ÉCRİVAİNS
*
Metin ARDITI (écrivain suisse, homme d'affaires et
mécène passionné de musique): " Mettons les choses au
point : je suis juif. J'ai beau être laïque, non
pratiquant, non croyant, la moindre remarque antisémite
me blesse. Même si elle vient d'un
crétin.
J'aurais aimé pouvoir écrire : " D'ailleurs, ils le sont
tous, les antisémites. Des crétins. Du premier au
dernier... " Le problème, c'est qu'ils ne le sont pas.
(...) Dans le débat à propos de Céline, ceux qui ont
fini par avoir sa peau ont tout mélangé. Céline était un
auteur sulfureux ? Souvent ignoble ? Evidemment.
Fallait-il le boycotter ? Surtout pas ! Au contraire !
C'était même la raison de s'y arrêter. D'explorer l'œuvre.
Le " Voyage ", mais aussi les textes nauséabonds.
Ce qui fait de Céline un auteur de première importance,
c'est son talent immense, mais aussi cette rage,
précisément. Cette incapacité à aimer. Un Céline plus
lisse nous ferait moins peur. Mais alors il serait plus
éloigné de nous. C'est le vrai Céline qui nous aide à
appréhender la vraie vie. C'est ce Céline qui nous
permet de saisir la condition humaine dans tout son
paradoxe. (...) Quel pourcentage de Céline je porte en
moi ? Trois pourcent ? Dix ? Vingt ? Trente-cinq ? Je
parle de sa haine. Pas de son talent. De sa haine de
l'autre. Celle qui rend si malheureux. "
(Pour
Céline, Le Monde, 7 février 2011, le Petit Célinien).
*
Hannah ARENDT (née Johanna ARENDT, philosophe
allemande naturalisée américaine 1906-1975): " André
Gide se dit publiquement ravi dans les pages de la NRF,
non qu'il voulut tuer les Juifs de France, mais parce
qu'il appréciait l'aveu brutal
d'un tel désir, ainsi que la contradiction fascinante
entre la brutalité de Céline et la politesse hypocrite
dont tous les milieux respectables entouraient la
question juive. Le désir de démasquer l'hypocrisie était
irrésistible parmi l'élite : on peut en juger en voyant
qu'un tel plaisir ne pouvait même pas être gâté par la
très réelle persécution des Juifs par Hitler, laquelle
était en plein essor au moment où Céline écrivait.
Pourtant, cette réaction était due à l'aversion pour le
philosémitisme des libéraux, bien plus qu'à la haine des
Juifs. " ( Le système totalitaire, Points-Seuil,
p.59.)
Il s'agirait selon Hannah ARENDT, pour Céline, de
faite tomber le masque à une société hypocrite à l'égard
des Juifs. Céline jouerait en quelque sorte le rôle du
bouffon. Avec cynisme, il dit : voilà ce que vous pensez
vraiment sans l'avouer avec votre absurde
philosémitisme. Je dis ce que vous n'osez pas dire, pour
vous mettre le nez dans votre bêtise, pour montrer
jusqu'où peut aller ce siècle dans le ridicule. Par ses
pamphlets grotesques, Céline décrirait ainsi ce qui à
ses yeux caractérise notre époque : le ridicule.
(
paris4philo.org ).
* Paul AUSTER
(écrivain américain) : Ce n'est " pas une bonne idée "
de mettre à l'écart les écrits " épouvantables " de
Louis-Ferdinand Céline a déclaré vendredi l'écrivain
américain Paul AUSTER, après l'annonce de
Gallimard de suspendre la réédition des pamphlets
antisémites. Faut-il publier de nouveau Bagatelles
pour un massacre et d'autres pamphlets antisémites
comme l'envisageait Gallimard ? " Je ne sais pas,
peut-être, ils étaient partout, et je crois, oui,
finalement " a déclaré Paul AUSTER en français,
sur France Inter.
" Parce c'est un
grand écrivain, un grand écrivain qui a fait des erreurs
de jugement, mais je crois qu'il faut comprendre tout
sur lui, et de supprimer ces écrits, ce n'est pas une
bonne idée, même si c'est choquant et dégoûtant ", a
ajouté l'écrivain, qui recevait le prix du livre
étranger France Inter/JDD.
" C'est un écrivain que j'aime beaucoup, surtout ses romans bien sûr ",
a-t-il ajouté, qualifiant Bagatelles pour un massacre
et d'autres textes d' "épouvantables ".
(Le Point.fr, 12 janvier 2018).
*
Olivier BARDOLLE (critique, essayiste, dirige la
maison d'édition " L'éditeur "): " Vous qui admirez tel ou tel
auteur à succès,
gardez-vous
de l'approcher, vous pourriez en souffrir cruellement.
En général, en littérature, comme en tout autre domaine,
les stars sont infréquentables et vous décevront à coup
sûr.
Qu'en
est-il de nos stars littéraires ? Houellebecq, notre
nouveau Goncourt, est-il de bonne compagnie pour
le quidam qui tenterait de l'approcher ? Ce sont les
œuvres qu'il
faut fréquenter, et non l'auteur. Celui-ci est supposé
avoir mis le meilleur de lui-même dans les textes, il
n'est donc pas surprenant qu'il apparaisse dans la vie
comme inférieur à l'idée que l'on se fait de lui.
C'est là la grande désillusion
pour le lecteur transi, derrière le créateur, il y a
l'homme et l'homme est comme tous les hommes, petit,
mesquin, et parfois même ignoble. Surtout lorsque l'on a
affaire à ce que l'on appelle un génie. Il suffit de
penser à Céline pour percevoir l'écart qui existe entre
le chef -d'œuvre et le bonhomme qui, très péniblement
lui a donné forme. Souvenez-vous du rêve d'Icare qui
voulait s'approcher du soleil et s'est brûlé les ailes.
Regardez-les de loin, à bonne distance, et
repaissez-vous tranquillement de leurs livres, soyez
vampires, l'essentiel est dans le texte. Rien que le
texte, toujours le texte, lui seul résiste au temps.
C'est d'ailleurs ce phénomène qui explique la gloire
posthume, les auteurs morts ne nous cassent plus les
pieds, on peut enfin les admirer tout à son aise. "
(Tenez-vous
à l'écart des monstres sacrés, Service littéraire n° 36,
décembre 2010).
* Georges BATAILLE
(écrivain, 1897-1962) : " Le roman déjà célèbre de
Céline peut être considéré comme la description des
rapports qu'un homme entretient avec sa propre mort, en
quelque sorte présente dans chaque image de la misère
humaine qui apparaît au cours du récit. (...) il ne
diffère pas fondamentalement de la méditation monacale
devant un crâne.
La
grandeur du Voyage au bout de la nuit consiste en
ceci qu'il n'est fait aucun appel au sentiment de pitié
démente que la servilité chrétienne avait lié à la
conscience de la misère. "
( In Philippe Muray, Denoël, Bibliothèque Médiations, n°245, 1984, p.38)
*
Albert BEGUIN (écrivain, critique et éditeur suisse,
1901-1957) : " Je tiens le
Voyage au bout de la Nuit pour l'un des quelques
livres indispensables de notre temps, parce que c'est un
livre vrai, comme il n'y en a pas beaucoup. À mon sens,
cela n'a rien à voir avec le procès Céline, dont je ne
sais pas grand-chose et qui ne sera pas tranché selon le
talent de l'accusé, je suppose. Il n'est pas inutile
d'ajouter qu'après le Voyage, Céline n'a plus
écrit une ligne valable. Tout le reste est divagation
d'un cerveau malade ou ignoble explosion de bassesse.
Tout antisémitisme est répugnant, mais celui de Céline,
gluant de bave rageuse est digne d'un chien servile.
Aussi être cet écrivain et finir par aboyer : telle est
la vraie tragédie de cet homme, à quoi sa condamnation
ou son acquittement ne changeront rien, ni les contre
jappements de ses ennemis, ni les lamentos de ses
laudateurs, apologistes et correspondants. "
(Le Petit Célinien, 12 sept. 2014).
*
Frédéric BEIGBEDER (écrivain,
critique littéraire, réalisateur et animateur de
télévision) : " Jusqu'en 2014, le roman de Sigmaringen
était celui de Louis-Ferdinand Céline, D'un château
l'autre (1957). Une autojustification ubuesque où le
docteur Destouches ridiculisait ce huis clos grotesque
de collabos en fuite, kidnappés et enfermés pendant huit
mois à partir de septembre 1944 par Hitler dans un
château allemand de 383 chambres. L'immense prosateur
musical tentait de dédramatiser
Sigmaringen en décrivant une foire d'impuissants et de
mythomanes.
Tourner en dérision " Sieg-maringen " (il en modifiait volontairement
l'orthographe pour y inclure le salut nazi) était le
moyen que Céline avait trouvé pour se disculper, en
faisant passer la clique de fascistes français pour des
branquignols écervelés. En cela il rejoignait la thèse
défendue par le général de Gaulle et François Mitterrand
: la France de Vichy n'était qu'une parenthèse minable ;
ce n'était pas la République mais une farce censée
protéger les Français contre l'occupant allemand. Le 16
juillet 1995, Jacques Chirac a mis fin à cette légende
en reconnaissant la responsabilité de la France dans les
massacres d'enfants juifs.
Cinquante-sept
ans après Céline, que pouvait ajouter Pierre Assouline ?
La distance. Né en 1953 à Casablanca, il a passé sa vie
à tenter de comprendre cette période trouble de notre
Histoire, publiant des essais sur Combelle, Jardin et
Girardet. Dans Lutecia il avait déjà utilisé les
règles de la tragédie antique (unité de temps, de lieu
et d'action). Sigmaringen est moins lyrique que
D'un château l'autre, mais plus documenté. C'est
le Club Med du pire, observé par un G.O. en col cassé.
Personne à sauver : Luchaire, Pétain, Déat, Darnand,
Laval, Bonnard, Rebatet, Céline, le panier de crabes
n'ira pas au Panthéon. La guerre est perdue, les Russes
sont derrière, les Américains devant, l'Allemagne sous
les bombes. La tuerie continuera jusqu'en avril 1945.
Sigmaringen est un lieu tellement romanesque qu'on est
surpris que si peu de romanciers s'y soient confrontés.
On se demande bien ce que Modiano aurait fait d'un
cloaque pareil : Château triste ? Pierre
Assouline y plaque une histoire d'amour entre un
majordome allemand et une intendante française. On lui
préfère l'hommage à L'Humeur vagabonde de Blondin
( " Un jour, nous avons recommencé à prendre des
trains qui partent "), et le choix de la décence
plutôt que de la démence.
Vu de 2014, l'année 1944 paraît si surréaliste et cependant si proche...
Le " devoir de mémoire " est une expression idiote ;
disons que nous n'avons pas droit à l'amnésie.
(D'un Sigmaringen l'autre, Le Figaro Magazine, Le feuilleton de
Frédéric Beigbeder, 28 février et 1er mars 2014).
* Alain
de BENOIST (intellectuel, philosophe, principal représentant de la " Nouvelle
Droite "): " Céline n'a pas dit toute la vérité, mais il ne s'en est
guère éloigné. Dans L'école des cadavres, il avait écrit: " La
haine contre les allemands est une haine contre nature, c'est une
inversion, c'est notre poison mortel, on nous
l'injecte
tous les jours à doses de plus en plus tragiques ". Lui-même n'avait
cependant guère d'affinités avec les Allemands, lesquels le lui ont
bien rendu.
Sous le IIIème Reich, son
œuvre est restée largement
ignorée outre-Rhin. La seule appréciation " officielle " que l'on
connaisse sur l'ensemble de son œuvre est celle de Bernhard Payr, qui
lui est hostile. L'opinion favorable à Céline que l'on trouve chez Karl
Epting émane d'un milieu francophile très marginal. La même gêne pour
rapporter le contenu de ses livres à l'idéologie alors en vigueur en
Allemagne se constate d'ailleurs aussi bien chez Epting que chez Payr.
Les seules marques d'intérêt qui ont pu lui être témoignées en
Allemagne résultent uniquement de l'antisémitisme dont il a été
crédité, en partie sur la base d'une traduction " arrangée " de
Bagatelles. Quant à l'interdiction prononcée contre ses romans,
elle ne saurait être contestée. "
(Céline et l'Allemagne 1933-1945,
BC n°83, juillet 1989).
* Alberto
BEVILACQUA (écrivain, réalisateur et scénariste italien): " Dans Il
Messagero (30 déc.1983) a paru un entretien de l'écrivain Alberto
BEVILACQUA avec Salvatore Taverna, sous le titre " Teneri cari
oggetti " A la question " Vous avez connu Céline. Quelle est
l'impression que vous gardez de votre rencontre avec l'écrivain ? " BEVILACQUA
répond ceci: " Je connus Céline par l'intermédiaire de la Piaf qui
avait, à sa façon, mis en musique la Chanson des Gardes Suisses par
laquelle s'ouvre Voyage au bout de la nuit. Je
conserve dans mes archives, sur bande magnétique, une longue interview
qu'il m'accorda et qui demeure inédite... (...) J'ai également un
journal relatant mes rencontres avec lui, à Parme. Un jour, je le
retrouverai. Pour l'instant, je vous livre un passage de cette
interview très exclusive:
" Quand on a découvert mon génie, on a cherché à me
blesser à mort, jusqu'à me faire devenir fou. Moi, persécuteur des
Juifs ? Mais, non. On voulait une image de moi parfaitement en accord
avec leur haine. Et moi, grâce à quelques pamphlets, je la leur ai
donnée. Vous êtes servis, messieurs. Que vous êtes monotones ! Dans
votre monotonie de merde, ma vengeance est là. Je vous ai trompés.
Voilà mon chef -d'œuvre que je n'ai pas écrit. La culture européenne
agonisait et moi, je l'ai poussée au moins à une réaction vitale: de la
haine contre moi. "
" La Piaf rapprochait Céline de Marcel Cerdan. Elle
disait: il y a encore autre chose sous ces poings... Paroles et poings
cachaient de profondes blessures mortelles ". Authentique tout ceci ?
Il reste à BEVILACQUA à dissiper les doutes... "
(BC n°20,
avril 1984).
* Anne BOLLORE (romancière,
diplômée Es-Lettres et Sciences-Po, fille de l'actrice
Renée Cosima et de Gwenn-Aël Bolloré, résistant,
industriel, océanographe, homme de lettres et éditeur) :
"
Les castagnettes de Lucette.
Vite monter l'escalier. Sur le palier du premier étage,
à côté de la salle d'exercices au sol, traversée en
diagonale d'une barre de gymnaste, une planche sur deux
tréteaux d'inégale hauteur. On s'y allonge pour avoir la
tête en bas ; très bon pour le dos et les pensées. Au
second étage, un
studio
plus grand. Le long des murs, des barres pour les
étirements. Les élèves les plus avancés montrent leur
zèle en y attachant cheville et genou avec une écharpe
de laine, pour s'assurer que la jambe reste bien droite.
les tendons souffrent, et l'odeur de horse liniment
flotte en permanence dans le vestiaire.
Au centre de la pièce, nous essayons de suivre les
exercices des bras sur une musique orientale. Madame
Almanzor s’est levée de sa loge, une sorte de divan
surélevé, et elle montre les exercices en marquant le
rythme avec des castagnettes. Je mets un certain temps à
comprendre que lorsqu’elle martèle « Ann, Deux », elle
ne s’adresse pas à moi, mais compte la mesure. On finit
par des pas de bourrée – j’ai des difficultés de
coordination et je n’y arrive jamais – et des sauts. Il
faut une certaine qualité de muscle pour sauter, plus
d’oxygène qu’en moyenne, et, après, parait-il, c’est
très facile. Plus que de musique, Madame Almanzor est
passionnée par le corps.
Est-ce parce qu’elle est l’épouse d’un médecin ? Dans
la salle du premier, elle a accroché des planches
anatomiques. On voit les muscles que l’on va faire
travailler. A la fin du cours, elle demande qui veut
être piétinée. On s’allonge sur le ventre, et elle
appuie ses pieds sur votre dos jusqu’à ce que les
vertèbres craquent. On sent que ses pieds sont en forme
de losange. Cela arrive à toutes les danseuses,
parait-il. Pour nous éviter cette déformation, elle nous
interdit de chausser des pointes. Elle n’est pas très
regardante sur les vêtements que nous mettons pour le
cours. "
(Anne Bolloré, Auteurs à Causeur, 13 novembre 2019).
* Isabelle BUNISSET (journaliste, critique littéraire à Sud -Ouest et chroniqueur viticole pour Figaro Magazine) : " Villa Maïtou, 25 ter, route des Gardes, Meudon, 30 juin 1961, 16 heures : Il me faut encore repousser ses avances ". C'est la première phrase du premier roman de la journaliste Isabelle BUNISSET, Vers la mort, qui paraît le 13 janvier 2016 aux Editions Flammarion. Sous des airs de biographie romancée, ce livre situe son histoire le 30 juin 1961, dans la mansarde de Meudon de Louis-Ferdinand Céline sur le point de mourir. Mettant un point final à Rigodon, son roman testament, il évoque son parcours littéraire, ses déconvenues et sa déchéance. (Livres Hebdo, 27 décembre 2015)
* William S. BURROUGHS
(romancier et artiste américain, 1914-1997) Associé à la
Beat Generation et à ses amis Jack Kerouac et
Allen Ginsberg, connu pour ses
romans
hallucinés mêlant drogue, homosexualité et
anticipation). Fasciné par les deux premiers romans de
Céline, BURROUGHS publie son deuxième livre dans
une prose " épileptique " Naked Lunch (Le Festin
nu) en 1959. Mais avant il a voulu voir " la bête ".
Au printemps 1958, il s'est installé avec Ginsberg et Corso à l'hôtel de
Mme Rachou, 9 rue Gît-le-Cœur en plein Quartier latin.
Michel Mohrt, qui était lecteur chez Gallimard pour la
littérature américaine, servit d'entremetteur. Il était
un des rares Français à s'intéresser à la Beat
Generation et voulait les interviewer pour le
Figaro littéraire.
Ce
8 juillet 1958 seul BURROUGHS et Ginsberg se
présentèrent devant la célèbre grille du 25 ter route
des Gardes. La conversation dura deux heures.
BURROUGHS lui offrit Junky et Ginsberg
Howl plus un exemplaire de Gasoline pour
Corso.
(François Lecomte, Meudon 8 juillet 1958, Présent littéraire, samedi 25
juillet 2020).
* Elias CANETTI (écrivain d'expression allemande
devenu citoyen britannique en 1952, prix Nobel de
littérature en 1981, 1905-1994) : " Tout ce qui arrive
prend pour lui des proportions énormes. Comme tout
paranoïaque, il reste très imprécis dans ses récits et
donne l'impression qu'autour de lui grouille
dangereusement une vie abjecte. [...] C'est un fâcheux
faussaire, ne serait-ce qu'à cause de la quantité et de
l'énormité des scènes dont il se souvient.
Mais on rencontre chez lui des récits comiques d'une
grande vigueur et qui font penser à Rabelais. [...]
C'est un narrateur de la plus vieille trempe, et il vous
donnerait presque l'envie d'écrire. [...] Il s'est
presque toujours senti mal dans sa peau, et cela nous
réconcilie un peu avec son fiel monstrueux et sans
choix. "
(Le Territoire de l'homme, Albin Michel, 1978).
*
Jean CASSOU (écrivain, résistant, 1897-1986) : " Le
12 décembre 1932, Jean CASSOU, qui n'était pas
encore militant communiste, écrivait un article de seize
pages sur Voyage au bout de la nuit,
dithyrambique, l'un des plus pertinent : " La chance n'a
pas encore été chassée de l'univers. [...] Il arrive
encore des miracles. [...] Céline
est un dramaturge de première ordre et qui excelle dans
le monologue. [...] Il a crée une langue parlée [...]
non comme celle de Ramuz... [...] Pas d'entracte : un
bourdonnement sans fin dans l'oreille du lecteur, [...]
la rumeur même de la vie, terrible comme le bruit de
l'océan. [...] Céline a le sens de l'infini. [...]
L'ardeur déployée par les hommes pour s'exploiter
mutuellement, [...] c'est cela que chante le poème de
Céline avec un entrain qu'on ne trouve que dans les
meilleures épopées, dans les plus vénérables trésors des
littératures. Une bonne humeur, un lyrisme, un sens de
l'absurde, une nouveauté, une ingénuité admirable. Comme
Panurge déjà cité, comme le subtil Ulysse, comme Charlie
Chaplin, le héros de Céline cherche à s'échapper aux
engranges de cette formidable machine. " (Année
Céline 2003).
Sur
le point d'être imprimé, pour on ne sait quelle revue,
l'article ne fut pas publié, on ne sait pourquoi.
Jean CASSOU, d'origine espagnole, après une jeunesse
vagabonde, devient secrétaire de Pierre Louÿs en 1919,
puis rédacteur au ministère de l'Instruction publique et
inspecteur des Monuments historiques. Publie son premier
roman en 1925. Il présidera en 1934 le premier meeting
des intellectuels antifascistes ; en 1936, prendra la
direction de la revue d'extrême gauche Europe et
deviendra chargé des Beaux-Arts au ministère de
l'Education nationale (cabinet de Jean Zay). Arrêté par
Vichy en 1941, résistant dans le Tarn en 1943, il sera
membre du C.N.E. en 1944. Wladimir Jankélévitch était
son beau-frère.
En mars 1946, dans une lettre à Lucette, Céline le comptera dans le "
petit cercle d'écrivains communistes super-haineux "
avec Aragon. "
(Spécial Céline, n°12, 2014, p.14).
* François CAVANNA (écrivain, dessinateur humoristique, journaliste) : "
Dans un petit inventaire sommaire et non limitatif des
bienfaits auxquels nous pouvons dès aujourd'hui nous
attendre en cas de prise de pouvoir par le Front
national, à l'entrée Littérature " : " La France a
produit deux écrivains sublimes : Louis-Ferdinand Céline
et Philippe Bouvard. Tout le reste peut être brûlé. "
(La Vie en rose, Charlie-Hebdo, 29 novembre 1995).
*
Cependant son écriture progressait dans la sublimité. Il
récoltait les fruits de son labeur jusqu'au moment où il
dut joindre son baluchon au tas de bagages frappés de la
hache à deux têtes. Passé l'orage, on le jugea, on le
condamna, on interdit la vente de ses livres. Que
voulez-vous, il avait parié sur le mauvais cheval,
fallait payer, normal.
A-t-on le droit de punir le génie ? Qu'importe le sujet,
l'écriture est divine. Cela seul compte. Dans le cas
Céline, qu'en était-il du sujet ? Oh, fort simple et
bien délimité : les Juifs. Il ne l'avait d'ailleurs pas
inventé.
Mais que vois-je ? Le sujet a été traité la semaine
passée par Charb, et avec cruelle efficace concision : «
Faut toujours se réjouir qu'un vieux collabo soit crevé.
» Qu'ajouter à cela? Rien.
Bien le bonsoir, M'sieurs-dames.
CAVANNA
(Charlie-Hebdo, 2/2/2011).
*
Jean CLAIR (conservateur général du patrimoine,
écrivain, essayiste, historien de l'art français,
académicien depuis mai 2008) : " Relisant Les Beaux
Quartiers, j'ai mieux compris pourquoi Aragon, que
j'avais tant aimé, a fini par m'être aussi peu
supportable. Le ton suffisant, la faconde, le don des
pirouettes verbales, toutes ces élégances trop
françaises. Mais, surtout cette façon à lui de
revendiquer, comme un privilège, d'être le seul gardien
de la classe ouvrière. On songe à Garance, répondant à Montray, qui lui demande qu'on l'aime : " Etre aimé, mon
ami ? Mais alors, les pauvres, qu'est-ce qui leur
restera aux pauvres ? " de ce grand bourgeois à la
parole aisée, à l'assurance naturelle, à la certitude
affichée, au jugement si prompt, on finit par redouter,
si quelqu'un venait à le contredire, le ton soudain qui
deviendrait cassant.
[...]
Céline, à l'autre bord, du fond de ses banlieues
déglinguées, confessait sa misère et hurlait sa peine.
Peine de classe inexpiable, insondable, en laquelle je
me retrouvais mieux. Sans doute savait-il lui ce dont il
parlait. Qui d'autre que lui avait su parler de " la
haine qui vient du fond, qui vient de la jeunesse, cette
pitié pudique, bravasse et juronnante du toubib de
quartier, qui remplaçait la superbe bavarde du
soi-disant " Paysan de Paris ". La vie des champs, ici,
c'était les banlieues, la zone, tout ce qui restait des
fortifs, là où Rousseau allait herboriser, du côté des
Lilas et de Romainville.
Chez Céline aussi, pourtant, je soupçonnais la complaisance. Courbevoie,
Clichy-la-Garenne et Bezons, les grosses chaussures qui
blessent les pieds, les humiliations quotidiennes, la
violence, les mots orduriers et les terrains vagues, les
dispensaires où poireautaient des pauvres, plus pauvres
encore de ne pas savoir dire ce qui les afflige, je
savais ça par cœur.
Mais Céline savait trop, disait trop, criait trop fort.
Ce n'était pas non plus la façon de parler de la misère
que j'avais connue, et qui resterait sobre. Et puis,
cette manie d'aller chercher un bouc émissaire, et de
vitupérer comme un dément...
La vérité, c'est que de la misère, on ne peut rien dire. Elle laisse sans
voix. Il faut passer outre, se taire, faire comme si ça
n'avait pas eu lieu. On revient de la misère comme on
revient de la guerre, absent, mutique : ceux qui sont
allés au front ou dans les camps ne parlent pas. Ou bien
longtemps après, quand la douleur s'est dissipée,
laisse-t-elle enfin passer, non ce qu'elle a été, mais
le souvenir confus de ce qu'elle fut. C'est le moment où
l'on ne se souvient même plus que l'on ne se souvient
plus. Je n'ai jamais été tout à fait rassuré. "
(Jean Clair, Journal atrabilaire, Gallimard, 2006, in Petit Célinien,
13 nov. 2013).
*
Michel CREPU (écrivain, critique littéraire,
journaliste): " Au sujet des maudits pamphlets, il est,
hélas, inexact de dire qu'ils sont moins bons que le
reste : le génie langagier de Céline y éclate partout,
ce serait trop beau d'avoir un Céline antisémite mauvais
écrivain, et un Céline " correct " version populo,
écrivain génial. Si Céline est le plus grand du XXe
siècle
avec Proust, ce n'est pas malgré son délire antisémite,
d'une nature toute différente que celui d'un Brasillach
ou d'un Drieu, des " militants " comparés à l'auteur de
Rigodon, tout à fait d'un autre registre, mais
parce que l'extrême charge de lucidité dont son texte
est porteur n'est pas détachable de son point aveugle.
Céline n'est pas tantôt abject, tantôt sublime. Il est
les deux d'un même mouvement.
On a en même temps la lucidité implacable sur la vérité
nihiliste de notre temps et son aveuglement sur cette
même vérité nihiliste. Choisir l'un contre l'autre pour
des raisons de prudence idéologique, c'est perdre les
deux. C'est, à la lettre, ne rien comprendre à rien.
A cet égard, la volte-face ministérielle, toute
préoccupée qu'elle soit d'éviter la polémique, ne fait
qu'en alimenter une autre, bien plus forte et décisive.
Certes, il est plus facile d'applaudir aux indignations
de M. Hessel qui, coiffé de son bonnet phrygien,
caracole de télévision en télévision, sa détestation
d'Israël sous le bras. Or lire Céline, le lire vraiment
à fond, c'est entrer dans l'intelligence de la boîte
noire d'un siècle dont nous sommes les héritiers
aveugles. Voilà qui pourrait être l'objet d'une
commémoration et non d'une absurde " célébration
nationale ". Se refuser à ce travail, car c'est un vrai
travail, c'est choisir que l'aveuglement continue. "
(Céline,
boîte noire du XXe siècle, Tribune publiée dans
Libération le 27 janvier 2011, Revue des Deux Mondes,
juin 2011).
* Robert de SAINT-JEAN
(écrivain et journaliste, compagnon de l'écrivain
américain d'expression française Julien Green,
1901-1987) : " 22 février 1933. Hier, après dîner, vu
Céline chez Daniel Halévy. Bâti comme un « compagnon »,
lourdes pattes, la tête très grosse comme Bardamu, avec
un front volumineux et des cheveux en désordre,
des
yeux clairs, très bleus, petits et pleins de méditation,
des yeux « sérieux » d'homme qui a couru beaucoup de
dangers, pris des responsabilités, etc., des yeux de
marin (il est breton) ou de psychiatre (il est docteur).
Simplicité apparente. Complet marron, sportif. Il sait
l'anglais, dit-il, admire l'Angleterre, Shakespeare bien
entendu...
Dans un coin, Madeleine, qui a entendu qu'on parlait «
d'une Renaissance », soupire :
- Depuis des mois je suis hantée par cette idée de
Renaissance !
Lucien Daudet est là
aussi, muet devant « l'ouvrier des lettres » qui est
devenu l'homme du jour. Céline voit beaucoup de
communistes à Clichy, nous dit-il, et il constate que
les membres du parti, en général, ne comprennent rien
aux théories marxistes même si on les leur traduit par
un : « La maison du riche est à toi, prends-la. »
Ils ne se laissent mener que par leurs passions. A la
mairie, livres de Marx jamais lus ; La Garçonne
usée et noircie, au contraire. Des files de quémandeurs.
Besoin du peuple français de demander des faveurs, des
miettes, des privilèges, même à un député communiste.
Byzantinisme des décrets de Moscou. Au fond l'U.R.S.S.
reste lointaine, n'est ni aimée ni comprise. Céline
croit que la révolution russe n'est pas pour l'usage
externe et que, sans cela, plusieurs pays d'Europe
centrale, où sévissent chômage et misère, seraient déjà
passés au communisme.
(Robert de Saint-Jean (1901-1987) Journal d'un
journaliste, Grasset, 1974, in Le Petit Célinien, 3 oct.
2014).
* Virginie DESPENTES,
Virginie Daget dite Virginie Despentes est une
écrivaine et réalisatrice française. Dans son dernier
roman, Cher connard, Virginie Despentes se livre,
via l'un de ses personnages à une attaque en règle de
Céline mais aussi des céliniens : " Je n'aime pas
Céline. Sa prose est beauf, poussive, cabotine,
épate-bourgeois, au possible. "
(Editions Grasset, 2022).
* Philippe d'HUGUES (critique de
cinéma) Avec D'un château l'autre il réussissait enfin, en 1957,
l'opération tant attendue. Le
sujet se prêtait à un lancement à grand fracas: Sigmaringen, le Maréchal et ses ministres en
détention forcée, les réfugiés de la collaboration et parmi eux, Céline, Lili, sa femme, son ami Le
Vigan, sans oublier le chat Bébert. Ce fut l'apothéose attendue avec tout le tintamarre prévisible. Polémiques,
critiques acerbes ou enthousiastes, entretiens
télévisés à Lectures pour tous, avec Louis Pauwels, avec d'autres encore, rien n'y manqua.
Chaque fois
Céline en rajoutait dans la dérision et le sarcasme, pour la plus
grande joie des badauds qui applaudissaient. Céline avait retrouvé la
place, prépondérante et scandaleuse à la fois, qu'il occupait à la
veille de la guerre. Il la conserverait jusqu'à sa mort et sa
réputation post mortem ne ferait que la confirmer et
l'amplifier jusqu'à en faire l'autre grand du XXe siècle avec Proust."
(Chronique
buissonnière des années 50, Ed. de Fallois, 2008).
* Pierre DUCROZET (écrivain français
qui après avoir passé sept ans à Barcelone vit entre
Berlin et Paris) : " En réalité, vous aviez raison, ce
visage ne me dit rien que ne dise sa plume. Je crois
parler de son nez, j'évoque sa virgule. Cela étant dit,
une interrogation demeure. A nouveau, comme souvent à
propos de Céline, on se demande, et on a raison parfois
de se demander : comment un tel homme, bilieux,
ratiocineur, petit et si terriblement français,
comment un tel homme a-t-il pu, depuis sa bicoque
sordide de Meudon, révolutionner l'ensemble de la
littérature, la pousser jusque dans ses ultimes
retranchements ?... Magie de l'art. Mystère et bouche
cousue. Pourtant, ce qui devrait passer pour un paradoxe
n'en est pas un. Céline lui-même l'explique dans ses
Entretiens avec le Professeur Y : seul le " rendu
émotif " compte, le style et ce qui coule là-derrière.
Dès lors, on le sait, le plus infâme salaud peut devenir
un diable d'écrivain, s'il voit, s'il sent, et s'il sait
traduire ses émotions en mots neufs, tranchants,
vibrants dans l'air. Or de l'émotion, il en avait à
revendre, le père Ferdinand, des pelletées, des wagons
entiers, biseautés à merveille, lancés à toute vibure
sur des rails crées de toutes pièces, entièrement neufs,
comme il tente de l'expliquer à l'incontinent Professeur
Y.
Il faut lire cet exceptionnel ouvrage dans lequel Céline fait
preuve, en plus d'un immense humour, d'un discernement
remarquable quant à son œuvre, son génie, son invention
- petite, toute petite, trois fois rien, " l'émotion du
parlé dans l'écrit ", mais d'une ampleur insensée dont
il a lui-même saisi toute la portée.
Et comment saisir cette émotion si
fugace ? Grâce au style, bien sûr - ah bon, et quel
style ?... Ah ! ah ! Monsieur est intéressé... Et bien
celui qu'on lui connaît, seulement à l'état d'ébauche
dans Voyage au bout de la nuit et qui va prendre
sa véritable dimension dans les romans suivants : cette
musique si particulière, syncopée, comme rythmée par un
canon, cette symphonie écumeuse, éructante, lyrique à
souhait, portée par un fabuleux éclat de rire et un cœur
prêt à se rompre...
L'émotion dont parle Céline, c'est la fièvre. L'art, ce n'est pas autre
chose, une fièvre tenace, la musique du sang. Céline est
un ultra-sensible, et comme tous les sensibles, il
souffre, il voit double, il déforme le réel pour pouvoir
le supporter. Il a les nerfs à vif, sa plume tressaute,
mais son génie - le revoilà celui-là - est de ne pas
faire dérailler ce " métro émotif ", de garder la
mesure, de faire danser le feu dans sa paume en
l'attisant, jusqu'à l'embouchure, jusqu'au silence. "
(Spécial Céline n°15, Pierre Ducrozet, Le métro émotif, Relecture,
hiver 2014).
* René-Louis
DOYON (libraire, conseiller littéraire chez Denoël, 1885-1966): "
Mais il devait me montrer qu'il n'était pas indifférent à mes intentions et qu'il
appréciait ma critique en m'adressant la lettre étonnante qu'on va lire
et dans quoi il se trouve tout entier avec son exaltation et sa vive
sensibilité.
-
" Meudon, le 25 juin 1960,
/ Mon cher DOYON,
/ Avec votre lettre si admirablement probante je vais parfaire mon
dossier pour candidature aux deux Nobel à la fois, la Paix et le Roman.
/ A moi enfin j'aurai la vieillesse enviée, respectée, réparatrice de
tant d'années miteuses, tragiques... Grâce à vous tout va
s'arranger... encore peut-être un peu de piston ? établir quelques
" listes ". / Votre ami, touché. / Céline. "
J'avoue avoir été touché et surpris par
ces mots.(...) Je regrette de n'avoir pas une dernière fois salué le
héros de 1914, le voyageur si riche de souvenirs, l'observateur
attentif, le cœur pitoyable aux souffrances humaines, le grand
Louis-Ferdinand Céline, mais je ne manquerai jamais de lui rendre
hommage. "
(Les Livrets du Mandarin, oct.1963, dans le BC n°100,
janvier 1991).
*
Claude DUNETON (écrivain, romancier, chroniqueur au Figaro
Littéraire, 1935-2012) : " Céline est parti, in extremis,
parce que les communistes étaient sur le point de lui
faire la peau - et sans procès encore ! [...] Fusillé
comptant... On aurait su plus tard, tant pis. Voilà la
tare, la faute inexpiable : Céline était anticommuniste
militant, et pire, antistalinien farouche, exactement,
il l'avait crié à tous les échos, Mea culpa,
Bagatelles, Les Beaux Draps...
Nous avons oublié - tout le monde a oublié, tellement c'est étrange et
incroyable de nos jours, la ferveur qu'éprouvait le
monde communiste pour Joseph Staline en 1944-1950. "
(Claude Duneton, préface de Céline au Danemark, David Alliot et
François Marchetti, Ed. du Rocher, 2008).
* Jean
DUTOURD (romancier, académicien): " Je crois que Céline sera aussi
démodé dans trente ans qu'est démodé aujourd'hui le style artiste des
frères Goncourt. "
(Paris-Match, 22 avril 1993).
* Alexandre
DUVAL-STALLA (avocat, écrivain, maître de
conférences en histoire et philosophie politique): "
L'affaire est entendue. Céline est un grand écrivain,
mais c'est un sale type emmuré dans son antisémitisme.
Abattons l'homme pour mieux abattre ses livres.
Aseptisons cette éructation obscène et dérangeante
contre les mensonges d'un monde qui nous ont
pourtant
conduits aux massacres. Que triomphent les principes
moraux de Kant sur les réalités politiques de Machiavel.
Place au monde merveilleux des romans à l'eau de rose.
Autorisons-nous néanmoins quelques réactionnaires
convenables érigés en intellectuels. Comme le frisson du
bourgeois qui s'encanaille. Mais pas Céline. Trop
monstrueux. Trop juste. Trop cruellement vrai. Et de
faire de Céline le bouc émissaire des atrocités d'un
siècle dont il a dénoncé le chaos.
Ce qui dérange chez Céline ? La
révélation du mal, de l'odieux, de l'atroce qui déchire
le voile d'innocence d'une humanité qui se cache
derrière elle-même pour éviter de s'avouer telle qu'elle
est. Certes, il y eut des héros. Ils l'ont été,
peut-être et sûrement, parce qu'ils n'étaient pas dupes.
Entre les hypocrisies morales des uns et les mensonges
obscènes des autres, ils ont choisi l'action. (...)
Certains livres nous apprennent à devenir des héros.
Le Voyage sûrement. Car Céline, plein de ses démons,
nous fait plus réfléchir et agir que la bonne conscience
morale , les bons sentiments et les romans qui finissent
bien. Bref, de la littérature avec du bruit, du sang,
des larmes, du caractère. Et non des états d'âme
transformés en best-sellers. Lire Céline, c'est se
confronter à soi-même sans mensonge. Là est son génie. "
(Voyage au bout du génie, Transfuge n° 49, mai 2011).
*
Öyvind FAHLSTRÖM
(peintre, écrivain et poète suédois 1928-1976. Céline
lui accorda un entretien un an avant sa mort): "
Meudon est une sorte de Hagalund français. Meudon
descend vers les bras de la Seine et sur un énorme
complexe industriel. Les maisons de l'endroit sont de
style Louis XIV, ce sont de grands pavillons en pierre
de taille avec des toits à la
Mansart. " (...) c'est le troisième pavillon... celui
d'où vient le vacarme... ma femme - Lucette Almanzor...
vous êtes de... - ma femme enseigne la danse... ",
avait dit Céline au téléphone, c'était exactement ce
qu'il avait dit, un bruit sourd, lourd et monotone de
pieds et de tambourins me conduisit à l'écrivain.
Céline, massif, large et voûté, le volume du personnage
est amplifié par une veste de laine doublée, un gilet,
un châle, de grosses chaussettes et des pantoufles en
peau. Le salon aux meubles recouverts de tissus à fleurs
est encombré de vieilles couvertures, d'édredons, de
robes de chambre. Il fait froid et ça sent le chat dans
l'air confiné de la chambre sans aération. Céline se
déplace lourdement et avec difficultés. Un vieil aigle
empaillé usé, un lion mité - oui, mais pas un objet de
musée, un lion estampillé et pas endommagé par un séjour
en cage. Ses yeux sont creusés, le regard est sombre et
perçant ; le front est haut, le menton lourd, les dents
serrées. Sa voix est douce, c'est inattendu, mélodieuse
même.
Une politesse toute accomplie et qui ne cherche pas à
cacher un certain dédain et la méfiance. Céline se lance
immédiatement sur ma nationalité : " Vous qui êtes
suédois... racontez à vos compatriotes que Marianne von
Rosen... a suivi pendant trois ans les cours de ... bien
sûr vous ne connaissez pas son nom... Marianne von Rosen
est devenue célèbre dans le monde entier mais elle n'a
jamais reconnu cela : que c'est à ma femme qu'elle doit
ce qu'elle est devenue. "
(Expressen, Mort de
Céline - un Ezra Pound français : génie et démence, 5
juillet 1961).
*
Dan FANTE (de son vrai nom Daniel Smart Fante,
écrivain américain, fils de l'écrivain américain John
Fante, romancier, poète et dramaturge, un des
représentants de l'underground littéraire aux USA,
1944-2015) : " Les écrivains comme Céline, qui parlent
de cœur à cœur,
sont ceux que j'admire. Le style de Céline est empreint
d'humanité. Il a eu une grande influence sur Bukowski. "
(Le Monde des livres, 5 février 2014).
*
Alain FINKIELKRAUT
(écrivain, philosophe): "
Répondant à la question - " La position politique de
Heidegger discrédite-t-elle
son
œuvre ? (le Figaro, 29 oct.1990) " - Alain FINKIELKRAUT
se lamente parce qu'à une question
semblable concernant Céline, les intellectuels répondent différemment.
Et de conclure: " Pourquoi faire ainsi
deux poids, deux mesures, sinon pour perpétuer à l'ombre de la Shoah la
vieille et imbécile
querelle du style français contre la lourdeur allemande ? " Il fallait
y penser et sachons gré à ce grand philosophe d'y avoir songé pour
nous. "
( B.C. n° 99, décembre 1990).
*
Il nous faut assumer
l'héritage contradictoire de Céline. Jamais un lycée de
France ne doit porter le nom de Céline, mais je ne suis
pas sûr qu'un tel écrivain ne doive pas faire l'objet de
commémoration. Je suis surtout très inquiet des
conséquences de cette décision, car cela va accréditer
l'idée que le " lobby juif " fait la pluie et le beau
temps en France. "
(Autres réactions, BC n° 327, février
2011).
* Bernard FRANK
(écrivain et journaliste, 1929-2006): " J'aimerais bien
écrire un livre sur Vichy avant de mourir. Je ne m'explique
pas l'intérêt
des Français pour cette période depuis six ou sept ans. Je
ne comprends pas qu'on ait réclamé des comptes à François
Mitterrand. Pourquoi a-t-on pris un air si épouvanté pour
évoquer tout ça ? Comme si le fait de punir ou de condamner
allait effacer quoi que ce soit !
Pour ceux qui ont
vécu cette période, toutes ces histoires ne sont pas
surprenantes. Les mensonges actuels sont assez effrayants
pour les derniers témoins. Mon livre s'appellera Mort à
Vichy, clin d'œil à Mort à
crédit. Mais je ne crois pas pour autant que Céline
ait le mieux raconté cette époque. Trop engagé. Et puis il
était plus près de Paris que de Vichy. "
(Lire,
été 1996).
* " Ce qui fait
que Céline
va sembler plus sympathique que Genet sera mieux
accueilli dans nos commentaires de rentrée, ce n'est pas
d'être éventuellement considéré comme un plus grand
écrivain - il l'est mais ce n'est pas ça qui le rendrait
plus " sympathique ", ou ce serait bien la première fois
-, c'est que nous avons l'impression, à lire sa
correspondance des quinze dernières années, que Céline a
payé par deux fois ses dettes. Et nous aimons ça.
La première
fois, en Allemagne sous les bombes et dans sa prison
danoise, mais ça n'aurait rien été, d'autres ont été
fusillés pour moins que Céline, mais la deuxième fois,
il a su toucher notre sensibilité, nous attendrir. Quand
il est rentré en France dans son pavillon de banlieue à
Meudon et qu'il va trimer tous les jours sur son papier
pour mille francs par mois comme je vous l'ai dit et
jusqu'au bout. Le travail, c'est le vrai tribunal, la
prison de la bête. Genet par comparaison a l'air d'un
Pied-Nickelé, d'un Croquignol qui se prélasse sur la
Riviera. C'est la " gauche caviar " de la littérature (à
suivre).
(Bernard Frank, Le Nouvel Observateur, 19 septembre 1991, in BC n° 113,
février 1992, p. 9).
*
Marc FUMAROLI (historien, essayiste et
académicien, 1932-2020) : " Pour moi, il y a un Céline d'avant et
un Céline d'après. Après, je veux dire après le
cataclysme qui a fait du
picaro imprécateur du "
Voyage " le proscrit et le témoin de " Rigodon
". Avant, c'est le prophétique " Voyage ", suivi
d'un " Mort à crédit " déjà menacé de maniérisme,
et de pamphlets frappés de
logorrhée. Après, c'est la fantastique trilogie des
années 1950-1965, " D'un château l'autre ", " Nord ",
" Rigodon ". Ce triptyque hausse Céline, quoique
simple sous-fifre dans le camp des bourreaux vaincus et
condamné au plus indéfendable des points de vue, dans le
peloton de tête des plus grands témoins littéraires du
désastre, un Chateaubriand dans l'éternité, et un Robert
Antelme, un Primo Levi, un Victor Klemperer, un Vassili
Grossman de son propre temps et dans l'autre camp.
Le
témoin volubile qui parle dans le triptyque célinien
n'est ni centurion ni Judas, mais un Pierrot
extralucide, Ferdine, en voyage à l'épicentre du séisme
historique avec sa Colombine, Lili ; son chat Bébert et
leur comparse La Vigue. La petite troupe égarée suit,
dans un ancien château forestier des Hohenzollern, le
vainqueur de Verdun assigné à résidence par ses
ex-vaincus. Elle fuit l'avance alliée dans Baden-Baden
et Berlin bombardées, puis à Zornhof, un manoir féodal
du Brandebourg. Chassée de nouveau par l'avance russe,
elle emprunte alors d'invraisemblables derniers trains
en partance pour le Danemark, le but de cet étrange
tourisme aux Enfers. "
(Céline en Sganarelle, Le
Point n° 2017, 12 mai 2011).
* Matthieu
GALEY (critique littéraire et théâtral, écrivain,
1934-1986) : " On peut faire semblant de l'ignorer, mais
on ne peut pas l'oublier, ce Céline. Après lui, toute
œuvre " traditionnelle " vous a un petit air d'Ancien
Régime qui ne pardonne pas. [...] L'artiste travaille
sans filet. Céline est un joueur qui remet sur la table,
à chaque fois, tous ses gains : quitte ou double.
[...] Fini
Voyage au bout de la nuit. Je suinte de tristesse,
l'humanité entière me dégoûte et moi-même avec, mais
quel bouquin !
Ce qui m'étonne le plus, cachées parmi les points de suspension, c'est d'y
trouver soudain des envolées à la Chateaubriand,
pleines, compactes, comme des gemmes dans une gangue
d'argot. "
(Journal intégral 1953-1986, Robert Laffont, 2017).
*
Xavier GRALL (poète, écrivain, journaliste breton,
1930-1981) : " A Trévignon, devant les barques qui se
dandinent et
tirent
sur l'ancre, dans le bruissement du clapot, dans cette
musique grise qui semble lever des profondes entrailles
du sable et des algues, oui, l'on retrouve la seule
tendresse durable de Louis-Ferdinand Céline. La mer !
Toujours la mer ! A elle ses plus belles pages, à elle
ses féeries, à elle ses dingueries les plus tendres. Il
détestait la terre.
Comme
beaucoup de médecins, ces fouailleurs pessimistes des
sanies et des vices, c'est à l'océan qu'il demandait
l'espoir et la consolation. " Sur la mer que j'aimais
comme si elle eut dû me laver d'une souillure ", avait
déjà dit Jean-Arthur Rimbaud, cet autre bourlingueur.
Idem de Céline ".
(Céline blues, Le Monde, 3-4 octobre 1976, dans le Petit Célinien, 8
déc. 2011).
* Cécile
GUILBERT (essayiste, critique et écrivain): " (...) Aussi,
parallèlement aux lettres préfigurant son
drôlissime Entretien
avec le Professeur Y dans lequel il définit sa méthode et son style
à travers les célèbres images du " métro " émotif et du langage semblable
au " bâton " préalablement tordu pour paraître " droit " quand il est
plongé dans l'eau, c'est une prodigieuse révélation que de l'entendre,
dès 1947, comparer son labeur à celui d'un archéologue de l'impalpable :
- " Tout est déjà dans l'air il me semble. J'ai ainsi
vingt châteaux en l'air où je n'aurai jamais le temps d'aller. (...)
Quand je m'approche de ces châteaux il faut que je les libère, les
extirpe d'une sorte de gangue de brume et de fatras... que je burine,
pioche, creuse, déblaye toute la gangue, la sorte de coton dur qui les
emmaillote. (...) Je ne crée rien à vrai dire. Tout est fait hors de
soi - dans les ondes je pense... "
(Le Monde des Livres, 17 déc.
2009).
* Jacques
HENRIC (critique, essayiste et romancier): s'insurge à la suite du
refus opposé au classement de la maison de Céline à Meudon - " Cessons
l'hypocrisie: reconnaissez, vertueuse citoyenne DRAC (Direction
régionale des Affaires culturelles), et faites-le savoir haut et fort,
qu'en France comme aux Etats-Unis, on ignore les œuvres pour ne porter
désormais qu'un jugement moral sur le seul comportement
idéologico-politique des écrivains et des artistes. Or, c'est très
exactement cela le phénomène du
" politiquement correct "...
(...) Donc, que
la très officielle DRAC en convienne... Puis-je signaler à notre
implacable justicière quelques-uns de ces trublions no-correct ayant
tenu, eux aussi, des propos plus que " douteux " (insultes aux femmes, à
la démocratie, apologie de la peine de mort, racisme, antisémitisme...)
Déboulonnons les plaques: out Balzac, Baudelaire, Claudel, Giraudoux,
Flaubert, Ronsard, Châteaubriant, Voltaire, Huysmans, Degas, Aragon,
Artaud, Genet, Eluard, Miller, Jouhandeau, Picasso, Blanchot,
Sartre... Elle a du pain sur la planche, notre incorruptible DRAC ! "
(Art
Press, juillet-août 1992).
*
Jean-Louis HOUDEBINE (universitaire, traducteur,
écrivain, jazzman): " Dans les pamphlets l'emportement
du langage
hyperbolise les expressions, mais Céline
demeure un écrivain et ne rentre pas dans l'action. Les
pamphlets sont littéraires et les questions esthétiques
mobilisent tout autant Céline que son antisémitisme. Ses
positions esthétiques l'éloignent radicalement de
l'extrême droite : Céline est coincé entre l'académisme
de Je suis partout et l'académisme de
Vaillant-Couturier. Il faut se poser la question : quel
est l'enjeu esthétique de Bagatelles ? L'autre
question est : peut-on parler de " comique " à propos
des pamphlets ?
L'antisémitisme ne peut pas faire rire. Le mot "
jubilation " correspond plus justement : jubilation
atroce comme dans l'injure ou l'insulte. Il y a une
poésie de l'abjection dans la verbalisation de la haine.
Ceci amène au problème de la littérature et de la
négativité. La haine de Céline est parfaitement
insoutenable, mais comment aurait-il pu écrire ailleurs
sans la même haine ? Dans les pamphlets la transposition
est proche du degré zéro. "
(Université Paris VI, 16
oct. 1993, BC, janvier1994).
*
Philippe JAENADA (écrivain français, prix Fémina
2017 avec La Serpe) : " Proust ou Céline ? "
Proust. Voyage au bout de la nuit est un chef-d'œuvre,
il faudrait être dingue pour penser autre chose, mais
tout le reste, y compris Mort à crédit, je trouve
que c'est de l'esbroufe et du toc, si je peux me
permettre. "
(Le Point, 18 mars 2018).
*
Antoine JAQUIER : Avec son premier roman " Ils
sont tous morts ", a été le lauréat du prix Edouard
Rod en 2014. " En tant qu'auteur, pour moi,
Céline c'est l'assurance de ne jamais pouvoir me croire
génial. Quoi que je fasse et même dans ces moments
d'euphorie littéraire où je peux me sentir, comme disait
Arturo Bandini, l'alter ego de John Fante, " le plus
grand écrivain du monde ", je sais que j'en suis à mille
lieues. Cette griserie induite par nos propres textes,
qui semble commune aux auteurs et qui nous permet
d'avoir l'outrecuidance de publier nos travaux, est par
chance modérée par Céline, Dostoïevski, Ramuz et tant
d'autres.
Loin de m'inhiber, ces auteurs m'inspirent. Ils me motivent et me
convainquent que publier n'est pas vain. Qu'il faut
s'acharner. S'améliorer. Ecrire le livre que l'on
souhaiterait lire. Le style ! Seul compte le style.
L'histoire est secondaire. Des histoires, il y en a
plein les journaux, les séries et les films. Etre
soi-même son plus sévère critique. Eviter d'être lent.
Eviter d'être lourd. Le sourire intérieur. Mettre ses
tripes sur la table, s'inspirer du vécu, ne pas hésiter
à écrire " je ", transposer, s'asseoir à l'établi et ne
pas avoir peur de se salir les mains dans le cambouis de
la nature humaine. Comme disait le docteur Destouches :
" La grande inspiratrice, c'est la mort ".
(Antoine
Jaquier, Le Temps, Culture, 15 février 2019).
* Alphonse JUILLAND :
(professeur émérite à l'Université de Stanford,
philologue de renommée mondiale, 1922-2000. " ... Ce fut le coup
de foudre: en quelques courtes semaines je dévorai tous les textes de
l'ostracisé
que je pus dénicher au " marché noir " du livre. Car Céline,
toujours sous inculpation de collaboration et toujours à l'index, ne se
vendait plus ou pas en librairie. "
Décidant d'étudier son
style, ses néologismes, ses inventions verbales pour en révéler le
génie au public, il demanda à Pierre Monnier (l'éditeur Frédéric Chambriand), de porter à Céline quelques questions écrites avec trois
tablettes de chocolat suisse acquises, comme les livres au marché
noir...
La réponse vint
: " Pour ce jeune homme qui veut étudier mes livres, diantre, ils sont
là ! Qu'il s'y plonge. De ma part dîtes-lui que lorsqu'il aura fini son
étude je la lirai et lui donnerai mon avis, et pas de cadeau, modeste,
mais aller engager des correspondances. Hum ! Pouh ! Non, vielle
expérience, et le temps ! Je me suis crevé, vous savez de fatigue sur
mon tapin ! Toutes les amabilités tournent au mal... Faites au mieux ".
(
Les Verbes de Céline, tome 1, Anma Libri 1985).
*
Monique LAEDERACH (écrivaine, poétesse, critique
littéraire et traductrice neuchâteloise 1938-2004) : "
Je n'aime pas Céline, je ne trouve aucun passage, aucun
métalangage, rien à quoi s'accrocher. Son antisémitisme
suffirait à le condamner. Mais en plus chez lui, autant
que le contenu, la forme me heurte : il parle faux, son
langage est artificiel, il se jette au dehors au lieu
d'approfondir les choses. Je ne suis jamais arrivée à
entrer dans ses livres, ni comme d'ailleurs dans ceux de
Julien Gracq, ou de Malcom Lowry. Il y a des écrivains
dont on fête les anniversaires, et d'autres pas, sans
que l'on sache pourquoi.
On pourrait faire des statistiques à ce propos. Je comprends parfaitement
que beaucoup de femmes résistent aux textes de Céline :
cet homme a méprisé tant de choses et nous a englobées
dans son mépris. "
(Monique Laederach, Construire, 10 août 1994).
* Pierre
LAINÉ (universitaire, auteur, éditeur):
Céline est un " précieux ", tout à l'opposé de l'image que les béotiens
ont de lui. Utilisant les ressources du langage populaire et d'une
ponctuation débridée, il est parvenu à créer un instrument à la mesure
de son univers baroque. Sa force, c'est d'allier le tragique au
comique, atteignant des sommets dans l'évocation de la débâcle
allemande ou la retraite des Français collaborationnistes dans le
Bade-Wurtemberg.
Dans ce Qui suis-je ? Céline,
Pierre
LAINÉ nous donne à voir un Céline peu commun - entre débâcles,
tendresse et sortilèges. Si ce célinien émérite fait preuve de
lucidité, le regard qu'il porte sur l'écrivain est pétri de
compréhension et d'humanisme. Une belle introduction à une œuvre qui,
en dépit des apparences, reste encore largement méconnue. - " Persuadé
que Céline est devenu acariâtre parce qu'il s'est brûlé à ses passions,
c'était un lutteur seul contre tous, Pierre LAINÉ, après
l'avoir enseigné, le défend désormais avec sa plume. "
(Ouest-France) - (Présentation
de Qui suis-je ? Céline, Pardès, 2005).
*
Arthur LARRUE (écrivain et traducteur, a vécu
plusieurs années en Russie jusqu'en 2013, lecteur de
littérature française à l'Université d'Etat Herzen de
Saint-Petersbourg : " Interrogé
par Hala Moawad pour
L'Officiel de la
mode
(14/02/2013) : « Je ne lis pas de romans d’amour, ou
plutôt je ne suis pas tout à fait certain de savoir ce
que c’est qu’un roman d’amour. Je connais beaucoup de
livres dans lesquels il y a de l’amour. Dans tous les
livres il y a de l’amour. Plus ou moins caché, et
parfois d’autant plus sensible qu’il est caché.
Une des
plus belles pages d’amour de notre littérature me semble
par exemple être l’adieu à Molly dans Voyage au bout
de la nuit. Personne ne penserait à ranger le
Voyage dans une bibliothèque rose et pourtant, ce
livre est dédié à une femme, qui dans la vie ne
s’appelait pas Molly mais Elizabeth Craig. Céline en
était fou amoureux, c’était une danseuse américaine,
rousse, elle l’a quitté, il a écrit le Voyage
pour elle, par amour. »
(Le Petit Célinien, vendredi 15 février 2013).
*
Michel LEBRUN (né Cade, critique, traducteur,
scénariste, auteur de romans policiers, 1930-1996): "
J'ai découvert Céline quand j'avais quinze ans. J'ai lu
à la suite Voyage, Mort à crédit. Je fus émerveillé.
J'ai lu ensuite Henry Miller.
Je me suis rendu compte de tout ce que Miller devait à
Céline qui a influencé beaucoup d'écrivains de polars.
Pour moi Céline est le plus grand romancier français.
Point final. "
(Alfred Eibel, Michel Lebrun, dans
Spécial Céline n°8, E. Mazet).
*
Michel LECUREUR (enseignant, écrivain, rédacteur en
chef des Cahiers Marcel Aymé) : " Sensible à ce qui est
vrai. Voilà
bien le maître-mot, celui qui définit aussi le mieux
l'auteur de La jument verte, du Chemin des
écoliers, de Clarambard, et de tant de chefs-
d'œuvre où le merveilleux, par les voies les plus
imprévues et les plus cocasses, le dispute au réalisme
le plus minutieusement saugrenu. Plus encore qu'un très
grand écrivain, Marcel Aymé est poète de son temps et
rejoint les sources les plus fécondes de notre
littérature.
Michel LECUREUR souligne encore avec raison qu'il fut un
ami sans faille, et d'une générosité qui le situe bien
au-delà des considérations partisanes et sectaires qui
restent l'horrible plaie de notre époque. Cela, en dépit
de ses convictions communistes, un honnête homme comme
le cinéaste Louis Daquin, parmi bien d'autres, l'avait
parfaitement compris. On connaît la fidélité de Marcel
Aymé à ses camarades de la Butte et à Céline en
particulier. Fidélité d'autant plus remarquable qu'il
arriva à Céline, accablé de ressentiments et d'amertume,
de se montrer parfois injuste envers lui. En dépit de
quoi Marcel Aymé ne cessa jamais de le soutenir. "
(BC
n°84, août 1989).
*
Michel LEIRIS (écrivain, poète, ethnologue et
critique d'art français 1901-1990) : " Dans son Journal
1922-1989 (Gallimard), Michel LEIRIS range Céline
parmi les " salauds de génie " avec Daniel de Foe ("
pamphlétaire à gages "), Vigny (" indicateur de police
selon Guillemin ") et Richard Wagner (" raciste ").
Jean-Paul Louis directeur de la revue Le Lérot rêveur, n'a pas
manqué de réagir : " Je me demande ce que Michel Leiris
a pu lire, ingérer et transformer (tel est le métier
littéraire) de Céline pour en arriver à cette unique
mention d'un écrivain qui lui est si supérieur. A noter
la volonté sans doute inconsciente de nuire,
l'insinuation menaçante, lourde et sournoise, du
rapprochement opéré : " pamphlétaire à gages " qui
inaugure la liste ne devrait-il pas aussi s'appliquer à
Céline, qui la clôt ?
C'était du reste le pauvre argument de Sartre, à une époque où Leiris
était très proche des Temps Modernes ".(Le Lérot
rêveur, Tusson, 16140 Aigre).
(BC n° 125, février 1993, p. 3).
*
Philippe LEMAITRE
(écrivain et scénariste, prix Goncourt
2013 pour Au revoir là-haut et un César en 2018
pour son adaptation) : " Céline a employé quelque chose
de très nouveau dans la manière d'employer le texte. La
liberté folle qu'il s'est octroyée par rapport à
l'histoire a été une nouveauté considérable, et c'est
important dans mon cas parce que j'utilise beaucoup ce
que l'on appelle en narration la fonction phatique : le
narrateur fait irruption dans le texte et parle au
lecteur... "
(Il évoque Louis-Ferdinand Céline en 2007).
*
Jérôme LEROY (professeur de français, se consacre à
la littérature, auteur de romans de nouvelles et de
poèmes): " On ne dit pas, monsieur Delanoë "
Excellent écrivain mais parfait salaud ", à la
limite on dit : " Excellent écrivain ET parfait salaud
"
parce qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre la
correction politique et le talent littéraire. Sinon ma
bibliothèque serait aux trois-quarts vide et il est hors
de question que je me passe de Bloy, de Barbey, de
Villiers de l'Isle Adam, de Toulet, de Drieu, de
Brasillach, de Cocteau, de Jouhandeau, de Perret et de
Céline comme de l'autre côté, je n'ai pas envie non plus
de me passer de Hourra l'Oural d'Aragon et de son ode
surréaliste au Guépéou : " Vive le Guépéou contre le
pape et les poux ! " Il y a longtemps, en plus que
les grands céliniens ont réglé ce problème des pamphlets
quand ils veulent montrer la portée de cette œuvre
majeure qui reçoit aujourd'hui les postillons d'indignés
qui n'ont décidément que ça à faire. Ils prennent tout,
dans sa globalité, ils n'éludent pas.
Les pamphlets sont la part maudite d'une œuvre, le bloc
d'abîme qu'il ne faut pas refuser de contempler. Et
Philippe Muray fut un des premiers à envisager Céline de
cette manière, comme une totalité scandaleuse. Exclure
ministériellement Céline de ces commémorations non
seulement est une belle lâcheté politique mais aussi un
contresens littéraire. C'est presque pire. Et comme
Céline l'antisémite l'écrit dans une lettre à son ami
juif Elie Faure, le grand historien de l'art : " Je
ne vois dans le réel qu'une effroyable, cosmique,
fastidieuse méchanceté - une pullulation de dingues
rabâcheurs de haine, de menaces, de slogans énormément
ennuyeux. C'est ça une décadence ? " Oui, la Ferdine,
c'est ça, une décadence... "
(Céline contre les
robots. Voyage au bout de la bêtise, Causeur, 22 janvier
2011, www.causeur.fr).
* Bernard HENRI-LEVY (romancier,
essayiste): " Pierre Monnier écrit à propos de Bernard HENRI-LEVY : " Je
l'ai vu un jour à la télévision. Il disait des livres de
Céline qu'ils étaient des appels au meurtre. Les seuls
titres indiquent au contraire qu'ils sont des livres de
paix et de sauvegarde des vies humaines : Bagatelles
pour un massacre, paru avec une bande : "
Pour bien rire dans les tranchées ", et l'Ecole des
cadavres. Céline se dressait de toutes ses forces
contre le meurtre à venir. BHL est, paraît-il, un
grand philosophe. Il sait tout. Maintenant il va
apprendre à lire. "
(Minute, 3 oct. 1990).
* ... Se trouvait les 21 et 22 avril 1991 à l'université de
Boston, aux Etats-Unis, à l'invitation du B'nai B'rith, une
organisation maçonnique exclusivement juive. Il y a prononcé une
conférence sur l'antisémitisme et l'intolérance de Céline.
(BC,
juillet 1991)
* ... et aussi à
propos des " Lettres des années noires " Bernard Henri-LEVY avoue
:
" Odieux, certes. Nauséabond. Mais cette évidence, pourtant, qui ne s'impose que
chez les plus grands et reste, probablement, d'ailleurs,
leur seule vraie marque distinctive : une langue qui,
même là, dans ces textes hâtifs et, je le répète, odieux, est comme une pierre de touche, ou un
aimant à l'envers - l'écrivain parle et, du seul fait qu'il parle,
voici que s'affolent et se détraquent toutes les boussoles littéraires
du moment. Céline comme un chaos. Encore, et toujours, l'énigme nommée Céline. "
( Le Point, 4 février 1995).
*
" C'est ainsi que dans le sillage de ses amis,
Marc-Edouard Nabe relatera la rencontre entre Lucette et
Johnny Hallyday, l'idole des jeunes, ainsi que celle de
Bernard-Henri LEVY - ce qui est plus surprenant -
lors d'un cocktail, au théâtre des Amandiers, qui
faisait suite à la première de l'Eglise : "
Sergine riait, et François discutait avec un admirateur
des Beaux draps lorsqu'il vit Bernard-Henri
LEVY fendre lentement la petite foule, comme un
fauve hagard traverse la brousse un rideau de lianes.
Sans trop hésiter, il se dirigea vers Lucette et lui
tendit la main. Lucette Destouches n'était pas du genre
à refuser de serrer la main à qui que ce soit !
Pourtant, elle aurait pu lui en vouloir un peu à LEVY,
surtout depuis qu'il avait diffusé, dans une de ses
émissions télévisées historico-philosophiques, des
images des camps de la mort avec comme illustration
sonore la voix de Céline chantant sa chanson Règlement.
" Je te trouverai charogne, un vilain soir " sur fond de
fours crématoires remplis de crânes et d'os, ça faisait
un effet bœuf devant lequel LEVY ne recula pas,
bien qu'il sût parfaitement que la chanson de Céline
datait de 1936 et qu'elle racontait une rixe de voyous
qui n'avait rien à voir avec les Juifs et l'Holocauste.
Cette falsification n'était à l'avantage ni de l'intégrité du philosophe
ni même de sa fameuse répulsion admirative pour l'auteur
de Bagatelles pour un massacre. Lucette regarda
LEVY dans les yeux en souriant poliment et lui
serra franchement la main, une main froide et jaune qui
lui rappela tout à fait celle de Drieu La Rochelle.
L'intellectuel s'éloigna, les sourcils froncés. Arielle Dombasle lui prit
le bras comme si c'était l'anse d'une grande tasse de
café noir. "
(Marc-Edouard Nabe, Lucette, p.38, in Madame Céline, David Alliot,
Tallandier, janvier 2018, p.311).
*
Simon LEYS (nom de plume de Pierre RYCKMANS,
écrivain, essayiste, critique littéraire, traducteur,
professeur d'Université de double nationalité belge et
australienne, 1935-2014) : " Je voudrais bien savoir ce
que lisait Céline. Lisait-il ? Simone Weil admirait
Céline : autre rencontre révélatrice - tellement plus
révélatrice que tant d'informations biographico-anecdotiques.
[...]
Les prophètes de l'Ancien Testament étaient eux aussi de
mauvais coucheurs, des gens infréquentables. Mais il
faut bien que les prophètes hurlent, puisqu'ils
s'adressent à des sourds. "
(Simon Leys, Le Nouvel Observateur, 24 novembre 2005).
*
Daniel LINDENBERG (essayiste, historien des idées et
journaliste français 1940-2018) : " Dans le numéro de
décembre 1992 du Magazine littéraire on trouve un
article signé du maître de conférences à l'Université
Paris VIII Daniel LINDENBERG, cette conclusion
audacieuse : " Mais peut-être l'antisémitisme a t-il
changé de masque : le " révisionnisme " faurissonnien,
le nouveau paganisme indo-européen, la dénonciation
obsessionnelle de " complot sioniste ", le culte "
littéraire " de Céline, autant de paravents commodes en
attendant le jour où... "
Ainsi,
le fait de professer une admiration " littéraire
" pour Céline est-il assimilé à un antisémitisme
sournois ? Avis à son collègue de l'Université Paris
VII, Henri Godard, éditeur de Céline dans La Pléiade !
Heureusement que le culte " littéraire " de
Sartre ou d'Aragon ne soit pas assimilé à une nouvelle
forme de stalinisme car les suspects seraient encore
plus nombreux. "
(BC n° 125, février 1993, p. 6).
*
Jonathan LITTELL (écrivain franco-américain, son roman Les Bienveillantes
écrit en français lui vaut, à 39 ans, le Goncourt
2006 et le
Grand Prix de l'Académie française 2006) : " Si le personnage principal des Bienveillantes de
Jonathan LITTELL ne faisait pas la
rencontre de Céline, il serait sans doute superflu de revenir sur ce
roman. Mais il se trouve qu'au début des années trente, Maximilien Aue,
futur officier nazi, accompagne Céline à un concert d'une
pianiste légendaire: Marcelle Meyer (1897-1958). Quelques années plus
tard, Lucien Rebatet l'emmène à plusieurs reprises chez l'écrivain. Et
leur ami commun, Henri Poulain, secrétaire de rédaction de Je suis
partout, lui récite dans le métro des passages entiers de l'Ecole
des cadavres. Pas moins.
Pour conclure, relevons l'ironie du sort
qui a voulu que le Prix Goncourt ait été attribué à LITTELL alors qu'il échappa, comme on sait, à
Céline. Mieux : LITTELL a également décroché le Grand Prix
de l'Académie française. Un hebdomadaire satirique en a fait des
gorges chaudes, le français du jeune Américain laissant fortement à
désirer. Il ne faut, en effet, pas être grand clerc pour constater que
le roman est truffé de fautes de style, de barbarismes, de solécismes
et surtout d'anglicismes. Mauvaise traduction ou mauvaise relecture de
Gallimard ? "
(Marc Laudelout, le Petit Célinien, 29 juin 2010).
*
Jean-Philippe MARTEL (professeur, écrivain,
enseignant en littérature à l'Université de Sherbrooke
Canada, fondateur du blogue critique " Littéraires
après tout ") : "
Le livre qui m'a ouvert la plus grande
porte vers le monde est Voyage au bout de la nuit,
de Louis-Ferdinand Céline. D'abord, je l'ai lu pour la
première fois à un âge où on est particulièrement
impressionnable. Ensuite, non seulement son personnage
principal part à la découverte du monde, mais il le fait
de telle manière qu'il entrevoit ses mécanismes et
fonctionnements les plus durs, les plus inhumains, en
même temps que ses plus grandes beautés, ses solidarités
les plus étonnantes.
"
On est puceau de l'horreur comme on l'est de la
volupté ", écrit-il, et la leçon, près d'un siècle
plus tard, vaut toujours. "
(Dans les livres, le monde ", La Presse, 6 août 2014, in Rétrospective
2014, www.lepetitcelinien.com).
*
Jean-Pierre MARTIN (écrivain, essayiste, professeur
de littérature Université Lumière Lyon 2) : " Pasolini,
à rebours d'une célinolâtrie française, s'insurgeait
contre ce qu'il appelait une admiration
inconditionnelle. Je ne connais pas un auteur qui
soit, autant que Céline, objet de culte et
d'identification affective.
Un culte tel que, si vous n'êtes pas partie prenante, vous êtes forcément
bien-pensant ou, encore, vous ne comprenez rien à la
littérature. Pourquoi devrait-on aimer tout Céline ?
Et
surtout, pourquoi cette volonté d'imposer à tous un
devoir d'admiration ? Je soupçonne, derrière l'empire
d'une telle idolâtrie et d'une telle fascination, un
désir de dédouaner. S'agenouiller en dévot devant le
génie de Céline, c'est faire l'économie d'une question
fondamentale, sans doute insoluble, mais qu'il ne faut
cesser de poser : comment un grand écrivain peut-il
donner une légitimité littéraire aux idées les plus
stupides et les plus dangereuses ? "
(Le Point, 12/05/2011).
*
Nicolas MATHIEU (écrivain, lauréat du prix Goncourt
2018 pour " Leurs enfants après eux " ) : " L'envie de
fuir germe rapidement, de s'arracher à cette région, à
cette ville qui lui paraît étriquée et où il s'ennuie,
de rompre avec son milieu social, de ne pas reproduire
la trajectoire de ses parents.
" Je rêvais de vivre dans un monde plus intellectuel en fait. Je lisais
beaucoup les stylistes, Céline, Albert Cohen, me
fascinaient. "
Le
livre culte de Nicolas MATHIEU : " Voyage au bout
de la nuit " (Denoël 1932), chef-d'œuvre
de Louis-Ferdinand Céline.
(France Inter, 18 octobre 2018, Antoine de Caunes).
*
Olivier MAULIN (écrivain français) : " Relecture des
Beaux draps. Quel beau livre décidément. La fin
est un véritable feu d'artifice lyrique qui embrase tout
l'univers. Tout part en eau de boudin et finit en poésie
brutale et cosmique. Quelle magie !
Ces
dernières pages hallucinées me tirent des larmes chaque
fois que je les lis. Quel livre ! Détail amusant : parmi
les propositions sociales de Céline figurent les 35
heures de travail hebdomadaire. "
(Olivier Maulin, Histoire des cocotiers, Journal 1997-1999, Ed. Rue
Fromentin, 2018, dans Spécial Céline n° 29).
* Eric MAZET
(enseignant, critique littéraire): " A l'âge où le cœur se forme, mes
leçons de morale, je les ai prises
chez Pascal, Voltaire et Camus - et pour la vie entière. Mes leçons sur
la vie et les rêves des hommes, je les prends chez Céline, dans sa
musique, son rire et sa nostalgie.
Aucune actualité politique, aucune
élection de canton ou de mairie n'influera sur ma lecture littéraire, mon plaisir esthétique. Qu'ai-je à faire des
politologues paralogiques ? Bafouilleux
charlatans ! Céline a tout fait pour
écarter, offusquer les amateurs, les
benêts et les confesseux de tous bords. Il
est irrécupérable, seul, inépuisable
aussi. "
(B.C, novembre 2002).
* "
Céline ferait-il encore peur ? Tous les journaux copient
son style, et taisent le nom de leur modèle. Sa langue
est celle du XXème siècle. Mais journalistes et
écrivains n'ont pas compris que Céline est poète avant
tout. Point prosateur, ni argotique ou populiste.
L'apparence de son " style oral " prête à beaucoup de
confusion. Ce n'est pas du " langage parlé ", c'en est "
le souvenir ".
Ne capte pas "
l'émotion " qui veut en ouvrant. Plus vite que les
exégètes cependant, les acteurs ont imposé au fil des
ans une image nouvelle du poète. Le monstre avait du
génie ! Une âme, une langue. "
(BC n°165, juin 1996).
*
Christian MILLAU (écrivain, journaliste et
critique gastronomique): " Et Gaston Gallimard ? Ah
certes non, il ne nous referait pas le coup de publier
presque en même temps D'un château l'autre de M. Céline
et La semaine sainte de M. Aragon. Encore des drôles de
cocos, ces deux là... Le premier certifiant que les
Juifs sont " le produit d'un croisement entre les nègres
et les barbares asiates " et le second, se torchant le
cul avec le drapeau tricolore. Ah quel dommage que M.
Stavisky ne soit plus des nôtres
et qu'on l'ait suicidé d'un coup de révolver tiré à bout
portant ! Je me souviens avoir fait marrer Céline en lui
montrant une interview dans laquelle le roi des escrocs
avait déclaré : " Notre littérature est trop
faisandée. J'ai eu entre les mains un livre de Céline.
Cela m' écœure. Hélas, on méprise des auteurs comme
René Bazin ou Clément Vautel ! Il serait utile de fonder
un prix de littérature honnête, saine et bien française.
"
Au fait, pourquoi ne pas fonder et
inscrire Stavisky à titre posthume président d'honneur
des Amis des lois mémorielles (Pleven, Gayssot, Génocide
arménien, Taubira, Lellouche et Perben) ? A son
programme pourrait s'inscrire d'urgence un épouillage
attentif de l'œuvre de M. Raspail. Lui-même leur
facilite gentiment la tâche en relevant dans son propre
roman pas moins de 87 motifs à poursuites judiciaires.
Quand ils en auront terminé, je leur soumettrai mon
journal. Quand par exemple, je suggère la lecture de
Mein Kampf dans les collèges, il doit bien y avoir
quelque part un article de loi permettant de me fourrer
au trou. Rien de bien compliqué si l'on sait que
contrairement à une idée répandue, ce n'est pas le délit
de " négation " mais de " contestations "
qui est puni de prison par la loi et, oh merveille,
laissé à la seule appréciation des juges ! "
(Tous en
taule ! Molière, Baudelaire, Céline, Aragon..., Service
Littéraire n° 39, mars 2011).
*
Jean MOLINO (professeur à l'Université Aix-Marseille
I, essayiste) : " Pourquoi est-il nécessaire, quand il
est question de Céline, de prendre des précautions,
comme si l'on voulait justifier, vingt-cinq ans après sa
mort, le délire de persécution dans
lequel il s'enfermait, comme Jean-Jacques, et qui ne
manquait pas de fondement dans la réalité ? Il est de
mode, depuis quelque temps, de reparler de Vertu ; voilà
qui me fait passer dans les vertèbres comme un frisson
de guillotine, mais heureusement les chantres actuels de
la Bonté et des Bons Sentiments sont trop douillets pour
penser à autre chose qu'à l'ordre moral des médias,
publics ou privés. Mais quel rapport entre la politique,
les idées morales et religieuses et la littérature ?
Céline aurait-il mérité d'être condamné à mort et,
autant que je sache, il ne l'a pas été et il a été
amnistié de sa condamnation à un an de prison et 50 000
F d'amende, est-ce que cela ôterait le poids d'un fétu
de paille à son génie ?
Pourquoi
être toujours obligé de déclarer - sous la pression des
moralistes de gauche, qui ne le cèdent en rien aux
moralistes de droite - qu'on se désolidarise de ses
idées ? Pour le dire franchement, on s'en fout de ses
idées et ce n'est ni à cause ni pour ses idées qu'on le
lit, mais parce que c'est - on le voit déjà mais on le
comprendra de plus en plus et ce sera un des étonnements
de nos successeurs de constater qu'on n'a pas voulu s'en
apercevoir plus tôt - un des plus grands, le plus grand
sans doute depuis Proust, et peut-être le seul qui ait
une stature plus qu'hexagonale. Comme elles sont loin
les mesquines discussions sur la signification
politique, idéologique, sur la grossièreté et les
provocations, sur le pessimisme ou la valeur
révolutionnaire du Voyage au bout de la nuit ou
de Mort à crédit ! Les chefs -d'œuvre sont là et
c'est tant pis pour ceux qui ne savent pas les
reconnaître. "
(Commentaires n°44, hiver 1988-1989,
Lettre à mon cousin sur le roman français depuis la
guerre, BC n°84, août 1989).
*
Pierre MONNIER : "... En
arrivant près de la maison, j'aperçois Louis-Ferdinand dans sa houppelande. Il
est debout devant le seuil et regarde Lucette sauter à la
corde comme
un boxeur à l'entraînement. Il fait bien froid. Ferdinand a sur lui
cinq chandails, plus une sorte de cape très longue de berger
montagnard. Pour se promener autour de la maison, il met de
vieilles bottes et se sert d'une canne. Je le regarde. Il est à
quelques mètres, découpé sur le ciel,
avec son grand front et ses cheveux longs. Il sourit: " Vous voyez où
cela mène de faire l'artiste. " ... Nous avons essayé de mettre au point
un plan pour faire repartir ses livres et tenter de briser le mur du
silence. On va voir ce que cela va donner. Demain,
je reprends le train pour Paris. "
*
" Quand on connaît bien Céline et son œuvre, on ne peut que se
moquer des irritations comiques auxquelles se laissent aller ses
détracteurs dont on devine très bien les motivations. Politiquement
acquis aux pouvoirs que Céline avait combattus avant la guerre (...)
Céline, qui sait en quoi s'en tenir, voit en eux des " râleurs et
dénigreurs aux maigres couillettes... "
(Le Libre Journal, 28
juillet 1994).
*
Marc-Edouard NABE (écrivain): " Céline, c'est mon père... Ou mon grand-père
plutôt. D'ailleurs, mon père et mon
grand-père lisaient Céline. Je suis une filiation de célinien. Ça
toujours été chez nous le maître à penser... Il a appris à vivre à trois
générations. Le jour où, vers quatorze ans, j'ai découvert " Rigodon "... Je
suis resté pétrifié, je suis rentré dans l'univers célinien avec une
euphorie, une passion invraisemblable (...) La voie écrite, le souffle, la sonorité
de la phrase du Cuirassier a tout emporté sur son passage, je suis
parti sur ces rails là pour toujours, touché
à la vie à la mort ".
(Au régal des vermines, p. 162).
*
" Un écrivain en marge, hors de la file indienne, complaisant,
don-quichottesque, lyrique jusque dans la grossièreté; de quoi le
discréditer dans le monde prudent et même lâche de l'édition
parisienne. Mais un écrivain de race, entre Bloy et Céline, le naturel
de l'instinct dyonisien et la force d'une intelligence nietzchéenne. "
(
Pol Vandromme, BC, sept. 1991).
*
" On ne peut pas être un grand écrivain et un
salaud. Céline n'est donc pas un salaud dans le sens où
ses pamphlets, qui s'inscrivent totalement dans sa
littérature, n'ont pas été écrits pour servir une force
gouvernementale ou policière, qu'ils n'ont été récupérés
par aucun parti collaborationniste ni par les Allemands,
qu'ils n'engageaient que lui seul avec tous les risques,
et dont on surévalue aujourd'hui l'influence directe sur
les vrais " salauds " actifs de la collaboration. Céline
était pris au sérieux comme écrivain, mais pas comme
pousse-au-crime, il ne faut rien savoir de l'époque pour
soutenir le contraire... [...] Il n'a jamais fait une
seule action antisémite de sa vie. Tant que les esprits
ignorants ou partisans n'auront pas compris ça, je ne
leur trouverai pas le droit de s'exprimer sur la "
saloperie " d'un homme pareil.
Bagatelles
pour un massacre, dont personne ne comprend d'où
vient le titre (y compris les céliniens), n'a pas poussé
des gens à faire concrètement du mal aux juifs. Et je
dirais même à en penser. Les franchouillards délateurs
de l'époque n'avaient pas besoin de Céline pour ça, lui
dont la prose complexe et humoristique fut reçue dès
1937 comme contre-productive par les " vrais "
antisémites, à cause de son outrance parodique. "
(Le Point, 27 juin 2011).
* Maurice
NADEAU (professeur, écrivain, critique littéraire): " Que le Voyage
ait été (et soit) " un bouquin
sensationnel ", puisque tout le
monde l'a reconnu à l'époque: Raymond Queneau, mais aussi Aragon, qui
s'occupa de le faire traduire en russe, Léon Daudet, qui fit, à son
propos, dans " l'Action Française ", un raffut de tous les
diables, Sartre, qui devait se
souvenir suffisamment de Céline pour
mettre une de ses phrases en exergue à " La Nausée "...
Quant à nous autres, jeunes, nous eûmes le souffle coupé; nous n'avions
encore rien lu qui, dans notre expérience de la vie et de la
littérature, nous parût plus fort et plus vrai... "
( L'Express, 6
juillet 1961).
* " Pierre Assouline : - Croyez-vous que la
littérature puisse tout se permettre ? " - "
Je le crois, hélas. Pour Céline, que j'aime beaucoup, et
pour les autres aussi. J'ai été le premier à publier
Sade ouvertement dans une petite maison. Le livre a
aussitôt été saisi dans le silence le plus total. Je ne
nie pas que certains aspects de son œuvre soient
révulsants. Mais cela relevait d'une bonne hygiène des
lettres que ses textes soient écrits et publiés. Les
gens ont du mal à comprendre cela, de même qu'ils ne
conçoivent pas que l'antisémitisme de Céline me fasse
rire.
La puissance comique des pamphlets ! C'est
tellement grotesque qu'on ne peut pas prendre ça au
sérieux. Et puis Mort à crédit, que l'on dit à
tort moins fort que le Voyage au bout de la nuit
c'est magnifique. L'écriture sublime tout. Il ne faut
jamais prendre les choses au pied de la lettre. "
(Entretien avec Pierre Assouline, Lire, nov. 1997,
L'Année Céline 1997).
*
Eric NAULLEAU
(animateur de télévision, éditeur,
écrivain, traducteur, critique littéraire): " C'est
anormal, et même scandaleux, qu'un lobby communautaire -
aussi estimable et honorable soit-il par ailleurs -
dicte le comportement de l'Etat français via le Ministre
de la Culture. "
(Autres réactions, BC n° 327,
février 2011).
* Proust ou
Céline ? " Trop cruel ! Je dirais Proust. Même si Céline
est un maître de la langue, Proust c'est une expérience
de lecture que je trouve supérieure.
Que Fabrice Luchini me pardonne ! "
(lepoint.fr/culture/eric-naulleau, 19 août 2018).
* Eric NEIRYNCK
(écrivain belge) : " La grille était ouverte, j'ai
d'abord hésité, mais un chat ressemblant furieusement à
Bébert est venu à moi comme m'invitant à entrer.
Perturbant et merveilleux à la fois. L'impression très
prétentieuse d'être attendu. Unique. En même temps, je
ne peux m'empêcher de me dire que de son vivant le
Maître des lieux m'aurait fait fuir en m'envoyant ses
chiens. Pas question de venir voir la bête. Dehors les
voyeurs... passez votre chemin ! [...] A la fenêtre du
rez-de-chaussée du
pavillon, une jolie jeune femme s'affaire. Le ciel est
dégagé, le temps s'est arrêté, le moment est parfait.
Elle m'aperçoit, en même temps je n'ai pas cherché à me
cacher. Je me sens mal à l'aise, juste l'envie de
prendre mes jambes à mon cou et de cavaler. Surprise. De
la main, elle me fait signe de venir à la porte.
Adorable auxiliaire de vie de Lucy, qui d'un sourire m'a
fait sentir que j'étais le bienvenu.
J'en profite pour
lui demander si Mme Destouches est là. Elle me répond
par l'affirmative. J'ose alors la question : "
Accepterait-elle de me recevoir ? " Malheureusement, vu
son âge Lucette ne voulait plus voir, ni être vue, par
personne, excepté les intimes, et encore. Derniers
souhaits d'une vieille dame que je respectai sans
broncher. Quand sur le point de partir, un sublime "
merci " surgit d'une voix lointaine. Un simple petit mot
qui me remplit de bonheur. Elle n'avait pas voulu de moi
chez elle, mais elle avait pris la peine de me saluer.
Merci Madame, ce " merci " je ne l'oublierai jamais. "
(Eric Neirynck, Louis-Ferdinand Céline, Duetto, 2016, in Spécial Céline
n° 23, printemps 2017, p.42).
* Benjamin
PERET (écrivain surréaliste, 1899-1959) : " Cher
Camarade, L'intérêt soudain que Le Libertaire
porte au nommé Céline me surprend profondément. Je ne
peux pas oublier, en effet, que Céline a joué, avant et
pendant la guerre, un rôle tout à fait néfaste. Toute
son œuvre constitue une véritable provocation à la
délation et, de ce fait, devient indéfendable à quelque
point de vue qu'on se place car la poésie ne passe pas
quoi qu'en disent ses thuriféraires par la bassesse et
l'ordure. Or, l'œuvre de Céline se situe tout entière
dans un égout où, par définition, la poésie est absente.
Et l'on voudrait en soulever la plaque pour nous faire
respirer les émanations méphitiques qui s'en dégagent !
Non, qu'il reste au Danemark où il ne risque rien s'il
n'ose pas se présenter devant un tribunal dont il n'a
guère à attendre qu'une condamnation de principe.
C'est
toute une campagne de « blanchiment » des éléments
fascistes et antisémites qui se développe sous nos yeux.
Hier, Georges Claude était remis en circulation. Demain
ce seront Béraud, Céline, Maurras, Pétain et compagnie.
Quand toute cette racaille tiendra de nouveau le haut du
pavé, qu'auront gagné les anarchistes et
révolutionnaires en général ? Pas de donquichottisme !
Réservons notre solidarité – et celle-ci totale – pour
les victimes de notre capitalisme, de Franco, Staline et
autres dictateurs qui souillent aujourd'hui la surface
du globe. "
(Le Petit Célinien, 12 sept. 2014).
* Philippe
PICHON (commandant de police, écrivain): " On se demanderait alors
si, dans le Voyage, Céline était Bardamu ou
ses autres
personnages. La bonne réponse, sans doute, est : l'écrivain n'est aucun
d'eux, mais tous à la fois. Cela paraît quelque peu tarte à la
crème, cependant la relation entre Céline et ses personnages est
essentielle pour comprendre son œuvre. Un personnage n'est pas son
auteur, mais une figure possible de sa personnalité, une potentialité
qu'il a plus ou moins développée dans la réalité. Ce qu'il pourrait
être et qu'il n'est pas.
En faisant le portrait de Bardamu, à la
fois assumé et refusé, Céline met en jeu le raciste en lui. Au lieu de
montrer un méchant raciste, il laisse s'exprimer, prendre corps une
part malsaine de lui-même. Il la met en jeu, ce qui signifie qu'il la
met en doute, en question, qu'il la soumet à l'analyse. Il fait son
travail de romancier. "
(BC n°272, février 2006).
* Irina RADTCHENKO (traductrice littéraire russe
1951-2005): " Le 10 septembre dernier, vers sept heures
du matin, Irina VSEVOLODOVNA
RADTCHENKO, traductrice littéraire russe de
renom, est morte. Une grande tempête s'élève de la
nuit... C'était une douce et gentille et fidèle amie. En
1991, cette philologue ayant obtenu une maîtrise à
l'Université de Moscou, propose à la prestigieuse revue
littérature international de traduire
Voyage au bout de la
nuit. Cette initiative survient donc bien après
la piètre édition soviétique de 1934 orchestrée par Elsa
Triolet et ces très longues années durant lesquelles
Céline fut complètement boycotté en URSS. Net refus de
dirigeants dogmatiques. Irina n'acceptera pas ce signe
négatif du destin.
Sa compréhension
de Céline était fine et subtile. Elle savait qu'il
fondait son écriture sur l'Emotion, accusant la clarté
française de l'avoir tuée.
" L'irrationalisme et
l'émotivité de Céline doivent trouver un écho dans la "
mystérieuse " âme russe " disait Irina. La difficulté, selon son expérience de
traductrice, provient du foisonnement des néologismes.
Autre problème : le russe non conventionnel est très
riche mais aussi beaucoup plus brutal que le français
parlé. Assurément Irina
RADTCHENKO a réussi le pari de rendre présent en
Russie, dans toute sa diversité langagière, un auteur
qui fut l'un des plus originaux du XXe siècle. Nous
n'oublierons pas davantage la profonde émotion qu'elle
disait ressentir en traduisant Céline, tâche exaltante
dont elle ne sortait pas indemne. "
(Arina Istratova, Bulletin célinien, janvier 2002).
*
Maël RENOUARD (agrégé de philosophie, enseignant à
l'Université, traducteur, essayiste) : " La présence
même de ces chemins indiqués dans le ciel est une faveur
des dieux. C'est Thétis, divinité de la mer, qui apporte
avec elle le principe de
l'orientation, poros, grâce auquel les marins peuvent
sur l'océan s'ouvrir un passage à travers des voies
différenciées. " Il vous a donné les étoiles pour
guides dans les ténèbres de la terre et de la mer ",
est-il dit de Dieu dans le Coran
(sourate VI, 97).
Mais
qu'arrive-t-il si les repères célestes sont absents de
la nuit ? Ce que chante la " Chanson des gardes "
de 93, placée en exergue au Voyage, c'est le
désarroi d'une orientation qui ne peut se fonder sur
aucune étoile. Notre vie est un voyage Dans l'hiver
et dans la Nuit, Nous cherchons notre passage Dans le
Ciel où rien ne luit. La nuit étoilée n'est plus la
nuit-chaos ; elle est la nuit navigable. En un sens elle
n'est plus strictement la nuit. Le Voyage sera donc une
traversée au cœur de la
vraie nuit, la nuit désorientée où le navire aveugle
cherche en vain son cap, broyé dans un tohu-bohu de
tempêtes. "
(Rafiots de Céline, Le Polygraphe n° 27,
2003).
*
Jean RIGAUD (enseignant, essayiste, romancier,
photographe, 1924-2005): " (...) L'antisémitisme appelle
la vulgarité. On peut penser que certaines pages des
pamphlets ont été écrites par Robinson. Il y eut plus
coupable que Céline ou que Voltaire à l'égard des Juifs.
Erasme, parangon de l'intellectuel indépendant, s'est
laissé aller à écrire : " il était chrétien de haïr
les Juifs, puisque tant de bons chrétiens le faisaient "
(John Hale, La civilisation de l'Europe à la
Renaissance, Perrin, 1998, p.176). Cet homme libre
entre tous ralliait un courant de pensée, entraîné par
la vague, cédant la plume au petit " suiveur " médiocre
qui était également en lui.
(...)
Ma préférence va à la trilogie. Prodigieux travail de
styliste. L'expressionnisme célinien atteint tout
naturellement une dimension cosmique, pas seulement
historique, le tout appuyé sur une multitude de détails
vrais pour composer une fresque où tout est faux
naturellement, mais vrai au plus profond des choses. Par
delà les apparences, Céline touche au cœur
du drame du monde. Tout cela sous le masque d'une simple
chronique. Bien sûr, c'est l'Allemagne en 44-45, mais
c'est aussi tellement plus. Le génie ! "
(Conférence,
Faculté d'Aix-en-Provence, 1970, Spécial Céline n°8, E.
Mazet).
* Alain ROBBE-GRILLET (romancier et
cinéaste): " Céline est ce qu'on devrait appeler un écrivain de gauche,
bien qu'il ait été d'extrême droite. Il portait en tout cas l'esprit
d'une révolution, on ne peut pas en dire autant de beaucoup
de bons esprits de gauche de la même époque qui, au contraire, faisaient de la littérature qu'on peut appeler " de droite ". Ces mots de
" droite " et " gauche ", je les mets entre guillemets parce qu'aujourd'hui
ils commencent à disparaître, mais pendant toute mon enfance et mon
adolescence, ils ont vraiment joué un rôle.
J'ai connu
Céline très tôt, alors que je lisais encore peu, parce qu'il était
d'extrême droite. Mes parents étaient d'extrême droite, alors on lisait
les chroniques de Brasillach dans l'Action française, où l'on parlait
de Céline. On n'y parlait jamais d'André Breton. Céline avait la chance
d'être antisémite, donc on pouvait en parler à la maison. Et il se
trouve que c'est quand même le grand écrivain révolutionnaire."
(
Préface à une vie d'écrivain, France-Culture-Le Seuil,
coll. Fiction et Cie, 2005).
*
Jean ROMAIN (de son vrai nom ROMAIN PUTALLAZ,
romancier, philosophe, essayiste suisse): "
Louis-Ferdinand Céline est décédé en 1961, la même année
que d'autres grands écrivains. Fallait-il apposer son
nom en 2011 sur une plaquette éditée
par le Ministère
français de la culture et qui célèbre les
reconnaissances nationales ? Un écrivain de grand talent
et un pauvre homme aigri : les deux visages de Céline
qui n'en forment peut-être qu'un seul. (...) " Le
voyage au bout de la nuit ", au style si
révolutionnaire, est un roman étudié dans nos collèges.
Là, rien de médiocre. Céline est même édité dans " La
Pléiade ", la prestigieuse collection de Gallimard.
Ce qu'on reconnaît en lui c'est le romancier et non pas
l'homme.
Sans ces romans, il n'y aurait pas
de mémoire de Céline. Personne ne lit en classe
Brasillach ni Drieu La Rochelle ! Lorsqu'on rencontre
leurs noms, ce n'est pas les écrivains qu'on met en
avant mais leur action de collabos. Le Céline romancier
est d'une tout autre trempe. C'est de lui qu'il faut se
souvenir, et de lui seul. L'écrivain rachète-t-il
l'homme ? On aimerait bien, sauf que les pamphlets sont
aussi ceux d'un écrivain. Cinquante après sa mort, les
avis sont toujours tranchés. L'homme dérange.
Scandaleux, sulfureux, Céline le restera, et on peut se
dire, lui qui tenait les critiques et les célébrations
officielles pour de la roupie de sansonnet, on peut se
dire que l'œuvre romanesque sait se défendre seule. "
(LeNouvelliste.ch, 2 février 2011, dans le Petit
Célinien).
*
Maxime ROVERE (écrivain, philosophe et traducteur,
enseigne la philosophie à l'université pontificale
catholique de Rio de Janeiro depuis 2015, intervient
dans le Magazine littéraire depuis 2008) : " Le
rapport à l'écriture créé par lui est plus vivant, plus
charnel, plus écorché que pour n'importe qui auparavant.
Cette nouvelle forme de lyrisme, telle qu'il l'explique
dans ses Entretiens avec le professeur Y exige un
écrivain " plus qu'à poil... à vif !... "
Cette authenticité viscérale est plus qu'un artefact
littéraire. Elle révèle aussi que, en complément à son
travail de la langue, Céline le médecin voulut encore
soigner, amender, guérir peut-être quelque chose de
l'homme. "
(Le Magazine littéraire, février 2011).
*
Michel RUFFIN (écrivain, romancier historique,
romancier satirique et humoristique, chroniqueur radio)
: " L'aventure d'un homme et d'une
femme dans une relation d'amour et de rejet qui ira
jusqu'à la destruction est adroitement mise en parallèle
avec la vie et l'œuvre d'un
auteur aimé autant que décrié.
Quand Stanislas Dambreville, spécialiste de Louis-Ferdinand Céline
rencontre Juliette pour la première fois, il s'en moque.
Le charme, la jeunesse de la jeune femme le laisse
froid, il a un autre chat " Bébert " à fouetter :
achever son dernier livre sur l'auteur controversé. "
"
Michel RUFFIN a réussi à réunir dans un roman
passionnant d'intrigues inattendues ses remarquables
connaissances de l'œuvre de
Louis-Ferdinand Céline avec des péripéties que nul
critique littéraire (fonction du héros), n'aurait pu
concevoir.
On imagine un Bernard Pivot ou un Jean-François Stévenin à sa place...
Les " céliniens " en vacances - comme ceux qui n'en
prennent pas - vont adorer. (M.M.).
(Michel Ruffin, Céline et Céline, Roman, Editions Chum, juin 2018).
* Frédéric SAENEN (enseignant, critique littéraire de nationalité belge) :
" Surprendre Céline, dans son pavillon
de la Route des Gardes, c'est entrer de
plain-pied dans la mythologie troglodytique et clochardisée de la Littérature. Chaque
portrait a fixé un mot, un grognement, un soupir, le bond d'un chat, un
geste, pour une postérité ambiguë et
subversive. L'intimité participe d'un rituel et l'acte de repousser une porte grillagée ou
d'amener un vieux carton aux ordures y prend une dimension cosmique.
(...) Car ce à
quoi il nous est donné d'assister, c'est à la mise en scène, tantôt
narquoise, tantôt dépitée, d'une grandeur chancelante. La fatigue de ce
qui fut l'énergie même. Un effondrement figé. Ici, la base et le sommet
se rejoignent, le calme englobe les fulminations. Toute vêtue de noir
et blanc, l'éternité fait ses pointes. "
(B.C. janvier 2007).
* James SALTER
de son vrai nom James A. Horowitz ( romancier, écrivain,
scénariste 1925-2015, au panthéon de la littérature
américaine avec Hemingway ou Norman Mailer) : " Céline...
c'est un écrivain époustouflant. Et un cas dérangeant.
Les Français ont été à deux doigts de le faire exécuter.
Nous parlons donc d'un douteux personnage qui est à
présent considéré, à juste raison je crois, comme un des
deux plus grands écrivains du XXe siècle. Même son
dernier (sic) livre, D'un château l'autre,
est
formidable. Il a dû être écrit dans les circonstances
les plus éprouvantes qu'on puisse imaginer. Quand vous
lisez quelque chose de bon, l'idée de regarder la
télévision, d'aller au cinéma, ou même de lire le
journal, perd tout intérêt. Ce que vous lisez exerce une
séduction trop forte. Céline possède cette qualité.
Profondément
idéaliste, il éprouvait une grande sympathie pour
l'homme ordinaire et son honnêteté est des plus
convaincantes. Il était aussi fanatiquement antisémite
mais il avait inventé un style nouveau, une atteinte au
langage, des éclats d'écriture brûlants qui ne reculent
ni devant la vulgarité ni l'argot des rues, l'obscénité
et l'invective. (...) Amer et misanthrope, nihiliste,
pareil à une danse de mort où se mêlent l'idéalisme et
un cynisme extrême. Impossible d'échapper à ce style, et
son audace le rendait étrangement libérateur, son
emphase bizarrement comique. "
(James Salter, Salter par Salter, Editions de l'Olivier, 2016, in B.C.
n°393, février 2017).
* Boualem
SANSAL (écrivain algérien d'expression française) :
" Les interdictions sont comme les balles, elles
ricochent partout et parfois reviennent sur ceux qui les
ont tirées. Les livres de Céline ne vont ni augmenter ni
diminuer l'antisémitisme. Le Céline des pamphlets ne
vaut pas le coup de risquer de ruiner cette chose
miraculeuse qu'est la liberté d'expression, dont la
liberté d'édition est le vecteur et le levier. " Il faut
faire attention, interdire un livre, c'est le début du
processus qui mène à l'autodafé, rappelons-nous le
passé, les pogroms étaient tous précédés ou suivis de
gigantesques feux de joie...
Le drame
serait que Gallimard revienne sur son projet d'édition
des pamphlets. On verrait bientôt déposer chez les
éditeurs des listes de livres à interdire. Non,
Gallimard ne peut pas se permettre de reculer. "
(BibliObs, 8 janvier 2018).
*
Michel
SCHNEIDER
(écrivain, énarque, haut
fonctionnaire et psychanalyste) : " Je ne me donnerai
pas le ridicule de juger
du
style de Céline, me contentant d'analyser de quoi il est
fait. Jean-Pierre Richard l'a montré : il s'agit d'un
style oral, au premier sens du terme, inapte à la
rétention excrétoire, et qui se moque du dégoût comme du
bon goût. Les mots sont plus crachés que remâchés, vomis
que travaillés au gueuloir de Flaubert. La nausée y
tient la même place que la diarrhée chez Littell. Style
oral, vraiment ? Rien de plus écrit - je ne dirai pas de
mieux écrit - que ce style parlé : personne n'a jamais
parlé comme Bardamu. Le style de Céline est comme le
style selon Céline.
(...)
Il n'est pas question de nier les beautés de cette
écriture, mais de voir le fond abject sur lequel elles
s'enlèvent pour y retomber aussitôt. Déjà présent dans
le " Voyage " et " Mort à crédit " (il
faut reconnaître le génie des titres), ce style haché de
haine de soi et des autres (les pauvres, surtout) ne
fera qu'empirer dans la trilogie de la fin. C'est à sa
densité émotionnelle que Céline, méprisant Proust, croit
reconnaître un grand style. Exécrée, l'humanité,
exécrée, la langue, c'est logique, mais on n'est pas
obligé d'aimer. "
(Les mots sont crachés, Le Point n°
2017, 12 mai 2011).
* François
SENTEIN (écrivain, journaliste, enseignant 1920-2010): " Ce qui me
gêne au fond, dans les livres de Louis-Ferdinand Céline, c'est qu'ils
manquent de violence. - Comment ? - Oui, de violence. Vous l'avez
regardé, au moins en photo : cet homme-là est un malin. Son style est
tout en malices. L'œil toujours en coin ; mais parfois la bouche se
tord ; alors, fini de rire, on est saisi par sa puissance qui ne cesse
pas un instant d'être littéraire et, lorsqu'on en sort, on
s'aperçoit que, pendant ce temps, lui ne perdait pas le nord une
seconde.
Il sait merveilleusement faire mousser les
histoires. On prend ça pour la bave d'un enragé. Mais il fait des
bulles, Céline. Il en remplit d'énormes bouquins, avec des points de
suspension, pour l'effet. Il s'applique à la poésie la plus ponctuée.
Il ne cesse de faire un effort de poésie. " (Guignol's band de
L.F. Céline, L'Echo des Etudiants, 30 avril 1944, BC n°237, déc.2002).
A cette époque, un an avant la parution de D'un
château l'autre, les journalistes ne se bousculaient pas à Meudon.
Evoquer de telle façon, en 1944, l'art poétique célinien n'était
assurément pas chose courante. "
*
Alain SERGENT (Sous le nom d'Alain SERGENT, Alain
MAHE est un écrivain libertaire, 1908-1982) : " Pour
bien connaître, en tant qu'ancien prisonnier politique,
la
mentalité
des « juges républicains », je trouve que Céline a
parfaitement raison de ne pas rentrer tant qu'il courra
un risque, sachant sans doute trop bien ce que couvre le
mot de justice. Les principes n'ont rien à voir en
l'occurrence, c'est une simple question de rapport de
forces sur le plan politique. On a envoyé Brasillach au
poteau parce que Russes et Américains vivaient à ce
moment leur lune de miel, aujourd'hui on le condamnerait
à quelques années de prison. Dans une situation
nouvelle, la plupart des « juges » seront prêts à
condamner ceux qu'ils servent aujourd'hui, et à filer
doux devant un Doriot quelconque.
Il faut croire,
d'ailleurs, que ce phénomène n'est pas nouveau puisque
La Fontaine disait : « Suivant que vous serez puissant
ou misérable... » Il reste que votre enquête est des
plus édifiantes, car elle oblige chacun à prendre
position. En outre, elle devient un élément du rapport
de forces dont j'ai parlé en incitant pas mal de gens à
réfléchir. "
(Le Petit Célinien, 12 sept. 2014).
*
Philippe SOLLERS
: " Céline... Grandiose. Admirable. Un des grands
regrets de ma vie est que nous lui avions
téléphoné et qu'il nous avait proposé d'aller le voir. J'aurais dû sauter dans un taxi ! Ce qu'il est intéressant
de souligner, c'est que le tabou sur Céline est en cours de
décomposition.
Que n'ai-je pas entendu lorsque j'ai préfacé les lettres
à la NRF de Céline en 1991 ! Il faut publier une autre Pléiade pour les lettres de Céline, épistolier
de génie. A quoi comparer sa correspondance en intensité, en électricité, en verve ? A celle de
Voltaire. De Voltaire à Céline, le français est vivant. Pour ceux qui souhaitaient définitivement
enterrer Céline, c'est raté. "
(Magazine des Livres
n°9, 2008).
*
Alain SORAL
(de son nom BONNET de SORAL, essayiste,
journaliste et réalisateur) : " Louis-Ferdinand Céline est un
auteur violemment anti -sémite. Mais aussi violemment
génial. Que fait-on ? On va l'interdire ? On va
supprimer toutes les rues et places à son nom ? On va
brûler ses œuvres en place publique ? Bernanos est
antisémite. Il faut lacérer " Sous le soleil de
Satan " ? Voltaire bat tous les records. Il est au
Panthéon. Va-t-on le tirer du Panthéon par les pieds ?
Interdire l'entrée avec des barricades ? (...) Frédéric
Mitterrand, l'homme qui trouve que Ben Ali n'est pas un
dictateur, le défenseur de Polanski, sacrifie Céline, un
des plus grands écrivains français, à une pression que
les juifs même, les juifs sensés, trouvent intolérables.
Pression de Serge Klarsfeld pour Céline. Pression du
Crif pour Hessel. Les deux étant très proches.
Esther Benbassa, directrice d'études à l'Ecole pratique
des hautes études accuse : " Le Crif terrorise certains
Juifs et tous les non-Juifs. Il fait régner sa loi à
l'intérieur de la communauté juive, bannissant l'un, qui
n'obéit pas à ses injonctions, l'autre, qui publie un
livre non conforme, un troisième encore qui ose
critiquer la politique d'Israël. Alors que tous les
Juifs sont loin de se reconnaître en lui, le Crif ne
s'en considère pas moins comme leur porte-parole et
aussi comme leur directeur de conscience. Mais le Crif
fait aussi la loi à l'extérieur de la communauté,
accusant qui ils veulent d'antisémitisme, suscitant des
procès contre tel journaliste, contre tel intellectuel,
contre tel militant. Le Crif, en un mot, terrorise
psychologiquement certains Juifs et tous les non-Juifs
au nom de la défense d'Israël. " Bien nous sommes
informés. Nous redoutions le nouvel Ordre Mondial. Nous
avons le Nouvel Ordre Français. Pour nous entraîner. "
(Veut-on
nous rendre antisémites ? , egaliteetreconciliation.fr,
26 janvier 2011).
*
Raphaël SORIN (éditeur, critique littéraire) : " -
On fait comment pour passer de la lecture des
structuralistes à celles des
Mémoires d'un fasciste ? - Tout cela n'est pas
contradictoire. A partir du moment où on s'intéresse.
Rebatet, je l'ai lu très tôt. Les Décombres, j'ai trouvé çà hideux et
fascinant. Ma mère m'avait raconté beaucoup de choses
sur la guerre et l'Occupation. Elle avait failli y
passer. Elle a été dénoncée par un passeur comme
juive... Si on veut comprendre cette période, il faut
tout lire, tout comprendre. Et il y a quand même des
témoins.
Tout est publiable, à condition de le présenter comme
il faut. On va sans doute - c'est tombé dans le domaine
public - rééditer Mein
kampf. Je suis pour. J'ai toujours milité pour la
réédition des pamphlets de Céline. Parce que quand on se
démerde, quand on est malin (ou qu'on a de l'argent) on
achète les éditions originales ou les éditions pirates.
"
(Surlering.com,29 mars 2010).
* Pierre-André TAGUIEFF (philosophe,
politologue) : " A travers le cas Céline, on peut
observer comment l'un des principaux mythes politiques
modernes, celui de la conspiration des Illuminati, des "
judéo-maçons " ou des " Sages de Sion ", est passé en
littérature. Le grand récit conspirationniste moderne,
mythe d'accusation qui prétend offrir une clef de
l'histoire (" Les Juifs mènent le monde "), illustre le
délire d'interprétation qui est ordinairement donné pour
l'une des caractéristiques de la paranoïa. "
(Philippe Roussin, Céline et la littérature, Gallimard, 2005).
(...) De nouvelles sources des pamphlets et
l'usage de plusieurs faux antisémites, ses contacts
internationaux avec des réseaux nazis ou pronazis, à
commencer par le Welt-Dienst, l'agence de propagande qui
soutenait et fournissait en matériaux divers les
professionnels français de l'antisémitisme, tels que
Coston, Darquier ou Petit, documentaliste de Céline pour
ses pamphlets. Ou ses liens avec le leader pronazi
canadien Adrien Arcand, et son coup de pouce au
négationniste naissant.
(Céline, la race, le Juif, Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff,
Fayard, 2017).
* Sylvain TESSON (écrivain voyageur, fils de
Philippe Tesson patron du Quotidien de Paris,
prix Goncourt de la nouvelle 2009, prix Médicis 2011,
prix Renaudot en 2019 pour La panthère des neiges)
: " Et voilà qu'aujourd'hui, avec une autosatisfaction
inouïe, des technos, persuadés que la Terre a attendu
leur venue au monde pour commencer sa rotation,
voudraient transformer la langue. Il faut se représenter
la confiance qu'ils ont en eux, ces " gestionnaires du
monde qui change ", pour s'en prendre à la langue
française, vieille dame punk.
Imaginons la scène : ils se lèvent le matin, se regardent dans la glace et
se disent : " Je vais réformer la langue, fleurie par
Marie de France, stabilisée par les Valois, soulevée par
Rabelais, solennisée par Racine, déliée par Marivaux,
polie par Montesquieu, enluminée par Hugo, illuminée par
Rimbaud, stratosphérisée par Breton, électrocutée par
Céline, solarisée par Camus, évangélisée par Mauriac -
je vais la réinventer totalement, moi M. Jourdain de la
vigilance lexicale. " Quel culot ! "
(Le Figaro, 3 décembre 2021).
* Pierre-Aimé TOUCHARD (administrateur de
théâtre, écrivain, homme de télévision, 1903-1987) : "
Ce Bardamu qui explique sa peur, qui ne s'en fait plus
un panache, qui est sans cesse en quête d'une beauté
plus grande, qui s'éduque lui-même, qui éduque le
malheureux Pistil, comme il est différent de celui que
nous connaissons
d'après
le Voyage. Sans doute, il a perdu de sa hideuse
grandeur. Sans doute, il n'est plus qu'un pauvre être,
mais nous sentons qu'on peut l'aimer, et quand la petite
Janine, au dernier acte, veut le forcer à accepter son
amour, et qu'il refuse, par peur d'aimer vraiment, lui
qui prétend n'aimer que par peur de mourir, sa misère
est si criante, si immense sa solitude, que l'on
découvre en soi un attachement insoupçonné, une pitié
soudain jaillissante qui voudrait pouvoir s'exprimer et
convaincre - et en même temps - et pour la première fois
aussi, une vraie colère, violente et rageuse contre cet
imbécile dont la lâcheté fait la misère.
Et dès lors on ne peut plus douter que le Bardamu du Voyage ne soit
qu'une attitude. Et l'on serait tenté d'en remercier
Céline. Mais lui-même, n'a-t-il pas voulu signifier
nettement qu'il se détachait de son héros, en le faisant
viser par Janine, en fin de pièce ?
Relisez les quelques lignes de préface qu'il a écrites pour l'Eglise
: " nous n'avons pas changé grand' chose en la donnant
hier à l'imprimeur... Tout de même... Cette petite
Janine qui se résignait alors, nous l'avons fait
revenir... avec un révolver... Trois lignes, tout à la
fin... Vous verrez... Elle va brutaliser notre
comédie... Pourquoi ? Est-ce là tout ce que nous avons
appris en dix ans ? Mais vous-même ? "
(Céline et Bardamu, Les critiques de notre temps et Céline, Garnier,
1976).
* Jean-Marie TURPIN
(petit fils de
Louis-Ferdinand Céline, écrivain, théologien,
philosophe) : " Lorsqu'il était en prison au Danemark,
ma mère m'a demandé de lui écrire,
j'avais alors une dizaine d'années. Nous avons eu une
correspondance suivie et très gentille pendant plusieurs
années. Dans mon adolescence, ma mère s'est débrouillée
pour que j'aie accès à tous ses écrits. J'ai tout lu.
J'étais avec un copain mais il est resté dehors. Je suis
rentré dans la maison sans sonner. Je suis tombé
directement sur Céline, surpris de me voir.
Il n'avait pas beaucoup de temps
pour me recevoir, il était malade, submergé par la
presse qui s'intéressait de nouveau à lui. Il n'avait
pas envie d'accorder d'interview, il souhaitait terminer
son œuvre. J'ai débarqué
là-dedans ! Il m'a interrogé sur mes études, a été
surpris que j'aie lu son œuvre
et a vérifié mes connaissances en me posant des
questions. L'entretien a été drôle et caustique. Céline
avait un humour fracassant, une ironie féroce. C'était
un grand-père comme je le rêvais. Malheureusement
l'entretien fut bref et il me demanda de revenir le voir
avec le baccalauréat en poche. Il devait mourir quelques
mois après. "
(In Bertrand Arbogast, J. M. Turpin termine son prochain livre à
Armenonville, La République du Centre, Année Céline
1995, Du Lérot).
* Llosa Mario VARGAS (écrivain
péruvien naturalisé espagnol, auteur de romans et
d'essais politiques, prix Nobel de littérature 2010) : "
Quand je suis arrivé à Paris, tous les grands talents
étaient encore vivants : Camus, Sartre, Malraux. Et ils
publiaient. C'étaient les débuts du théâtre de
l'absurde. Le Nouveau Roman. Au cinéma, il y avait la
Nouvelle Vague. On commençait aussi à reconnaître le
génie maudit de Céline.
Je l'ai lu avec beaucoup de réticences pour des
raisons politiques évidentes : sa relation avec le
nazisme, l'antisémitisme. Puis, j'ai lu Voyage au
bout de la nuit et Mort à crédit et j'ai
compris qu'il était un génie.
Ce qu'il a fait avec la langue de la rue, de la banlieue, c'est
incroyable. Son monde est évidemment sordide, mais
Céline était un grand créateur. "
(Le Figaro Littéraire, entretien avec Bruno Corty, 17 mars 2016).
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