" Corniauds vous avez tout gaffé ! vous
avez pas traqué le vrai monstre ! le Céline, le bouzeux
! il s'en fout ! Même que vous seriez plus hanteurs
tracassiers, assoiffés, mille fois, que toute l'espèce
d'Afrique, d'Asie, chacals, Amérique réunis, condors et
dragons, il s'en gode !
C'est le docteur Destouches qu'est sensible ! Vous y auriez effleuré le
Diplôme, c'était du finish et la mort ! "
(Féerie pour une autre fois 1, p.22).
BABITT
Le 19 juin dans L'Humanité, G. Ghérard fait
l'éloge de Babitt de Sinclair Lewis et de sa
préface par Paul Morand : " Babitt est pour nous
une introduction excellente à la connaissance technique
de cette bourgeoisie américaine pour qui rien n'existe
en dehors du dollar, qui pour dépouiller plus facilement
s'affuble des masques commodes de la religion et de
l'austérité... " Dans Bagatelles, Céline écrira :
" Nos snobs avalent tout aussi bien les dos Passos que
les Sinclair Lewis, que les Mauriacs, les Lawrences, les
Colettes... même mouture, même graissage, même
insignifiant jacassage, abrutissant ronron, péricycles
de gros et petits " renfermés "...
[...]
C'est ainsi, par l'effet du " nombre " que les très
insignifiants Lawrence, Huxley, Cohen, Wells, Cahen,
Lewis, Shaw, Faulkner, Passos, etc... dont on nous
bassine interminablement à longueur de Revues
enthousiastes atteignent avec un peu de snobisme et de
gonflage publicitaire des renommées fantastiques ! des "
Victor Hugo Prix uniques " !... tout à fait marrantes
quand on connaît les oiseaux. "
(Eric Mazet, Céline avant Céline 1930, Spécial Céline n° 15, hiver
2014, p. 22).
***********************
NON, NOUS NE
REHABILITONS PAS CELINE !
Tribune
de David Alliot et Eric Mazet, publié le
12/12/2018 dans L'Express.
Les auteurs de Avez-vous lu
Céline ? répondent à notre collaborateur
Alexis Lacroix, qui critiquait récemment leur
ouvrage.
Antisémite forcené, adepte du racisme hitlérien, Céline continue de
passionner les chercheurs. Il y a près de deux
ans, Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour,
dans un ouvrage dense et informé, affirmaient,
entre autres découvertes, qu'il avait été un
agent allemand sous l'Occupation
(1).
Tenants d'une thèse plus classique, David Alliot
et Eric Mazet mettent en cause leur démarche
dans un pamphlet
(2). Pris à
partie par Alexis Lacroix, qui a défendu contre
eux le travail de Taguieff et Duraffour, Allot
et Mazet ont souhaité répondre à leur tour.
Dans un
article, intitulé " Bagatelles pour un mensonge
", publié sur le site Internet de L'Express
en date du 5 décembre 2018, consacré à la
publication de notre ouvrage Avez-vous lu
Céline ?, et signé d'Alexis Lacroix, de
nombreuses erreurs et approximations ont été
constatées, sur lesquelles nous souhaitons
revenir.
Contrairement à ce qui est affirmé, il n'a jamais été question par les
auteurs de ce livre de vouloir " réhabiliter
Céline " d'une quelconque façon. Notre ouvrage
est une réponse argumentée au livre co-écrit par
M. Taguieff et Mme Duraffour, intitulé
Céline, la race, le Juif, publié par les
éditions Fayard en 2017. Notre livre s'inscrit
dans cette vieille tradition française de la "
dispute " intellectuelle, en réfutant les
arguments de la partie adverse. Le lecteur
pourra constater que nous revenons sur les
principales allégations de nos contradicteurs en
déconstruisant leurs arguments par l'exemple.
A aucun moment, nous ne cherchons à effectuer une quelconque "
réhabilitation " de l'écrivain (qu'aucun
célinien digne de ce nom ne cherche à faire par
ailleurs). Tous nos travaux passés et présents
ne sont motivés que par une seule volonté, une
meilleure compréhension de l'écrivain et de son
œuvre.
L'article
d'Alexis Lacroix présente le livre de M.
Taguieff et de Mme Duraffour comme " exhaustif
et rigoureux ", ce que nous contestons. Selon
ces derniers, Céline aurait été, entre autres,
un agent de l'Allemagne et un dénonciateur
pendant l'Occupation. Des accusations d'une
extrême
gravité.
Or, dans leur ouvrage, M. Taguieff et Mme
Duraffour n'apportent aucune preuve à leurs
allégations, se contentant d'une chronologie
biaisée, de raccourcis hasardeux, d'hypothèses
bancales, d'insinuations douteuses. Ces
pratiques intellectuelles pour le moins étranges
(à leur décharge, M. Taguieff et Mme Duraffour
ne sont pas historiens) ont été dénoncées, entre
autres, par M. Michel Crépu, dans la
prestigieuse Revue des deux mondes, et
par M. Jacques Henric, dans la revue
internationale Artpress, qui ne passent
pas pour des publications d'extrême droite et
encore moins révisionnistes.
En 2017, dans son article consacré au livre de M. Taguieff et de Mme
Duraffour, M. Jérôme Dupuis, grand reporter à
L'Express, avait lui-même émis des réserves
sur le rôle d'agent allemand de l'écrivain.
Reste la
grande question qui taraude partisans et
détracteurs de l'écrivain. Si Louis-Ferdinand
Céline avait bien été un agent de l'Allemagne,
et s'il avait réellement dénoncé les personnes
évoquées dans l'essai de nos adversaires, nul
doute que l'on en aurait trouvé trace dans la
longue procédure d'enquête (1945-1950) le
concernant, ainsi qu'au moment de son procès
(1950) alors que tous les protagonistes avaient
survécu à l'Occupation. Or, aucune de ces
accusations n'y figurent. Comment expliquer ce
mystère ?
Mr. Taguieff et Mme Duraffour se gardent bien de nous donner une réponse,
sauf à admettre que leurs hypothèses ne reposent
sur rien de concret. Idem, pour la théorie d'un
Céline " agent de l'Allemagne ", qui repose sur
des bases historiques et factuelles extrêmement
hasardeuses, mais qui relèvent plutôt de
l'imagination des deux essayistes.
Dans cet
article, nous sommes accusés d'avoir brocardé
les auteurs de Céline, la race, le Juif.
Nous rappelons que notre livre est un pamphlet
(128 pages, contre les 1200 pages du roboratif
pavé de M. Taguieff et de Mme Duraffour) et
qu'il obéit aux lois du genre. Si notre verve
est volontiers sarcastique, notre texte n'en
demeure pas moins respectueux des personnes.
Nous rappelons par la même occasion que, dans
leur monumental pavé, nous avons été aimablement
qualifiés de " célinolâtres " et de "
blanchisseurs ", A malin, malin et demi.
L'antisémitisme
de Céline est un sujet grave, mais important,
qui intrigue autant qu'il fascine depuis
plusieurs décennies. Ce sujet mérite un travail
probe et d'une qualité scientifique
irréprochable, qui évite les jugements à
l'emporte-pièce. Contrairement à ce qui est
insinué, la recherche célinienne est l'une des
plus dynamiques du monde littéraire avec un
nombre considérable de publications, mais aussi
de colloques internationaux. Si M. Taguieff et
Mme Duraffour s'étaient donné la peine d'y
participer et d'y contribuer, ils auraient pu
constater la grande ouverture d'esprit des
céliniens sur le sujet, qui, malgré leurs
différences et leur grande diversité humaine, ne
sont ni antisémites et encore moins
révisionnistes, mais soucieux de comprendre et
d'expliquer comment le plus grand génie
littéraire de son temps a pu verser dans ces
hasardeux chemins de traverse idéologiques.
Nous
concernant, nous rappellerons juste que nous
avons publié de très nombreux articles, préfaces
et ouvrages auprès de nombreux éditeurs
(Editions Ramsay, Editions du Rocher, Robert
Laffont coll. " Bouquins ", Taillandier etc.),
de grandes maisons d'édition parisiennes et
respectables, qui ne semblent pas habituées à
verser dans les théories du complot, et que nous
n'avons à notre actif aucune poursuite, ni
condamnation pour incitation à la haine raciale,
ou autre.
Enfin, même s'il nous répugne à évoquer nos parcours familiaux, nous
souhaitons juste rappeler que M. Eric Mazet est
le fils d'un magistrat présent au procès de
Nuremberg et neveu d'un Juste parmi les Nations
; et que M. David Alliot est petit-fils d'un
résistant-déporté à Mauthausen.
Est-il besoin de préciser que les thuriféraires de L'Etat Français, de la
Collaboration et de n'importe quelle abomination
de l'époque, n'ont rien à attendre de nous et
que si nous sommes en désaccord avec M. Taguieff
et Mme Duraffour, c'est uniquement sur des
faits, des approximations, des erreurs, dont
leur livre est abondamment émaillé. Nous
laissons les lecteurs juges.
(1) Céline, la race, le Juif, par
Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour, Ed.
Fayard, 2017.
(2) Avez-vous lu Céline ?, par David Alliot et Eric Mazet, Ed. P.-G. de
Roux, octobre 2018.
(Transmis par Actualité
célinienne, Emeric Cian-Grangé).
********************
1er août 2018
La veuve de Céline, 106 ans, vend sa maison en
viager.
Lucette Destouches pourra payer ses dettes et finir ses jours dans
le pavillon Second Empire décati où elle habite
depuis 67 ans.
Lucette
Destouches pourra mourir chez elle, à
Meudon-la-Forêt (Hauts-de-Seine), dans la maison
qu'elle a habitée depuis 1951 avec Louis-Ferdinand
Céline, puis seule depuis sa mort en 1961.
La veuve de l'écrivain, née Lucie Almansor, qui a fêté son 106e
anniversaire le 20 juillet, était criblée de
dettes : elle a dû vendre son bien en viager.
Aucune institution (municipalité, département,
Drac...) n'ayant souhaiter préempter la demeure,
c'est un voisin, déjà propriétaire d'un des
trois pavillons du lotissement meudonnais de la
route des Gardes, qui l'a achetée. Son souci
était de " préserver sa tranquillité ", comme
l'a expliqué Me François Gibault, l'exécuteur
testamentaire de l'auteur de Voyage au bout
de la nuit.
Le pavillon
Second Empire, passablement décati, ne devrait
donc pas se transformer un jour en musée Céline.
D'autant qu'il ne reste rien à montrer, ni
objets ni souvenirs de l'écrivain, après les
ravages causés par deux incendies. Une manière
aussi d'éviter que le lieu ne devienne un but de
pèlerinage pour des admirateurs du pamphlétaire
antisémite de Bagatelles pour un massacre
ou les Beaux Draps.
Le
bouquet (partie versée au comptant) et la rente
viagère dont bénéficie désormais madame
Destouches vont lui permettre de payer les trois
personnes qui se relaient auprès d'elle. A cause
d'une dette fiscale et d'impayés à l'URSSAF, la
centenaire ne percevait plus sa pension de
veuve.
Au
cimetière de Meudon, on peut voir la tombe de
Louis-Ferdinand Céline, docteur L. F.
Destouches. En dessous est gravé celui de "
Lucie Destouches née Almansor : 1912-19.. ". Il
faudra penser à corriger les deux premiers
chiffres...
(Le Point.fr, 01/08/2018, par Fabien Roland-Lévy).
*********************
CONDAMNÉS, FUSILLÉS,
BANNIS...
Céline aime exagérer les haines dont il fut l'objet
pendant et après la Libération. Nous avons vu
précédemment qu'elles furent réelles, mais son sort peut
passer pour enviable si on le compare à celui des
écrivains qu'il vient de citer : on fusilla Jean Hérold-Paquis,
Jean Luchaire, Robert Brasillach, Georges Suarez ; on
expédia à Fresnes ou à Clairvaux Jacques Benoist-Méchin,
Henri Béraud, Robert Le Vigan, Lucien Rebatet, Paul
Marion, ou Charles Maurras - " c'est la revanche de
Dreyfus ", lança-t-il à ses juges en apprenant qu'il
était condamné à perpétuité ; on abattit Philippe
Henriot ou Robert Denoël - l'éditeur et ami de Céline,
tandis que s'exilaient Raymond Abellio, Abel Bonnard,
Alphonse de Chateaubriant, Marcel Déat, Alain Laubreaux,
Charles Lesca, Maurice-Yvan Sicard, que se suicidait
Pierre Drieu La Rochelle, que tombait Jean Fontenoy dans
les rangs de la division Charlemagne et que s'évaporait
Saint-Loup, romancier et homme d'action qui publia
ensuite l'inoubliable Rencontre avec la bête.
Aujourd'hui,
notre propos n'est pas de porter un jugement moral sur
eux ni sur les résistants tels qu'Honoré d'Estienne d'Orves
ou Henri Frenay, mais de comprendre que le courage ne
revêt pas qu'un uniforme et que Céline ne prit pas
position nettement dans le débat sur l'opportunité de
collaborer ou de résister.
A Sigmaringen, les témoins disent de lui qu'il fut d'un dévouement
exemplaire, mais que dès que l'on conversait une heure
en sa compagnie, on ressortait de son cabinet
littéralement désespéré sur l'avenir du monde.
(Céline et la politique (XXIII), La race, entre hasard et
prédestination, Numa, BC n° 207, mars 2000, p. 20).
*********************
... SUR BAGATELLES
Lorsque j'attaquais les Juifs, lorsque j'écrivais
Bagatelles pour un massacre, je ne voulais pas dire
ou recommander qu'on massacre les Juifs. Eh foutre
tout le contraire. Je
demandais aux juifs à ce qu'ils ne nous lancent pas par
hystérie dans un autre massacre plus désastreux que
celui de 14-18 !
C'est bien différent.
On joue avec grande canaillerie sur le sens de mes pamphlets. On
s'acharne à me vouloir considérer comme un massacreur de
juifs. Je suis un préservateur patriote acharné de
français et d'aryens - et en même temps
d'ailleurs de Juifs ! Je n'ai pas voulu Auschwitz,
Buchenwald. Foutre ! Baste !
Je savais bien que déclarant la guerre on irait automatiquement à
ces effroyables " Petioteries " ! Demain si on déclare
encore la guerre, on verra cent fois mieux, ou pire !
C'est l'évidence ! Dire d'autre part qu'il n'y a pas de
juifs bellicistes, provocateurs, hystériques, c'est nier
l'évidence.
J'ai péché en croyant au pacifisme des hitlériens - mais là se borne
mon crime. Un coup d'œil
sur la Palestine nous montre que les Juifs sont tout
aussi belliqueux que les pires aryens, ou les pires
arabes ! Foutre !
J'ai cru que l'on pouvait s'entendre avec Hitler, l'envoyer sur le Baïkal
faire la guerre je l'ai écrit. Mais je n'écris pas
d'Evangile nom de Dieu ! Je n'empêche personne de me
répondre ! de m'affirmer que je déconne ! la belle
histoire ! (...)
Il faudrait que les Français finalement se mettent dans leur tête
d'abrutis cochons vendus à toutes les charcuteries du
globe que je suis un des très rares
imbéciles à avoir tout perdu, tout risqué, tout
souffert, pour qu'on épargne, préserve, perpétue leur
sale dégénérée espèce.
Je ne le fais pas pour eux, je le fais pour Couperin, Gervaise, Janequin.
(Lettre à Jean Paulhan, 15 avril 1948).
********************
LETTRE AU DIRECTEUR DE RIVAROL.
Monsieur
le Directeur,
Vous
avez reproduit dans vos deux derniers numéros un texte
de Mme Claude Lorne consacré à Louis-Ferdinand Céline,
et un long commentaire signé de M. Moudenc.
Je ne formulerai aucune opinion sur ces textes, si ce n'est ceci qui me
paraît essentiel : la seule chose qu'il importe de se
demander à propos des prises de position historiques
(cela me paraît plus juste que " politiques ") de
l'auteur de Bagatelles pour un massacre tient en
quelques mots : a-t-il dit la vérité ou a-t-il menti, ou
s'est-il trompé ?
Son analyse de la situation était-elle vraie, a-t-il préconisé des remèdes
propres à éviter le pire en un temps où personne n'avait
le courage de le faire (voir les réactions de tout bord
à L'Ecole des cadavres) ?
Les
réponses peuvent être négatives mais dans ce cas, il
faut le dire et accompagner cette affirmation d'un "
état des lieux " en 1986. Tout le reste n'est que
fariboles, états d'âme et n'a pour seul résultat que de
masquer ce qui compte.
Le
critique juif Rabi a écrit (dans l'Herne) cette phrase
essentielle : " Céline a crié au feu dans un théâtre
bondé ". Cela est vrai. Nous savons aujourd'hui si
le théâtre brûlait effectivement ou si Céline s'est
amusé à affoler le public pour rien, ce qui serait en
effet criminel.
"
Pour savoir qui, de toi ou de moi a raison, il faudra
peut-être le sacrifice de trois générations, plusieurs
guerres, de terribles révolutions " (Albert Camus,
Les justes, acte II).
Nous sommes déjà bien avancés et il semble que le mouvement s'accélère. En
tout cas, nous en sommes à un point où, à Rivarol
comme ailleurs, on devrait avoir la décence de s'en
tenir à l'essentiel.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de
ma meilleure considération.
Paul Chambrillon
(BC n° 44, avril 1986, p. 7).
**********************
LETTRE INEDITE A HENRI FILIPACCHI.
Le 7 mars 58
Cher Monsieur,
Mes ennemis et jaloux étant parfaitement parvenus à
faire chasser mes livres de toutes les librairies, plus
qu'aucun autre écrivain, je crois, j'ai à me féliciter
d'être (enfin) lu dans vos " livres de poche ". Enfin !
Avec mes sentiments très distingués.
LF Céline
[cachet médical apposé
dans le coin inférieur
gauche]
A l'occasion des Trente
ans du Livre de Poche (1953-1983), les Editions
Hachette ont réalisé une exposition itinérante qui
comporte, notamment, un hommage à Henri
Filipacchi
(1900-1961), secrétaire général des Messageries
Hachette, qui fut le créateur de cette collection.
Parmi des lettres à lui adressées par Jean Cocteau, Marcel Aymé,
Jean Giono et Daniel Rops, on peut y découvrir le
fac-similé d'une lettre de Céline qui lui fut envoyée
lors de la parution de Mort à crédit dans le
Livre de Poche. Deux ans auparavant, parut Voyage
au bout de la nuit dans cette collection. Cette
édition fut déterminante pour la relance de ce titre,
notamment auprès de la nouvelle génération.
Il
est piquant de comparer ce document avec la
correspondance adressée à Pierre Monnier (Ferdinand
furieux, l'Age d'Homme, 1979). Ainsi, cette lettre
du 20 août 1949 relative à la vente ambulante de livres
:
" Le dernier de ces novateurs est Fhilippaqui (sic) smyrnote canaille et
actuellement directeur de la vente chez Hachette. Il
parcourait la France avec le bibliobus autobus à livres
de village en village. Hachette en fut très emmerdé, si
bien qu'il lui offrit un poste chez lui, de royaux
appointements ! Ce Philippaqui joue les caïds. Il
possédait et possède sans doute encore la maison Denoël
qu'il tenait par les messageries, traites, avances, etc.
comme il tient d'ailleurs la N.R.F. (en perpétuel
déficit) plume au chapeau du trust Hachette (goncourts
automatiques, etc) ". On retrouve des commentaires aussi
acides dans deux autres lettres : une en mai de la même
année ; l'autre en juillet 1951.
Le ressentiment de Céline envers les magouilles
éditoriales, en général, et envers la maison Hachette,
en particulier, remontent en fait, à 1932, l'année de
son échec au prix Goncourt. " Quelle pipe que ce
Goncourt ! Hachette nous a possédés ", écrivait-il en
décembre 1932 à son amie Simone Saintu. A la même
époque, il confiait à Henri Mahé : " Quelle tuile !
[...] On pouvait l'avoir par surprise. Mais en laissant
à Hachette le temps de se retourner c'était tout cuit.
Ce le fut ".
L'explication serait très simple : les Messageries Hachette n'étant pas le
diffuseur de Denoël, l'éditeur du Voyage au bout de
la nuit, il était exclu que le Goncourt aille à
Céline. Celui-ci, qui avait la rancune tenace, n'oublia
jamais...
M.L.
(BC n° 12, août 1983, p. 8).
**************************
A ANDRE ROUSSEAUX
Le 8-7-60
Cher Monsieur
Vous
allez me trouver encore bien pleurnichard et chichiteux
mais je ne veux pas vous laisser penser que j'étais
indifférent à Buchenwald etc... N'en serait-ce tenu qu'à
moi personne n'y serait allé, bigre ! N'ai-je point
prévenu noir sur blanc qu'une nouvelle guerre serait une
catastrophe, que l'armée française fouterait le camp, et
qu'il s'ensuivrait mille horreurs, que ceux que vous
savez nous poussaient vers le gouffre, et que nous n'en
sortirions pas...
Vous savez tout ceci bien sûr ! Déjà splendide que votre journal vous
laisse reconnaître de très hauts mérites à mes livres !
Je suis comblé !... où vais-je nicher mes atrabiles !
touriste moi et mes complices, à Hanovre, à Hambourg, au
moment des feux d'artifice, que n'ai-je compris toute la
faveur qui nous était faite ? n'importe qui à ma place,
vous, tenez, frappé par la Grâce aurait compris le
[grand add] message, aurait crié : vive la
pénitence ! vive la mort ! serait sauté sur le premier
bûcher ! et je vous assure y avait le choix !
Votre Bien reconnaissant
LF Céline
(Lettres, Pléiade, Gallimard, octobre 2009, p. 1569, 60-18).
*********************
QU'ETAIT-IL ALLE FAIRE AU CAMEROUN REELLEMENT ?
A SES PARENTS
Bikobimbo le 14 juillet 1916
Chers Parents,
Lorsqu'il y a deux ans à la même époque je défilais au
milieu de tant et tant qui ne sont plus, dans ce pauvre
12e qui n'existe même plus qu'à l'état de souvenir, je
me doutais fort peu de tant d'évènements et surtout que
je me trouverais à Bikobimbo 48 mois plus tard.
Je n'ai encore rien reçu quant à l'argent demandé, mais aussitôt que je
recevrai le mandat je ne le toucherai pas et vous le
renverrai, j'aviserai en même temps le receveur à Duala
et de cette façon vous pourrez toucher par retour.
J'ai presque regagné l'argent de mon voyage de retour, je reste encore un
peu pour avoir de l'avance. Je me donne beaucoup de mal,
mais avec profit. Voici ce que je fais.
Par un petit transport qui part de Duala et arrive à Campo 3 jours après,
je reçois du Congo, sous forme de têtes de tabac, riz,
sel, pagnes, sardines, saumon, pour une valeur d'environ
35 à 40 000 F. Je remonte le Campo qui est le fleuve
frontière du Cameroun-Guinée Portugaise et ceci jusqu'à
Dipikar, la camelote, dans une vingtaine de petits
canots pendant 3 jours - arrivé à Dipikar je reste
environ 8 jours. Je fais la récolte de cacao avec 1 200
nègres, dans une plantation énorme laissée par les
Allemands, puis je mets mon cacao en sac et je l'expédie
vers la mer, et de là il rentre à Duala par le petit
vapeur. Ensuite je pars avec mes porteurs, mes
provisions, mon lit pliant, mon fusil, et je pars tantôt
en Guinée Espagnole, tantôt dans le Haut Congo, tantôt
vers le Tchad et les montagnes. Je vends toute ma
cargaison à de fort beaux prix et j'achète au retour de
l'ivoire, etc... à des prix fort modiques.
Néanmoins il ne faudrait pas croire que c'est tout rose,
car je reste quelquefois 15 jours 3 semaines sans voir
un Blanc, je dors dans les cabanes indigènes comme tu as
pu voir aux expositions, et mon fusil dans les bras pour
toute éventualité. Comme je n'ai pas de carte, je me
guide un peu au hasard, mais finis toujours par me
retrouver. Cette façon de commercer est ici la seule
pour gagner de l'argent, car il n'y a presque pas de
concurrence. Je crois que pour toute l'Afrique
équatoriale nous sommes une vingtaine, inutile de te
dire que nous ne nous rencontrons jamais.
Peu peuvent entreprendre ce service car très peu jouissent d'une santé et
d'une énergie suffisante, il faut en effet à tout prix
éviter de montrer aux noirs que l'on a la fièvre,
et ça c'est le plus dur. On la sent venir et je pense
souvent aux chapeaux qui chez les chapeliers servent à
prendre la mesure. Ils serrent, serrent, c'est à peu
près la même sensation.
Il y a deux façons de se faire passer un accès de
fièvre, ou se rouler dans les couvertures et se livrer à
une transpiration abondante, ce qui vous laisse affaibli
et rompu, tout en buvant beaucoup de thé pour éviter
l'hématurie ou la bilieuse, ou l'hémoglobuminie, ou bien
alors, ce que peu peuvent entreprendre, c'est de forcer
l'accès en marchant malgré tout pour passer outre.
Ça c'est dur, car pendant
tout l'accès qui lutte parfois 1 heure, on ne peut
prendre de quinine sous peine d'accident grave, c'est la
seule façon de faire en voyage, car si les porteurs vous
voient malade, 50 fois sur 100 ils s'enfuient avec leur
charge.
C'est à ce prix que l'on gagne de l'argent en Afrique, tout réside dans
le petit coup de pouce que l'on donne au moment
critique, c'est connu en Afrique Equatoriale sous la
rubrique " couper la fièvre à la Marchand ". Pour avoir
le ressort nécessaire, il faut ne boire que du lait qui
ne nous parvient ici qu'en boîte, prendre journellement
de la quinine, pas de femme, pas de fumée, qualités
rares aux colonies.
Il ne faudrait pourtant pas croire que l'on peut faire
ce petit métier impunément, et au bout de quelques mois,
il faut songer à rentrer sous peine de succomber à son
tour. Soyez toutefois tranquilles, je suis parfait de
santé, je vais avoir peut-être l'occasion de vous
envoyer ma photo, si je rencontre un inspecteur de
l'agriculture qui doit être en tournée de mon côté.
Je fais un peu tous les métiers je chasse l'éléphant et vends les
défenses à la maison. Je fais également une comptabilité
qui, comme vous vous en doutez, n'est pas cochonne.
J'ai vu beaucoup de choses extraordinaires que je vous raconterai plus
tard, je vais vous envoyer des graines par la poste mais
il faut les mettre en pot chez vous et dans une terre
très riche sous peine d'échec.
Vous ne sauriez croire quelle odeur infecte dégage cet humus millénaire
des forêts sous lesquelles on voyage parfois 3 ou 4
jours sans voir le ciel.
Bon courage et à bientôt
Affectueusement
Louis
(Lettres, 16-23, La Pléiade, 19 oct. 2009, p. 166).
********************
RENEGAT !... TRAITE DE RENEGAT !...
Je revenais, ce jour-là, tout pensif du " Grand-Bé ". Je
cheminais lentement à l'ombre du rempart, lorsqu'une
voix... mon nom clamé... me fit tressaillir... une dame
me hélait... de très loin... les jambes à son cou...
elle fonce... elle arrive... un journal flottant au
poing.
" Ah ! dites donc !... venez voir un peu !... Regardez donc mon journal
!... comme ils vous traitent !... Ah ! vous n'avez pas
encore lu ?... "
Elle me soulignait le passage du doigt... " Ah ! comment ils vous
arrangent ! " Elle en était toute jubilante... heureuse
au possible...
" C'est bien vous Céline ?...
- Mais oui... mais oui... C'est mon nom de frime... mon nom de bataille
!... C'est le journal de qui ?... le journal de quoi
?... que vous avez ?...
- Lisez ! ce qu'ils écrivent d'abord !... mais c'est Le Journal de
Paris ! le journal Journal... " Renégat !... "
qu'ils vous intitulent... Ah ! c'est bien écrit noir sur
blanc... Renégat !... comme un André Gide, qu'ils ont
ajouté... comme M. Fontenoy et tant d'autres... "
Cinglé ! mon sang ne fait qu'un tour !... Je bondis ! Je sursaute !... on
m'a traité de mille choses... mais pas encore de renégat
!...
Renégat
moi ?... Renégat qui ?... Renégat quoi ?... Renégat rien
!... Mais j'ai jamais renié personne... L'outrage est
énorme !... Quelle est cette face de fumier qui se
permet
de m'agonir à propos du communisme ?... Un nommé Helsey
qu'il s'appelle !... Mais je le connais pas !... d'où
qu'il a pris des telles insultes ?... D'où qu'il sort,
ce fielleux tordu ? C'est-il culotté cette engeance ?...
C'était bien écrit en pleine page et gras caractères...
y avait pas du tout à se tromper... elle avait raison la
dame...
" L'opinion des renégats n'a, bien sûr, aucune importance, les Gides, les
Célines, les Fontenoys... etc... Ils brûlent ce qu'ils
ont adoré... " Il est soufflé, merde, ce cave !... De
quel droit il se permet, ce veau, de salir de la sorte
?... Mais j'ai jamais renié rien du tout ! Mais j'ai
jamais adoré rien !... Où qu'il a vu cela écrit ?...
Jamais j'ai monté sur l'estrade pour gueuler... à tous
les échos, urbi et orbi : " Moi j'en suis !...
moi j'en croques !... j'en avale tout cru !... que je
m'en ferais mourir !... " Non ! Non ! Non !
J'ai jamais micronisé, macronisé dans les meetings !...
Je vous adore mon Staline ! mon Litvinov adoré ! mon
Comitern !... Je vous dévore éperdument ! Moi j'ai
jamais voté de ma vie !... Ma carte elle doit y être
encore à la Mairie du " deuxième "... J'ai toujours su
et compris que les cons sont la majorité, que c'est donc
bien forcé qu'ils gagnent !... Pourquoi je me
dérangerais dès lors ? Tout est entendu d'avance...
Jamais j'ai signé de manifeste... pour les martyrs de
ceci... les torturés de par là... Vous pouvez être bien
tranquilles... c'est toujours d'un Juif qu'il s'agit...
d'un comité youtre ou maçon... Si c'était moi, le "
torturé " pauvre simple con d'indigène français...
personne pleurerait sur mon sort... Il circulerait pas
de manifeste pour sauver mes os... d'un bout à l'autre
de la planète... Tout le monde, au contraire, serait
content... mes frères de race, les tout premiers... et
puis les Juifs tous en chœur...
[...]
Mais puisqu'on reparle de ce voyage, puisque le
Journal me provoque, il faut bien que je m'explique
un peu... que je fournisse quelques détails. Je suis pas
allé moi en Russie aux frais de la princesse !...
C'est-à-dire ministre, envoyé, pèlerin, cabot, critique
d'art, j'ai tout payé de mes clous... de mon petit
pognon bien gagné, intégralement : hôtel, taxis, voyage,
interprète, popote, boustif... Tout !... J'ai dépensé
une fortune en roubles... pour tout voir à mon aise...
J'ai pas hésité devant la dépense... Et puis ce sont les
Soviets qui me doivent encore du pognon... Qu'on se le
dise !... Si cela intéresse des gens. Je leur dois pas
un fifrelin !... pas une grâce ! pas un café-crème !...
J'ai douillé tout, intégralement, tout beaucoup plus
cher que n'importe quel intourist... J'ai rien
accepté... J'ai encore la mentalité d'un ouvrier
d'avant-guerre...
{...] De midi jusqu'à minuit, partout je fus accompagné par une interprète
(de la police). Je l'ai payée au plein tarif... Elle
était d'ailleurs bien gentille, elle s'appelait
Nathalie, une très jolie blonde par ma foi, ardente,
toute vibrante de Communisme, prosélytique à vous buter,
dans les cas d'urgence... Tout à fait sérieuse
d'ailleurs... allez pas penser des choses !... et
surveillée ! nom de Dieu !...
Je créchais à l'Hôtel de l'Europe, deuxième ordre,
cafards, scolopendres à tous les étages... Je dis pas ça
pour en faire un drame... bien sûr j'ai vu pire... mais
tout de même c'était pas " nickel "... et ça coûtait
rien que la chambre, en équivalence : deux cent
cinquante francs par jour ! Je suis parti aux Soviets,
mandaté par aucun journal, aucune firme, aucun parti,
aucun éditeur, aucune police, à mes clous intégralement,
juste pour la curiosité... Qu'on se le répète !... franc
comme l'or !... "
(Bagatelles pour un massacre, Ed. 8, Ecrits polémiques, août 2017,
p.54).
*******************
MARC QUI SE DEDOUANE... EN VRAI
ACROBATE.
-
Ah ! te voilà Marc ! Qu'est-ce que t'as fait ?
Je veux parler de la nuit des horreurs... Il voit bien Marc malgré ses
châsses, ses paupières lourdes rabaissées que ça lui
fait des yeux en fente... et toute sa tête va
avec... une tête de tortue en somme... en plis, en peau
épaisse pâle... Faut pas croire qu'il est laid pour ça !
Il fait impassible c'est tout, il fait distant, il fait
duc... Et toujours [mot ill.] recherche de mise, de
chaussettes, de tout. Moi j'ai honte à côté de lui, qui
suis toujours si négligent... Je l'appellerais pas tête
de tortue, c'est sa maladie qu'est la cause, il souffre,
il a du courage...
Y
en a une tortue chez Jules, elle a une croix rouge sur
l'écaille, elle rôde autour de l'acacia... elle se
balade toute la journée, elle traverse l'avenue toute
seule, elle craint rien... elle part et voilà, elle
revient quand ça lui fait plaisir... Marc il est un peu
la même chose. Il part de chez lui quatre cinq jours...
il cherche des sujets qu'il prétend... c'est pour des
scénarios, son genre... Ah ! il a du talent, un éclat,
un de ces brios d'invention qu'on trouve pas deux trois
fois par siècle... et il vous trousse le conte aussi, il
vous enlève ça en pointe, il vous ébahit comme il
rebondit, rejaillit... on le dirait jamais capable avec
sa tête morne malgré tout, ses paupières, sa voix là
sourde haletante. Ah ! c'est de la féerie intérieure...
il mijote, voilà... on le dirait jamais quand il
passe... il marche encore plus mal que moi... on titube
souvent côte à côte... on n'est pas très stables l'un ni
l'autre... Ah ! je l'admire, c'est bien sincère, je le
répète toujours et partout... Il sera [mot ill.] dans le
dictionnaire même dans trois siècles... Y aura
Maupassant, lui, Barbey... Villiers c'est plus sûr...
Y a qu'un petit côté qui me chiffonne... surtout depuis
Stalingrad... que les dés se retournent... il m'en a
foutu deux trois coups là qu'étaient vachards... des
vapes dans ses contes, des soi-disant burlesqueries, des
petites nouvelles mine de rien... où je me trouve
gentiment servi... " Mort aux Juifs ! " que je hurle par
hasard, comme ça pour faire rire le monde... (1)
Pas mieux pour me faire assassiner... le monde comprend
la plaisanterie... il est facétieux au possible...
Ça m'a fait de la peine tout
d'abord, et puis j'en ai vu tellement d'autres... je lui
en ai voulu à Marc... enfin deux
trois jours... le temps que j'ai dans mes rancunes...
Seulement au moment n'est-ce pas, dans Je suis
partout où il écrivait, ça faisait une coquine
d'impression, ça m'atigeait un peu plus, lui il se
dédouanait du même coup... la preuve qu'il s'en est bien
tiré... C'était la galipette à faire, tout tortue figé
qu'il me semblait. Y avait de l'acrobate dans cézigue...
Il avait plus de voltige que moi... de rétablissements
poil de cul... C'est le vrai talent voilà c'est tout...
Le peuple c'est un lion imbécile, faut galipetter par
-dessus au moment juste qu'il ouvre la gueule...
Ça m'a manqué moi, j'en
décède, ah ! je me rends bien compte, trop tard, classe
12, on s'en relève plus... Merde quand même écoutez mon
cri, qu'il vous affriole d'outre-tombe. " Vive les Juifs
et mort aux cocus ! " J'en suis Montjoye et chichebroque
! Cave plus que moi y en aura plus.
(1)
Céline apparaît dans deux des
nouvelles publiées par Marcel Aymé durant l'Occupation.
Une première fois dans " La Carte " (La Gerbe, 2
avril 1942), puis Le Passe-muraille,
Gallimard, 1943). Il se trouve dans une file d'attente
avec plusieurs de ses amis. " Céline était dans un jour
sombre. Il disait que c'était encore une manœuvre
des Juifs, mais je crois que sur ce point précis, sa
mauvaise humeur l'égarait. " Le recueil, publié à l'été
de 1943, contenait, outre " La Carte ", une nouvelle, "
En attendant ", dans laquelle, plusieurs individus
exposant tour à tour en détail les malheurs que l'époque
leur fait subir, l'un deux se contente d'une phrase : "
Moi, dit un Juif, je suis Juif ".
Peu après paraît dans Je suis partout, 13 août 1943, la nouvelle "
Avenue Junot ", qui évoque l'atmosphère et le ton des
réunions dans l'atelier de Gen Paul. Elle se situe avant
la guerre, et Céline y tient des propos violents, mais
qui concernent la manière dont le gouvernement et la
presse préparent sans l'avouer l'entrée en guerre. La
nouvelle sera reprise, avec des changements de rédaction
mineurs qui ne concernent pas les propos de Céline, dans
le recueil En arrière, Gallimard, 1950.
Céline avait réagi sur le moment à la publication d' " Avenue Junot ". "
Je n'ai pas lu la nouvelle de Marcel, écrit-il à Gen
Paul de Saint-Malo où il passe l'été. Il suffit tu sais
qu'on me mette en scène pour que ça me glace. Je me
fuis. Moi je ne m'amuse pas. Marcel est un petit
sournois. Il oriente toujours les vacheries sur les
potes et sur moi en particulier. Je suis toujours le
furieux, le bouffe-juif, le maniaque, le fou dangereux.
C'est un petit jeu auquel je suis bien habitué. Mais il
m'embête. Je préfère ne pas m'en occuper. La vie est
déjà assez toque telle quelle. Il se dédouane ainsi
Marcel. Lui le raisonnable, l'impartial, le pas
sectaire, l'humain humoriste. (Lettre inédite, coll.
part.).
A la Libération et au cours des poursuites judiciaires intentées contre
Céline, Marcel Aymé se montra fidèle et efficace. Il fut
l'un de ceux avec lesquels Céline renoua à son retour.
Les visites de Marcel Aymé à Meudon sont évoquées dans
Rigodon (Romans, t. II, p.727 et suiv.).
(Maudits soupirs pour une
autre fois, L'Imaginaire, Gallimard, avril 2007,
nouvelle édition présentée par Henri Godard, p.135).
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PAYER POUR " BAGATELLES "...
Vous
pensez si je sentais que ça venait à Siegmaringen !... "
le mal a des ailes " !... que mon compte était bon !...
d'une façon ou d'une autre !... " Bagatelles " je devais
en crever !... c'était aussi entendu à Londres qu'à Rome
ou Dakar... et dix fois plus encore chez nous, là !
Siegmaringen sur Danube ! le refuge de 1142 !... si
j'étais pas occis, alors ? c'est que je jouais vraiment
le double jeu ! que j'étais fifi ?... agent des juifs
?... de toute façon j'y coupais pas ! " avec les livres
qu'il a écrits " !... en plus
que
les 1142 escomptaient bien leur petite veine... que je
payerais pour tous !... que tout se passerait très
gentiment, grâce à moi ! ils rêvaient déjà tous
pantoufles, retour dans leurs meubles... grâce à moi
!... à moi les supplices gratinés ! " avec les livres
qu'il a écrits " ! pas eux ! pas eux !... eux immuns,
pépères, et gris-gris ! moi qu'avais à expier pour tous
!...
" avec les livres qu'il a écrits " !... moi qui
rassasierais Moloch ! bien l'avis de tous !... j'y
couperais pas ! du dernier cloche grabataire crevard
fienteux du Fidelis au très haut Laval du
Château, c'était immanquable... " ah ! vous n'aimez pas
les juifs ! vous Céline ! " la parole qui les rassurait
!... que c'était moi qu'on allait pendre ! sûr !...
certain !... mais pas eux ! pas eux !... ah, chers eux
!... " les livres que vous avez écrits ! " ce que j'ai
adouci d'agonies, d'agonies de trouilles avec "
Bagatelles " ! juste ce qu'il fallait, ce qu'on me
demandait !... le livre du bouc ! celui qu'on égorge,
dépèce ! mais pas eux !... pas eux du tout ! douillets
eux ! non ! jamais !... plus un seul anti-juif
d'ailleurs dans les 1142 !... plus un !... pas plus que
Morand, Montherlant, Maurois, Latzareff, Laval ou Brinon
!... le seul qui restait, ma gueule !... bouc
providentiel !...
je
sauvais tout le monde par Bagatelles ! les 1142
mandats !... comme j'ai sauvé de l'autre côté, Morand,
Achille, Maurois, Montherlant, Tartre... l'héros
providentiel con !... moi !... moi !... moi !... pas que
la France, le monde entier, ennemis, alliés, exige que
j'y passe !... bien saignant !... ils ont monté un
nouveau mythe !... on éventre pas l'animal ?... oui ?
non ? les prêtres sont là !
(D'un château l'autre, Poche, 1968, p.318).
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COMMENT EST-IL
RENTRÉ A LA FONDATION
ROCKEFELLER ET AVEC QUELLE ÉQUIPE
?
A défaut d'autres témoignages que ceux, tardifs,
apportés par Céline, nous en sommes réduits à supposer
qu'il fut employé comme " homme à tout faire "
par Laffite, " grouillot " au service d'Euréka
voire de La Sirène, ce qui expliquerait également
le début de ses relations avec Blaise Cendrars et Abel
Gance. Sans doute lia-t-il dès cette époque amitié avec
Graffigny, qui, quoique appartenant à la génération de
ses parents, a pu le fasciner par ses innombrables
anecdotes et son goût pour l'électricité et
l'aérostation ; la lecture des lettres de jeunesse,
récemment parues, nous montrent en effet le petit Louis
féru de ces domaines techniques.
Quoiqu'il en soit, la collaboration de Destouches aux entreprises
littéraires de Laffite ne dura guère plus de cinq mois :
en décembre 1917, il embarquait son camarade de
convalescence Albert Milon dans une nouvelle aventure :
la mission Rockefeller de lutte contre la tuberculose...
" En fait, il n'avait pas du tout été engagé, il
avait simplement volé l'ordre de mission sur le bureau
d'un personnage important. Cet homme important avait une
chaire professorale et dirigeait l'Ecole polytechnique.
Céline était venu le trouver pour lui demander de faire
des recherches et de se prononcer sur une invention
qu'un de ses amis avait faite. L'ami était un des
protagonistes de Mort à crédit, Courtial des
Pereires, et son invention une machine à contrôler les
votes durant les élections.
Le directeur-professeur ayant eu à faire dans un autre bureau, Céline
avait remarqué sur sa table une lettre de la Fondation
Rockefeller, qui demandait à l'éminent personnage de
bien vouloir aider à trouver des gens susceptibles de
mener à bien la campagne contre la tuberculose.
Céline avait lu le papier sur la table, c'est à dire " à l'envers
", puis l'avait subtilisé. Il se présenta de la part du
grand homme avec son compagnon, un ancien garçon de café
nommé Millon, chez les Américains. Ils montrèrent les
documents et obtinrent le travail. " (Ole Vinding, Au
bout de la nuit, p.39-40)
Cette anecdote tardive de Céline prend
toute sa saveur et un peu plus de véracité quand on
découvre dans Euréka les résultats du concours
d'invention du compte-votes pour la chambre des députés,
dirigé par l'ingénieur Maurice Leblanc, et remporté par
P. Savary et le capitaine Rouillard, dont les brevets
devaient être déposés en janvier 1918. (Euréka n° 8,
janvier 1918, p. 20-21).
Si ces circonstances sont exactes, dès décembre 1917, Louis Destouches
aurait rejoint la mission Rockefeller sur les routes de
l'Eure-et-Loir, de Chartres à Chateaudun, puis sur
celles de Bretagne, à commencer par Rennes en mars 1918.
Graffigny ne tarda pas à les rattraper : Euréka
ne survécut pas à son seizième numéro en janvier 1919.
Les registres de la Fondation Rockefeller l'identifie
sous son nom d'état civil " Henri Marquis ",
marionnettiste-scénariste.
L'équipe de propagande anti-tuberculose n° 2 dirigée sur la
Bretagne en mars 1918 était composée d'une directrice
américaine et de quatre employés français : un
conférencier, Louis Destouches, une conférencière, Mlle
Vilain, un délégué courrier chargé d'annoncer le passage
de la Mission et d'en régler l'organisation avec les
Municipalités, Albert Milon, et un mécanicien opérateur,
sans doute Henry de Graffigny, en charge comme il se
devait du " camion automobile, contenant un générateur électrique et un appareil
complet de projections cinématographiques, ce qui
permettait de donner des séances illustrées de cinéma
même dans les petits villages où l'électricité
n'existait pas.
Le camion transportait cinq personnes formant l'équipe, le matériel
de projection, les films cinématographiques, une
exposition complète de 42 panneaux, ainsi qu'un stock de
brochures, tracts, cartes postales et affiches, pour
distribution. " (Alexandre Bruno, Contre la
tuberculose, la mission Rockefeller en France et
l'effort français, 1925, p. 137).
(L'Année Céline 2009, Du Lérot éditeur, Les Usines Réunies, 14 juillet
2010).
***
"
C'était pendant la guerre, en 16, 17. J'étais réformé ;
il fallait que je gagne ma croûte. Alors voilà que je
tombe sur un petit papier grand comme ça , qui demandait
un conférencier pour la fondation Rockefeller de
propagande contre la tuberculose. Je n'avais jamais
parlé en public ; j'étais d'un baveux ! Tiens, mon
vieux, en public, je parlais encore plus mal que toi !
Mais voilà, j'étais tombé sur le papier et je me
présentais le premier, et puis je parlais anglais, ce
qui a simplifié mes négociations avec le comité
américain.
Enfin,
on m'a embauché. Ce que j'ai pu bafouiller les premières
fois ! Je revois avec terreur la grande séance dans le
théâtre de Rennes, tout illuminé, et c'est grand ce
machin-là ! Tout contre moi, le général d'Amade et puis
le docteur Follet, qui devait devenir plus tard mon
beau-père. Ça été
épouvantable, et puis, petit à petit, je me suis habitué
à parler comme on s'habitue à tout. J'ai parlé, parlé !
"
(Cahiers Céline 1, p.87, Spécial Céline n°25, juillet-août-sept. 2017).
********************
MISES AU POINT SUR SIGMARINGEN.
Quatre
mois après la mort de l'écrivain, Gallimard a publié un
Céline du jeune auteur belge Marc Hanrez, à ce
jour l'étude la plus complète et la plus pertinente sur
l'œuvre, sur sa langue, mais
où différents détails biographiques sont indéniablement
controuvés.
On y lit ainsi qu'en 1944, sentant sa peau menacée, Céline aurait songé à
partir pour la Bretagne, mais que sur les conseils de
son ami, l'acteur Le Vigan, il se décida à gagner le
Danemark, où il comptait séjourner trois mois avant de
revenir en France. L'itinéraire du Danemark comptait
malheureusement un passage forcé par l'Allemagne.
Avant cette version fignolée, Céline en avait longuement répandu une
autre : un congrès médical à Baden-Baden auquel il ne
pouvait se dérober, et comme il se disposait à en
revenir, la route coupée par l'offensive alliée.
Curieux congrès pour lequel le docteur Destouches était parti avec vingt
malles, dont une douzaine, selon son intime Ralph
Soupault, remplies de fers à chevaux, de fers de
pioches, de fil barbelé, haches, bassines, serpes,
harnais, pour le troc alimentaire avec les cultivateurs
teutons (trois pièces de la rue Girardon étaient
paraît-il bourrées de matériel agricole dans le même
dessein).
La vérité est que Céline, le non-collaborateur, flanqué de Robert Le
Vigan, avait plié ses copieux bagages huit jours après
le débarquement de Normandie, et mis le Rhin entre lui
et les libérateurs deux bons mois avant le troupeau
talonné des " collabos ".
On en a fait maintes gorges chaudes : Bardamu, brave cuirassier à vingt
ans, mais beau foireux à cinquante. Grande gueule de
littérateur, et trouille au derrière dès que ça chauffe.
Je tiens à rétablir la vérité sur un point épisodique, mais j'ai toujours
haussé les épaules quand j'ai entendu brocarder la
soi-disant lâcheté de Céline. Tous les fascistes
français de 1944 n'ont-ils pas détalé les uns après les
autres ? Connaît-on un seul politique professionnel, un
seul militaire qui auraient eu l'effarent courage de
signer en 1938 Bagatelles pour un massacre, de
récidiver, un an plus tard, avec L'Ecole des cadavres
?
J'ai
fréquenté trop de héros publics qui rampaient dans le
privé.
Le Vigan, que les fiers-à-bras tenaient pour un traîne-patins de cabotin,
fut magnifique de fermeté en prison, d'insolence devant
les malfrats de la Cour de Justice. Céline a tout
exprimé, au début du Voyage, à propos de cette
guerre de 1914 qu'il fit bravement : " Quand on a pas
d'imagination, mourir, c'est peu de chose. Quand on en a
, mourir, c'est trop. "
De l'imagination, Le Vigan et Céline, qui ne se quittaient plus depuis
1943, en avaient comme mille. Qui plus est, Le Vigan,
dit La Vigue, comédien épique, vous jouant
successivement, sans le moindre accessoire, un colonel
anglais des Indes, un séminariste pédéraste, un jockey,
un mineur de Donetz, une douairière, pouvait mimer,
représenter tout ce qu'ils imaginaient de conserve. Et
l'on imagine, à son tour les veillées des deux apôtres,
vivant et remâchant le triomphe des Fifis à Montmartre,
les passages à tabac, les étripages.
Il est évident qu'avec la légende de haine imbécile qui
l'entourait, Céline aurait été dépecé dans son quartier
durant les " grandes heures " de la Libération, condamné
à mort en cour et fusillé, malgré l'inexistence de son
dossier, dans les six mois qui suivirent. Comme la
déconfiture des Allemands ne faisait pas non plus pour
lui le moindre doute, il aurait dû se mettre en sûreté
beaucoup plus tôt et beaucoup mieux.
Je lis dans la biographie de M. Hanrez que le Dr Destouches, envoyé de
Baden-Baden à Sigmaringen, ayant refusé de participer à
la propagande pro-allemande, fut interné avec des
objecteurs de conscience près de Neu-Ruppin, dans le
Brandebourg.
Double erreur, sur la chronologie et les faits. Céline est fort capable
d'avoir jugé diplomatique d'embrouiller un peu M. Hanrez.
Bien que ce fût d'autant plus inutile qu'il a rétabli
lui-même très exactement les choses dans ses deux livres
de l'exil, D'un château l'autre et Nord.
Car dans ses livres, il ne triche jamais.
Donc, comme il l'a lui-même exposé, après quelque temps
à Baden-Baden, dans le somptueux Park-Hôtel, il avait
souhaité se replier sur l'Allemagne du Nord, plus
commode pour un exode définitif au Danemark. Il tolérait
très mal, et je le comprends, la vie dans Berlin puant
le cadavre et bombardée vingt-quatre heures sur
vingt-quatre. Son ami le Dr Haubolt, grand fonctionnaire
de la médecine du Reich, passablement embarrassé de ce
phénomène et du Le Vigan qui le flanquait, les avait
casés de son mieux à Kränzlin, près de Neu-Ruppin, tout
compte fait dans un petit château, environné d'un
village-dépotoir : mais c'était le sort à l'époque de
presque tous les villages d'Allemagne. Rien donc de
punitif ni de concentrationnaire dans cette retraite,
qui se révéla peu folâtre, mais qui entrait dans les
vues de louis-Ferdinand.
Quand
un matin du début de novembre 1944, le bruit se répandit
dans Sigmaringen : " Céline vient de débarquer ", c'est
de son Kränzlin que le bougre arrivait tout droit.
Mémorable rentrée en scène. Les yeux encore pleins du
voyage à travers l'Allemagne pilonnée, il portait une
casquette de toile bleuâtre, comme les chauffeurs de
locomotives vers 1905, deux ou trois de ses canadiennes
superposant leur crasse et leurs trous, une paire de
moufles mitées pendues au cou, et chat Bébert,
présentant sa frimousse flegmatique de pur parisien, qui
en a connu bien d'autres. Il fallait voir, devant
l'apparition de ce trimardeur, la tête des militants de
base, des petits miliciens : " C'est ça, le grand
écrivain fasciste, le prophète génial ? " Moi-même, j'en
restais sans voix.
Louis-Ferdinand, relayé par Le Vigan, décrivait par
interjections la gourance de Kränzlin, un patelin
sinistre, des Boches timbrés, haïssant le Franzose, la
famine au milieu des troupeaux d'oies et de canards. En
somme, Hauboldt était venu le tirer cordialement de ce
trou, et Céline, apprenant l'existence à Sigmaringen
d'une colonie française, ne voulait plus habiter
ailleurs.
La première stupeur passée, on lui faisait fête. Je le croyais fini pour
la littérature. Quelques mois plus tôt, je n'avais vu
dans son Guignol's Band qu'une caricature
épileptique de sa manière (je l'ai relu ce printemps, un
inénarrable chef -d'œuvre, Céline a toujours eu dix,
quinze ans d'avance sur nous). Mais il avait été un
grand artiste, il restait un prodigieux voyant.
Le
" gouvernement " français l'avait institué médecin de la
Colonie. Il ne voulait d'ailleurs pas d'autre titre. Il
y rendit des services. Abel Bonnard, dont la mère, âgée
de quatre-vingt dix ans, se mourait dans une chambre de
la ville, n'a jamais oublié la douceur avec laquelle il
apaisa sa longue agonie. Il pouvait être aussi un
excellent médecin d'enfants. Durant les derniers temps,
dans sa chambre de l'hôtel Löwen, transformée en taudis
suffocant (dire qu'il avait été spécialiste de l'hygiène
!), il soigna une série de maladies intrinsèquement
célinesques, une épidémie de gale, une autre de
chaudes-pisses miliciennes. Il en traçait des tableaux
ébouriffants.
L'auditoire des Français, notre affection le ravigotaient d'ailleurs, lui
avaient rendu toute sa verve. Bien qu'il se nourrît de
peu, le ravitaillement le hantait : il collectionnait
pour le marché noir les jambons, saucisses, poitrines
d'oies fumées. Pour détourner de cette thésaurisation
les soupçons, une de ses ruses naïves était de venir de
temps à autre dans nos auberges, à l' " Altem Fritz ",
au " Bären ", comme s'il n'eût eu d'autres ressources,
partager la ration officielle, le " Stammgericht ",
infâme brouet de choux rouges et de rutabagas.
Tandis qu'il avalait la pitance consciencieusement, Bébert le " greffier "
s'extrayait à demi de la musette, promenait un instant
sur l'assiette ses narines méfiantes, puis regagnait son
gîte, avec une dignité offensée.
- Gaffe
Bébert ! disait Ferdinand. Il se laisserait crever
plutôt que de toucher à cette saloperie... Ce que ça
peut être plus délicat, plus aristocratique que nous,
grossiers sacs à merde ! Nous, on s'entonne, on
s'entonnera de la vacherie encore plus débectante.
Forcément !
Puis satisfait de sa manœuvre, de nos rires,
il s'engageait dans un monologue inouï, la mort, la
guerre, les armes, les peuples, les continents, les
tyrans, les nègres, les Jaunes, les intestins, le vagin,
la cervelle, les Cathares, Pline l'Ancien, Jésus-Christ.
La tragédie ambiante pressait son génie comme une
vendange. Le cru célinien jaillissait de tous côtés.
Nous étions à la source de son art. Et pour recueillir
le prodige, pas un magnétophone dans cette Allemagne de
malheur. (Il en sort à présent cinquante mille par
mois chez Grundig pour enregistrer les commandes des
mercantis noyés dans le suif du " miracle " allemand).
(Lucien Rebatet, D'un Céline l'autre, Cahiers de l'Herne poche-club,
1968).
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APRES SIX ANS PASSES AU DANEMARK, COMMENT SE SONT DEROULES LES TROIS DERNIERS MOIS... Le ministère ayant, le 5 février, téléphoné à l'avocat pour obtenir des renseignements, Mikkelsen répond que Céline envisage de rentrer en France dans un avenir relativement proche, maintenant que les cours de justice ont été supprimées et que les procès politiques sont confiés aux tribunaux militaires, réputés moins intransigeants. Comme le montre la correspondance qui y succède, Mikkelsen accorde à présent toute son attention à ce qui se passe à Paris. Céline ayant fait savoir, dans une lettre datée du 13 juin 1951, que, par décision du tribunal militaire de Paris, décision ayant pris effet le 25 avril 1951, il a été amnistié aux termes de la loi du 16 août 1947, que le consulat de France à Copenhague lui a délivré un passeport en règle valable pour tous pays et qu'en conséquence il désire être libéré de l'engagement qu'il avait pris sur l'honneur le 13 janvier 1950 de ne pas quitter le Danemark sans y être autorisé, Thorvald Mikkelsen demande le 14 juin 1951 au ministère de la Justice de bien vouloir dégager Céline de sa promesse. Le 27 juin 1951, le ministère autorise Céline à quitter le Danemark. La décision est notifiée ainsi à Thorvald Mikkelsen : En réponse à votre demande du 14 juin 1951 concernant M. Louis Destouches, citoyen français, né en France le 27 mai 1894, qui, selon les renseignements fournis, a exprimé le désir de quitter le Danemark le 1er juillet 1951 à partir de l'aéroport de Kastrup, j'ai l'honneur de vous informer que le ministère de la Justice accorde au susnommé l'autorisation de quitter le territoire danois. Communication du présent avis est donnée à la Police de Kastrup. Pour le ministre et par ordre supérieur Signé N.N. Cela n'avait pourtant pas été sans mal, puisque Thorvald Mikkelsen avait dû, une fois de plus, relancer le ministère de la Justice. Le jour même du 27 juin, un mercredi, il avait dû prendre contact avec ce ministère (probablement par téléphone) pour insister sur le fait que, le départ de Céline étant prévu pour le dimanche suivant, il lui fallait une réponse au plus tard le vendredi 29. Heureusement, la réponse ne tarda pas, et la police régla de bonne grâce les toutes dernières formalités, apposition sur le passeport d'un visa de sortie, etc. Le dimanche 1er juillet 1951, à 18h15, l'avion de Nice décollait de Kastrup, l'aéroport de Copenhague, emportant parmi ses passagers le docteur Louis Ferdinand Destouches, dit Céline, et son épouse, Lucie-Georgette Destouches, née Almanzor. Dans leurs bagages : un chien et trois chats, dont Bébert. Ils quittaient le Danemark après y avoir passé plus de six ans. Céline ne devait jamais le revoir. Mme Céline, elle, y revint en juin 1969 avec une équipe de la télévision française chargée de filmer quelques-uns des lieux où Céline avait vécu : Ved Stranden 20, Vestre Faengsel, Sundby Hospital et Klarskovgaard. Dans la région de Korsör, la présence des deux étrangers était devenue familière à tous. L'aspect quelque peu latin de Céline, la gracieuse silhouette de sa femme, leur façon différente de s'habiller, tout cela avait fini par s'intégrer au cadre. Leur départ ne pouvait pas passer inaperçu. Il n'était donc pas étonnant que le journal local, Korsör Avis, publiât dans son édition du 2 juillet 1951 : LE CELEBRE ECRIVAIN FRANÇAIS CELINE A MAINTENANT QUITTE KORSOR. Après avoir passé près de sept ans comme réfugié dans la région de Korsör, le célèbre écrivain français Céline, maintenant amnistié, vient en compagnie de son épouse de repartir pour la France. Leur départ a eu lieu hier, et les vœux de nombreux Korsörois les accompagnent. M. Céline était une grande personnalité, et lui et son épouse seront regrettés ici à Korsör, où ils venaient parfois faire leurs achats. Quelques jours plus tôt, le 28 juin, Céline avait adressé une lettre au directeur en chef du Korsör Avis, qui, le mercredi 4 juillet, la publiait en traduction danoise en même temps que l'article suivant : " ADIEU A KORSOR QUI NOUS A SI AIMABLEMENT HEBERGES. " L'ECRIVAIN FRANCAIS CELINE ADRESSE, PAR L'INTERMEDIAIRE DE " KORSOR AVIS ", TOUS SES REMERCIEMENTS POUR L'HOSPITALITE QU'IL A RECUE AU DANEMARK. Durant sept longues années, le médecin français, qui s'est fait universellement connaître en littérature sous le nom de Céline, a résidé avec son épouse dans une propriété située à Klarskov et appartenant à Me Mikkelsen, avocat à la Cour d'Appel. Il y a quelques jours, comme l'a déjà annoncé notre journal, Céline et son épouse ont regagné leur patrie après que la régularisation de leur situation eut rendu possible ce retour. M. Céline a chargé Me Mikkelsen d'exprimer par l'intermédiaire de notre journal toute sa gratitude pour la sympathie dont il a été l'objet pendant son séjour dans notre région. " Voici ce que disait la lettre de Céline : " Monsieur le Directeur, Au moment où nous allons quitter, ma femme et moi, la jolie ville de Korsör, je vous prie de croire que ce n'est pas sans tristesse que nous nous éloignons de ces lieux où nous avons reçu le plus aimable, le plus humain, le plus délicat des accueils. En des années pour nous très critiques, nous avons été entourés à Korsör d'une véritable sympathie, qui nous fut un grand réconfort au cours de notre très long exil. Je vous serais particulièrement reconnaissant, Monsieur le Directeur, de bien vouloir me permettre d'adresser par votre journal tous nos sentiments d'amitié et de gratitude aux habitants de Korsör. Et veuillez agréer, je vous prie, l'assurance de ma parfaite considération. " L.-F. Céline. (Helsa Pedersen, Le Danemark a-t-il sauvé Céline ?, Plon, septembre 1975).
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SON APPARTEMENT OCCUPE ET SES
MANUSCRITS VOLES OU DETRUITS...
Dans les semaines qui suivirent le départ de Céline le
17 juin 1944, son appartement de la rue Girardon, dont
la fenêtre donnait sur le Moulin de la Galette et tout
Paris, fut envahi par des F.F.I., dont quelques
montmartrois qui emportèrent ou détruisirent certains
des manuscrits qu'ils trouvèrent.
Céline
soupçonna comme instigateur Oscar Rosembly, employé de
mairie, qu'il avait quelquefois reçu chez lui et qui
s'était réfugié chez Gen Paul pour se cacher des
Allemands.
A la
Libération, Rosembly interrogea pendant huit jours
Mireille Martine, première épouse de Serge Perrault,
pour savoir où se cachait Céline (Céline 3, p.176-177),
et (Serge Perrault, Céline de mes souvenirs, p.43-45).
Céline avait emporté une version de Guignol's band II, en avait
confié une autre à Marie Canavaggia, mais avait laissé
les manuscrits en train de Casse-pipe, de La Légende
du Roi Krogold et divers brouillons.
Yvon Morandat (1913-1972), président des Charbonnages de
France, compagnon de la Libération, occupa par
réquisition officielle l'appartement de Robert Le Vigan,
puis, à partir de septembre 1944, sur le conseil de Mme
Chamfleury, celui dont Céline était locataire.
Il proposa de rendre à Céline les manuscrits qu'il y trouve, offre que
Céline néglige (voir lettre à Pierre Monnier du 2
décembre 1950, dans Ferdinand furieux p.160, et Céline
3, p.296-298).
Céline était renseigné sur tous ces évènements par ses amis de
Montmartre, Gen Paul, Jean Perrot, Daragnès.
(L'Année Céline 1997, p.19).
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COMBIEN D'EDITEURS POUR LE
VOYAGE ?
Le 15 juin 1935 : Robert Denoël reçoit le tapuscrit de
Voyage au bout de la nuit. Est-ce que l'éditeur a
vu le manuscrit autographe du roman ? C'est peu
probable. Quoi qu'en aient dit les témoins de cette
époque, c'est une copie dactylographiée qui a été
déposée chez tous les éditeurs sollicités. L'autographe,
lui, fut vendu par l'auteur le 29 mai 1943 au marchand
d'art Etienne Bignou.
Céline l’avait soumis tout d'abord à Eugène Figuière, 166
boulevard du Montparnasse, qui lui proposera de
l'éditer... neuf mois après la parution du livre chez
Denoël et Steele [cf. 28 juin 1933].
Le 14 avril, il l'a déposé chez Gallimard, où l'on a tardé à lui
répondre. Ce n'est que le 2 juillet - deux jours trop
tard - que la Librairie Gallimard accepte le roman, en
proposant divers allègements et remaniements. Quinze ans
plus tard Céline rappelait à Jean Paulhan : « Oh, cher
ami, je n’ai rien à dire de la NRF... J’ai bien failli '
en être '!... à une 1/2 heure près... vous le savez...
le pneu... Crémieux se réveillant à temps... ' j’en
étais ' !... Le pauvre Denoël qui le jalousait
l’admirait à en crever... A propos de Voyage il
me répétait toujours Paulhan m’a écrit... lui qui
n’écrit jamais... »
Il l'avait encore proposé, selon Henri Mahé, aux Editions Bossard, 33 rue
de Verneuil, mais cette maison d'édition créée en 1916
et qui fut très active au cours des années vingt, paraît
avoir cessé progressivement ses activités à partir de
1931. Le 20 avril 1932 son capital est réduit de 1 110
000 F à 555 000 F et elle ne publie que cinq ouvrages
dont deux de Léon de Poncins : La Franc-Maçonnerie,
puissance occulte et Les Juifs, maîtres du monde.
Céline serait aussi passé dans les locaux des Editions du
Sagittaire dirigées par Léon Pierre-Quint. Edouard
Roditi, qui le secondait pour lire les manuscrits,
raconte :
« Nous n'occupions rue Rodier, qu'un sombre
rez-de-chaussée qui avait jadis été le magasin où l'on
stockait les livres. [...] les hésitations déjà
maladives de Pierre-Quint, qui réussissait rarement à
prendre une décision utile en temps voulu et se perdait
souvent en des considérations d'une complexité
déroutante, ajoutaient à nos embarras financiers. Lors
des rencontres de notre comité de lecture, nous
discutions interminablement d'innombrables projets
d'édition dont la plupart ne se réalisaient jamais.
rue Amélie 8 dec.1932
Il nous est ainsi arrivé de voir un jour un inconnu, Louis-Ferdinand
Céline, nous proposer le manuscrit de son Voyage au
bout de la nuit. Nous nous sommes éternisés en
discussions au sujet de l'opportunité de sa publication
avant de refuser, bien contre mon gré, de le publier, et
de le renvoyer, hélas, à l'auteur. Ce livre fit par la
suite la fortune des Editions Denoël et Steele,
et il est curieux, à cet égard, de constater aujourd'hui
que nous étions, Bernard Steele et moi, alors les seuls
jeunes éditeurs parisiens, quoique tous les deux juifs
et de nationalité américaine, à nous enthousiasmer pour
ce manuscrit que douze maisons d'édition avaient refusé
avant qu'il ne nous soit soumis, d'abord à moi et
ensuite à Bernard Steele. » [Masques, printemps 1983].
François Gibault rapporte que Louis Aragon, qui aurait connu Céline rue
Lepic dès 1932, ayant appris qu'il avait un manuscrit en
lecture chez Denoël, serait intervenu auprès de
l'éditeur pour lui signaler « la très étrange et forte
personnalité de son auteur ». C'est ce qu'Aragon a
raconté au cours d'une visite à Antoine Gallimard en
juin 1979 [Délires et persécutions, p. 127].
On s'accorde à dater du 15 juin la réception du manuscrit de
Voyage chez Denoël et Steele, et à considérer que
l'accueil de l'éditeur fut enthousiaste, mais pas au
point de proposer à l'auteur des conditions
exceptionnelles puisqu'il ne lui paiera 10 % de droits
qu'en cas de réédition : il s'agit d'un « demi-compte
d'auteur ».
Vingt ans plus tôt, Du côté de chez Swann avait eu le
même parcours : refusé successivement par la NRF, le
Mercure de France, Fasquelle, et Ollendorf, avant
d'être accepté par Bernard Grasset, il fut édité aux
frais de l'auteur, mais à sa demande expresse. Le
premier tirage de Swann fut de 2 200 exemplaires.
Ce qui fait la différence entre les deux contrats, et elle est
essentielle, c'est que celui de Grasset accorde à
Proust le copyright de son livre - droit dont l'écrivain
usera en signant avec la NRF pour les volumes
suivants - tandis que celui de Denoël lie Céline à sa
firme, car c'est l'éditeur qui détient le copyright de
Voyage.
Comment qualifier un tel contrat ?
Ce n'est pas un compte d'auteur. Dans ce type de
contrat, c'est l'auteur qui charge l'éditeur de
fabriquer et de diffuser son livre à ses frais, décide
du chiffre du tirage, et reste propriétaire du copyright
: c'est le cas de Swann.
Ce n'est pas un contrat en
participation : proche du compte d'auteur, ce type de
contrat implique l'engagement réciproque de partager les
bénéfices et les pertes d'exploitation. C'est un peu le
cas du contrat signé en octobre 1929 par Eugène Dabit
pour L'Hôtel du Nord : le tirage du livre, fixé à
3 000 exemplaires, était payé pour un tiers par
l'auteur, pour les deux tiers par l'éditeur. L'écrivain
percevait 50 % sur le prix fort de vente. En cas de
réimpression, l'éditeur prenait tous les frais à sa
charge, mais l'auteur ne percevait plus que 10 % sur les
ventes, comme dans un contrat traditionnel.
Denoël savait qu'un tel contrat était sans réelle valeur juridique :
c'est ce qui avait permis à Gaston Gallimard d'en
attaquer la validité, avant de proposer d'autres
conditions à l'écrivain, et de le débaucher.
En octobre 1931, Denoël avait signé avec Jean Proal, pour son premier
roman, un contrat tout à fait normal,
qui accordait à l'auteur 10 % sur les ventes, ce
pourcentage étant majoré progressivement en cas de
retirages. Il lui faisait même des conditions
exceptionnelles en lui payant ses droits, moitié à la
signature du contrat, moitié à la mise en vente du
livre, dont le premier tirage était fixé à 3 000
exemplaires.
Le contrat signé par Céline est encore différent. Contrairement à Eugène
Dabit, Destouches-Céline n'entend pas participer aux
frais de fabrication de son livre, et il ne tient pas
non plus à en payer le tirage, comme Marcel Proust.
Denoël va donc lui demander une autre forme de
participation, assez proche de la proposition d'Eugène
Figuière.
Le 30, Céline et Denoël signent le contrat d’édition de Voyage au bout
de la nuit. L’article 5 stipule que l'éditeur payera
à l’auteur 10 % du prix de vente, « à partir du 4e mille
». Il se réserve 50 % des droits de traduction, des
droits d’adaptation au cinéma, des ventes en cas
d’édition de luxe ou d’édition populaire.
bande-annonce
La formulation est ambiguë. A cette époque, les « mille » étaient
généralement de 500 exemplaires. La clause du contrat
devrait signifier que Céline percevra ses 10 % à partir
du 2 001e exemplaire vendu.
Or, le 27 janvier 1933, le comptable des Editions Denoël et Steele
envoie à l'écrivain un relevé des ventes de son livre en
rappelant que les « trois premiers mille » ne comportent
pas de droits d'auteur : l'éditeur en ayant vendu 28.350
à la date du 31 décembre 1932, il lui en règle 25 350.
Cette interprétation sera confirmée par Denoël qui, dans une lettre du 11
octobre 1938 à Céline, accepte d'abroger l’article V de
son contrat pour Voyage, en ajoutant : « Il ne
peut donc être question pour nous de vous refuser le
paiement des droits portant sur les 3 000 premiers
exemplaires de cet ouvrage. »
L'expression « à partir du quatrième mille » signifie donc : à partir du
3 001e exemplaire. Les termes du contrat permettent
aussi de chiffrer le premier tirage du roman à 3 000
exemplaires, ce que Denoël confirma plus tard dans une
interview accordée à André Roubaud : « Dix jours avant
le prix, le premier tirage de trois mille exemplaires
n’était pas épuisé. » [Marianne, 10 mai 1939].
Pourquoi Denoël propose-t-il au débutant Céline un « demi-compte d'auteur
», alors qu'il avait signé avec le débutant Proal un
contrat traditionnel ? Voyage comporte 650 pages,
Tempête de printemps, à peine 250. Est-ce pour
payer l'imprimeur que Béatrice Hirshon accorde, le 1er
octobre, un prêt de 65 000 francs aux Editions Denoël
et Steele ?
(Site Robert Denoël, www.thyssens.com)
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PAS MOINS DE QUATRE DACTYLOS POUR LE VOYAGE...
En
novembre 1931, Destouches recopie, corrige et fait
dactylographier le manuscrit de Voyage au bout de la
nuit. D'un écho à l'autre, quatre dactylos se
seraient attelées à l'ouvrage, sous la surveillance de
Jeanne Carayon : Mme Riccini, juive italienne, sans
doute communiste, réfugiée à Clichy (Gibault 2, p.116),
Mlle Aimée Le Corre (Clichy, 16 octobre 1905),
secrétaire médicale au dispensaire, qui le 9 février
1933 épousera Gaston Paymal (Châlons-sur-Marne, 28
juillet 1898-8 mai1943), agent
administratif depuis 1926 et militant communiste, veuf
ou divorcé de Germaine Despaty, sa première épouse
depuis 1923, également secrétaire au dispensaire, à sa
création. Aimée Paymal aura un fils en 1935, prénommé
Gaston Louis. Alexandra Benenson (1901-1979), fille de
Charles Weisbrem, prétendra que Destouches lui aurait
fait lire le manuscrit de Voyage avant édition,
qu'un manuscrit annoté de sa main a existé, et qu'il fut
tapé par une dactylo de La Biothérapie, d'origine russe,
qui, après avoir terminé le travail, se suicida (Alméras,
Dictionnaire Céline, p.101).
Laquelle des quatre dactylographes ignorait les mots canasson, pognon,
trucider, partouzeur, pour les souligner en rouge
avec un point d'interrogation ?
Destouches
aurait montré le manuscrit à Georges Altman, journaliste
à Monde, pour lui demander conseil. Roger Lécuyer
n'a pas oublié le jour où, à la stupéfaction générale,
Louis Destouches annonça à Mahé qu'il avait écrit un
roman, en lançant d'un air désabusé : " J'en ai fini
avec mon guignol ! " Henri Mahé fut le premier lecteur
de Voyage au bout de la nuit. Chargé de trouver
un éditeur, il proposa le livre à Gilles Bossard, un ami
nantais de sa mère. Sans doute après avis de Gonzague
Truc, Bossard sympathisant de l'Action française, refusa
l'édition en raison de certaines verdeurs. Gilles
Bossard s'était spécialisé dans la publication
d'écrivains russes. Il avait participé au lancement de
la revue Jazz avec Carlo Rim et Louis Querelle
qui écrivaient dans Le Sourire aux côtés d'Aimée
Barancy.
On
ne connaît qu'un manuscrit, celui de la Bibliothèque
Nationale, publié en 2014 par les Editions des Saints
Pères, constitué de plusieurs brouillons et différent de
la publication. Il existe encore une dactylographie,
jadis propriété du libraire Nicaise, différente elle
aussi de l'édition finale et dont le premier chapitre a
été publié à 79 exemplaires par J.-P. Dauphin en 1987.
Le 9 décembre, Louis Destouches écrit à Gallimard : " Je viens de terminer
un travail, une sorte de Roman, dont la rédaction m'a
pris plusieurs années. Il me semble que j'arrive au plus
mauvais moment pour me faire éditer même " à compte
d'auteur "... ? Pourriez-vous m'écrire où je dois
déposer mon manuscrit. " (Lettres, 31-14). Il ne
remettra le manuscrit chez Gallimard que le 14 avril
1932. Il l'enverra également chez Eugène Figuière qui
lui proposera une édition à compte d'auteur. Robert
Denoël sera le plus enthousiaste et le plus rapide. Il
avait compris que Voyage n'était pas un roman,
mais " une sorte de roman ".
Le
13 décembre, Destouches écrit à Joseph Garcin : " C'est
entendu pour mercredi ? Bien heureux de vous revoir. Je
suis exténué, je termine mon œuvre,
tant de pages. On ne m'y reprendra plus. " (Lettres,
31-15).
(Eric Mazet, Spécial Céline n°16, printemps 2015).
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HISTORIQUE DU DISPENSAIRE DE
CLICHY
Le 2 juillet 1927, le docteur Destouches déclare habiter
à Croissy-sur-Seine à la préfecture de Versailles où il
a fait enregistrer son diplôme de médecin. Adresse :
inconnue. Maire : Raymond Mollet. Destouches pose sa
candidature au poste de médecin-conseil du Bureau
parisien de la Section d'hygiène de la S.D.N. Genève lui
répond que ce n'est pas possible. Il effectuerait des
remplacements à Croissy-sur-Seine, mais rien ne le
prouve.
Le 10 août, une loi favorise la naturalisation des étrangers, notamment
de ceux qui avaient des enfants. 86 000 personnes
acquièrent ainsi la nationalité française en 1927 et 71
000 en 1928. Sur l'ensemble de la période 1927-1940, 900
000 personnes auraient acquis la nationalité française
(Robert Badinter, Un antisémitisme ordinaire, Fayard,
1997, p.30).
Le
1er septembre, le professeur Bernard renouvelle pour
quatre mois le congé de maladie de Destouches " à la
suite d'asthénie et d'orthénie consécutives au paludisme
". Du 1er septembre au 31 décembre, Destouches va et
vient dans Paris et banlieue.
En
octobre 1927, Louis Destouches propose L'Eglise à
Gallimard. Comme adresse il donne le 35 rue Vernet,
siège de la S.D.N. à Paris.
Le 17 octobre, le docteur Destouches fait enregistrer son diplôme de
médecine à la préfecture de Police de Paris pour exercer
5 rue des Saules, à Montmartre, à côté du Lapin Agile,
une rue bordée de vignes.
Le
14 novembre, le docteur Destouches fait viser par le
maire de Clichy son diplôme de médecin. Il s'est enfin
décidé à ouvrir un cabinet médical, dans un trois pièces
au premier étage, 36 rue d'Alsace à Clichy, au-dessus de
la boucherie Fouilloux. Il fait imprimer sur épais
carton de 10 cm sur 7 ce prospectus : " Le Docteur Louis
Destouches, Lauréat de la Faculté de Médecine de Paris,
a l'honneur de vous faire part de son installation, 36
rue d'Alsace à Clichy. Médecine générale - Maladies des
enfants. Consultations tous les jours de 13h30 à 15
heures. Pour les enfants : Consultations 10 francs -
Visites 15 francs. " Les mardis et vendredis les
consultations ont lieu de 21 heures à 22 heures.
Elizabeth Craig n'habite pas avec lui, elle loue un studio place Clichy
et recommande des danseuses américaines au Tabarin ou
dans les boîtes de nuit.
Août
1928 : Sur recommandation de Ludwig Rajchman, le Dr
Destouches est accueilli à Laënnec dans le service du
professeur Léon Bernard qui représente la France à la
Section d'Hygiène et dirige de Paris la lutte
antituberculeuse. Son adjoint, Robert Debré voit
beaucoup travailler Louis Destouches à Laënnec où il
s'initie à la médecine de dispensaire.
Lui est-il proposé une vacation quotidienne en médecine générale de 14
heures à 18h30 pour 2000 francs par mois, au Bureau
d'Hygiène de Clichy ? Les membres du Bureau d'Hygiène de
Clichy étaient : le Dr Thibert, médecin adjoint à la
Fondation Roguet, hospice de vieillards fondé en 1905 ;
le Dr Joseph Mathieu ; Gaston, Eugène Paymal, né en 1898
à Châlons-sur-Marne, agent administratif. Sa première
épouse, depuis 1923, Germaine Paymal, dite Aimée, est
sténo dactylographe, secrétaire médicale du dispensaire.
Gaston Paymal se remariera le 9 février 1933 avec Aimée
Le Corre également secrétaire médicale au dispensaire.
Celle-ci, dit-on, dactylographia Voyage. Le
manuscrit de Voyage montre que la dactylographe,
Germaine ou Aimée, ignorait le sens des mots torve,
couillon, canasson, partouzeur, pognon, gniole,
trucider, dîme...
Le 1er septembre pour organiser le Dispensaire
Municipal de Clichy qui est en construction, presque
achevé, mais qui n'ouvrira qu'en janvier 1929, Charles
Auffray, maire communiste de Clichy, Pierre Heurtaux,
Maurice Naile et Rodolphe Barbedienne, sur
recommandation de Salomon Grumbach et du Docteur Rouquès
font appel au Docteur Ichok, également recommandé par le
pharmacien Pierre Piéré, maire communiste de
Vitry-sur-Seine, où Ichok étudiait alors le travail du
Bureau d'Hygiène de la ville et remplaçait momentanément
le Docteur Robert-Henri Hazemann, directeur des Services
d'hygiènes et d'assistance sociale.
Le
8 novembre 1928, la construction du dispensaire
municipal de Clichy est terminée. Reste à commander les
meubles, les appareils et les outils.
Le Docteur Destouches travaille également le matin au 38 boulevard
Montparnasse, Paris XVe, à la rédaction de publicités
pharmaceutiques pour le laboratoire de Romuald Gallier,
un pharmacien, un ancien de 14, membre du conseil
d'administration de la Biothérapie, qui a mis au point
l'Arthémapectine Gallier, contre les hémorragies, et la
Kidoline, contre le coryza aigu du nourrisson. Victor
Vasarely réalisait pour lui des dessins publicitaires.
A
la fin de l'année Louis Destouches entre au service de
la Biothérapie, 140 bis rue Lecourbe, laboratoires
spécialisés dans les vaccins et la pâte dentifrice. Il y
restera jusqu'à la parution de Bagatelles pour un
massacre, mais dès avril 1933 son activité y sera
réduite. La Biothérapie est dirigée par deux Israélites,
Charles Weisbrem et Abraham Alpérine, qui se
connaissaient depuis la Russie et la révolution. Pour
1000 francs par mois, le Dr Destouches est employé comme
médecin de l'entreprise, mais surtout comme rédacteur
médical. Il s'occupe de la publicité du dentifrice
Sanogyl et les vaccins du " chercheur maison ",
Alexandre Besredka.
Le
1er janvier 1929, Louis Destouches entrera au
dispensaire municipal de Clichy, lors de son
inauguration, pour une vacation quotidienne de 17 heures
à 18h30, au 10 rue Fanny. La direction en avait été
confiée en septembre au Docteur Grégoire Ichok. Louis
Destouches entamait un nouvel épisode de sa vie
romanesque dans la médecine sociale d'un dispensaire de
banlieue communiste.
(Eric Mazet, Céline en son temps ou Céline avant Céline 1927-1929,
Spécial Céline n°14, sept, oct, nov 2014).
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A ALBERT PARAZ
le samedi [20 novembre 1948]
Mon cher Vieux -
Comme le l'écrit Deshayes (77 Rue Masséna Lyon) qui
n'est pas sot, je suis condamné d'avance. Je
pourrais apporter 100 000 preuves d'innocence. Cela n'y
changera rien. On a réveillé chez ce peuple l'habitude
romaine ou espagnole du Cirque, de la Corrida. Il se
fout pas mal que la bête soit coupable - ou pas. Le
Peuple me veut en corrida. On le filoute il hurle
il casse le cirque si on m'esquive ! Ma notoriété (!!)
fait de moi une bête intéressante, une mise à mort
croustillante. Tout le reste est blablabla... fariboles
chichis... niaiseries de fiançailles... Je suis le bouc,
je pue - A mort ! mille morts !... C'est aussi
simple. Mais quand j'aurais été sapé j'écrirai un petit
pamphlet : " Terreurs. Enterreurs, déterreurs
1. " On
rigolera. Il m'a toujours frappé qu'on avait déterré
Cromwell pour le juger et le pendre, en
cadavre. Ainsi va la haine, le désir du monde, et de
Caliban. Il voudrait bien déterrer Drumont, Vacher
2,
Gobineau, pour les pendre ! Là nous touchons à la
vérité, à l'ELEMENT - le peuple est Tartuffe -
effroyablement.
Cette haine pour Sigmaringen est du même cru. Ceux-là comme dit Bardèche
le grand Judex, je les abandonne
3 ! Et son
beau-frère archi vendu à la Propagandastaffel, celui-là
moi je l'abandonne ! Je l'écrirai. On n'a pas
fini de rire -
Mille mercis aux Anc. Comb. d'Alsace 4.
Qu'ils me défendent mais ne m'envoient pas de pèze à
aucun prix. Il ne faut jamais RECEVOIR UN SOU, ni un
CADEAU. Jamais. Recevoir un cadeau c'est déjà se faire
mépriser. L'Homme est une trop sale bête, perfide,
moucharde, pour lui jamais donner cette prise... JAMAIS.
Le seul côté sérieux de toutes ces effusions serait ma réédition en
Belgique. Là je gode. Je suis en terrain sûr -
normal - honnête - Tout le reste est louche.
____
On me propose de rentrer à Paris en maison de santé
5 !
Le Parquet se fait de plus en plus " sirène " !... Il a
promis aussi la bête aux spectateurs - Saloperies !
Salut !
____
Il faut dire aux cons qu'il existe une différence
essentielle entre moi Le Vigan et Hérold
6 et
Châteaubriant - une différence à leur portée de cons
baffreux et matérialistes. C'est que MOI je n'ai jamais
gagné ni touché un sou de personne. Au contraire j'ai
TOUT PERDU à vouloir sauver la peau des Français -
saloperies ! Je n'ai jamais été EMPLOYÉ
de personne, laquais, stipendié. D'où la haine
des Allemands. Je suis un gentleman - un amateur
- et non un professionnel s'ils comprennent les
distinctions sportives. Je suis un¨PATRIOTE absolu. Je
juge moi les gens de Londres payés par l'Intelligence
Service - Vendu, Putain. C'est vendu putain - Enculé
par Anglais ou Fritz pour moi c'est kif. Je ne
branlais, suçais personne. Je suis une femme du monde.
Je baise avec qui je veux, quand je veux, comme je veux
- Et j'avais décidé de ne baiser avec personne - Cela
ne me disait pas - Et voilà ! -
Mais cela n'est guère concevable pour des gens qui sont EMPLOYÉS
- depuis toujours et le croupion toujours en attente
d'une bite plus ou moins dorée - " Anus mielleux - "
Ton vieux
LFC
1 Nouveau titre pour "
Indignités "
2 Vacher de Lapouge
3 Maurice Bardèche, Lettre à François Mauriac, p.165.
4 L'Union alsacienne des anciens combattants et victimes
de guerre témoignera en faveur de Céline au moment de
l'enquête du Libertaire, en janvier 1950. Le 30
novembre, on apprend par une lettre de Céline que Paraz
a déjà reçu des fonds : " Ramasse les 20 sacs et
retourne-les aux généreux ! avec mille grâces, mercis,
baisers. Je suis touché mais ne touche pas. Jamais.
J'aime mieux crever mille fois. La spéculation sur le
sentiment m'a toujours paru atroce. " (Lettre à Albert
Paraz, p.123). L'affaire se termine curieusement : " En
bref tu as estouffarès les 20 sacs ! C'est régulier.
Mais alors fais savoir aux bienfaiteurs que t'en avais
besoin et que je t'en ai fait cadeau. Mais qu'on ne
pense pas que je te fais faire la quête ! " (Lettre du
10 décembre 1948).
5 A plusieurs reprises certains de ses amis et avocats
français ont proposé à Céline de rentrer en France et de
se mettre à l'abri dans une " maison de santé " en
attendant son procès.
6 Jean Hérold-Paquis.
(Lettres,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 2009, p. 1110).
******************
" C'EST PEU DIRE QUE JE N'AIME PAS LES
EDITEURS JE LES HAIS "
La
mort de Robert Denoël et ses propres ennuis judiciaires
n'apaiseront pas Céline, bien au contraire. Il fait
demander les comptes par son avocat et proteste contre
la non-impression de ses livres alors que Denoël évite
de faire de la publicité sur son cas et il rompt son
contrat parce qu'il ne fait aucune confiance aux
successeurs de Denoël. C'est en plus une femme, Jeanne
Loviton, qui dirige la maison, et Céline ne supporte
probablement pas l'idée d'avoir une femme pour éditeur.
Même s'il a connu des difficultés avec Robert Denoël, il
reconnaîtra sa compétence. En 1954, alors qu'il échange
des mots violents avec Gaston Gallimard, il écrit : "
Robert l'Assassiné était bien maquereau aussi mais lui
au moins défendait ses travailleurs, il jouait pas les "
hauts nababs excédés inapprochables ", il se tapait ses
8 heures de " blabla " par jour à défendre ses livres...
et il recommençait la nuit... à entretenir les connes
polémiques... précisément ! celles qui font vendre. "
(Lettres à la N.R.F.).
Avec Pierre Monnier qui publiera Casse-pipe et
Scandale aux Abysses et réimprimera Mort à crédit,
il est très affectueux dès leur rencontre en 1948 et il
accepte volontiers la proposition de Monnier de
s'entremettre pour la publication de ses livres. Armé
des consignes de Céline qui veut la réédition de ses
romans avant de donner son prochain manuscrit et demande
une avance sur ses droits de 5 millions de francs,
Monnier fait la tournée des éditeurs mais la réputations
de Céline et ses exigences font
reculer les éditeurs. Il parvient à faire rééditer
Voyage au bout de la nuit par un jeune éditeur,
Charles Frémanger, qui s'est fait connaître en publiant
Caroline chérie de Jacques Laurent sous le
pseudonyme de Cecil Saint-Laurent. L'édition sera
réalisée sous le nom des Editions Froissart à Bruxelles
pour se protéger des successeurs de Denoël qui estiment
avoir toujours les droits sur le livre.
Tout se passe bien jusqu'à ce que Céline reprenne ses colères. Son
éditeur devient " courant d'air " (Ferdinand furieux),
parce qu'il n'en a plus de nouvelles et surtout parce
qu'il n'en reçoit pas d'argent. Puis il devient " plus
que courant d'air, il est menteur, c'est plus grave " (Ibid.)
Jamais à court, il le traite notamment de voyou,
d'emmerdeur insupportable, de dément et d'escroc. Il ne
veut pas le laisser réimprimer Mort à crédit sans
avoir reçu d'argent. " Crédit est mort " (Ibid.)
lance-t-il. Monnier décide alors de devenir lui-même
l'éditeur de Céline. Celui-ci lui fait confiance, comme
il l'a fait avec Denoël à ses débuts, même s'il n'a pas
d'argent et il est convenu que c'est une solution
provisoire en attendant que les affaires de Céline
s'arrangent pour qu'il puisse négocier avec un grand
éditeur.
Céline met Monnier en garde sur le métier d'éditeur : " C'est un métier
atroce ! " (Ibid.) et quand il s'aperçoit que les
ventes ne marchent pas comme il le voudrait, il s'en
prend au distributeur qui ne fait sûrement pas son
travail, ménageant Monnier dont il a besoin. Mais
lorsque Céline estime ne pas recevoir suffisamment
d'argent malgré ses efforts, Monnier se fait insulter à
son tour : " Je ne veux rien avoir à faire avec votre
maison ou néo-maison d'édition. [...] Pas de
mésententes, mais salut ! " (Ibid.) Monnier
arrive tout de même à calmer Céline qui comprend qu'il
est son meilleur défenseur.
En juillet 1951, alors que Céline vient de rentrer en
France, Monnier arrive à négocier pour lui un contrat
avantageux chez Gallimard. Paulhan depuis 1947 le
pressait de s'adresser à Gaston Gallimard, mais Céline
voulait attendre l'issue des procédures judiciaires à
son encontre. Il apparaît encore comme un auteur maudit,
en plein purgatoire. C'est Paulhan qui en publiant
Casse-pipe dans les Cahiers de la Pléiade en
1948 lui a redonné une visibilité. C'est avec lui qu'il
aura une correspondance régulière jusqu'à ce que
Paulhan, en 1955, lui demande de ne plus lui écrire : "
Vos lettres sont amusantes comme peuvent être amusantes
des lettres d'enfant ou de fou. " (Lettres à la N.R.F.).
En fait, presque réhabilité, Céline ne l'intéresse plus
autant et il est lassé de ses provocations : " Je vous
invite à boire un verre d'acide nitrique à l'ombre du
prochain champignon thermonucléaire ! " (Ibid.)
lui avait-il écrit. Céline se rabat alors sur Gaston
Gallimard : " Eh, diable, vous êtes le seul homme
d'esprit dans votre bazar ! où irai-je ? " (Ibid.)
puis, à partir de 1956, c'est Roger Nimier qui va
devenir son principal correspondant à la N.R.F., le seul
à l'appeler Ferdinand et même Louis. C'est lui qui
s'occupera du lancement de ses derniers livres et de ce
fait Céline lui trouve toutes les qualités. Pour
l'instant, Céline proteste vite contre la lenteur de
réédition de ses ouvrages et comme il sait que ce
qu'attend surtout Gallimard c'est un nouveau livre, il
subordonne la remise de son manuscrit à l'achèvement des
nouveaux tirages. Gallimard découvre la difficulté de
gérer Céline, d'autant plus qu'il ne veut pas faire de
service de presse et de publicité pour son nouveau livre
Féerie pour une autre fois, de peur des attaques
en diffamation, alors que Gallimard pense qu'il faut
faire du battage autour de son retour à la littérature.
Autre particularité : il ne veut pas qu'on lui envoie le
courrier qui lui est adressé comme à tous les auteurs à
la maison d'édition et surtout pas qu'on lui envoie les
coupures de presse qui paraissent sur son œuvre : " Je
n'ai rien à faire de tout ce bafouillage. J'ai à
travailler et déjà cela ne m'amuse pas, alors les
commentaires ! " (Ibid.) Puis il se plaint qu'on ne
parle pas assez de Féerie et qu'on ne lui fasse
pas de publicité...
Avant même de remettre le manuscrit suivant il obtient
une confortable avance, puis une nouvelle en livrant
Normance mais c'est l'engrenage : il est devenu
débiteur de son éditeur, la situation s'est inversée.
Avec Denoël, il pouvait réclamer l'argent que celui-ci
lui devait, avec Gallimard il doit tout faire pour
obtenir de nouvelles avances. Il devient l'écrivain
obligé d'écrire pour rembourser son éditeur, jusqu'à sa
mort. Il peut bien exercer un chantage à la remise de
chacun de ses manuscrits, allant même
jusqu'à
menacer d'aller les porter ailleurs, Gallimard lui
rappelle, parfois fermement mais toujours courtoisement,
les termes précis de son contrat, même s'il lui verse
beaucoup plus d'argent qu'il ne devrait.
L'obsession de Céline que ses livres soient repris en poche puis d'entrer
dans la collection " La Pléiade " doit beaucoup à ce
perpétuel besoin d'argent. Mais quand il essaie de faire
réaliser une édition illustrée d'un de ses textes, il
n'obtient pas satisfaction. Gallimard se retranche
souvent derrière le marché pour gagner du temps mais,
dès qu'il le peut, il vend une édition de Voyage
en club et arrive à faire entrer Céline au " Livre de
poche ".
Ces rapports conflictuels - Céline le traite de
paltoquet, le dépeint en vieux maquereau, petit con en
chef ou écœurant milliardaire -, ont un aspect ludique
qui n'échappe pas à leurs protagonistes. Alors que
Céline a commencé une virulente lettre de récriminations
par " Ô sacré vieux coffre-fort qui fait bla-bla ! ", il
lui répond : " Votre humour n'est que de la rhétorique.
Vous n'arrivez pas à me faire croire à votre violence.
Vous mêlez tout - Exprès - Et nous faisons joujou "
[...] et termine par cette phrase : " En attendant votre
prochaine engueulade, croyez-moi tout de même vôtre " (Ibid.),
qui provoque une réaction indignée de Céline : " Je vous
ménage, foutre ! Je ne vous engueule pas du tout ! Si je
m'y mettais, je vous ferais périr de confusion. " Et un
jour où Céline emploie exceptionnellement un " Bien
respectueusement " comme formule de politesse à la fin
d'une lettre, Gaston Gallimard lui rétorque un " Très
attristé de votre respect ". (Ibid.). Leurs
échanges se poursuivent un moment sur ce ton, Gaston
Gallimard disant à Céline qu'il a reçu à lui seul 10 %
des avances versées aux auteurs alors qu'il a 2000
auteurs à son catalogue, et Céline répliquant : " Mais
Ferdinand il est au moins 50 p. 100 de ce qu'est valable
à la Néref ! " (Ibid.). Céline obtient encore une
avance pour remettre D'un château l'autre ; et
une mensualité pendant deux ans pour écrire la suite.
C'est Roger Nimier qui s'est entremis pour trouver cet
arrangement et qui va s'occuper du lancement du livre.
C'est désormais lui qui reçoit les plaintes - ce qui lui
fait écrire : " Je crois que Gaston est un peu triste de
ne plus recevoir d'insulte. Songez-y. " (Ibid.)
Grâce au relatif succès de D'un château l'autre
et des éditions de Voyage et de Mort à crédit
au " Livre de poche ", la dette de Céline diminue un
peu. Ses ballets sortent en édition illustrée par Eliane
Bonabel et il parvient à faire renouveler ses
mensualités pour Nord et les deux années
suivantes. Enfin on lui annonce un accord sur la
parution de Voyage et Mort à crédit en un
volume dans " La Pléiade " et qu'un livre de la
collection " La Bibliothèque idéale " va lui être
consacré. Mais quand, en février 1960, il apprend que le
" Pléiade " ne sera au programme que l'année suivante,
un pressentiment lui fait écrire : " Je risque fort
d'être décédé avant d'être pléiadé ! " (Ibid.).
Comme il ne s'avoue jamais battu, il adresse, cette fois
à Claude Gallimard, un message aux menaces à peine
voilées, où il exprime tout haut ce que beaucoup
d'auteurs n'osent dire à leur éditeur : " Etant d'autre
part toujours occupé au manuscrit d'un prochain livre,
en prendre à mon aise ne serait-il pas très convenable
?... remettre la livraison du manuscrit à par exemple
trois quatre années ? à l'outre-tombe ? je sais que pour
la fabrication " l'auteur est l'ennemi " et saloperie
très méprisable... et d'autres gentillesses du même
sel... que serait pourtant l'Edition et ses tâcherons,
sans les auteurs, même les plus méprisés ? Sur cette
pente, échange d'insultes, les auteurs sont tout de même
et de loin, les gagnants... "
Quelques semaines avant sa mort, il a la satisfaction de
recevoir l'édition " poche " de D'un château
l'autre et de savoir que la composition de " La
Pléiade ", pour laquelle il a réécrit les passages
censurés de Mort à crédit, avance. Dans sa
dernière lettre, la veille de sa mort, il demande à
Gaston Gallimard de lui établir un nouveau contrat pour
Rigodon qui lui prévoit une nouvelle mensualité.
De fait les rapports de Céline avec ses éditeurs, même s'ils sont très
conflictuels, sont très proches de ceux qu'il a avec ses
amis auxquels il pouvait trouver toutes les qualités un
jour et tous les défauts le lendemain. Seule différence,
c'est le côté financier qui domine et qui envenime
forcément les relations. Heureusement pour les éditeurs,
Céline est une exception : on ne peut pas être l'un des
plus grands auteurs du XXe siècle sans que ses éditeurs
en aient payé le prix.
(Pascal Fouché, Tous les éditeurs sont des charognes, Magazine
Littéraire H.S. n° 4, 2002).
*********************
CELINE, VISITEUR MEDICAL.
"
Chimiste le matin, écrivain l'après-midi, docteur le
soir... " Le peintre Henri Mahé résumait ainsi, dans son
livre de souvenirs (Henri Mahé,
La Brinquebale avec Céline,
La Table Ronde, 1969),
la vie que menait en 1929 son nouvel ami, le docteur
Destouches, qui le quittait souvent en lançant " j'pars
écrire ! ", mais ne lui avait alors parlé que de "
littérature pharmaceutique ".
Mahé savait que le docteur Destouches, dès 1928, avait travaillé pour les
laboratoires Gallier, 38 boulevard du Montparnasse, et
avait mis au point quelques médicaments comme la
Basedowine contre la maladie de Basedow et les
règles douloureuses, ainsi que la Kidoline, huile
adrénalinée, contre le coryza du nourrisson.
Pour vanter la Basedowine, le peintre avait dessiné une vignette
publicitaire sous forme de culbuto tricolore. Une autre
publicité de l'époque unissait aux deux médicaments
précédents l'Arhémapectine Gallier,
antihémorragique par voie buccale. Depuis, on a
découvert, rédigées par le docteur Destouches, six
notices publicitaires concernant l'Arhémapectine,
lancé par Robert Gallier, et encore vendu aujourd'hui
par un autre laboratoire. (L'Année Céline 1998, Du
Lérot/Imec Editions 1999).
Le docteur Destouches ne s'arrêtait pas à la création du
médicament, mais s'impliquait dans sa publicité et dans
sa promotion. Lui-même se livrait au démarchage, prenant
des rendez-vous avec les médecins, allant de ville en
ville et montant les étages. Lui qui, de 1924 à 1927,
sous la direction de Ludwig Rajchman, avait été employé
à la Société des Nations pour le compte de la Fondation
Rockefeller, avait piloté aux USA et en Afrique des
missions de médecins, afin de créer des centres de
prévention. Avec enthousiasme, il s'était tant identifié
à l'idéal international prêché par Genève qu'il n'avait
pas compris qu'il empiétait sur le domaine réservé de
l'Amérique à Cuba et de l'Angleterre au Nigéria. Les
Américains puis les Anglais poussèrent à sa mise à pied.
Ludwig Rajchman dut s'incliner craignant des rétorsions
économiques. (Voir Fonctionnaires internationaux -
écrivains, n°1, L.F.Céline à la SDN, Th.D. Dimitrov,
Foyer européen de la culture, Genève-Gex, 2001).
Céline s'en souviendra dans L'Eglise, pièce
écrite en 1929, ébauche de Voyage au bout de la nuit,
et amorce de Bagatelles pour un massacre.
Récemment, lors d'une vente aux enchères, fut dispersée
une correspondance inédite du docteur Destouches avec le
propriétaire des laboratoires Cantin à Palaiseau. Robert
Gallier avait recommandé à son confrère René Arnold ce
docteur Destouches, alors employé comme vacataire au
dispensaire de Clichy. Le 12 juin 1931, contrat fut
signé entre Destouches et Arnold, stipulant que le
médecin toucherait une rémunération de 500 francs par
mois. Pour les laboratoires Cantin, le docteur
Destouches invente le comprimé Nican, contre la
toux, à base de serpolet et de coquelicot. Grand
insomniaque depuis la guerre, il met encore au point un
médicament contre l'insomnie, le Somnothyril - à
base de véronal et d'ésérine - dont il vante les
bienfaits dans un article au style moqueur.
Rien d'académique ou de compassé dans " L'insomnie des intellectuels "
qu'il donne à La Revue médicale de l'Est et que
nous reproduisons ci-dessous. Fidèle à ses modestes
débuts d'employé, de représentant en bijoux ou en
soieries, le docteur Destouches profite de ses congés
pour effectuer des tournées dans le Sud-Ouest, en
Bretagne et dans le Midi afin de placer le
Somnothyril ou les gouttes Nican. En
septembre 1931, il opère à Biarritz, en rêvant de
sirènes.
Le 14 avril 1932, Louis Céline, comme il signait alors,
déposait chez Gallimard et chez Denoël l'énorme
manuscrit de Voyage au bout de la nuit, leur
annonçant " du pain pour un siècle entier de littérature
". En mai, pour placer ses produits, le docteur
Destouches sillonne la Bretagne, se rend à Quimper, à
Saint-Malo, à Saint-Nazaire. Rien que dans la ville de
Brest, il visite 80 médecins. Le 30 juin, Céline signait
le contrat de Voyage avec Denoël. En juillet, il
est à Marseille et contacte 50 confrères. Il rentre fin
août à Paris, s'excusant de revenir si tôt à cause d'une
indigestion de homard qui l'a empêché de faire 20 autres
visites, mais il promet à son employeur de réparer cette
déficience, soit à Paris, soit en banlieue. Le 15
octobre Voyage au bout de la nuit gagnait les
librairies. On connaît la suite.
Jusqu'à la fin de l'Occupation, Céline touchera des
droits sur la vente de ses médicaments chez Arnold :
8000 francs en 1942, 4000 francs en 1943. De Copenhague,
dès le 29 septembre 1945, il écrira à Madame Arnold,
devenue veuve et très pieuse, espérant l'envoi de
quelque argent pour s'acheter un pantalon - n'en ayant
qu'un. Elle ne répondra pas à ses suppliques. Dans
Féerie pour une autre fois, Céline se souviendra
d'elle : " Madame Ouche qui me doit des millions... " A
défaut d'entrer au paradis où Céline lui donnait
rendez-vous, Madame Arnold est passée à la postérité.
(Eric Mazet, Céline Hors-Série n°4, Magazine Littéraire, 2002).
INEDIT - L'INSOMNIE DES INTELLECTUELS.
L'insomnie
légère ou tenace des intellectuels, l'insomnie
essentielle, ne se présente pas tout à fait comme celle
des autres sujets, des " manuels " par exemple.
Le plus souvent les intellectuels semblent prendre un certain goût
pervers pour leur insomnie, il entre dans leur cas une
forte participation de masochisme, de narcissisme... et
pour tout dire de littérature consciente ou
inconsciente. Ils finissent par n'aimer point qu'on leur
reprenne leur insomnie. Ils veulent bien la soigner,
certes, mais ils ne veulent pas tout à fait en guérir.
D'ailleurs en général, et moins que tout autre,
l'intellectuel ne veut perdre la moindre chose de ce qui
est lui-même, de sa chère signature, son nom chéri, sa
merveilleuse personnalité, et même son affreuse insomnie
!
Ne point croire cependant que la souffrance de ne pas dormir est dans son
cas feinte ou dérisoire ! Nullement ! Mais il est ainsi
fait l'intellectuel, ce malheureux, que tout ce qui lui
arrive est l'occasion d'une rumination mentale plus ou
moins formidable. Il n'en sort plus et ce qui est plus
grave, il préfère, atrocement, n'en pas sortir ! Le
voilà donc gentil et bien équipé par ces insomnies que
nous voyons, devenues entièrement angoisses et
terriblement conscientes, durer parfois toute une vie
!...
A ce moment plus on l'imbibera d'hypnotiques, plus il s'acharnera à
rechercher son insomnie à travers l'Hypnotique pour la
préserver, " abominable et merveilleuse torture ", de
toute atténuation. Triomphal, il vous arrivera le
lendemain du cachet, blême, tiré, suicidaire : " J'en ai
pris deux, Docteur, et je n'ai pu fermer l'œil
! " C'est qu'il a vaincu l'Hypnotique ! Il a sauvé sa
torture ! C'est un vicieux d'angoisse. Intellectuel =
masochiste.
Ne lui donnez pas de raison d'être malheureux en le traitant par des
Hypnotiques ordinaires. Il les aime trop ses malheurs.
Il les préfère en vérité à tout le reste de sa vie.
L'intellectuel s'entraîne aux insomnies à coup
d'Hypnotiques. Il arrive à la fin à retrouver son
insomnie à travers n'importe quel barbiturique. Il n'en
va pas de même avec le Somnothyril qui sensibilise le
cortex avec l'Esérine, brise d'abord le mentisme. Voilà
ce qui valait la peine d'être connu.
Dr L.-F. Destouches.
*******************
CONDITIONS DU DEPART.
Le
dernier temps fort de cette période est la violente
querelle qui l'oppose, en plein carrefour de l'avenue
Junot, à son " frère " Gen Paul. Celui-ci est de plus en
plus soucieux de préparer l'avenir en faisant oublier
ses fréquentations et ses clients de temps de guerre. Il
héberge pendant trois semaines un réfractaire du S.T.O.,
le jeune danseur
élève de Lucette Serge Perrault. Il se répand dans le "
village " en propos sur Céline destinés à se démarquer
de celui-ci. Il finit par l'attendre un matin à la
sortie de son immeuble et à lui faire une scène publique
dont les passants pourront témoigner. Ainsi pris à
partie, Céline n'est pas en reste d'invectives.
L'histoire a eu raison d'une complicité de dix ans. Mis
à part le repentir final qui ramènera Gen Paul pour un
furtif dernier adieu le jour du départ, cette scène est
le souvenir que Céline
emportera de lui en exil et pour
le reste de sa vie, puisqu'il ne le reverra jamais plus.
Il ne cessera non plus jamais de regretter la relation
unique qu'il avait avec lui.
Il s'est enfin décidé à partir, avec Lucette et le chat
Bébert désormais associé à leur destin, pour le seul
refuge qui reste possible pour lui, le Danemark, où
l'attend l'or mis en sûreté par Karen Marie Jensen. La
situation militaire et politique étant ce qu'elle est à
ce moment, il lui faut pour cela passer par l'Allemagne.
Le 8 juin, il obtient un passeport allemand, sans doute
par l'intermédiaire de Epting qui s'est adressé au
docteur Knapp, le responsable des questions de santé à
l'ambassade. (Lire, hors-série n°7, p.30). Dans
le même temps, il se fait établir une carte d'identité
française sous le faux nom de Deletang. Pour augmenter
la somme d'argent qu'il pourra emporter, il a vendu le
30 mai, pour l'ajouter au produit de la vente des
précédents, le manuscrit de la seconde partie de
Guignol's band, qui existe maintenant sous forme
dactylographiée. Moitié pour ne pas donner l'éveil,
moitié par une sorte de superstition, il tente de
limiter les bagages : " On reviendra ?? Je n'ose pas
penser qu'on ne reviendra plus - je n'ose plus penser
raisonnablement - on va laisser tout ainsi comme si on
partait en vacances. " (Cahiers de prison n°4).
Il
laisse donc en piles sur le dessus d'une armoire les
manuscrits inachevés de " La légende du roi Krogold " et
de Casse-pipe. Ils disparaîtront dans les jours
de la Libération, avant le moment où l'appartement sera
officiellement réquisitionné. Détruits par vengeance ou
ayant fait l'objet d'une appropriation ? Ils n'ont
jamais reparu depuis soixante-six ans. En revanche,
Céline, ayant laissé à Paris aux bons soins de Marie
Canavaggia un des deux dactylogrammes de la seconde
partie de Guignol's band, emporte l'autre dans
ses bagages. C'est le travail qu'il reprendra, sitôt
que, après avoir neuf mois durant traversé une Allemagne
à feu et à sang, il pourra revenir à la littérature.
Le 17 juin, ses bagages confiés à un commissionnaire, l'or qu'il a pu se
procurer mis en sécurité dans une ceinture qu'il porte
sur lui, il part avec Lucette et Bébert. " Il faut faire
vite - pas remarqués - Popol est tout de même là, on
l'embrasse - Il pleure - Il a bu - Il ne sait plus - il
claudique vers la Pomme [le bistrot que tient
maintenant Mireille, une des danseuses élèves de Lucette]
- un gros sac encore avec nous - la gare de l'Est -
L'affreux Knapp est là. " (Ibid). A toutes fins
utiles, Céline emporte avec lui deux flacons de cyanure.
(H. Godard, Céline, Biographies, Gallimard, 2011, p.359).
******************
L'AMBULANCE DE SARTROUVILLE.
Vient
la défaite. Céline accepte le 10 juin, à la demande du
maire, de faire partie sous sa direction d'un convoi qui
devait gagner Pressigny-les-Pins, dans le Loiret, où la
commune disposait de locaux. Il
s'agissait pour lui d'assurer avec l'ambulance
municipale l'évacuation d'une vieille femme et de deux
nouveau-nés. Cette demande, qui évitait à Céline
d'assister à l'entrée des Allemands dans Paris, était
sans doute bienvenue. Lucette, habillée en infirmière,
prend place dans l'ambulance. Celle-ci, vite séparée du
reste du convoi, cherche à se mettre en sécurité en
franchissant la Loire. Mais le 15, quand ils y arrivent,
le pont d'Orléans et la ville elle-même se trouvent sous
le coup d'un bombardement. Céline reçoit là une sorte de
baptême qui le marquera pour les années qu'il a encore à
vivre. Cette forme moderne de la guerre lance à partir
de ce moment un défi à son écriture pour la suite de son
œuvre.
Avec l'ambulance dont il a la charge, ils devront aller
le lendemain en amont jusqu'à Cosne-sur-Loire pour
passer le fleuve juste avant que le pont ne soit
détruit. De là, ils pourront aller jusqu'à Issoudun,
dans l'Indre, où ils confieront les enfants à une
antenne de la Croix-Rouge avant d'être rattrapés par les
bombardements, puis, le 19,
gagneront La Rochelle, où ils se sépareront de la
vieille dame.
Le 20 juin, Céline, s'étant mis à la disposition de la préfecture, fut
d'abord adressé par le médecin-inspecteur au port de La
Pallice : " Ce médecin qui est médecin sanitaire
maritime cherchant à être utilisé serait heureux
d'accepter n'importe quel poste, s'il y en avait un,
soit pour embarquement soit pour tout autre chose. "
(F. Gibault, tome II, p.211).
Ce document donne un certain fondement à l'allégation souvent reprise par
Céline après la guerre, selon laquelle il n'eût tenu
qu'à lui de passer en Angleterre (mais était-ce
alors son but, après tout ce qu'il avait écrit contre
l'Angleterre dans ses deux pamphlets ?).
Finalement, il se retrouva le 21 à Saint-Jean-d'Angély,
près de La Rochelle, dans un camp de réfugiés qui avait
été installé dans les bâtiments d'une usine, la
S.N.C.A.S.O. (Société nationale de constructions
aéronautiques du Sud-Ouest). Le médecin-chef de ce camp,
le docteur Vaudremer, s'était entendu avec la préfecture
de La Rochelle pour créer dans l'hospice de la ville,
avec l'aide de médecins affectés et logés sur place, des
conditions de soin qui éviteraient de garder au camp des
malades ayant besoin d'une hospitalisation. Cette
affectation ne dura que dix jours. Dès le 30, Céline,
Lucette et l'infirmier chauffeur reprennent avec
l'ambulance la route de Paris.
Le 14 juillet, Céline rejoint Sartrouville, où sa situation est ambiguë.
Lors de sa nomination, en février, il avait été stipulé
que le remplacement pour lequel il était engagé durerait
" pendant toute la période des hostilités ". (Lettre
du maire, Eric Mazet, Etudes céliniennes n°5, 2009,
p.31). Le titulaire n'a toujours pas rejoint son
poste, cependant les hostilités ont pris fin et, d'autre
part, un confrère a assuré le service de Céline pendant
l'absence de celui-ci. Petite confusion au milieu de la
confusion générale. Mais l'administration, elle, entend
reprendre la main.
Le 21 juillet, la préfecture de Seine-et-Oise envoie au maire de
Sartrouville une circulaire demandant si les médecins de
sa localité " sont restés à leur poste " au mois de
juin.
Sollicité,
Céline envoie une réponse cinglante dans laquelle il
établit qu'il est parti sur ordre du maire, et avec
celui-ci, qu'il a mis à l'abri les malades qui lui
étaient confiés, et ramené l'ambulance, le tout à ses
frais. Il termine en exprimant la pensée qui ne le
quitte jamais : " Je ne regrette rien. Curieux de nature
et si j'ose dire de vocation, j'ai été fort heureux de
participer à une aventure qui ne doit se renouveler,
j'imagine, que tous les 3 ou quatre siècles. "
(Lettre au directeur du Service de santé, préfecture de
Seine-et-Oise, 23 juillet 1940).
Cette aventure, que l'histoire nommera exode, il l'appelle lui la "
débinette ". Il ressent le besoin d'en parler sans
attendre. Dès le 2 août, il en donne un premier aperçu
dans une lettre privée : " Comme j'ai rampé, résonné de
mille bombes, tressauté de torpilles, dégueulé de
malheurs [...] tout au long de cette caravane hantée !
de Sartrouville à La Rochelle ! " (Lettre à Théophile
Briant, 1940).
(Henri Godard, Céline, Biographies, Gallimard, 2011, p.300).
*******************
MEDECINE LIBERALE A SAINT-GERMAIN-EN-LAYE.
Depuis
le mois de juin, déçu par ses remplacements
intermittents, Céline a décidé de tenter l'expérience de
l'ouverture d'un cabinet médical. Il a choisi
Saint-Germain-en-Laye, ville dont la situation en
surplomb au-dessus de Paris et par la forêt qui la borde
fait depuis toujours pour lui un lieu privilégié de
retraite. D'autre part, ses amis les Milon y tiennent un
commerce. Il loue au 15 rue Bellevue une petite maison
et pose la plaque : " consultation de 1 h à 3 h. "
De
manière inattendue, cette initiative lui procure un
moment d'optimisme. " Question médecine je vais
peut-être tout de même me défendre sur le tas, écrit-il
à Gen Paul. Si je faisais ma livre par jour je serais
aux anges. Tout sauvé ! J'ai déjà eu des clients ! Tout
à la médecine ! La tôle est en friche. Je ne fais pas de
frais. J'attends le client. Tu décoreras éventuellement.
La Pipe est au ménage, ma mère bourdonne, elle fait les
rues avec les cartes. " (Lettre du 4 octobre 1939).
En réalité, la coïncidence avec la déclaration de guerre
rend la tentative encore plus aventureuse. Elle leur
laisse à peine le temps de meubler une ou deux pièces,
dissimulant le vide des autres par des rideaux cloués. (Céline
secret, Véronique Robert avec Lucette Destouches, p.62).
Au bout d'un mois Céline renonce : comment s'enterrer à
Saint-Germain alors que va commencer le grand branle-bas
d'une guerre ? Il a quarante-cinq ans et a fait
confirmer sa réforme. Mais la mobilisation de septembre
offre à un homme comme lui la possibilité de nouvelles
expériences.
C'est peut-être un concours de circonstances qui l'oriente vers un
poste de médecin de bord. Gen Paul, dont la femme vient
de mourir, est à cette époque dans le Var, à Sanary,
chez un ami qui a des relations dans la compagnie
maritime Paquet, à Marseille. Muni de sa recommandation,
Céline pose sa candidature, exerce d'abord à terre pour
des campagnes de vaccinations, refuse un embarquement
pour le Pacifique qui le maintiendrait trop longtemps
loin de la France, finit enfin par trouver un poste sur
le Chella, bateau qui assure des transports de
troupes entre le Maroc et la France.
(Henri Godard, Céline, Gallimard, Biographies, 2011, p.297).
******************
TRAGIQUE FIN DU COMTE FOLKE BERNADOTTE, CELUI QUI
AIDA CELINE ET SAUVA DES MILLIERS DE JUIFS...
Citoyen
suédois, fils du prince Oscar Bernadotte, descendant
direct du béarnais Baptiste Bernadotte, cet officier de
cavalerie épousa Estelle Manville, franco-américaine,
consacra sa vie à des activités caritatives et présida
la Croix Rouge du Danemark.
Céline évoque souvent le comte Bernadotte dans sa correspondance et le
fait apparaître dans la trilogie allemande.
" C'est le train de la Croix-Rouge suédoise, il remonte
en Suède par Flensburg... bien sûr y a des amateurs !...
[...] mais il semble déjà plus que plein... [...] les
enfants suédois et leurs mères qu'on rapatrie,
qu'étaient en Allemagne... " (Rigodon).
Les
époux Destouches, disposant d'autorisations
administratives grâce à la filière allemande, étaient
cependant confrontés à un problème de transport dans une
Allemagne désorganisée. C'est donc dans un train affrété
par la Croix-Rouge suédoise
qu'ils purent atteindre Copenhague.
Lucette Destouches ne nous dit rien de précis sur les conditions d'accès
à ce convoi. " Je suis tombée sur la voie ferrée, le
train s'est alors arrêté, on a bien voulu me prendre ".
(Céline secret). Il est vraisemblable que la double
qualité de médecin et d'ancien combattant de Céline lui
a permis de monter in extremis dans un
compartiment. Céline a également pu se recommander
auprès de Bernadotte de son passé à la Société des
Nations, comme de ses relations avec l'épouse du docteur
Bécart, avec laquelle le Suédois, de souche française,
était lointain parent.
"
Notre Croix-Rouge, le nôtre, fut bath... ".
Céline
remercia Bernadotte dès son arrivée au Danemark. Dans
Rigodon, la scène se situe un matin dans l'entrée de
l'Hôtel d'Angleterre :
"
Drôle à cette heure-ci, si tôt, un genre d'officier
suédois... en kaki. Il vient d'arriver de Berlin... Un
homme dans la quarantaine... pas défraîchi, ni
poussiéreux, même en belle tenue et bien rasé !... Comte
Bernadotte ! Croix-Rouge !... Il remonte de Potsdam
voir Hitler !...
J'en demande pas tant !... j'ai rien demandé... que peut nous foutre ?...
il remonte en Suède ? "
On
ne sait si en mars 1945 Bernadotte revenait de Potsdam
où il aurait rencontré Hitler, mais dès la mi-février,
il avait servi d'intermédiaire en Suède entre les
dirigeants du Congrès juif mondial et le docteur Kersten,
représentant d'Himmler, pour obtenir la libération d'un
certain nombre de Juifs. Le 12 avril, il se rendra à
Hohenlychen et obtiendra de Kersten la promesse que plus
aucun Juif ne sera exécuté. Le 21, Bernadotte
rencontrera encore le général Walter Schelleberg, autre
envoyé d'Himmler, et obtiendra l'évacuation des internés
norvégiens et danois. Le 23, Himmler tentera en vain de
négocier par son intermédiaire une paix séparée avec les
forces américaines, mais le même jour les premiers chars
soviétiques entraient dans Berlin. Bernadotte hébergera
chez lui le général Schelleberg.
Nommé en mai 1948 médiateur de l'O.N.U. en Palestine,
Bernadotte fut assassiné le 17 septembre dans le secteur
israélien de Jérusalem par Yehoshua Cohen, fondateur du
kibboutz S. de Boker, et confident de Ben Gourion, sans
aucune considération pour le sauvetage, par trains
entiers, des juifs arrachés in extremis à la
barbarie nazie. Yitzhak Shamir, qui fut depuis Premier
ministre d'Israël, commandita cet assassinat, car il
considérait Bernadotte comme trop " pro-arabe ". A
plusieurs reprises, Céline fera allusion à cette fin
tragique.
(Eric Mazet, Pierre Pécastaing, Images d'exil, Du Lérot, 2004).
****************
LETTRE à JEAN LESTANDI (AU PILORI).
" Cher Lestandi,
Vous me demandez pourquoi je n'écris plus ? Vous êtes
bien aimable. Ma réponse est simple. Ce qui est écrit
est écrit. Jamais de redites. Ce qu'il faut écrire, rien
de plus, au juste moment. Le moment passé, le danger
passé, place aux commerçants ! Aux chiens et aux moutons
! Aux vendeurs de tout ! Aux bêleurs en tout ! Il faut
de tout pour faire un monde !...
Il faut quelques écrivains, et puis il faut des négociants, et puis
quantité de chiens, et encore plus de moutons. Que la
troupaille aboye et bêle ! Il le faut. Il faut des
diffamateurs, des bourriques, des innommables. J'en ai
toujours, pour ma part, une bonne meute au cul. Que ce
soit sous Blum, Daladier, Monseigneur Zazou ou Laval,
leur nombre est à peu près constant. Si je devais leur
botter le derrière je marcherais nu-pieds depuis
toujours. Chétifs, chafouins, cafouilleux, je les vois
débuter, partir, et puis prospérer, resplendir,
l'écuelle aidant, pontifier. Ainsi va la vie.
J'en ai connu d'extraordinaires, le Juif Sampaix parmi
tant d'autres, diabolique d'astuce. Il me réclamait au
poteau chaque matin (dessin par Cabrol
1) sur quatre
colonnes dans l'Humanité (un million de
lecteurs). Il m'avait vu, de ses yeux vu, porter chez
Bailby 2
(!) bras-dessus, bras-dessous avec Darquier, mon plan
détaillé de révolution nazie pour la banlieue
parisienne. Une paille !
Ceci se passait sous Mandel. Je sortais de correctionnelle. Il citait
même, pour l'affolement de ses lecteurs, des passages
entiers de ce document pépère. Quel texte ! à faire
fusiller tous les " rapprochistes " d'Europe pendant
trois, quatre siècles à venir. Comme il est normal
lorsqu'on se paye de tant d'audace, que l'on chatouille
de tels destins (tous les Celtes me comprendront), ce
Sampaix devait mal finir, - même la juiverie a ses
limites, - ce Sampaix finit fusillé.
Je me comprends. J'encourage toujours la diffamation, je
l'aime. C'est ainsi que se confectionnent, je trouve,
tout à fait spontanément, les plus solides poteaux et
les plus courtes cordes.
Il
est un petit clan actuel, il grossira, l'écuelle
copieuse, qui me veut soudain devenu anti-allemand et le
va chuchoter partout, et pour mieux m'accabler encore :
anarchiste.
" Anarchiste " est un bon poignard, toujours facile à placer. Le mot
suffit, il enfonce. Revanche des larbins. Lâcheté, sueur
froide, pétante de tickets, et faux !
Céline n'est pas " constructif ". Constructif avec quoi ? Avec ces cacas
? Pensez donc ! Vive ce petit clan ! Il me botte ! Tout
fait charogne dans cette racaille : Juifs, antisémites,
vieux Maçons, indicateurs de partout, jeunes ratés,
soupirants du Front popu, camouflés de tout, marchands
d'étiquettes...
Ah ! me supprimer ! Quel rêve ! Place nette ! Pensez
donc, un tel témoin ! Les rats dansent d'avance ! Quelle
volupté ! Un buveur d'eau ! La Mémoire elle-même ! Le
Commandeur ! La statue ! Depuis 36 que l'on me cherche !
M'aurait-on trouvé ?
Ah ! pas encore, chers crapauds ! J'ai pris à tous vos poids, sous Blum !
Hardi, mignons ! Et sous Patenôtre
3 ! Et sous
Prouvost 4
! Ma collection est complète ! Allez-y, petits ! Chargez
! Du cran ! Je vous pèserai tous encore ! Dans votre
petite boîte ! Au petit jour pas très lointain.
Je vous trouve encore un peu maigres.
Ah ! les beaux temps de Kérillis 5
! Quels mauvais conseils l'emportèrent ? J'y songe !
Quelle situation serait sienne en ce moment ? Quel "
collaborateur " maison ! Quelles relations européennes !
Quel Européen !
Je connais des " Européens " qui ne lui vont pas à la
cheville pour l'invention et la fripouille, même des
ex-membres de la L.I.C.A., même des francs-maquereaux de
toujours (je possède la liste). Demain, je les vois tous
racistes ; ils le sont déjà, les mêmes. Racistes avec
qui ? Mais avec les Juifs, parbleu ! Camouflés à peine,
d'une nouvelle teinte, l' " aryano-juive ". La grande
trouvaille, l'inédite !
Nouveau conformisme, nouveaux chiens. Antisémitisme d'Etat à 90 % youtre,
bienséant, conforme, mesuré. Le conformisme mène à tout,
et puis au retour de Lecache. Lecache l'Attendu, puis
Blum. J'en connais qui tiennent le pavé, magnifiquement
adulés, collaborateurs officiels, quasi-dieux, et qui
furent, à quelques saisons, pistoleros à Barcelone,
idoles dansantes aux massacres !
Rien n'est impossible !
"
Tel " vieux clown nous inflige une Histoire de France,
maçonne et sémite, j'imagine. Pourrait-il faire mieux ?
Grand ami de Bernard Lecache, grand protecteur du
Tout-Métèque, grand conférencier en Loge, membre
d'honneur de L.I.C.A. ? Il s'agit bien, assurément, d'un
tribut d'hommage, au terme d'une fameuse carrière. Trois
batteries pour la galipette ! La mystique est en bonne
voie ! Déjà, toute la presse jubile, exulte, frétille de
volupté ! " Tel " se croise ! France est sauvée !
J'attends que son œuvre
figure au programme de toutes les écoles, avec
commentaires de Reynaud.
Tout se voit, cher Lestandi, sauf le temps remonter son cours. Il se fait
tard à ma pendule. Il est permis à l'honnête homme de
perdre dix minutes, aux chiens, pas davantage.
Distraction.
N'est-ce point déjà gaspillage, 720 battements de cœur,
et de cœur loyal, perdus à
l'étrille, à la verge, de ce quarteron de puants,
gratteux pustuleux à susuque ?
Allons, Lestandi ! A la pêche !
Je ne me gêne pas avec vous.
Je ne me gêne avec personne.
D'ailleurs, je peux me permettre certaines libertés. J'ai payé ce droit
fort cher, en temps opportun, à la 12° Chambre. Nous
sommes assez peu dans ce cas.
" Collaborateur " ardent, certes, mais libre, absolument LIBRE, et non
salarié de la chose, je suis chatouilleux sur ce point.
Tenant, Dieu merci, d'une race qui donne et ne reçoit
jamais. Telle est ma loi, et je n'observe que la mienne.
L'anarchie, toujours.
On me fait volontiers grief de bouder les assemblées...
Je n'y rencontre que des Juifs... On m'y trouve mal
habillé... N'est-ce pas, Monsieur Ménard
6 ?
Je boude, paraît-il, la Légion 7...
Merde ! N'étais-je point tout le premier à la réclamer sous Blum ?
Et le mariage franco-allemand ? Et l'armée franco-allemande ? A l'écrire,
à le hurler pour 100 000 lecteurs ? Et le président de
la 12° ? (qui m'en dit ce qu'il en pensait).
Combien de ces rutilants membres du fameux Comité d'honneur peuvent en
dire autant ?
Une thune !
Vais-je me rabâcher ? Suis-je à ce point gâteux pour écrire sous moi ?
Au surplus, à parler tout net, recruter n'est point mon
fait. On y va ou on n'y va pas... La vaillance ne se
prêche pas, elle se montre et se démontre par le
sacrifice personnel. Ni plus ni moins.
L'horreur des paroles héroïques !
Si l'on possède un alibi, quelque varice, est-ce là très valable raison
pour pétuler de la trompette entre chambrière et tilleul
? Et si l'on gambille, juvénile, fredain du jarret,
dépêcher les autres à la pipe, est-ce gaulois ?
Je me demande.
La viande d'autrui, quelle vilaine dette !...
Décence ! Un 75 % vous parle, sait ce qu'il dit. Nous, qui avons connu
Barrès, Viviani 8,
Poincaré, Cherfils 9
et, plus tard, Gallus 10
! Bidou 11
! Quels souvenirs ! Quels laids fantômes ! Dieu me garde
de les rejoindre !
Ah ! qu'il est donc difficile de faire apprécier la pudeur, par les temps
qui courent, où l'Obscénité tient bazar, où tout
l'Olympe racole au Cirque !
Byzance, ami ! Byzance !
Nous méritons Timochenko 12
et ses hordes kirghises ! Occasion perdue !
Qui donc nous opérera ? De quelle technique ? Quelle
incision ? L'Avenir est tout opératoire.
Tout ceci, d'ailleurs, est écrit. Nous sommes parvenus au Verseau tout
récemment. Nous allons changer de régime pour au moins
deux mille bonnes années.
Bouleversement de fond en comble dans les mœurs
et dans les Etats. Nous allons changer de tout ! Et de
religion !
Voyez que je suis averti ! Partez tranquillement à la pêche. J'irai
peut-être vous y rejoindre.
Ami, notre saison s'avance !
Nous entrons dans un autre monde, demi morts déjà, si j'ose dire, de
fatigue.
Caron nous doit un petit coin.
Une friture de Styx !
Non, je ne serai jamais triste, mort ou vivant !
L'âme légère, je vous salue !
L.-F. CELINE "
1-
Dessin intitulé " La Horde munichoise " et paru dans
l'Humanité du 16 juillet 1939.
2- Léon Bailby, l'un des grands patrons de la presse parisienne de
l'entre-deux guerres et qui, après avoir été évincé de
la direction de L'Intransigeant, créa Le Jour (1933).
3- Raymond Patenôtre, propriétaire de nombreux quotidiens régionaux dont
Lyon républicain et Le Petit Niçois.
4- Jean Prouvost, propriétaire de Paris-Soir, le plus grand quotidien
français d'avant-guerre.
5- Henri de Kérillis, journaliste, député de droite qui a voté contre les
accords de Munich et s'exila aux USA en 1940.
6- Probablement Jacques Ménard, rédacteur en chef du Matin.
7- Des volontaires français (L.V.F.).
8- René Viviani (1863-1925) député socialiste et ancien président du
Conseil.
9- Maxime Cherfils, général, rédacteur à L'Echo de Paris durant la
première guerre mondiale.
10- Pseudonyme d'un journaliste de l'entre-deux guerres.
11- Henry Bidou, journaliste et homme de Lettres.
12- Maréchal soviétique, compagnon d'armes de Staline,
responsable de l'occupation de la Pologne en 1939.
(Cahiers
de la NRF, Céline et l'actualité (1933-1961), Gallimard,
janvier 2003, p.168).
***************
MENACES DE MORT ANONYMES.
S'il a quitté Paris pour le Danemark en juin 1944,
c'est parce qu'il ne cessait de recevoir (comme moi), à
son domicile, des lettres anonymes de menaces de mort.
De ces lettres anonymes qui resteront le moyen sacré de
cette société nouvelle. Prévoyant les évènements, il
pressentait aussi que ces menaces - anonymement écrites
- seraient autant - anonymement exercées durant les
jours d'insurrection parisienne, et que son assassinat
(pour cause littéraire d'avant-guerre) passerait
alors aisément pour un accident insurrectionnel,
beaucoup plus involontaire que le procès venteux qu'on
lui fait aujourd'hui.
Voilà ce que la Vérité exige qu'on affirme devant le
tribunal, devant Dieu et ce qui reste d'hommes et même
devant les masques.
- Qui l'aura ?
Je souhaite pourtant, du bout de l'incrédulité, que quelques anciens amis
et connaissances de Céline témoignent de sa rectitude
française devant l'Occupation. D'une part. Et d'autre
part, que les quelques collaborateurs qui sont libres et
qui l'ont connu à Sigmaringen, ou su, en Allemagne, si
déprobateur [sic] et si distant, aient le courage de
venir à la barre, ou de l'écrire.
Mais Diogène a vendu sa lanterne à " Tonton " !... et Tonton, lui, ne
cherche plus d'hommes, il en a tant ! et tantes !
A toi
Robert Coquillaud
Robert Le Vigan
1er février 1950
(Robert le Vigan, Lettre sur Louis-Ferdinand Céline, Le Lérot rêveur
n°24, 1979, in D'un Céline l'autre, D. Alliot, p.700).
**************
LE SEUL QUE J'AI RATE, C'EST CELINE.
Nous entrons dans la ligne droite. Je suis dans
l'antichambre de Gallimard. C'est Paulhan qui me reçoit,
et me demande des nouvelles de Céline. Il parle d'un tas
de choses, de l'épuration, des rigueurs de l'exil, du
mauvais temps. Un homme traverse le hall, et comme je le
regarde, Paulhan me dit de cette voix frêle qui
ressemble à celle de Léon Blum : " C'est le terrible
Boris Souvarine... "
Il
se lève et s'assied, un derrière et un ventre un peu
volumineux. Il continue à me parler avec amabilité
jusqu'au moment où une secrétaire vient me chercher.
C'est la première et la dernière fois que j'ai approché
le célèbre Gaston, et j'en garde un souvenir admiratif.
Il a fait les gestes qui convenaient, il a dit les mots
justes... tout ce qu'il fallait pour envelopper
l'affaire, du travail propre, sans bavure...
Il se doutait bien qu'on était disposé à traiter avec
lui... Il n'a pas cherché à exploiter son avantage. Pas
très grand, vêtu de noir avec un nœud
papillon, il me faisait penser à un chef de rang chez
Prunier. Après m'avoir prié de m'asseoir, il me
regarda en souriant. Il s'est bien passé une dizaine de
secondes sans qu'il y ait entre nous autre chose que ce
sourire. Et puis il a parlé. Avec une habileté suprême
et une fausse humilité géniale : " Je serais si heureux
de pouvoir éditer Céline... J'ai eu chez moi les plus
grands noms de la littérature, Gide, Claudel, Faulkner,
Valéry... Tous ! Et le seul que j'ai raté, c'est
Céline... Oui, j'ai raté Céline... C'est une faute, une
erreur... Alors vous comprenez bien qu'aujourd'hui, je
ferai ce qu'il faudra pour l'avoir ! "
Deux jours plus tard, je prends l'avion (la première
fois de ma vie, aux frais de Gallimard) pour Nice, avec
en poche le bon contrat où toutes les exigences de
Céline sont satisfaites.
(Pierre Monnier, Ferdinand Furieux, Lausanne, L'Age d'Homme, 1979,
p.190).
**************
IL A ETE STUPIDE...
Je l'interroge sur la genèse de son
antisémitisme : il me dit que dans la clinique où il
avait travaillé autrefois, les
communistes avaient d'abord essayé de le convertir du
fait qu'il leur fallait quelqu'un pour écrire leurs
slogans (Barbusse était déjà trop vieux à l'époque) et
parce qu'ils pensaient, après le succès fabuleux du
Voyage (salué à la fois par Léon Daudet et la
Pravda de Moscou) qu'il ferait un bon propagandiste.
Mais après le récit désabusé de son voyage en Russie, Mea culpa,
les communistes l'avaient pris positivement en haine et
avaient tenté de le déloger de la clinique.
A cette fin, ils avaient installé à tous les postes
disponibles de cet établissement des docteurs
communistes qui tous étaient des Juifs, semblait-il ;
non seulement des Juifs français, mais russes et
polonais. " Alors je me suis dit : je vais donner une
raclée aux Juifs. Mais j'étais stupide. Ce n'était pas
raisonnable du tout. "
(Milton Hindus, L.-F. Céline tel que je l'ai vu, L'Herne, 1969).
*************
LES NOUVEAUX
JUGES...
L'affaire Céline me permit de prendre contact en France
avec deux éminents avocats. L'un appartenait à cette
nouvelle génération
qui est moins attachée à la rhétorique, et il dédaignait
les effets spéculatifs à la barre ; l'autre était un
héritier direct de Cicéron, qui semblait toujours porter
une toge invisible.
J'eus également l'occasion de m'entretenir à quelques reprises avec un
troisième grand avocat français. C'était aussi un homme
politique connu, mais il disparut rapidement de la scène
publique. J'avais pu auparavant constater le respect, où
entre presque de la superstition , qu'inspire à beaucoup
de Français et de Françaises - grands et petits - un
maître du barreau.
J'avais aussi mes entrées au Palais de justice, où il me
fut donné d'assister à quelques procès de
collaborateurs, de parler à des présidents, des juges,
des procureurs, des commissaires, à maints et maints
autres gens de robe, et de noter l'amertume,
l'impuissance, la rancune et l'envie des vieux
magistrats devant la toute-puissance classe des jeunes
juristes qui, forts de leurs liens avec la Résistance,
condamnaient à mort et à la réclusion à perpétuité pour
les besoins de l'opinion, de leur propre avancement et
de leur publicité.
Allons, on a déjà vu cela dans les autres vieux Etats fondés sur le
principe de la justice - Danemark inclus !
(Thorvald Mikkelsen, D'un Céline l'autre, Laffont, D. Alliot, p.775).
****************
UN GENIE AU BRENNER'S HOTEL
(Maud
de BELLEROCHE).
Nous arrivons vaille que vaille à Baden-Baden au
mois d'août 1944, et nous sommes logés au Brenner's.
Céline et Lucette y étaient déjà depuis plusieurs
semaines. Au Brenner's, il faut le dire, l'ambiance
était incroyable. C'était un palace extraordinaire.
Incomparable. Il y avait un décorum impressionnant, mais
quelque peu démodé. Le service était impeccable, mais il
n'y avait pas grand-chose dans les assiettes. Au menu il
n'y avait que des rutabagas, des navets et de petites
côtelettes, mais admirablement bien présentées.
Le soir, on s'habillait, on jouait les élégants. Tout le monde, sauf
Céline. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'on le
repérait très vite au Brenner's. Il était habillé
n'importe comment avec des couleurs improbables.
J'avais lu Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit
et Bagatelles pour un massacre, mais je ne
l'avais, lui, jamais rencontré auparavant. Il avait un
regard irradiant, et il se promenait et vitupérait
contre Pétain en gesticulant dans tous les sens. Il faut
bien dire qu'il hurlait très fort ce que tout le monde
pensait tout aussi fort... Mais pour autant que je m'en
souvienne, il
n'écrivait pas.
[...]
A Baden-Baden, l'ambiance était survoltée. Beaucoup
étaient résignés et se considéraient comme les "
perdants " de l'histoire, mais certains y croyaient
encore. Rapidement, les Allemands nous ont demandé de
travailler ou, du moins, d'être utiles à quelque chose.
Comme j'avais un peu d'expérience dans la pharmacie,
j'ai travaillé comme étudiante préparatrice dans une
pharmacie de Baden-Baden. Mais je n'était pas très
douée, cela faisait deux ans que je n'avais plus
pratiqué, et je crois que j'ai été plutôt maladroite
dans les doses. Dans cette intervalle, je croise Céline,
et je lui raconte en riant qu'à cause de mes
préparations pharmaceutiques j'ai dû abréger la vie de
certains collaborateurs et que j'étais entrée dans la
Résistance bien contre mon gré ! Le moins que l'on
puisse dire, c'est que ça l'a fait rire... C'était la
dernière fois que je le voyais.
[...] Un jour, en lisant Nord, je me découvre
personnage de roman... Ce que je peux vous dire, c'est
que tout au long de ma vie, des écrivains et des hommes
de talent, j'en ai rencontré beaucoup. Mais des génies,
un seul ; et ce génie c'était Céline. Et un génie comme
celui-là, on n'en rencontre pas tous les jours ! Je peux
vous le dire...
Dans les années 1950, je me suis rendue à Meudon avec un ami journaliste,
mais au moment d'entrer, on n'a pas osé. Plusieurs
années étaient passées depuis notre dernière rencontre.
Je pense que l'on aurait été heureux de se revoir, on
serait tombés dans les bras l'un de l'autre, mais avec
le recul, je ne le regrette pas. Pour Céline, j'aurai
toujours vingt ans.
(Maud de Belleroche, propos recueillis par David Alliot le 4 mars
2008, D'un Céline l'autre, p.689).
*************
IL FREQUENTAIT LES ISRAELITES EN GRAND
NOMBRE.
Toutefois au long des années jusqu'en 1936 et au
comble de notre commune amitié, je n'ai jamais connu
L.-F. en proie à une obsession antisémitique, ni
soucieux de diatribes sur ce sujet. Pas plus que je ne
l'ai vu en garde contre des sympathies
envers
les israélites qu'il fréquentait en assez grand nombre -
une liste n'est pas si brève des juifs qu'il avait
plaisir à fréquenter - vos recherches ont dû vous en
instruire.
Par ailleurs, je vous suggère de vérifier si le docteur Semmelweis qu'il a
honoré d'une thèse chaleureuse n'appartenait pas au
peuple élu. Eût-il nourri quelque agressivité contre les
juifs avant 1936, je ne vois pas qu'il y en ait eu trace
dans son œuvre
d'imagination, où aucun des personnages n'est stigmatisé
ni caricaturé en tant que juif pour autant que mes
souvenirs soient exacts.
[...]
Pour moi, rien ne vient démentir ma supposition que
l'antisémitisme de L.-F., véritable traumatisme
idéologique, lui est venu à une époque où ce microbe
devenait virulent même en France et a trouvé un terrain
réceptif en un cerveau érodé par la douleur physique et
l'insomnie chronique.
Ajoutez que la nature même de son génie était faite pour accueillir toute
occasion de déployer un lyrisme extravagant, quasi
apocalyptique où la raison n'était plus qu'une entrave à
la pyrotechnie de son flamboyant vocabulaire.
(Lettre de Jacques Deval à Philippe Alméras, 29 avril 1969,
Dictionnaire Céline, Paris, Plon, 2004, p.279).
*************
LE METISSAGE ET LA RELIGION CHRETIENNE.
Dans
son livre-testament (1),
Dominique Venner évoque Céline et plus particulièrement
Les Beaux draps, " ce curieux livre qui délivrait
un message furibard à l'encontre de la prédication
chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu'il
méprisait ". Et de citer la fameuse sortie de Céline
visant " la religion de " Pierre et Paul " [qui] fit
admirablement son œuvre,
décatit en mendigots, en sous-hommes dès le berceau, les
peuples soumis, les hordes enivrées de littérature
christianique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête
du Saint-Suaire, des hosties magiques, délaissant à
jamais leurs Dieux, leurs religions exaltantes, leurs
Dieux de sang, leurs Dieux de race. (...) Ainsi, la
triste vérité, l'aryen n'a jamais su aimer, aduler que
le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de
religion blanche. Ce qu'il adore, son cœur,
sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses
pires ennemis. "
Venner observe avec pertinence que, dans un langage
différent, Nietzsche n'avait pas dit autre chose. Cet
été, Anne Brassié, dans un quotidien fervemment
catholique, a adressé une lettre post-mortem à Venner
(2).
N'ayant jamais lu Les Beaux draps, la biographe
de Brasillach précise qu'elle ne connaissait pas ce
texte et s'insurge contre cette attaque frontale de la
religion chrétienne, d'autant que le païen Venner la
faisait sienne mutatis mutandis.
Encore faut-il préciser ce qui, pour Céline, constituait le crime des
crimes : " La religion catholique fut à travers toute
notre histoire, la grande proxénète, la grande
métisseuse des races nobles, la grande procureuse aux
pourris (avec tous les saints sacrements), l'enragée
contaminatrice ".
Céline, défenseur résolu du génie de la race et de son
intégrité, reprochait à l'Eglise de favoriser le
métissage par sa doctrine égalitaire. Après avoir vu un
de ses textes censuré par la presse doriotiste, il tint
à faire connaître la phrase
caviardée : " L'Eglise, notre grande métisseuse, la
maquerelle criminelle en chef, l'antiraciste par
excellence. "
L'antienne n'était pas nouvelle. Quatre ans plus tôt, dans L'Ecole
des cadavres, il vouait aux gémonies les "
religions molles ". Et précisait déjà : " Vive la
Religion qui nous fera nous reconnaître, nous retrouver
entre Aryens, nous entendre au lieu de nous massacrer,
mutuellement, rituellement, indéfiniment. "
Anne Brassié admet que " la violence de Céline est
née de sa terrible clairvoyance, l'Europe s'engageant
dans une seconde guerre civile après le premier suicide
de la guerre de 14-18 ". Cela étant, elle rétorque : "
Sont-ce vraiment les chrétiens qui ont préparé ces
guerres ? Qui furent envoyés au front pour mourir, dès
1914, en première ligne ? Les paysans bretons,
catholiques, les officiers français catholiques et le
premier d'entre eux, Péguy. "
Mais pour Céline, la religion chrétienne est une religion juive
facilitant les grands massacres en anesthésiant les
peuples ainsi aliénés (3).
Si Céline est antinationaliste c'est parce qu'il
considère que les nations sont manipulées et
génératrices de guerre. Pour lui seule la race est
capable d'éradiquer la nation, d'où cette vision du "
racisme " perçu comme antidote au nationalisme. Cette
conviction peut aujourd'hui être ignorée et dissociée de
son esthétique. Il n'en demeure pas moins qu'elle fut
sienne.
(1) Dominique Venner, Un
samouraï d'Occident, Le Bréviaire des insoumis, Ed.
Pierre-Guillaume de Roux, 2013.
(2) Anne Brassié, " Un samouraï d'Occident ",
Présent, n° 7899, 20 juillet 2013.
(3) Nietzsche considère que le christianisme représente
le judaïsme " à la puissance deux " (La
Volonté de puissance, 1887), dans la mesure où
l'esprit judaïque s'y est universalisé.
(Marc Laudelout, BC
n° 355, sept. 2013)
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LE DOCTEUR PARKER, collègue de Louis-Ferdinand Céline
au dispensaire de Clichy.
J'étais
aux syphiligraphies. Destouches venait me voir : " T'as
encore beaucoup de cht'ouilles à soigner ? "
Mon impression : sonné par la guerre. Pas de politique.
Autres collègues : Dr Medioni, parti avant la guerre au Mexique. Sculpteur
puis diplomate. A pris sa retraite comme ministre
plénipotentiaire. Habite actuellement boulevard
Saint-Michel.
Dr Gozlan ? le voyait au-dehors. Est mort.
Dr Ichok. S'est suicidé au début de la guerre. De gauche. Etait aux
Etats-Unis. Est rentré en France. Avait senti le
déferlement nazi et les campagnes antisémites...
Un
médecin de la rue Fanny gagnait 2 000 francs actuels.(1)
Le dispensaire a ouvert le 1er
janvier 1929. Dr Destouches, Mme Howyan. Son infirmière
: Mme Bonin (communiste), Mme Stepa. En 1929, la mairie
de Clichy est communiste. M. Nel, le 1er adjoint,
suicidé. En 1934, la mairie devient socialiste.
Au moment du prix Goncourt, Destouches, Medioni, Gozlan attendent les
résultats dans un bistrot.(2)
Destouches n'était pas médecin-chef mais chargé de la
médecine générale. Le médecin-chef était le Dr Ichok qui
était en même temps le directeur des services d'Hygiène
et des services sociaux de Clichy.
Ichok, " ce médecin sourd qui venait de Russie ". En très bons termes
avec le député Grumbach. S'est suicidé place des Ternes,
dans un café. A la strychnine. Incinéré. Avait voulu se
débarrasser d'une doctoresse Weinbaum, gynécologue, qui
l'a poursuivi en Conseil d'Etat et a gagné. Hygiéniste.
Ne faisait pas de clientèle. A créé la première chaire
de statistique médicale aux Hautes Etudes.
Céline ne s'intéressait pas des tas à son dispensaire. Ichok, beaucoup.
Il est possible que le Dr Ichok, après Bagatelles, l'ait eu
mauvaise.
Pernal : agent technique du dispensaire, communiste déporté.
(1): En 1969 : environ 12 000 francs ; en 2003 :
1846 Euros.
(2): Selon Colette Turpin-Destouches, Céline attendait l'attribution du
prix Goncourt aux alentours de la place Gaillon, avec
elle et sa mère.
(Témoignage oral du Dr Parker,
confrère, sur les activités du Dr Destouches recueilli
par Philippe Alméras, Dictionnaire Céline, Plon, 2004,
p.282).
**************
LES DESSOUS DU PROCES : GAULLISTE ET BEARNAIS.
Avant
de connaître personnellement Céline, j'ai travaillé sur
son dossier auprès de Me Tixier-Vignancour. Après le
jugement, et la condamnation de Céline par contumace, Me
Albert Naud était tombé en " disgrâce " auprès de
Céline, et c'est Me Tixier-Vignancour qui a
progressivement pris la suite.
En 1951, nous avons profité d'une modification législative avec la
suppression des Cours de justice, et les dossiers ayant
trait à l'épuration étaient transférés aux tribunaux
militaires. Suivant les dispositions législatives
nouvelles, il était possible d'amnistier d'anciens
combattants de la guerre de 1914-1918 pour les délits
les moins graves, soit une condamnation de moins d'un an
de prison. Céline entrait dans cette catégorie.
Au
moment du procès, le commissaire du gouvernement était
le colonel René Camadau, qui faisait son possible pour
que le règlement de ces derniers dossiers se passe sans
trop de dégâts.
Il faut néanmoins préciser quelques éléments concernant le colonel
Camadau, qui en 1951 avait une longue carrière de
magistrat militaire. En 1944, André Camadau était en
poste en Algérie, et il y avait eu un attentat contre le
général Giraud. Camadau avait été chargé de l'enquête,
et rapidement les soupçons se sont portés sur
l'entourage proche du général de Gaulle. Bien entendu,
Camadau a été dessaisi de l'enquête, et il en a conçu
une certaine rancœur et a
promis de rendre aux gaullistes " la monnaie de leur
pièce ". Et c'est ainsi qu'il se " vengeait " des
gaullistes en atténuant les rigueurs des procès
d'épuration. L'autre élément important était que Camadau
était béarnais, comme Tixier-Vignancour... Ils se
connaissaient bien et ils étaient très amis... Cela a
joué dans cette affaire.
Donc, avec Tixier-Vignancour, nous préparons le dossier
de Céline. Notre objectif est d'obtenir l'amnistie. Et
le coup a été habilement mené. Le dossier est mis au nom
de " Louis Destouches ". Comme Céline était encore en
exil au Danemark et qu'il refusait de rentrer, on ne
pouvait pas mettre sa véritable adresse. Donc, pour plus
de discrétion, " Louis Destouches " a été
domicilié rue de Turenne, chez Me Turmel, un huissier
qui produisit un certificat. Enfin, le dossier fut
solidement ficelé - pour éviter à quiconque d'avoir la
tentation de l'ouvrir - et on l'a présenté au milieu
d'autres dossiers, histoire de ne pas attirer
l'attention. Et sur le dossier figurait le document que
le président du tribunal n'avait plus qu'à signer.
C'était un dossier en " requête écrite ". En théorie, on
devait remettre le dossier avec les pièces écrites au
président, qui devait le lire et accorder ou non
l'amnistie. Mais la réalité était quelque peu
différente. L'avantage de la " requête écrite " était
que les débats n'étaient pas publics. Le commissaire du
gouvernement se réunissait avec le président du tribunal
et les assesseurs et ils évoquaient brièvement les
dossiers à traiter.
Le président du tribunal était M. Roynard, qui était un
honnête homme, très méritant, affable, chrétien
pratiquant, père de nombreux enfants, etc. Mais pas
d'une culture générale extraordinaire. Et il avait
confiance en Camadau. D'ailleurs, avec Tixier, on
s'était dit : " Avec Roynard ça passera. " De fait,
quelques personnes - à commencer par le greffier
militaire, le lieutenant Géssand devenu par la suite
colonel - savaient parfaitement qui était " Louis
Destouches ", mais personne n'a rien dit...
Toute la stratégie de cette amnistie reposait sur le patronyme de "
Louis-Ferdinand Destouches " avec l'espérance que
personne ne ferait le rapprochement avec "
Louis-Ferdinand Céline ". Et au moment de requérir comme
commissaire du gouvernement pour l'amnistie de Céline,
Camadau savait parfaitement qui était " Destouches ".
Devant le dossier " Destouches ", le président Roynard
demanda son avis à Camadau :
- Et ce dossier-là ?
- Oh ! c'est un ancien combattant, un médecin un peu excité qui a écrit
quelques articles antisémites, mais rien de bien grave.
Et Roynard a signé l'amnistie de Céline sans ouvrir le
dossier !
Le colonel Camadau a informé Tixier-Vignancour de l'amnistie de son
client, et le jour même, Tixier-Vignancour nous a réunis
dans son bureau pour nous intimer l'ordre de nous taire,
pendant le délai du pourvoi en cassation ouvert au
ministère public. Mais quand le délai fut expiré, Tixier-Vignancour
a convoqué une conférence de presse pour annoncer
l'amnistie de Céline. Comme prévu, il y a eu quelques
remous, mais tout est retombé rapidement.
Dans cette histoire, il faut reconnaître au président
Roynard sa droiture et son honnêteté. Quand l'affaire de
l'amnistie de Céline est devenue publique, il s'est bien
rendu compte de la manœuvre,
mais il n'a jamais protesté. Il a assumé sa décision
avec beaucoup d'élégance.
(Jean-Marc Dejean de la Batie, Dun Céline l'autre, D. Alliot, R.
Laffont, 2011, p. 921).
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ETAIT-IL IMPUISSANT ?
-
Est-ce vrai que vous avez fait l'amour avec d'autres
hommes sous les yeux de Céline ?
- C'est la chose la plus abominable que j'aie jamais
lue, j'ai eu envie de sauter tout le passage. Je me
fiche complètement de ce qu'ils peuvent penser de moi,
mais tout cela est intégralement faux.
- Il y avait aussi une autre rumeur selon laquelle " la nouvelle
technique littéraire qu'il avait développé depuis peu
[...] n'était rien d'autre qu'une réflexion de son
impuissance croissante ". Devenait-il vraiment
impuissant ?
- Ça alors, je ne comprends pas. Il
n'avait rien d'impuissant, vous pouvez me croire !
Certaines fois, j'aurais même été contente qu'il le fût,
pour quelque temps bien sûr ! J'aurais pu être assez
mauvaise pour lui dire : " Attendez que je revienne et
vous allez voir ! " Mais qui a écrit des absurdités
pareilles ?
- Ce type s'appelle Marcel Brochard, et Mahé l'ami de Céline, entre
autres.
- Il devait être jaloux de lui.
(Elizabeth Craig évoque Céline, 1926-1933, D'un Céline l'autre, D.
Alliot, 2011, p. 203).
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LES TROIS PRENOMS.
Une
ultime précision : comment Mme Destouches appelait son
fils, le petit Louis-Ferdinand ? Simplement Louis, comme
ses
proches et ses amis le nommeront toute sa vie. Or, le
personnage central de ses romans ne se prénomme jamais
Louis. Toujours Ferdinand. C'est-à-dire que Céline,
prenant comme nom le prénom de sa grand-mère tout en
faisant croire qu'il s'agit de celui de sa mère, prend
comme prénom de fiction le prénom que sa mère a laissé
vacant.
Ce qui fait que de toute façon, nom et prénom, nom d'une
vieille femme morte, prénom jamais utilisé, excèdent
radicalement le contrôle maternel, ce qui ne peut être
sans rapport avec la décision d'écrire, c'est-à-dire
plus généralement de consommer la rupture avec la grande
bouche dentée de la matrice historique, avec l'oralité
consommatrice qui fait enfler et danser l'hystérie.
Céline n'a littéralement pas de nom : ce sont
volontairement trois prénoms qui s'étalent sur
les couvertures de ses livres.
(Philippe Muray,
Céline, au Seuil, 1981, p. 65).
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REUSSITE D'UN LIBRAIRE.
Le 28 juillet 2008:
Décès, à l'âge de 95 ans, du libraire Pierre BERÈS
dans sa villa de Saint-Tropez. La presse rapporte avec
un bel ensemble que son passeport indique qu'il était né
Pierre BERESTOV le 18 juin 1913 à Stockholm, mais
Roger Peyrefitte
assurait
en 1965 qu'il « avait fait raccourcir par le Conseil
d'Etat son nom polonais de BERESTOVSKY » [Les
Juifs, p. 80].
Pierre-Marie Dioudonnat, auteur de l'ouvrage Demandes de changement de
nom 1917-1943, confirme que Pierre BERESTOVSKI,
naturalisé Français par décret du 3 décembre 1936, avait
demandé officiellement à porter le nom de BERÈS,
ce qui fut annoncé au Journal Officiel le 30 juillet
1937. L'autorisation lui fut accordée par décret du 17
mars 1953.
Il avait ouvert sa
première librairie rue Laffitte en 1934, avant de
s'installer, cinq ans plus tard, au 14 de l'avenue de
Friedland. En 1974 Pierre BERÈS
avait racheté aux successeurs du galeriste Etienne
Bignou, la plupart des livres et manuscrits de Céline,
qu'il mettra en vente à l'Hôtel Drouot en plusieurs
étapes :
Le 22 mai 1985, le
manuscrit de la préface (7 feuillets) de Guignol's
Band
Le 14 juin 1999, un
manuscrit (1 376 feuillets) de Mort à Crédit
Le 14 juin 1999, le
manuscrit (14 feuillets) d'un chapitre inédit de
Voyage au bout de la nuit
Le 15 mai 2001, le
manuscrit (876 feuillets) de Voyage au bout de la
nuit.
(Site d'Henri Thyssens sur Robert Denoël).
**************
ARRÊTÉ POUR SES "
ÉCONOMIES ?... "
Le 12
mai 1937: Céline, qui séjourne dans l’île de Jersey à la
veille du couronnement de George VI, écrit à son éditeur
: « Vous avez failli perdre un auteur ! Je fus tenu
pour si suspect à mon arrivée ici que Scotland Yard me
mit en quarantaine, pratiquement arrêté, m’ôta mon
passeport ». Le Figaro, trois jours plus
tard, écrit :
- M. Louis-Ferdinand Céline a été arrêté,
à son arrivée dans l'île de Jersey, par la
police britannique.
Il s'agissait de mesures de sécurité pour le
couronnement. Les policiers ont fouillé et dé-
chiffré ses papiers, mais l'on ne sait si ces
papiers ont été la cause de son arrestation ou
celle de sa mise en liberté avec excuses.
On ne
voit pas pourquoi les papiers en règle de l'écrivain
auraient provoqué son arrestation. Et on sait que c'est
le consul de France à Jersey, Jean Delalande, qui le
sortit de ce mauvais pas. Qu'allait-il faire au juste à
Jersey ? Chercher un refuge possible en cas de guerre
européenne, comme l'écrit François Gibault ? Ou trouver
un endroit sûr où placer ses économies ?
Depuis l'avènement du Front populaire et la dévaluation
de la monnaie française, Céline ne cesse de presser
Denoël, lui-même en fâcheuse posture, pour qu'il lui
verse tous ses droits d'auteur. En janvier 1938 il place
des pièces d'or dans le coffre d'une banque d'Amsterdam,
et, six mois plus tard, il retire les souverains d'or
qu'il a déposés dans une banque londonienne pour les
porter à Copenhague. Cette préoccupation est constante
depuis un an. On peut supposer que l'escale à Jersey est
la première tentative de Céline pour mettre à l'abri ses
droits d'auteur convertis en pièces d'or, lesquelles
étaient peut-être la cause de son arrestation.
(Site d'Henri Thyssens sur Robert Denoël).
***************
LE PROCES LEON TREICH.
Le
7 janvier 1939 : Le Petit Parisien révèle que
Léon Treich [1889-1973], qualifié de juif
dans
L’Ecole des cadavres,
a
engagé une procédure pour diffamation, réclamant à
l’auteur et l’éditeur 50 000 F de dommages et intérêts.
Le journaliste paraît avoir retiré sa
plainte quand Céline a rédigé l'erratum demandé, qu'il
avait ainsi conçu : " M. Léon Treich nous fait connaître
par huissier 1° qu'il n'a jamais appartenu au P.S.F. 2°
qu'il n'est pas juif 3° qu'il appartient à une famille
de catholiques pratiquants.
Nous prenons acte et rectifions très volontiers. Nous regrettons que cette
rectification n'ait pas été demandée à La France
Enchaînée du 15-30 septembre 1938 dont nous avons
reproduit exactement le texte. " [Lettre à l'avocat
André Saudemont].
En réalité La France Enchaînée n'avait fait que
reprendre des éléments d'un article intitulé " La Rocque
sous l'emprise juive " paru dans L'Etudiant
français du 10 juin 1938. Treich y était bien
qualifié de juif et l'organe bimensuel de l'Action
Française n'avait pas, non plus, été inquiété.
(Site Robert Denoël d'Henri Thyssens).
***************
LE " VOYAGE " TRADUIT EN RUSSE.
Le
27 janvier 1934, parution à Moscou de la traduction
russe par Elsa Triolet de Voyage au bout de la nuit.
Plus tard Céline écrira à propos de cette édition
tronquée et édulcorée : " Nous sommes fâchés avec cet
aigre pitre (Aragon) depuis que j'ai
été
l'engueuler chez lui vers 1934. Ils s'étaient emparés du
Voyage avec sa femme Triolet et me l'avaient
traduit et tripatouillé dans le sens propagande
soviétique sans absolument aucune permission, à ma
grande surprise. Cette désinvolture ! cette arrogance !
[...] Denoël a trempé dans tout ceci et bien d'autres
choses. Aussi l'a-t-on liquidé ! ". [Lettre à
Charles Bonabel, 6 mars 1947].
Aragon
n'a pris aucune part à cette traduction, mais il est
possible que ses récentes relations amicales avec Robert
Denoël aient amené l'éditeur à confier à sa compagne la
traduction du livre. D'autre part il était bien placé
pour promouvoir sa traduction en russe, lui qui avait
été, entre juin 1932 et avril 1933, rédacteur en chef à
Moscou de la section française de Internacional' naja
literatura.
Elsa Triolet a raconté ses conditions de travail : "
on me " rédigeait " mon texte, comme c'est l'habitude en
Union Soviétique, on coupait dedans sans consulter ni
l'auteur ni le traducteur. "
Olga Chtcherbakova a, dans une thèse soutenue le 30 mai 2009 à
l'université de Paris IV, examiné de près cette
traduction : " Nous avons inventorié 82 extraits
mutilés par des suppressions " écrira-t-elle.
Avant tout Elsa raccourcit les passages où le narrateur se livre à de
longues introspections : " Je traduis en condensant
au
passage ", écrit-elle à sa sœur.
Elle applique au roman de Céline sa propre vision de
l'écriture : " Une certaine banalité dans
l'expression ne me déplaît pas. Je continue à penser
qu'une prose où chaque mot vaut son pesant d'or est
illisible. "
" En ce qui concerne l'ensemble de l'œuvre,
si l'on considère l'absence de pages entières comme une
violation de la structure du texte original, la
traduction de Triolet pèche assurément par des omissions
substantielles. Ainsi, l'absence de traduction de
l'épigraphe, la suppression de l'avertissement
préliminaire et l'abandon d'images étroitement liées au
fil conducteur du texte original, les réflexions sur le
Voyage et la nature humaine, sont autant de facteurs qui
portent indiscutablement atteinte au plus profond de l'œuvre.
Les métaphores compliquées ou celles dont la motivation
est trop obscure disparaissent : furent-elles jugées
excessivement longues pour la progression de la
narration ou étaient-elles tout simplement difficile à
traduire ? ", écrit Mme Chtcherbakova, qui estime
que la version russe ne contient que 55 pour cent du
texte original, le reste ayant été escamoté.
Elle pose enfin la question qui restera sans réponse : "
A qui finalement, de la censure soviétique ou de la
traductrice, faut-il imputer la responsabilité de
l'altération du texte original ? "
(Site d'Henri Thyssens sur Robert Denoël).
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LES BELLES ANNEES RENNAISES - LE BACHOT - LE MARIAGE.
Le bachot en accéléré
Retour
à la case rennaise, fin 1918. Au fil des " permissions
", l'amour avec Edith s'est installé. Très vite, l'on
parle mariage.
Beau-papa est partant, mais à une condition : que Louis
passe son bac. Qu'ensuite il fasse sa médecine à Rennes.
La belle-famille financera. Pas de
temps à perdre. La guerre vient de finir. L'ancien
combattant - blessé à l'épaule mais pas trépané comme il
le prétendra toute sa vie - a le droit de passer le
baccalauréat en accéléré. Louis a arrêté l'école au
certificat d'études, mais il maîtrise l'anglais et
l'allemand à la suite de séjours financés par ses
parents qui souhaitaient qu'il devînt " acheteur " pour
des grands magasins.
Faisant une pause dans la Mission Rockefeller, Louis
prépare son bac à Rennes. Se remet au latin sous la
direction de l'abbé Pihan, le supérieur de l'Institution
Saint-Vincent. Obtient son premier bac à Bordeaux en
avril 1919, examen restreint et sans écrit. Trois mois
plus tard, il passe la deuxième partie de ce bac oral de
philo, avec mention " bien ".
Un trouble marchandage
Le
mariage approche. Question : pourquoi Athanase Follet "
offre "-t-il sa fille à Destouches ? Et cela, malgré les
mises en garde du propre père du prétendant, Fernand
Destouches ! Sous-chef à la société d'assurances Le
Phénix, ce dernier n'a pas manqué de rappeler au
futur beau-père les turpitudes passées de son rejeton, y
compris le mariage - non enregistré au consulat - que le
jeune lieutenant a contracté à Londres en 1916 avec une
certaine Suzanne Nebout.
Alors, pourquoi ? A cause, pense-t-on, d'un marchandage
honteux qui va permettre à Athanase de se hisser au
poste convoité de directeur de l'Ecole de médecine de
Rennes. En effet, l'oncle de Louis, Georges Destouches
est depuis longtemps secrétaire de la Faculté de
médecine de Paris. Même s'il déteste son neveu, tonton a
le bras long. Jusqu'au ministère où il peut intercéder
en faveur du Rennais. Chose promise, chose due : le
docteur Follet décroche dès 1919 son poste de directeur.
Un an plus tard, il se voit élu membre de l'Académie de
médecine.
A Rennes, l'ascension du " professeur Follichon " fait
des remous : en guise de discours d'accueil, les
professeurs de la Faculté lui
adressent une volée de bois vert. " Vous êtes entré dans
la maison par la porte des intrigues personnelles et des
plus tristes compromissions ", accusent-ils. Tous se
promettent d'éjecter au plus vite ce Follet qui " n'a ni
notre confiance ni notre estime. Nous lutterons sans
arrêt jusqu'au jour qui nous donnera l'homme digne de
nous représenter, de prendre en des mains insoupçonnées
et inattaquables les destinées de l'Ecole. "
Noces bourgeoises à Quintin
Athanase
reste de marbre. Mais se sachant honni des Rennais, il
décide d'aller à Quintin marier sa fille. Quintin
(Côtes-du-Nord) où réside un notaire, cousin de sa
femme.
Le 19 août 1919, le jeune bachelier Louis Destouches, vêtu d'un pantalon
trop court épouse la blanche Edith à la mairie puis
à
l'église de la bourgade. Mais Louis, peu motivé, a la
tête ailleurs. En pleine cérémonie, zut, on découvre que
les alliances ont été oubliées. Belle maman doit courir
les chercher. Quant à Athanase, pied de nez
anticlérical, il a gardé son canotier sur la tête
pendant la messe. Le château Yquem, les langoustes et
les poulardes du Mans sauront noyer les négligences
cocasses de cette noce huppée.
En
prenant femme, Louis, l'anticonformiste qui a longtemps
vomi le mariage embrasse une situation sociale et
l'espoir de devenir médecin. D'abord, il y a la dot
apportée par Edith : une pension de 12 000 F par an.
Ensuite, il y a la belle maison du 6, quai de Richemont.
Le jeune couple a droit à une chambre et un salon au
rez-de-chaussée, tandis que les Follet logent au premier
étage où les repas sont pris en commun. Là-haut, Louis
peut disposer de la bibliothèque du beau-père : il y
sirote Rabelais, Ronsard et Bergson. Et s'y incruste
pour piocher ses cours de médecine.
Vie conjugale quai de Richemont
La
vie est douce au marié, quai de Richemont. Les parents
Follet ne sont pas embêtants. Le garnement
s'embourgeoise. " Des pantoufles, une robe de chambre à
brandebourgs, un salon enfoui sous des housses ",
évoque-t-il plus tard. Et dans une lettre à son ami
Milon : " Je travaille comme un cheval, je suis né
peuple et les aisances de la vie veloutée n'entament
point ma constitution décidément plébéienne. " S'ensuit
un discours sur l'égoïsme des riches, incapables de
comprendre le dénuement des pauvres.
Comme
toujours et comme toute sa vie Céline se donne le beau
rôle : car s'il aime les sans-le-sou, il n'est pas né
prolétaire, mais dans une moyenne bourgeoisie
possédante. Et s'il se rebiffe devant la haute position
des Follet, nulle réticence chez lui à se fondre tel un
caméléon dans ce milieu qu'il feint d'abhorrer. A
Rennes, " j'ai appris les bonnes manières ",
reconnaîtra-t-il plus tard.
Et
puis Edith le laisse libre. Cela tombe bien pour lui qui
" déteste la contrainte même sous sa forme la plus
affectueuse ". C'est au prix de la plus large
indépendance que le mariage m'est possible ". A Rennes,
" nous pouvons sans nous froisser passer des semaines
sans nous voir ", écrit-il à Milon.
(Georges Guitton, Place Publique Rennes n°5, mai-juin 2010, dans le
Petit Célinien, jeudi 2 août 2012).
***************
BELLES-SŒURS
ABANDONNEES.
Je
remontais la rue Ravignan je m'entends appeler, héler
!... voilà ce que j'aime pas !... je me retourne.
- Marie-Louise !
Ah ! que je fais : toi ! on s'embrasse... je l'embrasse... J'aurais voulu
que vous l'entendiez ! ça venait du cœur...
tout de suite au but ! comme pressée de ce qu'elle
voulait me dire... elle était au courant un peu... enfin
le principal.
- Ah, tu serais resté avec nous !...
Elle évoquait Londres fin 17...
- Tu vois Louis... tu vois !...
Les reproches... et les larmes... mon nom intime : Louis.
- Janine serait pas morte !
Janine
sa sœur... c'était pas
d'hier nos adieux... Je les avais quittées Leicester
Square... abandonnées sa sœur
et elle... Je vois encore l'arbre, le banc, les
fleurs... les piafs... les myosotis, les géraniums...
c'est en plein Londres vous connaissez ?... en détresse
là, orphelines d'homme... Je suis pas artiste mais j'ai
la mémoire des fleurs... Janine... Marie-Louise... des
dames aussi par le fait... je les vois... la pelouse...
et le pourtour aussi, le trafic... les monstres autobus
écarlates et les " recruteurs " rouges eux aussi !
les sergents !... tout tourne !... tout tourne !... et
la musique !... c'est des filigranes la vie, ce qu'est
écrit net c'est pas grand'chose, c'est la transparence
qui compte... la dentelle du Temps comme on dit... la "
blonde " en somme, la blonde vous savez ? dentelle si
fine ! au fuseau, si sensible, vous y touchez, arrachez
tout !... pas réparable... la jeunesse voilà !...
myosotis, géraniums, un banc, c'est fini... envolez
piafs !... dentelle si fine... Je m'étais arraché par
raison, par sorte de conscience ainsi dire, un coup
d'honnêteté et morale, je me voyais un avenir ailleurs
!... un vrai avenir !...
(...) J'ai commis qu'un crime dans ma vie, un seul, là,
vrai... comme j'ai quitté mes petites belles-sœurs,
pauvres fillettes en novembre 17... et pas des petites
crevettes businettes !... Ah pas du tout ! des fleurs de
poupées ! Minois !... éclat ! fraîcheur ! mutines !...
l'une brune, et ces lèvres !... Marie-Louise ! souplesse
et nerveuse, l'épaule, tout ! gitane presque... des
hanches bouleversantes j'ose dire... Janine, rousse...
quand elles dansaient au " Ciros ", elles valsaient
ensemble, c'est simple les guéridons voguaient... les
émotions des clubmen ! les verres tout éclats !... et
les bouteilles ! le " sex-appeal " ça s'est appelé plus
tard, cette tremblote... bafouilleux crottes ! ils ont
rien vu !... les femmes soulèvent plus à présent ! Les
tables tournent plus, les têtes non plus... les soucis
voilà prennent tout, ramassent tout !... sourires,
frotti-frotta, tatas !
Ah ces remords ! Ah souvenances !
(Féerie pour une autre fois, Folio, Gallimard, p.124).
***************
LE DIPLÔME.
- Et
votre diplôme ?
Ils
me l'ont laissé les scélérats ! Ils me l'ôtaient je vous
parlerais plus... Je serais à l'action l'heure actuelle
! le grand Soulèvement !... vous voyez pas les
Ombres d'Honneur ? L'Armée française, la grande, la
garance, la 14 !... Ils m'infligeaient le final affront
je retournais l'Europe à la charge ! Je culbutais les
fiotes ! le vide général à ma voix ! les Steppes !
Moscou à la main ! et préservant tout ! clochetons !
Kremlin ! le reste ! brûlant rien ! juste au pompon ! à
la tactique ! le cœur !
l'uniforme ! vous auriez vu ce travail s'ils m'avaient
froissé mon Diplôme ! Ils peuvent un peu bénir le Ciel !
Ils me rejetaient dans le camp extrémiste !
Chacun
ses aléas sans doute... Y a des Destins, y a des
toucheurs, y a des branleurs, des ébranleurs, y a des "
non-lieu " ! Tenez, par exemple, Denoël, ils l'ont
abattu et voilà !... Moi, j'ai abattu rien du tout, j'ai
pas de " Non-lieu " !... Ram ! Stam ! Gram ! Oh, j'ai ma
petite idée bien sûr, ferme et sincère... c'est ma
petite idée qu'on tuerait si l'on pouvait !... mais ni
moi ni l'idée, madame !
(Féerie pour une autre fois, Gallimard, Folio, p.44).
***************
HENRI GODARD : PROPOS RECUEILLIS.
Partisan du génocide ?
Après
avoir beaucoup étudié la question, je ne pense pas qu'il
y ait chez lui d'appel au meurtre des juifs. On peut
trouver que la dénégation d'humanité est telle que cela
revient au même, d'autant qu'elle a préparé les esprits
aux mesures de Vichy, mais ça fait une différence. Il
préconise d'envoyer les juifs en " Palestine " et se
délecte dans une fascination métaphysique pour le Mal,
au sens où, dans une époque comme la nôtre, le Mal est
un refus radical de l'Autre.
Céline collaborateur ?
On ne peut répondre par oui ou par non. J'avais
écrit dans ma notice [des Célébrations nationales
2011, ndlr] qu'il s'est tenu à l'écart de la
collaboration officielle. C'est une chose que Klarsfeld
a contestée, mais que je continue à soutenir : il n'a
fait partie d'aucune administration, d'aucune
institution ; son voyage à Berlin en 1943 s'est fait à
titre privé, et il n'était pas particulièrement choyé
par les Allemands. Beaucoup d'entre eux estimaient même
qu'il faisait plus de mal que de bien à leur cause. Par
ailleurs, s'il n'a pas écrit d'articles pour les
journaux collaborationnistes, Céline n'a pas manqué de
leur écrire des lettres, sachant très bien qu'elles
seraient publiées.
Attitude après la guerre.
C'est
la troisième phase de son antisémitisme. Il aurait pu
avoir un mot de regret. Or pas du tout : il s'enfonce.
Il n'écrit plus d'injures contre les juifs, mais il
persiste dans la même logique, sans diminuer d'un poil,
en parlant des camps avec désinvolture ou en reprenant
son obsession de toujours : les juifs ont repris leur
pouvoir, tandis que lui se trouve pourchassé et tenu à
l'écart. Même dans ses romans, il introduit par petites
piques des choses de cet ordre-là. Par exemple quand il
fait allusion à Anne Frank dans Nord. C'est sa
signature. D'autant qu'il a toujours attaqué le lecteur
dans ses convictions les plus profondes et les
sentiments qui lui semblent les plus naturels.
(Propos
recueillis par Grégoire Leménager, Le Nouvel
Observateur, 19 mai 2011, in BC n°331).
***************
VOYAGE AU BOUT DE LA
NUIT.
Une
autobiographie mon livre ? C'est un récit à la troisième
puissance. Céline fait délirer Bardamu qui dit ce qu'il
sait de Robinson. Qu'on n'y voie pas des tranches de
vie, mais un délire. (...) C'est un roman, mais ce n'est
pas une histoire, de vrais " personnages ". C'est plutôt
des fantômes. "
(Cahiers Céline 1, p.30 et 38).
***************
DE JEAN PAULHAN...
Entre les diverses affaires de sorcellerie, que l'on a
vues depuis quatre ans, le procès Céline a été l'un des
plus légers, ou des plus abjects.
Il s'est passé loin de France. Notons simplement ici :
1.
- Que Louis-Ferdinand Céline est engagé volontaire des
deux guerres, et médaillé militaire.
2. - Que le seul livre qu'il ait publié durant l'occupation, Guignol's
Band, est un récit fantastique ; que Céline n'a pas
une seule fois écrit dans un journal, parlé à la Radio,
ni tenu une conférence.
3. - Qu'il n'a jamais été invité à se rendre en Allemagne ; qu'il n'a pas
mis les pieds à l'Ambassade ; qu'il n'a appartenu à
aucun cercle, association ni parti collaborationniste.
4.
- Que tous ses romans, dès l'arrivée d'Hitler au
pouvoir, ont été interdits en Allemagne ; que ses mots
sur Hitler : " mage pour le Brandebourg ", et sur Abetz
: " emplâtre de vanité, clown pour cataclysme ", ont
couru Paris.
Cela dit, il faut reconnaître que Céline a montré, avant
guerre, un grand dégoût de l'homme en général ; et des
Juifs en particulier : jusqu'à faire grief de leur sang
israélite à Racine, à Louis XIV et même à Hitler ;
jusqu'à envisager sans regrets la disparition de la race
humaine. Mais, sauf erreur, il n'existe pas encore de
loi qui punisse de tels crimes, dont les Cahiers
ne songent pas à nier la gravité.
J. PAULHAN
(Note
insérée par Jean Paulhan dans les " Cahiers de la
Pléiade " lors de la parution de " Casse-Pipe ").
***************
ÇA
FAIT UNE BOULE LA TENDRESSE...
Un an plus tard, en 1960, alors que j'étais seul
avec Céline, dans cette même pièce de travail du petit
pavillon de Meudon où nous avions effectué nos prises de
vues T.V., il me fit cette confidence que j'ai notée le
soir même tant elle m'avait bouleversé :
- Parfois, ça me remonte à la gorge. Je ne suis pas
si carne qu'on croit. J'ai honte de ne pas être plus
riche en cœur et en tout. Un
mufle impuissant que je suis. Ça
fait une boule la tendresse, pas facile à passer. Je
juge peut-être les hommes plus
vaches,
plus bas, qu'ils ne sont vraiment mais ils sont si
méchants. On ne peut pas leur faire confiance, ils vous
bouffent tout cru. J'ai été con toute ma vie. J'ai cru
ceci, j'ai cru cela. Ah ! oui. Tous tordus qu'ils sont
et ils vous crachent à la gueule quand vous vous
approchez trop. Viciards avec ça !... Maintenant, je
m'en fous... ils ne m'ont pas écouté, ils m'ont vomi,
volé, spolié, fait le plus de mal possible... La mort
qui est au bout, seule compte... Pour moi, quand elle
viendra, je lui dirai que je suis bien content... Salut
la compagnie ! Vous crèverez tous, comme moi, dans la
barque à Caron...
J'ai eu, moi aussi, des raisons de vivre. Vous
comprenez... je suis lyrique... la petite musique...
l'émotion... les fariboles du cœur
et puis, ah ! oui... la médecine. La médecine... un
objet sur l'humain qu'on peut fignoler toute une vie...
Pas la littérature... La vie ! Vous comprenez ? La
vie... Ah ! j'ai été bien servi, merci ; ça oui,
vraiment, du bon et puis beaucoup de mauvais...
Ça aussi me remonte à la
gorge... La condition humaine, c'est la souffrance,
n'est-ce pas, je n'aime pas la souffrance ni pour moi,
ni pour les autres... Vous comprenez ?...
Céline s'était levé. Il me dominait de toute sa taille.
Son visage rayonna quand il me lança :
- ... Mais maintenant, je m'en fous totalement...
Rappelez-vous la fin du Voyage au bout de la nuit : ... Mon
trimbalage à moi il était bien fini. A d'autres !... Le
monde était refermé ! Au bout qu'on était arrivé nous
autres !... comme à la fête !... Avoir du chagrin c'est
pas tout, faudrait pouvoir recommencer la musique, aller
en chercher davantage du chagrin...
Est-ce là le voyage au bout de la haine ?
(André Brissaud, Cahiers de l'Herne, Poche-Club, 1968, p.192).
******************
BAGATELLES
POUR QUEL MASSACRE ?
Professeur
émérite à Sciences-Po, démocrate-chrétien d'origine,
Michel Winock a souvent été tenté par le
journalisme (il a dirigé la revue L'Histoire) et
la synthèse un peu rapide en histoire et littérature
contemporaine. Disons-le donc tout de suite, il ne nous
avait pas habitués à des références aussi précises, à
des citations aussi bien vérifiées que dans ce dernier
livre, même si ce livre est composé en partie d'anciens
articles mis bout à bout.
Certes, sur Victor Hugo, sur Petlioura, " l'un des
principaux organisateurs de pogroms ", sur le
révisionnisme, sur d'autres points encore, il se
contente de la vulgate en vigueur et d'assertions non
vérifiées. Certes, il ne va pas jusqu'à dire, comme
Annie Kriegel, que le régime de Vichy a protégé les
juifs plus qu'il ne les a livrés. Mais, dans l'ensemble,
il évite le manichéisme et montre la complexité des
mobiles, des attitudes et des alliances. Anti-munichois
lui-même (rétrospectivement), Winock ne cache pas, par
exemple, qu'Esprit, la revue de Mounier, qui fut
majoritairement anti-munichoise, était subventionnée par
Georges Zérapha, industriel juif du papier peint.
Surtout, on lui saura gré de replacer Bagatelles pour
un massacre dans son contexte. Avant même le choc de
la victoire du Front populaire (Blum faisant entrer pour
la première fois des communistes dans un gouvernement),
il y eut la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936
et les hésitations de Sarraut.
Un Maurice Blanchot s'en prend alors dans Combat au " clan qui
veut la guerre,... anciens pacifistes, révolutionnaires
et émigrés prêts à tout pour abattre Hitler (...) au nom
de Moscou ou au nom d'Israël, dans un conflit
immédiat ". En 1938, ce sont des socialistes pacifistes
qui s'en prennent aux " Blumel, Grumbach, Bloch, Moch ".
Winock note alors :
"
Le massacre auquel le livre de Céline, Bagatelles
pour un massacre, faisait allusion était celui des
Français livrés par les juifs aux horreurs d'un nouveau
14-18. Les liens du pacifisme et de l'antisémitisme ne
cessèrent d'être évidents dans les écrits non
romanesques de Céline. Ses Bagatelles, dira-t-il,
étaient un acte de paix, un barrage au nouveau carnage,
et, en ce sens, il restait fidèle au héros du Voyage,
Bardamu.
Seuls les juifs, persécutés par Hitler, pouvaient vouloir la guerre : une
guerre pour la joie des juifs ! " B.J.
(Michel Winock, La France et les juifs de 1789 à nos jours, Le Seuil,
2004, dans BC n° 265).
****************
MILTON HINDUS (1916-1998).
Lorsque
Milton Hindus est mort le 28 mai dernier à Waltham,
Massachusetts, foudroyé par une crise cardiaque alors
qu'il sortait de la bibliothèque de la Brandeis
University, c'est une grande figure célinienne qui s'en
est allée. La nouvelle de sa mort n'a cependant eu qu'un
retentissement limité puisque, même si elle a été dûment
signalée par le New York Times à l'époque, elle ne nous
parvient que maintenant.
C'est avec enthousiasme que Hindus, jeune professeur à
l'Université de Chicago, découvre Céline dans les années
trente en lisant Voyage au bout de la nuit, puis
Mort à crédit. Même si, plus tard, cet
enthousiasme se teinte de tristesse et de déception
lorsqu'il prend connaissance de Bagatelles pour un
massacre et des autres pamphlets - Hindus est juif -
il devient un des défenseurs de Céline aux Etats-Unis,
lorsque celui-ci est emprisonné au Danemark, Hindus
entretient avec lui une correspondance fournie et l'aide
à survivre, en lui envoyant notamment du café et du thé.
Entre-temps, il écrit une préface louangeuse pour une nouvelle édition de
la traduction américaine de Mort à crédit et puis
sera nommé professeur à la Brandeis University, une
institution qui vient d'être fondée.
Les relations épistolaires entre les deux hommes sont
tellement chaleureuses que Hindus décide d'aller voir
son ami, maintenant séjournant à Korsor. Après avoir
méticuleusement préparé son voyage, il arrive en Europe
en juillet 1948. Il se rend d'abord à Paris où il
rencontre Jean Paulhan et des amis de Céline, tels que
Gen Paul et Marcel Aymé. Mais les trois semaines que
Hindus passe auprès de Céline se révèlent pour l'un
comme pour l'autre une immense déception.
Puritain, plutôt naïf, profondément conservateur, dénué de tout humour,
excessivement convenable, Hindus est déconcerté et
scandalisé par la conversation, les caprices, les
frasques, bref, par l'attitude générale de Céline,
lequel se sent tout aussi mal à l'aise en compagnie
d'une nature tellement opposée à la sienne.
Cependant, les deux hommes continuent à correspondre
pendant plusieurs mois encore après le retour de Hindus
aux Etats-Unis, jusqu'au jour où Céline lit, à contrecœur,
le manuscrit dans lequel Hindus relate son voyage en
Europe et livre ses impressions sur l'écrivain, sous le
titre The Crippled Giant (qu'on peut traduire par
" Le Géant infirme ").
Il y raconte ses trois semaines au Danemark, décrit Céline comme un être
très instable, à la limite de la folie, dénonce ses
écrits politiques et antisémites et le met au nombre de
ceux qui sont moralement responsables des atrocités
commises contre les juifs par les nazis.
S'il reconnaît le génie de l'écrivain, il estime donc que Céline, qui a
utilisé ce génie à des fins destructrices et a ainsi
ajouté au mal qu'il a pourtant dénoncé dans ses romans,
peut être considéré seulement comme un " géant infirme "
ou " géant borgne ".
Céline, outré par cette analyse, par certains propos qui
lui sont prêtés et par le portrait qui est présenté de
lui, craignant que ce témoignage n'aggrave sa situation,
menace d'intenter un procès en diffamation contre son
auteur et affirme que le tout n'est qu'un tissu de
mensonges.
Hindus songe alors à ne pas publier le manuscrit puis propose à Céline de
lui verser les bénéfices de sa publication, ce qui
redouble la colère de l'écrivain : il prétend que Hindus
veut l'acheter. Le livre n'en paraît pas moins aux
Etats-Unis en 1950 et l'année suivante en France, sous
le titre L.-F. Céline tel que je l'ai vu.
Pascal IFRI.
(BC n° 195, février 1999).
****************
HISTOIRE DE LA POUPEE.
Dans notre précédent numéro, nous avons publié un bref
compte-rendu du roman d'Emile Brami, Histoire de la
poupée (Ed. Ecriture). Il s'agit d'un livre atroce
et bouleversant tout à la fois qui a pour décor
l'univers concentrationnaire nazi. Cet article (qui
occupe une seule colonne du Bulletin) a suscité quelques
lettres de lecteurs qui se demandent les raisons d'une
pareille recension dans le BC.
En quoi ce sujet concerne-t-il Céline ? Est-ce une façon détournée de
dénoncer sa culpabilité ? Etc. etc. A l'instar de
quelques autres céliniens (le plus célèbre étant feu
Milton Hindus), Emile Brami est assurément un personnage
paradoxal en raison de ses origines. Elles ne
l'empêchent nullement de professer une admiration
fervente pour Céline.
Fondateur de la librairie (en grande partie célinienne) D'un livre
l'autre, il est également l'éditeur des
illustrations qu'Eliane Bonabel avait réalisées, enfant,
pour Voyage au bout de la nuit. Ce célinien
patenté n'en est pas moins hanté par le destin de ses
coreligionnaires auquel il a décidé de consacrer ce
roman. Non sans s'interroger longuement sur sa démarche,
d'autant qu'il considère qu'écrire une fiction sur ce
thème a quelque chose d'immoral, voire d'obscène : "
Le fait que je sois juif moi aussi ne me donne aucun
droit particulier, n'est ni une raison ni une excuse
suffisante. D'ailleurs, pas un membre de ma famille,
aucun de nos proches, n'a eu à souffrir des persécutions
hitlériennes.
Mes parents vivaient à l'ouest de la Tunisie, dans un village
proche de la frontière algérienne, ils ne virent pas un
Allemand de toute la guerre. Quant à moi, je suis né en
1954. Je ne suis pas plus concerné par la tragédie de la
déportation que n'importe quel être humain... ce qui est
déjà beaucoup. "
Laissons volontairement de côté le débat sur la vérité
historique de tel ou tel aspect de la réalité
concentrationnaire. Seules importent ici la souffrance
et la pitié. On sait qu'après la guerre, Céline fut
amené, lui aussi, à s'interroger sur tout ceci. A
différents interlocuteurs - dont le pasteur François
Löchen -, il confia que, durant toute la guerre, il
était dans l'ignorance absolue de la réalité des camps,
et qu'il n'avait jamais souhaité que pareil sort arrivât
à quiconque. " Dans un moment qui fut dramatique et
bouleversant il sut nous dire avec sa sincérité et sa
vigueur, comment il n'y avait aucune souffrance qui lui
fût indifférente. (Cahiers de L'Herne n°3-5, 1972,
p.139).
Dans sa biographie de Céline, Frédéric Vitoux
rapporte ce témoignage du docteur Robert... Brami
(homonyme d'Emile) qui, familier de Meudon, garde un
souvenir ému de l'écrivain. Il se souvient que Céline
lui parlait volontiers de la guerre et des camps où une
partie de la famille de son interlocuteur avait péri. "
Ou alors, implicitement, comme d'une gigantesque
bourde qu'il avait commise avant-guerre, croyant aider
alors les plus faibles, les futures victimes du conflit
qu'il redoutait et qu'il voulait prévenir en poussant
les cris que l'on sait. "
Alors,
ajoute Vitoux, qu'il n'avait fait que se retrouver dans
le camp des plus forts... Pour un temps, en tout cas.
Seuls les butors (il s'en trouve partout) nieront que
l'opprobre dont souffre encore actuellement la
réputation de Céline est, qu'on le veuille ou non, liée
à l'histoire contemporaine.
C'est dans ce sens qu'il nous a paru intéressant de signaler ce roman dû
à un célinien qui ne peut esquiver le paradoxe évoqué
plus haut. Avons-nous été trop audacieux ? Pour
reprendre une formule bien connue, les lecteurs - tous
les lecteurs - jugeront... M. L.
(BC n°213, octobre 2000).
******************
LA VERITE DES VENTES EN LIBRAIRIE.
La vérité, là, tout simplement, la librairie souffre
d'une très grave crise de mévente. Allez pas croire un
seul zéro de tous ces prétendus tirages à 100 000 ! 40
000 !... et même 400 exemplaires !... attrape-gogos !
[...] En vérité, on ne vend plus rien... c'est grave
!...
Le cinéma, la télévision, les articles de ménage, le scooter, l'auto à 2,
4, 6 chevaux, font un tort énorme au livre... tout "
vente à tempérament ", vous pensez ! et " les week-ends
" !... et ces bonnes vacances bi ! trimensuelles !... et
les Croisières Lololulu !... salut, petits budgets !...
voyez dettes !... plus un fifrelin disponible !... alors
n'est-ce pas, acheter un livre !... une roulotte ?
encore !... mais un livre ?... l'objet empruntable entre
tous !... un livre est lu, c'est entendu, par au moins
vingt... vingt-cinq lecteurs... ah, si le pain ou le
jambon, mettons, pouvaient aussi bien régaler, une seule
tranche ! vingt... vingt-cinq consommateurs ! quelle
aubaine !... le miracle de la multiplication des pains
vous laisse rêveur, mais le miracle de la multiplication
des livres, et par conséquent de la gratuité du travail
d'écrivain est un fait bien acquis.
(Entretiens avec le professeur Y).
****************
MEME VICE QUE RABELAIS.
J'ai
eu dans ma vie le même vice que Rabelais. J'ai passé mon
temps à me mettre dans des situations désespérées. Je me
suis rendu soigneusement odieux. Comme lui, je n'ai donc
rien à attendre des autres. J'ai qu'à attendre des
glaviots de tout le monde. Ça
gueule encore, à Meudon. Le maire, tous, ils veulent ma
peau. On met encore des ordures dans ma boîte aux
lettres. Sur les murs, qu'ils écrivent aussi... Contre
Céline, le pornographe... C'est du propre, votre de
Gaulle. Vous avez vu son bide, à de Gaulle ? C'est gros,
c'est gros. Y a quelque chose. Y va crever, avec un gros
ventre comme ça. Tout pourri, là-dedans. Doit avoir un
cancer, un truc comme ça...
Il était à Londres pendant la guerre. Le caviar quoi... Moi, j'ai
souffert. A Sigmaringen, je soignais les gars. Y a que
moi qui voulais... Déat, Abetz... On m'aime pas, et
pourtant je me suis dévoué. On m'a pris mon appartement,
un gars à de Gaulle. Un colonel. Ils ont tout vendu aux
Puces : trois camions de déménagement. Et la prison :
deux ans au Danemark. Souffert, oui... Mon ex-femme a
jamais voulu me revoir. Ma fille non plus. Elle est
mariée, elle a six gosses. Elle est jamais revenue. Ah !
elle est pas fière d'être la fille de Céline... C'est du
monde bien, quoi... Sa naissance, on n'en parle pas :
c'était sans doute rien qu'un petit accident. Pendant ce
temps-là, moi, vieux, pauvre, je mange juste une patate
le soir. Je regrette rien ! Je regretterai jamais !
Quelle vie, mais je m'en fous. Le Cameroun, où j'ai failli crever...
L'Amérique, tout... J'aime pas ceux qui voyagent
aujourd'hui. Les touristes... Ils vont rien voir. Rien
du tout. Vous voulez que je vous dise ! Vous savez ce
qu'ils vont voir quand ils voyagent ? Leur bitte, rien
que leur bitte. On voyage pour aller baiser ailleurs. Ah
! le cul des postières ! Et leur con ?
Ça, c'est un mot qui est
dans Rabelais. Plusieurs fois.
(La langue, rien que
la langue ! Entretien avec Guy Bechtel, Magazine Littéraire,
Nouveaux regards, octobre 2012).
***************
ISRAEL.
"... L'antisémitisme ne veut plus rien dire - on
reviendra sans doute au racisme, mais plus tard et avec
les juifs - et sans doute sous la direction des juifs,
s'ils ne sont point trop avilis, abrutis... "
Dixit Céline, après la guerre, à un admirateur juif, Milton Hindus. A
propos du racisme, il écrit au même : " ... les juifs
sont précisément les premiers et les plus tenaces
racistes du monde. Il faut créer un nouveau racisme sur
des bases biologiques, les éléments existent. "
Aussi,
Céline, s'il vivait encore, ne serait sans doute pas
surpris par la teneur du livre de Jean-Claude Valla. Il
traite notamment de l'accord qui fut conclu en août
1933, au ministère allemand de l'Economie, entre des
représentants de
l'Organisation sioniste mondiale et de hauts
fonctionnaires du Reich. Objet : organiser le transfert
vers la Palestine de capitaux que les Juifs allemands,
candidats à l'émigration, souhaitaient emporter avec
eux.
Mais
cet ouvrage traite aussi de la convergence idéologique
entre les signataires de cet accord. Documents à
l'appui, Valla révèle que la majorité des sionistes
allemands ont approuvé les lois de Nuremberg et parfois
les ont même appelées de leurs vœux,
au nom de leur propre conception raciale.
Aussi paradoxal que cela puisse apparaître, l'auteur démontre également
que Ben Gourion et ses amis " travaillistes " n'étaient
pas des sociaux-démocrates, mais des socialistes
nationaux fortement influencés par le nationalisme
allemand de type völkisch.
Céline en était-il conscient, lui qui disait à Jacques
Ovadia : " Vous avez un homme qui est un peu comme de
Gaulle, qui connait bien son peuple et qui veut que le
peuple se dépasse, c'est Ben Gourion. "
Propos rapporté en 1991 dans la revue franco-israélienne Levant.
Dossier non clos, ce livre l'atteste.
(Jean-Claude Valla, Le pacte germano-sioniste, 7 août 1933, Librairie
Nationale, Paris 1er, dans BC n°219, 2001).
******************
LA VERITE EXPEDIEE AU VAILLANT
VAILLAND...
En février 1958, dans Le Petit Crapouillot,
Céline réagit à l'article de Roger Vailland, " Nous
n'épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline ", paru
en janvier 1950. Il a remis les choses au point avec la
verve qu'on lui connaît :
" Si je l'écris, on me croira, une certaine jactance
appartient à ces soldats qui au lieu de repousser les
hordes allemandes en 39, se sont enfuis, fous de
coliques, jusqu'aux Pyrénées, et vite rentrés chez eux
pour se livrer à la chasse, et à l'assassinat des
Français qui leur déplaisaient, dont ils étaient jaloux,
ou dont ils convoitaient les biens.
Je trouve en cet article de Vailland les grands signes de cette
jactance, surchaufferie, de parlotes, drogue, terrasses,
inventions débiles, tartarinades...
Si je l'écris on me croira.
Comment Vailland, tout idiot qu'il soit, peut-il penser que j'ignorais ce
qui se passait dans ma maison rue Girardon ? Oh ! le
béjaune ! oh pucelet ! que ma concierge était " boîte
aux lettres " ! pardi ! tout le quartier le savait ! que
les époux Chamfleury, au 4ième, sous ma chambre,
tenaient un " relais " pour les déserteurs S.T.O. ?
Toute la Butte était au courant ! Ce Vailland découvre
la lune ! et qu'il en titube ! éberlué ! je serai plus
discret que lui, je n'irai pas raconter tout ce que
j'entendais, de ma chambre même, au cinquième... petites
réceptions auxquelles Chamfleury m'invitait... nous
étions en bons termes.
Il m'offrit, les derniers temps, de me réfugier en
Bretagne, dans l'un de ses maquis... je soignais Mme
Chamfleury, pour appendicite, réfugiée, je ne sais
pourquoi, chez un de nos amis : Peppino Morato, place
Ravignon... ce Vailland n'est qu'un très débile attardé
! Des détails et de forts drôles sur cette rigolade
résistance des héros du " danger passé ", je pourrais
lui en conter mille ! avec les points sur les i ! De
quoi sortir d'impuissance, tartiner un Goncourt valable
! Je veux, je tiens compte, sa très pauvre imagination ,
tout de même il ne lui est peut-être pas complètement
impossible d'admettre, que si j'avais voulu, sachant
parfaitement, par Chamfleury, le tout premier, ce qui se
passait à l'étage au-dessous, d'un mot, d'un murmure,
d'une allusion même très vague, puisque j'étais au
mieux, selon cet imbécile, avec les hautes autorités du
moment, mettre un terme et un terme " éclair " à tout ce
trafic et ces pantalonnades ? Grande bénévolence !
certes ces gens se sont mués plus tard, encore une fois,
tout danger passé, en quels justiciers féroces...
vengeurs implacables des coliques !
Je dis, j'affirme, que ce Vailland (ma honte qu'il soit
si dépourvu de tout style et forme !) me doit la vie et
son Goncourt... Et que ce taré prend à présent de tels
airs, poses photogéniques, copie Gréco, Malraux,
Mauriac, qu'il devrait être en bocal avec Sartre,
Madeleine, Triolette, Cousteau... pas un bocal !... une
cuve entière pour les mettre tous !... à l'aise, au
formol... sans distinction d'où ils proviennent !
Quant aux inventions cafouilleuses, je n'ai qu'à les prendre à bout de
fourche ! Je n'ai jamais reçu aucun rédacteur de Je
suis partout, ni de jour, ni de nuit... ni de Haute
Collaboration... je n'ai jamais eu à les accompagner...
surtout en gueulant... (tout à fait mon genre...
crasseux sot !).
Au vrai, presque chaque matin, un de ces jeunes gens S.T.O. montait
frapper à notre porte, au cinquième, se trompant
d'étage... ma femme ou moi, les conduisions chez
Chamfleury, la porte au-dessous...
Chamfleury me donnait toujours les dernières nouvelles
de la Bibici, il faisait même hurler son poste, que je
l'entende bien... notre appareil fonctionnait mal.
Vraiment de charmants voisins.
Que cet imbécile avec ses ragots pourris vienne me gâcher un bon souvenir
! je n'ai pas tellement de bons souvenirs ! Il est
naturel que j'y tienne... de plus, eh là, Vailland s'en
prend à mes " trois points " ! le cancre Fougerat du
Roman ! demain que n'osera ? nous pouvons nous attendre
à tout de ce plumiteux !
LOUIS-FERDINAND CELINE,
Médaillé militaire, novembre 1914,
Engagé volontaire des deux guerres,
Mutilé 75%,
Pillé, carambouillé, emprisonné 100%.
(Céline ne nous a pas trahis, Robert Chamfleury, Cahiers de l'Herne,
Poche-club, 1968, p. 56).
**********************
Cher ami,
Ecœuré des assertions de R.V.,
je vous adresse la lettre ci-jointe à toutes fins
utiles, avec l'autorisation évidemment de la faire
publier dans le canard de votre choix. Tout heureux
d'avoir l'occasion de vous assurer de ma fidèle amitié.
Je reste à votre disposition et vous serre cordialement la main.
Chamfleury
En annexe figurait cette lettre datée du 4 avril 1958
que Céline adresse aussitôt à Jean Galtier-Boissière qui
la publie, partiellement, dans Le Petit Crapouillot
du mois de juin.
Quatre ans plus tard, lorsque Chamfleury livre son témoignage dans les
Cahiers de l'Herne, il reprend, de cette lettre, les
extraits choisis par Galtier-Boissière.
Grâce à Paul Chambrillon, qui détient ce document dans ses
archives, nous sommes en mesure de le reproduire, pour
la première fois, intégralement.
***
Je
viens de découvrir, un peu tardivement, dans le Petit
Crapouillot de février, votre réplique à un papier
de Roger Vaillant paru dans La Tribune des Nations.
Si j'avais eu connaissance, à l'époque de la parution, de cet article en
tous points odieux et méprisable, je n'aurais pas
manqué
de lui donner la réponse et le démenti qu'il convenait.
Peut-être n'est-il pas trop tard pour le faire et vous
dire immédiatement et d'abord que je suis pleinement
d'accord avec vous quand vous affirmez que vous étiez
parfaitement au courant de nos activités clandestines
durant l'occupation allemande et qui consistaient en :
répartition de cartes d'alimentation (contrefaites à
Londres), et de frais de séjour, attribution de
logements aux évadés et parachutés, indications de
filières pour le passage des frontières et lignes de
démarcation , acheminement du courrier, lieu d'émission
et de réception radio avec Londres, lieu de réunion du
Conseil de la Résistance, etc...
Tout cela supposait évidemment des allées et venues dans mon appartement
situé exactement au-dessous du vôtre et qui ne pouvaient
pas passer complètement inaperçues ni de vous, ni des
autres voisins.
Je me souviens très bien qu'un soir vous m'avez dit très franchement : "
Vous en faites pas Chamfleury, je sais à peu près tout
ce que vous faites, vous et votre femme, mais ne
craignez rien de ma part... je vous en donne ma
parole... et même, si je puis vous aider... ! "
Il y avait un tel accent de franchise dans votre affirmation que je me
suis trouvé absolument rassuré. Mieux, un certain jour,
je suis venu frapper à votre porte, accompagné d'un
Résistant qui avait été torturé par la Gestapo. Vous
m'avez ouvert, vous avez examiné la main meurtrie de mon
compagnon et, sans poser une seule question, vous avez
fait le pansement qu'il convenait, en ayant parfaitement
deviné l'origine de la blessure.
Peut-être retrouverez-vous une lettre que je vous avais fait
parvenir par Gen Paul, dès la Libération. Dans ce
message je vous informais de ma volonté de témoigner et
d'intervenir contre les accusations mensongères et
stupides dont vous accablait une certaine clique de
petits roquets du journalisme et de la littérature
acharnés à broyer un confrère.
Il me répugne d'évoquer des souvenirs, pas toujours très drôles, de cette
drôle de Résistance que galvaudent pourtant, avec
délices et profits, cette meute de petits "
littéraires " d'une époque si pauvre en talents.
Dans son précédent bouquin, Drôle de jeu, Roger
Vaillant n'a pas cité mon nom une seule fois, bien que
la plus grande partie de l'action soit située et centrée
sur " l'aventure de la rue Girardon " . Les seules
allusions (désobligeantes) qu'il a faites quant à mes
activités de Résistant et mes préoccupations, concernent
un troc de savonnettes auquel je me serais livré !
Comme je n'ai jamais été assoiffé de publicité, ni de " gloire ", je n'ai
pas éprouvé le besoin de rétablir la vérité qui ne
serait pas tellement flatteuse pour notre petit Goncourt
au profil de faucon.
J'ai cependant la fierté de pouvoir affirmer et prouver que je suis l'un
des rares survivants de la Résistance de la 1ère heure
qui n'ait pas monnayé, dès la Libération, les services
qu'il avait pu rendre dans la clandestinité. J'ai refusé
les décorations et citations qui m'étaient offertes,
j'ai dédaigné les honneurs et les postes rémunérateurs
que d'autres ont réclamé avec tant de précipitation et
d'acharnement que c'en était une véritable curée.
J'ai accepté toutefois, l'officialisation de mon attitude gratuite sous
la forme d'un certificat signé par l'un des chefs du
D.G.E.R. (B.C.R.A.) attestant de la valeur des services
rendus. Et bien m'en prit de m'être muni de cette pièce
quand il me fallut confondre les petits cloportes qui,
installés dans des " Comités d'épuration " et ignorant
mes activités de Résistant, prétendaient m'excommunier
de la Radio-diffusion et des Sociétés d'auteur.
Aujourd'hui, retiré dans un petit coin de la Côte
d'Azur, je n'aspire qu'à travailler tranquillement à mes
bouquins de vulgarisation scientifique.
Les succès littéraires d'un Vaillant, en cette époque de médiocrité,
d'intrigues et de bluff doivent nous laisser
indifférents. Ils ne peuvent servir tout au plus qu'à
marquer dans le temps notre décadence littéraire. Vous
restez un des derniers " grands " écrivains et l'un des
derniers individualistes en même temps qu'un homme
propre et courageux auquel je suis heureux de rendre
hommage.
J'avais ce devoir de le dire et de vous assurer de mon
estime et de ma fidèle amitié.
R. CHAMFLEURY.
(BC n° 201, septembre 1999).
***************
***
" Elle est gracieuse, la ballerine, et comme elle esquive
bien les questions épineuses ! La disparition de l'or ?
C'est l'histoire d'une petite plume qui deviendrait
facilement une grosse poule si on y prêtait l'oreille :
à peine une quarantaine de pièces " en dépôt-garantie "
pour couvrir les frais de cette dépensière de Lucette...
C'était déjà la version qui courait à Copenhague en
1948.
Qu'Ella Johansen ait prélevé, entre janvier et juin 1946, 45
napoléons sur le stock dont elle avait la garde pour
couvrir les dépenses de Lucette et de Bente
(1), soulève au
moins la question du taux de change qui a servi à ces
transactions.
J'ai pu vérifier qu'avant et après son arrestation, Céline avait fait
changer ses pièces d'or à des cours très proches des
cotations du marché noir parisien. C'étaient alors
Birger Bartholin, puis Thorvald Mikkelsen, qui se
chargeaient de ces transactions.
Durant l'année 1946, alors qu'il était à Vestre Faengsel, Ella
Johansen et Karen Marie Jensen ont elles-mêmes changé
ses napoléons, mais à des cours quatre à cinq fois
inférieurs aux cotations parisiennes.
Lors de ses visites en prison, Karen a bien tenté de lui faire accroire
que Lucette dépensait sans compter, d'où une sérieuse
diminution du stock, mais une fois les comptes faits et
bien faits, Céline a clairement mis en cause " les
changes usuraires des deux amies ".
Bente Karild souhaiterait que cette grosse poule redevînt petite plume,
et qu'on n'en parlât plus. Au Danemark, tout finit par
des légendes. Chez nous, certaines légendes ont une fin.
"
(1) Bente Karild oublie de préciser que c'est
Lucette qui a assuré son entretien durant six mois dans
l'appartement de Karen
(Henri Thyssens).
*******************
ENFANT DU PEUPLE...
Il existe pourtant de nombreuses preuves de déformations
entre l'histoire vécue de Destouches et la vie affichée
de Céline-Bardamu : la substitution du thème de la
guerre à celui de la SDN d'abord retenu dans L'Eglise
; l'effacement des recherches intellectuelles et des
agréments pendant son séjour africain, notamment les
profits pécuniaires, qui tenaient tant à cœur
à Destouches ; la bravoure du cavalier Destouches,
parfaitement couverte par le cri pacifiste de Bardamu ;
le remplacement de la visite américaine du docteur
Destouches en qualité de fonctionnaire de la SDN, alors
accueilli à la Maison Blanche par le président Coolidge
en personne, par le portrait assombri de Bardamu à
l'usine Ford et au Bureau des Statistiques de New York,
etc.
La prolétarisation délibérée des traits biographiques de Destouches et
l'histoire américaine de Bardamu ouvrier, dont un
certain Marcel Lafaye fournit la toile de fond réaliste,
nous conduisent à penser que Céline, conscient de la
valeur de la figure du " peuple ", l'exploite, quitte à
forcer la vérité. Car, l'image de l'écrivain,
qualification sociale qui ne requiert pas de
vérification factuelle, est un " avoir " symbolique dont
ses productions à venir et ses comportements doivent
nécessairement tenir compte.
Céline n'a-t-il pas écrit lors de l'affaire Goncourt à Garcin, l'un de
ses rares confidents : " La critique déconne, je suis
le phénomène et il s'agit de faire le pitre, c'est dans
mes cordes vous le savez. [...] Il faut donner aux gens
ce qu'ils attendent ? "
" Faire le pitre ", c'est " faire le peuple ", figure
en pleine ascension au sein d'une fraction importante du
champ littéraire. De même lors de la parution de Mort
à crédit en 1936, Céline lui écrit ceci : " Mes
parents n'ont rien à voir là-dedans. Vous êtes
quelques-uns qui connaissent la réalité. Aux autres les
petites histoires et le cirque - Céline ci Céline ça
toute la galerie. "
Céline donne ainsi aux lecteurs ce qu'ils attendent de l'auteur
de Voyage, et garde l'envers de Bardamu
par-devers lui, fils de petits bourgeois, médecin
habitué aux voyages transatlantiques et aux hôtels
luxueux. L'image de l'écrivain, faisant partie
intégrante, au même titre que les thématiques ou le
style, de l'œuvre.
Céline offre à plein temps un discours et un comportement conçus selon "
une biographie modèle d'écrivain prolétarien, à la
Guéhenno, à la Guilloux, à la Dabit, à la Poulaille. "
(Mie-Kyong SHIN, Position en porte-à-faux, BC n° 230,
avril 2002).
******************
MADAME CHENEVIER.
4 octobre [1948]
Dans le Figaro du 26 septembre nous trouvons un écho où
il est relaté que Madame Chenevier, 25 rue Saint-Denis à
Saint-Ouen, a été blessée par un agent lors de
l'arrestation d'un malfaiteur quelconque à ses
côtés. Voilà qui me fait une grande peine. La pauvre
mère Chenevier est ma première secrétaire du temps de
Clichy. Je l'ai toujours soignée. Nous l'aimions bien.
C'est elle qui a tapé le Voyage. Je la faisais
vivre jusqu'à mon départ. Son mari est un bien brave
homme, pas jeune, ex-manœuvre
chez Citroën. Elle-même, une femme admirable. Ils se
défendent aux " Puces " tant bien que mal depuis mon
départ, revendant des bouts de chambre à air,
accessoires de vélos...
Elle n'est plus bien solide. Je me demande où, et la gravité de la
blessure. Il y a tellement de tragédies autour de moi
que je redoute le pire... C'est à cinq minutes de la
porte de Saint-Ouen... Elle venait nous voir tous les
vendredis matin rue Girardon, jusqu'au dernier jour...
Embrasse-la bien pour moi. Pourvu que ce ne soit pas
grave ! (Lettres à Clément Camus, Textes et
documents, 3, BLFC).
**************
CELINE L'ANTISEMITE.
Incohérence dans les principes. Nul ne sait pourquoi
Céline a haï les Juifs. Certains pensent que cette haine
était rancune : un juif aurait déçu, trompé Céline, soit
dans sa carrière de médecin, soit dans sa carrière
d'écrivain-compositeur de ballets, ou bien encore lui
aurait escroqué ses premiers droits d'auteur.
Marcel Aymé croyait plutôt sentir pointer quelque vieille dent
héréditaire : élevé dans un milieu de mince bourgeoisie
commerçante, l'écrivain n'aurait point pardonné aux
grands négociants juifs de ruiner les petites gens de
son univers.
Rebatet s'approche davantage peut-être de la vérité : pour lui, Céline
n'a pas pu supporter l'ardeur belliciste des Israélites,
d'où Bagatelles, d'où L'Ecole des cadavres,
les vaches, ils ne l'emporteront pas au paradis !
Quelle que soit la vraie raison d'une telle attitude, il
est clair qu'elle découle dans tous les cas du
sentiment, de la tripe, non pas du cerveau. Quant à
l'usage fait par Céline du grief de juiverie, il paraît
plus ahurissant encore : vous êtes juifs, moi de même,
la fée Mélusine aussi et la Bête du Gévaudan, Pie XI,
Maurras et Louis XIV itou : " La religion
christianique ? La judéo-talmudo-communiste ? Un gang !
Les apôtres ? tous gangsters ! Le premier gang ?
L'Eglise !... Pierre ? Un Al Capone du cantique ! "
etc., etc., relisez L'Ecole des cadavres.
On voit bien que ces outrances, cette frénésie ôtent toute portée aux
thèses soutenues par l'écrivain. C'est lui qui les
désamorce. La folie n'a point de place en politique.
La vérité, c'est que Céline se fout du monde. Céline
n'est d'aucun parti. Il incarne le parfait anarchiste,
bien trop conséquent avec lui-même pour vouloir
dynamiter le restaurant Foyot ou révolvériser un
Président. " Je me refuse absolument tout à fait à me
ranger ici et là. Je suis anarchiste jusqu'aux poils. Je
l'ai toujours été et ne serai jamais rien d'autre. "
" Les individus délabrés, sanieux, qui prétendent rénover par leur
philtre notre époque irrémédiablement close, me
dégoûtent et me fatiguent. " Je suis anarchiste depuis
toujours, je n'ai jamais voté, je ne voterai jamais pour
rien ni personne. Je ne crois pas aux hommes. " " Moi,
je suis bien renseigné... Alors j'adhère jamais à
rien... J'adhère à moi-même tant que je peux. "
(Jean-Louis Charrente, texte paru dans Jeune Révolution
n° 10, janvier 1968, BC n°242, mai 2003).
***************
VISITE INATTENDUE.
Je reçois votre Bulletin et j'y trouve, page
14, un court article relatif à la visite de Pierre Bergé
à Meudon qu'il a racontée dans le livre de portraits
qu'il vient de faire paraître chez Gallimard. Il est
question d'une " visite inattendue assurément "
comme s'il s'agissait d'une révélation. Il suffit de se
reporter à la page 291 de Cavalier de l'Apocalypse
(tome 3 de la biographie) pour se convaincre du fait que
cette visite n'est pas une révélation puisque j'en
faisais état en 1981, il y a donc plus de vingt ans,
lorsque j'ai publié le tome III de cette biographie.
Pierre Bergé m'a du reste raconté plusieurs fois cette mémorable visite à
Meudon. C'était avec Bernard Buffet qui voulait
illustrer Voyage au bout de la nuit, détail qui,
si ma mémoire est bonne, n'apparaît pas dans le livre de
Pierre Bergé.
(François Gibault, Paris, BC n° 243,
juin 2003).
*************
UN FRANCAIS POPULAIRE...
[...] Je voudrais dissiper ici un malentendu qui finit
par être agaçant. On entend par-ci, par-là, au hasard de
parlotes littéraires, on lit parfois dans les journaux :
" Ah ! Céline !... Merveilleux écrivain qui a créé un
langage ! "
On le cautionne, pour mieux le louer, du rôle d'inventeur. Mais il n'a
rien créé du tout ! Ce fantasme thaumaturgique est
fatigant à la fin, car il est tout à fait à côté de la
plaque... Ceux qui répètent cette sottise ignorent
absolument que Céline employait une vraie langue,
qui se parlait tous les jours à côté de lui dans la
banlieue de Clichy, par exemple, au moment où il
écrivait le Voyage.
Il
baignait dedans, il côtoyait intimement, dans la
clientèle du dispensaire où il exerçait la médecine, des
gens, hommes, femmes et enfants qui ne parlaient que ce
langage-là - qui n'en savaient pas d'autre. Et il y a
des étourdis qui s'imaginent aujourd'hui qu'il l'a
inventé ! Qui lui en font un hommage ! Autant dire que
Van Gogh a créé les champs de blé, et inventé les
coquelicots... Ce n'est pas le père Volapuk, le docteur
! C'est seulement l'un des plus éclatants génies
de la littérature française de tous les temps... Céline
est un bien plus grand écrivain que s'il avait " créé un
langage ! "
(Claude Duneton, Céline ou
l'accomplissement du français populaire, BC n° 202).
**************
PETAIN APRES CELINE...
"
Il a été glorifié et vilipendé, rarement expliqué
", dit Philippe Alméras. Ce n'est pas de Céline qu'il
parle, mais bien de celui que ce dernier appelait "
Philippe le Dernier ".
Après avoir consacré une biographie (très) critique à Céline, on
s'attendait à un deuxième règlement de comptes. Eh !
bien non, c'est avec empathie qu'Alméras traite, cette
fois, son sujet. Mieux : il développe un discours qui va
résolument à l'encontre des légendes et des mythes
convenus : " Le sang-froid avec lequel les
contemporains ont accueilli les révélations de Pierre
Péan est en soi-même significatif. Il montre que les
Français entretiennent depuis 1940 une double mémoire.
Ils ont cultivé (officiellement) celle que le général de
Gaulle leur a apportée dans Paris " libéré par lui-même
", tout en conservant par-devers eux les souvenirs vécus
de la cohabitation franco-allemande. "
La démarche de Céline avait quelque chose de
semblable lorsque, dans Les Beaux draps, il
raillait à l'avance ceux qui, à propos de la défaite,
réécriront l'histoire : " On nous refera ça au cinéma
!... Les Champions du monde de la guerre !... On
retournera ça tout autrement !... Vous savez la jolie
nageuse qui reculbute sur son tremplin... rejaillait
là-haut à l'envers... On refera ça pour l'Armée
française... (...) Et tout le monde sera bien content.
Les vaincus seront de l'autre côté... "
L'idée de cette biographie lui fut soufflée,
paraît-il, par Marie-Christine Bellosta, autre
célinienne de choc. Il n'est pas sûr que le résultat la
satisfasse pleinement... A moins qu'elle ne soit pas à
l'unisson de la critique historique politiquement
correcte qui a réservé un accueil plutôt réservé à cet
ouvrage.
(Philippe Alméras, Un Français nommé Pétain,
Ed. Robert Laffont, 1995, dans le BC n°161).
*************
ETRE INTELLIGENT, C'EST DEFIER LA RADIO, RAMASSIS
D'IMBECILES, (31 octobre 1953).
(Chaque fois qu'il en avait l'occasion, Albert Paraz
n'hésitait pas à parler de Céline dans la chronique
radiophonique qu'il écrivait pour Rivarol de 1951
à sa mort).
Il
reste quelques rares émissions sérieuses, isolées dans
un océan, 20 minutes sur 80 heures, beaucoup moins d'1
%. Par exemple lundi à 21 heures, un quart d'heure de
Sacha Guitry. Les critiques radiophoniques n'ont rien
trouvé à redire. L'un d'eux s'est même écrié : " Il
avait donc tant de talent que ça ! "
Nous n'avons pas été invités à nous joindre à ce concert de louanges.
Rappelons seulement que nous avons dit bien souvent ici
qu'il était grotesque de tenir Sacha Guitry éloigné des
ondes. Il a fallu neuf ans à la haine pour désarmer.
Neuf ans c'est énorme, ça permet aux médiocres de se
creuser une place et presque de se faire une gloire
d'accueillir ceux qu'ils n'ont pas réussi à tuer.
On
avait cette semaine Giono, Montherlant, il faut tout de
même dire et redire qu'ils figuraient tous, en 44, sur
une liste noire de proscription, signée en tête par
Mauriac et Duhamel.
Il n'en reste plus qu'un, qui sera le dernier à venir à la radio, parce
qu'il est, bien entendu, le plus grand, Louis-Ferdinand
Céline. Je me suis amusé de fignoler une petite
adaptation d'une partie du Voyage, seulement
Bardamu en Afrique, rien que pour voir leur tête, aux
gens du comité de lecture de la radio. Ils n'en dorment
pas. Ils se rendent compte que s'ils acceptent, ça
écrasera tout, alors ils commencent déjà à beugler de
détresse, que ce n'est pas possible, que les programmes
sont pleins comme un œuf.
Mais il a le temps, Céline !
(BC n° 163, avril 1996).
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