CELINE et L'IMMOBILIER...
Le
Courrier des Yvelines,
hebdomadaire du Nord-est des Yvelines, consacre, dans
ses pages été du mois d'août 2011, une série de cinq
articles à Louis-Ferdinand Céline. Voici l'avant dernier
volet paru dans le numéro du 24 août.
Louis-Ferdinand
Céline et Saint-Germain-en-Laye. C’est l’écriture, pour
partie de Mort à crédit, c’est aussi le début de
la guerre. Il s’installe comme médecin rue de Bellevue,
mais l’expérience tourne court... 3 mois !
On
domine tout Paris de la terrasse du château de
Saint-Germain-en-Laye. En particulier le quartier de la
Défense, et Courbevoie, où naquit Céline le 27 mai 1894,
dans le quartier de la rampe du pont, remplacé par les
tours et le périphérique aujourd’hui. C'est là aussi que
naquit Arletty, l'amie de Céline restée fidèle après
guerre (1). Mais considérons que c'est la banlieue de
Paris toute entière, d'Andrésy à Neuilly, et de
Montmartre à Croissy qui inspira Céline. Dans Mort à
crédit, le roman qui correspond d'un point de vue
littéraire à l'enfance de Céline, l'auteur écrit à
propos de sa mère, Marguerite, marchande de dentelles :
« On lui avait dit à ma mère, qu'elle pourrait de
suite essayer sa chance au marché du Pecq, et même à
celui de Saint-Germain, que c'était le moment où
jamais à cause de la vogue récente, que les gens
riches s'installaient partout dans les villas
du coteau... qu'ils aimeraient ses dentelles pour
leurs rideaux dans les chambres, les dessus de
lit, les jolis brise-bise... C'était l'époque
opportune. » (2)
Un appartement rue Claude Debussy
Fin 1932, Céline est devenu célèbre grâce au Voyage au bout de la nuit.
Ce succès lui apporte la gloire médiatique, et beaucoup
d'argent car le Voyage s'est vendu à plus de 100
000 exemplaires et a déjà été traduit en plusieurs
langues. Mais la critique attend au tournant le deuxième
roman... Céline débute Mort à crédit fin 1933 -
début 1934, et travaille à l'écriture du manuscrit
jusqu'à sa remise aux éditions Denoël, début 1936.
L'afflux d'argent ne change pas fondamentalement le mode
de vie de
l'écrivain. Fils de commerçants, il a grandi avec la
nécessité de « faire tourner la boutique ». Il
continue donc à travailler à son dispensaire. Une partie
de l'argent qu'il a gagné avec ses droits d'auteurs est
réinvestie dans l'immobilier. Céline achète un
appartement à Saint-Germain-en-Laye où il vient profiter
du calme pour écrire.
Le 7 décembre 1933, il achète au peintre Charles Brooke Farran un trois
pièces et salle de bains, au 5ème étage du 1, rue Claude
Debussy, « tout moderne », et dominant la forêt.
Un bon placement.
Pourquoi Saint-Germain-en-Laye ? Probablement parce que la ville
est bien desservie par le chemin de fer, pas trop loin
de Paris. Il écrit dans ses correspondances aimer «
l'air de Saint-Germain ». Le calme des lieux est
propice à l'écriture. De septembre 1935 à février 1936,
Céline prend une chambre à l'hôtel du Pavillon Royal,
mais il a gardé l'appartement de la rue Lepic à Paris.
Il compte le quitter en avril de l'année suivante. «
Me voici ici, fixé à Saint-Germain. Je quitte la rue
Lepic. Je n'y tiens plus. C'est le cœur aussi sans doute
qui flanche. C'est l'âge. Je vais chaque jour à Paris
pousser ma roue... Mais tout aura une fin
j'espère... Quelle horreur cette infâme sujétion
des boulots. Je le traîne depuis 31 ans !
», écrit-il à Eugène Dabit (3).
La correspondance avec son ami, le peintre Henri Mahé, qui vivait sur une
péniche à Croissy-Bougival (4), atteste aussi de cette
intense activité littéraire : « (...) Je ne débloque
pas du bouquin, je suis en maison pour ainsi dire. Je ne
sors plus. St Germain me donne plus de ton. Je suis
machine, je tourne mieux. Quelle vie ! Vu ici Gencive et
Jojo, deux bons petits gars. Bien inspirants. Ce
sera pour le prochain blot. L'actuel sera terminé
vers mars, point avant. C'est court. C'est
long. Il faut tirer juste et profond. (...) » A
Saint-Germain, il termine donc Mort à crédit tout
en mijotant Guignol's Band... La semaine, il
écrit à Paris, le week-end à Saint-Germain-en-Laye, et à
Saint-Malo pendant les vacances. Après la sortie de son
deuxième roman en 1936, Céline revient épisodiquement à
Saint-Germain-en-Laye.
Médecin libéral sans la vocation
En
1939, le docteur Destouches ouvre un cabinet médical au
15 rue de Bellevue,
une expérience qui tourne court. Avec la danseuse
Lucette Almansor rencontrée en 1936, il s'installe dans
une petite maison en location. Il fréquente Madame
Marzouk, qui tenait une librairie. Lucette Almansor,
qu'il épousera en 1943, distribue des cartes
de
visite aux pharmaciens et en dépose dans les boîtes à
lettres. Mais Céline ne parvient pas à se constituer une
patientelle. Le médecin est pressé car son roman est
très mal accueilli par la critique, et les ventes sont
mauvaises. Voilà comment l'intéressé décrit son arrivée
à Saint-Germain à sa secrétaire Marie Canavaggia, dans
une lettre qu'il lui adresse douze jours après la
déclaration de guerre à l'Allemagne : « Cette horreur
est tombée sur nous avec une telle débauche de calamités
violentes, imprévisibles, que j'ai été un peu déconcerté
pendant quelques jours. Car enfin à présent je n'ai plus
aucune ressource ni littéraire ni autre. Et dans
mon cas - ... J'ai trois personnes à ma
charge. J'essaye de monter une clientèle ici mais
les débuts, même en guerre, sont tout à fait
difficiles. La maison n'est pas prête. Rien
n'est prêt. Enfin c'est un chapitre de plus à
cette niaise apocalypse. » (5)
Au mois de novembre 1939, Céline poursuit la narration de ses déboires,
mais l'expérience saint-germanoise a déjà pris fin. Cela
nous est raconté dans une lettre à son ami Gen Paul,
peintre très en vue, tout comme Mahé : « J'ai déjà au
moins tenté vingt trucs depuis septembre. J'en ai eu des
marrants et des sinistres. C'est le sauve-qui-peut.
Paris a l'air de rebourner un peu. Ils ont moins la
chiasse - et du permissionnaire dans l'air. Tout
doucement le mercanti reprend du poil, alors ça
va sans doute aller mieux. Quand le fumier
déborde on recommence à croquer un peu. Ma mère
est cloche, de même Pipe, et la fille. Enfin la
marrance totale. Mais le moral est bon.
» (6)
« On se serait cru au théâtre »
Céline n'a jamais voulu prendre le temps de faire sa place de médecin
libéral à Saint-Germain-en-Laye. Le docteur Destouches
demeure le docteur des pauvres, l'exercice de la
médecine au dispensaire de Clichy l'a marqué, et la
misère humaine reste une source d'inspiration
essentielle pour l'écrivain. D’ailleurs à Saint-Germain,
a-t-il jamais été à sa place ? Céline s'épanouit auprès
du peuple, « le bourgeois » ce n'est pas son
truc. Et ce dernier lui rend bien ! Voyons ce que
rapporte Lucette Destouches de cet épisode tragicomique
quelques décennies plus tard : « On se serait cru au
théâtre », écrit-elle. « Ça ne faisait pas
sérieux ; je me souviens d'un noyer magnifique dans le
jardinet. (...) On ne vit jamais un client.
Louis aimait Saint-Germain et ses terrasses. (...) Il
aurait voulu que j'y donne des leçons au
conservatoire local. Pourquoi pas ? Mais d'abord,
il aurait fallu prendre pied dans la ville. Louis
était très impatient. Il aurait attendu un an,
peut-être un cabinet aurait-il donné quelque
chose mais après un mois d'attente vaine
il a voulu partir. » (7)
Après
cet échec, Céline part à Marseille pour s’enrôler dans
la marine toujours comme médecin « trimballeur de
seringues ». Il ne reverra pas
Saint-Germain-en-Laye. En 1951, à son retour d'exil
forcé du Danemark, qui lui permet d'échapper à
l'épuration (8), il demande à son avocat Me Tixier-Vignancour
de s'occuper de sa maison de Dieppe, de celle de
Saint-Leu, et évoque l'appartement de la rue Debussy. Il
le donnera finalement la même année à Jules Almansor, le
père de Lucette, pour le remercier des services rendus
pendant leur exil danois. A son retour du Danemark, il
pense un temps y revenir, pour y finir ses jours. Son
projet est de racheter une sorte de villa avec jardin
pour s'y installer avec Lucette, et leur « ménagerie
». Il choisira Meudon.
Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
(Saint-Germain, le calme avant la tempête, Le
Petit Célinien, vendredi 26 août 2011).
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AU
RENDEZ-VOUS DES MARINIERS.
Toujours
selon les notes de sa mère et les archives de sa
famille, Dominique Fernandez nous apprend, dans Ramon,
que Céline avait été, à ce moment-là, intéressé par
l'appartement du quai de Bourbon que ses parents
voulaient quitter, pour échapper sans doute à l' "
écrasante proximité " de Mme Fernandez mère.
A Ramon, Céline écrit ainsi : " Avec beaucoup de discrétion puis-je me
permettre de vous faire souvenir que je suis candidat à
votre appartement quand vous aurez décidé votre départ ?
"
Il revient à la charge quelques jours plus tard : " Encore moi ! A propos
de votre appartement. Si vous vous décidiez au départ,
le saurez-vous pour le 15 avril ? Date à laquelle je
dois moi aussi donner congé. D'autre part pour la
reprise j'irai (tout mon possible, hélas !) jusqu'à 3
000 frs. "
Pour une raison ou pour une autre, les choses ne se firent pas. Les
Fernandez ne déménagèrent que le 18 mai 1933. Céline
resta rue Lepic, perché tout en haut de
Montmartre,
dominant la capitale, avant de s'installer rue Girardon,
à quelques pas de là, jusqu'à sa fuite en catastrophe,
loin de Paris, vers le Danemark qu'il espérait
atteindre, au début de l'été 1944.
Je
le déplore. Il me semble que l'île Saint-Louis, que la
vue dont il aurait bénéficié, depuis le quai de Bourbon,
sur les peupliers, la Seine, les trains de péniches,
l'animation populaire des berges de l'Hôtel-de-Ville et
des Célestins, sans oublier les bateaux-lavoirs en
contrebas du pont Marie, se seraient accordées à l'homme
Céline, à l'écrivain, au Breton qu'il était, obsédé par
l'eau, la poétique ou les rêveries des départs, des
grands voyages.
Relisons pour s'en convaincre les dernières lignes du Voyage !
" De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a
passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse, un
autre pont, loin, plus loin... Il appelait vers lui
toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville
entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il
emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus. "
Mieux,
la décrépitude de l'île, si farouchement à
l'écart de toute actualité, aurait justifié son regard
sur le monde ou sur son pays. Le Rendez-vous des
Mariniers serait devenu peut-être
sa cantine, pour lui si peu gastronome au demeurant, si
ascète. Et Lucette Almanzor, qui partagea sa vie à
partir de 1936 et devint par la suite son épouse, n'en
aurait pas été fâchée.
Elle aimait l'île Saint-Louis. Innombrables sont les promenades que nous
avons faites, quand elle venait nous retrouver quai
d'Anjou, Nicole et moi, pour le dîner ou pour le thé, et
qu'elle était encore assez vaillante pour marcher. Ne
nous a-t-elle pas confié un jour, avec le sourire - un
sourire empreint tout de même d'émotion -, que c'est
dans l'île Saint-Louis qu'elle avait été conçue, avant
que ses parents n'entreprissent de déménager, en 1912,
pour le quartier de la place Maubert ?
Comme
elle aurait été heureuse de vivre là, auprès de l'homme
qu'elle avait aimé et qu'elle accompagnerait à travers
ses fuites, ses exils et ses épreuves, des années
durant, elle la danseuse, la femme de la grâce et du
silence, comme pour tenter de donner un peu de légèreté
à leur vie - cet antidote aux obsessions, aux violences,
aux vertiges et aux hallucinations qui malmenaient
Céline, qui l'écrasaient et nourrissaient son œuvre !
Aurait-elle été un peu plus douce, cette vie, face aux peupliers qui
bordent la Seine, à proximité du Rendez-vous des
Mariniers ? L'île aurait-elle préservé Céline de ses
délires impitoyables, de ses pamphlets, de ses peurs, de
ses divagations racistes ? Je ne le crois pas. On
transporte toujours ses cauchemars avec soi. Il n'est
pas interdit tout de même d'y songer.
(Frédéric Vitoux, Au Rendez-vous des Mariniers, Fayard, 2016, p. 239).
**********************
EPOQUE ET LANGAGE.
Dans
une interview accordée au Nouvel-Europe Magazine
(déc. 1981, pp. 48-80), François Gibault donne également
son point de vue sur la réédition des pamphlets : " Il
est certain que les pamphlets sont des
œuvres intéressantes pour
les chercheurs et les gens qui s'intéressent à Céline et
que, sur le plan littéraire, ce sont des textes
importants. D'un autre côté, ce sont tout de même des
œuvres de circonstance qui
doivent être replacées dans leur temps, c'est-à-dire
avant la guerre, à une époque où beaucoup de gens, dont
Céline, sentaient poindre un nouveau conflit mondial et
où un vent d'antisémitisme soufflait sur toute l'Europe.
Les évènements tragiques de la guerre ont donné à ces pamphlets un aspect
dramatique qu'ils n'avaient pas avant la guerre. Le risque, c'est donc que le lecteur moyen ne comprenne
absolument pas ce qu'a voulu écrire Céline et déforme
complètement l'esprit dans lequel il a écrit ses
pamphlets.
Une réédition aurait alors un succès de scandale et relancerait une
mauvaise querelle à une époque où, malheureusement, les
passions ne sont guère éteintes dans notre pays. Sur le
plan politique, je crois donc qu'une nouvelle
publication des pamphlets serait tout à fait
inopportune. Les chercheurs qui veulent travailler sur
ces textes peuvent toujours les consulter en
bibliothèque ".
(BC n° 1, Premier trimestre 1982, p. 4).
**********************
LE VETO, LES ANIMAUX ET LA MAISON QUI BRULE...
-
Pommery, le vétérinaire. Lui c'était un merveilleux
garçon, d'une douceur parfaite, il a soigné tous mes
animaux. Il venait le dimanche matin. Il était très fin.
Il avait appelé son fils Tristan à cause de Wagner et il
l'avait élevé avec un tigre à cause de Kipling. Vous
voyez le genre ? Il était très littéraire. C'est lui qui
a fait L'Herne. Dominique de Roux était trop
brouillon. Pommery écrivait des pièces de théâtre très
amusantes, il en avait donné à lire à Céline.
Naturellement, Louis n'en a même pas lu le titre d'une
seule, mais moi si : j'aimais beaucoup malgré quelques
défauts de construction, j'ai eu le malheur de le dire à
Louis. Quand Pommery lui a demandé s'il avait lu ses
pièces, Louis lui a répété mon avis comme si c'était le
sien. Découragé, Pommery a arrêté d'écrire du jour au
lendemain, c'est idiot non ?
-
C'est un machin d'orgueil...
- Pommery était si gentil ! Vous savez que j'étais chez lui le jour de
l'incendie ? En 68, avec mon chat blessé, c'était un
jeudi, juste le jour où je ne donnais pas de cours. La
maison était vide. C'était criminel, j'en suis sûre...
Rigodon allait paraître. On parlait d'un livre de
Céline inédit. On croyait peut-être que c'était un
nouveau pamphlet. Les voisins d'à côté avaient reçu des
menaces plusieurs fois à ma place, par erreur
téléphonique. Je suis revenue de chez le vétérinaire
avec Billy dans les bras comme une momie dans ses
bandelettes. Tout un tas de policiers en bas de la
route. " On ne passe pas ! Une maison brûle. " Je dis en
riant : " C'est peut-être la mienne ! " En effet ! Elle
finissait de flamber. Les pompiers l'aspergeaient. Ils
ont même noyé Tomy mon chien-loup qui était resté dans
la cave sans vouloir sortir.
Les autres, Delphine et Cricri étaient dans le jardin en cendre. Ils
jouaient avec des bribes de manuscrits carbonisés qui
s'envolaient dans l'air...
Des morceaux de phrases de Louis flottaient au-dessus de
la carcasse de la maison. On aurait dit une épave de
bateau. La pelouse grillée était couverte de couteaux
tordus. Je n'aurais jamais cru avoir entassé autant de
couteaux ! A part ça, il ne restait rien, plus rien du
tout, juste les murs... Et quelques grands miroirs
debout dans les ruines, n'ayant plus rien à refléter...
Quand il vous arrive quelque chose de grave, vous voyez ça de très très
loin, comme si ça ne vous arrivait pas à vous, ça vous
rend léger et vide. Les voisins m'ont recueillie très
gentiment. François m'avait appelée comme tous les jours
à minuit. Une fois, deux fois, trois fois, ça ne
répondait pas. Alors, inquiet, il est venu. Il a vu le
spectacle. Il a vu les chiens qui erraient dans les
décombres. Il s'est dit que folle de tristesse, j'étais
certainement allée me noyer dans la Seine, et il a fait
cette chose très gentille, c'est de ramener les chiens
chez lui... Je l'ai rejoint rue Monsieur, et j'y suis
restée jusqu'à ce que Puck vienne me chercher : " Vous
ne pouvez pas habiter chez un homme ! ", alors je suis
allée chez elle à Saint-Cloud. Pendant plusieurs mois,
j'ai eu une vraie vie de bohémienne ! Je me déplaçais
tout le temps. En plus, j'entraînais chez les uns chez
les autres toutes mes danseuses... Comme un essaim
d'abeilles que je transportais d'une ruche à l'autre.
Et puis j'en ai eu marre, je suis revenue à Meudon. Je me suis installée
dans le garage avec le lit, seul lit rescapé (celui de
Louis enfant) et mes oiseaux. Ça
faisait un oiseau de plus dans la volière. C'est là que
cet horrible Michel Polac est venu me poser des
questions, et interpréter mes silences...
Peu
à peu, on a reconstruit la maison, mais comme il restait
quand même les murs, les assurances n'ont pas voulu la
considérer comme maison sinistrée : comme une idiote,
j'ai dit à l'assureur : " Moi j'adore le feu ! " Le
lendemain, il me remboursait une misère... Il a dû se
dire : " Elle est folle, celle-là, elle admire son
propre désastre ! " J'avais l'air complice du feu ! Le
feu me poursuit. Le feu m'aime. Il faut dire que tous
les meubles, toutes les affaires, je m'en foutais
complètement de les avoir perdus. Au contraire, ça m'a
même libérée. Du moment que Louis était mort, il fallait
que la maison ne soit plus la même... Le feu m'a aidée à
la transformer. Elle avait besoin de renaître, et moi
aussi...
Quand j'avais vraiment trop le cafard, je prenais ma voiture, je foutais
mes chiens dedans, un ou deux oiseaux parfois, et hop !
En pleine nuit, je roulais comme une folle, dans un
tourbillon de plumes et de poils, par la rive gauche,
toute la boucle jusqu'à la place Maubert. J'étais
poussée à aller là la nuit. C'était mon petit coeur
qu'on allait entendre battre là-bas avec mes bêtes. Et
puis je revenais à l'aube...
(Nabe, Lucette, Gallimard, Folio, juillet 2012, p. 82).
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LA BANQUE AU SERVICE DE Mr DESTOUCHES (PERE).
" J'ai fait
la connaissance de Mr Destouches en 1904 : j'étais alors
employé au service des titres d'une agence importante
d'une grande banque du quartier de la Bourse où Mr
Destouches avait un compte de dépôt de titres. Il venait
de temps en temps, tantôt seul tantôt avec son garçonnet
et ayant eu l'occasion de lui faire faire quelques
opérations heureuses, j'avais réussi à obtenir sa
confiance au point qu'avant de partir en vacances pour
un mois, il me remettait deux ordres de Bourse signés "
en blanc ", afin de lui faire effectuer une ou deux
opérations pendant son absence si je jugeais que
c'était intéressant pour lui.
En juillet 1906,
avant de partir en vacances, il me laissa donc deux
ordres en " blanc " que je conservai dans mon
tiroir de bureau. La Banque participait à cette époque à
une
émission d'oblig. Pensylvania Railroad Co à 3 3/4 % si
j'ai bonne mémoire, je ne fis pas souscrire Mr
Destouches à cet emprunt, il aurait fallu que je lui
fasse vendre des titres plus intéressants et je laissai
passer l'opération sans y participer.
Quelques jours après, ayant ouvert mon tiroir devant mon chef de bueau Mr
L..., celui-ci vit les ordres en blanc signés "
Destouches " et montra quelque étonnement que je n'aie
pas fait souscrire Mr Destouches à une opération
avantageuse pour la Banque et pour moi-même (l'employé
participait au placement des titres, bénéficiant d'une
partie de la commission de l'agence).
Je lui répondis en
lui montrant la liste du portefeuille Destouches, qu'il
n'avait aucun intérêt à souscrire à cet emprunt. Mr L...
se fâcha me disant que je devais avant tout
m'occuper des intérêts de la Banque qui me faisait
vivre, que mes scrupules étaient inadmissibles, qu'il
restait encore quelques titres de l'emprunt à placer et
qu'il serait dans l'obligation d'en référer au Directeur
si je persistais à refuser la souscription Destouches.
Le lendemain j'étais devant le Directeur de la succursale qui commença par
me couvrir de fleurs, que c'était exceptionnel d'accéder
au service des titres d'une importante agence de la
Banque avant le service militaire, qu'il avait pensé à
mon avenir, qu'il voulait faire de moi un second Mr L...
et qu'en ne faisant pas souscrire Mr Destouches, je
récompensais bien mal la confiance etc. etc.
Je renouvelai tout
ce que j'avais dit à mon chef de service et il me
répondit comme Mr L... en ajoutant que devant mon
entêtement, au lieu de favoriser mon avancement, il me "
casserait les reins ". Je lui répondis que partant au
Régiment en octobre, il n'aurait pas à me casser les
reins, qu'au retour du service militaire je ne
rentrerais pas à la Banque, écœuré que j'étais des
méthodes employées qui allaient jusqu'à fournir à
certains clients (notamment ceux qu'il avait amenés
d'une autre succursale) des états de titres truqués pour
que ces clients ne s'aperçoivent pas que leur capital
avait diminué par suite de certains placements, nous
dirons aventurés !!!
Quand Mr Destouches
rentra de vacances, je lui racontai toute cette histoire
et il me dit qu'à mon retour du service militaire, je
n'aurai qu'à venir le voir, qu'il me ferait rentrer dans
les assurances, au Phénix dont il était un des cadres et
que là je n'aurai pas de cas de conscience à me poser,
que l'honnêteté était la règle dans sa Compagnie et que
j'y ferai certainement mon chemin. C'est ainsi qu'en
1909 après mon service militaire Destouches me fit
entrer au Phénix point de départ de ma carrière dans les
assurances.
Mr Destouches que j'ai connu jusqu'à sa mort était un homme d'honneur,
d'une honnêteté parfaite. Il habitait à cette époque 64
Passage Choiseul où Mme Destouches tenait un magasin de
dentelles et autres lingeries de luxe.
Il m'est impossible d'avoir des souvenirs sur leur fils que je n'ai connu
que jeune garçon lorsqu'il accompagnait son père à la
Banque, puis vint la coupure de la grande guerre et mes
relations avec Mr Destouches s'espacèrent puis
s'éteignirent quand il quitta le Phénix. "
(Témoignage daté du 23 septembre 1962, Manuscrit autographe de 4 pages
signé " I. Mouloury ", archives Frédéric Monnier, Année
Céline 2017, p.119).
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Arthur PAULY, 16 ANS : IL POSTULE à L'ACADEMIE FRANÇAISE.
Plus original, François Gibault invitera à Meudon
Arthur PAULY, un jeune homme de seize ans (en 2013),
alors élève en seconde, qui avait eu le culot monstre de
se présenter à l'Académie française, à l'élection du
deuxième fauteuil, celui d'Hector Bianciotti. Aussi
improbable que cela puisse paraître, la candidature du
jeune impétrant avait été retenue par Mme Hélène Carrère
d'Encausse, le secrétaire perpétuel de l'Académie, et il
réussira même l'exploit d'être reçu par quelques "
immortels " qui seront épatés par les connaissances
littéraires et historiques du jeune homme.
Le 12 décembre 2013, le jour de l'élection, les
immortels doivent départager Catherine Clément,
Yves-Denis Laporte, Dany Laferrière, Jean-Claude
Perrier, Georges Tayar et Arthur PAULY, qui
obtient une voix, celle de Jean-Marie Rouart,
apparemment séduit par l'adolescent, au grand dam de
certains académiciens, qui s'étaient offusqués de ce
gâchis. Finalement, c'est l'écrivain haïtien Dany
Laferrière qui sera élu au deuxième fauteuil à une
écrasante majorité ; les académiciens ayant probablement
jugé que seize ans, c'est un peu jeune pour
l'immortalité... Cet échec ne démontera pas le jeune
homme, lycéen à... Meudon.
Passant
régulièrement devant le portail du 25 ter, et ne
masquant pas son admiration pour l'auteur de Voyage
au bout de la nuit, Arthur PAULY écrivit une
lettre à François Gibault lui demandant de pouvoir
rendre visite à Lucette. Amusé par la démarche du jeune
homme, le célèbre avocat souhaite au préalable le
rencontrer : " je ne peux évidemment pas vous présenter
Mme Destouches sans vous connaître au moins un peu. "
Le 31 mai 2014, la rencontre " autour d'un Coca-Cola " se déroula dans de
bonnes conditions, et le dimanche qui suivit, Arthur
PAULY reçut le coup de fil tant espéré : " Arthur, c'est
François Gibault ; prends tes affaires : je monte, je
t'emmène ! " La persévérance finit toujours par payer...
Le
jeune Rastignac relatera cette mémorable rencontre : "
Nous entendons d'abord les sifflements du perroquet
Toto, deuxième du nom, qui s'agite dans sa cage contre
la fenêtre. A côté, il y a une spatule en bois clair,
usée, rongée, pleine d'échardes, pour calmer l'animal
lorsqu'il chante trop fort. Au bout de la spatule, une
main, puis un bras et, au bout de ce bras, Mme
Destouches. J'ai cru voir un enfant. Une petite fille
dans une chaise longue, oui. Des cheveux très fins,
brillants, et les yeux qui pétillent là-dessous. On se
serre la main. Les doigts se tordent, comme broyés par
l'âge. L'épaule gauche échappe au gilet rose qui
l'enveloppe. " Intimidé, le jeune Arthur restera
silencieux, " en observation " face à la vieille dame et
quelques fidèles réunis.
Ce soir-là, c'est la finale de Roland-Garros entre Nadal
et Djokovic. Lucette " s'extasie devant la beauté des
joueurs qui ne sont pas mal fichus ". Au moment de se
séparer, le jeune homme offre un livre gentiment coquin
à Lucette avec une douce dédicace : " Alors j'emplis mes
yeux, dans un dernier regard ; je grave tout dans ma
mémoire, jusqu'au saladier vide posé sur la table basse.
Soudain, elle a ce geste comme une signature portée au
bas du souvenir. Lucette Almanzor, épouse Destouches,
sans se redresser, m'a jeté un baiser, du bout des
lèvres, d'un grand geste aérien, que j'ai reçu au creux
de ma main, tenue serrée le temps du voyage pour qu'il
ne s'envole pas. Je me suis rappelé que cette petite
bonne femme, avec ses cheveux d'ange et son gilet rose
avait connu Céline ; qu'il lui avait beaucoup fait
l'amour, entre ces mêmes murs, où nous nous tenions
aujourd'hui ; et que, cinquante ans après, elle
m'envoyait un baiser, à moi, le petit rien du tout. "
S'il est permis de douter de cette dernière affirmation, nul doute que le
jeune Arthur a été, comme bon nombre de visiteurs
venus à Meudon, subjugué par le charme de Lucette...
(David Alliot, Madame Céline , Tallandier, janvier 2018, p.330).
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VOICI DE LA BELLE HAINE BIEN NETTE.
Jules Rivet (1884-1946), journaliste libertaire est
l'auteur de cet article. On n'ose penser, encore moins
imaginer rétrospectivement, ce que serait la réaction
des rédacteurs actuels de ce journal devant une telle
lecture...
Un
joli titre, un titre de poète, après tout, que
porte, là, le nouveau livre de Louis-Ferdinand Céline,
Bagatelles pour un massacre. Cela évoque autant
la petite fleur poussée dans les démolitions que la
ruade dans les brancards ! Et que voilà de beaux coups
de trique et de la belle langue solide, verveuse et bien
constituée !
Je
n'ai pas aimé beaucoup Mort à crédit dont j'ai
dit, il m'en souvient, que c'était " l'épopée du
vomissement ". Mort à crédit indiquait, peut-être
à tort, chez l'auteur, le
goût de se rouler dans l'ordure, de nier
systématiquement la pureté des forêts, la clarté du
soleil, la limpidité attardée de certaines petites
rivières... Tout était pourri, bourbeux, verdâtre et
nauséabond...
Dans Bagatelles pour un massacre, rien de sale,
rien qui ne soit, au contraire, très sain et aéré. Voici
de la belle haine bien nette, bien propre, de la bonne
violence à manches relevées, à bras raccourcis, du pavé
levé à pleins biceps ! Ici, Villon complète Rabelais et
l'épure ! Ici, le non-conformisme se débat avec vigueur,
le solitaire s'affirme, montre les crocs, règle des
comptes.
Par exemple : " Les critiques, ils sont bien trop vaniteux pour vous
parler d'autre chose que de leur magnifique soi-même.
C'est un spectacle de grande lâcheté que de les voir ces
écœurants, profiter de votre
pauvre ouvrage pour se faire reluire ! Les torves
fumiers ! "
Et plus loin :
" Renégat, moi ?... Renégat qui ?... Renégat quoi ?... Renégat rien !...
Mais j'ai jamais renié personne... L'outrage est énorme
!... Quelle est cette face de fumier qui se permet de
m'agonir à propos du communisme ?... Un nommé Helsey
qu'il s'appelle !... Mais je le connais pas !... D'où
qu'il sort ce fielleux tordu ?... Il est soufflé, merde,
ce cave !... De quel droit il se permet, ce veau, de
salir de la sorte ?... Mais j'ai jamais rien renié du
tout ! Mais j'ai jamais adoré rien ! Où qu'il a vu cela
écrit ?... Jamais j'ai monté sur l'estrade pour gueuler
à tous les échos : " Moi, j'en suis !... moi, j'en
croque !... "
Moi, j'ai jamais voté de ma vie !... j'ai toujours su et compris que les
cons sont la majorité, que c'est donc bien forcé qu'ils
gagnent !... Pourquoi je me dérangerais, dès lors ?... "
Je ne voudrais pas banaliser ce livre libérateur,
torrentiel et irrésistible du mot de chef-d'œuvre.
C'est beaucoup plus grand que cela, et plus pur. C'est
une barricade individuelle avec, au sommet, un homme
libre qui gueule, magnifiquement...
(Le Canard enchaîné, 12 janvier 1938).
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LE PARADIS, C'EST PIRE QUE SIGMARINGEN
!
Mort le 1er juillet 1961 à Meudon, Louis-Ferdinand
Céline n'exerce logiquement plus ses activités
médicales. Lorsque nous l'avons rencontré au paradis, il
y a quelques semaines, il était installé en charentaises
sur un rocking-chair planté sur un cumulonimbus. A ses
côtés, sa mère, faiseuse, faisait de la dentelle tout en
lançant la cuisson des nouilles...
Alors,
monsieur Destouches, comment ça se passe, là-haut ?
Oh, eh bien, voyez-vous, ce qui me manque le plus, c'est les bêtes. Le
patron n'accepte pas les animaux. Demandez à Léautaud :
pas un perroquet, pas un greffe, pas un cabot ! Vivre
entouré d'hommes, c'est pas le paradis, c'est l'enfer !
Ça me rappelle Sigmaringen,
en pire...
Vous
avez retrouvé des amis ?
Ben,
y a Gen Paul, toujours aussi lubrique et délirant hélas,
et La Vigue (Robert Le Vigan, ndlr), qui se prend
encore pour Jésus-Christ : un comble en ces lieux !
Heureusement qu'il y a Marcel (Aymé, ndlr). Je
l'aime bien, lui, parce qu'il ne dit jamais rien... Il
est encore plus sinistre que moi.
Et
avec Proust, ça se passe comment ?
C'est
toujours la même chose avec lui : il met une journée
pour choisir une cravate, puis il en fait une phrase de
50 pages. L'autre jour, il est venu me voir pour me
poser des questions sur mes points de suspension. "
Retourne donc à tes chiffons, ça t'occupera ! " que
je lui ai dit. Vexé, il est parti causer portes étroites
avec Gide.
Vous
avez croisé Sartre ?
L'agité
du bocal, le ténia de mes étrons ? Il m'a vu et je lui
ai chanté les premières mesures de ma composition
Règlement : " Je te trouverai, charogne, un vilain soir
; je te ferai dans les mires deux grands trous noirs ! "
Il m'a fixé avec ses chasses de caméléon puis a
poulopé pour se réfugier dans le giron de sa mousmé
Simone ! Je me suis adressé à ses fanatiques
existentialisses, ceux qui sont pleins d'idées, qui me
regardaient dans le genre haineux, et j'ai repris ma
chanson : " Faut-il dire à ces potes que la fête est
finie ? " Personne n'a moufté. Je ne suis pas très
populaire dans ce coin, faut bien l'avouer...
Vous
vous occupez comment ?
C'est-à-dire
que, n'est-ce pas, tout le monde se conduit comme en bas
: ils s'abrutissent d'alcool et de nourritures lourdes.
Et encore, ils n'ont pas l'auto ! J'essaye de voir des
ballets, mais faut que je trouve des danseuses qui sont
crevées bien jeunes, parce que voir des vioques danser
Casse-Noisette en tutu, merci bien !
Vous
regardez un peu ce qui se passe en bas ?
J'observe
ma Lucette, bien sûr ! Et je constate les changements :
j'avais bien dit que lorsque les Chinois arriveraient à
Cognac, ils y prendraient goût et iraient plus au nord.
Mais je n'avais pas prévu les Africains que j'ai bien
connus dans ma jeunesse ! Vous allez bientôt bouffer du
mafé à La Tour d'Argent, croyez-moi. Prévoyez de la
quinine ! " Youp ! Profundis ! Yop ! Te Deum ! "
Vous connaissez mon autre chanson, A nœud
coulant ? J'y résume la civilisation : " Grosse
bataille, petit butin ! "
Et
votre héritage littéraire ?
Je
me suis déjà exprimé à ce sujet : " Celui qui parle
de l'avenir est un coquin, c'est l'actuel qui compte.
Parler de sa postérité, c'est s'adresser aux asticots !
"
Que
vous a dit Saint-Pierre lorsque vous êtes arrivé ?
Le
pauvre a voulu me prévenir : " Je dois vous avertir,
Céline, ou puis-je vous appeler Louis ? Ils sont lourds
! " Je lui ai répondu : " Ça
fait longtemps que je suis au courant, mon pote ! "
(Propos
miraculeusement recueillis par Nicolas Ungemuth, Le
Figaro-Magazine 21-22 juillet 2017).
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Le 25
février 1977 : A l'occasion de la « Quinzaine de la
Pléiade », les Editions Gallimard consacrent leur 16e
album [numéroté 17 par erreur] à Louis-Ferdinand Céline
: 441 documents réunis et commentés par Jean-Pierre
Dauphin et Jacques Boudillet.
La date de la mort de Robert Denoël est datée fautivement du 3
décembre 1945. On ignore toujours, trente plus tard, qui
est Jacques Boudillet, précurseur célinien disparu sans
laisser de traces.
(Site Robert Denoël, www.thyssens.com).
****************
CELINE ou HEMINGWAY ?
"
Le 15
juillet 1961 :
Paris - Match se déshonore en publiant, dans
son n° 640, les nécrologies d'Ernest Hemingway
et de Louis-Ferdinand Céline, décédés à 24
heures d'intervalle.
Match
a préféré accorder sa couverture à un
imposteur américain alcoolique dont le principal
fait d'armes était d'avoir libéré le bar du
Ritz en août
1944, plutôt qu'au plus grand écrivain français
de sa génération. "
(Site Robert Denoël, www.thyssens.com).
****************
DEVANT L'ECHAFAUD.
Le 19 octobre 1933 : Exécution capitale, boulevard
Arago. Des échotiers du Populaire et de
Marianne rendent compte de l'événement, non sans
remarquer parmi les badauds un personnage qui sort de
l'ordinaire :
Le Populaire, 20 octobre 1933
Marianne, 25 octobre 1933
(Site Robert Denoël, www.thyssens.com)
****************
LES FURONCLES EN FAMILLE.
Le
10 août 1931, de Pau, Destouches envoie une carte
postale à Mahé (La Malamoa, quai de Bourbon, île
Saint-Louis) : " Drena te demande (elle n'a pas été au
bobi). Elle demeure hôtel Colisée - rue Colisée). Nous
fûmes au bobi (mais ceci secret) et avec quel trois mâts
mes empereurs ! Je me suis tellement agité que j'en ai
un furoncle qui me bouffe la cuisse ! C'est te dire ! "
(Lettres, 31-10).
Le " trois mâts " : Margaret Severn ou une autre danseuse ? " Mes
empereurs " : expression familière d'intensité apparue
vers 1908. Parmi les causes de la furonculose :
malnutrition, transpiration, friction cutanée par
contacts violents. Dans Mort à crédit, si le
jeune Ferdinand est sujet aux furoncles, chez son père,
cela devient énorme : " Il lui est sorti au début du
mois de septembre toute une quantité de furoncles,
d'abord sous les bras et puis ensuite derrière le cou
alors un véritable énorme, qu'est devenu tout de suite
un anthrax. Chez lui, c'était grave les furoncles, ça le
démoralisait complètement... "
Et
Clémence nous donne le remède : " De la bière, nous en
avons... Hortense va rapporter de la levure... Avec ton
père et ses furoncles je crois que la salade c'est la
meilleure chose pour le sang... " Elle-même n'échappe
pas à ce mal : " Et puis une huile de réséda pour se
masser la jambe le soir... Il lui venait quand même des
furoncles, mais ils étaient supportables comme douleur
et comme gonflement. Ils crevaient presque tout de
suite. "
Malnutrition, anémie, manque d'hygiène ? Encore aujourd'hui, les facteurs
génétiques sont mal connus.
(Eric Mazet, Spécial Céline n°15, Céline en son temps ou Céline avant
Céline, printemps 2015).
****************
LE PREMIER PORTRAIT.
Ce
dessin à la mine de plomb est une curiosité, sans doute
le premier portrait représentant Louis Destouches, bien
avant qu'il se fasse connaître sous le nom de
Louis-Ferdinand Céline. Il fut réalisé à Paris en avril
1916, entre un séjour à Londres et son départ pour
l'Afrique.
On le doit à Simone Saintu, une amie d'enfance du jeune Destouches,
rencontrée lors d'une audition de piano au théâtre de
l'Athénée-Saint-Germain et à qui il écrira de nombreuses
lettres du Cameroun (certaines contenant des poèmes).
Sur ce portrait, Céline a vingt et un ans, porte une
cravate et a déjà les yeux rêveurs. Ce n'est que seize
ans plus tard, avec la parution du Voyage, que
son visage deviendra familier au grand public... Ce
tableau étonnant fait aujourd'hui partie de la
collection François Gibault.
(Jérôme Dupuis, Lire H-S n° 7, juin 2008).
***************
EDUCATION TROP BIENVEILLANTE.
Mais
cette éducation des parents est précisément mise en
cause aussi bien par les supérieurs que par les
inférieurs : " Je vous en prie, écrit le capitaine, ne
lui donnez ni les moyens ni l'idée de faire la moindre
fantaisie dans sa tenue, ni ici, ni en permission. "
(Lettre 5 août 1913). Et le cavalier Servat : " Il
faudrait que vous soyez un peu plus durs, comme
cela il travaillerait un peu plus et ça marcherait bien
mieux. " (Cependant, il ne faudra pas moins de trois
lettres d'officiers bienveillants pour que les parents
cessent d'intervenir pour obtenir à leur fils une
permission à laquelle il n'a pas droit.)
Le jeune Louis tend en effet à se consoler de la dureté de la vie de
quartier par toutes sortes de dissipations qui ne
doivent pas être étrangères aux dettes qu'il
contracte. Un autre correspondant des parents, un élève
officier qui, lui, est de leur milieu, a la charge de
surveiller les aspects intimes de sa conduite. En
décembre 1913, il rend compte de sa mission en termes
non équivoques : " Ensuite arrive la question de sa
petite amie. Tous deux nous en avons parlé plusieurs
fois en bons camarades et j'appris au cours de nos
entretiens qu'il avait rompu avec elle définitivement et
ne veut plus en entendre parler. De ce côté également il
n'y a plus rien à craindre. " (Lettre, 11 décembre
1913).
Encore
le camarade confident ne sait-il peut-être pas tout.
Louis entretient parallèlement, non sans complaisance,
des relations épistolaires vaguement amoureuses avec
d'autres jeunes filles, " en tout bien tout honneur "
prétendra-t-il rétrospectivement. (Lettre, 24
décembre 1916 à Simone Saintu). Toujours est-il,
avoue-t-il dans la foulée, qu'au moins une d'entre elles
continue quatre ans après de le " taper " (et vient,
incidemment, de commettre une tentative de parricide).
On est loin, quoi qu'il en soit de la conduite
exemplaire que les parents Destouches pouvaient espérer
de l'éducation qu'ils lui avaient donnée. Louis, précise
le même camarade élève officier, ignore tout de la
complicité qu'il a avec ses parents. On ne sait si
l'intéressé l'ignore vraiment ou si, le sachant, il en
tire un sentiment de sécurité, mais le fait est qu'à
dix-neuf ans et demi il est toujours l'objet de la part
de ses parents de la plus extrême surveillance.
Ils ne pouvaient qu'y être encouragés par cette
appréciation d'un officier au moment de la nomination de
leur fils au grade de brigadier : " C'est un garçon
sympathique et méritant - il a tout pour bien faire.
Mais un peu faible de caractère, et vous pouvez
énormément sur lui, pour le diriger et le maintenir. "
(Lettre, 9 août 1913).
Mais protection, direction et surveillance n'aident pas fatalement
une personnalité à se construire.
(Henri Godard, Céline, Biographies, Gallimard, 2011).
**************
SINÉ
ÉTONNÉ...
Quatorze
ans en 1942, le dessinateur SINÉ
est issu d'un milieu modeste où on ne lit pas. Après
l'avoir prévenu contre les pamphlets antisémites, son
professeur de français lui conseille Voyage au bout
de la nuit : " Je fonçai acheter le bouquin et le
dévorai aussitôt avec une jubilation orgastique. Mon
exultation à son comble, je
relisais
plusieurs fois les mêmes pages malgré une envie folle de
passer aux suivantes. J'étais fébrile, subjugué,
envoûté. Bardamu me sciait le cul ! Ferdinand taillait à
tous des costards pure haine, il secouait tellement fort
le cocotier que tous les clichés dégringolaient, il
foutait le feu aux poncifs, chiait dans la colle et
s'essuyait aux bégonias. Je n'avais jamais rêvé un tel
jeu de massacre ! Il tirait dans le tas à bout portant,
faisant voler les mots en éclat et torturant la
ponctuation pour lui apprendre à ne pas respecter les
convenances. Le coup de foudre fut violent et immédiat.
[...]
Après la lecture de Mort à crédit qui m'envoya presque plus haut
que le Voyage, j'étais pulvérisé, en morceaux, à
ramasser à la cuiller. Ce mec, c'était de la dynamite et
il vous enfonçait des suppositoires à la nitroglycérine
dans le cul. "
Malgré les mises en garde, SINÉ ne résiste pas à la
curiosité et achète les pamphlets : " Je ne tardai pas à
me procurer les trois bouquins vilipendés. Ah, nom de
Dieu ! Quelle douche... de chiasse... de glaires... de
sanies... une avalanche d'ordures en putréfaction...
[...] Même averti c'était dur à avaler... encore plus à
digérer... Un raz de marée diarrhéique et cyclopéen...
parano... antisémite et xénophobe... du jamais vu... du
jamais lu... avec cependant, toujours des perles comme
la sublime petite phrase en exergue de L'Ecole des
cadavres : " Dieu est en réparation. "
(Siné, Ma vie, mon œuvre, mon cul !, tome 3, Charlie Hebdo, Editions
rotatives, 2000, in Emile Brami, Céline, Ecriture,
2003).
**************
CELINE JOURNALISTE " COLLABO " ?
Pendant
l'Occupation, Horace de Carbuccia, directeur de
Gringoire, l'une des principaux hebdomadaires
collaborationnistes, rencontre Louis-Ferdinand Céline en
prévision d'une contribution de ce dernier dans son
hebdomadaire.
Henri Mahé relate l'entrevue, qui n'aura pas de suite.
"
Ce qu'on a pu rigoler, tu te souviens Louis ? le jour où
Carbuccia, le puissant éditeur de l'hebdo Gringoire,
débarqua rue
Lepic.
- Je viens solliciter votre collaboration ! qu'il dit,
le gars ! sûr de lui. Béraud se ramollit !...
Remplacez-le !
- Ça ! jamais !... Et puis,
c'est pas mon truc !...
- Votre prix sera le mien !
- Pas d'intérêt ! On ne peut pas écrire ce qu'on veut
dans les journaux !
- Si ! justement, je veux que ça pète ! je veux que ça
gueule !
- Vous oseriez jamais m'imprimer !
- Mais si ! je viens spécialement pour ça : imprimer
tout ce que vous pensez !
- Alors je commence : " Le maréchal Pétain est un enculé
!... "
- Ah ! ben !... Tout de même, là !...
Ça me paraît difficile !...
- Alors, tu vois !... "
(Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, La Table ronde, 1969, in David
Alliot, Céline, Idées reçues, Le Cavalier Bleu, 2011).
**************
L'ENORME FLOUZE.
CELINE
- Je finis à la seconde même l'ultime paragraphe, cette
torture. Sans un énorme flouze je ne recommencerais
jamais ! j'ai failli cette fois en crever.
J'étais
de passage chez lui, rue Lepic, quand Denoël vint
prendre possession de Mort à crédit.
Quelle corrida !... Tous deux debout, gueulant, riant, se
bousculant dans le studio. Deux gosses qui se battent -
" pour de rire ", mais prêts quand même à se faire du
mal !...
-
Déchire le contrat !... hurlait Louis.
- Non ! T'as signé pour le Voyage et la suite !...
- Déchire le contrat, ou aussi vrai que je suis médecin !... Tiens, voilà
le paquet !... Je le fous dans les chiottes !...
- T'as signé !
- T'as abusé !
- Allez ! fais pas l'con, puisque t'as signé !...
- De la merde ! C'est 20 balles ou les chiottes !
- Arrête ! T'es dingue !
- J'exige 25 !
- Pourquoi pas 100 ?...
- 40 ! que je veux à présent !
- Allez ! donne-moi ça, t'auras 30 !
- 35 !
- Bon !... T'auras 35 !... mais tu me trucides !...
- 35, d'accord !
Et ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre... Obtenais-tu à ce prix
l'énorme flouze sans lequel tu ne recommencerais
jamais ? Tu aurais payé pour écrire, quitte à en
crever !... Voyou !...
(Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, Ecriture, 2011, p.126).
**************
CES CONS QUI VIENNENT VISITER LA RUINE...
Chardonne
n'a pas changé d'opinion sur l'auteur du Voyage - dont
il n'a, vraisemblablement, jamais lu une ligne - mais il
admire l'exploit de Nimier qui, avec la complicité
amoureuse de Madeleine Chapsal, a réussi à décrocher ce
" scoop " : une longue et explosive interview de Céline
dans L'Express qui se veut la voix de la France
progressiste.
On a du mal, aujourd'hui, si l'on n'a pas vécu cette période, à imaginer
le raffut qu'a pu produire cette interview, dans le
Landerneau journalistico-politico-littéraire. On s'en
fera néanmoins une idée si l'on sait qu'au cours des
années qui précédèrent, un Albert Béguin, " grande
conscience chrétienne ", traitait Céline de " chien
servile, gluant de bave rageuse ", un André Breton
l'accusait de " faire appel à ce qu'il y a de plus bas
au monde ", un Roger Vailland regrettait de ne pas
l'avoir exécuté en 1944, un Pierre Hervé, dans
L'Humanité, l'accusait le plus sérieusement du
monde, d'avoir été un " agent de la Gestapo ", et qu'un
journaliste comme Bernard Lecache qui, plus tard, se
taillera une réputation dans la défense des Droits de
l'Homme et de la Laïcité, menaçait, tranquillement : "
Qu'il revienne, Céline ! Nous l'attendrons à la gare ! "
Dans son interview à L'Express, titrée " Voyage
au bout de la haine ", Céline y est allé gaiement, en en
donnant pour son argent à un public qu'a priori,
tout, chez lui, hérisse. Devant André Parinaud, accouru
aux nouvelles, au lendemain de l'entretien du 14 juin,
il a encore forcé la dose : " Tous ces cons qui me
redécouvrent... Ils viennent visiter la ruine... pour
voir si ça tient encore. Si je ne sens pas trop
mauvais... Je me suis roulé dans la fange de gros
cochon. Ça les excite. "
(Christian Millau, Au galop des hussards, dans le tourbillon littéraire
des années 50, Ed. de Fallois, 1999).
**************
LE PORTEMANTEAU...
[...]
Sur un autre sujet : l'amour.
CELINE. - L'homme moderne est un branlé (en français dans le texte).
Croyez-vous que l'homme des cavernes avait le temps de
penser à l'amour ? Il tirait son coup, puis allait aux
champs ou à la chasse. Du reste, l'amour ou la joie de
l'amour n'est
qu'une
sorte de récompense que la nature nous offre pour
répondre à son dessein. C'est un cadeau de printemps.
Quand la jeunesse est passée, c'est fini, ça devient de
l'onanisme, du simili...
On
s'excite toujours, hommes et femmes, bien au-delà du
printemps et de la littérature. Le théâtre, toute notre
façon civilisée de vivre, ça nous excite constamment.
Non, le milieu, celui des maquereaux et des filles,
quand il y en avait un, était bien plus proche de la
vérité : pas de chatteries là, pas de chichis, c'était
réservé aux clients. Pauvres clients ! Et pas touche aux
nénettes des copains ! Sinon on était bon pour le
portemanteau...
- Le portemanteau ! ?
- Oui, un portemanteau, comme pour y accrocher des vêtements, mais ici ça
signifie un couteau, planté bien proprement entre les
deux omoplates !
Le rire secoue Céline, qui poursuit :
- Un jour, un libertin m'a dit : " Qu'est-ce que je ferais, moi, si je
n'avais pas les femmes de mes amis ? Il n'y en a pas
d'autres ! " Raisonnement de bourgeois typique ! Pas
touche, c'est on ne peut plus simple. J'aime l'anatomie,
voyez-vous, c'est pour ça que je m'intéresse aux
danseuses... Présentez-m'en une, et hop ! Voilà ! (en
français dans le texte). Je ne dis pas non... mais
je tourne vite la page. Pas de cour assidue chez moi,
pas de complications, non merci !
(Ole Vinding, Au bout de la nuit, Capharnaüm et Editions de la Pince à
linge, 2001, traduit du danois par F. Marchetti).
***************
LA SERVIETTE DE CUIR...
Léon Degrelle, l'orateur, entreprit alors de
critiquer la politique française depuis 1940 et de
stigmatiser l'attitude de certains collaborateurs qui
répugnaient à s'engager, au-delà de la collaboration
politique et économique, jusqu'à la collaboration armée.
A ce moment, Louis-Ferdinand Céline, invité, mais en
retard, pénétra dans la salle. Du regard, il chercha une
place discrète ; il n'en vit pas. Il n'y avait une place
libre qu'au second rang de l'assistance.
Dans son étrange accoutrement habituel : canadienne
crasseuse, gants de laine pendus à une ficelle autour du
cou, une serviette de cuir à la main et sous le bras son
chat " Bébert " dont la tête seule émergeait d'un sac
caoutchouté, Louis-Ferdinand Céline, placidement,
traversa l'allée centrale pour aller s'asseoir.
Degrelle, dans le feu de sa péroraison - ne connaissant
pas ou ne reconnaissant pas l'auteur du Voyage au
bout de la nuit - s'écriait : " ... La France, pour
se redresser, a besoin d'un nouveau type d'hommes, de
révolutionnaires farouches et décidés à se battre, les
armes à la main, jusqu'à la victoire ou jusqu'à la mort.
Ce n'est pas avec des embusqués qui se baladent une
serviette à la main mais avec des hommes qui auront
le courage d'affronter l'ennemi que vous pourrez, vous,
Français, refaire une nation puissante et respectée,
intégrée à l'Europe nouvelle, à l'Europe
nationale-socialiste... "
Céline s'était arrêté, clignait des yeux et regardait
l'orateur avec étonnement. Il haussa les épaules. Puis,
tournant le dos au " beau Léon " qui poursuivait ses
remarques insolentes sur la France et les Français,
L.-F. Céline gagna la sortie, non sans avoir lancé à
haute et intelligible voix : " Quel est ce roi des c...
qui ne fera pas même un beau pendu avec sa g... de
jean-foutre ? "
(André Brissaud, Pétain à Sigmaringen 1944-1945, de Vichy à la Haute
Cour, Perrin, 1966, dans D'un Céline l'autre, D. Alliot,
p.750).
***************
RÉSISTANT
OU MENDIANT ?
Après
l'armistice de juin 1940, j'appris que Céline était
resté à Paris, comme d'ailleurs la plupart des
intellectuels et des artistes. Il est toujours très
surprenant de considérer que, pendant les années de
l'occupation allemande, des gens comme l'Espagnol
Picasso, qui n'avait jamais fait mystère de ses
convictions communistes et était célèbre dans le monde
entier pour des tableaux comme La Colombe de la paix,
Pour Staline, ou encore Guernica, ont
travaillé pendant toute la guerre à Paris sans être
autrement inquiétés.
Je
ne sais plus ce qui a motivé le premier contact avec
Céline, mais j'ai très vite appris qu'il fréquentait
l'ambassade d'Allemagne de la rue de Varenne. Je me
souviens qu'un jour le planton m'annonça qu'un homme
d'aspect douteux souhaitait me parler. Il me demandait
s'il pouvait le laisser passer. Quand j'ai entendu le
nom de cet homme, j'ai mandé que, sans plus le faire
attendre, on le conduise au plus tôt jusqu'à moi.
Lorsque enfin, toujours flanqué du planton, il pénétra
dans mon bureau, je ne compris que trop la méfiance de
la sentinelle : Céline ressemblait vraiment à l'image
que l'on pouvait se faire d'un résistant ou de quelqu'un
qui se disposait à commettre un attentat.
Cet homme de haute taille, large d'épaule, portait une
pelisse en peau de mouton en laine retournée. Ses
cheveux noirs, sur un visage plutôt pâle, étaient en
désordre. Toute sa personne d'ailleurs était vêtue sans
aucun soin ni élégance. Il avait coutume de se rendre à
moto depuis son logement montmartrois à ses
consultations dans une banlieue de Paris où il
travaillait comme médecin des pauvres. Cependant, après
une brève conversation, nous nous entendîmes au mieux.
Après notre première rencontre, Céline avait demandé
l'obtention d'un permis de port d'armes parce qu'il se
sentait menacé par les gaullistes, permis qui lui fut
délivré sans autre forme de procès.
(Hermann Bickler, Erinnerungen Teil II, Souvenirs, autoédition, 1996,
in D'un Céline l'autre, David Alliot, Robert Laffont,
2011, p.535).
***************
UN BOUQUET TOUS LES MATINS.
-
Edith et Louis, vos parents, ont donc divorcé malgré eux
?
- A peu près. Ils s'entendaient très bien, et cela allait durer jusqu'à la
fin de leur vie. Après le retour de mon père du
Danemark, en 1950, ma mère, qui ne savait pas où il
était, me téléphone pour me dire : " Je n'y comprends
rien, chaque matin, je reçois un bouquet de roses. J'ai
normalement passé l'âge de ce genre de choses. "
Puis, un jour, mon père est arrivé chez elle. Les roses, c'était lui.
Comme deux petits vieux, ils se sont pris les mains :
ils s'étaient retrouvés.
(Jacques-Marie Bourget, Entretiens avec Colette Destouches,
Paris-Match, 31 mars 1994).
***************
CE 6 FEVRIER 34...
Place de la Concorde, où sont les troupes ? Alentour,
les groupes, à la fois pressés et clairsemés, ne sont
visiblement que des groupes de curieux. Où sont les
manifestants ? [...]
Poussés par la curiosité, par le besoin de se rendre compte, par une
force, peut-être aussi, qui les tire vers une foule plus
agissante que la leur, les gens avancent. Soudain, l'on
recule en courant : manœuvre
des agents. Matraque en main, courbés par leur course,
ils se sont élancés. Ils se hâtent, le long de la
balustrade du terre-plein sud-ouest. Mais, de la
barricade tendue entre les Chevaux de Marly, on les
arrose de projectiles.
Sans pousser vers l'avenue Gabriel, ils se replient vers le
Cours-la-Reine, doublant la pointe de la balustrade. Un
instant, et ce détachement a disparu, résorbé dans la
masse armée qui reste immobile, rangée le long du quai.
A ce moment, une dizaine d'agents cyclistes, isolés -
venus d'où et s'employant à quel dessein ? - prétendent
franchir la barricade, contre le cheval de Marly, côté
Seine. Leurs machines s'embarrassent dans l'obscurité,
eux-mêmes y demeurent pris. Ils sont lapidés. L'un des
agents s'empêtre. La foule sur lui se referme. On
l'emporte sanglant. Les autres se sont enfuis vers les
troupes du pont.
C'est alors que... Des coups de feu !
Une stupeur, je l'affirme, suspend le vacarme général, le temps d'un
éclair. Mais c'est assez pour que ce silence se
perçoive, et laisse mieux entendre la fusillade.
On a compris. C'est l'évidence : les troupes tirent. Elles ont tiré... se
dissociant, à cette minute, des manifestants, la foule,
par vagues successives, reflue.
Un temps d'accalmie. Les troupes de manifestants, de
tendances diverses, se détachent du front d'attaque et
se mêlent à la foule. Devant la statue de Clémenceau,
des UNC et des Jeunesses communistes se rencontrent.
Face à face, comme on se donne l'aubade, ils se
contentent de chanter, les uns L'Internationale,
les autres La Marseillaise.
Les gens se parlent. On rencontre des amis. Joseph Kessel, d'un
œil accoutumé aux troubles
cosmiques de l'Orient, regarde circuler cette foule où,
dans ces parages, les curieux dominent, où les gens vont
par couples.
Plus loin, Louis-Ferdinand Céline, solitaire, les cheveux à l'air, le
front taciturne, la bouche soudain sarcastique, écoute
chacun au hasard, me dit trois mots et brusquement
s'éloigne. Le lendemain encore, sur les boulevards, je
verrai passer cet homme à la tête nue, aux épaules un
peu courbées, au dos large, au pas rapide : réellement
seul, à travers l'émeute et la nuit, il voyage.
(Philippe Hériat, La nuit du 6 février, D'un Céline l'autre, Laffont,
Bouquins, 2011, p. 346).
***************
QU'EST-CE LE " CAS CELINE " ?
L'histoire
ne s'arrête pas là. Dix ans plus tard, le critique belge
Jean Vigneaux (de son vrai nom, Nestor Albessart) signe
dans l'hebdomadaire Pourquoi pas ? un grand
article sur le " cas Céline ". Il s'ouvrait de la sorte
:
" C'était un écrivain considérable, entreprenant,
courageux aussi, il l'avait maintes fois prouvé. Le
hasard des réservations dans le TEE nous avait fait
voisiner pour la durée d'un Bruxelles-Paris. A l'inverse
de l'avion qui isole les passagers, le train a le
privilège d'encourager les conversations. Nous étions
seuls dans notre compartiment. Après un quart d'heure,
nous en étions à parler, comme de très vieux amis, des
auteurs que nous aimions. Et bientôt, nous nous étions
découvert une passion commune pour Céline.
Mon interlocuteur connaissait son " Ferdine " sur le bout des doigts. Il
le citait d'abondance, il l'analysait avec intelligence.
Cela dura deux heures, et ce fut un véritable festival.
Pourtant, il y eut une fausse note. Nous approchions de
Paris et, déjà, mon prestigieux compagnon de voyage
rassemblait ses bagages quand soudain, se penchant vers
moi, il me demanda :
- Vous allez travailler en France ?
- Oui...
- Me permettez-vous de vous donner un conseil ?
- Je vous en prie.
- Ne parlez jamais de Céline à Paris.
J'étais abasourdi. Cet homme qui, quelques instants plus
tôt, m'avait ébloui par son indépendance d'esprit, par
ses connaissances ; cet homme qui s'était battu (et pas
seulement au sens figuré) pour ses idées, voilà qu'il
rentrait prudemment dans le rang. Involontairement, il
avait baissé le ton. De toute évidence, il était gêné de
s'être laissé emporter par l'enthousiasme ? Peut-être
même se sentait-il " compromis ".
Ce jour-là, je compris ce qu'était le " cas Céline ".
Dix ans plus tard, lorsque je décidai de reproduire cet article dans le
premier numéro de feue La Revue célinienne, Jean
Vigneaux m'accorda très volontiers son autorisation.
Intrigué, je lui demandai qui était ce fameux
interlocuteur. Sa réponse fusa : " Louis Pauwels ".
(Marc Laudelout, BC n°356, octobre 2013).
**************
OSER TRAVERSER LA RUE EN PURETTE.
Louis-Ferdinand
Céline (Dr Destouches) a habité Revin en juillet-août
1923. Il y remplaçait le Dr Bouchet. Contrairement aux
affirmations de presque toute la critique, son Voyage
au bout de la nuit n'est nullement une
autobiographie. Les Revinois qui ont connu le Dr
Destouches ont gardé le souvenir non pas d'un Bardamu,
mais d'un garçon très sympathique et très distingué,
n'ayant en commun avec son héros que l'amour du
paradoxe.
Le peuple ardennais a discerné en lui un type : un type original qui osait
traverser la rue Victor-Hugo en purette...
(1)
Un jour qu'il voulait ausculter le côté droit d'une
bonne vieille perchée dans un de ces vieux lits
ardennais hauts sur pattes - ce côté droit étant celui
du mur, le docteur était très embarrassé. Ne pouvant
déplacer le lit tout seul, il fit un bond par-dessus la
brave femme, et put ainsi accomplir scrupuleusement son
devoir professionnel...
La pauvre a survécu quelques mois à ce traitement acrobatique. (La
Grive, n°20, avril 1933, in D'un Céline l'autre, D.
Alliot, 2011, p.184).
(1) En purette : locution utilisée dans les
Ardennes pour désigner quelqu'un de très incomplètement
habillé.
**************
50 MILLIONS...
Un
ami que m'avait présenté, comme d'habitude, Jean-Pierre,
me dit : " J'ai rencontré Monsieur M. Il parlait tout le
temps de
Céline.
" " Monsieur M. veut rencontrer Céline ? Mais c'est très
facile. Mon amie Arletty le connaît bien. " J'ai
téléphoné à Céline qui fut tout de suite d'accord pour
rencontrer Monsieur M., très connu, qui vivait à Tahiti.
Fou de joie, Monsieur M. vient me rejoindre pour aller
chez Céline. Entre-temps, en voiture, il m'explique
qu'il veut inviter Céline et sa femme (ainsi que ses "
nombreux " animaux) à Tahiti. Il peut tout arranger, une
grande maison sur la plage, des leçons de danse pour sa
femme, et tout et tout.
Nous
arrivons chez Céline et Monsieur M. lui fait sa
proposition. Tout se passe très bien, Céline a l'air
d'accord. Il dit même : " Comme c'est touchant, comme
c'est généreux de votre part. " Tout semble réglé. Mais
avant notre départ, il dit à Monsieur M. : " J'ai une
petite chose à ajouter. Pouvez-vous me faire déposer en
même temps 50 millions à la banque du Canada ? "
Monsieur M., sans s'affoler, lui répondit : " Hélas, ce n'est pas dans
mes moyens. Je regrette. " Sur la route du retour,
Monsieur M. m'a dit : " Je ne m'attendais pas à autre
chose de la part de Céline. " J'ai trouvé cela très
intelligent de sa part.
(Arletty, Je suis comme je suis, Vertiges du Nord Carrère, 1987, in
D'un Céline l'autre, D. Alliot, mai 2011).
***************
La
chanson dont il est question est vraisemblablement A
nœud coulant, éditée
quelques mois plus tôt par Jean Noceti, auteur de la
musique. Fille d'émigrés juifs polonais, Marianne
Oswald, née Sarah Bloch [1901-1985], qui avait connu la
célébrité dès 1933 au " Bœuf
sur le toit ", venait justement d'imposer son
répertoire populaire au public difficile de L'ABC, mais
faisait l'objet, dans la presse bourgeoise, d'attaques
antisémites que dénonçait L'Humanité, trois jours
plus tôt.
Céline, qui lui souhaitait
alors de réussir dans cette entreprise, raconta plus
tard à sa façon cette collaboration qui faillit aboutir
: " Elle m'a pendu à la braguette pendant des mois
[...] Elle me fusillait de télégrammes avec Cocteau pour
que je la saute, lui fasse une chanson, la lance à Paris
- à l'ABC " (Lettre à Albert Paraz, 22 avril 1948).
Marianne Oswald était alors la protégée de Jean Cocteau, qui lui avait
écrit une chanson : " La Dame de Monte-Carlo ".
Le
cas de cette chanteuse est singulier. Elle avait quitté
l'Allemagne lors de l'arrivée d'Hitler au pouvoir et
avait tenté de s'imposer, dès la fin 1932, dans les
cafés-concerts de Montparnasse avec un répertoire
d'extrême-gauche. Autant que ses textes, sa personnalité
ne laissait pas indifférent : voix grave et éraillée
(due à un goitre thyroïdien opéré à Berlin), cheveux
rouges et maquillage blanc, elle suscitait enthousiasme
ou rejet.
Des débats avaient eu lieu en 1934 au Club du Faubourg sur le thème
: " Pour ou contre Marianne Oswald ". Des journaux de
droite vilipendaient cette " hideuse juive allemande
". A Genève des spectateurs en étaient venus aux mains.
La pression médiatique fut telle qu'en mars 1937 elle
tenta de se suicider dans sa chambre d'hôtel en
absorbant des barbituriques.
Après un essai sans lendemain au cinéma aux côtés
d'Arletty, elle quitta la France en 1940 et s'exila aux
Etats-Unis durant la guerre. De retour à Paris elle
publia en 1948 un volume de souvenirs : " Je n'ai pas
appris à vivre " chez Domat-Montchrestien, la maison
d'édition de Jeanne Loviton. C'est ce volume, dont Paraz
lui avait parlé, qui avait fait réagir Céline.
(Site d'Henri Thyssens sur Robert Denoël).
***************
En lisant ce qu'il faut bien appeler une notice
publicitaire, on ne peut s'empêcher de penser à Henry de
Graffigny, le héros farfelu de Mort à crédit,
inventeur durant la Grande Guerre d'un " dentier auditif
" pour artilleur, qui écrivait : " Si celui-ci se
bouche les oreilles, il n'entend plus les commandements.
Or on n'entend pas que par les oreilles. On entend aussi
par les dents et par les poils de la barbe [...] A notre
sens, les artilleurs devraient porter toute leur barbe
et tenir entre leurs dents pendant la manœuvre
un appareil conducteur de son ".
On
ne sait si le jeune Destouches s'est inspiré de
l'invention curieuse de Graffigny, mais la sienne ne lui
a pas réussi car il a souffert de l'oreille interne
jusqu'à la fin de sa vie.
(
Site Robert
Denoël, d'Henri
Thyssens).
**************
Nous sommes en 1925. L'année précédente,
Louis Destouches a soutenu sa thèse de médecine « La
vie et l'œuvre de Philippe
Ignace Semmelweis » et a été recruté par le Dr
Ludwig Rachjman qui dirige alors la section Hygiène de
la Société des Nations. Céline signe son contrat le 10 août 1924 pour
être nommé au poste de « responsable des échanges de
médecins spécialistes ».
C'est sous l'égide de cette
organisation internationale que Céline, alors seulement
connu sous le nom de Docteur Louis
Destouches (Voyage au bout de la nuit ne sortira
qu'en 1932) se verra confier, après une mission au
Pays-Bas et à Paris
(novembre 1924-janvier 1925), la direction d'une
délégation de médecins sud-américains qui l'amènera à
traverser toute
l'Amérique de Nord. De Cuba en Louisiane, De New York à
Montréal, les quatre mois du voyage se feront sur un
rythme
soutenu.
Le passage à La Havane a pour but
essentiel de rassembler le groupe de médecins
latino-américains. Avant l'arrivée de tous
les participants, Céline est accueilli à la Direction de
la Sanidad « grand et magnifique palais », un
ministère qui « possède par
ailleurs des moyens financiers qui surpassent ce qu'on
pourrait imaginer quand on a vécu en Europe ».
La qualité des infrastructures médicales et le faste de la ville frappe
Céline dès son arrivée : « L'or en effet ruisselle à
Cuba.
[...] J'ai visité un hôpital Mercedes où sont réunis pour le bien de 200
malades à peine tout ce que la science moderne peut
offrir de plus coûteux y compris 500 milligrammes de radium. L'aspect de
la ville et de ses environs a quelque chose
d'invraisemblable par le luxe et la beauté réelle de l'ensemble »
mais Céline remarquera tout de même quelques jours
plus
tard que « les prix de toutes choses sont terrifiants » et notera «
aucune réception officielle, aucune auto, rien.
L'accueil
est charmant mais réservé. »
(Photo: le Dr Destouches et le groupe de médecins
latino-américains (1925).
(Le
Petit Célinien, 17 juillet 2013).
LA
MEDECINE CHEZ FORD.
Alors
que dans d'autres fabrications américaines, non encore
mécanisées aussi complètement que chez Ford, les
ouvriers gardent une certaine valeur personnelle et
doivent encore, par conséquent, faire preuve de
connaissances spéciales, bref de " métier ", et que, dès
lors, le fait de remplacer dans ces fabriques un ouvrier
par un autre non familiarisé avec son travail
coûte encore en gaspillage matériel et temps perdu de 40
à 80 dollars à l'employeur, chez Ford n'importe qui peut
remplacer n'importe quel ouvrier dans n'importe quel
emploi, immédiatement, sans qu'il s'ensuive, ou presque,
de diminution dans le nombre des pièces fabriquées à la
fin de la journée.
Ford s'est donné pour règle d'employer n'importe qui dans ses usines, et
cette condition est exactement appliquée. Nous avons vu
procéder à l'embauchage, ce sont des postulants les plus
déchus physiquement et psychiquement qui sont les plus
appréciés par la direction de l'usine. Ford encore s'est
engagé à payer chacun de ces semi-inutiles, au moins 6
dollars par jour, il tient aussi cette promesse.
(...) Nous avons assisté à l'examen médical d'entrée de plusieurs
centaines d'ouvriers qui venaient combler les emplois
vacants depuis plusieurs mois. On ne procède à
l'embauchage que quelquefois par an.
Le médecin chargé de cet examen nous confiait que ce qu'il fallait,
c'était des chimpanzés, qu'ils suffisaient pour le
travail auquel ces ouvriers étaient destinés et qu'on
faisait d'ailleurs des essais pour en employer à la
récolte du coton dans les Etats du Sud.
(La médecine chez Ford, " C'est un Rêve ", n°9/n°10, Spécial Céline).
***************
GALLIMARD ET NORMANCE.
Aucune
illusion !... soucis personnels... vous me direz...
quand même ! quand même ! que ce soit Gertrut ou Brottin,
ou un autre, personne m'avancera plus une flèche pour
une histoire genre Normance ! je le dis !... le
lecteur veut rire et c'est tout !... jamais Paris ne fut
bombardé !... d'abord !... et d'un !... aucune plaque
commémorative !... la preuve !... moi seul, qui me
souviens
encore de deux, trois familles ensevelies !...
Normance, question livre, a été qu'un affreux four
!... parce que ceci !... parce que cela !... en plus de
saboté comme !... par Achille, sa clique, ses critiques,
ses haineux " aux ordres ", canards enragés !... les
gens s'attendaient que je provoque, que je bouffe encore
du Palestin, que je refonce au gniouf ! et pour le
compte !... des " bienfaiteurs ", ça s'appelle !... les
" hardi-petit " ! un de ces sapements ! joli Monsieur !
vingt ans !... " à vie " !... oh, mais gourrance ! bévue
! maldonne ! moi qu'attends ferme, tout au contraire,
qu'on les écroue tous !... flirteurs voyous des
échafauds, traves et " recluses " ! qu'on rouvre la
belle Guyane pour eux ! réarme l'Ile du Diable !...
plus, prime, chacun quelque chose à la langue... petits
épithéliomes... tout choix ! entre carotides et
pharynx...
Bon !... mais en attendant, Brottin m'avertit : zéro
!... " Vous vous vendez de moins en moins !... votre
Normance ? une catastrophe !... rien possible à vous
refoutre au trou !... ni pornographe ! ni fâchiste !
misère de vous !... les critiques pourtant, les crocs
hors ! prêts ! venins ! tout !... se la mordent !...
vous les écœurez !... leur bœuf
alors ?... sans cœur !...
leurs enveloppes ?... leurs familles ?... "
(D'un château l'autre, Gallimard, 1979, p.55).
***************
LE
MACCHABEE ENVOLE.
Raconter
comme ça... choses et d'autres... me remet en mémoire
l'assassinat de " la Maison Verte... " le maccabe
esquivé !... banal ! un meurtre au bistrot, au zinc...
le mystère piquant, qu'on a jamais retrouvé le cadavre !
on l'a pourtant vu ! le mec s'effondrer ! deux couteaux
dans le dos !... servi le pote ! le temps qu'on
avertisse les flics, qu'ils viennent qu'ils voient le
mort... qu'ils aillent chercher une civière... le
maccabe était envolé !... pas tout seul, bien sûr. Ils
arrêtent tout le monde !... le tôlier, les témoins, la
bonne, tout ! une heure après les flics rallègent !
micmac ! le cadavre était là, revenu !... bien le même !
trois couteaux dans le dos !...
ça va plus !... ils retournent au Quart, alertent Paris
!... mais le temps qu'ils retournent eux au bistrot, le
cadavre encore refoutu le camp ! positif ! cache-cache
!... finalement ils ont renoncé ! souvenirs en
souvenirs... " Maison verte "... Porte Pouchet, bon !...
je viens à parler de Saint-Vincent-de-Paul...
(D'un château l'autre, 1979, Gallimard, p.32).
***************
ORDRE A BERLIN.
Moi,
mes cannes, Lili, Bébert, nous voici touristes...
cherchons un hôtel ! cette ville a déjà bien souffert...
que de trous, et de chaussées soulevées !... drôle, on
n'entend pas d'avions... ils s'intéressent plus à Berlin
?... je comprenais pas, mais peu à peu j'ai saisi...
c'était une ville plus qu'en décors... des rues entières
de façades, tous les intérieurs croulés, sombrés dans
les
trous... pas tout, mais presque... il paraît à Hiroshima
c'est beaucoup plus propre, net, tondu... le ménage des
bombardements est une science aussi, elle n'était pas
encore au point... là les deux côtés de la rue faisaient
encore illusion... volets clos... aussi ce qu'était
assez curieux c'est que sur chaque trottoir, tous les
décombres, poutres, tuiles, cheminées, étaient
amoncelés, impeccable, pas en tas n'importe comment,
chaque maison avait ses débris devant sa porte, à la
hauteur d'un, deux étages... et des débris numérotés
!... que demain la guerre aille finir, subit... il leur
faudrait pas huit jours pour remettre tout en place...
Hiroshima ils ne pourraient plus, le progrès a ses
mauvais côtés... là Berlin, huit jours, ils remettraient
tout debout !... les poutres, les gouttières, chaque
brique, déjà repérées par numéro, peints jaune et
rouge... là vous voyez un peuple s'il a l'ordre inné...
la maison bien morte, qu'un cratère, tous ses boyaux,
tuyaux hors, la peau, le cœur,
les os, mais tout son dedans n'empêche en ordre, bien
agencé, sur le trottoir... comme l'animal aux abattoirs,
un coup de baguette, hop ! vous rattraperez tous ses
viscères ! hop !... se remettrait à galoper ! Paris
aurait été détruit vous voyez un peu les équipes à la
reconstruction !... ce qu'elles feraient des briques,
poutres, gouttières !... peut-être deux, trois
barricades ?...
(Nord, Folio, Gallimard, 1988, p.54).
***************
LE CHIEN D'ULYSSE.
Comme j'avais depuis longtemps mes entrées dans la
maison, une certaine complicité s'était créée entre
nous. Je ne me gênais pas pour lui saboter un peu sa
révérence que je lui servais avec un petit sourire en
coin assez impertinent. Je voyais alors son visage se
détendre et ses yeux pétiller de malice. J'étais bien
contente de voir qu'il appréciait ma rébellion.
Je revois encore cette petite Dominique, toute menue, ouvrant de grands
yeux effarés en s'accrochant à moi, un jour que nous
étions devant lui :
- " Allez ! petit pas de deux et révérence ! "
Ce cérémonial ne dura pas trop longtemps. Les enfants se plaignirent
auprès de Lucettte. " Il nous fait peur. " Lucette priva
Louis de révérences. L' " étiquette " fut abolie.
Certainement un peu frustré, il n'en continua pas moins
à siéger au bas de l'escalier.
S'il faisait peur à beaucoup, moi, il ne m'impressionnait pas du tout,
mais j'avais toujours conscience quand je l'approchais
d'être devant un homme très important. " C'est un grand
écrivain. " Cette affirmation de ma mère était toujours
présente à mon esprit et tout naturellement l'admiration
s'imposait. Je n'étais absolument pas gênée par son
accoutrement un peu bizarre. C'était comme ça que
devaient s'habiller les grands écrivains. C'était admis.
Un point c'est tout.
Je l'embrassais toujours de bon cœur, et avec
tendresse, à chaque rencontre, et je ne doutais pas de
l'affection qu'il avait pour moi. Ma mère m'avait dit
aussi qu'il était très beau et j'étais fascinée par sa
grande bouche. Allez savoir !
Un jour de visite dominicale, je me trouvais dans son
bureau. Il m'offrit des biscottes avec de la confiture
et puis tout de go me dit :
- " Je vais te raconter une belle histoire, tu verras ça
peut-être un jour dans tes études. "
Et il me raconta l'Odyssée : Ulysse, les compagnons transformés en
cochons, le Cyclope, les Sirènes... J'étais émerveillée.
Sa manière de raconter me fascinait. J'avais
l'impression qu'il inventait tout ça pour moi...
Patatras ! Il s'arrêta :
- " Nom de Dieu ! le chien d'Ulysse ! le nom du chien !
"
Il ne trouvait pas et répétait, agacé :
- " Le nom du chien ! le nom du chien ! "
Rien
à faire. Il ne trouvait toujours pas. Je restais la
bouche ouverte. C'était terminé pour aujourd'hui.
Le lendemain matin, ma mère trouva un bout de papier dans la boîte aux
lettres. Sans bien comprendre, elle le ramena à la
maison. Sur le message, écrit de la main de Céline, un
seul mot : Argos.
(Serge Perrault, Routes des Gardes : les voisins d'à côté, Autour de
Céline 3, Du Lérot 1994).
**************
CES ACADEMICIENS...
Maurice
Schuman déclare :
" Je suis allergique, totalement allergique au style de Céline, avant même
l'époque à laquelle il s'est prosterné devant
l'occupant. "
Son collègue Jean Dutourd :
" Il y a pourtant de très bonnes choses chez Céline. "
Félicien Marceau est là pour les rassurer :
" il n'y a pas de fautes de grammaire ".
(Le Quotidien de Paris, 12 janvier 1994, dans Autour de Céline 3,
Ménage de printemps par J.-P. Louis).
**************
L'ARRIVEE A SIGMARINGEN.
Quand
un matin du début de novembre 1944, le bruit se répandit
dans Sigmaringen : " Céline vient de débarquer ", c'est
de son Kränzlin que le bougre arrivait tout droit.
Mémorable rentrée en scène. Les yeux encore pleins du
voyage à travers l'Allemagne pilonnée, il portait une
casquette de toile bleuâtre, comme les chauffeurs de
locomotives vers 1905, deux ou trois de ses canadiennes
superposant leur crasse et leurs trous, une paire de
moufles mitées pendues au cou, et au-dessous des
moufles, sur l'estomac, dans une musette, le chat Bébert,
présentant sa frimousse flegmatique de pur parisien qui
en a connu bien d'autres.
Il fallait voir, devant l'apparition de ce trimardeur, la tête des
militants de base, des petits miliciens : " C'est ça, le
grand écrivain fasciste, le prophète génial ? "
Moi-même, j'en restais sans voix.
(...)
La première stupeur passée, on lui faisait fête. Je le
croyais fini pour la littérature. Quelques mois plus
tôt, je n'avais vu dans son Guignol's band qu'une
caricature épileptique de sa manière (je l'ai relu ce
printemps, un inénarrable chef-d'œuvre,
Céline a toujours eu dix, quinze ans d'avance sir nous).
Mais il avait été un grand artiste, il restait un prodigieux voyant. (Lucien
Rebatet, Les Cahiers de l'Herne, Poche-Club, 1968,
p.43).
**************
ALPHONSE JUILLAND A RETROUVE
ELIZABETH CRAIG.
En
1988, on sut qu'était retrouvée Elizabeth Craig, cette
danseuse américaine qui fut la compagne de Céline
pendant qu'il rédigeait Voyage, de 1926 à 1932.
(...) La première, l'extraordinaire surprise, fut d'apprendre qu'elle
n'avait pas ouvert l'exemplaire de Voyage envoyé
par Céline. Elle le donna à un frère (décédé sans
héritier direct : l'exemplaire est donc devenu un objet
célinien mythique, comme
le
totem à l'oreille cassée de Tintin). Elle ignorait même
que Voyage lui fût dédié. Elle avait vaguement
compris que Céline avait été emprisonné (pendant
l'Occupation par les Allemands, pensait-elle). Le
professeur Juilland lui fit lire la traduction anglaise
de Voyage, elle n'en vint pas à bout.
(...) Elle se souvenait qu'il tenait volontiers des
propos germanophiles. Mais antisémite, ce lui fut une
découverte. Le seul ami de Céline qu'elle ait continué à
fréquenter aux Etats-Unis était un juif (probablement le
Dr Gozlan) ! Notons au passage combien le professeur
Juilland est détaché des tabous et prudences
(obligatoires) qui brident en Europe les études
céliniennes. A la fois peureux et brave, Céline,
écrit-il, " mit sa carrière en danger en écrivant
Bagatelles et L'Ecole des cadavres,
œuvres obsessionnelles
dépourvues de sagesse, mais qui ne manquaient
certainement pas de courage. "
Le
principal mérite de son livre, en fin de compte, c'est
qu'il permet de mieux cerner la création célinienne.
Prenons la fameuse lettre à Milton Hindus déjà citée : "
... Elle vivait dans un nuage d'alcool, de tabac, de
police et de bas gangstérisme avec un nommé Ben Tenkle -
sans doute bien connu des services spéciaux. "
Exagération bien sûr, mais à partir d'une intuition, d'un coup d'œil
fulgurants : Benjamin Tankel, que Céline n'a jamais
rencontré, n'était pas gangster, mais tout de même agent
immobilier à Las Vegas, et sa veuve Elizabeth reconnaît
qu' " il avait été élevé dans le rude milieu des
immigrants où descendre quelqu'un n'était pas une bien
grande affaire " (du moins " par l'intermédiaire d'un
tiers ").
C'est de Céline certainement qu'Henri Mahé tenait que Ben Tankel était
juif. Or Elizabeth l'ignorait : " Je n'ai jamais su, il
ne m'a jamais dit qu'il était juif. (...) On ne savait
pas ces choses-là, parce que personne n'en parlait à
l'époque. (...) Son père était russe et sa mère
franco-allemande. "
(Etienne Nivelleau, Le retour de Molly, BC n° 141, juin 1994).
***************
ARYENS , JUIFS , et COMMUNISTES.
Aussi
les Aryens lui paraissent-t-ils aujourd'hui ne valoir ni
plus ni moins que les Juifs. Bien plus, ces derniers "
ont payé ", comme lui Céline..., qui découvre (avec un
peu de retard) qu'il était fait pour s'entendre avec eux
!
" Eux seuls sont curieux, mystiques, messianiques à ma manière. Les
autres sont trop dégénérés... Des traîtres, des ordures
! Je pense des Aryens ce qu'en ont pensé au supplice
Vercingétorix et Jeanne d'Arc !... Vivent les Juifs, bon
Dieu ! Il y a beau temps qu'ils me sont devenus
sympathiques depuis que j'ai vu les Aryens à l'œuvre,
Fritz et Français, quels larbins ! Abrutis, éperdument
serviles !... Certainement j'irais avec plaisir à Tel
Aviv avec les Juifs ! "
Il est une autre catégorie d'ennemis avec lesquels le
polémiste de Bagatelles pour un massacre
regrette, non sans ironie, de ne s'être point entendu.
Ce sont les communistes : " Il paraît que Staline
apprécie beaucoup mes livres, qu'il se régale du
Voyage (traduction Aragon) ! Quelle chance j'ai
perdue en ne prenant point la suite à Barbusse !
Actuellement, Charbonnières (diplomate français)
viendrait me faire mes chaussures. Thorez m'enverrait
des bonbons, et Ramadier sa fille ! "
Verra-t-on un jour prochain l'anti-sémite et
l'anti-bolcho n°1 prendre son bâton de pèlerin pour
gagner les rives de la Volga ou les monts de Palestine ?
Avec un personnage aussi " hénaurme " tout est possible.
Nous croyons pourtant, quoi qu'il en puisse dire, que Montmartre et les
hôpitaux parisiens seraient encore ces lieux de
prédilection, malgré la " faune " qui les entoure, s'il
était sûr de pouvoir y reprendre tranquillement son
double métier de docteur et d'écrivain !
(Le Phare-Dimanche, 10 octobre 1948, Présentation du Gala des vaches
d'Albert Paraz, BC n°36).
**************
LES CONFERENCES EN BRETAGNE.
"
J'ai été embauché par la Fondation Rockefeller. On
parcourait toute la Bretagne en camion. Avec nous, il y
avait un Breton canadien qui trimbalait sa femme et ses
cinq enfants.
On faisait des conférences dans les écoles sur la tuberculose. On
en faisait jusqu'à cinq ou six par jour. Les paysans à
qui on s'adressaient et qui parlaient surtout patois ne
comprenaient pas toujours nos explications... Ils
écoutaient sagement, sans rien dire... Ils regardaient
surtout les films... Très instructifs, les films... On
voyait des mouches se promener sur le lait... La
pellicule cassait toutes les cinq minutes, ou sautait.
Ça ne faisait rien... On
réparait... "
(Claude Bonnefoy, L.-F. Céline raconte sa jeunesse, Ed Dynamo, Liège,
1961).
**************
DEPART POUR BADEN-BADEN.
Effectivement
c'est le 17 juin 1944, quelques jours après le
débarquement des alliés, que Céline avait quitté
Montmartre pour Baden-Baden, disait à qui voulait
l'entendre qu'il se rendait à un congrès. " Curieux
congrès, note Lucien Rebatet, pour lequel le docteur
Destouches était parti avec vingt malles, dont une
douzaine, selon son intime Ralph Soupault, remplies de
fers à chevaux, de fers de pioches, de fil barbelé,
haches, bassines, serpes, harnais, pour le troc
alimentaire avec les cultivateurs teutons (trois pièces
de la rue Girardon étaient paraît-il bourrées de
matériel agricole dans le même dessein). Ainsi se crée
les légendes. Une chose est sûre, Céline part en
emmenant Bébert, le chat de Le Vigan, qui sera le témoin
montmartrois de son exil. Pendant les années passées au
Danemark : " Chaque soir, racontait Lucie, sa femme, il
éparpille sur la table des livres montmartrois, des
chansons, des photos, il passe des heures avec ses
souvenirs. La nostalgie de la Butte le rend fou... "
Ce que confirme un journaliste : " Car Céline, à
Copenhague, a découvert l'idée de la patrie. Céline
devient enragé. Un cafard colonial le travaille jour et
nuit. Mais à la vérité, cette patrie qui le fait
délirer, ce n'est pas la France, ce n'est même pas
Paris, c'est la Butte. " D'exil, il écrit à Victor Carré
: " Quand on est demi-morts comme nous, tout ce qui
touche au dernier endroit où on a vécu devient
infiniment précieux. " Il a deux livres qu'il relit
constamment. A travers Montmartre et La Vie à
Montmartre ; il souhaiterait aussi s'abonner au
Bulletin de la Société d'histoire du vieux Montmartre
" s'il existe encore. " (Magazine Littéraire,
Nouveaux regards, octobre 2012).
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MUSSOLINI PARLE DE CELINE.
J'ai lu le livre de Céline que vous m'avez apporté
de France. Voyage au bout de la nuit deviendra un
classique de notre siècle. Céline, vous me le confirmez,
est un admirateur de la révolution. Son argot
boulevardier est la langue des communards que j'ai
apprise en lisant Lissagaray, Malon, Vaillant. Les faits
racontés par Céline sont ce qu'ils sont. Mais son style
est décidément révolutionnaire. Céline m'a fait savoir
par Canudo, par Antona Traversi, par Antonio Aniante,
que l'Europe de demain, quelle que soit l'issue d'une
guerre mondiale future -, et ce serait trop beau de ne
pas croire en cette déflagration -, sera fasciste. Il
m'a fait savoir, en son temps, par Cerruti, que le texte
de mon article " Le péril jaune ", réédité par
vous, Yvon, dans La strada verso il popolo, l'a
impressionné. Il a demandé à Cerruti de me dire que la
fin de l'Europe pourrait survenir de l'Est.
Depuis votre retour de France, vous me parlez toujours
de l'écrivain Céline. J'ai lu l'argot en bouillie de
Voyage au bout de la nuit. Ecriture jacobine,
insatisfaction termidorienne, désir de reconstituer
l'absolutisme du type anarchiste, chemin précis vers
l'absolutisme de type tzariste. Faites-le vivre
longtemps, un type comme Céline, et la postérité en
verra des belles !
Je ne sais pas si cet écrivain est capable d'amour. Il est prêt à
exploser de rancœur. Mais
que diable l'humanité lui a donc fait ? Il n'a pas
compris grand-chose à Nietzsche. Et il n'a rien compris
à Blanqui. Proudhon lui ronge le cerveau comme un ver.
Mais comment est-il possible qu'un personnage comme
Céline soit médecin ?
(Benito Mussolini, Taccuini mussoliniani rassemblés par Yvon De Begnac,
Ed. établie par Francesco Perfitti, coll. Storia Memoria,
Bologne, Ed. Il Mulino, 1990, dans BC n°214).
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FRANCOIS GIBAULT PORTRAITISTE.
François Gibault, biographe de
Céline et avocat de renom, vient de publier son second
roman, Un cheval, une alouette (La Table ronde).
Roman ou confession ?
Avec sa grande gueule et sa jambe de bois, quand il
était saoul, Gen Paul pissait pour un oui ou pour un non
et dans les endroits les plus insolites, sur la porte
des commissariats de police, aussi bien que sur des
femmes du monde ou des voitures d'enfants. " C'est le
diable en personne ", disait Madame, restée très
imprégnée de ce qu'en avait écrit Monsieur.
C'est vrai qu'avec son rire jaune, ses mains longues et ses yeux
électriques il y avait du Satan chez lui, surtout quand
le vin de Bordeaux lui donnait des ailes qui n'avaient
rien d'angéliques. C'était là surtout qu'il déconnait et
pissait à tort et à travers, c'était là aussi qu'il
peignait admirablement les gens comme il les voyait, et
comme ils sont, déhanchés, tordus et dansants, des
tronches, les yeux hors de la tête et congestionnés
comme s'ils allaient exploser. Il a commencé mon
portrait vingt fois, en toge, il est venu m'entendre aux
Assises de Versailles, pour un assassinat, et m'a fait
des petits cadeaux pour que je n'écrive pas trop de mal
de lui.
(François Gibault, BC n° 208, avril 2000).
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AUDIARD ET CELINE.
" Mort à crédit est le seul film à faire depuis
dix ans si on veut réveiller le cinéma qui est en train
de devenir la maison de campagne de la télévision ",
annonça sentencieusement Audiard.
Les choses s'emballèrent. Michel aussi. Une date de début de tournage fut
même annoncée : 15 mars 1968.
" Je garderai le plus possible des dialogues de Céline, promit
l'initiateur du projet. Des pages entières de
description seront dites par un commentateur tandis que
défileront les images. Je tournerai en couleurs dans
Paris et dans la périphérie. Beaucoup de paysages de
nuit. C'est formidable la nuit à Paris. Dans mon film,
comme dans le roman, il y aura du délire. "
Il était aux anges, le Michel. Enfin, il allait
pouvoir réaliser l'un de ses rêves et rendre hommage à
ce Céline qu'il vénérait. Hélas, mille fois hélas, tout
ce qui touchait à cet écrivain brûlait comme du soufre.
Cette future œuvre, dont
Audiard imaginait les plans principaux, ne put se faire.
La production hésita, les acteurs furent réclamés par
d'autres contrats, le scénario tardait à paraître, tout
se liguait contre cette Mort à crédit.
Déçu, aigri, Michel jeta l'éponge. Ce nouvel échec sonna le glas de la
transposition à l'écran de l'œuvre
de Céline. Le voyage restait inachevé, le crédit non
recouvert...
Quelques jours avant la sortie de son film Le Cri du
cormoran le soir au-dessus des jonques, Michel
concrétisa un rêve d'enfant. Une folie. Il acheta une
librairie rue des Grands Augustins. La Mandragore,
autrefois spécialisée dans la littérature fantastique.
Oh, pas une immense bâtisse, sorte de supermarché du
livre où le papier se vend à la tonne et non à
l'attrait, mais une petite boutique surmontée d'un
appartement à peine plus grand.
Nul dessein mercantile mais une fantaisie de bibliophile. La preuve : il
voua entièrement ce lieu au culte de Céline ! Lucette
Almanzor lui confia des exemplaires numérotés ainsi que
des éditions originales et, pièces rares, des
manuscrits.
Audiard caressa l'envie de coupler une activité d'éditeur à ses nouvelles
fonctions, publiant des inédits de son auteur fétiche.
Mais face au peu d'engouement que suscita ce vœu,
il renonça, l'âme blessée. Céline continuait d'être
maudit et Audiard de l'aimer.
(Philippe Durant, Michel Audiard, La vie d'un expert, préface de
Jean-Paul Belmondo, Dreamland éd. 2001, dans BC n°223).
**************
LA MISSION AMERICAINE EN
ILLE-ET-VILAINE.
La
Mission, après un séjour à Montfort, durant lequel elle
a poursuivi de la façon la plus active son rôle de
propagande, va quitter cette ville pour se diriger dans
le Nord du Département.
Une conférence solennelle a été donnée à Montfort dimanche soir, dans une
grande cour d'école publique. Le cinéma avait été
installé en plein air, ainsi que la tribune où prirent
place : M. Chantal, sous-préfet, qui présidait, entouré
de M. le Docteur Vincent, Secrétaire Général des
Missions Rockefeller dans le monde entier ; M. le
Professeur Gunn, de l'Université de Boston ; M. le
Docteur Follet, Président du Comité d'Ille-et-Vilaine
des " Blessés de la Tuberculose " ; MM. Bahon, Bitouzé,
et Mme Tessier, du même Comité ; M. Porteu, député de
l'arrondissement, etc...
Une foule immense se pressait sous les arbres, et les orateurs qui
prirent successivement la parole furent chaleureusement
applaudis. Ce fut d'abord M. le Sous-Préfet qui souhaita
en termes excellents la bienvenue aux membres de la
Mission et du Comité, puis M. le Professeur Gunn qui,
dans un langage émouvant rappela tout ce que l'Amérique
veut faire pour la France ; M. le Docteur Follet traça
ensuite à grands traits l'Œuvre
qu'il s'agit de mener à bien, et enfin M. Destouches, le
brillant conférencier, sut à la fois charmer et
instruire son auditoire. La séance de cinéma retint les
assistants jusqu'à 11 heures du soir.
La Mission Rockefeller va porter la bonne parole dans les localités
suivantes : à Bécherel, le 5 mai, où sera organisée, de
concert avec le Comité de l'Œuvre
Grancher, sous la direction de M. Laurent, premier
adjoint au Maire de Rennes, une réunion-conférence où
seront présentés les enfants de l'Œuvre
Grancher. Puis la Mission ira à Combourg les 8 et 9 mai
pour atteindre Dol les 10, 11 et 12 mai, et arriver
enfin à Saint-Malo le 14 mai. A cette date, nous
donnerons tous les détails nécessaires de son action
dans les quatre villes de Saint-Malo, Paramé,
Saint-Servan et Dinard.
(Le Nouvelliste - Rennes - 1er mai 1918, BC n° 222).
**************
CELINE, DE L'AUTRE COTE DE LA
VIE.
Bien que le sentiment de reconnaissance n'étrangle
pas plus Céline aujourd'hui qu'hier, il n'a tout de même
pas oublié certains articles parus dans Carrefour
en 1952, où Roger parlait de lui comme d'un " bouc
émissaire d'un grand nombre de gens " et, encore moins,
du cri provocateur du même Nimier : " Donnez le Nobel
à Céline ! " qui avait fait sursauter, en octobre
56, les paisibles lecteurs des Nouvelles littéraires.
L'ardeur qu'a mis Nimier à préparer la sortie d'Un
château l'autre parviendra même à impressionner
Chardonne qui, dans le passé, lui avait donné ce conseil
: " Ne lisez pas Céline. Vous ne buvez que de
l'excellent cognac. Inutile de vous adonner à cette
vodka. On en boit quand on veut s'enivrer ou en mangeant
des steacks tartares. "
A présent, au contraire, il défaille d'admiration :
" Votre lancement de Céline sera mémorable. C'est un
tremblement de terre. " Chardonne n'a pas changé
d'opinion sur l'auteur du Voyage - dont il n'a
vraisemblablement jamais lu une ligne -, mais il admire
l'exploit de Nimier qui, avec la complicité amoureuse de
Madeleine Chapsal, a réussi à décrocher ce " scoop " :
une longue et explosive interview de Céline dans
L'Express qui se veut être la voix de la France
progressive.
On a du mal aujourd'hui, si l'on n'a pas vécu cette
période, à imaginer le raffut qu'a pu produire cette
interview, dans le Landerneau journalistico-politico-littéraire.
On s'en fera néanmoins une idée si l'on sait qu'au cours
des années qui précédèrent, un Albert Béguin, " grande
conscience chrétienne ", traitait Céline de " chien
servile, gluant de bave rageuse ", un André Breton
l'accusait de " faire appel à ce qu'il y a de plus
bas au monde ", un Roger Vailland regrettait de ne
pas l'avoir exécuté en 1944, un Pierre Hervé, dans
L'Humanité, l'accusait, le plus sérieusement du
monde, d'avoir été un " agent de la Gestapo ", et
qu'un journaliste comme Bernard Lecache qui, plus tard,
se taillera une réputation dans la défense des Droits de
l'Homme et de la Laïcité, menaçait, tranquillement : "
Qu'il revienne, Céline ! Nous l'attendrons à la gare
! "
(Christian Millau, Editions de Fallois, BC n°196 mars 1999).
*************
DERNIER REGARD SUR CELINE.
Dans le même ordre d'idées, quand tout s'offrait à
lui de ce que poursuivent généralement les petits
Rastignacs : un avenir assuré dans le confort et la
respectabilité bourgeoise, une médecine provinciale avec
chaire à la Faculté, dîners de têtes et ruban rouge, il
ne s'est pas tenu sur ses gardes, loin de là. Bien sûr,
le temps n'est pas loin où le coup d'éclat du Voyage
va le séparer à jamais de ce monde trop bien établi,
mais, en 1919, ce n'est pas par l'opération du
Saint-Esprit qu'il s'est trouvé marié à cette bien fade
Edith Follet, fille du directeur de l'Ecole de Médecine
de Rennes.
On ne le forçait pas, à vingt-cinq ans, à effectuer,
avec un toupet monstre et sans d'ailleurs avoir le grade
de docteur, la consultation en lieu et place de
son beau-père.
Il faut croire qu'à un moment Céline s'est trouvé un goût certain, ou
pour le moins une certaine complaisance, envers cette
marmelade de bons sentiments, ce provincialisme
ubuesque. L'homme, alors, a réagi. Céline innocent ?
Oui, mais un innocent qui connaît le goût du péché et
qui se rachète par la force purifiante du cri. Il a
voulu fuir une part native de lui-même - cette byzance
intime -, et le célinisme a jailli d'un mouvement
d'effroi.
(Christian Dedet, Les Cahiers de la Licorne, avril 1964).
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AUTODIDACTE.
(...) En outre, le fait que l'adolescence de Destouches
fut très tôt éloignée du cocon familial a contribué,
d'une façon durable, à forger la sensibilité de
l'écrivain : l'existence débraillée du jeune Destouches
s'explique en effet par sa formation effectuée loin de
l'autorité parentale. Dès qu'il échappe à la tutelle
austère de son père, le petit Louis semble donner libre
cours à son attirance pour les milieux interlopes.
Marcel Brochard, proche de la famille, nous apprend : " On t'envoie en
Allemagne à 14 ans en vue d'apprendre la langue et le
commerce. Précoce, tu couches avec ta logeuse et te fais
renvoyer. On t'expédie en 1909 en Angleterre, où des
aventures de même genre te font " rendre à tes parents
".
Le service militaire, que Destouches commence
en 1912, fut justement un des expédients auxquels eut
recours un père désespérant d'introduire plus de
discipline dans l'existence légère de son rejeton, dans
l'optique de lui bâtir un avenir honorable. Celui-ci
était d'ailleurs tout tracé grâce à l'assurance d'un
poste commercial dans la bijouterie de Lacloche, grande
maison de réputation internationale.
L'expérience londonienne où les rencontres douteuses
(proxénètes, danseuses) constituent la trame de
l'existence du militaire Destouches, et où son premier
mariage avec une " entraîneuse de bar " " suppose,
comme le remarque Godard, une fréquentation du milieu
plus que superficielle ", renforce son penchant pour
la vie aventureuse des " affranchis " et des "
hors-la-loi ".
L'exploration de ce milieu insolite où le jeune et instable Destouches a
jeté l'ancre, vient naturellement nourrir en profondeur
la toile de fond de l'esthétique et de l'éthique de
l'écrivain Céline, qui prétendra, non sans exagération,
" avoir tout pour être maquereau ".
(Mie-Kyong Shin, BC n° 249, janvier 2004).
*************
CHRISTIAN DEDET ET L'HERNE.
Anecdote plaisante, pour terminer : fin octobre,
Christian Dedet voit Dominique de Roux " en bavardage
avec une bonne dame blonde à la stature d'athlète, à
l'accent wallon, qu'il m'avait présentée comme une
ancienne maîtresse de Céline : Evelyne Pollet, venue lui
apporter sa correspondance avec l'auteur du Voyage.
Pas tardé à sentir un peu d'embarras - enfin amusement,
de la part de D. qu'on verrait mal embarrassé de quoi
que ce soit : cette dame arrivait tout droit de la gare
du Nord avec sa valise et pensait que notre ami la
logerait.
Aussitôt, D. suggère que je l'emmène chez moi. Mais l'exiguïté d'un
studio ? Il s'est donc résolu à lui trouver un petit
hôtel, entre Cayré et Pont-Royal - le lui a offert,
j'espère ? Et aujourd'hui, billet par pneu, pour me
faire la nique : " La Belge s'est extasiée sur toi.
Elle a acheté Le Plus Grand des Taureaux. "
(1)
Et Dedet de commenter malicieusement : " Oui, mais à
supposer que j'aie hébergé, et réussi à pousser mon
avantage avec cette personne qui dut avoir 30 ou 35 ans
de moins que son illustre amant, encore nantie de forts
beaux restes, je suis sûr que le fantôme de Céline
m'aurait paralysé ! "
(1) Roman qui marqua la bibliographie taurine et
hispanique des années soixante.
(Christian Dedet, Sacrée jeunesse, Chronique des " sixties ", Les Ed. de
Paris, 2003).
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SOUVENIR D'ALBERT.
(...)
Un jour, nous trouvant à Meudon, ma femme et moi, nous
acceptâmes l'invitation de Paraz et nous allâmes le voir
à l'auberge-infirmerie de Vence où il régnait. Reçus à
bras ouverts, environnés de menues crises d'hilarité
comme un lapin-chasseur est environné de champignons,
nous passâmes une drôle de journée aux côtés du pacha,
dans de continuelles allées et venues.
Il avait l'air d'un obèse dégonflé, d'où émanait une gaieté tranquille,
entretenue par des acclamations féminines. Car, par
toutes les portes, entraient de jeunes femmes qui se
mêlaient au jeu, en se regardant entre elles plus ou
moins de travers. Et le roi Albert de se tourner tantôt
vers l'une, tantôt vers l'autre avec un sourire Pausole...
Toutes se précipitaient pour lui offrir un gâteau, un
coussin, un livre. Il répondait par une pluie de
calembours.
Quelques mois après, il vint à Paris, avec deux cannes et une personne de
son harem. Nous en profitâmes pour pousser jusqu'à
Meudon, où je vis Paraz intimidé et affligé par
l'attitude de Bardamu, qui lui adressait à peine la
parole. Or, durant l'exil danois des Destouches, Paraz
s'était prodigué, se compromettant à fond pour défendre
l'exilé, lui envoyant quantité de choses, échangeant
avec lui une correspondance fervente, et l'accablant de
conseils qui n'étaient pas suivis.
L'expérience montrait qu'il ne fallait pas, avec l'auteur de Mort à
crédit, jouer la familiarité, sans quoi les
relations finissaient par tourner mal.
Ce jour-là, mon Albert s'en alla fort déconfit, mais sa dévotion
célinienne demeura intacte. Sa vie ne tenait
malheureusement plus que par un fil. Je crois qu'il
mourut l'année suivante. La position qu'il avait prise
l'avait fait mettre sur toutes les listes noires.
C'était l'habituel châtiment des non-conformistes : on ne parlait
plus d'eux dans les journaux et du coup leurs livres ne
se vendaient plus. (Robert Poulet, dans le BC n° 163,
avril 1996).
*************
JEAN d'ORMESSON, DE BORA BORA à BOULDER.
Un
jour, je lus dans " La Sélection du Monde " que
Jean d'Ormesson avait été élu à l'Académie. Dans
l'hydravion de Papeete à Bora Bora, j'avais rencontré un
petit type en jeans qui prétendait avoir perdu ses
bagages et qui disait s'appeler Jean d'Ormesson.
D'Ormesson était un nom connu, on se souvenait de Wladimir. Jean
n'existait pas encore et je pris ce Jean d'Ormesson pour
un cousin pauvre, un routard de bonne souche, "
hopping around ". Quand on amerrit dans l'île, il
sauta le premier sur le débarcadère où nous attendaient
deux gendarmes de la République, enfourcha un vélo et
disparut. Quelque temps après, il vint me demander
l'usage de ma salle de bain. Il s'était logé " en ville
", et son faré n'avait pas l'eau courante. Moi, mon
bungalow était en bordure de plage, et au retour de
chaque baignade, je m'émerveillais de ne jamais
retrouver la trace de mes pas, c'est dire la qualité du
service.
Après sa douche, on marchait un peu, et je me souviens
de conversations dans la cocoteraie qu'on arpentait un
œil en l'air sur les arbres.
La chute des noix de coco était un des dangers de l'île,
comme les crabes quand on roulait à vélo. Il semblait
connaître tout le monde à Paris, et je lui avais raconté
la récente promotion à Réalités qui me valait ce
tour du monde en première classe. Depuis, j'avais manqué
les enchaînements, et ce Jean d'Ormesson, directeur du
Figaro, élu à l'Académie française, me donna le
vertige qu'éprouve le Narrateur du Temps retrouvé
retrouvant le monde au sortir de sa maison de santé. Il
s'agissait certainement d'une homonymie. Les d'Ormesson
étaient peut-être aussi nombreux que les Monod ou les
Borgeaud, et ils se partageaient les prénoms.
(...) Bien plus tard, dans un débat à " France-Culture
", je verrai son œil bleu
toujours pur de tout parti -pris aller d'un "
spécialiste " à l'autre, de Godard à moi, comme à Roland
Garros on suit la balle, impartialement, sans
parti-pris.
A la FNAC d'Angers où je le suivais de peu, il m'avait déjà
annoncé : " Vous verrez ". (Philippe Alméras, BC
n°236, nov. 2002).
****************
NADEAU et CELINE.
Lorsque
Céline était en exil, Maurice Nadeau fit preuve de
générosité envers lui. Il correspondit avec le paria et
n'hésita pas à lui ouvrir les colonnes de Combat
pour lui permettre de répondre à ses détracteurs.
Au fil du temps, cette mansuétude pour l'homme s'amenuisa pour aboutir,
en 1994,à un article très hostile, largement inspiré par
la biographie de Ph. Alméras.
En revanche, son admiration pour l'écrivain est toujours intacte. Dans un
récent ouvrage d'entretiens, il évoque la période où il
prit sa défense : " A Combat, en 1946, il était
difficile de parler de Céline. Et son antisémitisme me
répugnait comme à tout autre. Je ne pleurais pas sur son
sort, mais si je prenais la défense d'Henry Miller au
nom du droit d'expression, l'écrivain Céline - on ne
peut lui refuser cette qualité - devait-il en être exclu
?
J'ai donc publié un reportage de Massin qui venait d'aller le voir au
Danemark et ce, dans Combat, quotidien de la
Résistance, qui, je vous le rappelle, était dirigé par
Pascal Pia qui lisait tous les articles avant
impression.
Céline - dont on était en train d'instruire le procès - m'avait écrit
qu'il voulait rentrer à Paris. " Je voudrais aller
sur la tombe de ma mère et voir l'Arc de triomphe ".
En dépit des libelles féroces qu'il publie contre tel ou
tel, des gémissements dont il fait le meilleur usage
pour apparaître comme une " victime ", son procès se
termine au mieux pour lui. Il s'installe à Meudon comme
médecin et continue d'écrire.
On veut me faire inviter chez lui. Je refuse, parce que je ne tiens pas à
le rencontrer. L'homme Céline - que je crois pourtant
profondément malheureux - ne m'intéresse pas. C'est
l'écrivain que j'admire et que je continuerai d'admirer
".
A noter que le reportage de Massin n'a pas été publié dans Combat,
mais dans La Rue. (Maurice Nadeau, Une vie en
littérature, Conversations avec Jacques Sojcher, Ed.
Complexe, coll. L'ivre examen, BC n°238).
****************
NATIONAL SANS ETRE NATIONALISTE.
Le celtisme, le mysticisme et l'exaltation de l'âme
immortelle, qui fournissent à l'auteur de L'Ecole
un alibi culturel à un choix politique, celui du
racisme, semblent en rapport étroit avec l'influence
d'Olier Mordrel, chef du mouvement autonomiste breton.
Né à Paris d'une famille catholique bourgeoise et fils
d'un général de l'armée coloniale, Olier Mordrel - de
son vrai nom, Olivier Mordrelle - a fondé en 1919 le
journal, Breiz Atao (" Bretagne toujours "),
devenu en 1927 organe du parti national breton.
Agitateur politique dans les années vingt - il a dirigé l'organisation
Gwenn Ha Du (" Blanc et noir ", les couleurs du
drapeau breton) perpétrant avant-guerre certains
attentats dans la région -, et lié à partir de 1927 aux
autonomistes alsaciens, dont Hermann Bickler alors
étudiant en droit, Mordrel évolue rapidement vers un
séparatisme celtique fondé sur une théorie
ethno-raciste. Condamné à mort par contumace en 1940, il
fonde à Berlin, où il se réfugie, un fantomatique "
gouvernement breton " dans l'espoir d'obtenir des
Allemands la création d'un Etat breton.
Rentré en Bretagne après la défaite, il participe à la création d'un
Conseil national breton et à la rédaction de L'Heure
bretonne qui en devient l'organe. Dans cet organe,
Mordrel écrit en 1941 : " Nous ne pouvons adopter
l'idée de l'unité raciale des Bretons, des Toulousains,
des Berbères et des Congolais ".
Dans Stur (" Le Gouvernail ") qu'il a fondé en 1934 et relancé
en 1942, il affirme que le fascisme italien, " phénomène
typiquement latin ", n'a rien à apprendre au " barbare
païen celto-germain " et que le national-socialisme est
d'authentique essence nordique : " L'idée de la liberté
de la Bretagne [doit] avoir la pureté et la violence du
mythe " (Stur, n°1, 1942).
Considérant le catholicisme comme le cheval de Troie de
la francisation, Mordrel veut instaurer, dans son rêve
d'une fédération celtique, une église néo-païenne
teintée de folklore druidique. Céline fait la
connaissance de Mordrel en Bretagne, lieu natal
fantasmé, où il rédige une bonne partie de Bagatelles
ainsi que de L'Ecole.
L'ouvrage d'Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, témoigne de
fait à maintes reprises de l'intérêt particulier que
l'écrivain porte au mouvement séparatiste breton. (Mie-Kyong
SHIN, BC n° 242).
*************
LE RÊVEUR BLESSÉ.
Révélation
du célèbre film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la
Pitié, et auteur du Rêveur casqué (4 millions
d'exemplaires vendus), Christian de La Mazière avait
défrayé la chronique voici trente ans en évoquant son
engagement dans la division Charlemagne et sa campagne
de Poméranie.
Les céliniens savent aussi qu'il a inspiré un roman à Frédéric Vitoux,
L'Ami de mon père. Ils apprendront que Le Rêveur
casqué incita Brassens à écrire Mourir pour des
idées...
Ce pétulant jeune homme nous revient avec la suite de ses aventures,
depuis sa sortie du bagne de Clairvaux en 1948 " jusqu'à
nos jours ", ai-je envie d'écrire, tant le monde des
années 40, 50 et 60 qu'il décrit avec talent paraît
lointain aujourd'hui. Les Halles et leurs clandestins,
les débuts du Siècle, les milieux du cinéma
(Clair, Gabin, Audiard, Guitry : il les a tous côtoyés),
la dolce vita (Gréco et Dalida, ses amies de cœur),
mais aussi Nimier, Goscinny ou Héduy : c'est toute une
galerie de portraits qui nous est proposée.
Tour à tour cocasse et bouleversant (les pages sur les chagrins
d'enfant), ce " soldat d'occasion par fidélité à un
idéal blessé et [un] prisonnier politique par
malaventure " dresse un tableau bigarré des
cinquante dernières années, de la Provence au Togo, en
passant par le Figaro-Magazine et Le Choc du
mois.
Le passage le plus émouvant pour les céliniens est celui où il parle de
Le Vigan, son ami depuis 1942. C'est La Mazière qui
trouvera la filière permettant à l'acteur de quitter la
France pour l'Espagne, grâce à un ami condamné à mort
par contumace... mais présent au procès de Pétain sous
une fausse identité !
L'ancien aspirant de la Waffen SS rend visite à La Vigue peu avant son
départ pour l'Argentine, un voyage payé par des amis
dont Pierre Fresnay. La Mazière travaille même un moment
à un projet éditorial du plus haut intérêt : la
publication de la trentaine de lettres échangées entre
l'acteur exilé et Céline.
Tout le livre, grave et léger à la fois, illustre un type d'homme en voie
d'occultation : le gentilhomme européen. (Christophe
Gérard, Christian de La Mazière, Le Rêveur blessé, Ed.
de Fallois, 2003, dans BC n° 243).
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LA LIBRAIRE de CELINE.
Mme Thomassen, qui tenait à l'époque la Librairie
française de Copenhague, Bad Stuestraede 6, et erre
encore, bougonnante et bien crounie, comme aurait dit
Bardamu, dans les rayons aujourd'hui tenus par sa fille,
n'est pas tendre envers Céline : " Il prétendait
qu'il n'avait rien à manger. Je lui apportais de la
viande, du porc. Un jour, je me suis aperçue que c'était
son chien qui la mangeait. Je n'acceptais pas qu'il
m'achète des livres, je les lui donnais. Eh bien, quand
il est rentré en France, en 1951, il est parti sans dire
au revoir ni merci. Je lui ai écrit, il ne m'a jamais
répondu. Il avait beau m'écrire " ma géniale libraire "
du temps où je pouvais lui rendre des services : pour
lui, sans doute, je n'étais qu'une libraire de province.
J'en ai bien eu un peu d'amertume. "
Le
moins qu'on puisse dire, pourtant, est que Mme Thomassen
n'éprouve pas de réticence envers le Céline de
Bagatelles : " Moi je n'ai jamais pu lire le Voyage...
je le lui avais dit, d'ailleurs. Il était très en
colère. Il était très fier de ce livre. Ce qui me
plaisait, c'étaient les pamphlets. Je trouvais ça très
amusant. "
Eh bien, les choses sont claires. Mme Thomassen en rit encore, à
petits coups, secouant ses joues creuses, effondrées
autour des chicots disparus, à la manière des
grand-mères de Chaval. La bonne blague... Assise sur une
chaise au fond sombre du magasin, les larges mains
posées bien à plat sur sa vieille robe noire, l'œil
assez vif quand même, Mme Thomassen ramone sa mémoire :
" Une chose, par exemple, il était grossier comme un
pain d'orge. Il avait remarqué que je détestais les gros
mots, alors il en remettait, j'essayais de rester bien
impassible, il me regardait sous le nez en disant : "
Tiens, elle bronche pas ".
Mme Thomassen s'amuse à ce souvenir comme à celui des désopilantes
Bagatelles pour un massacre... Elle surveille les
allées et venues de sa fille, ronchonne parce qu'elle ne
sert pas assez vite les clients. " Elle voudrait
m'empêcher de travailler... mais la librairie, chez moi,
c'est un virus. " (Chère et géniale libraire,
Lettres à Denise Thomassen (1949-1951), Ed. Capharnaüm
et La Pince à linge, dans BC n° 244).
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C'EST UN BELGE !
J'ai connu Céline en 1934, dans un bistrot rue Lepic.
On s'est tout de suite tutoyés avec la même cordialité
et le même abandon que maintenant. Il anticipait avec
une simplicité d'extra-lucide quinze ans d'amitié, je
précise qu'il n'avait pas été question de présentations,
il me prenait pour un client quelconque qui vient boire
son café en vitesse. Plus tard, je lui ai donné le
manuscrit de Bitru, il l'a lu et m'a dit : "
Va voir le père Denoël, c'est un Belge ! "
Il me disait c'est un Belge comme il eût dit c'est un
faible, ou un demi-fou, ou un faisan, ou un pigeon,
quelque chose de tout à fait morphologique et déterminé
mais va savoir en quoi ? C'est un des mots de Céline les
plus hermétiques, que j'ai pas encore élucidé, mais qui,
nonobstant, m'a rendu d'énormes services. Un maître mot,
un mot magique : quand j'avais des discussions avec
Denoël je me disais : t'en fais pas, c'est un Belge ! (Albert
Paraz, Le Gala des vaches, 1948, dans BC n° 248,
décembre 2003).
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A SON PERE.
C'était
en 1973 au micro de Jacques Chancel (" Radioscopie ").
Jean Guenot, qui venait alors d'éditer son premier livre
sur Céline, confie que son père a tenté de l'en
dissuader. Même l'épouse de l'auteur a été circonvenue.
En vain.
Aujourd'hui, à l'occasion du quinzième anniversaire de la mort de son
père, il lui consacre un livre de plus de trois cents
pages sous le titre Voilà, voilà... (Lettres à
Charles) dans lequel il s'adresse directement à lui.
Portrait cruel et tendre à la fois qui fait irrésistiblement penser au
meilleur Jules Renard. Cette France provinciale évoquée
ici appartient à un monde aujourd'hui révolu, et ce
n'est pas le moindre charme de ce livre.
Charles Guenot, fervent lecteur de Jaurès et d'Anatole
France, tenait Céline dans le plus profond mépris. "
Céline est une ordure ! ", et c'était tout. Plus de
dix ans après la parution de ce livre, il y eut pourtant
ce commentaire inattendu : " Tu sais, Jean, il est
bon, ton livre sur Céline. "
Celui-ci l'est tout autant, dans un genre bien différent : Guenot, passé
maître dans l'art d'analyser les écritures, le qualifie
lui-même fort à propos d' " écrit intime brut de
première pression et marqué par l'émotion. "
Il faut saluer l'auteur d'être parvenu à ne pas être le jouet de la vive
admiration qu'il porte à Céline. Son style en est aussi
éloigné que possible, et c'est tant mieux. Impossible de
ne pas être touché par ce dialogue avec le père disparu
où tout ce qui ne fut pas dit de son vivant se décline
avec pudeur et sincérité. (Jean Guenot, Voilà,
voilà... Lettres à Charles, Ed. Guenot, chez l'auteur,
BC n° 249).
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