|  SES  FEMMES
    Un mur entier était couvert d'inscriptions. 
						Elles partaient du traversin pour arriver jusqu'au plus 
						haut où il était possible d'écrire en montant sur le 
						lit. Il ne s'agissait pas de graffitis obscènes, 
						seulement de signatures de femmes et de dates : " Lulu, 
						le 3 mai ", des choses dans ce goût-là.
 Colette [la fille de Céline] qui sautait sur le lit m'a dit : " 
						T'as vu tout ça, mon père il a couché avec toutes ces 
						femmes. "
 (Eliane Bonabel, Illustrations pour Voyage au bout de la nuit).
                                                                                           
						***   Il était beau, le jeune 
						Céline. Les femmes qui l'ont connu en témoignent. 
						épouse, maîtresses, amies, toutes ont été sous le 
						charme. Et puis il y a les yeux. Ah ! ces yeux et ce 
						regard du Louis Destouches, des yeux d'un gris-bleu très 
						clair avec des nuances de vert.Alors homme à femmes, Céline ? Sûrement pas. Céline n'est pas un 
						dragueur, pas un don juan. C'est un timide avec les 
						femmes, un délicat, un raffiné. Pas un homme à femmes 
						Céline, donc, mais homme ayant aimé les femmes ayant été 
						aimé par les femmes.
 (Jacques Henric, Céline entre les femmes et ses démons, 12-06-2011).
 
                                                                                                                                       
						 ***  Lucette ALMANZOR - Marie 
						CANAVAGGIA - Margaret SANDE - Irène MAC BRIDE - Daphne 
						VANE - Kathryn MULLOWNY - Marianne OSWALD - SEYMOUR - La ou les 
						inconnues de Londres - Eliane TAYAR - Dora DORIANE - 
						Hélène HOWELL - Lucienne DELFORGE - Karen Marie 
						JENSEN - Louise NEVELSON - Marie BELL - Evelyne POLLET - 
						Jeanne FEYS-VUYLSTECKE - Annie REICH - Anny ANGEL - 
						Cillie PAM (AMBOR) - Erika IRRGANG - L'inconnue de 
						Genève - Margaret SEVERN - Drena BEACH - Mona DOLL - 
						Nane GERMON - Paulette LADOUX - Mme Georges BLOCH - 
						Elizabeth CRAIG - Junie ASTOR - Jeanne CARAYON - Mlle 
						PALLAS - Blanchette FERMON - Maria LE BANNIER - Germaine 
						THOMAS - Edith FOLLET - Simone SAINTU - Alice DAVID - 
						Suzanne NEBOUT - Des professionnelles - Mme GUERRAZ - 
						Les hôtesses des séjours linguistiques.         
						  
						Lucette ALMANZOR
						, la danseuse. 
 Celle qui a sacrifié sa vie au docteur Destouches. 
						« Ma féerie » disait-il. Il la rencontrée fin 1935, 
						avant la sortie de Mort à crédit.
 
					  Ça a 
						débuté comme ça. Moi, j’avais rien dit, seulement sonné. 
						Roxane est arrivée la première, au galop du fond du 
						jardin, tous crocs dehors. Dans son sillage, Fun se 
						prenait pour un loup. Feindre la hargne est une vieille 
						habitude de la maison. Il ne faut pas s’y laisser 
						prendre. Quelques caresses et on copine. Tout de même, 
						on n’entre pas dans l’univers célinien comme à la Sainte 
						Chapelle.Rien n’a changé au fond, route des Gardes à Meudon. 
						Si, quelque trente années sont passées. On n’y voit plus 
						Michel Simon, Arletty, Marcel Aymé, Blondin ou Nimier. 
						Et on n’y garde plus qu’un souvenir, mais si passionné, 
						si compromettant, toujours en éruption…
 
 Encore un journaliste, un voyeur, un dévôt en extase, 
						un célinomane à deux doigts de l’overdose. On n’en 
						finira donc jamais avec le scandale. Avec ce brasier. Le 
						Feu de l’enfer.
 Lucette est fatiguée par tout ça. La candeur, la 
						douceur, la grâce, encore et toujours confrontées à 
						cette lave en fusion : Louis-Ferdinand Céline, son mari. 
						Et on trouve des gens pour dire : « Ce sera pareil en 
						l’an 3000. »
 
 La maison de style louis-philippard perchée sur les 
						hauteurs de Meudon sera ou ne sera pas classée comme 
						« lieu de mémoire ». Peu importe. Désormais, Lucette 
						s’en moque. Elle y tenait seulement pour les animaux, 
						les compagnons du malheur, tous enterrés là, Bébert le 
						chat, Toto le perroquet, Bessy la chienne, et tant 
						d’autres… A présent, elle n’attend plus que le repos 
						éternel.
 
  A quatre-vingts ans, la femme du Dr Destouches est 
						pourtant bien alerte. Même si elle se plaint d’être 
						« fatiguée », il faut la voir dans sa salle de danse. 
						Droite, souple, légère, une plume au vent. Ou au volant 
						de sa voiture, prendre la direction de Dieppe où elle a 
						un petit appartement. Sûr qu’il est difficile de se 
						faire obéir par ses chiens, tous tirés des cages de la 
						SPA, de costauds bâtards, elle est si frêle, mais elle 
						l’a toujours été, n’a jamais opposé que tendresse et 
						sourire aux grêlons comme aux frelons, elle est comme ça 
						et on ne se refait pas. 
						  Avec Louis non plus, 
						elle n’avait jamais le dernier mot, la discrète Lucette. 
						Mais que dire encore sur celui qui l’a séduite 
						lorsqu’elle avait 23 ans ? Que dire encore sur Céline ? 
						« J’ai déjà tout dit, cent fois, mille fois… Oh ! pas 
						grand-chose, vous savez, et toujours la même chose… Mais 
						je n’ai plus rien à dire sur Louis… Plus rien. »On n’ose trop insister. Lui quémander quelque 
						anecdote inédite sur la vie au château de Sigmaringen, 
						devenu un camp retranché pour « collabos » aux abois et 
						où Céline est arrivé un vilain matin comme un cheveu 
						dans la soupe avec Bébert dans sa musette. On voudrait 
						bien, mais on hésite à l’interroger sur la délirante 
						épopée de l’apocalypse sous les bombes, à travers 
						l’Allemagne en flammes, ou sur l’exil au Danemark, ses 
						onze jours de prison à la forteresse de Vestre Faengsel, 
						où son mari, lui, est resté un an et demi, « un 
						cul-de-basse-fosse », se lamentait-il.
 
 D’ailleurs, tout est dit dans la trilogie (D’un 
						château l’autre, Nord, Rigodon) et dans les 
						nombreuses biographies qui lui sont consacrées, 
						notamment celle, en trois volumes, de l’avocat François 
						Gibault, devenu l’ami et le confident de Mme Destouches. 
						Il vient la voir chaque dimanche depuis trente ans, lui 
						téléphone chaque jour à midi et elle l’appelle chaque 
						nuit à minuit… Mais enfin, lorsqu’on tient un témoin si 
						privilégié, personnage d’un roman vécu de ce tonneau, 
						lorsqu’on se trouve en face de la compagne de tant 
						d’années, de tant d’épreuves, la femme de 
						Louis-Ferdinand Céline, on ne la lâche pas comme une 
						baudruche dans l’air des jardins du Luxembourg.
 
 Qu’il ait été un rêve enchanté ou un cauchemar, il 
						est toujours pénible de revenir sur le passé lorsqu’on a 
						parcouru un tel chemin. Les amis ont presque tous 
						disparu. Arletty que Céline, natif comme elle de 
						Courbevoie, appelait « ma payse », est partie 
						aussi pour le grand voyage… Lucette la voyait souvent 
						rue Rémusat. Elles déjeunaient en tête à  tête, 
						simplement, un plat de pâtes, des yaourts. Elles 
						parlaient cinéma. Et de Céline aussi. Ah ! Céline, un 
						sujet inépuisable… Bien sûr, elle était à ses obsèques, 
						effacée comme toujours, personne ne l’a reconnue.
 Mme Lucie Destouches, née Almanzor, danseuse étoile, 
						puis professeur de danse, sourit d’un air tendre à 
						l’évocation de ses souvenirs. Tandis que Bonhomme, un 
						cocker au caractère joyeux, lui mordille les mollets, 
						elle regarde Paris au loin, lève lentement son bras 
						droit avec grâce comme si elle revoyait ces visages 
						d’amis fidèles, de la Butte à Meudon. « Marcel Aymé 
						venait nous voir chaque dimanche matin. Mais il fallait 
						qu’il nous quitte à midi pile car sa femme l’attendait à 
						Paris pour déjeuner. Faussement bougon, Céline le 
						laissait partir à regret en lui disant à midi moins 
						cinq : « Allez, tire-toi, tu vas te faire engueuler, y a 
						ton rôti qui t’attend. »
 
						   
						
					
						" Avec Michel Simon, le dialogue 
						n’était pas triste, on s’en doute. Lucette les laissait 
						souvent bavarder entre hommes. D’ailleurs, elle avait 
						ses cours de danse dans la salle du haut. Que se 
						racontaient ces deux compères ? Des histoires d’animaux, 
						souvent. Chacun avait un perroquet et lui apprenait des 
						mots rarement employés dans les salons. Ou des histoires 
						salaces, peut-être… En tout cas, le rire, pour ne pas 
						dire le ricanement de Michel, résonne encore dans ses 
						oreilles.Leurs points communs étaient nombreux. Entre 
						autres, ils ne se lassaient pas de railler Sartre, 
						traité de « méchant pitre » et, plus 
						généralement, de dénigrer les « raisonneurs », 
						les « intellectuels » en appuyant bien sur les 
						syllabes. Céline disait : « J’ai pas d’idées, moi ! 
						aucune ! et je trouve rien de plus vulgaire, de plus 
						commun, de plus dégoûtant que les idées ! Les 
						bibliothèques en sont pleines ! et les terrasses de 
						café ! tous les impuissants regorgent d’idées ! » 
						L’acteur applaudissait gaiement l’artiste.
 
 C’était le folklore de la maison. L’ermite de Meudon, 
						nid de contradictions, excellait dans tous les numéros. 
						Eternel provocateur, grommelant souvent, se lançant 
						soudain, après un long silence, dans un flot 
						imprécatoire que rien ni personne ne pouvait arrêter, 
						jetant ses anathèmes à défaut de ses oripeaux, mais 
						toujours cocasse cependant même lorsqu’il prédisait 
						l’apocalypse, il pouvait faire le charmeur, jouer de la 
						flûte, et séduire aussi bien les dames que les 
						messieurs.
 Demandez donc à Claude Sarraute, devant laquelle 
						l’ogre de Meudon se fit tout miel un jour pour les 
						lecteurs du Monde, « avec qui on doit se 
						montrer aimable, gentil… » La journaliste le quitta 
						épatée, presque envoûtée par cet « homme délicat et 
						délicieux… »
 
 Pour Bardamu, mais aussi pour beaucoup d’autres, Mme 
						Destouches regorge d’indulgence. Entre sa cuisine, petit 
						capharnaüm très célinien, et le salon, qui fut 
						autrefois, avant que la maison ne brûle en mai 68, le 
						bureau fourre-tout de son mari, où cohabitaient un 
						couple de tortues et un hérisson apprivoisé, elle 
						murmure tristement, comme si elle se parlait à 
						elle-même. « On n’a pas compris Céline. Il aimait les 
						pauvres gens, les malades, les souffreteux, les 
						prisonniers, les vieux, les chiens moches… Ah ! ça, il 
						n’a jamais voulu d’un chien de race. S’il avait pu, il 
						aurait recueilli tous les chiens perdus, tous les 
						oiseaux blessés. »
 On dirait que les animaux du coin se sont donné 
						le mot. Dans le jardin soigné de Meudon où Bébert a 
						chassé ses dernières souris, on rencontre des hérissons, 
						des lapins, sans parler des chats, bien sûr, qui 
						connaissent bien l’adresse…
 En 1953, le Dr Destouches s’était réinscrit au 
						Conseil de l’Ordre (alors de Seine-et-Oise), mais 
						n’exerçait plus qu’occasionnellement pour des voisins et 
						toujours « à l’œil ».
 
						     Mais 
						l’antisémitisme de Céline ? Il faut évidemment, il 
						faudra toujours, y revenir. Lucette, qui s’était opposée 
						fermement à son mari lorsqu’il lui lisait des pages de 
						ses pamphlets, a son explication, qu’elle répète 
						inlassablement, sans toujours convaincre : « Il 
						voyait en eux des fauteurs de guerre. Je lui 
						ressassais : « Tu as tort, tu t’envoies un pavé à la 
						figure, jette ça au feu. » Mais il ne m’écoutait pas. Il 
						me répétait : « Tu verras, tu verras, ils vont tous 
						s’étriper » Mais il était si excessif, si outrancier, 
						que cela en devenait dérisoire. » Les faits demeurent et ne pourront jamais être 
						gommés : si Bagatelles pour un massacre et 
						L’Ecole des cadavres ont été publiés avant la guerre 
						et même si on n’imaginait pas alors la réalité des camps 
						de la mort, Les Beaux draps sont bel et bien 
						sortis en 1941. Il faut donc prendre Céline tel quel, 
						tel qu’il était. En bloc. « Admirez Céline, ne le 
						défendez pas » a écrit un jour François Nourrissier.
 
 La vie avec cet homme, chacun s’en doute, ne devait 
						pas être drôle tous les jours. Consciente d’avoir 
						rencontré et aimé un génie, Lucette lui avait sacrifié 
						la sienne, une vie d’artiste qu’elle qualifie d’ « amusante ». 
						Danseuse dans une troupe recherchée, elle était partie 
						en tournée aux Etats-Unis pendant un an, puis à Tunis, à 
						Cracovie, en Lituanie… Elle avait dû renoncer à tout 
						pour rester à ses côtés, le materne. « Il en avait 
						tant besoin. Oui, il était exigeant, mais par amour, il 
						ne voulait pas que je fasse le ménage, ni la cuisine. 
						Seulement, ma présence lui était indispensable ». 
						Elle était sa « féerie », ne cessait-il de dire.
 
 Leur vie était bien réglée. Le mardi, elle n’avait 
						pas de cours de danse. Elle « descendait » à 
						Paris en train pour faire des achats, surtout chez 
						Fauchon. Il s’inquiétait, connaissait toutes les heures 
						d’arrivée des trains, imaginait toujours une catastrophe 
						ferroviaire lorsqu’elle n’était pas revenue à l’heure. 
						« Louis était un anxieux perpétuel », dit-elle, 
						songeuse, regardant Paris au loin.
 Parfois, lorsqu’il estimait qu’elle avait dépensé 
						trop d’argent « il m’engueulait ». Le soir, de 
						son débit saccadé, il lui lisait ce qu’il avait écrit, 
						toujours à l’encre sur des feuilles abondamment raturées 
						de papier jaune qu’il réunissait avec des pinces à linge 
						et suspendait dans sa cave, un endroit où il se plaisait 
						bien. Il se nourrissait peu et mal : du thé léger, des 
						croissants, quelques gâteaux dans la journée, « il 
						adorait les croissants », une soupe le soir. « Chaque 
						matin, il tenait à me préparer mon bol de café ». 
						Puis il allait chercher son Figaro dans la boîte 
						à lettres. Il s’y était abonné dès son arrivée à Meudon, 
						« pour le carnet du jour et plus précisément la 
						chronique nécrologique », affirmait-il.
 
 Lui, ne sortait jamais, sauf pour se rendre chez le 
						dentiste et, deux ou trois fois, chez son éditeur, 
						Gaston Gallimard avec lequel il entretenait une 
						correspondance tumultueuse. Un soir, et ce fut un 
						évènement, il alla à Paris pour applaudir une pièce de 
						l’ami Marcel, La Tête des autres. Mais, de son 
						arrivée à Meudon en 1951 à sa mort dix ans plus tard, il 
						ne s’est plus jamais rendu à Montmartre. Ses amis 
						venaient le voir : le peintre Gen Paul, son grand pote, 
						le danseur Serge Perrault, de la compagnie Roland Petit, 
						un ami de sa femme qui s’était pris de passion pour lui, 
						et deux confrères, le Dr Brami, un fidèle, et le Dr 
						Willemin, qui lui fermera les yeux, quelques autres.
 Tout cela est bien loin. Bien vieux. Aujourd’hui, 
						route des Gardes, à Meudon, il ne reste qu’une vieille 
						dame entourée d’animaux, de souvenirs, de quelques amis. 
						Et un fantôme qui voyage au bout de la nuit. Un fantôme 
						tout noir.
 Francis Puyalte.  (Le Figaro, 30 décembre 
						1992, dans BC n°127).
 
						
						
                  
 
						
                  		
 
						                                                            
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						   Marie 
						CANAVAGGIA 
						  
						(...) Dès le début de leur correspondance, il est 
						possible de dresser l'inventaire des habitudes de 
						travail de Céline avec sa secrétaire : terme, qui doit 
						se comprendre plus exactement comme " assistante ". Il 
						ne s'agissait pas qu'elle dactylographiât les manuscrits 
						(pour cela, on avait recours aux soins de Suzanne 
						Chenevier - il y a beaucoup de femmes dans la vie 
						littéraire de Céline), mais de dicter, de surveiller 
						l'établissement de la ou des dactylographies, puisqu'on 
						sait que Céline réécrivait plusieurs fois ses textes 
						d'un bout à l'autre, et enfin de corriger les épreuves 
						d'imprimerie.Elle avait donc à intervenir pendant toute la série de métamorphoses qui 
						mènent du manuscrit initial au livre imprimé, et chaque 
						étape se faisait en collaboration étroite avec Céline. 
						Les rencontres entre eux seront nombreuses, avant 1944 
						et après 1951.
  
						  S'il reste 
						tellement de traces écrites de leurs rapports 
						professionnels avant 1944, c'est que, bien souvent, 
						après une séance de travail qui se tenait chez lui ou 
						chez elle, ou encore au dispensaire de Clichy, à 
						Saint-Germain-en-Laye ou à Bezons, Marie éprouve le 
						besoin de revenir sur quelques points de grammaire, de 
						lexique ou de ponctuation, et à ses questions écrites il 
						répond en marge.Lui-même, également, découvre jour après jour des retouches stylistiques 
						à effectuer, et lorsqu'il se trouve absent de 
						Paris cela nous vaut des séries impressionnantes de 
						notes qui se succèdent pendant des semaines : c'est le 
						cas pour des textes courts, comme la préface à Bezons 
						à travers les âges d'Albert Serouille (1943).
   
						La période de l'exil, pendant laquelle ces pratiques 
						écrites se généralisent nécessairement, garde la trace 
						de séries similaires, comme pendant la composition de la 
						préface à Voyage (réédition de 1949), l'un des 
						premiers textes inédits, avec Foudres et flèches 
						et A l'agité du bocal, publiés par Céline après 
						sa fuite et auquel il accorde tous ses soins. Marie est chargée également de s'occuper de ce qui se passe après les 
						publications. Il s'agit là d'un travail de secrétariat à 
						proprement parler : elle collectionne les articles de 
						critique, les fait éventuellement parvenir aux adresses 
						indiquées par Céline, assure la mise au point et 
						l'expédition de lettres de réplique à des journaux ou à 
						des personnes ; elle était parfois 
						même chargée de mener des négociations éditoriales, ce 
						qu'elle acceptera de faire malgré une sensible 
						répugnance. Ce travail para-littéraire  trouvera 
						son plein développement pendant les années danoises.
 
						  
						Ce que Céline attend alors de sa dévouée secrétaire, 
						c'est de recréer autour de lui, à distance, des 
						conditions de travail acceptables, c'est-à-dire un 
						environnement linguistique dont la privation  a été 
						ce dont il a le plus souffert au Danemark : " Je suis 
						comme un scaphandre plongé dans l'eau avec un petit 
						tuyau ". Il lui demande avec insistance journaux et livres français qu'il ne peut 
						trouver sur place, par simple soif de lecture, ou encore 
						pour son " boulot ", des plans de Paris ou de Londres, 
						des exemplaires de La Vie parisienne, deux ou 
						trois vers de Louise qu'il ne peut se rappeler...
 Aussi attend-il avec impatience tout ce qui vient d'elle et de Paris : "
						Je ne vis que par vos lettres ", et plus tard, 
						quand la " fabrique " littéraire se sera remise 
						en route
  tant bien que mal : " Quelle joie cette 
						collaboration si intime, si intelligente, si vivifiante. 
						" 
						  Or, cette " 
						intimité "va au-delà de la recherche de documents ou des 
						confidences sur les modes de genèse textuelle. Elle 
						touche un domaine de la création artistique longtemps 
						méprisé par la critique parce que, disait-on, elle ne 
						devrait jamais être entachée de semblables médiocrités. 
						Ainsi Céline avertit-il Marie de l'évolution, obligée 
						par les circonstances, de sa technique de mise au net, 
						et de l'habitude qu'il a adoptée de multiplier les 
						copies. Lorsque la matière de Féerie prend une importance telle que 
						l'écrivain risque de ne plus s'y retrouver, il lui 
						demande de lui 
      					procurer 
						un outil de travail qui lui manque, une sorte spéciale 
						de chemises robustes qu'il appelle des " carapaces à
						chef-d'œuvre ", car, insiste-t-il, " le 
						romancier persécuté pérégrinant de bagnes en criques 
						polaires a besoin de matériel sérieux. "
   
						Nous sommes au sommet de la confidence et de l'intimité 
						littéraire lorsque, impudiques voyeurs, nous assistons 
						au désarroi du créateur génial, en proie à une vulgaire 
						panne de mémoire, qui demande tout simplement à sa 
						secrétaire de lui " retrouver un mot ". Ces 
						échanges épistolaires sont, par ce côté-là, une grande 
						leçon de littérature qui donne tout leur relief aux 
						déclarations méprisantes 
						de Céline pour les " belles-lettres ", et son 
						insistance à ramener l'acte créateur à une série 
						d'opérations matérielles, voire triviales, dont le 
						résultat ne donne de satisfaction , malgré tout, que 
						s'il est dû au sérieux et à l'assiduité au travail.En cela, comme en son amour du style par-dessus tout, Céline est proche 
						de Flaubert qui aurait bien pu signer : " Oui je 
						travaille dans la haine et avec haine, comme vous sans 
						doute ! Cette Galère à ramer sur l'encre doit porter les 
						autres au Rêve ! les clients ! Je les noyerais dans 
						l'encre moi ! "
 (Jean-Paul Louis, extrait 
						de la préface, Lettres à Marie Canavaggia, Ed. du Lérot, 
						1995, BC N° 156).
                                                          
						                              ------------- 
						                                        
						Le 4 [octobre 1948.]              
						 Chère Marie - 
						     
						Je vous embrasse et n'en parlons plus - Tout ce 
						cafouillage sentimental m'écœure, de vous de tous, de 
						toutes... Je n'ai qu'à en foutre bon dieu ! Je voudrais 
						vous voir dans ma peau et mon état si vous iriez perdre 
						une seconde à ces balivernes ! Une bite au cul la belle 
						affaire ! Et bouffer depuis 5 ans ? du ciel ? Et 
						pourtant pas lourd ! et dans ce climat horrible... et ne 
						pas retomber en Prison ! ah comme deux ans de prison 
						vous feraient du bien, vous simplifieraient une bonne 
						fois pour toutes ! vous guériraient de cette manie 
						d'arguties et de mots ! ! et de mandolines !Ramassez toute cette brocaille ! Que voulez-vous qu'un 
						bagnard foute de votre guitare ! Je vous aime bien mais 
						pas dans cet infernal babillage autour du cul ! du cœur 
						! enfin ce que vous voulez ! Soyez simple et sérieuse - 
						Vous n'avez jamais même pressenti l'horreur de 
						l'état dans lequel nous NOUS trouvons ! Vous 
						n'avez pas d'imagination. Quand je serai retourné (si 
						j'y retourne jamais - ) chez les libres 
						alors vous me reparlerez de ces histoires Raciniennes... 
						Conneries pures... Je serai redevenu con comme tous les 
						gens libres - Mais dans le moment elles me sont en 
						horreur -
 (...) Le monde est plein de gens prêts à monter sur mon échafaud, sur ma 
						guillotine, pour qu'on les remarque, pendant qu'on me 
						coupera la tête - Ce n'est pas votre cas - C'est au 
						moins une qualité que je vous reconnais -
 Et vous embrasse
 LFC
  
                                                                                                
						---------------------- 
						  
						
   En Amérique, 
						Céline rencontrera au moins quatre autres danseuses : 
						Margaret SANDE, Irène Mac BRIDE, Daphne VANE et Kathryn 
						MULLOWNY : " A New York j'ai rencontré SANDE 
						(...). J'ai été à l'American School of Ballet chez 
						Balanchine. Là il ya de la jolie femme ! Ah ! Ah ! 
						Quelles merveilles ! Quelle souplesse ! Quel miracle ! 
						Juste à la limite extrême de l'esprit ! Le raffinement 
						du corps presque à l'absolu ! Oui spécialement 
						miraculeuses Daphne Vane et Kathryn Malowry - danseuses 
						assez insensibles je pense mais êtres de féerie. " 
						(Lettre à Karen Marie Jensen du 2 mars 1937).
 Margaret SANDE, née vers 1904, sera nommée en 1944 assistante 
						de Paul Haakon, chorégraphe de Mexican Hayride, 
						comédie musicale produite à Broadway par Michael Todd 
						sur une musique de Cole Porter. En 1952, elle dirigera 
						le prestigieux Radio City Music Hall de New York, comme 
						chorégraphe et maître de ballet des fameuses Rockettes, 
						et du non moins réputé Corps de Ballet, lui, de 
						formation classique.
   Irène MAC BRIDE, née en 
						1908, d'origine irlandaise, se produisait à Broadway. 
						Karen Marie Jensen lui présente Céline à Chicago en 
						juillet 1934, au lendemain de la trahison de Craig. 
						Céline la courtise, elle l'éconduit à son tour. Elle lui 
						reproche de courtiser une danseuse de 15 ans. Irène et 
						Céline se retrouveront à Paris.   
						La carrière de Daphne VANE, autre " être de 
						féerie ", débute en 1936 au Metropolitan Opera House de 
						New York, où elle se produit dans Orphée et Eurydice 
						de Glück, avec l'Américan Ballet sur une chorégraphie de 
						Balanchine. En 1937, elle danse dans Tannhäuser, 
						avec Kathryn Mullowny, et dans Caponsacchi de 
						Richard Hagemann avec la même partenaire. Sa carrière a 
						laissé moins de souvenirs que celle de Kathryn Mullowny, 
						mais elle aura aussi révélé à Céline " un raffinement du 
						corps presque à l'absolu ". Son nom aura sans doute 
						inspiré celui du personnage de Guignol's band, " 
						Delphine Vane ", la gouvernante de Titus Van Claben.
						
						   Née vers 1914, issue d'une 
						école de Quakers, Kathryn MULLOWNY se produisait 
						avec Irène Mac Bride et Margaret Sande au Music Box 
						Theater. En 1935, elle dansait dans Sérénade de 
						Tchaïkovski, ballet monté par Balanchine. Promue 
						première ballerine de Balanchine à l' American Ballet, 
						elle interprète en 1935 une des trois Grâces dans 
						Tannhäuser, au Metropolitan Opera de New York. En 1937, elle se produit dans Caponsacchi sur une chorégraphie de 
						Balanchine. C'est dans cet opéra de Richard Hagemann que 
						Céline a pu admirer la grâce " miraculeuse " de Kathryn 
						Mullowny. Il lui enverra des livres. Elle dansera à 
						Hollywood et finira ses jours à Los Angeles vers 2004.
 (Eric Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
   
						                                                                                               
						----------------------
 
						  
						   Marianne 
						OSWALD 
						                            
						Anvers, [vers le 7 décembre 1936.] 
						             
						Chère Madame 
						        
						Je vois que vous avez tous les courages ! Tant pis pour 
						vous ! Vous verrez ce que mon nom apporte d'Hostilités ! 
						de haines irrémédiables ! Enfin ce sera une expérience. 
						Travaillez bien. Bon voyage ! Bonne réussite et à 
						bientôt.A vous affectueusement.
 LF Céline
 
  La date de cette lettre est déduite de 
						celle d'un écho de L'Intransigeant dans son 
						numéro du 6 décembre, qui annonçait que Marianne OSWALD 
						allait créer sur scène une chanson de Céline, ce qui 
						aurait en effet pu convenir à son répertoire. A cette date, Céline fait bien un court séjour à Anvers. La 
						création ne semble pas avoir eu lieu.
      Le 22 avril 
						1948, Céline écrit à Albert Paraz : 
						 (...) " Je sais bien que le public 
						se jette sur les Delly mais je le force aussi à 
						acheter du Céline sans aucune publicité jamais 
						- pas la même quantité bien sûr mais ce qu'il fallait 
						dix fois pour me faire vivre, avant qu'on me chasse, 
						dépouille, écorche, interdise à zéro - et because comme 
						dit l'autre ! - Ce sont des confusionnistes - ces 
						petits, ils mélangent cafouillent tout, ces fins 
						experts.Quant à M. OSWALD, je me marre. Elle m'a pendu à la braguette 
						pendant des mois (à ne pas raconter). Elle me 
						fusillait de télégrammes avec Cocteau pour que je la 
						saute, lui fasse une chanson, la lance à Paris, à l'Abc. 
						Tu veux te marrer envoye-lui soi-disant un mot de ma 
						part une bise, tu verras tout Paris des cons frémir... 
						jaculer, merdoyer - Juive ? Je ne sais pas. Elle en a le 
						culot, le flanc. Et puis après ? C'est pas un mauvais 
						cheval je crois - Mais bien incapable de rien écrire du 
						tout. Ce doit être son petit Jules...
						Ça vaut du Lil Boël, du 
						Marnac, du Piaf... Quels jobards tous tes potes 
						affranchis ! Ils me font rire dans ma barbe d'archi 
						grand-père ! "
   (Lettres, 
						Pléiade, Gallimard, 2009). 
 
						                                                                                               
						---------------------- 
						    
 
						  1936 - 
						SEYMOUR. 
						  
						Actrice anglaise. " La garce SEYMOUR peut se taper. 
						Je n'aime pas les petites dédaigneuses. "(Lettre inédite à H.P. Marks, 1936, coll. E. Mazet)
 
						 
						1935 - La ou les inconnues de Londres. 
						  
						" Préparez-moi mon vieux un cul bien anglais pour ce 
						séjour, que je puisse m'inspirer intimement des choses 
						locales. Je ne veux pas quitter le bordel la prochaine 
						fois. Je veux enculer le printemps.(Lettre inédite à H.P. Marks, 7 février 1935, coll. E. Mazet).
 
						  
						  
						                                                                                              
						---------------------- 
  
						ENTRE le 15 et le 25 FEVRIER 1935 : 
						 Céline séjourne en Autriche 
						où il retrouve Cillie Ambor à Innsbruck. Ils se rendent 
						dans une station de sport d'hiver, au mont Patscherkofel 
						. Il écrit pendant que Cillie fait du ski. Va-t-il à 
						Vienne ? Il retrouve Annie Angel et rencontre Anny Goldschmidt, jeune femme " très 
						jolie ". Cillie fréquentait également Ruth Allen. Les 
						spécialistes du racisme célinien ont peu évoqué 
						l'attirance de Céline pour les femmes d'origine juive. 
						Cillie ne sera pas la dernière. Il y aura encore 
						Lucienne Delforge.
 (Eric Mazet, Spécial Céline n°25, Céline en son temps, 2017).
   
						                                                                                             
						----------------------    
						  Lucienne DELFORGE.
 Le 3 mai 1935, Salle Gaveau, Céline aborde à l'entracte la pianiste 
						Lucienne Delforge, venue écouter un récital de 
						l'américain Beveridge Webster, un élève d'Isidor Philipp 
						qui joue du Ravel et du Debussy. Elle apprend qu'il est 
						l'auteur de Voyage au bout de la nuit. Il lui dit 
						que son interprétation de l'étude de Chopin, La 
						Révolutionnaire, lui avait donné le ton juste pour 
						une scène qu'il était en train d'écrire, celle où son 
						héros essayait de tuer son père. Il lui demande de bien 
						vouloir le retrouver à la fin du concert pour aller 
						prendre un verre ensemble.
 Elle a 26 ans, est mariée, a un fils. Ils habitent à un quart d'heure à 
						pieds l'un de l'autre. Ils se retrouvent dans les cafés 
						de la place Pigalle, à la Nouvelle Athènes du n° 9, au 
						Rat Mort, à l'Abbaye de Thélème ou aux Omnibus du n° 13, 
						" le marché aux musiciens ".
  Elle dira avoir été captivée par 
						la violence qui passait à travers les mots, autant que 
						par sa gentillesse, quand il lui dira, pour calmer sa 
						douleur après la mort de sa fille : " Pas de fantômes, 
						ma petite, pas de fantômes... " (Erika Ostrowsky, 
						p.83). Il lui envoie un mot et il y joint un témoignage : " Elle s'exprime avec 
						un lyrisme naturel. On peut compter sur les doigts les 
						virtuoses qui ne tuent pas la Musique. La plupart 
						d'entre eux ne savent pas ce qu'ils font : appris, 
						forcés, la musique n'est pas leur langue... Ils la 
						parlent comme le latin " (Lettres, 35-13). Céline 
						l'emmène quarante-huit heures à Amsterdam pour lui faire 
						visiter le Rijksmuseum, commentant les Bruegel et les 
						Rembrandt.
  On l'appelait " 
						la Sorcière douce ", " l'Ambassadrice ", " la Fée aux 
						doigts de soie et d'acier ". Elle donna un millier de 
						récitals. Elle fut membre du jury du Conservatoire de 
						Versailles et de l'Ecole normale de Musique de Paris, 
						membre de la Société des gens de Lettres de France, 
						vice-présidente de l'Association des écrivains sportifs 
						français, vice-présidente fondatrice des Amis de Francis 
						Casadesus et des Amis de Juliette Drouet, membre du 
						comité d'honneur et de patronage du Centenaire de 
						Vincent d'Indy. Elle publia Témoignages, aux Editions de l'Elan ; La vie 
						amoureuse de Victor Hugo et de Juliette Drouet, 
						Edition de Tanger ; Vincent d'Indy, le rénovateur de 
						la musique française, édition Olivier Lesourd.
 Elle joua en Allemagne (la Sonate de Paul Dukas), en Angleterre, en 
						Autriche (où on la consacra " Fille de Protée "), en 
						Belgique (César Franck), au Canada, au Danemark (deux 
						années de suite), aux Etats-Unis, au Town Hall (elle 
						interpréta Le Tombeau de Couperin " comme une fée 
						aux sortilèges enchanteurs "), en Finlande, en Hollande 
						(Hett Volk : " L.D. n'est pas une virtuose, mais la 
						virtuose "), en Hongrie (les Jeux d'eau de 
						Liszt), en Italie, en Norvège (où on lui attribua " 
						finesse, intelligence, pureté, beauté, souplesse, 
						délicatesse, jeu subtil, nuances "), en Suède (" 
						puissance et modestie "), en Suisse, en Tchécoslovaquie 
						(" puissance et sensibilité ").
   
						A 21 ans, à Paris, elle avait épousé Robert Louis Stern, 
						né en 1898 à New York, de nationalité américaine, " 
						bachelor of arts ". Engagé dans l'armée américaine pour 
						la durée de la guerre en 1918. Il débute comme 
						journaliste au New York Tribune, puis collabore 
						au quotidien Daily Garment News et au mensuel 
						économique Industrial Digest.Il se marie une première fois avec Hélène Ruth Simon, dont il a une 
						fille, Marjorie, née à New York en 1920. Après divorce, 
						il arrive en France en 1926 et vit à Paris jusqu'en 
						1928. Il s'installe à Dinan pendant deux ans, puis en 
						octobre 1930 revient à Paris : il est alors secrétaire 
						de rédaction au service parisien du Chicago Tribune, 
						membre de l'Association de la Presse anglo-américaine de 
						Paris, et adhérent à l'American Legion.
 En juillet 1932, avec son mari, Lucienne fait sa première ascension du 
						Mont-Blanc grâce au Congrès international d'alpinisme de 
						Chamonix. Marjorie Stern décède au cours d'une opération 
						des amygdales.
 En 1933, naissance d'Alain Stern, fils de Robert et de Lucienne. Ils sont 
						domiciliés 3 rue de Navarin, Paris 9e, à deux pas de la 
						place Pigalle. Début 1935, Lucienne donne naissance à 
						une fille qui mourra pendant sa liaison avec Céline 
						(confidence à Erika Ostrowsky et à Marie Alchamolac). 
						Mais à la mairie du 9e, ni acte de naissance ni acte de 
						décès au nom de Stern.
   Il 
						est difficile d'imaginer que Lucienne Delforge  
						n'ait pas évoqué auprès de Céline ses origines juives 
						alors que tous les membres de sa famille se présentaient 
						comme juifs : grands-parents maternels, mère, sœur, 
						mari, belle-fille. On ne sait ni pourquoi ni à quelle 
						date elle se convertit au catholicisme. Après lecture de 
						Léon Bloy, sous l'influence de Vincent d'Indy ? Avec les 
						conseils du poète Jean Soulairol ? En 1939 ou avant ?Dans son introduction aux Lettres de Céline à N... (Cillie Ambor), 
						Colin Nettelbeck ne trouvait pas d'explication au fait 
						que Céline pouvait à la fois avoir fréquenté Cillie 
						Ambor et avoir écrit Bagatelles pour un massacre. 
						Faut-il tenter des interprétations psychanalytiques ? 
						Peut-être vaut-il mieux donner dans la chronologie, 
						intime et historique, pour éviter toute explication 
						hasardeuse.
 (Eric Mazet, Céline en son temps, Spécial Céline n°25, 
						juillet-août-sept. 2017).
 
                                                                                        
						*** 
						
						  
						Lucienne DELFORGE, la pianiste. 
					
   Le 4 
						avril 1935, dans une salle de concert parisienne, 
						Céline, passionné de musique, tombe sous le charme de la 
						jeune interprète et future vedette internationale 
						Lucienne Delforge. Un deuxième concert achève de le 
						séduire. Il aborde la jeune femme à l’entracte et lui 
						confie que son jeu l’a inspiré pour la scène centrale de
						Mort à crédit. Rendez-vous est pris pour après le 
						concert. Le couple est né, rassemblant deux 
						personnalités très fortes. Céline et Lucienne Delforge 
						voyagent ensemble au Danemark, en Suède et en Autriche, 
						avant de se séparer en avril 1936.
 Leur correspondance retrace cette liaison, partant 
						d’une première déclaration datée de mai 1935, dans 
						laquelle, Céline, déjà célèbre pour son Voyage au bout 
						de la nuit, offre à la pianiste une recommandation pour 
						sa publicité : « Lucienne Delforge est née dans la 
						musique. Son lyrisme est réel, naturel. Cette grâce ne 
						survient guère qu’une ou deux fois par génération, et 
						presque jamais chez une femme. »
 Mais surtout l’auteur avoue déjà sa flamme, 
						soulignant sur une feuille séparée que son 
						« témoignage est sincère et
  demeure en deçà de son 
						sentiment personnel. « Mais je sais qu’en ce domaine 
						trop d’assurance peut paraître impertinente », 
						ajoute-t-il. Cette modestie n’est plus de mise dans la lettre 
						de neuf pages du 26 août 1936, où culmine la passion. 
						Lucienne est devenue « mon petit chéri ». « Comme 
						je t’aime bien. Comme j’ai besoin de toi. Tu sais que je 
						ne mens jamais, que je ne ruse jamais. Que je ne fais 
						jamais de sentiment », assure Céline, « Je t’aime 
						bien Lucienne, à un point que tu ne peux pas savoir », 
						« Je t’embrasse bien fort Lucienne, comme je t’aime bien 
						fort et pour la vie, forcément. »
 La rupture consommée, à l’été 1936, il l’appelle 
						encore « mon petit » et lui prodigue de tendres 
						conseils : « Préserve-toi. Garde-toi bien. Méfie-toi 
						de tes impulsions trop aventureuses. Ne tente pas le 
						diable. Il détruit. Détruire n’est pas ton destin. Au 
						revoir mon petit. Je t’embrasse bien fort ».
 
 Lucienne Delforge est évoquée par François 
						Gibault à Sigmaringen
 
						 Elle était au centre de 
						toutes les manifestations mondaines. Pianiste, mais 
						aussi nageuse, escrimeuse, ancien capitaine d’une équipe 
						de basket-ball, critique musicale, conférencière, 
						écrivain, cette femme avait toujours été d’une activité 
						prodigieuse. Elle avait rédigé pour le maréchal Pétain 
						un rapport sur le rôle de la musique française dans 
						l’Europe de demain et elle écrivit des critiques 
						musicales dans le journal La France. Elle était 
						demeurée très sportive et faisait de grandes excursions 
						en montagne, mais Louis n’autorisa jamais Lucette à la 
						suivre par crainte qu’elle ne soit jetée dans un 
						précipice par Lucienne qu’il soupçonnait de jalousie 
						morbide… 
 (…) Lucette et Louis assistèrent au concert donné par 
						Lucienne Delforge dans la Galerie portugaise, de même 
						qu’ils étaient présents le 31 décembre 1944 à la soirée 
						de variétés donnée au profit d’œuvres de bienfaisance 
						dans la salle du Deutsches Haus. (Céline, 
						cavalier de l’Apocalypse, Mercure de France, 1981)
 
						    Erika Ostrovsky 
						dans son Céline, voyeur voyant trace un parallèle 
						entre Lucienne et la Nora de Mort à crédit. 
						     Même Lucienne, aux 
						mains magiques, aussi douée sur le clavier que sur les 
						pics montagneux, qui apparaissait et disparaissait de 
						façon aussi spasmodique que lui, combinant la présence 
						et l’absence, la musique et le silence des glaciers, la 
						perfection de l’art et la grâce du corps et dont le 
						portrait (bien que prénommée Nora) illuminerait le 
						sombre manuscrit qu’il écrivait alors : « Ils étaient 
						terribles ces doigts… c’étaient comme des raies de 
						lumière… » Il l’observait, avec l’extase du voyeur, 
						tandis qu’elle faisait jouer son instrument : « Nora, 
						elle jouait toujours son piano en nous attendant… Elle 
						laissait la fenêtre ouverte… On l’entendait bien de 
						notre cachette… Elle chantait même un petit peu… à 
						mi-voix… Elle s’accompagnait… Elle chantait pas fort du 
						tout… C’était en somme un murmure… une petite 
						romance…(…) On attendait qu’elle interrompe, qu’elle 
						chante plus du tout, qu’elle ferme le clavier… »
 Il n’attendit pas. La Nora de la vie réelle devint 
						un jour trop réelle et  trop vivante. Elle ne voulait 
						pas, comme sa contrepartie sur le papier, disparaître en 
						flottant dans le non-être, ni que les eaux se referment 
						sur son visage tranquille. Leur séparation devait être 
						plus douloureuse, plus brutale même que la disparition 
						de Nora dans ses écrits. Seule l’ombre de la femme 
						(décida-t-il) était assez lointaine pour être conservée, 
						pour luire comme un reflet dans les pages de son 
						livre. »
 (Céline, voyeur voyant, Buchet-Chastel, 
						1973, dans BC n°249).
 
					  
						   
						
						                                                                                        
						 --------------------------
						
 
 
 
						    
						Karen Marie JENSEN 
						                                                
						 Le 9, [fin hiver] 1935,
 Karen Chérie,
 
  Je ne 
						sais plus comment m'y prendre avec vous... J'ai 
						l'impression toujours que je vous embête beaucoup avec 
						mes histoires de sentiment, que vous voulez qu'à cet 
						égard je vous laisse tranquille, que je reste à ma 
						place, que votre esprit et vos goûts sont ailleurs... 
						Vous savez bien que je suis assez discret par nature 
						Karen, et pas très sentimental non plus ou très 
						rarement, qu'il me faut peu de chose pour que je 
						retourne définitivement en moi-même et que j'y reste. Je 
						ne m'impose jamais, au contraire. Et puis le temps passe 
						Karen, surtout à mon âge. Ceci vous le devez bien 
						comprendre...
 Je sais bien aussi que vous devez tout votre temps et votre esprit 
						à votre danse, et que vous retournerez en Amérique 
						fatalement bientôt et sans doute pour toujours (ou à peu 
						près). Que puis-je dire ou faire dans tout ceci ? Rien.
 Votre carrière prime tout le reste et c'est naturel et normal. Vous 
						ne pourriez vivre autrement. Vous avez ce vice comme 
						j'en ai tant d'autres ! - mystérieuse Karen.
 
						   
						Si je viens à Copenhague, au bout de 24 heures vous ne 
						sauriez plus où me cacher... Je vais y penser mais je ne 
						crois pas que ce soit raisonnable. Peut-être en juillet 
						serez-vous encore au Danemark ? Je vais prendre à ce 
						moment deux mois de vacances. Enfin je vais vous écrire 
						à ces sujets. (...). L.D.
 (Lettres, Pléiade, p. 449).
   
						 (...) Pour 
						Karen Marie aussi, 1948 fut une année décisive, 
						puisqu'elle résolut de renoncer à partager la vie de 
						Juan Serrat.
 Céline comprend en un éclair que pour garder ce nouvel amour en une jeune 
						Nordique indépendante, qui en sait autant que lui en art 
						et en littérature, il doit jouer le rôle d'un père qui 
						conçoit le bien-fondé de ses aspirations artistiques en 
						matière de danse, une compréhension qu'elle n'a jamais 
						rencontrée chez son propre père. Il suffit de lire la 
						première lettre des Cahiers Céline 5, pour se 
						rendre compte que c'est l'HOMME et même l'homme jaloux 
						qui parle. Peut-être faut-il chercher là aussi 
						l'explication de la haine de Céline à l'égard de Juan 
						Serrat.
 
 Karen Marie était d'une beauté éclatante, et avec ses lignes 
						élégantes et déliées, elle était le prototype même de la 
						danseuse moderne vu par les yeux de Balanchine. Mais 
						elle était également une femme du monde qui, depuis son 
						enfance, avait fréquenté les cercles artistiques, 
						diplomatiques et nobles.
 Malgré son opposition, son père, Anders Jensen, avait tenu à lui assurer 
						la meilleure formation de danseuse à la fois en Europe 
						et en Amérique, où Fokine conçut, comme il l'avait fait 
						pour la Pavlova, une danse spécialement dédiée à Karen 
						Marie.
 
 En 1935, Karen Marie se produisit au Tivoli de Copenhague. Elle 
						avait maintenant 30 ans. Quoi de plus naturel pour son 
						père que de souhaiter la voir se fixer en acceptant une 
						des propositions de mariage qu'on lui faisait au 
						Danemark et en exauçant peut-être ainsi le vœu paternel 
						d'avoir des petits-enfants ?
 Au lieu de cela, Anders Jensen dut, bien malgré lui, offrir 
						l'hospitalité à Céline, qui lui déplaisait beaucoup.
 Bente Karild.
 (BC n°232, juin 2002).
 
 
                                                                                                                      
						------------------------    1934 
						- Eliane TAYAR. * 
						Née en 1904, actrice de cinéma et cinéaste, de mère 
						bretonne et de père libyen, veuve depuis le suicide 
						d'Henri Fraisse-Tzarnisky.(E. Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
 
						* D'origine libyenne et nantaise, Eliane Tayar 
						(1904-1986), mariée à 17 ans et veuve à 19 ans, fut 
						actrice de cinéma dès 1928, assistante de Karl Dreyer 
						dans Vampyr en 1931, puis réalisatrice de 
						courts-métrages.Amie d'Aimée Barancy, elle rencontre Céline en 1929. Il lui propose de 
						tourner avec Jacques Deval dans Secrets dans l'Ile 
						en 1935, projet non abouti, puis ils se perdent  de 
						vue en 1937.
 (Joseph Vebret, Céline L'Infréquentable, Jean Picollec, mai 2011, 
						p.136).
   
						                                                                                              
						------------------------
   
						 Louise NEVELSON. 
						   Sur le bateau de 
						retour en France, le Liberty, Céline rencontre 
						une femme sculpteur américaine qui voyage seule. Il 
						l'aborde. Quelques jours après, toujours à bord, il lui 
						propose de l'épouser (elle vient de divorcer). Elle décline, mais quelques jours après, de Bretagne, il lui envoie ces 
						deux billets pour tenter de la revoir. Elle précise 
						qu'elle n'a jamais eu avec lui de relation intime.
 
						                     
						Carte postale à Louise NEVELSON
 
  [15 août 1934. (Carteret-Carentan] 
 Chère miss Nevelson,
 
 J'espère que vous gagnez beaucoup d'argent, et 
						qu'ainsi je pourrai vous regarder sans dégoût quand je 
						rentrerai à Paris le 26 ou le 27.
 98 rue Lepic Paris 18e
 L.-F. Céline
 Je n'ai pas le téléphone.
                                                                      
						----------                                    
						A louise NEVELSON                                                
						Saint-Malo, 21 août 1934.                               
						Chère miss Nevelson       
						A l'heure qu'il est vous devez vous être mariée 
						plusieurs fois.Qu'est-ce qu'il va rester pour moi comme passion ?
 Je serai à Paris samedi soir. Déjeunez avec moi le jour que vous 
						choisirez, mais écrivez-moi la veille. 98 rue Lepic.
 Où en est cet argent ?
 Louis F. C.
 
 (Lettres, Pléiade, 2009).
 
                                                                                                                           ----------------------       Marie BELL. 
						                     
						Chère Marie,      
						Ne te désiste pas toi aussi ! Je compte plus sur ton cœur 
						que sur les paroles des hommes... Un coup d'avion ! un 
						coup d'aile ! et que je t'embrasse - !Zoulou semble défaillir finalement... Depuis 3 ans on crève d'être 
						à sec des brises natales !...
 Tu penses ! Tu ne verras pas des gens tristes ne redoute rien ! Plein 
						d'histoires marrantes au contraire et je t'assure bien 
						inédites !
 Et puis aucun risque je t'affirme - Il y a des touristes français plein 
						les rues de Copenhague. Je te cèderai mon lit s'il le 
						faut j'irai recoucher en prison pour te faciliter les 
						choses... au pire !
 Mais l'hôtel d'Angleterre et sa réputation mondiale sont là pour un 
						coup j'imagine ! N'attends pas les froids... Bien 
						entendu je ne dirai rien de ta venue, et tu sais que je 
						peux me taire - autant que je t'aime.
 Ce n'est pas peu dire -
 Ton fidèle et bien affectueux.
 Ferdinand.
 
 (Lettres 2009, à Marie Bell, le 8 juillet 1947).
 
						   
						
						----------------------
     
						
						   
						  La parution de Voyage au bout de la nuit 
						dédié à Elizabeth Craig est à l’origine de la rencontre 
						de Céline avec Evelyne POLLET. 
						
						  « Je vivais à Anvers. Un jour, un ami, un avocat juif, 
						est venu à ma rencontre, dans la rue, en agitant un 
						livre : « Il faut absolument que tu lises ce livre, 
						Evelyne » C’était 
						Voyage au bout de 
						la nuit. Une bombe dans le milieu littéraire. J’ai 
						aimé Céline, déjà en le lisant. Je l’ai admiré mais, 
						surtout, j’ai ressenti pour lui de la pitié et de la 
						tendresse car je le sentais très solitaire. »Elle ose lui écrire. Il lui répond en février 
						1933 : « Chère Madame – Vous possédez un bien joli 
						prénom – je l’avais retenu pour une légende (La 
						Naissance d’une fée) mais j’avais ajouté un y pour le 
						ton médiéval – Laissez-moi l’y ! » Bientôt, il lui 
						promet une visite à Anvers. Il signe ses lettres L.-F. 
						Céline ou L.-F. Destouches. Le 24 mai, il l’attend à 
						l’hôtel Carlton, place Teniers.
 - On voyait tout de suite qu’il avait souffert. Il 
						était aussi bel homme. Grand, massif, avec une tête 
						puissante, les cheveux bruns rejetés en désordre. Il 
						parlait vite et impérieusement. Pour cette première 
						rencontre, il avait mis son plus beau costume (le 
						seul !) et surveillait son langage. Il avait une langue 
						bien à lui, une sorte d’argot. Je crois que, lui aussi, 
						attendait ce moment…
 
 Céline refuse le dîner familial dans le faubourg 
						de Deurne (Avenue Te Boelaar) et l’emmène au restaurant. 
						Il veut tout savoir d’elle. « Sa grande simplicité et 
						son pouvoir de compréhension appelaient la confidence ». 
						Elle lui parle de sa vie de mère, comblée par deux 
						petits garçons, mais de femme déçue par un mari peu 
						démonstratif dans le quotidien et par un ancien 
						amoureux, assidu depuis quatre ans. Du courage 
						nécessaire pour assumer ses tâches et de ses joies 
						d’écrivain. A 19 ans, on a publié son premier roman, 
						elle en prépare un autre. Il conclut : « Tu es encore 
						une petite jeune fille. »
 De retour à l’hôtel, il devient son amant. « Un 
						amant magnifique. » Allongé près d’elle, il lui 
						parle de son passé (de la boutique de ses parents, à 
						Paris, passage Choiseul, de son adolescence occupée de 
						métiers plutôt que d’études, des horreurs du Front, en 
						14, de la beauté des femmes à New York, du manque 
						d’argent). Il reste étonnamment discret sur ses amours. 
						Elle lui découvre des cicatrices qui l’intriguent, à la 
						tempe, à la bouche, au menton.
 (…) Pendant cinq mois, il lui écrit 
						régulièrement. En termes discrets et en la vouvoyant, 
						par prudence…Entier et protecteur, il entame des démarches pour 
						elle auprès de son éditeur, Denoël, pour la publication 
						du roman La maison carrée, et lui donne des 
						conseils : « Vous êtes douée de haute malice, de fine 
						observation, de sentimentalité délicate, de grande 
						ferveur. Mais tout ceci n’est pas grand-chose sans 
						beaucoup d’anarchie ». Il la met en garde contre
  un 
						langage de salon : « Le beau français est mort. Il a 
						commencé de mourir au XVIIIe siècle, et précisément dans 
						les salons. On assassine beaucoup dans les endroits 
						nobles. » Il l’encourage à se servir, sans 
						scrupules, de sa propre vie : « Toute la littérature 
						n’est qu’un immense aveu ». Et il émet incidemment 
						des doutes sur le pouvoir des femmes écrivains. « Il 
						faut être bien membré pour produire quelque chose. Bien 
						membré ». 
 Et puis c’est la cassure. Plus aucune nouvelle 
						pendant dix mois. Jusqu’au 30 août 1934. « Il faut me 
						pardonner tout ce silence et cet abandon – j’ai vécu 
						depuis un an une aventure atroce à plusieurs titres – en 
						plusieurs lieux – jusqu’en Amérique d’où je reviens ».
 Céline ne lui parlera pas de sa rupture 
						définitive avec la danseuse américaine Elizabeth Craig ; 
						mais, désormais, le ton des lettres changera. Et c’est 
						un homme différent qu’elle reverra en novembre. « Il 
						était jeune, truculent, avide, à l’affût de la vie ». 
						A présent. « c’est un homme épaissi par une lassitude 
						immense, le visage ravagé et l’œil gauche voilé, avec 
						dans l’attitude quelque chose d’offensant et de 
						contraint » qu’elle retrouve et reçoit en visite, 
						dans son nouveau logement au 21 rue Saint-Vincent.
 (…) A 14 heures, gelés, ils se restaurent au 1er 
						étage du Queen’s, sur le quai Van Eyck. 
						Louis-Ferdinand ne parle pas beaucoup. Il rêve de ne 
						plus parler jamais, de ne plus répondre à aucun message, 
						de partir seul sur une île.
 - Je lui ai rétorqué : « Pas seul sur une île, 
						Céline. Vous aurez toujours besoin d’une femme 
						près de vous. Même si elle ne dit pas un mot ». « Il n’a 
						rien répondu ».
 A l’hôtel, une trêve. Ils bavardent. Font l’amour. 
						Lui, tout habillé. Et, bien qu’il ait le sommeil rare, 
						il se repose puis s’endort tout près d’elle, dans la 
						tiédeur de la chambre étroite. Elle rêve d’une autre 
						vie, impossible.
 Désormais, le courrier sera parfois interrompu « par 
						le travail, un voyage ou une autre conquête » (comme 
						la pianiste Lucienne Delforge).
 Elle n’en connaîtra pas l’identité, sauf si la presse 
						en fait écho. Elle le revoit en mars à l’hôtel Century, 
						avenue De Keyser. Les deux séjours suivants sont 
						écourtés.
 
						   Evelyne inquiète et 
						se fiant à ses nombreuses invitations à aller le voir à 
						Paris, décide, impulsivement, de se rendre à la 
						capitale, en octobre.Elle découvre l’antre de l’écrivain près du Moulin de 
						la Galette, au 98 rue Lepic. Louis-Ferdinand accorde 
						quelques minutes cordiales à sa visiteuse et lui 
						recommande d’aller au Café anglais « pour y récolter 
						une aventure, comme beaucoup de belles étrangères ». 
						Il n’est pas libre le soir, car il a un rendez-vous avec 
						son ami peintre Gen Paul. Il n’est pas davantage 
						disponible le lendemain et, déçue, elle décide de ne 
						plus le revoir. Mais la perte de son porte-billets la 
						met à la rue, et elle cherche refuge à Montmartre.
 En rentrant à 22 heures, il la trouve sur le palier, 
						et, cette fois, l’accueille dans la chambre d’amies 
						(celle d’Elizabeth Craig et, en 1932, d’Erika Irrgang, 
						la Berlinoise nazie, puis celle de Cillie Pam, la juive 
						autrichienne).
 
						    Lorsqu’ils se 
						revoient, en 1936, dans un « hôtel vieillot » de la 
						ville de Rubens, Céline a maigri à la suite d’une grave 
						maladie (« Oui, j’ai fait un petit tour dans la mort »), 
						mais il donne encore une impression de « virilité 
						sauvage », il est « massif comme un mur 
						infranchissable ». En mai 1937, Louis-Ferdinand trouve « tout à fait 
						bienvenu » l’article d’Evelyne, « Céline et 
						l’Escaut », paru dans l’hebdomadaire bruxellois 
						Cassandre, et l’invite à venir chez lui.
 Evelyne n’a pu partir pour Paris. Le rendez-vous 
						suivant sera sans cesse différé. Il a terminé et fait 
						publier Mort à crédit, mais il commence à vivre 
						avec la danseuse Lucette Almanzor.
 
 En 1938, il demande à Evelyne de lui montrer Anvers 
						comme elle l’a fait pour lui. Elle déchire la lettre et 
						ne répond pas. Lorsque Céline vient au domicile conjugal 
						avec Lucette, elle est « heureusement » malade. Louis 
						laisse « Lili » dans le salon, près du mari, et monte 
						dans la chambre de l’alitée. Ses belles épaules attirent 
						les caresses…
 En janvier, la jeune belge voit son ami critiqué lors 
						de la parution de Bagatelles pour un massacre (qui se 
						vend très bien en France). Elle veut écrire un article 
						pour le défendre. Il le lui interdit : « Je ne veux 
						pas que vous vous compromettiez dans cette histoire – 
						avec votre famille et vos enfants – Ce (sic) pourrait 
						finir tragiquement – Je vous détesterai et ne vous 
						reverrai jamais si je vous prends à risquer quoi que ce 
						soit pour mon salut »
 
   En décembre, Evelyne est opérée. Très affaiblie, elle 
						part ensuite à Cannes, plusieurs mois, pour se rétablir. 
						Elle craint la passion d’un homme très attentionné. 
						Contrairement à son attente, Céline l’encourage. 
						« Que rien ne vous retienne ! J’exècre la fidélité, la 
						stagnation, les vertus bourgeoises, tout ce qui fige la 
						vie et l’emprisonne. Jouissez ! Voici votre lyrisme 
						revenu, bien innocent et tout animal. »
 
						  A la fin de ce séjour, en juillet 
						1939, il lui propose de venir à Saint-Malo. Elle réussit 
						à le rejoindre, sans inquiéter sa famille et sans 
						épuiser ses finances. A l’arrivée, elle le trouve une 
						mine superbe, le teint hâlé, l’œil vif. Sa chemise de 
						toile bleue est large ouverte, son veston déchiré, son 
						pantalon de marin rapiécé aux genoux… Son sourire, 
						insolent et embarrassé, lui paraît bizarre. Il lui 
						présente une « petite copine », la jeune danseuse 
						qu’elle avait réussi à éviter chez elle, Lucette 
						Almanzor, qu’il épousera en 1943.Après le déjeuner, ils s’en vont à Dinard. Après 
						s’être aperçue que Céline partage la même chambre que 
						Lucette, Evelyne, seule dans la sienne, est prise d’une 
						épouvantable crise de nerfs. Alerté par ses cris, il 
						croit qu’elle a essayé de se suicider. « Il était 
						livide et il avait les larmes aux yeux ». 
						Lorsqu’elle s’est un peu remise, il la ramène dans un 
						hôtel à Saint-Malo. Et il la quitte tout de suite pour 
						rejoindre Dinard et travailler. C’est la rupture.
 
 En 1941, il lui écrit cependant « comme si de rien 
						n’était », et la revoit une dernière fois au Tourist 
						Hôtel. Il est particulièrement gentil pour son « ardente 
						parleuse ».
 De 41 à 42, celle-ci rédige Escaliers, une 
						version à peine romancée de ses rencontres avec Céline. 
						Dans le livre, il est peintre et se nomme Jean-Jacques 
						Charbier. L’héroïne, très sentimentale et un rien 
						narcissique, s’appelle Corinne.
 En 1942, Denoël publie Primevères et Les 
						auteurs associés, Un homme bien… parmi d’autres 
						personnages (une nouvelle qui concerne 
						Louis-Ferdinand).
 
					    Désormais, malgré 
						quelques tentatives, les amants ne se reverront plus, 
						mais ils continueront à correspondre. En 1943, il 
						s’inquiète de son sort à la suite d’un bombardement. En 
						juillet 1947, il apprend la mort de son mari, forme des 
						vœux pour son fils Ivan, qui triomphera, à 24 ans, aux 
						« Spectacles de Beersel » et parle de ses 17 mois de 
						réclusion au Danemark, au quartier des condamnés à mort 
						(à la suite de ses trois pamphlets antisémites et de ses 
						lettres à des journaux de la Collaboration). 
 En 1948, il 
						lui demande deux fois de venir le voir à Copenhague, 
						sans trop y croire. La lettre suivante, la dernière, 
						elle la jugera « inintéressante » et ne la 
						gardera pas. Elle ne conservera  pas non plus son propre 
						« journal inédit » communiqué à François Gibault, venu, 
						comme Erika Ostrovsky, auteur de Céline, le voyeur 
						voyant et Henri Thyssens, à Boitsfort, pour y 
						recueillir des souvenirs.
 
 En 1950, Evelyne enverra une lettre pour défendre 
						Céline lors de son procès. Cette fois, il ne lui 
						reprochera pas de l’avoir défendu. Mais, l’année 
						suivante, lorsque Albert Paraz lui parlera d’Evelyne, il 
						lui répondra « à la Bardamu », en taxant notamment la 
						jeune femme de « damnée hystérique, folle de 
						jalousie, cavaleuse, femme de lettres 1000 pour 100 ».
 Escaliers sera publié en 1956. D’après 
						Céline, la plupart des dialogues étaient fidèlement 
						restitués et la chronologie respectée.
 Evelyne Pollet nous a demandé de lui apporter le 
						livre de Lucette Almanzor, Céline secret, paru 
						récemment. « C’est vrai, ce qu’elle a écrit. Je ne 
						l’aimais pas. Les femmes sentent cela. Mais je ne la 
						détestais pas. »
 Jeanne Augier.
 
 (Le Soir Magazine, 
						Bruxelles, 19-25 janvier 2002, dans BC n°229).
 
						
						    
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					    Jeanne FEYS – 
						VUYLSTECKE se confie à la fin de sa vie à un écrivain 
						flamand, Willy Spillebeen. Elle aurait eu une liaison 
						avec Céline après la parution du Voyage au bout de la 
						nuit. 
 L’auteur prend des notes, et quelques années 
						plus tard publie un roman tiré de cette confession : 
						De varkensput qu’on pourrait traduire par Le trou 
						à rats, paru en 1985 aux éditions Manteau, à Anvers.
 (Une autre explication serait que c’est sa 
						sœur, Claire Vuylstecke, qui aurait connu Céline et qui 
						se serait confiée à Jeanne, laquelle se serait 
						« appropriée » cette histoire.
 
						   « Madame Morbecq 
						lisait Céline et affirmait avec plaisir en être devenue 
						« frigide ». Elle scrutait alors mon visage pour y 
						déceler l’effet  provoqué par un tel langage. Pour la 
						première fois de ma vie, Céline me fit littéralement 
						prendre conscience de mon existence. A la lecture de ce 
						livre, je me sentis être biologiquement un lapin 
						apprivoisé par un serpent (je n’ai jamais été un lapin 
						sauvage ; j’étais trop calculatrice pour cela, même avec 
						Céline).
 Je lisais, haletante, les sens en feu, frisant la 
						nausée, ce qui m’excitait. (…) Il devint mon modèle. Je 
						ne comprenais pas sa vulgarité mais elle m’attirait ; 
						nue qu’elle était et tellement plus honnête que le monde 
						frelaté de Madame Morbecq. Je lus et relus son livre. La 
						seconde fois je le relus surtout au lit. Et chaque fois 
						que je le posais pour m’endormir, cet univers 
						particulier dont Bardamu voulait s’évader sans jamais y 
						parvenir m’envahissait à nouveau. A cette époque, je 
						découvrais au hasard des journaux que recevait Madame 
						Morbecq à quel point Céline est un grand écrivain. Mais 
						je sais qu’il n’écrivait pas le français qu’appréciait 
						Elsschot.
 Voilà la raison qui me fit hésiter à lui écrire, par 
						l’entremise de son éditeur Denoël. Manifestement 
						Elsschot ne m’en avait nullement guérie. Je joignis à ma 
						lettre les deux récits qu’il avait traités si 
						dédaigneusement. J’exprimai mon admiration dithyrambique 
						pour le Voyage.
 Vint une réponse courte, officielle, amicale, mais 
						évasive en ce qui concerne mes écrits. Ceci dépassait 
						l’entendement de l’écrivain Céline, écrivit-il. Chacun 
						avait « sa petite musique à soi. » La mienne était bien 
						différente de la sienne. La courte missive était signée 
						par « L.F. Destouches ».
 
 (…) J’estime maintenant que je ne noircissais des 
						feuilles que pour pouvoir grandir dans l’estime de 
						Céline. Et le style utilisé faisait penser à du Céline. 
						Je me trouvais moi-même grossière. J’avais entre temps 
						écrit à Céline que je finirais par monter à Paris, ce 
						qui s’est avéré exact. Mais je n’avais même pas suggéré 
						de le rencontrer.
 Une réponse brève me parvint rapidement. Il voulait me 
						voir. Je lui adressai une réponse accompagnée d’une 
						photographie flatteuse pour lui permettre de me 
						reconnaître lorsqu’il aurait à m’attendre Gare du Nord. 
						(…) C’est donc mon
  physique que je devais remercier pour 
						l’intérêt que me portait Céline. Déjà, lors de cette 
						première rencontre, il déclara qu’il n’existait pas de 
						filles laides, «  pourvu qu’elles soient jeunes et 
						sachent baiser ! » 
 (…) Dès cette première rencontre, je fus tout de suite 
						prête à renoncer à une vie sans danger et de 
						 
						
						partager mon existence avec cet homme que je ne 
						connaissais qu’au travers du Voyage, de quelques 
						lettres et d’une première rencontre. Un homme qui, je le 
						sais maintenant, vivait une vie pleine en premier lieu 
						d’un altruisme absolu rempli de désillusions et en 
						second lieu d’un cynisme blessant tant pour lui-même que 
						pour les autres ; poussé qu’il était par un besoin de 
						seulement faire place nette pour toujours recommencer à 
						zéro, ne respectant rien ni personne, ni certainement 
						lui-même, et plus tard du fait de sa méfiance 
						irraisonnée qui ne lui faisait voir partout que des 
						ennemis.
 (…) Je lui rendis visite rue Lepic. Il vint me voir 
						deux ou trois fois à Anvers. Il y prit une chambre 
						d’hôtel pour nous deux. Chaque fois, il venait du 
						Danemark ou de Suède, du moins pour autant qu’il m’en 
						souvienne. Finalement, j’éprouvais pour lui un besoin 
						dément qui me faisait mal lorsque j’y pensais. Une sorte 
						de manque fébrile et physique que je ressentais dans mes 
						seins et dans mon ventre. A en avoir le souffle coupé. 
						Vertige. Il s’agissait évidemment de désir sexuel.
 
 (…) Il ne m’a jamais donné son avis sur mon travail. 
						Mais par contre, il me fit de nombreux commentaires sur 
						mon popotin, mes nichons, mes cuisses, mes longs cheveux 
						que je laissais flous et qui, Dieu merci, avaient le don 
						de le rendre lyrique, d’un lyrisme noir. Du Baudelaire. 
						Je fonçais. Avec les yeux grands ouverts et la bouche 
						gloutonne. Avec un corps gourmand.
 Finalement c’est sans cesse que je me jugeais trop 
						banale pour lui. Après tout, je n’étais guère plus 
						qu’une gamine s’offrant à lui et dont il abusa car il 
						usait de tout et de chacun ainsi d’ailleurs que de 
						lui-même.
 
 Il finit par me faire comprendre que la vie que je 
						menais ne me poussera jamais à écrire. Lettre après 
						lettre, je laissais donc tourbillonner notre 
						correspondance dans l’âtre, tout en sifflotant comme un 
						refrain « Adieu Louis, adieu Louis. » Avec 
						l’impression d’être dure comme de la pierre… jusqu’à ce 
						que les larmes jaillissent… sans aucun effort de ma part 
						pour les retenir. Je pleurais, baignant dans un silence 
						de mort. Et le feu ne crépitait même plus lorsque cet 
						homme de papier sortit de ma vie…
 J’espérais que je n’aurais plus jamais à pleurer de la 
						sorte et réalisais que je me trouvais là, devenue riche, 
						et que, c’était justement cet état de richesse qui avait 
						produit la femme que j’étais devenue, là dans cette 
						chambre. Ce fut alors que pour la première fois je me 
						nommai moi-même « Soledad ».
 
 Quelqu’un était mort pour moi. Quelqu’un que j’avais 
						été capable d’aimer pour de bon. Et j’étais là, 
						irrévocablement seule. Par la suite, je n’ai jamais 
						vraiment compris pour quelle raison j’avais rompu avec 
						Céline. Peut-être bien à cause d’une autre conscience de 
						moi-même née de cette notion de richesse. Par la suite, 
						j’ai encore reçu un mot de rupture de Céline qui me 
						congratulait pour mon héritage. J’ai également brûlé ce 
						mot. Je n’ai plus pleuré. J’ai bien entendu conscience 
						de la valeur que peut avoir actuellement cette 
						correspondance et que je n’aurais pas dû la brûler. Mais 
						une valeur ne signifie que de l’argent. En définitive, 
						je n’éprouve aucun regret d’avoir tout détruit.
 
 Déjà la seule pensée qu’aujourd’hui quelqu’un aurait 
						pu lire mes misérables écrits et ces mots de Céline qui 
						représentent pour moi une telle charge de sentiment 
						(ah ! je n’ai pas à conter ce que je faisais chaque fois 
						que je recevais une lettre de lui, folie des sens, 
						érotisme, tout cela est si lointain…) ; cette pensée 
						m’est décidément insupportable ? »
 Willy Spillebeen (De Varkensput, éd. Manteau, 
						1985).  (BC n°193, décembre 1998).
 
						***
 
 
						                                                                                          
						A Charles DeshayesLe 30 septembre 1948
 
						            
						Mon cher DeshayesJe suis au courant de ce Gala des vaches. Paraz fait 
						argent de tout. Il est malade. Il publie mes lettres - 
						son livre autrement ne trouverait pas d'éditeur ! Le 
						coup est banal. Il ne m'a pas demandé d'autorisation. 
						Il ne m'écrit plus. Je l'ai traité de putain 
						(1). Amen. 
						L'histoire belge ! Je n'y comprends rien. Mme 
						Feys Vuylsteke m'est connue - de Geluwe - du 
						genre bienfaitrice et cul bénit. Je n'ai rien accepté 
						d'elle, sinon le prêt de livres, ponctuellement 
						renvoyés. Quel jeu joue-t-elle ? JE M'EN FOUS. Je suis 
						bien décidé à déclarer apocryphe tout ce qui se publiera 
						hors de moi. C'est simple - pures inventions, 
						falsifications - 1 000 précédents hélas ! Mais 
						faites l'âne pour avoir du son. Faites venir cet article 
						ou cet opuscule Céline démasqué ! etc. J'avais 
						donné votre adresse et votre nom à cette ratichonne 
						(comme ami). Donc aucune surprise. Mais ce qu'elle veut 
						au fond ? Je n'en sais rien. Son mari était " résistant 
						belge " en Angleterre !!! Elle est riche. 
						Brasseries, imprimeries. Que ce soit aussi une bourrique 
						cela me ferait bien plaisir. Le contraire me gênerait 
						presque. Le principal est d'obtenir ce Céline 
						démasqué. Dussiez-vous l'imprimer à votre tour ! Le 
						tout est de bien rigoler. Cette femme se pique de 
						littérature, elle a publié divers opuscules " 
						moralisants ", dilutions de sacristie... Tout est donc 
						possible !
 En chasse mon ami ! Du tact !
 A vous
 LFC
 
						(1) " Tu vas aller faire le chienlit, 
						le " cher maître " à Paris, dédicacer, trouducuter - Tu 
						vas te faire abattre un de ces jours par un vengeur 
						photogénique. 45 Vernes c'est 45. C'est pas des phrases. 
						Si tu ne crèves pas sous les balles tu crèveras des 
						trous de BK. Mais putain tu es, tu veux être - écrivain 
						- c'est tout dire ". (lettre du 10 septembre 1948, qui 
						répond à une lettre de Paraz du 3 septembre : " Je 
						compte aller à Paris à la fin du mois au moment de la 
						parution du Gala des vaches ). 
						  (Lettres, 
						Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p.1080, 2009).
						 
						  
						  
						                                                                                             
						------------------------ 
						  
						  
						
						    
						Annie REICH et Anny ANGEL  
						
						 
						Sa maîtresse juive, Cillie PAM l'introduisit dans 
						les milieux freudiens de Vienne. En cette ville brillante, cet antisémite goûtait le milieu intellectuel 
						juif et en recommandait la fréquentation à une de ses 
						maîtresses de Montmartre, Erika, elle-même juive 
						allemande.
 Cette Europe habsbourgeoise l'enchanta toujours...
 
						
						  
						Grâce à Cillie Pam, qu'il essaie d'aider de son mieux 
						depuis sa rencontre en septembre 1932, il rencontre 
						Annie REICH et Anny ANGEL, également d'origine juive, 
						inscrites au Parti communiste, psychanalystes 
						spécialisées en traumatisme et perversité infantile, 
						avec lesquelles il discute de politique et de 
						psychanalyse... 
						
						  
						Anny ANGEL : Avant qu'Anny ANGEL émigre en Hollande en 
						1936 pour fuir les nazis autrichiens, Céline lui propose 
						son appartement à Paris.En 1936, elle s'installe en Hollande où elle exerce la médecine pendant 
						l'Occupation  sous une fausse identité, puis 
						gagnera les U.S.A. où elle dirigera des cours de 
						thérapies.
 
						
						  
						Annie REICH : en 1938, quitte Vienne pour New York où 
						elle deviendra présidente de la Société de psychanalyse. 
						(Le Petit Célinien, E. Mazet, interview, 2012) 
      					 
						
						                                
						[Premiers jours de juillet 1933.] 
						
						                    
						Chère Cillie 
						
						  Je 
						vous suis bien reconnaissant de m'avoir fait connaître 
						Annie Reich elle est aussi gentille que mes autres amies 
						d'Europe centrale et c'est beaucoup dire. Elle m'a dit 
						mille choses tout à fait utiles et m'a rendu en quelques 
						jours presque intelligent.Faites mes bonnes amitiés à Annie Angel. Dites-lui que vraiment je pense à 
						son affaire et que plus j'y pense plus j'ai peur de 
						l'avenir - (ou ne le lui dites pas). Ici j'ai retrouvé 
						tous mes petits soucis (en comparaison avec les vôtres).
 J'ai rencontré à Prague des littérateurs bien excités et bien 
						ennuyeux. Je ne voyagerai plus jamais publiquement. Mon 
						narcissisme est ailleurs...
 Affectueusement et encore bien merci -
 
						
						                                                                                                           
						Louis. 
						
						    
						Qu'est devenue la petite fille de Hambourg ? 
						
						  
						(Lettres, Pléiade, Gallimard 2009). 
						
						                                                                                                             
						 ***
 
						
						 
						
						Anny REICH (1903-1971), née Pink : psychanalyste qui a 
						épousé en 1921 Wilhelm Reich (1897-1957). En 1933, Reich 
						ayant une liaison avec la danseuse Elsa Lindenberg, 
						militante communiste de Berlin, Anny divorce et vit avec 
						le Dr Thomas Rubinstein. 
						
						  
						Anny ANGEL-KATAN (1898-1992) : psychanalyste, membre du 
						parti communiste, fille du Dr Ludwig Rosenberg, amie 
						d'enfance d'Anna Freud, épouse en 1924 d'Otto Angel puis 
						de Mauritz Katan en 1937.(E. Mazet, Spécial Céline n°25, 2017).
 
						
						   
						 
						  
						                                                                                             
						------------------------ 
						  
						  
						   1932. Cillie PAM (AMBOR) 
						  Professeur de gymnastique
						rencontrée au Café de la Paix le 4 septembre 1932. 
						Cillie est autrichienne et d'origine juive.Ils se lient et quand elle tombe malade, le Docteur Destouches l'installe 
						dans la chambre d'Elizabeth Craig au 98 rue Lepic
  où 
						il la soigne avec dévouement. Deux semaines commencent ensemble après quoi PAM retournera à sa vie et à 
						son travail à Vienne.
 Aux cours des 7 années qui vont suivre, ils se verront rarement mais leur 
						correspondance fut régulière.
 En 1939, Cillie AMBOR quitte Vienne pour l'Australie après que son mari 
						Max Pam, mort à Dachau le 16 déc. 1938 ait été enterré à 
						Vienne le 19 janvier 1939.
 
						  
						                                        
						A Cillie AMBOR
 Dimanche [25 septembre 1932]
 
						                   
						Chère Cillie 
						     Vous voici à 
						Vienne au milieu des popos. Mon rêve. J'ai bien reçu 
						votre lettre du train. Vous avez été tout à fait 
						délicieuse avec moi et je suis bien content que vous 
						vous soyez un peu amusée en ma compagnie.
  Vous possédez mille charmes et qualités en plus d'un superbe et 
						inoubliable " Popo ". Seulement il faut devenir plus 
						positive et ambitieuse. Songer à l'avenir. En un mot 
						refaire votre vie, sur des principes bien utilitaires. 
						Ce n'est pas gai je le sais bien. Mais c'est encore plus 
						triste de ne plus avoir de jeunesse, ni de popo, ni 
						d'argent. Et tout cela est vite arrivé. Je songe à vos 
						parents de Munich qui doivent connaître des gens 
						riches...Je vous aime bien et j'ai peur de l'avenir pour vous. Ce romantisme 
						de la médiocrité et des petites économies ne prend du 
						charme qu'avec une grande passion...
 Vous n'avez plus, vous n'aurez plus de grande passion. Il faut 
						s'organiser pour la paresse et le confort. Il pleut 
						enfin aujourd'hui mais le Soleil menace de traîtres 
						retours...
 Je ne serai complètement tranquille qu'à la Toussaint, fête des 
						Morts, alors il pleut vraiment...
 Je vous embrasse chère mignonne Cillie, écrivez-moi et pensez 
						à moi dans le présent et dans l'avenir.
 
						                                                                                                                            
						Louis  
						 (Lettres Pléiade, Gallimard 
						2009). 
						                                                                                                           
						***
 
						                                                                                                       
						A Cillie AMBOR
 [octobre 1936]
 
						                
						Chère Cillie 
						   Te voici donc parvenue 
						presque au terme de ton voyage ! 
						(1) Enfin tu 
						vas être heureuse - du moins je l'espère ! Toi si 
						gentille, si profondément bonne, toi que j'aime tant. 
						J'aurais bien voulu t'épouser aussi Cillie si j'avais 
						été riche. Hélas ! tu sais que ce n'est pas le cas.Je suis revenu de Russie, quelle horreur ! quel bluff 
						ignoble ! quelle sale stupide histoire ! Comme tout cela 
						est grotesque, théorique, et criminel ! Enfin !
 Mais si Cillie, on veut ma mort. Je n'invente rien ! Lis encore ce 
						journal. (2) 
						J'en reçois comme cela chaque semaine. Cela n'a pas 
						beaucoup d'importance. Quelle importance ? Aucune en 
						vérité - aucune. Allons porte-toi bien Cillie et 
						écris-moi aussitôt délivrée !
 Affectueusement à toi
 Louis
 
 (1) Sous la plume de Céline, on 
						ne peut qu'être frappé par l'emploi du mot pour désigner 
						le terme d'une grossesse.
 (2) Sans doute Céline avait-il fait état de ces menaces 
						dans une lettre précédente. L'article qu'il envoie à 
						Cillie est probablement le numéro du Merle blanc du 3 
						octobre.
 
						 (Lettres, 
						La Pléiade, Gallimard 2009, p. 513).  
						  
						                                                                                              
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						     Erika IRRGANG 
						 Un soir, au début de la 
						Débâcle économique de 1932, il recueillit chez lui, 98 
						rue Lepic, une " étudiante " famélique. A bout de 
						ressources, Erika IRRGANG vaguait, allemande, dans les 
						rues de Montmartre.(...) Dans le lit où Céline repose avec cette israélite, ramassée au 
						ruisseau, il suscite une Féerie médiévale. (...) Son 
						labeur au Dispensaire de la rue Fanny terminé, ce 
						Docteur-Chevalier la retrouvait, le soir, au " Pigalle's 
						Tabac ", rue de
  Clichy. (...) Nous flânions, écrit-elle, à travers la 
						nuit nocturne d'un quartier mal famé. Il parlait avec de 
						vieux ivrognes et de pâles prostituées. Il donnait à un 
						pauvre diable, aux poumons rongés, une entrée pour un 
						des refuges municipaux, haussait violemment les épaules 
						lorsque le malade déchirait le papier devant nos yeux. 
						(...) Pour m'égayer, il me proposa une fois, après une 
						telle ballade dans la nuit, de regarder le lever du " 
						soleil " au Bois de Boulogne. C'était un matin 
						magnifique. Nous parlions peu et nous ne rencontrâmes 
						personne jusqu'au moment du petit déjeuner dans un café 
						du Parc. 
						  (...) La vague d'antisémitisme se 
						levait sur la Silésie, sans que Paris s'en souciât outre 
						mesure. Céline ne renonçait pas aux fidélités de la 
						tendresse. Ses voyages vers la " Princesse lointaine " 
						le conduisirent pour la première fois vers les plaines 
						de l'Est européen où il reviendra lui-même en réfugié 
						dans quelques années. Dans le ghetto de Breslau, Céline 
						alla manifester sa puissance protectrice de " 
						chevalier-barde ". Il savait quels dragons nazis 
						prenaient corps dans la cité, alors allemande, 
						aujourd'hui polonaise.A l'Occident comme à l'Orient, l'Europe solidaire du désastre économique 
						américain préparait sa propre catastrophe. Les 
						avertissements angoissés que Céline multipliait contre 
						la guerre insensée, dans ses violents pamphlets, 
						n'étaient pas des exercices intellectuels. Ils ne 
						doivent jamais être séparés de l'attitude qu'il adoptait 
						concrètement dans sa vie.
 
 Dès 1936, Erika IRRGANG émigra à Cambridge. Céline l'avait avertie avec 
						une sévère sagesse, des holocaustes dont Hitler menaçait 
						les Juifs. Le Déluge qu'il avait débusqué dans les nuits 
						de Paris 1932 s'est enflé et allait prendre des 
						proportions planétaires, mais aussi, lucifériennes. L'œuvre 
						de Céline n'est point un jeu d'Intellectuel, d'un 
						croyant sans les œuvres.
 Dès qu'il apprit qu'Erika IRRGANG s'était évadée de l'Allemagne nazie il 
						lui écrivit : " Je suis très heureux de vous savoir à 
						Oxford. J'irai sûrement vous voir bientôt... Quel 
						plaisir vous devez avoir d'être sortie de Germanie. Mon 
						Dieu, quelle démence, quelle sale dégoûtante horreur ! "
 
						  A Paris, en 1932, toute 
						l'intelligentsia républicaine croyait stupidement à la 
						Paix d'Aristide Briand, à la démocratie chrétienne, au 
						Désarmement, alors que s'ouvrait une " école de cadavres 
						" pour tous ceux qui déambulaient dans les rues 
						européennes. Les bonnes gens n'imaginaient même pas, 
						tant sont puissants les bourrages de crânes politiques, 
						les hécatombes qui sont très réellement venues sur notre 
						continent.Les sommes d'argent fabuleuses qui - nous le savons aujourd'hui - avaient 
						poussé à la guerre de 1914, roulaient insolemment dans 
						les milieux de la politique et de la presse parisienne. 
						Ce n'était plus en 1934 Iswolsky et Pachitch qui 
						menaient le branle, mais l'or n'en suait pas moins dans 
						certaines salles de rédaction et les milieux 
						déterminants.
 (Paul Del Perugia, Céline, p.577, 
						Nouvelles Editions Latines)
 
						   
						                                                                                                                
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						 En avril 1932, Place du Tertre, 
						Louis Destouches rencontre Irène Irrgang, née en 1911, 
						jeune étudiante allemande, anémiée, qu'il emmène en taxi 
						dans un restaurant. Sa mère s'était remariée avec 
						l'intendant de la forteresse de Neisse, endroit 
						sinistre, et elle était venue à Paris tenter sa chance. 
						Elle avait fait des études de théologie à Breslau, 
						possédait une petite expérience de comédienne, vivait 
						misérablement dans une chambre de bonne rue 
						Chevalier-de-la-Barre, après avoir fait des ménages chez 
						un pasteur à Bourg-la-Reine. Elle ne voulait pas 
						retourner chez sa mère, très puritaine, et préférait se 
						laisser mourir de faim.Juive pour Boudillet et pour Gibault, pour Alméras, " il est clair que 
						Céline tient la brune Erika pour juive " alors qu'elle 
						ne l'est pas. Louis l'appelle " Chouchou " puis Erika, 
						son deuxième prénom qu'il trouve romanesque et qu'il 
						attribuera en 1934 à la star de son scénario Secrets 
						dans l'île. Elle passe quelques semaines rue Lepic. 
						" On m'a  cassé le crâne ", lui dit-il, et il lui 
						fait part de bruissements d'oreilles. Il l'emmène au 
						cinéma, au restaurant, aux levers de soleil du Bois de 
						Boulogne ; ils partent en 
						excursion dans des quartiers 
						pauvres, font des courses dans les escaliers de 
						Montmartre en jouant à " Attrape-moi si tu peux ". Il 
						l'emmène sur La Malamoa de Mahé.
 Il lui recommande la lecture de Villon et de 
						Tolstoï. Quel livre de Tolstoï ? Céline ne citera qu'une 
						seule fois Tolstoï et ce sera dans Bagatelles pour un 
						massacre. Ne confond-elle pas avec Dostoïevski ? Et quel 
						livre de ce dernier ?
 
						 Elle évoque des relations père et 
						fille, d' " un libertin en paroles mais chaste dans ses 
						gestes ". Il aurait " essayé de lui faire l'amour, sans 
						y parvenir ", et " semblait plus à l'aise dans les 
						conversations érotiques " (selon Boudillet). Elle se 
						souvient de sa " tendresse extrême associée à un côté 
						gamin ", de ses soudains changements d'humeur, passant 
						du " père attentionné au grand frère sévère ".Elle garde en mémoire un être jeune d'esprit et bienveillant, pas 
						raciste, insomniaque mais en bonne santé, " un être qui 
						souffrait lorsqu'il voyait ses frères humains sans force 
						ou sans désir de se sortir de leur condition et pourrir 
						sous l'influence de la société et de ses institutions. "
 Elle témoigne d'accès de loquacité au milieu de la nuit ponctués 
						d'aphorismes inscrits sur la poutre de la chambre. 
						D'après elle, Céline écrit les dernières pages de 
						Voyage. Il a pourtant écrit à Gallimard le 9 
						décembre 1931 avoir achevé un roman.
 
 Elle retourne à Breslau en juin, travaille au Beobachter, 
						bi-mensuel nazi. Céline lui rend visite à Breslau, alors 
						qu'elle travaille à Opinion, journal de langue 
						anglaise, anti hitlérien. Céline la revoit à Berlin en 
						1934, où elle est alors journaliste dans la maison juive 
						Ullstein. Elle recommande à Céline une amie juive dont 
						le mari vient d'être arrêté, puis lui annonce qu'il est 
						temps pour elle de quitter l'Allemagne. Il lui 
						déconseille la France et lui recommande la Suède. En 
						mars 1936, " non par racisme, mais pour raison de 
						conscience ", elle gagne Cambridge où Céline la retrouve 
						après la publication de Mort à crédit. Elle s'est 
						mariée, s'appelle Landry, a un enfant, mais son mari vit 
						en Hollande, et elle est retombée dans la pauvreté.
 En octobre 1937, Céline lui annonce la venue de Mahé à Londres où elle se 
						rend en décembre pour rencontrer ce dernier. La relation 
						épistolaire s'arrête là. Elle reçut de Céline 
						quarante-deux lettres qu'elle se proposait de 
						communiquer à Lucette Destouches le 9 octobre 1961, et 
						qui furent publiées en 1965. Alméras la contactera en 
						1969 (Dictionnaire Céline, p.447). Et elle 
						disparaît, ayant publié un roman sous le nom de Nataly 
						Landor, mais laissant une biographie et un témoignage 
						très lacunaires...
 (Spécial Céline n°17, juin, juillet, août 2015).
 
						  
						                                                                            
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						   1932 - Dora DORIANE. 
						  Danseuse nue au Casino de 
						Paris et au théâtre Marigny.(Eric Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
 
						  
						                                                                                             
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						  1931- 
						L'inconnue de Genève.
 " Je ne pouvais plus m'arrêter. 16 ans à peine. "
 (Carte postale à Henri Mahé, 13 janvier 1931).
 
						    Margaret SEVERN.
						Danseuse. 
						  " Tu vas voir ce Trois mâts 
						mon ami ! Le vrai de vrai ! Elle parle à peine le 
						français, mais elle est infiniment sensible, on lui 
						parle par brises et zéphyrs, mais tu verras ce derrière 
						et ces cuisses mon ami. Il y a de quoi juter pour vingt 
						ans... (Ibid).
 
						   Drena BEACH.  
						 Américaine, actrice et 
						danseuse, vedette au Marigny. Elle aurait été à Chicago 
						la maîtresse d'Al Capone. En juillet 1931, à Pau, il va 
						avec elle au bordel : " Nous fûmes au bordel (mais ceci 
						secret) et avec quel trois-mâts mes empereurs ! Je me 
						suis tellement agité que j'en ai un furoncle qui me 
						bouffe la cuisse. "(Carte postale à Henri Mahé, Pau,10 août 1931).
 
						   Mona DOLL.
 Danseuse. " Quant au trois-mâts gracieusement 
						escorteur, c'est la Mona de New York, mélancolique 
						beauté qui, au Casino de Paris, exécute en frac 
						pailleté, chapeautée huit-reflets, la danse de la canne. 
						"
 (Ibid).
 
						  Hélène HOWELL.
 Née en 1903, équilibriste hawaïenne, mariée avec le danseur Solon Burt 
						Harger qu'un amant jaloux découpera en morceaux.
 (E. Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
 
						  Sans compter " Ma Jonque ", une 
						Chinoise ramenée de Londres, Muscha, un mannequin 
						russe...(Joseph Vebret, Céline L'Infréquentable, Jean Picollec, mai 2011, p. 
						138).
 
						  
						                                                                            
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						 Nane GERMON (de son vrai nom, Germaine, Hélène 
						NANNON est une actrice française 1909-2001). 
						  Elle a 
						parcouru le cinéma français des années 1930 à 1990 avec 
						une longévité étonnante. Elle est restée dans l'histoire 
						du cinéma pour ses participations aux chefs-d'œuvre 
						que sont la Belle et la Bête ou l'Auberge 
						rouge.
 Mais ses autres prestations, de Remorques à Justice est faite, 
						en passant par Des gens sans importance, sont 
						remarquables.
 
						  Elle débute au cinéma dans Une 
						faible femme de Vaucorbeil (scénario de Jacques 
						Deval) et au théâtre dans Tessa de Giraudoux en 
						1934.
 Elizabeth Craig absente, elle fit une escapade avec le Docteur 
						Destouches en Hollande.
 
 (Spécial Céline n°6, août, 
						sept.-oct. 2012).
 
						  
						                                                
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						  1930 - Paulette LADOUX. 
						  Ouvrière d'usine à Clichy, 
						modèle de Mireille dans Mort à crédit. " La 
						Mireille en plus d'un cul étonnant, elle avait des yeux 
						de romance, le regard preneur, mais un nez solide, un 
						vrai tarin, sa pénitence. [...] On a quitté ma belle 
						légende pour discuter avec rage si le grand désir des 
						dames, c'est pas de s'emmancher entre elles...  
      
						 Mireille, par exemple si elle aimerait pas bourrer un peu les copines 
						?... les enculer au besoin ?... surtout les petites 
						délicates, les véritables gazelles ?... Mireille qu'est 
						balancée en athlète des hanches... du bassin... " 
						(Mort à crédit).
 
 Elle couche avec Elizabeth pour offrir à Louis un de ces spectacles 
						dont il raffole : " Paulette, malgré les juvéniles 
						curiosités de ses treize printemps, malgré ses deux 
						frères aînés, malgré les voisins non moins ardents et 
						malgré " un petit tempérament " Paulette restait vierge 
						!... Ah ! vous saisissez à présent mon association 
						d'idées ? Comment pas davantage ?... Alors, contre un 
						autre point, je vous rappellerais que Lili était une " 
						femme faite " et même joliment, admirablement, 
						merveilleusement bien faite ! Là, je vous gâte ! "
 (H. Mahé, La Brinquebale avec Céline, in Céline, E. Brami, 2003, 
						p.338).
 
						  Mme Georges BLOCH. 
						 Jeune épouse du minotier des 
						Blés de France, juive. " Eh bien, moi, je vous garantis 
						que la ravissante mutine petite Bloch ne laissait guère 
						de temps à Moana de suspendre sa sensibilité le restant 
						de la semaine... Mais quand les deux mignonnes se 
						mettaient " à table " [...], Crésus Bloch, 
						exhibitionniste farfelu et voyeur incontinent surgissait 
						dans un rugissement au beau milieu du repas, dérangeant 
						l'ordonnance des plats, créant la confusion... Son truc 
						à lui !... Sa joie !... Et son amusante épouse avait 
						souvent droit à un caillou de quelques carats en 
						remerciement des scènes galantes dont on le régalait... 
						"(Ibid. Moana tendre amie de Mme Bloch, in Céline, E. Brami, 2003).
 
						  
						                  
						                                                                    
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						   ELIZABETH à Genève. 
						  C'est donc à Genève, où 
						Céline travaillait pour la SDN, qu'il rencontra celle 
						qui deviendra la dédicataire de Voyage au bout de la 
						nuit et dont il dira vingt ans plus tard : " Quel 
						panthéisme douloureux et espiègle à la fois. Quelle 
						poésie... Quel Mystère... Elle comprenait tout avant 
						qu'on en ait dit un mot. "La scène se passe à la fin de l'année 1926. Céline a alors 
						trente-deux ans et flâne dans les rues de Genève. Devant 
						la vitrine d'un libraire, il remarque une jeune femme 
						très belle. Henri Mahé la décrira ainsi : " De grands 
						yeux verts cobalt... Un petit nez fin... Une bouche 
						rectangulaire sensuelle... De longs cheveux or roux 
						tombent en boucles sur ses épaules... De petits seins 
						fermes et arrogants... le cul aussi, bien haut !... Des 
						jambes de danseuse... A s'en faire un collier. "
 
 Elizabeth est Américaine et a vingt-quatre ans. Elle vient de sortir du 
						sanatorium où ses parents l'ont fait entrer pour 
						soigner une tuberculose. Ils sont venus la rejoindre 
						avant de repartir à Paris avec elle. Céline s'adresse à 
						Elizabeth et lui demande si elle apprécie l'auteur dont 
						elle observe attentivement le livre. " Je suis sûre 
						qu'il ne lui
  avait pas fallu deux minutes pour voir que 
						je n'étais ni française ni suisse, dira-t-elle. Aussi 
						s'est-il adressé à moi en anglais. Je ne me souviens 
						même plus de quel auteur il s'agissait. J'ai répondu : 
						" Je ne sais rien de cet auteur, mais cela m'a l'air 
						d'être un livre merveilleux. " 
 A l'époque, je m'intéressais à tout ce qui était en rapport avec 
						l'histoire. L'histoire de différents pays, de villes 
						comme Paris, ce genre de chose. (...) Je lui dis que 
						j'adorais danser, nous avons parlé de danse, et je lui 
						dis que j'avais été une danseuse. Je dis " j'avais été 
						", parce que je ne pensais pas pouvoir y arriver de 
						nouveau. Il sembla intéressé : " Entrons, je vous 
						montrerais quelques livres qui vous plairont si vous 
						êtes intéressée par l'histoire. "
 Il m'en montra un qui me plut en effet, que j'achetai, et que j'ai 
						gardé des années. C'était un livre sur Paris. Puis il 
						dit : " Laissez-moi vous montrer des
						œuvres de certains vrais 
						auteurs français, différents de tous ces livres 
						romantiques dont les Américains raffolent. " 
						Ensuite, nous avons fait quelques pas ensemble, et 
						voilà. Au moment de nous séparer, il m'a demandé : " 
						Où vivez-vous ? Je lui dis : Avec mes parents, à 
						l'hôtel. " Il demanda : " Puis-je passer vous 
						voir demain ? - Volontiers, dis-je, cela me fera un 
						grand plaisir. " C'était un samedi. (...)
 
						   Après cela je suis 
						retournée à Paris. J'habitais dans le Quartier Latin... 
						J'y avais un appartement avec une amie qui venait des 
						Etats-Unis aussi. Nous habitions là toutes les deux 
						pendant quelques temps. Louis revenait de Suisse et 
						était sur le point de partir pour l'Afrique, et nous 
						nous sommes revus à ce moment-là. Il est venu à 
						l'appartement et mon père et ma mère étaient là, nous 
						sommes sortis ensemble et ensuite il est parti pour son 
						voyage. A peu près deux ou trois mois plus tard il est revenu. Nous sommes sortis 
						ensemble à nouveau et voilà c'était fait... Et ce fut 
						une belle histoire d'amour pleine de passion. "
 (Jean 
						Monnier, Elizabeth Craig raconte Céline, BLFC, 1988).
 
						  
						  
						ELIZABETH  CRAIG.  
						 Ancien 
						responsable des départements de français et d'italien à 
						l'Université de Stanford, Alphonse JUILLAND, 
						auteur d'études remarquées sur le langage de Céline, fut 
						mis en alerte, lisant la biographie de François Gibault, 
						par cette phrase anodine : Il n'est pas impossible 
						qu'Elizabeth Craig soit encore de ce monde...Tel fut le point de départ de la quête de Juilland qui, après mille 
						obstacles, aboutit enfin au but recherché en avril 1988 
						à San Marcos, en Californie.
 (...) Dans son livre " Elizabeth et Louis ", il conduit à 
						reconsidérer d'un œil 
						neuf l'expérience cruciale vécue par le docteur
						Destouches 
						entre 1924 et 1932 où le Voyage, éclatant comme 
						une bombe, imposa le nom de Louis-Ferdinand Céline et 
						réduisit soudain en miettes des pans entiers de la 
						littérature contemporaine.
 
 Déjà, en 1947, Céline du 
						fond de son exil danois, oubliant la légende sulfureuse 
						qu'il avait si bien répandue, écrivait à Milton Hindus :
						Quel génie dans cette femme ! Quel esprit, quelle 
						finesse... quel panthéisme douloureux et espiègle à la 
						fois. Quelle poésie, quel mystère... Elle comprenait 
						tout avant qu'on en ait dit un mot. Elles sont rares les 
						femmes qui ne sont pas essentiellement vaches ou 
						bonniches. Alors elles sont sorcières et fées...
 Depuis leur rencontre à Genève, où Louis, chargé de mission à la SDN, 
						connaissait une certaine aisance, jusqu'au dispensaire 
						de Clichy et à leur vie commune à Montmartre, Elizabeth 
						raconte leur longue liaison, et la fraîcheur du 
						souvenir, la minutie des détails, l'intensité des scènes 
						revécues, font de nous les spectateurs d'un film que 
						Juilland déroule sous nos yeux stupéfaits et dont le 
						foisonnement inépuisable nous poursuit jusqu'à la 
						hantise.
 
						 (...) 
						Nous connaissons tous cette négation constante et 
						sarcastique du sentiment chez Céline, et son 
						dégoût des pâmoisons élégiaques touchant le cœur 
						et les fôammes ! Mais quand Juilland pose la question :
						Etait-il jaloux ?, la réponse d'Elizabeth fuse :
						Et comment ! tandis que sa réputation 
						d'impuissance la fait éclater de rire. Et de préciser 
						qu'elle eût parfois souhaité que ce fût le cas, mais que 
						quatre ou cinq fois par jour n'étaient rien pour lui, et 
						qu'en fait leur relation, à l'origine, fut surtout 
						sexuelle. Puis le bonheur vint, fait de goûts communs, 
						de curiosités semblables, des mêmes aspirations 
						esthétiques, et des attentions sensibles et raffinées 
						qu'il savait multiplier autour d'elle. 
 Que notre barde celtique ne se soit pas précisément conformé, durant 
						cette liaison, au mythe de Tristan et Iseut ne fait rien 
						à l'affaire, non plus que la complaisance occasionnelle 
						et fugitive d'Elizabeth (à deux reprises) à des séances 
						érotiques plus ou moins scabreuses. Elle aimait Louis en 
						dépit des incartades qu'il lui avouait et se sentait 
						aimée de lui, point. Et les questions de Juilland, les 
						réponses d'Elizabeth soulignent l'abîme qui sépare 
						l'acharnement célinien à proclamer que l'amour n'est 
						qu'un mot obscène, et les lettres désespérées adressées 
						à la darling one sur le ton de " Ne me quitte 
						pas... Ne me quitte jamais... ". On se croirait dans 
						la chanson, si poignante d'ailleurs, de Jacques Brel, 
						parmi les " frères humains " qui peuplent, bouleversants 
						fantômes, les déchirants poèmes de Villon.
 
						  A 
						plusieurs reprises, Elizabeth revient sur le côté 
						tragique de Louis, sa crainte perpétuelle d'immenses 
						catastrophes. Cela s'accentua au fur et à mesure qu'il 
						écrivait le Voyage, dont elle sentait bien la 
						puissance et le souffle, mais dont les pages qu'il lui 
						disait rebutaient la jeune Américaine optimiste qu'elle 
						persistait à être. En vain s'étonnait-elle de le voir 
						s'estimer 
						proche des misérables qu'il s'obstinait à lui montrer 
						dans les plus sinistres banlieues. C'était comme s'il 
						avait eu pour mission de se confondre à eux, de vivre 
						leur désolation, afin de mieux l'exprimer, de les aider, 
						de les sauver, peut-être ? Elle était d'autant moins convaincue qu'il ne lui cachait rien de ses 
						doutes, sur sa valeur de médecin aussi bien que sur son 
						talent d'écrivain. Il en vint ainsi à ressentir comme 
						une trahison envers les pauvres qu'il soignait (au 
						dispensaire de Clichy), les moments heureux vécus avec 
						Elizabeth. Elle avait trente et un ans, et Louis la 
						voyait toujours comme une lumineuse perfection.
 Mais elle sentait que le temps jouerait contre elle et ne pouvait 
						s'imaginer vieillissante auprès de lui. Mieux valait 
						considérer comme un songe ces merveilleuses années si 
						légèrement parcourues. La réalité, c'était pour Louis 
						son destin d'écrivain, pour elle le retour aux " States 
						", avec leur code étriqué, leurs conventions puritaines, 
						et leur confort assuré quand l'occasion  s'offrait 
						d'une vie calme, tranquille et respectable, dans le 
						sillage familial, avec pour compagnon un agent 
						immobilier optimiste, entreprenant et sans histoire, 
						comme Ben Tankel.
 Ainsi décida-t-elle, non sans peine ni regrets, on le conçoit, préférant 
						s'ensevelir dans la fuite, le silence et le mystère, 
						plutôt que d'altérer l'image éblouie qui, au prix de son 
						départ, resterait à jamais gravée, elle le savait, dans 
						le cœur 
						de Louis.
 
 Et l'antisémitisme de Céline, qu'en pensait-elle ? Quand Juilland lui 
						pose la question, elle ne comprend pas. Tout ce qu'elle 
						a remarqué, c'est qu'il avait d'excellents amis juifs à 
						la SDN et qu'il les estimait beaucoup, en particulier le 
						docteur Rajchmann. Il les plaisantait bien, parfois, 
						mais ni plus ni moins qu'il le faisait avec d'autres.
 En vain Juilland l'assure-t-il que, pour certains témoins, 
						l'antisémitisme de Céline a été déclenché par son 
						mariage à elle, Elizabeth avec un Juif. Elle éclate de 
						rire. Comment l'aurait-il su quand elle n'avait pas la 
						moindre idée que Ben fut juif ou pas. Incidemment, elle 
						remarque que, dans la société américaine de cette 
						époque, les Juifs, plutôt que de se manifester en tant 
						que tels, aimaient mieux ne pas se singulariser et se 
						voulaient simplement citoyens comme les autres. A quoi 
						elle ajoute : " Thank's God, les temps ont changé... 
						"
 
						  Ce qui 
						dominait, dans le souvenir d'Elizabeth, c'était la 
						générosité de Céline, l'inquiétude qui le hantait devant 
						la répétition probable de l'horrible tuerie de 14-18. 
						Cette guerre à venir, il s'était mis en tête que la 
						France n'avait pas à s'en m êler. D'où la fureur de 
						Bagatelles et des pamphlets suivants contre tous 
						ceux qui entraînaient le pays, au mépris de son propre 
						intérêt estimait-il, à s'aligner sur la vindicte juive. Le grand mérite du livre de Juilland et des souvenirs d'Elizabeth qu'il a 
						su recueillir est de nous conduire, je le répète, à 
						revoir de plus près tout ce qui a pu être écrit sur 
						Céline.
 
 Seul, Pol Vandromme, à propos des pamphlets, a eu le courage de mettre 
						les pieds dans le plat. Rompant avec les airs dégoûtés 
						des cuistres, il a dénoncé le distinction arbitraire qui 
						consiste à opposer le " bon " Céline, auteur de 
						romans que l'on ne peut décemment ignorer au " 
						mauvais " Céline, auteur de pamphlets " abjects 
						". Et de souligner cette évidence, constamment niée et 
						rejetée par les larbins du conformisme intellectuel : 
						L'esprit des pamphlets est le même que celui des 
						romans... On ne juge pas ces fables énormes, 
						torrentielles et effervescentes, qui mettent le délire 
						au service d'une raison aux abois comme on juge les 
						petits traités du bon sens exsangue. On ne s'occupe pas 
						de Maldoror, comme de l'Amérique de Georges Duhamel..."
 (...) Oui, Elizabeth lui connaissait un penchant 
						pour l'Allemagne. Il respectait l'adversaire, son sens 
						de l'effort, sa discipline. On sait ce qu'il advint, et 
						l'explosion de son désenchantement devant l'incapacité 
						hitlérienne à étendre à l'Europe le moindre élan social 
						et communautaire, dépouillé de petitesses nationalistes.
 
 Comme Nietzche l'avait annoncé dans une formule déjà reprise, dès la 
						dernière guerre mondiale, dans les Considérations 
						d'un apolitique de Thomas Mann, Tout finira par 
						la canaille.
 (...) N'oublions pas que dans un pays où les plus obscurs plumitifs se 
						prennent d'autant plus au sérieux que l'opinion les 
						considère comme des vaches sacrées, l'ironie ravageuse 
						de Céline à l'égard des " messages " et des gens 
						de lettres ayant pignon sur rue était déjà un crime 
						inexpiable. Il avait le vice des intellectuels, il 
						était futile... Comment osait-on proférer de telles 
						insanités ?
 
 A la meute de ses accusateurs déchaînés, il jeta, comble de dérision, sa 
						fameuse lettre au " Crapouillot ", qui le résume 
						tout entier, et que la longue rêverie provoquée par les 
						souvenirs d'Elizabeth rappelle invinciblement.
 Voilà les choses.
 Mon régiment a pris son poste de combat à Sorcy-sur-Meuse le 2 août 14.
 Y avait des affiches officielles : la mobilisation n'est pas la 
						guerre.
 Signé : Poincaré.
 Ensuite y a eu la proclamation : Cavaliers, haut les Coeurs !
						Les regards fixés sur les lignes bleues des Vosges. " 
						Les cosaques de Rennenkampf sont à une étape de Berlin. 
						Le rouleau compresseur russe sauvera l'Europe de la 
						Barbarie teutonne. "
 Depuis je suis resté abruti. J'attends.
 Il m'est arrivé bien des choses et des pas marrantes, bancalo, indigne que 
						je suis. On m'a tout pris. On m'a foutu plus bas qu'une 
						merde. Tant pis. J'attends. Je crois à Poincaré. Je 
						crois à Rennenkampf. Je crois au rouleau. Je crois à la 
						France. Je crois au Crapouillot. Je crois à l'Humanité 
						meilleure. Je crois à toutes les lignes bleues du monde. 
						A la ligne Maginot même. Qu'on la prolonge jusqu'à la 
						mer. Je l'ai connu Maginot. Il était au lit à côté de 
						moi au Val de Grâce. S'il avait seulement vécu on aurait 
						pas détruit son mur. Voilà l'Histoire vraiment secrète. 
						"
 Tout est dit. Tout commentaire serait vain. Restons-en là pour cette 
						fois.
 Jacques D'ARRIBEHAUDE.  (BC n°120, 
						septembre 1992).
 
						  
						                                                                                            
						------------------------   
						  
						  
      					 
						   JUNIE  
						ASTOR, magnifique comédienne qui reçoit en 1937, le prix 
						Suzanne Bianchetti qui couronne le talent le plus 
						prometteur. 
 Rolande Jeanne Risterucci dite Junie Astor (1911-1967), a rencontré 
						Céline en 1933 alors qu'elle travaillait à l'adaptation 
						du Voyage avec Abel Gance. Elle lui présente son 
						ami et amant Jacques Deval et c'est elle qui pilote 
						Céline à Los Angeles en 1934 quand il y séjourne pour 
						essayer de ramener en France Elizabeth Craig.
 Elle tourne avec Le Vigan et sera du voyage de mars 1942 à Berlin, avec 
						Danièle Darrieux et Viviane Romance, au cours duquel 
						elles rencontrent Hitler.
 (Joseph Vebret, Céline l'Infréquentable, Jean Picollec, mai 2011, p.137).
 
						  " 
						Je suis venu vous voir 120 soirs de suite. Toujours je 
						voulais vous parler et jamais je n'osai... Et plus vous 
						jouez pour moi et plus je m'émerveille du merveilleux 
						don de vous-même, de votre corps que je pressens... de 
						votre esprit surtout (ô surtout lui !) qui l'anime oui, 
						divinement.  
						 [...] 
						Partout où vous jouerez j'irai vous admirer. Je ne 
						comprends plus la vie sans vous.Au seuil de cette nouvelle année, je prie pour vous, pour votre âme, pour 
						votre beauté. Comme je voudrais moi aussi savoir écrire 
						des pièces, pour vous - pour vous seule... "
 
						                                                                            
						Lettre de Céline à  Junie ASTOR, 1933.  
						  
						  
						                                                                                          
						------------------------- 
						  
						  Jeanne CARAYON.  
						 A Vérigny, lorsque Jeanne me 
						parlait, seul comptait vraiment Céline. " Je l'ai connu 
						pendant la période 1928-1934, avant la période tragique. 
						" " Il ne se livrait pas volontiers. " " Moi je suis 
						familier, je ne suis pas intime. " Il était très gai 
						et très pessimiste ", son regard " plein de malice 
						espiègle " devenait celui d'un visionnaire quand il 
						était obsédé. "" Je vois l'endroit de la pièce où il m'a dit : " Je ferai naufrage... 
						j'irai en prison. " " L'obsession de la mort, ça 
						commençait avec moi, oui... " Hygiéniste toujours il lui 
						recommandait de promener son bébé en landau dans les 
						allées du cimetière des Batignolles mais il ajoutait que 
						lui-même n'y allait pas " à cause de cette petite 
						odeur... "
 
						  Autres traits marquants, la 
						frugalité de Céline : " ceux qui mangent deux fois 
						par jour, c'est des goulus ", sa phobie de l'alcool 
						: " non mon petit on ne me tiendra jamais par là 
						" et " son obsession de l'argent venant de sa peur de 
						manquer ". Jeanne relève une apparente contradiction : " 
						par contre il avait des clients gratuits, dont le 
						concierge, dont moi " et cite Montherlant : " l'homme 
						est un tissu de contradictions et d'incohérences ".Interrogé sur la raison de ses débuts d'écrivain, il répondait : " 
						l'argent ". Jeanne y voit plutôt l'expression d'une 
						" fonction naturelle " ou comme l'a dit simplement 
						Céline : " j'écris comme je fais caca ". Elle a 
						toujours entendu dire que la rédaction de Voyage au 
						bout de la nuit n'a pas duré moins de quatre ans, 
						sans d'ailleurs de mention de L'Eglise. " Il 
						travaillait aussi la nuit. A la fin, il était ascétique, 
						dépourvu de sa substance. "
 
						 Mais les années passant, est venue 
						une " obsession des Juifs ". Il n'a attaqué les Juifs 
						que puissants. Il s'est tu quand ils sont devenus 
						persécutés " m'a dit Jeanne lors de l'entretien. Dans la 
						lettre du 6 décembre 1979 dont les lignes suivent, elle 
						reviendra sur le sujet suite au renouvellement de ma 
						question." Il y a dans Montherlant, que Céline " n'a pas lu ", la clé de cet 
						antisémitisme. C'est le " tout vient des êtres " tiré 
						d'un chapitre du Songe, mais la formule revient 
						dans l'œuvre. Elizabeth 
						Craig a été " soufflée " à Céline (il me l'a dit) 
						par un Juif. C'est un médecin juif (d'origine polonaise, 
						je crois) qui l'a " sorti du dispensaire " de la 
						rue
  Fanny, 
						à Clichy (il me l'a dit encore). Ce qu'on a appelé sa 
						démission ne fut qu'une formalité quasi forcée. Ce n'est 
						qu'après ces faits que l'antisémitisme a pris chez lui 
						une allure forcenée. Quand je l'ai connu, en 1928, il 
						n'apparaissait jamais dans ses propos. " 
						  Le dernier temps de l'entretien 
						est consacré au travail de la " secrétaire " de 
						Voyage au bout de la nuit. Face à moi Jeanne Carayon 
						conçoit la vie " comme un poème... C'était bien naturel 
						qu'il m'apporte son manuscrit ". Elle est " la première 
						lectrice après la Vitruve ", c'est le nom que 
						donne Céline à madame Chenevier à qui Jeanne va dicter 
						le manuscrit. " Puis ce sera madame Duguay, la dactylo 
						de Marie Canavaggia, qui est morte. " Lorsque Céline lui lit son texte dactylographié, elle a l'impression 
						qu'il tient toute la pièce. Jeanne représente " la 
						grammaire ". C'est ainsi qu'elle fut annoncée chez 
						Denoël : " Elle sait la grammaire ". Elle-même 
						fait un rapprochement avec Auguste Destouches ; ce que 
						son petit-fils éprouvait envers lui " ce n'était pas 
						du respect, mais une révérence pour la grammaire ".
 Elle se lève pour aller chercher le dictionnaire qu'elle utilisait alors,
						La vie étrange de l'argot de Chautard, Denoël et 
						Steele 1931. Céline lui " expliquait avec simplicité les 
						mots crus, et non pas grivois du Voyage ". Elle 
						établit une différence entre Mort à crédit et 
						Voyage " où les mots d'argot étaient éclairés par le 
						contexte ". " C'est ce qu'il faut " a dit Céline.
 Jeanne Carayon par Charlotte Musson (Musée 
						Elise Rieuf).
 
						  Lorsqu'il lui apporte les épreuves 
						de Voyage, il étreint la jeune femme. C'est un 
						geste qu'il renouvellera à Saint-Germain-en-Laye 
						lorsqu'ils se rencontreront juste avant la déclaration 
						de guerre et qu'il évoquera " le péril jaune ". 
						Là, les " typos " ont corrigé d'eux-mêmes le texte 
						original. Le docteur est " compositeur de musique, 
						c'était sa vocation ". " Mon petit je ne veux pas 
						qu'on touche à ma musique. " Son travail de 
						relecture et de correction, Jeanne le qualifie d' " 
						effrayant ". " Je suis tombée malade après. On a dû 
						refaire le livre. "Le 7 décembre 1932, jour du Goncourt, écrivain et secrétaire se 
						retrouvent chez Denoël rue Amélie après l'annonce du 
						résultat. Personne n'avait prévu l'échec. Pour Robert 
						Denoël, Céline allait remporter le prix, " c'était dans 
						le sac ". Céline saisit Jeanne par le poignet : " Ne 
						me laissez pas seul ". Rue Lepic, il lui montre les 
						dessins de Colette, " une enfant élevée par sa mère 
						". A ses côtés " il s'assied sur le divan, pose la tête 
						sur ses genoux, dort ".
 
						  Les derniers mots de notre 
						entretien sont pour les enfants, les petits comme Michel 
						ou les " très jeunes filles du pensionnat " que Céline 
						soignait, ou encore sa fille " profondément aimée ".Jeanne m'écrira douze fois entre 1976 et 1981, toujours avec le souci de 
						me " dire " Céline.
 
						     Lettre du 
						lundi 21 mars 1977. 
						  J'ai été très sensible à votre 
						lettre, à la pensée que vous avez eue pour ma tristesse 
						en apprenant la mort de Marie Canavaggia. C'est le 4 
						octobre de l'année écoulée qu'une lettre de ses deux sœurs 
						m'en a apporté la nouvelle. C'est tout près de chez 
						elle, à un carrefour du boulevard de Port-Royal, que 
						Marie a été renversée par une voiture de livraison, 
						emportée sans connaissance à l'hôpital Cochin où elle 
						s'est éteinte après neuf jours passés dans le coma.Vous garderez le souvenir de la visite que vous lui avez faite. Les deux 
						mots que vous employez, " sensible et discrète " 
						conviennent à l'amie qu'elle fut si longtemps pour moi. 
						Elle fut une traductrice remarquablement douée. J'ai 
						parfois pensé que certains auteurs avaient gagné en 
						passant par sa plume. C'est moi qui avais envoyé Céline 
						chez elle quand je suis partie pour l'Amérique. Lui-même 
						m'en a exprimé un jour toute sa satisfaction. Elle a été 
						fidèle en un temps où c'était parfois dangereux. Nous ne 
						passions guère de semaines sans nous téléphoner. Je ne 
						m'habitue pas à ce silence glacé des morts.
 
						  Pour Nord, j'ai corrigé à 
						la place de Marie les épreuves de la collection Folio 
						(Gallimard) qui ont eu pour texte de base l'édition de 
						la collection Blanche de 1964. J'ai signalé certaines 
						fautes qui m'ont paru indiscutables et que 
						l'auteur aurait certainement accepté de corriger. Je 
						sais qu'elles ont été soumises à Mme Lucette Almanzor et 
						à l'exécuteur testamentaire et les corrections acceptées 
						pour la plupart.En consultant mon carnet de travail je vois que j'ai rendu les 
						épreuves à la fin de la première semaine de septembre 
						76. Je regrette de n'avoir pas à ma disposition un 
						exemplaire Folio pour vous l'envoyer - et je ne compte 
						pas me rendre tout de suite à Paris.
 (Jeanne Carayon (1903-1985), par Marie Alchamolac, Année Céline 2006, 
						Du Lérot éditeur).
 
						
 
						                                                                          
						 ------------------------ 
						
 
						  1925- Mlle PALLAS. 
						  " Elle avait 12, 13 ans, sa 
						maman qui avait un certain sens de l'existence, l'amena 
						au dispensaire consulter le docteur Destouches : - Docteur, que pensez-vous de ma fille ? Belle, n'est-ce pas ?
 - Certainement, madame ! belle !... certainement !...
 - Je voudrais qu'elle soit putain !...
 - Certainement, madame ! certainement !...
 - Alors, j'ai pensé que vous pourriez lui rendre " le petit service " et 
						que vous la présenteriez ensuite à des messieurs bien...
 Abasourdi, il se récusa poliment. Trouille vache du chantage. Police des 
						mœurs et conseil de 
						l'ordre... "
 
 Il la recommandera cinq ans plus tard à Mahé comme modèle : " Elle a 18 
						ans maintenant. Elle ne baise qu'au comptant. [...] Elle 
						pose pour le nichon. " (Lettre à H. Mahé).
 (La Brinquebale avec Céline, in Céline, E. Brami, 2003).
 
						  
						                                                                                           
						----------------------------
 
						  
						   1923 - Blanchette 
						FERMON. 
						 " Une des rares filles qui aient 
						compris mon immense lyrisme... peut-être la seule. (Lettre à Blanchette Fermon, 27 avril 1927, Tout Céline 3, 1987)
 
						 " Grande belle, pourquoi ces 
						larmes ? Il faut vivre. Courage ! Expier est toujours 
						une tristesse, nous ne savons pas convenir de nos 
						fautes. Nous voulons trop et pas assez. Ainsi passe la 
						jeunesse, inutile et ridicule chez la plupart d'entre 
						nous. Chez moi. [...] Vous êtes, Blanchette, une grande, belle et bonne 
						créature. Vous auriez mérité le bonheur si vous aviez 
						été très riche. Tout est là voyez-vous... "
 (Lettre à Blanchette Fermon, 28 juillet 1924, Tout Céline 2, 1983).
 
						 " De la " grande et belle " 
						Blanchette Fermon, qui avait compris " l'immense lyrisme 
						" de Destouches, nous ne connaissons ni le nom de jeune 
						fille ni la date de naissance. Fut-elle une amie de 
						Simone Saintu ou de Francis Varrèdes ? Entre 1924 et 
						1925, Destouches lui écrit six lettres, de Talloires et 
						de Washington, de New York et de Genève. Elle semble 
						appartenir au monde du spectacle, a une jeune fille de 
						bas âge, des problèmes financiers, n'est pas heureuse, 
						ressasse des échecs, fait des reproches à Destouches qui 
						lui écrit le 10 mai 1925 : " Ta lettre est bien amère, 
						bien dure aussi. Crois-tu donc encore que les gens 
						heureux, ça existe. J'ai connu quelques huîtres qui 
						avaient l'air heureuses. Quant aux hommes mon Dieu ! Que 
						vas-tu faire ? J'irai voir cela à Paris - bientôt dès 
						les premiers jours du mois prochain. J'espère que tu 
						seras toujours vierge. Quant à ma sentimentalité, mon 
						chéri, elle est bien plus rare que tu le penses. Les 
						voyages tu sais, c'est encore une autre illusion. C'est 
						un procédé littéraire. C'est le paradis des imbéciles 
						disait un homme qui s'y connaissait. A bientôt - et puis 
						sois gentille. Embrasse la petite poupée, c'est une 
						mignonne. "(Eric Mazet, Céline et les femmes, Spécial Céline n° 19, hiver 2016, p. 
						64).
 
						   
						  
						                                                                                        ------------------------ 
						
 
						  1922 - Maria LE BANNIER. 
						  Maîtresse officielle de son 
						beau-père Athanase Follet. A Rennes, ils se partageront 
						ses faveurs. 
						     Germaine 
						THOMAS. 
						  Femme d'un confrère 
						rencontrée en Bretagne. Il ira la rejoindre de temps à 
						autre lorsqu'elle se retirera à Pau, il en profite pour 
						visiter les " Bobi " (bobinards) de la région.  
						
 (F. Gibault, Céline 3, in Céline, E. Brami, 2003, p.331).
 
						
 ------------------------
 
 
 
						      Edith 
						FOLLET. 
						  (...) La Fondation 
						Rockefeller, qui était dotée de moyens financiers 
						considérables, avait en effet décidé, peu avant, 
						d'envoyer en France une mission pour lutter contre la 
						tuberculose - fléau qui paraissait alarmant chez nous. 
						Le Dr Follet, le futur beau-père de Céline qui présidait 
						le Comité départemental d'Ille-et-Vilaine de lutte 
						contre la tuberculose, avait obtenu que les premières 
						équipes de la mission fussent envoyées en Bretagne. 
						Elles y arrivèrent en mars 1918. Mais avant de sillonner la Bretagne, Louis, comme les autres 
						collaborateurs de la Mission-Rockefeller, ne manqua pas 
						d'être reçu fort chaleureusement par les notables de 
						Rennes. En particulier par le Dr Follet.
 
 Edith Follet, sa fille, fut frappée par ce 
						garçon un peu sauvage, aux yeux bleus d'un éclat assez 
						extraordinaire, impeccablement sanglé dans son uniforme 
						américain de la Mission-Rockefeller. Sans doute 
						témoignait-il déjà de ces dons exceptionnels de conteur 
						que ses proches se plurent unanimement à souligner. Tous 
						pouvaient rester des heures sous le charme de sa parole 
						précipitée et insolite, de sa faculté de jouer tous les 
						rôles de ses histoires, avec une ironie et une lucidité 
						terribles et cocasses, et d'entraîner ses auditeurs dans 
						des aventures et des réflexions hallucinantes et justes.
 
  Née en 1899, Edith Follet venait d'avoir dix-neuf ans. Et, de son côté, 
						Louis avait dû être séduit par la grâce et la douceur 
						de cette jeune bourgeoise. Bref, ce fut entre eux, comme 
						on dit, le coup de foudre.
 La guerre s'achevait. Le 11 novembre, jour de l'armistice, la 
						mission se trouva à Dinan. Elle y partagea la liesse de 
						la population. Le 3 décembre, 
						Louis donna sa dernière conférence de l'année à 
						Lamballe. La mission partit ensuite pour le Morbihan et 
						la Loire-Inférieure, mais Louis préféra retourner à 
						Rennes. Pour revoir Edith Follet bien sûr, mais aussi 
						pour préparer son baccalauréat. Il 
						était devenu ambitieux, avide d'instruction sinon de 
						diplômes. Et puis son activité de conférencier lui avait 
						confirmé son goût pour la médecine.
 Par chance, les anciens combattants avaient le privilège de n'être 
						interrogés au bachot que sur un programme réduit, et par 
						épreuves orales uniquement.
 
 A la fin du mois de mars, Louis Destouches rejoignit la Mission 
						Rockefeller à Bordeaux, et c'est là qu'il passa, avec la 
						mention " bien ", la première partie de son bac. Notons 
						qu'il fut interrogé, en français, sur les Pensées 
						de Pascal. Sa deuxième partie, section philosophie, 
						c'est encore à Bordeaux qu'il la réussit, avec la même 
						mention " bien ", le 2 juillet suivant...
 
						  Désormais bachelier, amoureux de 
						la fille d'un notable de province, Louis Destouches 
						n'avait plus d'autre solution, semble-t-il, que de se 
						fixer et de trouver son rang - le plus élevé 
						possible - dans l'échelle sociale.Le 19 août 1919, à Quintin, dans les Côtes-du-Nord, où résidait une vague 
						cousine germaine des Follet, Louis Destouches épousa 
						Edith. Le mariage n'avait pas été célébré à Rennes, pour 
						fuir toutes mondanités.
 
 Mais qu'est-ce qui avait bien pu pousser Athanase Follet à donner sa 
						fille en mariage à Louis Destouches ? Il n'ignorait rien 
						de son mariage - illégal - à Londres. Louis n'avait pas 
						de situation . Il n'avait pas d'argent. Il n'avait pas 
						fait d'études supérieures. Fernand Destouches l'avait 
						mis loyalement au courant de toutes les frasques de son 
						fils. Alors ? Certes, Edith l'aimait - et c'était déjà 
						une bonne raison. Follet avait pu aussi apprécier 
						l'intelligence et la forte personnalité de son futur 
						gendre... Mais surtout, Louis était le neveu du 
						secrétaire de la faculté de médecine de Paris, Georges 
						Destouches.
 Athanase Follet était ambitieux, lui aussi. Il espérait que 
						l'intervention de Georges Destouches lui permettrait de 
						décrocher le poste de directeur de l'Ecole de médecine 
						de Rennes. Espérance récompensée : il l'obtint après le 
						mariage !
 Louis, de son côté, s'apprêtait à faire sa médecine. Le Dr Follet 
						et sa femme s'engageaient par contrat à verser une 
						pension aux nouveaux mariés durant la durée des études 
						de Louis.
 
 Après avoir réussi ses trois premiers examens, Louis Destouches partit 
						pour Paris au cours du troisième trimestre de l'année 
						1922. Il y fit un stage à la maternité Tarnier, dans le 
						service du professeur Brindeau. Surtout, il quitta 
						l'école de médecine de Rennes qui n'avait plus 
						compétence pour enseigner au-delà de ce niveau, et 
						s'inscrivit à la faculté de
  médecine de Paris. C'est là qu'il réussit son cinquième 
						examen en mai et juin 1923. Le 19 octobre, il reçut 
						l'autorisation d'exercer la médecine avant la soutenance 
						de thèse. C'était à l'époque une pratique assez 
						courante. Céline, qui avait assuré à Rennes, durant l'été, une série de 
						remplacements médicaux, regagna Paris en novembre 1923. 
						Edith vint le rejoindre. Ils s'installèrent en meublé.
 (...) Le 1er mai 1924, il soutint cette thèse devant les professeurs 
						Brindeau et Follet, et le professeur Gunn de la 
						Fondation Rockefeller. La mention " très bien " lui fut 
						accordée par ce jury dont chacun des membres le 
						connaissait personnellement.
 Docteur en médecine, il aurait pu s'installer à Rennes, retrouver le 
						confort et la sécurité paisibles d'une vie domestique et 
						bourgeoise, et espérer reprendre un jour la clientèle de 
						son beau-père... Il n'y songea pas une seconde.
 La recherche médicale ne cessait de l'intéresser. Allait-il entrer à 
						l'Institut Pasteur ? Sans doute l'aurait-il fait si un 
						stage rapide accompli en novembre 1923 n'avait achevé de 
						le dégoûter de cette morne entreprise bureaucratique 
						qu'il peignit, dans le Voyage, sous le nom 
						d'Institut Bioduret Joseph. Les professeurs Emile Roux 
						et Serge Métalnikov qu'il y avait 
						rencontrés se reconnurent plus tard dans ce roman sous 
						les traits de Jaunisset et de Parapine.
 
						 (...) Louis restait un hygiéniste 
						de goût et de formation (sa thèse en apportait une 
						preuve supplémentaire) - un hygiéniste qui aurait gardé 
						la nostalgie des départs. Pouvait-il rêver mieux qu'un 
						poste à la Société des Nations à Genève avec ses 
						promesses de nombreuses missions.Le professeur Gunn l'avait mis en rapport avec le Dr Ludwig Rajchman qui 
						s'occupait précisément de l'organisme international 
						d'hygiène de la SDN. Sa candidature fut retenue. A la 
						fin juin, Céline était à Genève. Il était convenu que sa 
						femme et sa fille le rejoindraient plus tard.
 (...) Céline, tout d'abord, ne quitta guère Genève. Il s'installa dans un 
						hôtel du bord du lac. Sa femme, plusieurs fois, vint le 
						retrouver - mais pour de brèves périodes. Manifestement, 
						elle était de trop - et Louis le lui fit bien sentir. Il 
						ne voulait plus renoncer à son indépendance...
 (Frédéric 
						Vitoux, La vie de Céline, Les dossiers Belfond, 1978).
 
						  
						                                                                                           
						-------------------------- 
						  
						     Simone SAINTU 
						  Simone SAINTU était une 
						amie d'enfance. Il l'avait rencontrée en 1904, à une 
						audition de piano chez leur professeur commun.Il l'avait retrouvée lors de séjours à Paris à son retour de Londres.
 
						  Il va entretenir avec elle une 
						longue et régulière correspondance durant ses 10 mois en 
						Afrique. De mai 1916 à mars 1917.
 Extrait de 2 de ces lettres...
 
						  
						                               
						Le Havre [, fin avril-début mai 1916.] 
						                       
						Chère Amie, 
						    Mon départ précipité 
						et peu correct vous a sans doute surprise, si toutefois 
						je puis vous surprendre encore. Tout, mes décisions et 
						mes gestes sont fantasques.Toutefois, en l'occurrence, ma " volition " n'y fut pour rien et 
						c'est à un fait indépendant de ma volonté que je dois 
						d'avoir été privé de vous faire mes adieux ainsi qu'à 
						votre famille -
 " Encore quelques minutes et j'aurai quitté la France " peut-être pour 
						toujours - ce genre d'incident est exploité à l'excès
  depuis 
						de longs siècles, beaucoup mieux que je ne pourrais le 
						faire, par la sentimentalité romancière - aussi 
						prudemment m'abstiendrai-je - Je verrai sans frémir " la 
						terre de France se confondre avec l'horizon " et devant 
						ce spectacle mes yeux resteront d'une sécheresse 
						saharienne - j'ai de longue date l'habitude d'une sage 
						contention de sentiments et je n'avouerai devant tant de 
						beauté qu'une faiblesse, c'est celle qui m'est causée 
						par la distance qui nous sépare, et qui malheureusement 
						s'accroîtra encore. Peu communicatif de nature je m'étais lié avec vous d'une amitié qu'avec 
						votre consentement je tiens à conserver. J'ai appris à 
						estimer chez vous en peu de temps des qualités qui, 
						rares chez les hommes, sont presque inconnues chez les 
						femmes, et doivent constituer pour celle qui les possède 
						un gage certain de bonheur, c'est ce que je vous 
						souhaite de tout mon cœur - 
						ma chère Simone, et vous prie d'agréer par cette lettre 
						l'expression d'une amitié à toute épreuve. Vous voudrez 
						bien vous faire l'interprète de mes excuses auprès de 
						vos parents ainsi que de mes hommages -
 Sur ce, sans aller comme la feuille, où le vent me pousse, je poursuis la 
						route que ma fantaisie m'a tracée, s'il faut croire la 
						chanson, c'est un divin mensonge.
 Bien sincèrement
 Louis.
 
						  
						                                                                                                      
						***   
						                                           
						Le 24 Décembre 1916Oh ! Tannenbaum. Oh ! Tann...
 
						        
						Ma petite Simone, 
						   C'est ce soir que naquit il 
						y a 1916 ans le petit noël, dans sa case de Betléhem -Figurez-vous que, ce matin, j'ai reçu de France de curieuses nouvelles -
 J'entretiens, comme vous savez, des relations d'écrits avec 
						quelques jeunes filles, en tout bien tout honneur.
						Ça les amuse ces petites, 
						jusqu'au jour où leur petit cœur 
						s'accroche quelque part - de ce jour on me laisse " 
						tomber " - je le sais, je ne m'en affecte pas, je ne 
						leur en veux point, c'est dans l'ordre -
 Je me cantonne dans mon rôle d'intérimaire, j'aide à attendre 
						- ainsi, je ne cultive pas, ne me prépare pas de haines, 
						tout au plus, pour certains esprits superficiels (!), 
						ai-je l'air un tantinet ridicule, mais c'est encore là 
						le plus petit de mes soucis -
 Quelques-unes de ces petites sont intelligentes, parfois 
						romantiques - elles aiment à donner à cette 
						correspondance un air clandestin, je m'y prête comme 
						vous pensez d'excellente grâce. Quant aux autres, elles 
						m'adressent des petites cartes postales couvertes d'une 
						écriture menue, soumise je l'imagine à une paternelle 
						censure - ce sont de ces gentilles petites filles dont 
						il [est] convenu de dire " qu'elles sont gentilles, 
						qu'elles aiment bien leur maman " - Il ne faut 
						d'ailleurs accorder à toutes ces manifestations qu'une 
						crédulité restreinte, plusieurs épouseurs de mes amis 
						m'ayant confié que ces jeunes demoiselles constituaient 
						des petites femmes qui se révèlent après leur mariage 
						d'une exigence stupéfiante à tous points de vue -
 L'une d'elles, disais-je donc, était une jeune, toute jeune blonde, 
						abondante, fraîche, jolie, un véritable amour pour 
						sacristie -
 Au temps où je n'étais pas le précoce désabusé que je suis devenu, 
						elle me faisait je l'avoue de l'impression. Tant 
						d'impression qu'un jour elle me tapa, elle n'a 
						d'ailleurs jamais cessé depuis de me taper -et cela il y 
						aura quelque 4 ans - D'une excellente famille, je me 
						prêtais avec plaisir à ces petites exigences, d'ailleurs 
						convenablement espacées et modestes rassurez-vous - Je 
						lui fis néanmoins, par lettre, quelques remontrances que 
						je jugeai nécessaires sinon inutiles [pour utiles], 
						sur le genre de vie approprié à l'avenir qu'elle était 
						appelée à avoir, qu'il convenait qu'elle menât -
 Je n'en entendis plus parler pendant quelques jours, lorsque ce 
						matin, dans le tréfonds de la plus noire Afrique - je 
						reçois une lettre de la Supérieure d'un couvent, 
						m'avertissant que Mlle [          
						], à la suite d'une tentative de parricide, venait de 
						prendre le voile -
 Les petites révélations de ce genre vous font tout de même quelque 
						chose - Je n'aurais malgré tout pas cru cela d'un ange 
						aussi blond -
 Noël est ma petite Simone un beau jour, il s'en dégage 
						une lente odeur d'encens -
 Vôtre
 Louis
 (Lettres, Pléiade, Gallimard, 
						2009).
 
						  
						                                                                                             
						-------------------------- 
						  
						
						     Alice 
						DAVID.
						 
						
						Elle était née en 1874 dans le milieu bourgeois et 
						antirépublicain d'Hazebrouck où son père était le 
						directeur d'un journal local, qui existe toujours, et 
						qui s'appelle L'indicateur des Flandres. Elle 
						était l'avant-dernière d'une famille de neuf enfants, 
						une famille très marquée par le catholicisme, puisque 
						sur ces neuf enfants, trois filles furent religieuses et 
						un des deux fils fut prêtre. Elevée dans cette ambiance, 
						Alice devint infirmière. Elle ne se maria point, vécut 
						auprès de ses parents jusqu'à leur mort, en 1913, puis 
						auprès de sa sœur aînée et finalement auprès de son 
						frère Maurice, prêtre, chanoine, et professeur à la 
						Faculté catholique de Lille, ville où elle mourut en 1943. 
 En raison de ses compétences, elle était affectée 
						particulièrement aux soins à donner aux " gros blessés " 
						et exerçait également comme anesthésiste au bloc 
						opératoire. C'est donc cette femme qui, en novembre 
						1914, âgée alors de quarante ans, s'éprit du fringant 
						cuirassier Destouches, âgé, lui, de vingt ans, ce qui 
						donna lieu, après le départ de celui-ci pour le 
						Val-de-Grâce, à un échange de correspondance dont il 
						nous reste sept lettres d'Alice, et qui s'étend du 29 
						décembre 1914 au 24 mars 1916.
 
						
						 Ce 
						que l'on note, c'est qu'elle y exprime un net penchant 
						amoureux pour le jeune cuirassier et qu'elle se plaint à 
						demi-mots de ne pas lui voir exprimer les mêmes 
						sentiments en retour. Elle exprime son amour sur le ton 
						d'une grande fraternité sentimentale : " J'ai eu ma 
						grande part de peine cette année, mais j'ai eu aussi le 
						grand bonheur de trouver un frère très aimant. Pourquoi 
						faut-il toujours être séparés ? " écrit elle dans sa 
						première lettre. Les lettres qu'elle adresse à celui 
						qu'elle appelle " Mon Grand ", " Mon cher Grand ", " mon 
						grand frère chéri " et une fois " mon chéri ", baignent 
						souvent dans une sentimentalité à tonalité religieuse. 
						Ainsi elle lui écrit qu'elle va prier pour que la 
						nouvelle opération qu'il subit au Val-de-Grâce se passe 
						bien et elle l'invite à en faire autant : " J'ai 
						grande confiance d'être exaucée. D'autant plus que vous 
						aussi récitez parfois un bon Ave le soir. Mon Grand vous 
						me faites bien plaisir, voulez-vous m'en faire un plus 
						grand encore, récitez-en un chaque soir. "
						 
						   
						Apparemment, et aussi surprenant que cela puisse nous 
						paraître maintenant avec ce que nous savons de Céline, 
						le jeune Destouches pouvait céder lui aussi à une 
						certaine sentimentalité puisqu'elle ajoute dans la même 
						lettre - du 9 février 1915 " Pourquoi avez-vous 
						pleuré en terminant votre lettre ? Naturellement j'ai 
						fait la même chose en la lisant, je souffre tant de la 
						peine de mon grand Louis. " (...) Toujours est-il 
						que ce ton sentimental est exactement le ton que Céline 
						dira par la suite détester absolument dans son rapport 
						avec les femmes. C'est ce ton qu'il prête dès Voyage 
						à Lola pour dire combien il s'en méfie : " Pour Lola, 
						la France demeurait une espèce d'entité chevaleresque, 
						aux contours peu définis dans l'espace et le temps, mais 
						en ce moment dangereusement blessée et à cause de cela 
						même très excitante. Moi, quand on me parlait de la 
						France, je pensais irrésistiblement à mes tripes, alors 
						forcément, j'étais beaucoup plus réservé pour ce qui 
						concernait l'enthousiasme. Chacun sa terreur. Cependant 
						comme elle était complaisante au sexe, je l'écoutais 
						sans jamais la contredire. Mais question d'âme je ne la 
						contentais guère. [...] Elle me tracassait avec les 
						choses de l'âme, elle en avait plein la bouche. " (Voyage p.52). 
						(Pierre-Marie MIROUX).
 
						  
						                                                                          
						 --------------------- 
						  
						
						       
						
						
						Suzanne NEBOUT  
						 
						Dans quelles circonstances Louis Destouches a-t-il 
						fait la connaissance de Suzanne Nebout ? Lors d'une de 
						ses sorties dans les bars louches de Soho, où elle 
						dansait pour un public masculin avide de plaisir, comme 
						le suggère ce passage de Féerie ? 
						  
						" L'une brune et ces lèvres !... Marie-Louise ! 
						souplesse et nerveuse, l'épaule, tout ! gitane 
						presque... des hanches bouleversantes j'ose dire... 
						Janine rousse... quand elles dansaient au Ciros, elles 
						valsaient ensemble, c'est simple les guéridons 
						voguaient... les émotions des clubmen ! les verres tout 
						éclats !... et les bouteilles ! "(Féerie, Romans IV, p.76-77).
 
						 Le 
						témoignage capital de Mme Destouches qui a confié à 
						Frédéric Vitoux les souvenirs de sa belle-mère 
						Marguerite Destouches et les confidences de Céline, 
						corrobore ce passage : 
						 " 
						Suzanne Nebout était plus ou moins danseuse et 
						entraîneuse. Elle était française et avait une sœur. Ce 
						mariage devait leur être utile pour pouvoir rester en 
						Angleterre, pour des questions de papiers d'identité. 
						Toutes les deux étaient gentilles avec Louis. Il aurait 
						bien épousé les deux, il était amoureux des deux sœurs ! 
						Elles s'étaient occupées de lui, il vivait dans leur 
						milieu de maquereaux, etc. Elles le couvraient d'argent. 
						Elles voulaient lui payer ses études, elles voulaient le 
						garder. " Tu feras tout ce que tu voudras, tu n'auras 
						rien à faire qu'à étudier. " Mais c'était absolument 
						contraire à son tempérament ".(F. Vitoux, La vie de Céline, Folio, p.162-163).
 
						 Aucun 
						indice à ce jour ne permet d'identifier le nom du 
						bar fréquenté par les sœurs Nebout : mais il y a fort à 
						parier que le Ciros avait pignon sur rue aux environs 
						d'Oxford Street : Suzanne Nebout, " célibataire 
						", y était domiciliée en janvier 1916 au n° 475. Quant à 
						l'énigme de leurs prénoms, comme le suggère une lettre 
						adressée du Danemark à Georges Geoffroy et datée du 27 
						octobre 1947, Janine et Marie-Louise n'étaient rien de 
						moins que les surnoms d'usage des deux danseuses : 
						  
						" Tu sais que j'ai rencontré il y a quelques années 
						Marie-Louise la sœur de Janine à Montmartre. " (Romans 3, p.978).
 
						 En 
						effet, Janine Nevers et Marie-Louise Tardy, de leurs 
						vrais noms Suzanne Germaine et Henriette Anne Nebout ont 
						laissé des traces dans les archives britanniques et 
						françaises... 
						 [...] 
						Suivirent, à peine un an et demi après son débarquement 
						en Angleterre la rencontre de Suzanne et de Louis 
						Destouches, et leur mariage célébré le 19 janvier 1916 
						devant l'officier du Register Office du district 
						de Saint-Martin : elle se dit célibataire, 24 ans, 
						domiciliée 475, Oxford Street à Londres et fille d'un 
						fonctionnaire français - c'est fort douteux, on l'a vu - 
						Henri-Etienne Nebout, décédé. Il a 21 ans, se dit 
						lieutenant du 12e cuirassier, célibataire, fils de 
						Ferdinand Auguste des Touches, secrétaire de 
						direction d'une compagnie d'assurance, demeure à Soho, 4 
						Leicester Street et signe Louis Ferdinand des 
						Touches.Ce mariage civil est enregistré sous le n° 200, en présence des témoins 
						Carolina Ode et Edouard Bénédictus, et sans doute 
						d'autres amis et connaissances comme Léon Leyritz. Cet 
						acte a-t-il été motivé par les tracas de 
						l'administration britannique, comme semble l'avoir 
						suggéré Céline à Mme Destouches ?
 Outre le fait que le mariage de deux étrangers sur le sol 
						britannique ne leur accordait aucun droit de séjour, et 
						encore moins à leur proches parents, cet acte avait 
						toutefois l'avantage d'établir l'identité et la 
						domiciliation de Suzanne et Louis de manière 
						incontestable pour faire valoir, plus tard, leurs droits 
						d'anciens résidents. Valide selon la loi britannique, 
						cet acte de mariage n'a pas été communiqué à l'officier 
						consulaire français, d'où une suspicion de nullité du 
						point de vue de la loi française, ce qui semble, par la 
						suite, avoir bien arrangé les choses... 
						(1)
 
						 La 
						rupture qui suit de près leur mariage est tout aussi 
						délicate à interpréter que ses motivations. Les faits 
						sont bien établis par le témoignage de Henriette Nebout 
						consigné en 1923 dans les archives britanniques : Louis 
						Destouches quitta Suzanne Nebout après quelques jours de 
						vie commune, trois jours seulement si on en croit la 
						confidence à Henri Mahé : 
						 "
						Ecoute Kiki !... Blessé en 14, je me suis retrouvé à 
						Londres, 2ième Bureau... J'ai fait la connaissance d'une 
						putain... Je l'ai épousée... Trois jours après je 
						barrais en Afrique, pleine forêt vierge... Avis !... 
						" (2) 
						 Henri 
						Godard a retrouvé et signalé dans la correspondance de 
						Céline maintes allusions indirectes à cette expérience, 
						notamment ce demi-aveu à Albert Paraz : 
						 "
						J'avais tout pour être maquereau. Je refusais du 
						monde à Londres. J'étais riche à 25 ans si j'avais 
						voulu, et considéré - un monsieur aujourd'hui ".
						(3)
						 
						
						  
						Son départ pour le Cameroun, via Paris, Le Havre, 
						Londres et Liverpool, est un évènement dont le 
						déroulement et les raisons complexes nous échappent 
						encore, d'autant que l'illusion rétrospective de la 
						reconstruction biographique a tendance à l'inscrire dans 
						un réflexe continuel de fuite. Sans aller jusqu'à 
						retenir la thèse de  
      
						
						 l'implication dans un trafic de 
						drogue ou de contrebande, le réformé définitif n° 2 
						Destouches était-il vraiment " en délicatesse avec 
						les gens du Consulat " et la police anglaise, comme 
						le suggère la lecture de Guignol's band ? Depuis le début de l'année 1916, l'opinion et les journaux anglais 
						s'attaquaient aux " déserteurs français d'âge 
						militaire habitant l'Angleterre et les accusaient de 
						voler le travail des anglais " : des pressions 
						ont-elles été exercées pour précipiter son départ ? Son 
						mariage avec une " fille " établie depuis près de deux 
						ans dans le Milieu lui a peut-être valu des menaces 
						sérieuses de la part de l'ancien protecteur de la " 
						brune " Suzanne, ce colonel anglais qui l'aurait 
						entretenue " en dehors de toute relation de parenté
						", d'après le témoignage tardif de Georges Geoffroy. 
						(3) Cela 
						expliquerait la réaction et la mise en garde adressée à 
						Henri Mahé, et le regret qu'exprimait Céline à Geoffroy 
						en 1947, " on aurait dû rester là-bas... se 
						défendre... ", alors que les lettres d'Afrique 
						attestent au contraire les efforts déployés par cet ami 
						pour l'empêcher de partir à l'aventure. Dans Féerie, 
						le souvenir de cette rupture donne lieu à un paragraphe 
						empreint de nostalgie :
 
						  
						" Je les avais quittées Leicester Square... 
						abandonnées sa sœur et elle... Je vois encore l'arbre, 
						le banc, les fleurs... les piafs... les myosotis, les 
						géraniums... c'est en plein Londres vous connaissez ?... 
						en détresse là, orphelines d'homme... "(Romans 4, p. 76).
 
						  
						Le 10 mai 1916, quatre mois à peine après son mariage, 
						Louis Destouches embarquait à Liverpool sur le R.M.S. 
						Accra en partance pour Douala. D'après Henriette 
						Nebout, Suzanne, qui avait eu connaissance du départ de 
						son époux pour le " Congo [...] n'entendit plus 
						jamais parler de lui ". Etait-ce uniquement dans 
						l'intention d'obtenir de ses nouvelles qu'elle se rendit 
						ensuite à Paris, rue Marsollier, fixer " ses très 
						beaux et grands yeux noirs " sur ses beaux-parents 
						en se présentant : " Nous sommes mariés " ? (Fr. 
						Gibault, Céline I, p.169). La scène très théâtrale qui s'ensuivit dut s'achever par d'âpres 
						négociations... car peu après son retour à Londres, en 
						août 1916, celle qui signait désormais Suzanne 
						Germaine des Touches était assez fortunée pour faire 
						l'acquisition dans le quartier de Marylebone d'un petit 
						hôtel. (4) 
						Sis au 44, Manchester Street, cet 
						immeuble de rapport victorien était composé de trois 
						étages, au moins trois chambres dont Janine s'occupait 
						personnellement des pensionnaires avec sa sœur 
						Marie-Louise Tardy, qualifiée de " secrétaire ".
 Louis Destouches qui semble avoir séjourné en Angleterre durant une 
						période indéterminée à son retour d'Afrique, entre le 
						1er mai 1917 date de son débarquement à Liverpool et 
						septembre-octobre 1917, époque de son retour rue 
						Marsollier et de son embauche par la revue Euréka, 
						a sans doute eu connaissance des nouvelles affaires des 
						sœurs Nebout, qu'il a pu revoir... 
						(5)
 
						 [...] 
						Au début du printemps 1922, son état de santé se 
						dégrada. Malade, elle fut envoyée à l'étranger, en 
						Hollande, et dut vendre le 12 mai 1922 le petit hôtel et 
						le mobilier du 44, Manchester Street à une française, 
						Zoé Delamare, pour 1920 livres. Un mois  plus tard, 
						elle quittait la Hollande pour poursuivre sa 
						convalescence en Allemagne, à Aix-la-Chapelle. La malade 
						dicta le 18 août à un notaire d'Aix, Me Bicheroux, un 
						nouveau testament qui révoquait celui déposé à Londres 
						quatre ans auparavant, et qu'elle fit remettre sous 
						enveloppe scellée à son notaire anglais, John Joshua 
						Hands, par lequel elle le nommait exécuteur de ses 
						dernières volontés, et donnait la garde de sa fille et 
						unique héritière de ses biens à sa sœur Henriette Nebout.Le 17 septembre 1922, Suzanne Germaine Nebout succombait de cette maladie 
						au Luisenhospital d'Aix-la-Chapelle ; elle n'avait pas 
						31 ans. Louis Destouches, qui ignorait sans doute tout 
						du mal qui minait depuis quelques mois son ex-épouse, 
						après des vacances à Saint-Malo, se trouvait alors entre 
						deux examens à l'Ecole de médecine de Rennes...
 
						 Dans 
						quelles circonstances Céline apprit-il la triste 
						destinée de Suzanne ? Henriette lui aurait-elle fait 
						part de la maladie et de la disparition de sa sœur dès 
						cette époque ? Lors de leur rencontre fortuite, à Paris, 
						peu avant son départ en 1944, Louis semblait déjà bien 
						informé : 
						  
						" Tenez presque chaque minuit je revois ma 
						belle-sœur... les circonstances... c'est la difficulté 
						de la vie de sortir les choses du hasard... de 
						démêler... Je l'avais pas revue ma belle-sœur depuis des 
						années... et quelques jours avant qu'on parte, donc 
						début juin, les Alliés déjà à Rouen... 44... [...] Je 
						remontais la rue Ravignan je m'entends appeler, héler 
						!... voilà ce que j'aime pas !... je me retourne.- Marie-Louise !
 Ah ! que je fais : toi ! on s'embrasse... J'aurais voulu 
						que vous l'entendiez ! ça venait du cœur... tout de 
						suite au but ! comme pressée de ce qu'elle voulait me 
						dire... elle était au courant un peu... enfin le 
						principal.
 - Ah, tu serais resté avec nous !...
 Elle évoquait Londres fin 17...
 - Tu vois Louis... tu vois !...
 Les reproches... et les larmes... mon nom intime : Louis.
 - Janine serait pas morte !
 (Féerie I, Romans 4, p.76).
 
						(1)
						Informé plus tard par 
						Fernand Destouches des frasques de Louis, le docteur 
						Follet aurait pris la peine de vérifier à Londres que 
						son gendre n'était pas déjà marié au regard de la loi 
						française (Céline I, p.222). F. Vitoux rappelle 
						justement que pour la loi anglaise, en 1919 Céline était 
						tout simplement bigame (La vie de Céline, p.162).(2) Extrait de la première version de la Brinquebale 
						avec Céline d'Henri Mahé, publié par Eric Mazet dans " 
						31 " Cité d'Antin, p.70-71.
 (3) Ce témoignage cité par Henri Godard, a été publié 
						par l'hebdomadaire Minute le 20 mars 1964 (Romans 3, 
						p.979 note 4). Ce colonel anglais a pu inspirer le 
						personnage de l'oncle de Virginie, le colonel J.F. 
						O'Collogham, dans Guignol's band.
 (4) Private Hotel : ces hôtels de premier ordre 
						n'avaient pas de patente pour débiter des spiritueux. 
						Sous ce nom se cachaient aussi des pensions bon marché.
 (5) Ce qui expliquerait la date du départ mentionnée 
						dans l'épisode de la rencontre à Montmartre avec 
						Marie-Louise, dans Féerie : " Londres fin 17 ", ou " 
						novembre 17 ", dans Romans 4, p.76.
 
						  
						(Janine et Louis, Nouveaux documents sur Londres et 
						Suzanne Nebout, par Gaël Richard, Année Céline 2006).
 
						                                                                                                                                 
						 *** 
						(...) Mentionnons encore deux ou trois 
						faits ignorés au moment de la biographie, par exemple le 
						rôle de figurant, la " panne ", que tient Céline, de 
						retour d'Amérique, en 1935, dans le film de son ami 
						Jacques Duval, Tovaritch. Ou les circonstances tragiques 
						de la mort de sa " première femme ", Suzanne Nebout. 
 Grâce à Gaël Richard, on en sait un peu plus sur les 
						deux sœurs Nebout, Janine et Marie-Louise, danseuses 
						entraîneuses à Londres. Janine épousant le " lieutenant 
						des Touches " devant un officier d'état-civil anglais, 
						on pouvait croire que c'était un service qu'il lui 
						rendait pour des problèmes d'immigration. Le fait qu'il 
						la quitte si peu de temps après le mariage et qu'elle 
						rentre à Londres venant de Paris portant encore le nom 
						de Mme des Touches, ayant de quoi s'acheter un petit 
						hôtel, rend plus vraisemblable la visite rue Marsollier 
						chez les parents des Touches que transmettait la 
						tradition familiale.
 
 On apprend maintenant qu'elle est morte de tuberculose 
						en Allemagne au moment où Louis convolait en Bretagne 
						avec la fille du Pr Follet (qui est allé vérifier à 
						Londres ce qu'il en était du mariage anglais que lui 
						avait honnêtement confié Auguste Destouches !
 (Philippe Alméras, Céline entre haines et passions, 
						Spécial Céline n°1, juillet-août 2011).
 
						                                                                                                        
						*** 
						  Danseuse de cabaret à Londres, 
						maîtresse d'un colonel anglais. Leur mariage est un 
						service réciproque : un nom et la particule (des 
						Touches) pour elle, une réforme définitive pour lui. 
						Evoquée dans Féerie pour une autre fois, elle est 
						le modèle partiel de Virginia de Guignol's band 
						et de Molly de Voyage au bout de la nuit.(Céline, Emile Brami, 2003, p.330).
 
						
						(...) Ce mariage devait leur être utile pour pouvoir 
						rester en Angleterre, pour des questions de papier 
						d'identité... (Frédéric Vitoux, La vie de Céline, Grasset, 1988, 
						p.97).
 
 (...) De toute évidence, la Molly de Voyage, 
						entretient des liens étroits avec elle. Louis était 
						véritablement amoureux - " nous devînmes intimes par 
						le corps et par l'esprit " - et, dans sa vie si 
						soumise à l'époque aux exigences parentales, ce mariage 
						fut un acte libre : un choix, Féerie porte le 
						signe de ce premier amour : " Myosotis, géranium, un 
						banc, c'est 
						fini... envolez piafs... dentelle si fine... Je m'étais 
						arraché par raison, par une sorte de conscience pour 
						ainsi dire. "
 
						
						Et Céline précise : " J'ai commis qu'un crime dans ma 
						vie, un seul, là, vrai... comme j'ai quitté mes petites 
						belles-sœurs "Jamais plus Céline ne parlera d'une femme en ces termes.
 (Nicole Debrie, BC n°66).
 
						  
						                                                                                         
						------------------------
 
						  
						  1915 -
						Entre le 
						passage au Val de Grâce et le Consulat de France à 
						Londres, il eut sans doute une autre aventure amoureuse 
						qui se serait mal terminée. Le 23 mai 1915, Etienne 
						Bézard écrit à Louis Destouches : " Ah ! les femmes ! 
						(...) dans quel douloureux état t'ont-elles encore mis - 
						Pourquoi aussi aller te frotter dans les jupes ? Tu ne 
						les connaissais donc pas ? Un vieux routier comme toi ? 
						(...) sois sûr que je compatis à tes souffrances et 
						voudrais bien soigner ta blessure. (...) Tu as bien fait 
						de fuir : ça n'était pas lâche. (...) Tu rencontreras 
						peut-être là-bas un autre objet de tes rêves - avec 
						lequel tu auras plus de chance. " (Lettres, 
						Pléiade, 15-0).(Eric Mazet, Spécial Céline n°19, hiver 2015).
						  
						                                                                                          
						------------------------ 
						  
						  Par des lettres d'un camarade de 
						chambrée aux parents Destouches, on apprend qu'en 1912 
						le jeune cuirassier fait des dettes pour une femme dont 
						il est amoureux. Dans une lettre à Simone Saintu, postée 
						du Cameroun le 24 décembre 1916 (Lettres, 
						Pléiade, 16-64), Louis Destouches dit entretenir des 
						relations épistolaires avec quelques jeunes filles : " 
						Je me cantonne dans mon rôle d'intérimaire, j'aide à 
						attendre... "Il aurait appris, par la mère supérieure d'un couvent, que la jeune fille 
						d'excellente famille, " un ange blond " qui le " tapait 
						", " à la suite d'une tentative de parricide, venait de 
						prendre le voile ". On n'en saura jamais plus et l'on 
						sait qu'en Afrique la tentation littéraire a pris 
						naissance.
 (Eric Mazet, Céline et les femmes, Spécial Céline n°19, hiver 2015).
 
						  
						                                                                                         
						-----------------------------
 
 
						    1911 - 1912.
						Des 
						professionnelles. 
						 D'un " [...] 
						séjour à Nice  il revient " très 
						anémié "." J'entends bien que la dépression physique que nous avons constatée ne 
						devait pas être uniquement attribuée aux fatigues de son 
						emploi mais aussi à d'autres conséquences fatales de son 
						séjour à Nice dans des conditions de vie qui ne 
						pouvaient être logiquement que celles d'un homme et non 
						d'un adolescent presque un enfant.
 Son père tente de ramener Louis " à une attitude moins indépendante et 
						plus réservée [...] et à rectifier les quelques idées 
						fausses que cette existence exceptionnelle lui avait 
						laissées. "
 (Lettres de Fernand Destouches au joaillier Lacloche, F. Gibault, 
						Céline 1, 1977).
 
						
 
						                                                                                        
						------------------------------ 
						  
						    
						 1911. Mme GUERRAZ. 
						  Lorsqu'il 
						quitte la joaillerie Robert où il a été employé, une 
						note manuscrite accompagne son certificat de travail : " 
						On peut y lire, écrit d'une encre passée et d'une 
						écriture assez commune : " Reçu de M. Destouches 22 f. 
						pour ' goûter ', janvier et février. Guerraz. "Il s'agirait d'un papier sans intérêt s'il n'était surchargé au crayon. 
						Au-dessus du mot ' goûter ' on peut lire très 
						distinctement le mot " baiser " et un peu en dessous " 
						Carotte tirée étant chez Robert rue Royale. " [...] on 
						peut penser que les goûters chez cette dame étaient 
						d'une nature très particulière. "
 (F. Gibault, Céline 1, E. Brami, Céline, 2003).
 
						-----------------------
 
						  
						    1908 - 1909.  Les 
						hôtesses qui l'accueillent pendant ses séjours 
						linguistiques. 
						  " Le jeune garçon est 
						envoyé pendant neuf mois dans une Volkschule à Diepholz, 
						en Prusse, pour étudier l'allemand. Mais, dit-on, la 
						logeuse va inspirer à cet adolescent des goûts prononcés 
						qui vont abréger le séjour. " (P. Huon de Kermadec, Contribution à la vie de L.F.C.)
 
						 " Précoce, tu couches avec 
						ta logeuse et te fait renvoyer. On t'expédie en 1909 en 
						Angleterre, où des aventures du même genre te font " 
						rendre " à tes parents. "(Marcel Brochard, Céline à Rennes, L'Herne).
 
						  
						  
						  
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