SES FEMMES
Un mur entier était couvert d'inscriptions.
Elles partaient du traversin pour arriver jusqu'au plus
haut où il était possible d'écrire en montant sur le
lit. Il ne s'agissait pas de graffitis obscènes,
seulement de signatures de femmes et de dates : " Lulu,
le 3 mai ", des choses dans ce goût-là.
Colette [la fille de Céline] qui sautait sur le lit m'a dit : "
T'as vu tout ça, mon père il a couché avec toutes ces
femmes. "
(Eliane Bonabel, Illustrations pour Voyage au bout de la nuit).
***
Il était beau, le jeune
Céline. Les femmes qui l'ont connu en témoignent.
épouse, maîtresses, amies, toutes ont été sous le
charme. Et puis il y a les yeux. Ah ! ces yeux et ce
regard du Louis Destouches, des yeux d'un gris-bleu très
clair avec des nuances de vert.
Alors homme à femmes, Céline ? Sûrement pas. Céline n'est pas un
dragueur, pas un don juan. C'est un timide avec les
femmes, un délicat, un raffiné. Pas un homme à femmes
Céline, donc, mais homme ayant aimé les femmes ayant été
aimé par les femmes.
(Jacques Henric, Céline entre les femmes et ses démons, 12-06-2011).
***
Lucette ALMANZOR - Marie
CANAVAGGIA - Margaret SANDE - Irène MAC BRIDE - Daphne
VANE - Kathryn MULLOWNY - Marianne OSWALD - SEYMOUR - La ou les
inconnues de Londres - Eliane TAYAR - Dora DORIANE -
Hélène HOWELL - Lucienne DELFORGE - Karen Marie
JENSEN - Louise NEVELSON - Marie BELL - Evelyne POLLET -
Jeanne FEYS-VUYLSTECKE - Annie REICH - Anny ANGEL -
Cillie PAM (AMBOR) - Erika IRRGANG - L'inconnue de
Genève - Margaret SEVERN - Drena BEACH - Mona DOLL -
Nane GERMON - Paulette LADOUX - Mme Georges BLOCH -
Elizabeth CRAIG - Junie ASTOR - Jeanne CARAYON - Mlle
PALLAS - Blanchette FERMON - Maria LE BANNIER - Germaine
THOMAS - Edith FOLLET - Simone SAINTU - Alice DAVID -
Suzanne NEBOUT - Des professionnelles - Mme GUERRAZ -
Les hôtesses des séjours linguistiques.
Lucette ALMANZOR
, la danseuse.
Celle qui a sacrifié sa vie au docteur Destouches.
« Ma féerie » disait-il. Il la rencontrée fin 1935,
avant la sortie de Mort à crédit.
Ça a
débuté comme ça. Moi, j’avais rien dit, seulement sonné.
Roxane est arrivée la première, au galop du fond du
jardin, tous crocs dehors. Dans son sillage, Fun se
prenait pour un loup. Feindre la hargne est une vieille
habitude de la maison. Il ne faut pas s’y laisser
prendre. Quelques caresses et on copine. Tout de même,
on n’entre pas dans l’univers célinien comme à la Sainte
Chapelle.
Rien n’a changé au fond, route des Gardes à Meudon.
Si, quelque trente années sont passées. On n’y voit plus
Michel Simon, Arletty, Marcel Aymé, Blondin ou Nimier.
Et on n’y garde plus qu’un souvenir, mais si passionné,
si compromettant, toujours en éruption…
Encore un journaliste, un voyeur, un dévôt en extase,
un célinomane à deux doigts de l’overdose. On n’en
finira donc jamais avec le scandale. Avec ce brasier. Le
Feu de l’enfer.
Lucette est fatiguée par tout ça. La candeur, la
douceur, la grâce, encore et toujours confrontées à
cette lave en fusion : Louis-Ferdinand Céline, son mari.
Et on trouve des gens pour dire : « Ce sera pareil en
l’an 3000. »
La maison de style louis-philippard perchée sur les
hauteurs de Meudon sera ou ne sera pas classée comme
« lieu de mémoire ». Peu importe. Désormais, Lucette
s’en moque. Elle y tenait seulement pour les animaux,
les compagnons du malheur, tous enterrés là, Bébert le
chat, Toto le perroquet, Bessy la chienne, et tant
d’autres… A présent, elle n’attend plus que le repos
éternel.
A quatre-vingts ans, la femme du Dr Destouches est
pourtant bien alerte. Même si elle se plaint d’être
« fatiguée », il faut la voir dans sa salle de danse.
Droite, souple, légère, une plume au vent. Ou au volant
de sa voiture, prendre la direction de Dieppe où elle a
un petit appartement. Sûr qu’il est difficile de se
faire obéir par ses chiens, tous tirés des cages de la
SPA, de costauds bâtards, elle est si frêle, mais elle
l’a toujours été, n’a jamais opposé que tendresse et
sourire aux grêlons comme aux frelons, elle est comme ça
et on ne se refait pas.
Avec Louis non plus,
elle n’avait jamais le dernier mot, la discrète Lucette.
Mais que dire encore sur celui qui l’a séduite
lorsqu’elle avait 23 ans ? Que dire encore sur Céline ?
« J’ai déjà tout dit, cent fois, mille fois… Oh ! pas
grand-chose, vous savez, et toujours la même chose… Mais
je n’ai plus rien à dire sur Louis… Plus rien. »
On n’ose trop insister. Lui quémander quelque
anecdote inédite sur la vie au château de Sigmaringen,
devenu un camp retranché pour « collabos » aux abois et
où Céline est arrivé un vilain matin comme un cheveu
dans la soupe avec Bébert dans sa musette. On voudrait
bien, mais on hésite à l’interroger sur la délirante
épopée de l’apocalypse sous les bombes, à travers
l’Allemagne en flammes, ou sur l’exil au Danemark, ses
onze jours de prison à la forteresse de Vestre Faengsel,
où son mari, lui, est resté un an et demi, « un
cul-de-basse-fosse », se lamentait-il.
D’ailleurs, tout est dit dans la trilogie (D’un
château l’autre, Nord, Rigodon) et dans les
nombreuses biographies qui lui sont consacrées,
notamment celle, en trois volumes, de l’avocat François
Gibault, devenu l’ami et le confident de Mme Destouches.
Il vient la voir chaque dimanche depuis trente ans, lui
téléphone chaque jour à midi et elle l’appelle chaque
nuit à minuit… Mais enfin, lorsqu’on tient un témoin si
privilégié, personnage d’un roman vécu de ce tonneau,
lorsqu’on se trouve en face de la compagne de tant
d’années, de tant d’épreuves, la femme de
Louis-Ferdinand Céline, on ne la lâche pas comme une
baudruche dans l’air des jardins du Luxembourg.
Qu’il ait été un rêve enchanté ou un cauchemar, il
est toujours pénible de revenir sur le passé lorsqu’on a
parcouru un tel chemin. Les amis ont presque tous
disparu. Arletty que Céline, natif comme elle de
Courbevoie, appelait « ma payse », est partie
aussi pour le grand voyage… Lucette la voyait souvent
rue Rémusat. Elles déjeunaient en tête à tête,
simplement, un plat de pâtes, des yaourts. Elles
parlaient cinéma. Et de Céline aussi. Ah ! Céline, un
sujet inépuisable… Bien sûr, elle était à ses obsèques,
effacée comme toujours, personne ne l’a reconnue.
Mme Lucie Destouches, née Almanzor, danseuse étoile,
puis professeur de danse, sourit d’un air tendre à
l’évocation de ses souvenirs. Tandis que Bonhomme, un
cocker au caractère joyeux, lui mordille les mollets,
elle regarde Paris au loin, lève lentement son bras
droit avec grâce comme si elle revoyait ces visages
d’amis fidèles, de la Butte à Meudon. « Marcel Aymé
venait nous voir chaque dimanche matin. Mais il fallait
qu’il nous quitte à midi pile car sa femme l’attendait à
Paris pour déjeuner. Faussement bougon, Céline le
laissait partir à regret en lui disant à midi moins
cinq : « Allez, tire-toi, tu vas te faire engueuler, y a
ton rôti qui t’attend. »
" Avec Michel Simon, le dialogue
n’était pas triste, on s’en doute. Lucette les laissait
souvent bavarder entre hommes. D’ailleurs, elle avait
ses cours de danse dans la salle du haut. Que se
racontaient ces deux compères ? Des histoires d’animaux,
souvent. Chacun avait un perroquet et lui apprenait des
mots rarement employés dans les salons. Ou des histoires
salaces, peut-être… En tout cas, le rire, pour ne pas
dire le ricanement de Michel, résonne encore dans ses
oreilles.
Leurs points communs étaient nombreux. Entre
autres, ils ne se lassaient pas de railler Sartre,
traité de « méchant pitre » et, plus
généralement, de dénigrer les « raisonneurs »,
les « intellectuels » en appuyant bien sur les
syllabes. Céline disait : « J’ai pas d’idées, moi !
aucune ! et je trouve rien de plus vulgaire, de plus
commun, de plus dégoûtant que les idées ! Les
bibliothèques en sont pleines ! et les terrasses de
café ! tous les impuissants regorgent d’idées ! »
L’acteur applaudissait gaiement l’artiste.
C’était le folklore de la maison. L’ermite de Meudon,
nid de contradictions, excellait dans tous les numéros.
Eternel provocateur, grommelant souvent, se lançant
soudain, après un long silence, dans un flot
imprécatoire que rien ni personne ne pouvait arrêter,
jetant ses anathèmes à défaut de ses oripeaux, mais
toujours cocasse cependant même lorsqu’il prédisait
l’apocalypse, il pouvait faire le charmeur, jouer de la
flûte, et séduire aussi bien les dames que les
messieurs.
Demandez donc à Claude Sarraute, devant laquelle
l’ogre de Meudon se fit tout miel un jour pour les
lecteurs du Monde, « avec qui on doit se
montrer aimable, gentil… » La journaliste le quitta
épatée, presque envoûtée par cet « homme délicat et
délicieux… »
Pour Bardamu, mais aussi pour beaucoup d’autres, Mme
Destouches regorge d’indulgence. Entre sa cuisine, petit
capharnaüm très célinien, et le salon, qui fut
autrefois, avant que la maison ne brûle en mai 68, le
bureau fourre-tout de son mari, où cohabitaient un
couple de tortues et un hérisson apprivoisé, elle
murmure tristement, comme si elle se parlait à
elle-même. « On n’a pas compris Céline. Il aimait les
pauvres gens, les malades, les souffreteux, les
prisonniers, les vieux, les chiens moches… Ah ! ça, il
n’a jamais voulu d’un chien de race. S’il avait pu, il
aurait recueilli tous les chiens perdus, tous les
oiseaux blessés. »
On dirait que les animaux du coin se sont donné
le mot. Dans le jardin soigné de Meudon où Bébert a
chassé ses dernières souris, on rencontre des hérissons,
des lapins, sans parler des chats, bien sûr, qui
connaissent bien l’adresse…
En 1953, le Dr Destouches s’était réinscrit au
Conseil de l’Ordre (alors de Seine-et-Oise), mais
n’exerçait plus qu’occasionnellement pour des voisins et
toujours « à l’œil ».
Mais
l’antisémitisme de Céline ? Il faut évidemment, il
faudra toujours, y revenir. Lucette, qui s’était opposée
fermement à son mari lorsqu’il lui lisait des pages de
ses pamphlets, a son explication, qu’elle répète
inlassablement, sans toujours convaincre : « Il
voyait en eux des fauteurs de guerre. Je lui
ressassais : « Tu as tort, tu t’envoies un pavé à la
figure, jette ça au feu. » Mais il ne m’écoutait pas. Il
me répétait : « Tu verras, tu verras, ils vont tous
s’étriper » Mais il était si excessif, si outrancier,
que cela en devenait dérisoire. »
Les faits demeurent et ne pourront jamais être
gommés : si Bagatelles pour un massacre et
L’Ecole des cadavres ont été publiés avant la guerre
et même si on n’imaginait pas alors la réalité des camps
de la mort, Les Beaux draps sont bel et bien
sortis en 1941. Il faut donc prendre Céline tel quel,
tel qu’il était. En bloc. « Admirez Céline, ne le
défendez pas » a écrit un jour François Nourrissier.
La vie avec cet homme, chacun s’en doute, ne devait
pas être drôle tous les jours. Consciente d’avoir
rencontré et aimé un génie, Lucette lui avait sacrifié
la sienne, une vie d’artiste qu’elle qualifie d’ « amusante ».
Danseuse dans une troupe recherchée, elle était partie
en tournée aux Etats-Unis pendant un an, puis à Tunis, à
Cracovie, en Lituanie… Elle avait dû renoncer à tout
pour rester à ses côtés, le materne. « Il en avait
tant besoin. Oui, il était exigeant, mais par amour, il
ne voulait pas que je fasse le ménage, ni la cuisine.
Seulement, ma présence lui était indispensable ».
Elle était sa « féerie », ne cessait-il de dire.
Leur vie était bien réglée. Le mardi, elle n’avait
pas de cours de danse. Elle « descendait » à
Paris en train pour faire des achats, surtout chez
Fauchon. Il s’inquiétait, connaissait toutes les heures
d’arrivée des trains, imaginait toujours une catastrophe
ferroviaire lorsqu’elle n’était pas revenue à l’heure.
« Louis était un anxieux perpétuel », dit-elle,
songeuse, regardant Paris au loin.
Parfois, lorsqu’il estimait qu’elle avait dépensé
trop d’argent « il m’engueulait ». Le soir, de
son débit saccadé, il lui lisait ce qu’il avait écrit,
toujours à l’encre sur des feuilles abondamment raturées
de papier jaune qu’il réunissait avec des pinces à linge
et suspendait dans sa cave, un endroit où il se plaisait
bien. Il se nourrissait peu et mal : du thé léger, des
croissants, quelques gâteaux dans la journée, « il
adorait les croissants », une soupe le soir. « Chaque
matin, il tenait à me préparer mon bol de café ».
Puis il allait chercher son Figaro dans la boîte
à lettres. Il s’y était abonné dès son arrivée à Meudon,
« pour le carnet du jour et plus précisément la
chronique nécrologique », affirmait-il.
Lui, ne sortait jamais, sauf pour se rendre chez le
dentiste et, deux ou trois fois, chez son éditeur,
Gaston Gallimard avec lequel il entretenait une
correspondance tumultueuse. Un soir, et ce fut un
évènement, il alla à Paris pour applaudir une pièce de
l’ami Marcel, La Tête des autres. Mais, de son
arrivée à Meudon en 1951 à sa mort dix ans plus tard, il
ne s’est plus jamais rendu à Montmartre. Ses amis
venaient le voir : le peintre Gen Paul, son grand pote,
le danseur Serge Perrault, de la compagnie Roland Petit,
un ami de sa femme qui s’était pris de passion pour lui,
et deux confrères, le Dr Brami, un fidèle, et le Dr
Willemin, qui lui fermera les yeux, quelques autres.
Tout cela est bien loin. Bien vieux. Aujourd’hui,
route des Gardes, à Meudon, il ne reste qu’une vieille
dame entourée d’animaux, de souvenirs, de quelques amis.
Et un fantôme qui voyage au bout de la nuit. Un fantôme
tout noir.
Francis Puyalte. (Le Figaro, 30 décembre
1992, dans BC n°127).
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Marie
CANAVAGGIA
(...) Dès le début de leur correspondance, il est
possible de dresser l'inventaire des habitudes de
travail de Céline avec sa secrétaire : terme, qui doit
se comprendre plus exactement comme " assistante ". Il
ne s'agissait pas qu'elle dactylographiât les manuscrits
(pour cela, on avait recours aux soins de Suzanne
Chenevier - il y a beaucoup de femmes dans la vie
littéraire de Céline), mais de dicter, de surveiller
l'établissement de la ou des dactylographies, puisqu'on
sait que Céline réécrivait plusieurs fois ses textes
d'un bout à l'autre, et enfin de corriger les épreuves
d'imprimerie.
Elle avait donc à intervenir pendant toute la série de métamorphoses qui
mènent du manuscrit initial au livre imprimé, et chaque
étape se faisait en collaboration étroite avec Céline.
Les rencontres entre eux seront nombreuses, avant 1944
et après 1951.
S'il reste
tellement de traces écrites de leurs rapports
professionnels avant 1944, c'est que, bien souvent,
après une séance de travail qui se tenait chez lui ou
chez elle, ou encore au dispensaire de Clichy, à
Saint-Germain-en-Laye ou à Bezons, Marie éprouve le
besoin de revenir sur quelques points de grammaire, de
lexique ou de ponctuation, et à ses questions écrites il
répond en marge.
Lui-même, également, découvre jour après jour des retouches stylistiques
à effectuer, et lorsqu'il se trouve absent de
Paris cela nous vaut des séries impressionnantes de
notes qui se succèdent pendant des semaines : c'est le
cas pour des textes courts, comme la préface à Bezons
à travers les âges d'Albert Serouille (1943).
La période de l'exil, pendant laquelle ces pratiques
écrites se généralisent nécessairement, garde la trace
de séries similaires, comme pendant la composition de la
préface à Voyage (réédition de 1949), l'un des
premiers textes inédits, avec Foudres et flèches
et A l'agité du bocal, publiés par Céline après
sa fuite et auquel il accorde tous ses soins.
Marie est chargée également de s'occuper de ce qui se passe après les
publications. Il s'agit là d'un travail de secrétariat à
proprement parler : elle collectionne les articles de
critique, les fait éventuellement parvenir aux adresses
indiquées par Céline, assure la mise au point et
l'expédition de lettres de réplique à des journaux ou à
des personnes ; elle était parfois
même chargée de mener des négociations éditoriales, ce
qu'elle acceptera de faire malgré une sensible
répugnance. Ce travail para-littéraire trouvera
son plein développement pendant les années danoises.
Ce que Céline attend alors de sa dévouée secrétaire,
c'est de recréer autour de lui, à distance, des
conditions de travail acceptables, c'est-à-dire un
environnement linguistique dont la privation a été
ce dont il a le plus souffert au Danemark : " Je suis
comme un scaphandre plongé dans l'eau avec un petit
tuyau ".
Il lui demande avec insistance journaux et livres français qu'il ne peut
trouver sur place, par simple soif de lecture, ou encore
pour son " boulot ", des plans de Paris ou de Londres,
des exemplaires de La Vie parisienne, deux ou
trois vers de Louise qu'il ne peut se rappeler...
Aussi attend-il avec impatience tout ce qui vient d'elle et de Paris : "
Je ne vis que par vos lettres ", et plus tard,
quand la " fabrique " littéraire se sera remise
en route
tant bien que mal : " Quelle joie cette
collaboration si intime, si intelligente, si vivifiante.
"
Or, cette "
intimité "va au-delà de la recherche de documents ou des
confidences sur les modes de genèse textuelle. Elle
touche un domaine de la création artistique longtemps
méprisé par la critique parce que, disait-on, elle ne
devrait jamais être entachée de semblables médiocrités.
Ainsi Céline avertit-il Marie de l'évolution, obligée
par les circonstances, de sa technique de mise au net,
et de l'habitude qu'il a adoptée de multiplier les
copies.
Lorsque la matière de Féerie prend une importance telle que
l'écrivain risque de ne plus s'y retrouver, il lui
demande de lui
procurer
un outil de travail qui lui manque, une sorte spéciale
de chemises robustes qu'il appelle des " carapaces à
chef-d'œuvre ", car, insiste-t-il, " le
romancier persécuté pérégrinant de bagnes en criques
polaires a besoin de matériel sérieux. "
Nous sommes au sommet de la confidence et de l'intimité
littéraire lorsque, impudiques voyeurs, nous assistons
au désarroi du créateur génial, en proie à une vulgaire
panne de mémoire, qui demande tout simplement à sa
secrétaire de lui " retrouver un mot ". Ces
échanges épistolaires sont, par ce côté-là, une grande
leçon de littérature qui donne tout leur relief aux
déclarations méprisantes
de Céline pour les " belles-lettres ", et son
insistance à ramener l'acte créateur à une série
d'opérations matérielles, voire triviales, dont le
résultat ne donne de satisfaction , malgré tout, que
s'il est dû au sérieux et à l'assiduité au travail.
En cela, comme en son amour du style par-dessus tout, Céline est proche
de Flaubert qui aurait bien pu signer : " Oui je
travaille dans la haine et avec haine, comme vous sans
doute ! Cette Galère à ramer sur l'encre doit porter les
autres au Rêve ! les clients ! Je les noyerais dans
l'encre moi ! "
(Jean-Paul Louis, extrait
de la préface, Lettres à Marie Canavaggia, Ed. du Lérot,
1995, BC N° 156).
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Le 4 [octobre 1948.]
Chère Marie -
Je vous embrasse et n'en parlons plus - Tout ce
cafouillage sentimental m'écœure, de vous de tous, de
toutes... Je n'ai qu'à en foutre bon dieu ! Je voudrais
vous voir dans ma peau et mon état si vous iriez perdre
une seconde à ces balivernes ! Une bite au cul la belle
affaire ! Et bouffer depuis 5 ans ? du ciel ? Et
pourtant pas lourd ! et dans ce climat horrible... et ne
pas retomber en Prison ! ah comme deux ans de prison
vous feraient du bien, vous simplifieraient une bonne
fois pour toutes ! vous guériraient de cette manie
d'arguties et de mots ! ! et de mandolines !
Ramassez toute cette brocaille ! Que voulez-vous qu'un
bagnard foute de votre guitare ! Je vous aime bien mais
pas dans cet infernal babillage autour du cul ! du cœur
! enfin ce que vous voulez ! Soyez simple et sérieuse -
Vous n'avez jamais même pressenti l'horreur de
l'état dans lequel nous NOUS trouvons ! Vous
n'avez pas d'imagination. Quand je serai retourné (si
j'y retourne jamais - ) chez les libres
alors vous me reparlerez de ces histoires Raciniennes...
Conneries pures... Je serai redevenu con comme tous les
gens libres - Mais dans le moment elles me sont en
horreur -
(...) Le monde est plein de gens prêts à monter sur mon échafaud, sur ma
guillotine, pour qu'on les remarque, pendant qu'on me
coupera la tête - Ce n'est pas votre cas - C'est au
moins une qualité que je vous reconnais -
Et vous embrasse
LFC
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En Amérique,
Céline rencontrera au moins quatre autres danseuses :
Margaret SANDE, Irène Mac BRIDE, Daphne VANE et Kathryn
MULLOWNY : " A New York j'ai rencontré SANDE
(...). J'ai été à l'American School of Ballet chez
Balanchine. Là il ya de la jolie femme ! Ah ! Ah !
Quelles merveilles ! Quelle souplesse ! Quel miracle !
Juste à la limite extrême de l'esprit ! Le raffinement
du corps presque à l'absolu ! Oui spécialement
miraculeuses Daphne Vane et Kathryn Malowry - danseuses
assez insensibles je pense mais êtres de féerie. "
(Lettre à Karen Marie Jensen du 2 mars 1937).
Margaret SANDE, née vers 1904, sera nommée en 1944 assistante
de Paul Haakon, chorégraphe de Mexican Hayride,
comédie musicale produite à Broadway par Michael Todd
sur une musique de Cole Porter. En 1952, elle dirigera
le prestigieux Radio City Music Hall de New York, comme
chorégraphe et maître de ballet des fameuses Rockettes,
et du non moins réputé Corps de Ballet, lui, de
formation classique.
Irène MAC BRIDE, née en
1908, d'origine irlandaise, se produisait à Broadway.
Karen Marie Jensen lui présente Céline à Chicago en
juillet 1934, au lendemain de la trahison de Craig.
Céline la courtise, elle l'éconduit à son tour. Elle lui
reproche de courtiser une danseuse de 15 ans. Irène et
Céline se retrouveront à Paris.
La carrière de Daphne VANE, autre " être de
féerie ", débute en 1936 au Metropolitan Opera House de
New York, où elle se produit dans Orphée et Eurydice
de Glück, avec l'Américan Ballet sur une chorégraphie de
Balanchine. En 1937, elle danse dans Tannhäuser,
avec Kathryn Mullowny, et dans Caponsacchi de
Richard Hagemann avec la même partenaire. Sa carrière a
laissé moins de souvenirs que celle de Kathryn Mullowny,
mais elle aura aussi révélé à Céline " un raffinement du
corps presque à l'absolu ". Son nom aura sans doute
inspiré celui du personnage de Guignol's band, "
Delphine Vane ", la gouvernante de Titus Van Claben.
Née vers 1914, issue d'une
école de Quakers, Kathryn MULLOWNY se produisait
avec Irène Mac Bride et Margaret Sande au Music Box
Theater. En 1935, elle dansait dans Sérénade de
Tchaïkovski, ballet monté par Balanchine. Promue
première ballerine de Balanchine à l' American Ballet,
elle interprète en 1935 une des trois Grâces dans
Tannhäuser, au Metropolitan Opera de New York.
En 1937, elle se produit dans Caponsacchi sur une chorégraphie de
Balanchine. C'est dans cet opéra de Richard Hagemann que
Céline a pu admirer la grâce " miraculeuse " de Kathryn
Mullowny. Il lui enverra des livres. Elle dansera à
Hollywood et finira ses jours à Los Angeles vers 2004.
(Eric Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
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Marianne
OSWALD
Anvers, [vers le 7 décembre 1936.]
Chère Madame
Je vois que vous avez tous les courages ! Tant pis pour
vous ! Vous verrez ce que mon nom apporte d'Hostilités !
de haines irrémédiables ! Enfin ce sera une expérience.
Travaillez bien. Bon voyage ! Bonne réussite et à
bientôt.
A vous affectueusement.
LF Céline
La date de cette lettre est déduite de
celle d'un écho de L'Intransigeant dans son
numéro du 6 décembre, qui annonçait que Marianne OSWALD
allait créer sur scène une chanson de Céline, ce qui
aurait en effet pu convenir à son répertoire.
A cette date, Céline fait bien un court séjour à Anvers. La
création ne semble pas avoir eu lieu.
Le 22 avril
1948, Céline écrit à Albert Paraz :
(...) " Je sais bien que le public
se jette sur les Delly mais je le force aussi à
acheter du Céline sans aucune publicité jamais
- pas la même quantité bien sûr mais ce qu'il fallait
dix fois pour me faire vivre, avant qu'on me chasse,
dépouille, écorche, interdise à zéro - et because comme
dit l'autre ! - Ce sont des confusionnistes - ces
petits, ils mélangent cafouillent tout, ces fins
experts.
Quant à M. OSWALD, je me marre. Elle m'a pendu à la braguette
pendant des mois (à ne pas raconter). Elle me
fusillait de télégrammes avec Cocteau pour que je la
saute, lui fasse une chanson, la lance à Paris, à l'Abc.
Tu veux te marrer envoye-lui soi-disant un mot de ma
part une bise, tu verras tout Paris des cons frémir...
jaculer, merdoyer - Juive ? Je ne sais pas. Elle en a le
culot, le flanc. Et puis après ? C'est pas un mauvais
cheval je crois - Mais bien incapable de rien écrire du
tout. Ce doit être son petit Jules...
Ça vaut du Lil Boël, du
Marnac, du Piaf... Quels jobards tous tes potes
affranchis ! Ils me font rire dans ma barbe d'archi
grand-père ! " (Lettres,
Pléiade, Gallimard, 2009).
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1936 -
SEYMOUR.
Actrice anglaise. " La garce SEYMOUR peut se taper.
Je n'aime pas les petites dédaigneuses. "
(Lettre inédite à H.P. Marks, 1936, coll. E. Mazet)
1935 - La ou les inconnues de Londres.
" Préparez-moi mon vieux un cul bien anglais pour ce
séjour, que je puisse m'inspirer intimement des choses
locales. Je ne veux pas quitter le bordel la prochaine
fois. Je veux enculer le printemps.
(Lettre inédite à H.P. Marks, 7 février 1935, coll. E. Mazet).
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ENTRE le 15 et le 25 FEVRIER 1935 :
Céline séjourne en Autriche
où il retrouve Cillie Ambor à Innsbruck. Ils se rendent
dans une station de sport d'hiver, au mont Patscherkofel
. Il écrit pendant que Cillie fait du ski. Va-t-il à
Vienne ?
Il retrouve Annie Angel et rencontre Anny Goldschmidt, jeune femme " très
jolie ". Cillie fréquentait également Ruth Allen. Les
spécialistes du racisme célinien ont peu évoqué
l'attirance de Céline pour les femmes d'origine juive.
Cillie ne sera pas la dernière. Il y aura encore
Lucienne Delforge.
(Eric Mazet, Spécial Céline n°25, Céline en son temps, 2017).
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Lucienne DELFORGE.
Le 3 mai 1935, Salle Gaveau, Céline aborde à l'entracte la pianiste
Lucienne Delforge, venue écouter un récital de
l'américain Beveridge Webster, un élève d'Isidor Philipp
qui joue du Ravel et du Debussy. Elle apprend qu'il est
l'auteur de Voyage au bout de la nuit. Il lui dit
que son interprétation de l'étude de Chopin, La
Révolutionnaire, lui avait donné le ton juste pour
une scène qu'il était en train d'écrire, celle où son
héros essayait de tuer son père. Il lui demande de bien
vouloir le retrouver à la fin du concert pour aller
prendre un verre ensemble.
Elle a 26 ans, est mariée, a un fils. Ils habitent à un quart d'heure à
pieds l'un de l'autre. Ils se retrouvent dans les cafés
de la place Pigalle, à la Nouvelle Athènes du n° 9, au
Rat Mort, à l'Abbaye de Thélème ou aux Omnibus du n° 13,
" le marché aux musiciens ".
Elle dira avoir été captivée par
la violence qui passait à travers les mots, autant que
par sa gentillesse, quand il lui dira, pour calmer sa
douleur après la mort de sa fille : " Pas de fantômes,
ma petite, pas de fantômes... " (Erika Ostrowsky,
p.83).
Il lui envoie un mot et il y joint un témoignage : " Elle s'exprime avec
un lyrisme naturel. On peut compter sur les doigts les
virtuoses qui ne tuent pas la Musique. La plupart
d'entre eux ne savent pas ce qu'ils font : appris,
forcés, la musique n'est pas leur langue... Ils la
parlent comme le latin " (Lettres, 35-13). Céline
l'emmène quarante-huit heures à Amsterdam pour lui faire
visiter le Rijksmuseum, commentant les Bruegel et les
Rembrandt. On l'appelait "
la Sorcière douce ", " l'Ambassadrice ", " la Fée aux
doigts de soie et d'acier ". Elle donna un millier de
récitals. Elle fut membre du jury du Conservatoire de
Versailles et de l'Ecole normale de Musique de Paris,
membre de la Société des gens de Lettres de France,
vice-présidente de l'Association des écrivains sportifs
français, vice-présidente fondatrice des Amis de Francis
Casadesus et des Amis de Juliette Drouet, membre du
comité d'honneur et de patronage du Centenaire de
Vincent d'Indy.
Elle publia Témoignages, aux Editions de l'Elan ; La vie
amoureuse de Victor Hugo et de Juliette Drouet,
Edition de Tanger ; Vincent d'Indy, le rénovateur de
la musique française, édition Olivier Lesourd.
Elle joua en Allemagne (la Sonate de Paul Dukas), en Angleterre, en
Autriche (où on la consacra " Fille de Protée "), en
Belgique (César Franck), au Canada, au Danemark (deux
années de suite), aux Etats-Unis, au Town Hall (elle
interpréta Le Tombeau de Couperin " comme une fée
aux sortilèges enchanteurs "), en Finlande, en Hollande
(Hett Volk : " L.D. n'est pas une virtuose, mais la
virtuose "), en Hongrie (les Jeux d'eau de
Liszt), en Italie, en Norvège (où on lui attribua "
finesse, intelligence, pureté, beauté, souplesse,
délicatesse, jeu subtil, nuances "), en Suède ("
puissance et modestie "), en Suisse, en Tchécoslovaquie
(" puissance et sensibilité ").
A 21 ans, à Paris, elle avait épousé Robert Louis Stern,
né en 1898 à New York, de nationalité américaine, "
bachelor of arts ". Engagé dans l'armée américaine pour
la durée de la guerre en 1918. Il débute comme
journaliste au New York Tribune, puis collabore
au quotidien Daily Garment News et au mensuel
économique Industrial Digest.
Il se marie une première fois avec Hélène Ruth Simon, dont il a une
fille, Marjorie, née à New York en 1920. Après divorce,
il arrive en France en 1926 et vit à Paris jusqu'en
1928. Il s'installe à Dinan pendant deux ans, puis en
octobre 1930 revient à Paris : il est alors secrétaire
de rédaction au service parisien du Chicago Tribune,
membre de l'Association de la Presse anglo-américaine de
Paris, et adhérent à l'American Legion.
En juillet 1932, avec son mari, Lucienne fait sa première ascension du
Mont-Blanc grâce au Congrès international d'alpinisme de
Chamonix. Marjorie Stern décède au cours d'une opération
des amygdales.
En 1933, naissance d'Alain Stern, fils de Robert et de Lucienne. Ils sont
domiciliés 3 rue de Navarin, Paris 9e, à deux pas de la
place Pigalle. Début 1935, Lucienne donne naissance à
une fille qui mourra pendant sa liaison avec Céline
(confidence à Erika Ostrowsky et à Marie Alchamolac).
Mais à la mairie du 9e, ni acte de naissance ni acte de
décès au nom de Stern. Il
est difficile d'imaginer que Lucienne Delforge
n'ait pas évoqué auprès de Céline ses origines juives
alors que tous les membres de sa famille se présentaient
comme juifs : grands-parents maternels, mère, sœur,
mari, belle-fille. On ne sait ni pourquoi ni à quelle
date elle se convertit au catholicisme. Après lecture de
Léon Bloy, sous l'influence de Vincent d'Indy ? Avec les
conseils du poète Jean Soulairol ? En 1939 ou avant ?
Dans son introduction aux Lettres de Céline à N... (Cillie Ambor),
Colin Nettelbeck ne trouvait pas d'explication au fait
que Céline pouvait à la fois avoir fréquenté Cillie
Ambor et avoir écrit Bagatelles pour un massacre.
Faut-il tenter des interprétations psychanalytiques ?
Peut-être vaut-il mieux donner dans la chronologie,
intime et historique, pour éviter toute explication
hasardeuse.
(Eric Mazet, Céline en son temps, Spécial Céline n°25,
juillet-août-sept. 2017).
***
Lucienne DELFORGE, la pianiste.
Le 4
avril 1935, dans une salle de concert parisienne,
Céline, passionné de musique, tombe sous le charme de la
jeune interprète et future vedette internationale
Lucienne Delforge. Un deuxième concert achève de le
séduire. Il aborde la jeune femme à l’entracte et lui
confie que son jeu l’a inspiré pour la scène centrale de
Mort à crédit. Rendez-vous est pris pour après le
concert. Le couple est né, rassemblant deux
personnalités très fortes. Céline et Lucienne Delforge
voyagent ensemble au Danemark, en Suède et en Autriche,
avant de se séparer en avril 1936.
Leur correspondance retrace cette liaison, partant
d’une première déclaration datée de mai 1935, dans
laquelle, Céline, déjà célèbre pour son Voyage au bout
de la nuit, offre à la pianiste une recommandation pour
sa publicité : « Lucienne Delforge est née dans la
musique. Son lyrisme est réel, naturel. Cette grâce ne
survient guère qu’une ou deux fois par génération, et
presque jamais chez une femme. »
Mais surtout l’auteur avoue déjà sa flamme,
soulignant sur une feuille séparée que son
« témoignage est sincère et
demeure en deçà de son
sentiment personnel. « Mais je sais qu’en ce domaine
trop d’assurance peut paraître impertinente »,
ajoute-t-il.
Cette modestie n’est plus de mise dans la lettre
de neuf pages du 26 août 1936, où culmine la passion.
Lucienne est devenue « mon petit chéri ». « Comme
je t’aime bien. Comme j’ai besoin de toi. Tu sais que je
ne mens jamais, que je ne ruse jamais. Que je ne fais
jamais de sentiment », assure Céline, « Je t’aime
bien Lucienne, à un point que tu ne peux pas savoir »,
« Je t’embrasse bien fort Lucienne, comme je t’aime bien
fort et pour la vie, forcément. »
La rupture consommée, à l’été 1936, il l’appelle
encore « mon petit » et lui prodigue de tendres
conseils : « Préserve-toi. Garde-toi bien. Méfie-toi
de tes impulsions trop aventureuses. Ne tente pas le
diable. Il détruit. Détruire n’est pas ton destin. Au
revoir mon petit. Je t’embrasse bien fort ».
Lucienne Delforge est évoquée par François
Gibault à Sigmaringen
Elle était au centre de
toutes les manifestations mondaines. Pianiste, mais
aussi nageuse, escrimeuse, ancien capitaine d’une équipe
de basket-ball, critique musicale, conférencière,
écrivain, cette femme avait toujours été d’une activité
prodigieuse. Elle avait rédigé pour le maréchal Pétain
un rapport sur le rôle de la musique française dans
l’Europe de demain et elle écrivit des critiques
musicales dans le journal La France. Elle était
demeurée très sportive et faisait de grandes excursions
en montagne, mais Louis n’autorisa jamais Lucette à la
suivre par crainte qu’elle ne soit jetée dans un
précipice par Lucienne qu’il soupçonnait de jalousie
morbide…
(…) Lucette et Louis assistèrent au concert donné par
Lucienne Delforge dans la Galerie portugaise, de même
qu’ils étaient présents le 31 décembre 1944 à la soirée
de variétés donnée au profit d’œuvres de bienfaisance
dans la salle du Deutsches Haus. (Céline,
cavalier de l’Apocalypse, Mercure de France, 1981)
Erika Ostrovsky
dans son Céline, voyeur voyant trace un parallèle
entre Lucienne et la Nora de Mort à crédit.
Même Lucienne, aux
mains magiques, aussi douée sur le clavier que sur les
pics montagneux, qui apparaissait et disparaissait de
façon aussi spasmodique que lui, combinant la présence
et l’absence, la musique et le silence des glaciers, la
perfection de l’art et la grâce du corps et dont le
portrait (bien que prénommée Nora) illuminerait le
sombre manuscrit qu’il écrivait alors : « Ils étaient
terribles ces doigts… c’étaient comme des raies de
lumière… » Il l’observait, avec l’extase du voyeur,
tandis qu’elle faisait jouer son instrument : « Nora,
elle jouait toujours son piano en nous attendant… Elle
laissait la fenêtre ouverte… On l’entendait bien de
notre cachette… Elle chantait même un petit peu… à
mi-voix… Elle s’accompagnait… Elle chantait pas fort du
tout… C’était en somme un murmure… une petite
romance…(…) On attendait qu’elle interrompe, qu’elle
chante plus du tout, qu’elle ferme le clavier… »
Il n’attendit pas. La Nora de la vie réelle devint
un jour trop réelle et trop vivante. Elle ne voulait
pas, comme sa contrepartie sur le papier, disparaître en
flottant dans le non-être, ni que les eaux se referment
sur son visage tranquille. Leur séparation devait être
plus douloureuse, plus brutale même que la disparition
de Nora dans ses écrits. Seule l’ombre de la femme
(décida-t-il) était assez lointaine pour être conservée,
pour luire comme un reflet dans les pages de son
livre. »
(Céline, voyeur voyant, Buchet-Chastel,
1973, dans BC n°249).
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Karen Marie JENSEN
Le 9, [fin hiver] 1935,
Karen Chérie,

Je ne
sais plus comment m'y prendre avec vous... J'ai
l'impression toujours que je vous embête beaucoup avec
mes histoires de sentiment, que vous voulez qu'à cet
égard je vous laisse tranquille, que je reste à ma
place, que votre esprit et vos goûts sont ailleurs...
Vous savez bien que je suis assez discret par nature
Karen, et pas très sentimental non plus ou très
rarement, qu'il me faut peu de chose pour que je
retourne définitivement en moi-même et que j'y reste. Je
ne m'impose jamais, au contraire. Et puis le temps passe
Karen, surtout à mon âge. Ceci vous le devez bien
comprendre...
Je sais bien aussi que vous devez tout votre temps et votre esprit
à votre danse, et que vous retournerez en Amérique
fatalement bientôt et sans doute pour toujours (ou à peu
près). Que puis-je dire ou faire dans tout ceci ? Rien.
Votre carrière prime tout le reste et c'est naturel et normal. Vous
ne pourriez vivre autrement. Vous avez ce vice comme
j'en ai tant d'autres ! - mystérieuse Karen.
Si je viens à Copenhague, au bout de 24 heures vous ne
sauriez plus où me cacher... Je vais y penser mais je ne
crois pas que ce soit raisonnable. Peut-être en juillet
serez-vous encore au Danemark ? Je vais prendre à ce
moment deux mois de vacances. Enfin je vais vous écrire
à ces sujets. (...).
L.D.
(Lettres, Pléiade, p. 449).
(...) Pour
Karen Marie aussi, 1948 fut une année décisive,
puisqu'elle résolut de renoncer à partager la vie de
Juan Serrat.
Céline comprend en un éclair que pour garder ce nouvel amour en une jeune
Nordique indépendante, qui en sait autant que lui en art
et en littérature, il doit jouer le rôle d'un père qui
conçoit le bien-fondé de ses aspirations artistiques en
matière de danse, une compréhension qu'elle n'a jamais
rencontrée chez son propre père. Il suffit de lire la
première lettre des Cahiers Céline 5, pour se
rendre compte que c'est l'HOMME et même l'homme jaloux
qui parle. Peut-être faut-il chercher là aussi
l'explication de la haine de Céline à l'égard de Juan
Serrat.
Karen Marie était d'une beauté éclatante, et avec ses lignes
élégantes et déliées, elle était le prototype même de la
danseuse moderne vu par les yeux de Balanchine. Mais
elle était également une femme du monde qui, depuis son
enfance, avait fréquenté les cercles artistiques,
diplomatiques et nobles.
Malgré son opposition, son père, Anders Jensen, avait tenu à lui assurer
la meilleure formation de danseuse à la fois en Europe
et en Amérique, où Fokine conçut, comme il l'avait fait
pour la Pavlova, une danse spécialement dédiée à Karen
Marie.
En 1935, Karen Marie se produisit au Tivoli de Copenhague. Elle
avait maintenant 30 ans. Quoi de plus naturel pour son
père que de souhaiter la voir se fixer en acceptant une
des propositions de mariage qu'on lui faisait au
Danemark et en exauçant peut-être ainsi le vœu paternel
d'avoir des petits-enfants ?
Au lieu de cela, Anders Jensen dut, bien malgré lui, offrir
l'hospitalité à Céline, qui lui déplaisait beaucoup.
Bente Karild.
(BC n°232, juin 2002).
------------------------ 1934
- Eliane TAYAR. *
Née en 1904, actrice de cinéma et cinéaste, de mère
bretonne et de père libyen, veuve depuis le suicide
d'Henri Fraisse-Tzarnisky.
(E. Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
* D'origine libyenne et nantaise, Eliane Tayar
(1904-1986), mariée à 17 ans et veuve à 19 ans, fut
actrice de cinéma dès 1928, assistante de Karl Dreyer
dans Vampyr en 1931, puis réalisatrice de
courts-métrages.
Amie d'Aimée Barancy, elle rencontre Céline en 1929. Il lui propose de
tourner avec Jacques Deval dans Secrets dans l'Ile
en 1935, projet non abouti, puis ils se perdent de
vue en 1937.
(Joseph Vebret, Céline L'Infréquentable, Jean Picollec, mai 2011,
p.136).
------------------------
Louise NEVELSON.
Sur le bateau de
retour en France, le Liberty, Céline rencontre
une femme sculpteur américaine qui voyage seule. Il
l'aborde. Quelques jours après, toujours à bord, il lui
propose de l'épouser (elle vient de divorcer).
Elle décline, mais quelques jours après, de Bretagne, il lui envoie ces
deux billets pour tenter de la revoir. Elle précise
qu'elle n'a jamais eu avec lui de relation intime.
Carte postale à Louise NEVELSON
[15 août 1934. (Carteret-Carentan]
Chère miss Nevelson,
J'espère que vous gagnez beaucoup d'argent, et
qu'ainsi je pourrai vous regarder sans dégoût quand je
rentrerai à Paris le 26 ou le 27.
98 rue Lepic Paris 18e
L.-F. Céline
Je n'ai pas le téléphone.
----------
A louise NEVELSON
Saint-Malo, 21 août 1934.
Chère miss Nevelson
A l'heure qu'il est vous devez vous être mariée
plusieurs fois.
Qu'est-ce qu'il va rester pour moi comme passion ?
Je serai à Paris samedi soir. Déjeunez avec moi le jour que vous
choisirez, mais écrivez-moi la veille. 98 rue Lepic.
Où en est cet argent ?
Louis F. C.
(Lettres, Pléiade, 2009).
---------------------- Marie BELL.
Chère Marie,
Ne te désiste pas toi aussi ! Je compte plus sur ton cœur
que sur les paroles des hommes... Un coup d'avion ! un
coup d'aile ! et que je t'embrasse - !
Zoulou semble défaillir finalement... Depuis 3 ans on crève d'être
à sec des brises natales !...
Tu penses ! Tu ne verras pas des gens tristes ne redoute rien ! Plein
d'histoires marrantes au contraire et je t'assure bien
inédites !
Et puis aucun risque je t'affirme - Il y a des touristes français plein
les rues de Copenhague. Je te cèderai mon lit s'il le
faut j'irai recoucher en prison pour te faciliter les
choses... au pire !
Mais l'hôtel d'Angleterre et sa réputation mondiale sont là pour un
coup j'imagine ! N'attends pas les froids... Bien
entendu je ne dirai rien de ta venue, et tu sais que je
peux me taire - autant que je t'aime.
Ce n'est pas peu dire -
Ton fidèle et bien affectueux.
Ferdinand.
(Lettres 2009, à Marie Bell, le 8 juillet 1947).
----------------------
La parution de Voyage au bout de la nuit
dédié à Elizabeth Craig est à l’origine de la rencontre
de Céline avec Evelyne POLLET.
« Je vivais à Anvers. Un jour, un ami, un avocat juif,
est venu à ma rencontre, dans la rue, en agitant un
livre : « Il faut absolument que tu lises ce livre,
Evelyne » C’était
Voyage au bout de
la nuit. Une bombe dans le milieu littéraire. J’ai
aimé Céline, déjà en le lisant. Je l’ai admiré mais,
surtout, j’ai ressenti pour lui de la pitié et de la
tendresse car je le sentais très solitaire. »
Elle ose lui écrire. Il lui répond en février
1933 : « Chère Madame – Vous possédez un bien joli
prénom – je l’avais retenu pour une légende (La
Naissance d’une fée) mais j’avais ajouté un y pour le
ton médiéval – Laissez-moi l’y ! » Bientôt, il lui
promet une visite à Anvers. Il signe ses lettres L.-F.
Céline ou L.-F. Destouches. Le 24 mai, il l’attend à
l’hôtel Carlton, place Teniers.
- On voyait tout de suite qu’il avait souffert. Il
était aussi bel homme. Grand, massif, avec une tête
puissante, les cheveux bruns rejetés en désordre. Il
parlait vite et impérieusement. Pour cette première
rencontre, il avait mis son plus beau costume (le
seul !) et surveillait son langage. Il avait une langue
bien à lui, une sorte d’argot. Je crois que, lui aussi,
attendait ce moment…
Céline refuse le dîner familial dans le faubourg
de Deurne (Avenue Te Boelaar) et l’emmène au restaurant.
Il veut tout savoir d’elle. « Sa grande simplicité et
son pouvoir de compréhension appelaient la confidence ».
Elle lui parle de sa vie de mère, comblée par deux
petits garçons, mais de femme déçue par un mari peu
démonstratif dans le quotidien et par un ancien
amoureux, assidu depuis quatre ans. Du courage
nécessaire pour assumer ses tâches et de ses joies
d’écrivain. A 19 ans, on a publié son premier roman,
elle en prépare un autre. Il conclut : « Tu es encore
une petite jeune fille. »
De retour à l’hôtel, il devient son amant. « Un
amant magnifique. » Allongé près d’elle, il lui
parle de son passé (de la boutique de ses parents, à
Paris, passage Choiseul, de son adolescence occupée de
métiers plutôt que d’études, des horreurs du Front, en
14, de la beauté des femmes à New York, du manque
d’argent). Il reste étonnamment discret sur ses amours.
Elle lui découvre des cicatrices qui l’intriguent, à la
tempe, à la bouche, au menton.
(…) Pendant cinq mois, il lui écrit
régulièrement. En termes discrets et en la vouvoyant,
par prudence…
Entier et protecteur, il entame des démarches pour
elle auprès de son éditeur, Denoël, pour la publication
du roman La maison carrée, et lui donne des
conseils : « Vous êtes douée de haute malice, de fine
observation, de sentimentalité délicate, de grande
ferveur. Mais tout ceci n’est pas grand-chose sans
beaucoup d’anarchie ». Il la met en garde contre un
langage de salon : « Le beau français est mort. Il a
commencé de mourir au XVIIIe siècle, et précisément dans
les salons. On assassine beaucoup dans les endroits
nobles. » Il l’encourage à se servir, sans
scrupules, de sa propre vie : « Toute la littérature
n’est qu’un immense aveu ». Et il émet incidemment
des doutes sur le pouvoir des femmes écrivains. « Il
faut être bien membré pour produire quelque chose. Bien
membré ».
Et puis c’est la cassure. Plus aucune nouvelle
pendant dix mois. Jusqu’au 30 août 1934. « Il faut me
pardonner tout ce silence et cet abandon – j’ai vécu
depuis un an une aventure atroce à plusieurs titres – en
plusieurs lieux – jusqu’en Amérique d’où je reviens ».
Céline ne lui parlera pas de sa rupture
définitive avec la danseuse américaine Elizabeth Craig ;
mais, désormais, le ton des lettres changera. Et c’est
un homme différent qu’elle reverra en novembre. « Il
était jeune, truculent, avide, à l’affût de la vie ».
A présent. « c’est un homme épaissi par une lassitude
immense, le visage ravagé et l’œil gauche voilé, avec
dans l’attitude quelque chose d’offensant et de
contraint » qu’elle retrouve et reçoit en visite,
dans son nouveau logement au 21 rue Saint-Vincent.
(…) A 14 heures, gelés, ils se restaurent au 1er
étage du Queen’s, sur le quai Van Eyck.
Louis-Ferdinand ne parle pas beaucoup. Il rêve de ne
plus parler jamais, de ne plus répondre à aucun message,
de partir seul sur une île.
- Je lui ai rétorqué : « Pas seul sur une île,
Céline. Vous aurez toujours besoin d’une femme
près de vous. Même si elle ne dit pas un mot ». « Il n’a
rien répondu ».
A l’hôtel, une trêve. Ils bavardent. Font l’amour.
Lui, tout habillé. Et, bien qu’il ait le sommeil rare,
il se repose puis s’endort tout près d’elle, dans la
tiédeur de la chambre étroite. Elle rêve d’une autre
vie, impossible.
Désormais, le courrier sera parfois interrompu « par
le travail, un voyage ou une autre conquête » (comme
la pianiste Lucienne Delforge).
Elle n’en connaîtra pas l’identité, sauf si la presse
en fait écho. Elle le revoit en mars à l’hôtel Century,
avenue De Keyser. Les deux séjours suivants sont
écourtés.
Evelyne inquiète et
se fiant à ses nombreuses invitations à aller le voir à
Paris, décide, impulsivement, de se rendre à la
capitale, en octobre.
Elle découvre l’antre de l’écrivain près du Moulin de
la Galette, au 98 rue Lepic. Louis-Ferdinand accorde
quelques minutes cordiales à sa visiteuse et lui
recommande d’aller au Café anglais « pour y récolter
une aventure, comme beaucoup de belles étrangères ».
Il n’est pas libre le soir, car il a un rendez-vous avec
son ami peintre Gen Paul. Il n’est pas davantage
disponible le lendemain et, déçue, elle décide de ne
plus le revoir. Mais la perte de son porte-billets la
met à la rue, et elle cherche refuge à Montmartre.
En rentrant à 22 heures, il la trouve sur le palier,
et, cette fois, l’accueille dans la chambre d’amies
(celle d’Elizabeth Craig et, en 1932, d’Erika Irrgang,
la Berlinoise nazie, puis celle de Cillie Pam, la juive
autrichienne).
Lorsqu’ils se
revoient, en 1936, dans un « hôtel vieillot » de la
ville de Rubens, Céline a maigri à la suite d’une grave
maladie (« Oui, j’ai fait un petit tour dans la mort »),
mais il donne encore une impression de « virilité
sauvage », il est « massif comme un mur
infranchissable ».
En mai 1937, Louis-Ferdinand trouve « tout à fait
bienvenu » l’article d’Evelyne, « Céline et
l’Escaut », paru dans l’hebdomadaire bruxellois
Cassandre, et l’invite à venir chez lui.
Evelyne n’a pu partir pour Paris. Le rendez-vous
suivant sera sans cesse différé. Il a terminé et fait
publier Mort à crédit, mais il commence à vivre
avec la danseuse Lucette Almanzor.
En 1938, il demande à Evelyne de lui montrer Anvers
comme elle l’a fait pour lui. Elle déchire la lettre et
ne répond pas. Lorsque Céline vient au domicile conjugal
avec Lucette, elle est « heureusement » malade. Louis
laisse « Lili » dans le salon, près du mari, et monte
dans la chambre de l’alitée. Ses belles épaules attirent
les caresses…
En janvier, la jeune belge voit son ami critiqué lors
de la parution de Bagatelles pour un massacre (qui se
vend très bien en France). Elle veut écrire un article
pour le défendre. Il le lui interdit : « Je ne veux
pas que vous vous compromettiez dans cette histoire –
avec votre famille et vos enfants – Ce (sic) pourrait
finir tragiquement – Je vous détesterai et ne vous
reverrai jamais si je vous prends à risquer quoi que ce
soit pour mon salut »
En décembre, Evelyne est opérée. Très affaiblie, elle
part ensuite à Cannes, plusieurs mois, pour se rétablir.
Elle craint la passion d’un homme très attentionné.
Contrairement à son attente, Céline l’encourage.
« Que rien ne vous retienne ! J’exècre la fidélité, la
stagnation, les vertus bourgeoises, tout ce qui fige la
vie et l’emprisonne. Jouissez ! Voici votre lyrisme
revenu, bien innocent et tout animal. »
A la fin de ce séjour, en juillet
1939, il lui propose de venir à Saint-Malo. Elle réussit
à le rejoindre, sans inquiéter sa famille et sans
épuiser ses finances. A l’arrivée, elle le trouve une
mine superbe, le teint hâlé, l’œil vif. Sa chemise de
toile bleue est large ouverte, son veston déchiré, son
pantalon de marin rapiécé aux genoux… Son sourire,
insolent et embarrassé, lui paraît bizarre. Il lui
présente une « petite copine », la jeune danseuse
qu’elle avait réussi à éviter chez elle, Lucette
Almanzor, qu’il épousera en 1943.
Après le déjeuner, ils s’en vont à Dinard. Après
s’être aperçue que Céline partage la même chambre que
Lucette, Evelyne, seule dans la sienne, est prise d’une
épouvantable crise de nerfs. Alerté par ses cris, il
croit qu’elle a essayé de se suicider. « Il était
livide et il avait les larmes aux yeux ».
Lorsqu’elle s’est un peu remise, il la ramène dans un
hôtel à Saint-Malo. Et il la quitte tout de suite pour
rejoindre Dinard et travailler. C’est la rupture.
En 1941, il lui écrit cependant « comme si de rien
n’était », et la revoit une dernière fois au Tourist
Hôtel. Il est particulièrement gentil pour son « ardente
parleuse ».
De 41 à 42, celle-ci rédige Escaliers, une
version à peine romancée de ses rencontres avec Céline.
Dans le livre, il est peintre et se nomme Jean-Jacques
Charbier. L’héroïne, très sentimentale et un rien
narcissique, s’appelle Corinne.
En 1942, Denoël publie Primevères et Les
auteurs associés, Un homme bien… parmi d’autres
personnages (une nouvelle qui concerne
Louis-Ferdinand).
Désormais, malgré
quelques tentatives, les amants ne se reverront plus,
mais ils continueront à correspondre. En 1943, il
s’inquiète de son sort à la suite d’un bombardement. En
juillet 1947, il apprend la mort de son mari, forme des
vœux pour son fils Ivan, qui triomphera, à 24 ans, aux
« Spectacles de Beersel » et parle de ses 17 mois de
réclusion au Danemark, au quartier des condamnés à mort
(à la suite de ses trois pamphlets antisémites et de ses
lettres à des journaux de la Collaboration).
En 1948, il
lui demande deux fois de venir le voir à Copenhague,
sans trop y croire. La lettre suivante, la dernière,
elle la jugera « inintéressante » et ne la
gardera pas. Elle ne conservera pas non plus son propre
« journal inédit » communiqué à François Gibault, venu,
comme Erika Ostrovsky, auteur de Céline, le voyeur
voyant et Henri Thyssens, à Boitsfort, pour y
recueillir des souvenirs.
En 1950, Evelyne enverra une lettre pour défendre
Céline lors de son procès. Cette fois, il ne lui
reprochera pas de l’avoir défendu. Mais, l’année
suivante, lorsque Albert Paraz lui parlera d’Evelyne, il
lui répondra « à la Bardamu », en taxant notamment la
jeune femme de « damnée hystérique, folle de
jalousie, cavaleuse, femme de lettres 1000 pour 100 ».
Escaliers sera publié en 1956. D’après
Céline, la plupart des dialogues étaient fidèlement
restitués et la chronologie respectée.
Evelyne Pollet nous a demandé de lui apporter le
livre de Lucette Almanzor, Céline secret, paru
récemment. « C’est vrai, ce qu’elle a écrit. Je ne
l’aimais pas. Les femmes sentent cela. Mais je ne la
détestais pas. »
Jeanne Augier.
(Le Soir Magazine,
Bruxelles, 19-25 janvier 2002, dans BC n°229).
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Jeanne FEYS –
VUYLSTECKE se confie à la fin de sa vie à un écrivain
flamand, Willy Spillebeen. Elle aurait eu une liaison
avec Céline après la parution du Voyage au bout de la
nuit.
L’auteur prend des notes, et quelques années
plus tard publie un roman tiré de cette confession :
De varkensput qu’on pourrait traduire par Le trou
à rats, paru en 1985 aux éditions Manteau, à Anvers.
(Une autre explication serait que c’est sa
sœur, Claire Vuylstecke, qui aurait connu Céline et qui
se serait confiée à Jeanne, laquelle se serait
« appropriée » cette histoire.
« Madame Morbecq
lisait Céline et affirmait avec plaisir en être devenue
« frigide ». Elle scrutait alors mon visage pour y
déceler l’effet provoqué par un tel langage. Pour la
première fois de ma vie, Céline me fit littéralement
prendre conscience de mon existence. A la lecture de ce
livre, je me sentis être biologiquement un lapin
apprivoisé par un serpent (je n’ai jamais été un lapin
sauvage ; j’étais trop calculatrice pour cela, même avec
Céline).
Je lisais, haletante, les sens en feu, frisant la
nausée, ce qui m’excitait. (…) Il devint mon modèle. Je
ne comprenais pas sa vulgarité mais elle m’attirait ;
nue qu’elle était et tellement plus honnête que le monde
frelaté de Madame Morbecq. Je lus et relus son livre. La
seconde fois je le relus surtout au lit. Et chaque fois
que je le posais pour m’endormir, cet univers
particulier dont Bardamu voulait s’évader sans jamais y
parvenir m’envahissait à nouveau. A cette époque, je
découvrais au hasard des journaux que recevait Madame
Morbecq à quel point Céline est un grand écrivain. Mais
je sais qu’il n’écrivait pas le français qu’appréciait
Elsschot.
Voilà la raison qui me fit hésiter à lui écrire, par
l’entremise de son éditeur Denoël. Manifestement
Elsschot ne m’en avait nullement guérie. Je joignis à ma
lettre les deux récits qu’il avait traités si
dédaigneusement. J’exprimai mon admiration dithyrambique
pour le Voyage.
Vint une réponse courte, officielle, amicale, mais
évasive en ce qui concerne mes écrits. Ceci dépassait
l’entendement de l’écrivain Céline, écrivit-il. Chacun
avait « sa petite musique à soi. » La mienne était bien
différente de la sienne. La courte missive était signée
par « L.F. Destouches ».
(…) J’estime maintenant que je ne noircissais des
feuilles que pour pouvoir grandir dans l’estime de
Céline. Et le style utilisé faisait penser à du Céline.
Je me trouvais moi-même grossière. J’avais entre temps
écrit à Céline que je finirais par monter à Paris, ce
qui s’est avéré exact. Mais je n’avais même pas suggéré
de le rencontrer.
Une réponse brève me parvint rapidement. Il voulait me
voir. Je lui adressai une réponse accompagnée d’une
photographie flatteuse pour lui permettre de me
reconnaître lorsqu’il aurait à m’attendre Gare du Nord.
(…) C’est donc mon
physique que je devais remercier pour
l’intérêt que me portait Céline. Déjà, lors de cette
première rencontre, il déclara qu’il n’existait pas de
filles laides, « pourvu qu’elles soient jeunes et
sachent baiser ! »
(…) Dès cette première rencontre, je fus tout de suite
prête à renoncer à une vie sans danger et de
partager mon existence avec cet homme que je ne
connaissais qu’au travers du Voyage, de quelques
lettres et d’une première rencontre. Un homme qui, je le
sais maintenant, vivait une vie pleine en premier lieu
d’un altruisme absolu rempli de désillusions et en
second lieu d’un cynisme blessant tant pour lui-même que
pour les autres ; poussé qu’il était par un besoin de
seulement faire place nette pour toujours recommencer à
zéro, ne respectant rien ni personne, ni certainement
lui-même, et plus tard du fait de sa méfiance
irraisonnée qui ne lui faisait voir partout que des
ennemis.
(…) Je lui rendis visite rue Lepic. Il vint me voir
deux ou trois fois à Anvers. Il y prit une chambre
d’hôtel pour nous deux. Chaque fois, il venait du
Danemark ou de Suède, du moins pour autant qu’il m’en
souvienne. Finalement, j’éprouvais pour lui un besoin
dément qui me faisait mal lorsque j’y pensais. Une sorte
de manque fébrile et physique que je ressentais dans mes
seins et dans mon ventre. A en avoir le souffle coupé.
Vertige. Il s’agissait évidemment de désir sexuel.
(…) Il ne m’a jamais donné son avis sur mon travail.
Mais par contre, il me fit de nombreux commentaires sur
mon popotin, mes nichons, mes cuisses, mes longs cheveux
que je laissais flous et qui, Dieu merci, avaient le don
de le rendre lyrique, d’un lyrisme noir. Du Baudelaire.
Je fonçais. Avec les yeux grands ouverts et la bouche
gloutonne. Avec un corps gourmand.
Finalement c’est sans cesse que je me jugeais trop
banale pour lui. Après tout, je n’étais guère plus
qu’une gamine s’offrant à lui et dont il abusa car il
usait de tout et de chacun ainsi d’ailleurs que de
lui-même.
Il finit par me faire comprendre que la vie que je
menais ne me poussera jamais à écrire. Lettre après
lettre, je laissais donc tourbillonner notre
correspondance dans l’âtre, tout en sifflotant comme un
refrain « Adieu Louis, adieu Louis. » Avec
l’impression d’être dure comme de la pierre… jusqu’à ce
que les larmes jaillissent… sans aucun effort de ma part
pour les retenir. Je pleurais, baignant dans un silence
de mort. Et le feu ne crépitait même plus lorsque cet
homme de papier sortit de ma vie…
J’espérais que je n’aurais plus jamais à pleurer de la
sorte et réalisais que je me trouvais là, devenue riche,
et que, c’était justement cet état de richesse qui avait
produit la femme que j’étais devenue, là dans cette
chambre. Ce fut alors que pour la première fois je me
nommai moi-même « Soledad ».
Quelqu’un était mort pour moi. Quelqu’un que j’avais
été capable d’aimer pour de bon. Et j’étais là,
irrévocablement seule. Par la suite, je n’ai jamais
vraiment compris pour quelle raison j’avais rompu avec
Céline. Peut-être bien à cause d’une autre conscience de
moi-même née de cette notion de richesse. Par la suite,
j’ai encore reçu un mot de rupture de Céline qui me
congratulait pour mon héritage. J’ai également brûlé ce
mot. Je n’ai plus pleuré. J’ai bien entendu conscience
de la valeur que peut avoir actuellement cette
correspondance et que je n’aurais pas dû la brûler. Mais
une valeur ne signifie que de l’argent. En définitive,
je n’éprouve aucun regret d’avoir tout détruit.
Déjà la seule pensée qu’aujourd’hui quelqu’un aurait
pu lire mes misérables écrits et ces mots de Céline qui
représentent pour moi une telle charge de sentiment
(ah ! je n’ai pas à conter ce que je faisais chaque fois
que je recevais une lettre de lui, folie des sens,
érotisme, tout cela est si lointain…) ; cette pensée
m’est décidément insupportable ? »
Willy Spillebeen (De Varkensput, éd. Manteau,
1985). (BC n°193, décembre 1998).
***
A Charles Deshayes
Le 30 septembre 1948
Mon cher Deshayes
Je suis au courant de ce Gala des vaches. Paraz fait
argent de tout. Il est malade. Il publie mes lettres -
son livre autrement ne trouverait pas d'éditeur ! Le
coup est banal. Il ne m'a pas demandé d'autorisation.
Il ne m'écrit plus. Je l'ai traité de putain
(1). Amen.
L'histoire belge ! Je n'y comprends rien. Mme
Feys Vuylsteke m'est connue - de Geluwe - du
genre bienfaitrice et cul bénit. Je n'ai rien accepté
d'elle, sinon le prêt de livres, ponctuellement
renvoyés. Quel jeu joue-t-elle ? JE M'EN FOUS. Je suis
bien décidé à déclarer apocryphe tout ce qui se publiera
hors de moi. C'est simple - pures inventions,
falsifications - 1 000 précédents hélas ! Mais
faites l'âne pour avoir du son. Faites venir cet article
ou cet opuscule Céline démasqué ! etc. J'avais
donné votre adresse et votre nom à cette ratichonne
(comme ami). Donc aucune surprise. Mais ce qu'elle veut
au fond ? Je n'en sais rien. Son mari était " résistant
belge " en Angleterre !!! Elle est riche.
Brasseries, imprimeries. Que ce soit aussi une bourrique
cela me ferait bien plaisir. Le contraire me gênerait
presque. Le principal est d'obtenir ce Céline
démasqué. Dussiez-vous l'imprimer à votre tour ! Le
tout est de bien rigoler. Cette femme se pique de
littérature, elle a publié divers opuscules "
moralisants ", dilutions de sacristie... Tout est donc
possible !
En chasse mon ami ! Du tact !
A vous
LFC
(1) " Tu vas aller faire le chienlit,
le " cher maître " à Paris, dédicacer, trouducuter - Tu
vas te faire abattre un de ces jours par un vengeur
photogénique. 45 Vernes c'est 45. C'est pas des phrases.
Si tu ne crèves pas sous les balles tu crèveras des
trous de BK. Mais putain tu es, tu veux être - écrivain
- c'est tout dire ". (lettre du 10 septembre 1948, qui
répond à une lettre de Paraz du 3 septembre : " Je
compte aller à Paris à la fin du mois au moment de la
parution du Gala des vaches ).
(Lettres,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p.1080, 2009).
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Annie REICH et Anny ANGEL
Sa maîtresse juive, Cillie PAM l'introduisit dans
les milieux freudiens de Vienne.
En cette ville brillante, cet antisémite goûtait le milieu intellectuel
juif et en recommandait la fréquentation à une de ses
maîtresses de Montmartre, Erika, elle-même juive
allemande.
Cette Europe habsbourgeoise l'enchanta toujours...
Grâce à Cillie Pam, qu'il essaie d'aider de son mieux
depuis sa rencontre en septembre 1932, il rencontre
Annie REICH et Anny ANGEL, également d'origine juive,
inscrites au Parti communiste, psychanalystes
spécialisées en traumatisme et perversité infantile,
avec lesquelles il discute de politique et de
psychanalyse...
Anny ANGEL : Avant qu'Anny ANGEL émigre en Hollande en
1936 pour fuir les nazis autrichiens, Céline lui propose
son appartement à Paris.
En 1936, elle s'installe en Hollande où elle exerce la médecine pendant
l'Occupation sous une fausse identité, puis
gagnera les U.S.A. où elle dirigera des cours de
thérapies.
Annie REICH : en 1938, quitte Vienne pour New York où
elle deviendra présidente de la Société de psychanalyse.
(Le Petit Célinien, E. Mazet, interview, 2012)
[Premiers jours de juillet 1933.]
Chère Cillie
Je
vous suis bien reconnaissant de m'avoir fait connaître
Annie Reich elle est aussi gentille que mes autres amies
d'Europe centrale et c'est beaucoup dire. Elle m'a dit
mille choses tout à fait utiles et m'a rendu en quelques
jours presque intelligent.
Faites mes bonnes amitiés à Annie Angel. Dites-lui que vraiment je pense à
son affaire et que plus j'y pense plus j'ai peur de
l'avenir - (ou ne le lui dites pas). Ici j'ai retrouvé
tous mes petits soucis (en comparaison avec les vôtres).
J'ai rencontré à Prague des littérateurs bien excités et bien
ennuyeux. Je ne voyagerai plus jamais publiquement. Mon
narcissisme est ailleurs...
Affectueusement et encore bien merci -
Louis.
Qu'est devenue la petite fille de Hambourg ?
(Lettres, Pléiade, Gallimard 2009).
***
Anny REICH (1903-1971), née Pink : psychanalyste qui a
épousé en 1921 Wilhelm Reich (1897-1957). En 1933, Reich
ayant une liaison avec la danseuse Elsa Lindenberg,
militante communiste de Berlin, Anny divorce et vit avec
le Dr Thomas Rubinstein.
Anny ANGEL-KATAN (1898-1992) : psychanalyste, membre du
parti communiste, fille du Dr Ludwig Rosenberg, amie
d'enfance d'Anna Freud, épouse en 1924 d'Otto Angel puis
de Mauritz Katan en 1937.
(E. Mazet, Spécial Céline n°25, 2017).
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1932. Cillie PAM (AMBOR)
Professeur de gymnastique
rencontrée au Café de la Paix le 4 septembre 1932.
Cillie est autrichienne et d'origine juive.
Ils se lient et quand elle tombe malade, le Docteur Destouches l'installe
dans la chambre d'Elizabeth Craig au 98 rue Lepic
où
il la soigne avec dévouement.
Deux semaines commencent ensemble après quoi PAM retournera à sa vie et à
son travail à Vienne.
Aux cours des 7 années qui vont suivre, ils se verront rarement mais leur
correspondance fut régulière.
En 1939, Cillie AMBOR quitte Vienne pour l'Australie après que son mari
Max Pam, mort à Dachau le 16 déc. 1938 ait été enterré à
Vienne le 19 janvier 1939.
A Cillie AMBOR
Dimanche [25 septembre 1932]
Chère Cillie
Vous voici à
Vienne au milieu des popos. Mon rêve. J'ai bien reçu
votre lettre du train. Vous avez été tout à fait
délicieuse avec moi et je suis bien content que vous
vous soyez un peu amusée en ma compagnie.
Vous possédez mille charmes et qualités en plus d'un superbe et
inoubliable " Popo ". Seulement il faut devenir plus
positive et ambitieuse. Songer à l'avenir. En un mot
refaire votre vie, sur des principes bien utilitaires.
Ce n'est pas gai je le sais bien. Mais c'est encore plus
triste de ne plus avoir de jeunesse, ni de popo, ni
d'argent. Et tout cela est vite arrivé. Je songe à vos
parents de Munich qui doivent connaître des gens
riches...
Je vous aime bien et j'ai peur de l'avenir pour vous. Ce romantisme
de la médiocrité et des petites économies ne prend du
charme qu'avec une grande passion...
Vous n'avez plus, vous n'aurez plus de grande passion. Il faut
s'organiser pour la paresse et le confort. Il pleut
enfin aujourd'hui mais le Soleil menace de traîtres
retours...
Je ne serai complètement tranquille qu'à la Toussaint, fête des
Morts, alors il pleut vraiment...
Je vous embrasse chère mignonne Cillie, écrivez-moi et pensez
à moi dans le présent et dans l'avenir.
Louis
(Lettres Pléiade, Gallimard
2009).
***
A Cillie AMBOR
[octobre 1936]
Chère Cillie
Te voici donc parvenue
presque au terme de ton voyage !
(1) Enfin tu
vas être heureuse - du moins je l'espère ! Toi si
gentille, si profondément bonne, toi que j'aime tant.
J'aurais bien voulu t'épouser aussi Cillie si j'avais
été riche. Hélas ! tu sais que ce n'est pas le cas.
Je suis revenu de Russie, quelle horreur ! quel bluff
ignoble ! quelle sale stupide histoire ! Comme tout cela
est grotesque, théorique, et criminel ! Enfin !
Mais si Cillie, on veut ma mort. Je n'invente rien ! Lis encore ce
journal. (2)
J'en reçois comme cela chaque semaine. Cela n'a pas
beaucoup d'importance. Quelle importance ? Aucune en
vérité - aucune. Allons porte-toi bien Cillie et
écris-moi aussitôt délivrée !
Affectueusement à toi
Louis
(1) Sous la plume de Céline, on
ne peut qu'être frappé par l'emploi du mot pour désigner
le terme d'une grossesse.
(2) Sans doute Céline avait-il fait état de ces menaces
dans une lettre précédente. L'article qu'il envoie à
Cillie est probablement le numéro du Merle blanc du 3
octobre.
(Lettres,
La Pléiade, Gallimard 2009, p. 513).
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Erika IRRGANG
Un soir, au début de la
Débâcle économique de 1932, il recueillit chez lui, 98
rue Lepic, une " étudiante " famélique. A bout de
ressources, Erika IRRGANG vaguait, allemande, dans les
rues de Montmartre.
(...) Dans le lit où Céline repose avec cette israélite, ramassée au
ruisseau, il suscite une Féerie médiévale. (...) Son
labeur au Dispensaire de la rue Fanny terminé, ce
Docteur-Chevalier la retrouvait, le soir, au " Pigalle's
Tabac ", rue de
Clichy. (...) Nous flânions, écrit-elle, à travers la
nuit nocturne d'un quartier mal famé. Il parlait avec de
vieux ivrognes et de pâles prostituées. Il donnait à un
pauvre diable, aux poumons rongés, une entrée pour un
des refuges municipaux, haussait violemment les épaules
lorsque le malade déchirait le papier devant nos yeux.
(...) Pour m'égayer, il me proposa une fois, après une
telle ballade dans la nuit, de regarder le lever du "
soleil " au Bois de Boulogne. C'était un matin
magnifique. Nous parlions peu et nous ne rencontrâmes
personne jusqu'au moment du petit déjeuner dans un café
du Parc.
(...) La vague d'antisémitisme se
levait sur la Silésie, sans que Paris s'en souciât outre
mesure. Céline ne renonçait pas aux fidélités de la
tendresse. Ses voyages vers la " Princesse lointaine "
le conduisirent pour la première fois vers les plaines
de l'Est européen où il reviendra lui-même en réfugié
dans quelques années. Dans le ghetto de Breslau, Céline
alla manifester sa puissance protectrice de "
chevalier-barde ". Il savait quels dragons nazis
prenaient corps dans la cité, alors allemande,
aujourd'hui polonaise.
A l'Occident comme à l'Orient, l'Europe solidaire du désastre économique
américain préparait sa propre catastrophe. Les
avertissements angoissés que Céline multipliait contre
la guerre insensée, dans ses violents pamphlets,
n'étaient pas des exercices intellectuels. Ils ne
doivent jamais être séparés de l'attitude qu'il adoptait
concrètement dans sa vie.
Dès 1936, Erika IRRGANG émigra à Cambridge. Céline l'avait avertie avec
une sévère sagesse, des holocaustes dont Hitler menaçait
les Juifs. Le Déluge qu'il avait débusqué dans les nuits
de Paris 1932 s'est enflé et allait prendre des
proportions planétaires, mais aussi, lucifériennes. L'œuvre
de Céline n'est point un jeu d'Intellectuel, d'un
croyant sans les œuvres.
Dès qu'il apprit qu'Erika IRRGANG s'était évadée de l'Allemagne nazie il
lui écrivit : " Je suis très heureux de vous savoir à
Oxford. J'irai sûrement vous voir bientôt... Quel
plaisir vous devez avoir d'être sortie de Germanie. Mon
Dieu, quelle démence, quelle sale dégoûtante horreur ! "
A Paris, en 1932, toute
l'intelligentsia républicaine croyait stupidement à la
Paix d'Aristide Briand, à la démocratie chrétienne, au
Désarmement, alors que s'ouvrait une " école de cadavres
" pour tous ceux qui déambulaient dans les rues
européennes. Les bonnes gens n'imaginaient même pas,
tant sont puissants les bourrages de crânes politiques,
les hécatombes qui sont très réellement venues sur notre
continent.
Les sommes d'argent fabuleuses qui - nous le savons aujourd'hui - avaient
poussé à la guerre de 1914, roulaient insolemment dans
les milieux de la politique et de la presse parisienne.
Ce n'était plus en 1934 Iswolsky et Pachitch qui
menaient le branle, mais l'or n'en suait pas moins dans
certaines salles de rédaction et les milieux
déterminants.
(Paul Del Perugia, Céline, p.577,
Nouvelles Editions Latines)
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En avril 1932, Place du Tertre,
Louis Destouches rencontre Irène Irrgang, née en 1911,
jeune étudiante allemande, anémiée, qu'il emmène en taxi
dans un restaurant. Sa mère s'était remariée avec
l'intendant de la forteresse de Neisse, endroit
sinistre, et elle était venue à Paris tenter sa chance.
Elle avait fait des études de théologie à Breslau,
possédait une petite expérience de comédienne, vivait
misérablement dans une chambre de bonne rue
Chevalier-de-la-Barre, après avoir fait des ménages chez
un pasteur à Bourg-la-Reine. Elle ne voulait pas
retourner chez sa mère, très puritaine, et préférait se
laisser mourir de faim.
Juive pour Boudillet et pour Gibault, pour Alméras, " il est clair que
Céline tient la brune Erika pour juive " alors qu'elle
ne l'est pas. Louis l'appelle " Chouchou " puis Erika,
son deuxième prénom qu'il trouve romanesque et qu'il
attribuera en 1934 à la star de son scénario Secrets
dans l'île. Elle passe quelques semaines rue Lepic.
" On m'a cassé le crâne ", lui dit-il, et il lui
fait part de bruissements d'oreilles. Il l'emmène au
cinéma, au restaurant, aux levers de soleil du Bois de
Boulogne ; ils partent en
excursion dans des quartiers
pauvres, font des courses dans les escaliers de
Montmartre en jouant à " Attrape-moi si tu peux ". Il
l'emmène sur La Malamoa de Mahé.
Il lui recommande la lecture de Villon et de
Tolstoï. Quel livre de Tolstoï ? Céline ne citera qu'une
seule fois Tolstoï et ce sera dans Bagatelles pour un
massacre. Ne confond-elle pas avec Dostoïevski ? Et quel
livre de ce dernier ?
Elle évoque des relations père et
fille, d' " un libertin en paroles mais chaste dans ses
gestes ". Il aurait " essayé de lui faire l'amour, sans
y parvenir ", et " semblait plus à l'aise dans les
conversations érotiques " (selon Boudillet). Elle se
souvient de sa " tendresse extrême associée à un côté
gamin ", de ses soudains changements d'humeur, passant
du " père attentionné au grand frère sévère ".
Elle garde en mémoire un être jeune d'esprit et bienveillant, pas
raciste, insomniaque mais en bonne santé, " un être qui
souffrait lorsqu'il voyait ses frères humains sans force
ou sans désir de se sortir de leur condition et pourrir
sous l'influence de la société et de ses institutions. "
Elle témoigne d'accès de loquacité au milieu de la nuit ponctués
d'aphorismes inscrits sur la poutre de la chambre.
D'après elle, Céline écrit les dernières pages de
Voyage. Il a pourtant écrit à Gallimard le 9
décembre 1931 avoir achevé un roman.
Elle retourne à Breslau en juin, travaille au Beobachter,
bi-mensuel nazi. Céline lui rend visite à Breslau, alors
qu'elle travaille à Opinion, journal de langue
anglaise, anti hitlérien. Céline la revoit à Berlin en
1934, où elle est alors journaliste dans la maison juive
Ullstein. Elle recommande à Céline une amie juive dont
le mari vient d'être arrêté, puis lui annonce qu'il est
temps pour elle de quitter l'Allemagne. Il lui
déconseille la France et lui recommande la Suède. En
mars 1936, " non par racisme, mais pour raison de
conscience ", elle gagne Cambridge où Céline la retrouve
après la publication de Mort à crédit. Elle s'est
mariée, s'appelle Landry, a un enfant, mais son mari vit
en Hollande, et elle est retombée dans la pauvreté.
En octobre 1937, Céline lui annonce la venue de Mahé à Londres où elle se
rend en décembre pour rencontrer ce dernier. La relation
épistolaire s'arrête là. Elle reçut de Céline
quarante-deux lettres qu'elle se proposait de
communiquer à Lucette Destouches le 9 octobre 1961, et
qui furent publiées en 1965. Alméras la contactera en
1969 (Dictionnaire Céline, p.447). Et elle
disparaît, ayant publié un roman sous le nom de Nataly
Landor, mais laissant une biographie et un témoignage
très lacunaires...
(Spécial Céline n°17, juin, juillet, août 2015).
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1932 - Dora DORIANE.
Danseuse nue au Casino de
Paris et au théâtre Marigny.
(Eric Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
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1931-
L'inconnue de Genève.
" Je ne pouvais plus m'arrêter. 16 ans à peine. "
(Carte postale à Henri Mahé, 13 janvier 1931).
Margaret SEVERN.
Danseuse.
" Tu vas voir ce Trois mâts
mon ami ! Le vrai de vrai ! Elle parle à peine le
français, mais elle est infiniment sensible, on lui
parle par brises et zéphyrs, mais tu verras ce derrière
et ces cuisses mon ami. Il y a de quoi juter pour vingt
ans...
(Ibid).
Drena BEACH.
Américaine, actrice et
danseuse, vedette au Marigny. Elle aurait été à Chicago
la maîtresse d'Al Capone. En juillet 1931, à Pau, il va
avec elle au bordel : " Nous fûmes au bordel (mais ceci
secret) et avec quel trois-mâts mes empereurs ! Je me
suis tellement agité que j'en ai un furoncle qui me
bouffe la cuisse. "
(Carte postale à Henri Mahé, Pau,10 août 1931).
Mona DOLL.
Danseuse. " Quant au trois-mâts gracieusement
escorteur, c'est la Mona de New York, mélancolique
beauté qui, au Casino de Paris, exécute en frac
pailleté, chapeautée huit-reflets, la danse de la canne.
"
(Ibid).
Hélène HOWELL.
Née en 1903, équilibriste hawaïenne, mariée avec le danseur Solon Burt
Harger qu'un amant jaloux découpera en morceaux.
(E. Mazet, Spécial Céline, hiver 2015).
Sans compter " Ma Jonque ", une
Chinoise ramenée de Londres, Muscha, un mannequin
russe...
(Joseph Vebret, Céline L'Infréquentable, Jean Picollec, mai 2011, p.
138).
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Nane GERMON (de son vrai nom, Germaine, Hélène
NANNON est une actrice française 1909-2001).
Elle a
parcouru le cinéma français des années 1930 à 1990 avec
une longévité étonnante. Elle est restée dans l'histoire
du cinéma pour ses participations aux chefs-d'œuvre
que sont la Belle et la Bête ou l'Auberge
rouge.
Mais ses autres prestations, de Remorques à Justice est faite,
en passant par Des gens sans importance, sont
remarquables.
Elle débute au cinéma dans Une
faible femme de Vaucorbeil (scénario de Jacques
Deval) et au théâtre dans Tessa de Giraudoux en
1934.
Elizabeth Craig absente, elle fit une escapade avec le Docteur
Destouches en Hollande.
(Spécial Céline n°6, août,
sept.-oct. 2012).
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1930 - Paulette LADOUX.
Ouvrière d'usine à Clichy,
modèle de Mireille dans Mort à crédit. " La
Mireille en plus d'un cul étonnant, elle avait des yeux
de romance, le regard preneur, mais un nez solide, un
vrai tarin, sa pénitence. [...] On a quitté ma belle
légende pour discuter avec rage si le grand désir des
dames, c'est pas de s'emmancher entre elles...

Mireille, par exemple si elle aimerait pas bourrer un peu les copines
?... les enculer au besoin ?... surtout les petites
délicates, les véritables gazelles ?... Mireille qu'est
balancée en athlète des hanches... du bassin... "
(Mort à crédit).
Elle couche avec Elizabeth pour offrir à Louis un de ces spectacles
dont il raffole : " Paulette, malgré les juvéniles
curiosités de ses treize printemps, malgré ses deux
frères aînés, malgré les voisins non moins ardents et
malgré " un petit tempérament " Paulette restait vierge
!... Ah ! vous saisissez à présent mon association
d'idées ? Comment pas davantage ?... Alors, contre un
autre point, je vous rappellerais que Lili était une "
femme faite " et même joliment, admirablement,
merveilleusement bien faite ! Là, je vous gâte ! "
(H. Mahé, La Brinquebale avec Céline, in Céline, E. Brami, 2003,
p.338).
Mme Georges BLOCH.
Jeune épouse du minotier des
Blés de France, juive. " Eh bien, moi, je vous garantis
que la ravissante mutine petite Bloch ne laissait guère
de temps à Moana de suspendre sa sensibilité le restant
de la semaine... Mais quand les deux mignonnes se
mettaient " à table " [...], Crésus Bloch,
exhibitionniste farfelu et voyeur incontinent surgissait
dans un rugissement au beau milieu du repas, dérangeant
l'ordonnance des plats, créant la confusion... Son truc
à lui !... Sa joie !... Et son amusante épouse avait
souvent droit à un caillou de quelques carats en
remerciement des scènes galantes dont on le régalait...
"
(Ibid. Moana tendre amie de Mme Bloch, in Céline, E. Brami, 2003).
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ELIZABETH à Genève.
C'est donc à Genève, où
Céline travaillait pour la SDN, qu'il rencontra celle
qui deviendra la dédicataire de Voyage au bout de la
nuit et dont il dira vingt ans plus tard : " Quel
panthéisme douloureux et espiègle à la fois. Quelle
poésie... Quel Mystère... Elle comprenait tout avant
qu'on en ait dit un mot. "
La scène se passe à la fin de l'année 1926. Céline a alors
trente-deux ans et flâne dans les rues de Genève. Devant
la vitrine d'un libraire, il remarque une jeune femme
très belle. Henri Mahé la décrira ainsi : " De grands
yeux verts cobalt... Un petit nez fin... Une bouche
rectangulaire sensuelle... De longs cheveux or roux
tombent en boucles sur ses épaules... De petits seins
fermes et arrogants... le cul aussi, bien haut !... Des
jambes de danseuse... A s'en faire un collier. "
Elizabeth est Américaine et a vingt-quatre ans. Elle vient de sortir du
sanatorium où ses parents l'ont fait entrer pour
soigner une tuberculose. Ils sont venus la rejoindre
avant de repartir à Paris avec elle. Céline s'adresse à
Elizabeth et lui demande si elle apprécie l'auteur dont
elle observe attentivement le livre. " Je suis sûre
qu'il ne lui
avait pas fallu deux minutes pour voir que
je n'étais ni française ni suisse, dira-t-elle. Aussi
s'est-il adressé à moi en anglais. Je ne me souviens
même plus de quel auteur il s'agissait. J'ai répondu :
" Je ne sais rien de cet auteur, mais cela m'a l'air
d'être un livre merveilleux. "
A l'époque, je m'intéressais à tout ce qui était en rapport avec
l'histoire. L'histoire de différents pays, de villes
comme Paris, ce genre de chose. (...) Je lui dis que
j'adorais danser, nous avons parlé de danse, et je lui
dis que j'avais été une danseuse. Je dis " j'avais été
", parce que je ne pensais pas pouvoir y arriver de
nouveau. Il sembla intéressé : " Entrons, je vous
montrerais quelques livres qui vous plairont si vous
êtes intéressée par l'histoire. "
Il m'en montra un qui me plut en effet, que j'achetai, et que j'ai
gardé des années. C'était un livre sur Paris. Puis il
dit : " Laissez-moi vous montrer des
œuvres de certains vrais
auteurs français, différents de tous ces livres
romantiques dont les Américains raffolent. "
Ensuite, nous avons fait quelques pas ensemble, et
voilà. Au moment de nous séparer, il m'a demandé : "
Où vivez-vous ? Je lui dis : Avec mes parents, à
l'hôtel. " Il demanda : " Puis-je passer vous
voir demain ? - Volontiers, dis-je, cela me fera un
grand plaisir. " C'était un samedi. (...)
Après cela je suis
retournée à Paris. J'habitais dans le Quartier Latin...
J'y avais un appartement avec une amie qui venait des
Etats-Unis aussi. Nous habitions là toutes les deux
pendant quelques temps. Louis revenait de Suisse et
était sur le point de partir pour l'Afrique, et nous
nous sommes revus à ce moment-là. Il est venu à
l'appartement et mon père et ma mère étaient là, nous
sommes sortis ensemble et ensuite il est parti pour son
voyage.
A peu près deux ou trois mois plus tard il est revenu. Nous sommes sortis
ensemble à nouveau et voilà c'était fait... Et ce fut
une belle histoire d'amour pleine de passion. "
(Jean
Monnier, Elizabeth Craig raconte Céline, BLFC, 1988).
ELIZABETH CRAIG.
Ancien
responsable des départements de français et d'italien à
l'Université de Stanford, Alphonse JUILLAND,
auteur d'études remarquées sur le langage de Céline, fut
mis en alerte, lisant la biographie de François Gibault,
par cette phrase anodine : Il n'est pas impossible
qu'Elizabeth Craig soit encore de ce monde...
Tel fut le point de départ de la quête de Juilland qui, après mille
obstacles, aboutit enfin au but recherché en avril 1988
à San Marcos, en Californie.
(...) Dans son livre " Elizabeth et Louis ", il conduit à
reconsidérer d'un œil
neuf l'expérience cruciale vécue par le docteur
Destouches
entre 1924 et 1932 où le Voyage, éclatant comme
une bombe, imposa le nom de Louis-Ferdinand Céline et
réduisit soudain en miettes des pans entiers de la
littérature contemporaine.
Déjà, en 1947, Céline du
fond de son exil danois, oubliant la légende sulfureuse
qu'il avait si bien répandue, écrivait à Milton Hindus :
Quel génie dans cette femme ! Quel esprit, quelle
finesse... quel panthéisme douloureux et espiègle à la
fois. Quelle poésie, quel mystère... Elle comprenait
tout avant qu'on en ait dit un mot. Elles sont rares les
femmes qui ne sont pas essentiellement vaches ou
bonniches. Alors elles sont sorcières et fées...
Depuis leur rencontre à Genève, où Louis, chargé de mission à la SDN,
connaissait une certaine aisance, jusqu'au dispensaire
de Clichy et à leur vie commune à Montmartre, Elizabeth
raconte leur longue liaison, et la fraîcheur du
souvenir, la minutie des détails, l'intensité des scènes
revécues, font de nous les spectateurs d'un film que
Juilland déroule sous nos yeux stupéfaits et dont le
foisonnement inépuisable nous poursuit jusqu'à la
hantise.
(...)
Nous connaissons tous cette négation constante et
sarcastique du sentiment chez Céline, et son
dégoût des pâmoisons élégiaques touchant le cœur
et les fôammes ! Mais quand Juilland pose la question :
Etait-il jaloux ?, la réponse d'Elizabeth fuse :
Et comment ! tandis que sa réputation
d'impuissance la fait éclater de rire. Et de préciser
qu'elle eût parfois souhaité que ce fût le cas, mais que
quatre ou cinq fois par jour n'étaient rien pour lui, et
qu'en fait leur relation, à l'origine, fut surtout
sexuelle. Puis le bonheur vint, fait de goûts communs,
de curiosités semblables, des mêmes aspirations
esthétiques, et des attentions sensibles et raffinées
qu'il savait multiplier autour d'elle.
Que notre barde celtique ne se soit pas précisément conformé, durant
cette liaison, au mythe de Tristan et Iseut ne fait rien
à l'affaire, non plus que la complaisance occasionnelle
et fugitive d'Elizabeth (à deux reprises) à des séances
érotiques plus ou moins scabreuses. Elle aimait Louis en
dépit des incartades qu'il lui avouait et se sentait
aimée de lui, point. Et les questions de Juilland, les
réponses d'Elizabeth soulignent l'abîme qui sépare
l'acharnement célinien à proclamer que l'amour n'est
qu'un mot obscène, et les lettres désespérées adressées
à la darling one sur le ton de " Ne me quitte
pas... Ne me quitte jamais... ". On se croirait dans
la chanson, si poignante d'ailleurs, de Jacques Brel,
parmi les " frères humains " qui peuplent, bouleversants
fantômes, les déchirants poèmes de Villon.
A
plusieurs reprises, Elizabeth revient sur le côté
tragique de Louis, sa crainte perpétuelle d'immenses
catastrophes. Cela s'accentua au fur et à mesure qu'il
écrivait le Voyage, dont elle sentait bien la
puissance et le souffle, mais dont les pages qu'il lui
disait rebutaient la jeune Américaine optimiste qu'elle
persistait à être. En vain s'étonnait-elle de le voir
s'estimer
proche des misérables qu'il s'obstinait à lui montrer
dans les plus sinistres banlieues. C'était comme s'il
avait eu pour mission de se confondre à eux, de vivre
leur désolation, afin de mieux l'exprimer, de les aider,
de les sauver, peut-être ?
Elle était d'autant moins convaincue qu'il ne lui cachait rien de ses
doutes, sur sa valeur de médecin aussi bien que sur son
talent d'écrivain. Il en vint ainsi à ressentir comme
une trahison envers les pauvres qu'il soignait (au
dispensaire de Clichy), les moments heureux vécus avec
Elizabeth. Elle avait trente et un ans, et Louis la
voyait toujours comme une lumineuse perfection.
Mais elle sentait que le temps jouerait contre elle et ne pouvait
s'imaginer vieillissante auprès de lui. Mieux valait
considérer comme un songe ces merveilleuses années si
légèrement parcourues. La réalité, c'était pour Louis
son destin d'écrivain, pour elle le retour aux " States
", avec leur code étriqué, leurs conventions puritaines,
et leur confort assuré quand l'occasion s'offrait
d'une vie calme, tranquille et respectable, dans le
sillage familial, avec pour compagnon un agent
immobilier optimiste, entreprenant et sans histoire,
comme Ben Tankel.
Ainsi décida-t-elle, non sans peine ni regrets, on le conçoit, préférant
s'ensevelir dans la fuite, le silence et le mystère,
plutôt que d'altérer l'image éblouie qui, au prix de son
départ, resterait à jamais gravée, elle le savait, dans
le cœur
de Louis.
Et l'antisémitisme de Céline, qu'en pensait-elle ? Quand Juilland lui
pose la question, elle ne comprend pas. Tout ce qu'elle
a remarqué, c'est qu'il avait d'excellents amis juifs à
la SDN et qu'il les estimait beaucoup, en particulier le
docteur Rajchmann. Il les plaisantait bien, parfois,
mais ni plus ni moins qu'il le faisait avec d'autres.
En vain Juilland l'assure-t-il que, pour certains témoins,
l'antisémitisme de Céline a été déclenché par son
mariage à elle, Elizabeth avec un Juif. Elle éclate de
rire. Comment l'aurait-il su quand elle n'avait pas la
moindre idée que Ben fut juif ou pas. Incidemment, elle
remarque que, dans la société américaine de cette
époque, les Juifs, plutôt que de se manifester en tant
que tels, aimaient mieux ne pas se singulariser et se
voulaient simplement citoyens comme les autres. A quoi
elle ajoute : " Thank's God, les temps ont changé...
"
Ce qui
dominait, dans le souvenir d'Elizabeth, c'était la
générosité de Céline, l'inquiétude qui le hantait devant
la répétition probable de l'horrible tuerie de 14-18.
Cette guerre à venir, il s'était mis en tête que la
France n'avait pas à s'en m êler. D'où la fureur de
Bagatelles et des pamphlets suivants contre tous
ceux qui entraînaient le pays, au mépris de son propre
intérêt estimait-il, à s'aligner sur la vindicte juive.
Le grand mérite du livre de Juilland et des souvenirs d'Elizabeth qu'il a
su recueillir est de nous conduire, je le répète, à
revoir de plus près tout ce qui a pu être écrit sur
Céline.
Seul, Pol Vandromme, à propos des pamphlets, a eu le courage de mettre
les pieds dans le plat. Rompant avec les airs dégoûtés
des cuistres, il a dénoncé le distinction arbitraire qui
consiste à opposer le " bon " Céline, auteur de
romans que l'on ne peut décemment ignorer au "
mauvais " Céline, auteur de pamphlets " abjects
". Et de souligner cette évidence, constamment niée et
rejetée par les larbins du conformisme intellectuel :
L'esprit des pamphlets est le même que celui des
romans... On ne juge pas ces fables énormes,
torrentielles et effervescentes, qui mettent le délire
au service d'une raison aux abois comme on juge les
petits traités du bon sens exsangue. On ne s'occupe pas
de Maldoror, comme de l'Amérique de Georges Duhamel..."
(...) Oui, Elizabeth lui connaissait un penchant
pour l'Allemagne. Il respectait l'adversaire, son sens
de l'effort, sa discipline. On sait ce qu'il advint, et
l'explosion de son désenchantement devant l'incapacité
hitlérienne à étendre à l'Europe le moindre élan social
et communautaire, dépouillé de petitesses nationalistes.
Comme Nietzche l'avait annoncé dans une formule déjà reprise, dès la
dernière guerre mondiale, dans les Considérations
d'un apolitique de Thomas Mann, Tout finira par
la canaille.
(...) N'oublions pas que dans un pays où les plus obscurs plumitifs se
prennent d'autant plus au sérieux que l'opinion les
considère comme des vaches sacrées, l'ironie ravageuse
de Céline à l'égard des " messages " et des gens
de lettres ayant pignon sur rue était déjà un crime
inexpiable. Il avait le vice des intellectuels, il
était futile... Comment osait-on proférer de telles
insanités ?
A la meute de ses accusateurs déchaînés, il jeta, comble de dérision, sa
fameuse lettre au " Crapouillot ", qui le résume
tout entier, et que la longue rêverie provoquée par les
souvenirs d'Elizabeth rappelle invinciblement.
Voilà les choses.
Mon régiment a pris son poste de combat à Sorcy-sur-Meuse le 2 août 14.
Y avait des affiches officielles : la mobilisation n'est pas la
guerre.
Signé : Poincaré.
Ensuite y a eu la proclamation : Cavaliers, haut les Coeurs !
Les regards fixés sur les lignes bleues des Vosges. "
Les cosaques de Rennenkampf sont à une étape de Berlin.
Le rouleau compresseur russe sauvera l'Europe de la
Barbarie teutonne. "
Depuis je suis resté abruti. J'attends.
Il m'est arrivé bien des choses et des pas marrantes, bancalo, indigne que
je suis. On m'a tout pris. On m'a foutu plus bas qu'une
merde. Tant pis. J'attends. Je crois à Poincaré. Je
crois à Rennenkampf. Je crois au rouleau. Je crois à la
France. Je crois au Crapouillot. Je crois à l'Humanité
meilleure. Je crois à toutes les lignes bleues du monde.
A la ligne Maginot même. Qu'on la prolonge jusqu'à la
mer. Je l'ai connu Maginot. Il était au lit à côté de
moi au Val de Grâce. S'il avait seulement vécu on aurait
pas détruit son mur. Voilà l'Histoire vraiment secrète.
"
Tout est dit. Tout commentaire serait vain. Restons-en là pour cette
fois.
Jacques D'ARRIBEHAUDE. (BC n°120,
septembre 1992).
------------------------
JUNIE
ASTOR, magnifique comédienne qui reçoit en 1937, le prix
Suzanne Bianchetti qui couronne le talent le plus
prometteur.
Rolande Jeanne Risterucci dite Junie Astor (1911-1967), a rencontré
Céline en 1933 alors qu'elle travaillait à l'adaptation
du Voyage avec Abel Gance. Elle lui présente son
ami et amant Jacques Deval et c'est elle qui pilote
Céline à Los Angeles en 1934 quand il y séjourne pour
essayer de ramener en France Elizabeth Craig.
Elle tourne avec Le Vigan et sera du voyage de mars 1942 à Berlin, avec
Danièle Darrieux et Viviane Romance, au cours duquel
elles rencontrent Hitler.
(Joseph Vebret, Céline l'Infréquentable, Jean Picollec, mai 2011, p.137).
"
Je suis venu vous voir 120 soirs de suite. Toujours je
voulais vous parler et jamais je n'osai... Et plus vous
jouez pour moi et plus je m'émerveille du merveilleux
don de vous-même, de votre corps que je pressens... de
votre esprit surtout (ô surtout lui !) qui l'anime oui,
divinement.
[...]
Partout où vous jouerez j'irai vous admirer. Je ne
comprends plus la vie sans vous.
Au seuil de cette nouvelle année, je prie pour vous, pour votre âme, pour
votre beauté. Comme je voudrais moi aussi savoir écrire
des pièces, pour vous - pour vous seule... "
Lettre de Céline à Junie ASTOR, 1933.
-------------------------
Jeanne CARAYON.
A Vérigny, lorsque Jeanne me
parlait, seul comptait vraiment Céline. " Je l'ai connu
pendant la période 1928-1934, avant la période tragique.
" " Il ne se livrait pas volontiers. " " Moi je suis
familier, je ne suis pas intime. " Il était très gai
et très pessimiste ", son regard " plein de malice
espiègle " devenait celui d'un visionnaire quand il
était obsédé. "
" Je vois l'endroit de la pièce où il m'a dit : " Je ferai naufrage...
j'irai en prison. " " L'obsession de la mort, ça
commençait avec moi, oui... " Hygiéniste toujours il lui
recommandait de promener son bébé en landau dans les
allées du cimetière des Batignolles mais il ajoutait que
lui-même n'y allait pas " à cause de cette petite
odeur... "
Autres traits marquants, la
frugalité de Céline : " ceux qui mangent deux fois
par jour, c'est des goulus ", sa phobie de l'alcool
: " non mon petit on ne me tiendra jamais par là
" et " son obsession de l'argent venant de sa peur de
manquer ". Jeanne relève une apparente contradiction : "
par contre il avait des clients gratuits, dont le
concierge, dont moi " et cite Montherlant : " l'homme
est un tissu de contradictions et d'incohérences ".
Interrogé sur la raison de ses débuts d'écrivain, il répondait : "
l'argent ". Jeanne y voit plutôt l'expression d'une
" fonction naturelle " ou comme l'a dit simplement
Céline : " j'écris comme je fais caca ". Elle a
toujours entendu dire que la rédaction de Voyage au
bout de la nuit n'a pas duré moins de quatre ans,
sans d'ailleurs de mention de L'Eglise. " Il
travaillait aussi la nuit. A la fin, il était ascétique,
dépourvu de sa substance. "
Mais les années passant, est venue
une " obsession des Juifs ". Il n'a attaqué les Juifs
que puissants. Il s'est tu quand ils sont devenus
persécutés " m'a dit Jeanne lors de l'entretien. Dans la
lettre du 6 décembre 1979 dont les lignes suivent, elle
reviendra sur le sujet suite au renouvellement de ma
question.
" Il y a dans Montherlant, que Céline " n'a pas lu ", la clé de cet
antisémitisme. C'est le " tout vient des êtres " tiré
d'un chapitre du Songe, mais la formule revient
dans l'œuvre. Elizabeth
Craig a été " soufflée " à Céline (il me l'a dit)
par un Juif. C'est un médecin juif (d'origine polonaise,
je crois) qui l'a " sorti du dispensaire " de la
rue
Fanny,
à Clichy (il me l'a dit encore). Ce qu'on a appelé sa
démission ne fut qu'une formalité quasi forcée. Ce n'est
qu'après ces faits que l'antisémitisme a pris chez lui
une allure forcenée. Quand je l'ai connu, en 1928, il
n'apparaissait jamais dans ses propos. "
Le dernier temps de l'entretien
est consacré au travail de la " secrétaire " de
Voyage au bout de la nuit. Face à moi Jeanne Carayon
conçoit la vie " comme un poème... C'était bien naturel
qu'il m'apporte son manuscrit ". Elle est " la première
lectrice après la Vitruve ", c'est le nom que
donne Céline à madame Chenevier à qui Jeanne va dicter
le manuscrit. " Puis ce sera madame Duguay, la dactylo
de Marie Canavaggia, qui est morte. "
Lorsque Céline lui lit son texte dactylographié, elle a l'impression
qu'il tient toute la pièce. Jeanne représente " la
grammaire ". C'est ainsi qu'elle fut annoncée chez
Denoël : " Elle sait la grammaire ". Elle-même
fait un rapprochement avec Auguste Destouches ; ce que
son petit-fils éprouvait envers lui " ce n'était pas
du respect, mais une révérence pour la grammaire ".
Elle se lève pour aller chercher le dictionnaire qu'elle utilisait alors,
La vie étrange de l'argot de Chautard, Denoël et
Steele 1931. Céline lui " expliquait avec simplicité les
mots crus, et non pas grivois du Voyage ". Elle
établit une différence entre Mort à crédit et
Voyage " où les mots d'argot étaient éclairés par le
contexte ". " C'est ce qu'il faut " a dit Céline.
Jeanne Carayon par Charlotte Musson (Musée
Elise Rieuf).
Lorsqu'il lui apporte les épreuves
de Voyage, il étreint la jeune femme. C'est un
geste qu'il renouvellera à Saint-Germain-en-Laye
lorsqu'ils se rencontreront juste avant la déclaration
de guerre et qu'il évoquera " le péril jaune ".
Là, les " typos " ont corrigé d'eux-mêmes le texte
original. Le docteur est " compositeur de musique,
c'était sa vocation ". " Mon petit je ne veux pas
qu'on touche à ma musique. " Son travail de
relecture et de correction, Jeanne le qualifie d' "
effrayant ". " Je suis tombée malade après. On a dû
refaire le livre. "
Le 7 décembre 1932, jour du Goncourt, écrivain et secrétaire se
retrouvent chez Denoël rue Amélie après l'annonce du
résultat. Personne n'avait prévu l'échec. Pour Robert
Denoël, Céline allait remporter le prix, " c'était dans
le sac ". Céline saisit Jeanne par le poignet : " Ne
me laissez pas seul ". Rue Lepic, il lui montre les
dessins de Colette, " une enfant élevée par sa mère
". A ses côtés " il s'assied sur le divan, pose la tête
sur ses genoux, dort ".
Les derniers mots de notre
entretien sont pour les enfants, les petits comme Michel
ou les " très jeunes filles du pensionnat " que Céline
soignait, ou encore sa fille " profondément aimée ".
Jeanne m'écrira douze fois entre 1976 et 1981, toujours avec le souci de
me " dire " Céline.
Lettre du
lundi 21 mars 1977.
J'ai été très sensible à votre
lettre, à la pensée que vous avez eue pour ma tristesse
en apprenant la mort de Marie Canavaggia. C'est le 4
octobre de l'année écoulée qu'une lettre de ses deux sœurs
m'en a apporté la nouvelle. C'est tout près de chez
elle, à un carrefour du boulevard de Port-Royal, que
Marie a été renversée par une voiture de livraison,
emportée sans connaissance à l'hôpital Cochin où elle
s'est éteinte après neuf jours passés dans le coma.
Vous garderez le souvenir de la visite que vous lui avez faite. Les deux
mots que vous employez, " sensible et discrète "
conviennent à l'amie qu'elle fut si longtemps pour moi.
Elle fut une traductrice remarquablement douée. J'ai
parfois pensé que certains auteurs avaient gagné en
passant par sa plume. C'est moi qui avais envoyé Céline
chez elle quand je suis partie pour l'Amérique. Lui-même
m'en a exprimé un jour toute sa satisfaction. Elle a été
fidèle en un temps où c'était parfois dangereux. Nous ne
passions guère de semaines sans nous téléphoner. Je ne
m'habitue pas à ce silence glacé des morts.
Pour Nord, j'ai corrigé à
la place de Marie les épreuves de la collection Folio
(Gallimard) qui ont eu pour texte de base l'édition de
la collection Blanche de 1964. J'ai signalé certaines
fautes qui m'ont paru indiscutables et que
l'auteur aurait certainement accepté de corriger. Je
sais qu'elles ont été soumises à Mme Lucette Almanzor et
à l'exécuteur testamentaire et les corrections acceptées
pour la plupart.
En consultant mon carnet de travail je vois que j'ai rendu les
épreuves à la fin de la première semaine de septembre
76. Je regrette de n'avoir pas à ma disposition un
exemplaire Folio pour vous l'envoyer - et je ne compte
pas me rendre tout de suite à Paris.
(Jeanne Carayon (1903-1985), par Marie Alchamolac, Année Céline 2006,
Du Lérot éditeur).
------------------------
1925- Mlle PALLAS.
" Elle avait 12, 13 ans, sa
maman qui avait un certain sens de l'existence, l'amena
au dispensaire consulter le docteur Destouches :
- Docteur, que pensez-vous de ma fille ? Belle, n'est-ce pas ?
- Certainement, madame ! belle !... certainement !...
- Je voudrais qu'elle soit putain !...
- Certainement, madame ! certainement !...
- Alors, j'ai pensé que vous pourriez lui rendre " le petit service " et
que vous la présenteriez ensuite à des messieurs bien...
Abasourdi, il se récusa poliment. Trouille vache du chantage. Police des
mœurs et conseil de
l'ordre... "
Il la recommandera cinq ans plus tard à Mahé comme modèle : " Elle a 18
ans maintenant. Elle ne baise qu'au comptant. [...] Elle
pose pour le nichon. " (Lettre à H. Mahé).
(La Brinquebale avec Céline, in Céline, E. Brami, 2003).
----------------------------
1923 - Blanchette
FERMON.
" Une des rares filles qui aient
compris mon immense lyrisme... peut-être la seule.
(Lettre à Blanchette Fermon, 27 avril 1927, Tout Céline 3, 1987)
" Grande belle, pourquoi ces
larmes ? Il faut vivre. Courage ! Expier est toujours
une tristesse, nous ne savons pas convenir de nos
fautes. Nous voulons trop et pas assez. Ainsi passe la
jeunesse, inutile et ridicule chez la plupart d'entre
nous.
Chez moi. [...] Vous êtes, Blanchette, une grande, belle et bonne
créature. Vous auriez mérité le bonheur si vous aviez
été très riche. Tout est là voyez-vous... "
(Lettre à Blanchette Fermon, 28 juillet 1924, Tout Céline 2, 1983).
" De la " grande et belle "
Blanchette Fermon, qui avait compris " l'immense lyrisme
" de Destouches, nous ne connaissons ni le nom de jeune
fille ni la date de naissance. Fut-elle une amie de
Simone Saintu ou de Francis Varrèdes ? Entre 1924 et
1925, Destouches lui écrit six lettres, de Talloires et
de Washington, de New York et de Genève. Elle semble
appartenir au monde du spectacle, a une jeune fille de
bas âge, des problèmes financiers, n'est pas heureuse,
ressasse des échecs, fait des reproches à Destouches qui
lui écrit le 10 mai 1925 : " Ta lettre est bien amère,
bien dure aussi. Crois-tu donc encore que les gens
heureux, ça existe. J'ai connu quelques huîtres qui
avaient l'air heureuses. Quant aux hommes mon Dieu ! Que
vas-tu faire ? J'irai voir cela à Paris - bientôt dès
les premiers jours du mois prochain. J'espère que tu
seras toujours vierge. Quant à ma sentimentalité, mon
chéri, elle est bien plus rare que tu le penses. Les
voyages tu sais, c'est encore une autre illusion. C'est
un procédé littéraire. C'est le paradis des imbéciles
disait un homme qui s'y connaissait. A bientôt - et puis
sois gentille. Embrasse la petite poupée, c'est une
mignonne. "
(Eric Mazet, Céline et les femmes, Spécial Céline n° 19, hiver 2016, p.
64).
------------------------
1922 - Maria LE BANNIER.
Maîtresse officielle de son
beau-père Athanase Follet. A Rennes, ils se partageront
ses faveurs.
Germaine
THOMAS.
Femme d'un confrère
rencontrée en Bretagne. Il ira la rejoindre de temps à
autre lorsqu'elle se retirera à Pau, il en profite pour
visiter les " Bobi " (bobinards) de la région.
(F. Gibault, Céline 3, in Céline, E. Brami, 2003, p.331).
------------------------
Edith
FOLLET.
(...) La Fondation
Rockefeller, qui était dotée de moyens financiers
considérables, avait en effet décidé, peu avant,
d'envoyer en France une mission pour lutter contre la
tuberculose - fléau qui paraissait alarmant chez nous.
Le Dr Follet, le futur beau-père de Céline qui présidait
le Comité départemental d'Ille-et-Vilaine de lutte
contre la tuberculose, avait obtenu que les premières
équipes de la mission fussent envoyées en Bretagne.
Elles y arrivèrent en mars 1918.
Mais avant de sillonner la Bretagne, Louis, comme les autres
collaborateurs de la Mission-Rockefeller, ne manqua pas
d'être reçu fort chaleureusement par les notables de
Rennes. En particulier par le Dr Follet.
Edith Follet, sa fille, fut frappée par ce
garçon un peu sauvage, aux yeux bleus d'un éclat assez
extraordinaire, impeccablement sanglé dans son uniforme
américain de la Mission-Rockefeller. Sans doute
témoignait-il déjà de ces dons exceptionnels de conteur
que ses proches se plurent unanimement à souligner. Tous
pouvaient rester des heures sous le charme de sa parole
précipitée et insolite, de sa faculté de jouer tous les
rôles de ses histoires, avec une ironie et une lucidité
terribles et cocasses, et d'entraîner ses auditeurs dans
des aventures et des réflexions hallucinantes et justes.

Née en 1899, Edith Follet venait d'avoir dix-neuf ans. Et, de son côté,
Louis avait dû être séduit par la grâce et la douceur
de cette jeune bourgeoise. Bref, ce fut entre eux, comme
on dit, le coup de foudre.
La guerre s'achevait. Le 11 novembre, jour de l'armistice, la
mission se trouva à Dinan. Elle y partagea la liesse de
la population. Le 3 décembre,
Louis donna sa dernière conférence de l'année à
Lamballe. La mission partit ensuite pour le Morbihan et
la Loire-Inférieure, mais Louis préféra retourner à
Rennes. Pour revoir Edith Follet bien sûr, mais aussi
pour préparer son baccalauréat. Il
était devenu ambitieux, avide d'instruction sinon de
diplômes. Et puis son activité de conférencier lui avait
confirmé son goût pour la médecine.
Par chance, les anciens combattants avaient le privilège de n'être
interrogés au bachot que sur un programme réduit, et par
épreuves orales uniquement.
A la fin du mois de mars, Louis Destouches rejoignit la Mission
Rockefeller à Bordeaux, et c'est là qu'il passa, avec la
mention " bien ", la première partie de son bac. Notons
qu'il fut interrogé, en français, sur les Pensées
de Pascal. Sa deuxième partie, section philosophie,
c'est encore à Bordeaux qu'il la réussit, avec la même
mention " bien ", le 2 juillet suivant...
Désormais bachelier, amoureux de
la fille d'un notable de province, Louis Destouches
n'avait plus d'autre solution, semble-t-il, que de se
fixer et de trouver son rang - le plus élevé
possible - dans l'échelle sociale.
Le 19 août 1919, à Quintin, dans les Côtes-du-Nord, où résidait une vague
cousine germaine des Follet, Louis Destouches épousa
Edith. Le mariage n'avait pas été célébré à Rennes, pour
fuir toutes mondanités.
Mais qu'est-ce qui avait bien pu pousser Athanase Follet à donner sa
fille en mariage à Louis Destouches ? Il n'ignorait rien
de son mariage - illégal - à Londres. Louis n'avait pas
de situation . Il n'avait pas d'argent. Il n'avait pas
fait d'études supérieures. Fernand Destouches l'avait
mis loyalement au courant de toutes les frasques de son
fils. Alors ? Certes, Edith l'aimait - et c'était déjà
une bonne raison. Follet avait pu aussi apprécier
l'intelligence et la forte personnalité de son futur
gendre... Mais surtout, Louis était le neveu du
secrétaire de la faculté de médecine de Paris, Georges
Destouches.
Athanase Follet était ambitieux, lui aussi. Il espérait que
l'intervention de Georges Destouches lui permettrait de
décrocher le poste de directeur de l'Ecole de médecine
de Rennes. Espérance récompensée : il l'obtint après le
mariage !
Louis, de son côté, s'apprêtait à faire sa médecine. Le Dr Follet
et sa femme s'engageaient par contrat à verser une
pension aux nouveaux mariés durant la durée des études
de Louis.
Après avoir réussi ses trois premiers examens, Louis Destouches partit
pour Paris au cours du troisième trimestre de l'année
1922. Il y fit un stage à la maternité Tarnier, dans le
service du professeur Brindeau. Surtout, il quitta
l'école de médecine de Rennes qui n'avait plus
compétence pour enseigner au-delà de ce niveau, et
s'inscrivit à la faculté de
médecine de Paris. C'est là qu'il réussit son cinquième
examen en mai et juin 1923. Le 19 octobre, il reçut
l'autorisation d'exercer la médecine avant la soutenance
de thèse. C'était à l'époque une pratique assez
courante.
Céline, qui avait assuré à Rennes, durant l'été, une série de
remplacements médicaux, regagna Paris en novembre 1923.
Edith vint le rejoindre. Ils s'installèrent en meublé.
(...) Le 1er mai 1924, il soutint cette thèse devant les professeurs
Brindeau et Follet, et le professeur Gunn de la
Fondation Rockefeller. La mention " très bien " lui fut
accordée par ce jury dont chacun des membres le
connaissait personnellement.
Docteur en médecine, il aurait pu s'installer à Rennes, retrouver le
confort et la sécurité paisibles d'une vie domestique et
bourgeoise, et espérer reprendre un jour la clientèle de
son beau-père... Il n'y songea pas une seconde.
La recherche médicale ne cessait de l'intéresser. Allait-il entrer à
l'Institut Pasteur ? Sans doute l'aurait-il fait si un
stage rapide accompli en novembre 1923 n'avait achevé de
le dégoûter de cette morne entreprise bureaucratique
qu'il peignit, dans le Voyage, sous le nom
d'Institut Bioduret Joseph. Les professeurs Emile Roux
et Serge Métalnikov qu'il y avait
rencontrés se reconnurent plus tard dans ce roman sous
les traits de Jaunisset et de Parapine.
(...) Louis restait un hygiéniste
de goût et de formation (sa thèse en apportait une
preuve supplémentaire) - un hygiéniste qui aurait gardé
la nostalgie des départs. Pouvait-il rêver mieux qu'un
poste à la Société des Nations à Genève avec ses
promesses de nombreuses missions.
Le professeur Gunn l'avait mis en rapport avec le Dr Ludwig Rajchman qui
s'occupait précisément de l'organisme international
d'hygiène de la SDN. Sa candidature fut retenue. A la
fin juin, Céline était à Genève. Il était convenu que sa
femme et sa fille le rejoindraient plus tard.
(...) Céline, tout d'abord, ne quitta guère Genève. Il s'installa dans un
hôtel du bord du lac. Sa femme, plusieurs fois, vint le
retrouver - mais pour de brèves périodes. Manifestement,
elle était de trop - et Louis le lui fit bien sentir. Il
ne voulait plus renoncer à son indépendance...
(Frédéric
Vitoux, La vie de Céline, Les dossiers Belfond, 1978).
--------------------------
Simone SAINTU
Simone SAINTU était une
amie d'enfance. Il l'avait rencontrée en 1904, à une
audition de piano chez leur professeur commun.
Il l'avait retrouvée lors de séjours à Paris à son retour de Londres.
Il va entretenir avec elle une
longue et régulière correspondance durant ses 10 mois en
Afrique. De mai 1916 à mars 1917.
Extrait de 2 de ces lettres...
Le Havre [, fin avril-début mai 1916.]
Chère Amie,
Mon départ précipité
et peu correct vous a sans doute surprise, si toutefois
je puis vous surprendre encore. Tout, mes décisions et
mes gestes sont fantasques.
Toutefois, en l'occurrence, ma " volition " n'y fut pour rien et
c'est à un fait indépendant de ma volonté que je dois
d'avoir été privé de vous faire mes adieux ainsi qu'à
votre famille -
" Encore quelques minutes et j'aurai quitté la France " peut-être pour
toujours - ce genre d'incident est exploité à l'excès
depuis
de longs siècles, beaucoup mieux que je ne pourrais le
faire, par la sentimentalité romancière - aussi
prudemment m'abstiendrai-je - Je verrai sans frémir " la
terre de France se confondre avec l'horizon " et devant
ce spectacle mes yeux resteront d'une sécheresse
saharienne - j'ai de longue date l'habitude d'une sage
contention de sentiments et je n'avouerai devant tant de
beauté qu'une faiblesse, c'est celle qui m'est causée
par la distance qui nous sépare, et qui malheureusement
s'accroîtra encore.
Peu communicatif de nature je m'étais lié avec vous d'une amitié qu'avec
votre consentement je tiens à conserver. J'ai appris à
estimer chez vous en peu de temps des qualités qui,
rares chez les hommes, sont presque inconnues chez les
femmes, et doivent constituer pour celle qui les possède
un gage certain de bonheur, c'est ce que je vous
souhaite de tout mon cœur -
ma chère Simone, et vous prie d'agréer par cette lettre
l'expression d'une amitié à toute épreuve. Vous voudrez
bien vous faire l'interprète de mes excuses auprès de
vos parents ainsi que de mes hommages -
Sur ce, sans aller comme la feuille, où le vent me pousse, je poursuis la
route que ma fantaisie m'a tracée, s'il faut croire la
chanson, c'est un divin mensonge.
Bien sincèrement
Louis.
***
Le 24 Décembre 1916
Oh ! Tannenbaum. Oh ! Tann...
Ma petite Simone,
C'est ce soir que naquit il
y a 1916 ans le petit noël, dans sa case de Betléhem -
Figurez-vous que, ce matin, j'ai reçu de France de curieuses nouvelles -
J'entretiens, comme vous savez, des relations d'écrits avec
quelques jeunes filles, en tout bien tout honneur.
Ça les amuse ces petites,
jusqu'au jour où leur petit cœur
s'accroche quelque part - de ce jour on me laisse "
tomber " - je le sais, je ne m'en affecte pas, je ne
leur en veux point, c'est dans l'ordre -
Je me cantonne dans mon rôle d'intérimaire, j'aide à attendre
- ainsi, je ne cultive pas, ne me prépare pas de haines,
tout au plus, pour certains esprits superficiels (!),
ai-je l'air un tantinet ridicule, mais c'est encore là
le plus petit de mes soucis -
Quelques-unes de ces petites sont intelligentes, parfois
romantiques - elles aiment à donner à cette
correspondance un air clandestin, je m'y prête comme
vous pensez d'excellente grâce. Quant aux autres, elles
m'adressent des petites cartes postales couvertes d'une
écriture menue, soumise je l'imagine à une paternelle
censure - ce sont de ces gentilles petites filles dont
il [est] convenu de dire " qu'elles sont gentilles,
qu'elles aiment bien leur maman " - Il ne faut
d'ailleurs accorder à toutes ces manifestations qu'une
crédulité restreinte, plusieurs épouseurs de mes amis
m'ayant confié que ces jeunes demoiselles constituaient
des petites femmes qui se révèlent après leur mariage
d'une exigence stupéfiante à tous points de vue -
L'une d'elles, disais-je donc, était une jeune, toute jeune blonde,
abondante, fraîche, jolie, un véritable amour pour
sacristie -
Au temps où je n'étais pas le précoce désabusé que je suis devenu,
elle me faisait je l'avoue de l'impression. Tant
d'impression qu'un jour elle me tapa, elle n'a
d'ailleurs jamais cessé depuis de me taper -et cela il y
aura quelque 4 ans - D'une excellente famille, je me
prêtais avec plaisir à ces petites exigences, d'ailleurs
convenablement espacées et modestes rassurez-vous - Je
lui fis néanmoins, par lettre, quelques remontrances que
je jugeai nécessaires sinon inutiles [pour utiles],
sur le genre de vie approprié à l'avenir qu'elle était
appelée à avoir, qu'il convenait qu'elle menât -
Je n'en entendis plus parler pendant quelques jours, lorsque ce
matin, dans le tréfonds de la plus noire Afrique - je
reçois une lettre de la Supérieure d'un couvent,
m'avertissant que Mlle [
], à la suite d'une tentative de parricide, venait de
prendre le voile -
Les petites révélations de ce genre vous font tout de même quelque
chose - Je n'aurais malgré tout pas cru cela d'un ange
aussi blond -
Noël est ma petite Simone un beau jour, il s'en dégage
une lente odeur d'encens -
Vôtre
Louis
(Lettres, Pléiade, Gallimard,
2009).
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Alice
DAVID.
Elle était née en 1874 dans le milieu bourgeois et
antirépublicain d'Hazebrouck où son père était le
directeur d'un journal local, qui existe toujours, et
qui s'appelle L'indicateur des Flandres. Elle
était l'avant-dernière d'une famille de neuf enfants,
une famille très marquée par le catholicisme, puisque
sur ces neuf enfants, trois filles furent religieuses et
un des deux fils fut prêtre. Elevée dans cette ambiance,
Alice devint infirmière. Elle ne se maria point, vécut
auprès de ses parents jusqu'à leur mort, en 1913, puis
auprès de sa sœur aînée et finalement auprès de son
frère Maurice, prêtre, chanoine, et professeur à la
Faculté catholique de Lille, ville où elle mourut en
1943.
En raison de ses compétences, elle était affectée
particulièrement aux soins à donner aux " gros blessés "
et exerçait également comme anesthésiste au bloc
opératoire. C'est donc cette femme qui, en novembre
1914, âgée alors de quarante ans, s'éprit du fringant
cuirassier Destouches, âgé, lui, de vingt ans, ce qui
donna lieu, après le départ de celui-ci pour le
Val-de-Grâce, à un échange de correspondance dont il
nous reste sept lettres d'Alice, et qui s'étend du 29
décembre 1914 au 24 mars 1916.
Ce
que l'on note, c'est qu'elle y exprime un net penchant
amoureux pour le jeune cuirassier et qu'elle se plaint à
demi-mots de ne pas lui voir exprimer les mêmes
sentiments en retour. Elle exprime son amour sur le ton
d'une grande fraternité sentimentale : " J'ai eu ma
grande part de peine cette année, mais j'ai eu aussi le
grand bonheur de trouver un frère très aimant. Pourquoi
faut-il toujours être séparés ? " écrit elle dans sa
première lettre. Les lettres qu'elle adresse à celui
qu'elle appelle " Mon Grand ", " Mon cher Grand ", " mon
grand frère chéri " et une fois " mon chéri ", baignent
souvent dans une sentimentalité à tonalité religieuse.
Ainsi elle lui écrit qu'elle va prier pour que la
nouvelle opération qu'il subit au Val-de-Grâce se passe
bien et elle l'invite à en faire autant : " J'ai
grande confiance d'être exaucée. D'autant plus que vous
aussi récitez parfois un bon Ave le soir. Mon Grand vous
me faites bien plaisir, voulez-vous m'en faire un plus
grand encore, récitez-en un chaque soir. "
Apparemment, et aussi surprenant que cela puisse nous
paraître maintenant avec ce que nous savons de Céline,
le jeune Destouches pouvait céder lui aussi à une
certaine sentimentalité puisqu'elle ajoute dans la même
lettre - du 9 février 1915 " Pourquoi avez-vous
pleuré en terminant votre lettre ? Naturellement j'ai
fait la même chose en la lisant, je souffre tant de la
peine de mon grand Louis. " (...) Toujours est-il
que ce ton sentimental est exactement le ton que Céline
dira par la suite détester absolument dans son rapport
avec les femmes. C'est ce ton qu'il prête dès Voyage
à Lola pour dire combien il s'en méfie : " Pour Lola,
la France demeurait une espèce d'entité chevaleresque,
aux contours peu définis dans l'espace et le temps, mais
en ce moment dangereusement blessée et à cause de cela
même très excitante. Moi, quand on me parlait de la
France, je pensais irrésistiblement à mes tripes, alors
forcément, j'étais beaucoup plus réservé pour ce qui
concernait l'enthousiasme. Chacun sa terreur. Cependant
comme elle était complaisante au sexe, je l'écoutais
sans jamais la contredire. Mais question d'âme je ne la
contentais guère. [...] Elle me tracassait avec les
choses de l'âme, elle en avait plein la bouche. " (Voyage p.52).
(Pierre-Marie MIROUX).
---------------------
Suzanne NEBOUT
Dans quelles circonstances Louis Destouches a-t-il
fait la connaissance de Suzanne Nebout ? Lors d'une de
ses sorties dans les bars louches de Soho, où elle
dansait pour un public masculin avide de plaisir, comme
le suggère ce passage de Féerie ?
" L'une brune et ces lèvres !... Marie-Louise !
souplesse et nerveuse, l'épaule, tout ! gitane
presque... des hanches bouleversantes j'ose dire...
Janine rousse... quand elles dansaient au Ciros, elles
valsaient ensemble, c'est simple les guéridons
voguaient... les émotions des clubmen ! les verres tout
éclats !... et les bouteilles ! "
(Féerie, Romans IV, p.76-77).
Le
témoignage capital de Mme Destouches qui a confié à
Frédéric Vitoux les souvenirs de sa belle-mère
Marguerite Destouches et les confidences de Céline,
corrobore ce passage :
"
Suzanne Nebout était plus ou moins danseuse et
entraîneuse. Elle était française et avait une sœur. Ce
mariage devait leur être utile pour pouvoir rester en
Angleterre, pour des questions de papiers d'identité.
Toutes les deux étaient gentilles avec Louis. Il aurait
bien épousé les deux, il était amoureux des deux sœurs !
Elles s'étaient occupées de lui, il vivait dans leur
milieu de maquereaux, etc. Elles le couvraient d'argent.
Elles voulaient lui payer ses études, elles voulaient le
garder. " Tu feras tout ce que tu voudras, tu n'auras
rien à faire qu'à étudier. " Mais c'était absolument
contraire à son tempérament ".
(F. Vitoux, La vie de Céline, Folio, p.162-163).
Aucun
indice à ce jour ne permet d'identifier le nom du
bar fréquenté par les sœurs Nebout : mais il y a fort à
parier que le Ciros avait pignon sur rue aux environs
d'Oxford Street : Suzanne Nebout, " célibataire
", y était domiciliée en janvier 1916 au n° 475. Quant à
l'énigme de leurs prénoms, comme le suggère une lettre
adressée du Danemark à Georges Geoffroy et datée du 27
octobre 1947, Janine et Marie-Louise n'étaient rien de
moins que les surnoms d'usage des deux danseuses :
" Tu sais que j'ai rencontré il y a quelques années
Marie-Louise la sœur de Janine à Montmartre. "
(Romans 3, p.978).
En
effet, Janine Nevers et Marie-Louise Tardy, de leurs
vrais noms Suzanne Germaine et Henriette Anne Nebout ont
laissé des traces dans les archives britanniques et
françaises...
[...]
Suivirent, à peine un an et demi après son débarquement
en Angleterre la rencontre de Suzanne et de Louis
Destouches, et leur mariage célébré le 19 janvier 1916
devant l'officier du Register Office du district
de Saint-Martin : elle se dit célibataire, 24 ans,
domiciliée 475, Oxford Street à Londres et fille d'un
fonctionnaire français - c'est fort douteux, on l'a vu -
Henri-Etienne Nebout, décédé. Il a 21 ans, se dit
lieutenant du 12e cuirassier, célibataire, fils de
Ferdinand Auguste des Touches, secrétaire de
direction d'une compagnie d'assurance, demeure à Soho, 4
Leicester Street et signe Louis Ferdinand des
Touches.
Ce mariage civil est enregistré sous le n° 200, en présence des témoins
Carolina Ode et Edouard Bénédictus, et sans doute
d'autres amis et connaissances comme Léon Leyritz. Cet
acte a-t-il été motivé par les tracas de
l'administration britannique, comme semble l'avoir
suggéré Céline à Mme Destouches ?
Outre le fait que le mariage de deux étrangers sur le sol
britannique ne leur accordait aucun droit de séjour, et
encore moins à leur proches parents, cet acte avait
toutefois l'avantage d'établir l'identité et la
domiciliation de Suzanne et Louis de manière
incontestable pour faire valoir, plus tard, leurs droits
d'anciens résidents. Valide selon la loi britannique,
cet acte de mariage n'a pas été communiqué à l'officier
consulaire français, d'où une suspicion de nullité du
point de vue de la loi française, ce qui semble, par la
suite, avoir bien arrangé les choses...
(1)
La
rupture qui suit de près leur mariage est tout aussi
délicate à interpréter que ses motivations. Les faits
sont bien établis par le témoignage de Henriette Nebout
consigné en 1923 dans les archives britanniques : Louis
Destouches quitta Suzanne Nebout après quelques jours de
vie commune, trois jours seulement si on en croit la
confidence à Henri Mahé :
"
Ecoute Kiki !... Blessé en 14, je me suis retrouvé à
Londres, 2ième Bureau... J'ai fait la connaissance d'une
putain... Je l'ai épousée... Trois jours après je
barrais en Afrique, pleine forêt vierge... Avis !...
" (2)
Henri
Godard a retrouvé et signalé dans la correspondance de
Céline maintes allusions indirectes à cette expérience,
notamment ce demi-aveu à Albert Paraz :
"
J'avais tout pour être maquereau. Je refusais du
monde à Londres. J'étais riche à 25 ans si j'avais
voulu, et considéré - un monsieur aujourd'hui ".
(3)
Son départ pour le Cameroun, via Paris, Le Havre,
Londres et Liverpool, est un évènement dont le
déroulement et les raisons complexes nous échappent
encore, d'autant que l'illusion rétrospective de la
reconstruction biographique a tendance à l'inscrire dans
un réflexe continuel de fuite. Sans aller jusqu'à
retenir la thèse de
l'implication dans un trafic de
drogue ou de contrebande, le réformé définitif n° 2
Destouches était-il vraiment " en délicatesse avec
les gens du Consulat " et la police anglaise, comme
le suggère la lecture de Guignol's band ?
Depuis le début de l'année 1916, l'opinion et les journaux anglais
s'attaquaient aux " déserteurs français d'âge
militaire habitant l'Angleterre et les accusaient de
voler le travail des anglais " : des pressions
ont-elles été exercées pour précipiter son départ ? Son
mariage avec une " fille " établie depuis près de deux
ans dans le Milieu lui a peut-être valu des menaces
sérieuses de la part de l'ancien protecteur de la "
brune " Suzanne, ce colonel anglais qui l'aurait
entretenue " en dehors de toute relation de parenté
", d'après le témoignage tardif de Georges Geoffroy.
(3) Cela
expliquerait la réaction et la mise en garde adressée à
Henri Mahé, et le regret qu'exprimait Céline à Geoffroy
en 1947, " on aurait dû rester là-bas... se
défendre... ", alors que les lettres d'Afrique
attestent au contraire les efforts déployés par cet ami
pour l'empêcher de partir à l'aventure. Dans Féerie,
le souvenir de cette rupture donne lieu à un paragraphe
empreint de nostalgie :
" Je les avais quittées Leicester Square...
abandonnées sa sœur et elle... Je vois encore l'arbre,
le banc, les fleurs... les piafs... les myosotis, les
géraniums... c'est en plein Londres vous connaissez ?...
en détresse là, orphelines d'homme... "
(Romans 4, p. 76).
Le 10 mai 1916, quatre mois à peine après son mariage,
Louis Destouches embarquait à Liverpool sur le R.M.S.
Accra en partance pour Douala. D'après Henriette
Nebout, Suzanne, qui avait eu connaissance du départ de
son époux pour le " Congo [...] n'entendit plus
jamais parler de lui ". Etait-ce uniquement dans
l'intention d'obtenir de ses nouvelles qu'elle se rendit
ensuite à Paris, rue Marsollier, fixer " ses très
beaux et grands yeux noirs " sur ses beaux-parents
en se présentant : " Nous sommes mariés " ? (Fr.
Gibault, Céline I, p.169).
La scène très théâtrale qui s'ensuivit dut s'achever par d'âpres
négociations... car peu après son retour à Londres, en
août 1916, celle qui signait désormais Suzanne
Germaine des Touches était assez fortunée pour faire
l'acquisition dans le quartier de Marylebone d'un petit
hôtel. (4)
Sis au 44, Manchester Street, cet
immeuble de rapport victorien était composé de trois
étages, au moins trois chambres dont Janine s'occupait
personnellement des pensionnaires avec sa sœur
Marie-Louise Tardy, qualifiée de " secrétaire ".
Louis Destouches qui semble avoir séjourné en Angleterre durant une
période indéterminée à son retour d'Afrique, entre le
1er mai 1917 date de son débarquement à Liverpool et
septembre-octobre 1917, époque de son retour rue
Marsollier et de son embauche par la revue Euréka,
a sans doute eu connaissance des nouvelles affaires des
sœurs Nebout, qu'il a pu revoir...
(5)
[...]
Au début du printemps 1922, son état de santé se
dégrada. Malade, elle fut envoyée à l'étranger, en
Hollande, et dut vendre le 12 mai 1922 le petit hôtel et
le mobilier du 44, Manchester Street à une française,
Zoé Delamare, pour 1920 livres. Un mois plus tard,
elle quittait la Hollande pour poursuivre sa
convalescence en Allemagne, à Aix-la-Chapelle. La malade
dicta le 18 août à un notaire d'Aix, Me Bicheroux, un
nouveau testament qui révoquait celui déposé à Londres
quatre ans auparavant, et qu'elle fit remettre sous
enveloppe scellée à son notaire anglais, John Joshua
Hands, par lequel elle le nommait exécuteur de ses
dernières volontés, et donnait la garde de sa fille et
unique héritière de ses biens à sa sœur Henriette Nebout.
Le 17 septembre 1922, Suzanne Germaine Nebout succombait de cette maladie
au Luisenhospital d'Aix-la-Chapelle ; elle n'avait pas
31 ans. Louis Destouches, qui ignorait sans doute tout
du mal qui minait depuis quelques mois son ex-épouse,
après des vacances à Saint-Malo, se trouvait alors entre
deux examens à l'Ecole de médecine de Rennes...
Dans
quelles circonstances Céline apprit-il la triste
destinée de Suzanne ? Henriette lui aurait-elle fait
part de la maladie et de la disparition de sa sœur dès
cette époque ? Lors de leur rencontre fortuite, à Paris,
peu avant son départ en 1944, Louis semblait déjà bien
informé :
" Tenez presque chaque minuit je revois ma
belle-sœur... les circonstances... c'est la difficulté
de la vie de sortir les choses du hasard... de
démêler... Je l'avais pas revue ma belle-sœur depuis des
années... et quelques jours avant qu'on parte, donc
début juin, les Alliés déjà à Rouen... 44... [...] Je
remontais la rue Ravignan je m'entends appeler, héler
!... voilà ce que j'aime pas !... je me retourne.
- Marie-Louise !
Ah ! que je fais : toi ! on s'embrasse... J'aurais voulu
que vous l'entendiez ! ça venait du cœur... tout de
suite au but ! comme pressée de ce qu'elle voulait me
dire... elle était au courant un peu... enfin le
principal.
- Ah, tu serais resté avec nous !...
Elle évoquait Londres fin 17...
- Tu vois Louis... tu vois !...
Les reproches... et les larmes... mon nom intime : Louis.
- Janine serait pas morte !
(Féerie I, Romans 4, p.76).
(1)
Informé plus tard par
Fernand Destouches des frasques de Louis, le docteur
Follet aurait pris la peine de vérifier à Londres que
son gendre n'était pas déjà marié au regard de la loi
française (Céline I, p.222). F. Vitoux rappelle
justement que pour la loi anglaise, en 1919 Céline était
tout simplement bigame (La vie de Céline, p.162).
(2) Extrait de la première version de la Brinquebale
avec Céline d'Henri Mahé, publié par Eric Mazet dans "
31 " Cité d'Antin, p.70-71.
(3) Ce témoignage cité par Henri Godard, a été publié
par l'hebdomadaire Minute le 20 mars 1964 (Romans 3,
p.979 note 4). Ce colonel anglais a pu inspirer le
personnage de l'oncle de Virginie, le colonel J.F.
O'Collogham, dans Guignol's band.
(4) Private Hotel : ces hôtels de premier ordre
n'avaient pas de patente pour débiter des spiritueux.
Sous ce nom se cachaient aussi des pensions bon marché.
(5) Ce qui expliquerait la date du départ mentionnée
dans l'épisode de la rencontre à Montmartre avec
Marie-Louise, dans Féerie : " Londres fin 17 ", ou "
novembre 17 ", dans Romans 4, p.76.
(Janine et Louis, Nouveaux documents sur Londres et
Suzanne Nebout, par Gaël Richard, Année Céline 2006).
***
(...) Mentionnons encore deux ou trois
faits ignorés au moment de la biographie, par exemple le
rôle de figurant, la " panne ", que tient Céline, de
retour d'Amérique, en 1935, dans le film de son ami
Jacques Duval, Tovaritch. Ou les circonstances tragiques
de la mort de sa " première femme ", Suzanne Nebout.
Grâce à Gaël Richard, on en sait un peu plus sur les
deux sœurs Nebout, Janine et Marie-Louise, danseuses
entraîneuses à Londres. Janine épousant le " lieutenant
des Touches " devant un officier d'état-civil anglais,
on pouvait croire que c'était un service qu'il lui
rendait pour des problèmes d'immigration. Le fait qu'il
la quitte si peu de temps après le mariage et qu'elle
rentre à Londres venant de Paris portant encore le nom
de Mme des Touches, ayant de quoi s'acheter un petit
hôtel, rend plus vraisemblable la visite rue Marsollier
chez les parents des Touches que transmettait la
tradition familiale.
On apprend maintenant qu'elle est morte de tuberculose
en Allemagne au moment où Louis convolait en Bretagne
avec la fille du Pr Follet (qui est allé vérifier à
Londres ce qu'il en était du mariage anglais que lui
avait honnêtement confié Auguste Destouches !
(Philippe Alméras, Céline entre haines et passions,
Spécial Céline n°1, juillet-août 2011).
***
Danseuse de cabaret à Londres,
maîtresse d'un colonel anglais. Leur mariage est un
service réciproque : un nom et la particule (des
Touches) pour elle, une réforme définitive pour lui.
Evoquée dans Féerie pour une autre fois, elle est
le modèle partiel de Virginia de Guignol's band
et de Molly de Voyage au bout de la nuit.
(Céline, Emile Brami, 2003, p.330).
(...) Ce mariage devait leur être utile pour pouvoir
rester en Angleterre, pour des questions de papier
d'identité...
(Frédéric Vitoux, La vie de Céline, Grasset, 1988,
p.97).
(...) De toute évidence, la Molly de Voyage,
entretient des liens étroits avec elle. Louis était
véritablement amoureux - " nous devînmes intimes par
le corps et par l'esprit " - et, dans sa vie si
soumise à l'époque aux exigences parentales, ce mariage
fut un acte libre : un choix, Féerie porte le
signe de ce premier amour : " Myosotis, géranium, un
banc, c'est
fini... envolez piafs... dentelle si fine... Je m'étais
arraché par raison, par une sorte de conscience pour
ainsi dire. "
Et Céline précise : " J'ai commis qu'un crime dans ma
vie, un seul, là, vrai... comme j'ai quitté mes petites
belles-sœurs "
Jamais plus Céline ne parlera d'une femme en ces termes.
(Nicole Debrie, BC n°66).
------------------------
1915 -
Entre le
passage au Val de Grâce et le Consulat de France à
Londres, il eut sans doute une autre aventure amoureuse
qui se serait mal terminée. Le 23 mai 1915, Etienne
Bézard écrit à Louis Destouches : " Ah ! les femmes !
(...) dans quel douloureux état t'ont-elles encore mis -
Pourquoi aussi aller te frotter dans les jupes ? Tu ne
les connaissais donc pas ? Un vieux routier comme toi ?
(...) sois sûr que je compatis à tes souffrances et
voudrais bien soigner ta blessure. (...) Tu as bien fait
de fuir : ça n'était pas lâche. (...) Tu rencontreras
peut-être là-bas un autre objet de tes rêves - avec
lequel tu auras plus de chance. " (Lettres,
Pléiade, 15-0).
(Eric Mazet, Spécial Céline n°19, hiver 2015).
------------------------
Par des lettres d'un camarade de
chambrée aux parents Destouches, on apprend qu'en 1912
le jeune cuirassier fait des dettes pour une femme dont
il est amoureux. Dans une lettre à Simone Saintu, postée
du Cameroun le 24 décembre 1916 (Lettres,
Pléiade, 16-64), Louis Destouches dit entretenir des
relations épistolaires avec quelques jeunes filles : "
Je me cantonne dans mon rôle d'intérimaire, j'aide à
attendre... "
Il aurait appris, par la mère supérieure d'un couvent, que la jeune fille
d'excellente famille, " un ange blond " qui le " tapait
", " à la suite d'une tentative de parricide, venait de
prendre le voile ". On n'en saura jamais plus et l'on
sait qu'en Afrique la tentation littéraire a pris
naissance.
(Eric Mazet, Céline et les femmes, Spécial Céline n°19, hiver 2015).
-----------------------------
1911 - 1912.
Des
professionnelles.
D'un " [...]
séjour à Nice il revient " très
anémié ".
" J'entends bien que la dépression physique que nous avons constatée ne
devait pas être uniquement attribuée aux fatigues de son
emploi mais aussi à d'autres conséquences fatales de son
séjour à Nice dans des conditions de vie qui ne
pouvaient être logiquement que celles d'un homme et non
d'un adolescent presque un enfant.
Son père tente de ramener Louis " à une attitude moins indépendante et
plus réservée [...] et à rectifier les quelques idées
fausses que cette existence exceptionnelle lui avait
laissées. "
(Lettres de Fernand Destouches au joaillier Lacloche, F. Gibault,
Céline 1, 1977).
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1911. Mme GUERRAZ.
Lorsqu'il
quitte la joaillerie Robert où il a été employé, une
note manuscrite accompagne son certificat de travail : "
On peut y lire, écrit d'une encre passée et d'une
écriture assez commune : " Reçu de M. Destouches 22 f.
pour ' goûter ', janvier et février. Guerraz. "
Il s'agirait d'un papier sans intérêt s'il n'était surchargé au crayon.
Au-dessus du mot ' goûter ' on peut lire très
distinctement le mot " baiser " et un peu en dessous "
Carotte tirée étant chez Robert rue Royale. " [...] on
peut penser que les goûters chez cette dame étaient
d'une nature très particulière. "
(F. Gibault, Céline 1, E. Brami, Céline, 2003).
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1908 - 1909. Les
hôtesses qui l'accueillent pendant ses séjours
linguistiques.
" Le jeune garçon est
envoyé pendant neuf mois dans une Volkschule à Diepholz,
en Prusse, pour étudier l'allemand. Mais, dit-on, la
logeuse va inspirer à cet adolescent des goûts prononcés
qui vont abréger le séjour. "
(P. Huon de Kermadec, Contribution à la vie de L.F.C.)
" Précoce, tu couches avec
ta logeuse et te fait renvoyer. On t'expédie en 1909 en
Angleterre, où des aventures du même genre te font "
rendre " à tes parents. "
(Marcel Brochard, Céline à Rennes, L'Herne).
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