céline lui écrit ceci : " Mes parents n'ont rien à voir là-dedans. Vous êtes quelques-uns qui connaissent la réalité. Aux autres les petites histoires et le cirque - Céline ci Céline ça toute la galerie. "
  
Céline donne ainsi aux lecteurs ce qu'ils attendent de l'auteur de Voyage, et garde l'envers de Bardamu par-devers lui, fils de petits bourgeois, médecin habitué aux voyages transatlantiques et aux hôtels luxueux. L'image de l'écrivain, faisant partie intégrante, au même titre que les thématiques ou le style, de l'œuvre.
  Céline offre à plein temps un discours et un comportement conçus selon " une biographie modèle d'écrivain prolétarien, à la Guéhenno, à la Guilloux, à la Dabit, à la Poulaille. "
  (Mie-Kyong SHIN, Position en porte-à-faux, BC n° 230, avril 2002).

                                    

 

 

 

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     INTERVIEW avec Claude JAMET  (Germinal).

 Socialisme, qu'est-ce que ça veut dire ? La S.F.I.O. ? Les trois flèches ? Le chapeau de Blum ? Le crâne d'Auriol ? Tout le monde est socialiste de nos jours. A qui mieux mieux ! Ils se l'arrachent ! M. Wendel est socialiste, et M. le Comte de Paris itou ! Les enfants de chœur sont socialistes ! Les dames de la Croix-Rouge ! Le Pape ! La Banque Morgan ! M. Weygand ! Tout ça finit par faire du tort. Vous me dites que vous , vous êtes des vrais ? Mais l'étiquette reste la même. A quoi voulez-vous qu'on reconnaisse ? Parmi tant de contrefaçons, drogues, tisanes, eau de rose, eau bénite ? Que votre appellation est vraiment contrôlée ? On ne vous entendra seulement pas. Crédit est mort ! Que voulez-vous ? Le peuple, il a un préjugé, maintenant, en bloc contre tout ça. Il ne croit plus à grand'chose, dans le genre. Chat échaudé ! Il se méfie atroce, il a pas tort...

 [...] Toute la question, c'est de leur donner du positif, aux prolétaires des temps qui courent. Ils sont devenus pires que saint Thomas, tous, sous le rapport de la méfiance. Ils veulent toucher. Pas des discours. De la viande. Pas de bavardage, pas de vagues salades. Du substantiel, du consistant. On ne les a plus avec des bulles ! Autrefois, oui, c'était facile. Le peuple français, naturellement, il était anti ; c'était tout. Le fond celtique. La vieille bisbille. Il votait contre, n'importe quoi. Les jésuites, les francs-maçons ! Le citoyen, quand il pouvait voir sur la place de son village, sous les platanes, l'instituteur et le curé en train de bien s'engueuler, il avait le sentiment de vivre un grand moment de politique ; d'être en plein cœur, dans l'intime des choses ! Son député, il ne lui demandait jamais de tenir les promesses qu'il avait faites : une pissotière, une crèche modèle, un nouvel asile d'aliénés.
  Pourvu qu'il ait bien emmerdé les autres, ceux de l'autre bord, ça lui suffisait ; il le réélisait, d'enthousiasme ; il le reportait à la Chambre en triomphe !

 [...] L'Egalitarisme ou la mort ! Les Prolétaires d'un côté, les bourgeois de l'autre, ils ont au fond qu'une seule idée : devenir riches, ou le rester ; l'envers vaut l'endroit, c'est pareil. Les uns envieux, les autres avares ; mais tous cupides également, fielleux, haineux, la gueule de travers, au caca, malades autant les uns que les autres de la même honteuse maladie : de l'argent, qu'ils ont ou qu'ils n'ont pas. Ils en crèveront si on les laisse tels qu'ils sont.
  Deux Français millionnaires sur trois, à l'heure actuelle ! C'est comme une tumeur dégueulasse, infecte, qui leur dévore la vie. Déjà, ils ne peuvent plus se supporter. Ils peuvent plus même se regarder, les uns les autres. Tant ils se dégoûtent ! Je ne connais qu'un remède : pas de discours, faut opérer ça d'un seul coup, inciser l'abcès à fond, que ça dégorge ! Qu'on n'en parle plus.

  Tout partager ! L'argent, les ronds ! Ouvrir Pognon ! Vider le bas de laine ! Le coffre-fort, ses tripes d'or au soleil ! Le grand nettoyage par le vide ! La grande justice devant le pèze ! Je décrète salaire national maximum 100 francs par jour, 150 francs pour les ménages, 25 en sus, à partir du troisième môme. Comme vous voyez, j'ai tout prévu !
 (Cahiers de la NRF, Céline et l'actualité 1933-1961, Gallimard, janvier 2003, p.208).

 

 


 

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      INTERVIEW avec Francine BLOCH.
 

  Ceci est la transcription de l'enregistrement d'une interview inédite de Louis-Ferdinand Céline, réalisée le 16 juin 1959 à son domicile par Francine Bloch, collaboratrice de la Phonothèque nationale pour les archives de cette institution.
 
 
Mais je me dis que : l'homme est ainsi fait que ce qui lui manque c'est le cirque romain. Alors c'est pas un individu très agréable, ce qu'il voudrait c'est de la mise à mort, bien palpitante, qu'il voit sous ses yeux, là. Vous faites vider n'importe quel théâtre, vous avez des théâtres, vous voulez présenter du Molière, ou n'importe quoi, du Shakespeare même, ou des comédies du boulevard ou du cinéma. Je vous fais vider tout ça si vous remplissez le Coliseum. Y'avait 129 000 places ! Ben nous n'avons pas un spectacle comme ça et là je vous assure que les gens jouissaient, bien, les sénateurs au premier rang, les vestales aussi, et l'empereur nom de Dieu...

  Pensez qu'on faisait grief à César parce qu'il envoyait des dépêches au lieu de regarder la mise à mort... parce qu'il avait des dépêches à envoyer. Et ben ça, on lui en tenait grief, on lui disait qu'il était léger, parce que c'était vraiment ce qui importait c'est la mise à mort. Vous représentez des Pancrace et des machins et des brutalités, des boxes, mais c'est rien, c'est fade, le goût profond de l'homme c'est la mise à mort douloureuse, c'est la vivisection sous ses yeux, voilà ce qu'il veut voir.

 - Oui, mais vous croyez que c'est général ? Bien sûr, il y a, je constate... Il y a... je crois que ... il y a beaucoup de gens qui ressentent ça, il y a beaucoup de sadiques...

 - oh, toutes des mignonnes, va, oh, mais la course aux taureaux quoi, c'est une petite chose, n'est-ce pas ?

 - Oui, la course de taureaux, le catch...

 - Oui, mais c'est des petites choses à côté de ce qu'on voudrait vraiment, le strip-tease, tout ça, tout ces spectacles-là sont des spectacles d'enfants, n'est-ce pas, à côté de leurs goûts profonds. Vous voyez à l'époque de l'épuration, alors là ils se donnent libre cours... à la Saint-Barthélemy, en 89, en toute occasion, vraiment.

 - Oui, et les camps de concentration.

 - Aux grandes... oui, la même chose. Aux grandes époques, alors voyons là vous le voyez bien, alors c'est ça qu'il attend. Qu'est-ce qu'il a le peuple en ce moment-ci, ben il s'ennuie, qu'est-ce qu'il voudrait ? Une épuration. Oui, il voudrait une épuration le peuple. Voilà ce qui lui manque. Voilà. Ben vous savez alors dans ces conditions-là... et comme cet instinct est solide, bien plus que du granit, c'est du diamant, c'est pire que du diamant. Alors, c'est de la gamète. C'est très fort, il a ça dans le boyau n'est-ce pas ! Inné. Et ça c'est... il change pas, l'homme ne change pas, il est le même. Cinq cents millions d'années qu'on le connaît, c'est le même. Ah, même l'hominien on le connaît vous savez, qu'est-ce que c'est qu'on voit dans la préhistoire, on voit des pierres, des pierres à torture, qu'est-ce que vous voyez, qu'est-ce que vous voyez ?

 - Oui il y en a toujours eu.

 - Vous voyez un cercle de pierres où les gens s'asseoyaient et puis une pierre à torture dans le milieu exprès pour renverser un bonhomme et lui couper tout, n'est-ce pas, c'est à ça que s'amusait la préhistoire, ils s'amusaient... à décerveler les gens vivants. Eh ben ça ne leur manque pas.

 - Oui maintenant on tuera deux cent mille personnes à la fois comme à Hiroshima.

 - Oui mais encore Hiroshima c'est une espèce d'exécution capitale, ça ne satisfait... c'est...

 - Ce n'est pas la torture... Et c'est aussi la torture tout de même.

 - Oui, mais pas aussi bien que ... que les Gaulois... ont duré d'ailleurs quatre siècles avec le cirque, n'est-ce pas. La grande civilisation romaine c'est quatre siècles de cirque. Le jour où ils ont supprimé le cirque... les catholiques qui ont supprimé le cirque, et ben à ce moment-là ils ont capoté. Alors vous savez... Ah bah, c'est un individu, je le regrette, que j'abandonnerais sans peine n'est-ce pas, parce que il a vraiment de sales instincts qui sont irrémédiables parce que je ne sais pas quand on me lira à la Bibliothèque Nationale dans trois siècles-là, je ne sais pas s'ils auront changé d'instinct, mais j'en serais bien étonné, trois siècles qu'est-ce que c'est que ça, c'est rien du tout, n'est-ce pas, en cinq cent millions d'années on n'a pas changé d'instinct, les pierres qu'on trouve, les cerveaux qu'on trouve sont des pierres de torturés, voilà ce qu'on voit, des pierres de torturés voilà, c'est tout.
 Alors ça déjà... Je suis l'ennemi de la violence, mais par là un monstre, parce que l'homme est naturellement... aime la violence et c'est sa vie.
 (Cahiers de la NRF, Céline et l'actualité 1933-1961, Gallimard, janvier 2003, p.445).  

 

 

 

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