***
Un " pogrom de
papier " face à la critique. Censuré depuis 1945 par son
auteur et jamais republié depuis, Bagatelles pour un
massacre sort le 28 décembre 1937 chez Denoël, en
même temps que L'Espoir de Malraux. Ce n'est
certes pas le premier pamphlet antisémite, mais c'est le
plus violent, le plus grossier et - circonstance
aggravante
- le plus talentueux jamais paru en France. Récompensé
par d'excellentes ventes, il est aussitôt traduit en
Allemagne. L'espace d'un pamphlet truffé d'épisodes
narratifs, Céline abandonnait le roman pour s'égarer en
politique et sceller son destin.
L'ambivalence de Bagatelles - essai polémique ou œuvre littéraire ?
- est au cœur de la réception critique du livre. André
Gide, dans la NRF, préfère croire à une énorme
rodomontade (sans quoi Céline serait " complètement
maboul ") : tandis que Lucien Rebatet, dans Je suis
partout, le félicite d'avoir " allumé le bûcher ". A
gauche mais aussi à droite, on souligne souvent
l'obscénité et la malhonnêteté du raisonnement, inspiré
voire bassement recopié des prospectus de propagande,
certains reprochant même à Céline de discréditer
l'antisémitisme.
Mais tous ou presque soulignent la truculence rabelaisienne de
Bagatelles, dont l'extrême nocivité est rarement
dénoncée, si ce n'est par la presse juive. Ce dossier
critique, souvent déroutant pour le lecteur moderne,
regroupe soixante articles parus de janvier à décembre
1938, sous la plume de Marcel Arland, André Billy,
Robert Brasillach, Léon Daudet, André Gide, Emmanuel
Mounier, Lucien Rebatet, Jean Renoir, Victor Serge... On
y voit avec effarement, explique André Derval en
avant-propos, la " réalité virer au cauchemar, et des
voix que l'on entendait sensées et mesurées verser dans
les pires partis pris et dans l'outrance - épousant en
cela le mouvement plus général de l'intelligentsia
française au sujet des réfugiés juifs dans les années
1930 ".
L'auteur
: docteur en lettres, André Derval est responsable du
fonds d'archives Céline à l'Institut Mémoires de
l'édition contemporaine (IMEC) et édite les Etudes
céliniennes au sein de la Société d'études
céliniennes. A cet auteur d'études sur Wells, James,
Lovecraft, Lamennais ou Gourmont, on doit un dossier
critique de Voyage au bout de la nuit 1932-1935
(10/18 - IMEC, 2005), ainsi que le dossier de presse d'En
attendant Godot (10/18 - IMEC, 2006). Il reprend en
2010, à la suite d'Emile Brami, la direction de la
collection " Céline & Cie ", aux éditions Ecriture.
(André Derval, L'accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Ed.
Ecriture, Le Petit Célinien, 30 décembre 2010).
***

Dix chroniques de Pascal PIA publiées dans Carrefour.
Quand
Pascal PIA, résistant et fondateur du journal Combat,
écrit sur Céline, un souffle surprenant pour nos
consciences étriquées vient nous rappeler à l'ordre.
C'est une leçon de littérature et de franc-parler à la
fois. Car Pascal PIA est un érudit qui sait comment
défricher l'histoire littéraire pour mettre en évidence
les évolutions, les rappels et les liens, les ruptures
aussi, et dégager ainsi l'essentiel : " Ce sont les
œuvres qui comptent, non les extraits de casier
judiciaire, ni les rapports de concierge ".
Entre 1955 et 1977, Pascal PIA a consacré dans Carrefour dix
chroniques à Céline, réunies ici, depuis les
Entretiens avec le professeur Y jusqu'à Rigodon.
Toutes sont écrites avec finesse et érudition et
détonnent très heureusement dans le paysage
journalistique actuel.
(Pascal Pia, Céline en liberté, 10 chroniques publiées dans Carrefour,
1956-1977).
***

Le Réprouvé
de Mikaël HIRSCH en poche.
1954. L'Académie Goncourt décerne son prix à Simone de Beauvoir. Au même
moment, Gérard Cohen, garçon de courses chez Gallimard,
se rend chez Céline qui vit à Meudon comme au
purgatoire. Peinture du milieu littéraire des années
cinquante, errance dans un Paris disparu, confrontation
entre deux êtres. Le Réprouvé est un grand roman
initiatique.
Mikaël HIRSCH, né à Paris en 1973, est le petit-fils d'un fondateur de la
NRF. Il est l'auteur de plusieurs romans, de nouvelles
et d'un recueil de poèmes. Son dernier roman, Les
successions, est paru chez l'Editeur.
(Mikaël
Hirsch, Le Réprouvé, J'ai lu, 2011).
***
Les
éditions Ecriture publie dans la collection "
Céline & Cie "
Les idées politiques de
Louis-Ferdinand Céline
de Jacqueline MORAND initialement paru en 1972. Une
bonne
analyse du contexte politique de la parution des
pamphlets et des pamphlets eux-mêmes.
Présentation de l'éditeur
Céline s'est toujours défendu de s'être engagé politiquement, rappelant
qu'il n'adhéra jamais à aucun parti, se flattant d'être
un « homme de style » dépourvu de « message ». Ses
écrits l'ont pourtant associé aux controverses
politiques de son époque.
« Trois thèmes principaux se détachent. Le pacifisme
semble l'avoir emporté par la vigueur du sentiment.
L'antisémitisme a chargé l'écrivain du fardeau d'un
péché capital. Le socialisme, entendu au sens large, l'a
entraîné dans la voie d'un « communisme Labiche » et
dans des projets largement utopiques d'organisation
sociale. L'anarchisme et le fascisme, attitudes
politiques souvent attribuées à l'écrivain, méritent
discussion », explique l'auteur.
Une autre approche de la pensée célinienne fait de l'écrivain un
précurseur à la fois de la démarche existentialiste et
des philosophies de l'utopie. Si l'acceptation tragique
et absurde de l'existence, le sens du nihilisme se
retrouvent dans la pensée sartrienne, Céline se réfugia
plutôt dans l'« utopie concrète », selon le mot d'Ernst
Bloch, la plupart de ses propositions s'inspirant de cet
« idéalisme pessimiste » cher à Marcuse.
Enfin, les pamphlets, motifs de sa condamnation
définitive. S'ils ne semblent pas avoir influencé
profondément l'immédiat avant-guerre, leur outrance même
desservant leur cause, la critique des maux de son
époque demeure comme un témoignage de la crise des
esprits, caractéristique des années 1930. Ici, «
dogmatisme brutal, provocation, lyrisme, recherche de
l'effet aux dépens de la rigueur sont autant d'artifices
et d'obstacles à franchir pour dégager l'idée elle-même
».
(Jacqueline Morand,
Les idées politiques de
Louis-Ferdinand Céline,
Ed. Ecriture, 2010,
in Le Petit Célinien, jeudi 30 décembre 2010).
***

Échos céliniens...
Le site The Book Edition propose en impression à la
demande l'essai auto-édité de Robert LLAMBIAS,
Céline, Poétique romanesque, qui met en rapport «
l'évolution de l'écriture de Céline avec les
transformations artistiques du XXème siècle ». 260
pages, 21,68 €.
www.thebookedition.com.
(Le Petit Célinien, vendredi 17 janvier 2014).
***
Ereinté par les critiques...
Gutman il ruisselle d'idées...
Voici l'intermédiaire génial... Il a réfléchi... " Tu
n'es pas poète des fois, dis donc ? par hasard ?...
qu'il me demande à brûle-pourpoint.
- Tu me prends sans vert... (Je ne m'étais jamais à moi-même posé la
question). Poète ? que je dis... Poète ?... Poète comme
M. Mallarmé ? Tristan Derème, Valéry, l'Exposition ?
Victor Hugo ? Guernesey ? Waterloo ? Les Gorges du Gard
? Saint-Malo ? M. Lifar ?... Comme tout le Frente
Popular ? Comme M. Bloch ? Maurice Rostand ? Poète enfin
?...
- Oui ! Poète enfin !
- Hum... Hum... C'est bien difficile à répondre... Mais en toute
franchise, je ne crois pas... Ça
se verrait... La critique me l'aurait dit...
- Elle a pas dit ça la critique ?...
- Ah ! Pas du tout !... Elle a dit comme trésor de merde qu'on pouvait pas
trouver beaucoup mieux... dans les deux hémisphères, à
la ronde... que les gros livres à Ferdinand... Que
c'était vraiment que des vrais chiots... " Forcené,
raidi, crispé, qu'ils ont écrit tous, dans une très
volontaire obstination à créer le scandale verbal...
Monsieur Céline nous dégoûte, nous fatigue, sans nous
étonner... Un sous-Zola sans essor... Un pauvre imbécile
maniaque de la vulgarité gratuite... une grossièreté
plate et funèbre... M. Céline est un plagiaire des
graffiti d'édicules... rien n'est plus artificiel, plus
vain que sa perpétuelle recherche de l'ignoble... même
un fou s'en serait lassé...
M.
Céline n'est même pas fou... Cet hystérique est un
malin... Il spécule sur toute la niaiserie, la jobardise
des esthètes... factice, tordu au possible son style est
un
écœurement, une perversion,
une outrance affligeante et morne. Aucune lueur dans cet
égout !... pas la moindre accalmie... la moindre
fleurette poétique... Il faut être un snob " tout en
bronze " pour résister à deux pages de cette lecture
forcenée... Il faut plaindre de tout cœur,
les malheureux courriéristes obligés (le devoir
professionnel !) de parcourir, avec quelle peine ! de
telles étendues d'ordures !...
Lecteurs ! Lecteurs !... Gardez-vous bien d'acheter un seul livre de ce
cochon ! Vous êtes prévenus ! Vous auriez tout à
regretter ! Votre argent ! Votre temps !... et puis un
extraordinaire dégoût, définitif peut-être, pour toute
la littérature !...
Acheter
un livre de M. Céline au moment où tant de nos auteurs,
de grands, nerveux et loyaux talents, honneur de notre
langue (la plus belle de toutes) pleinement en
possession de leur plus belle maîtrise, surabondamment
doués, se morfondent, souffrent de la cruelle mévente !
(Ils en savent quelque chose.) Ce serait commettre une
bien vilaine action, encourager le plus terne, le plus
dégradant des " snobismes ", la " Célinomanie ", le
culte des ordures plates... Ce serait poignarder dans un
moment si grave pour tous nos Arts, nos Belles-Lettres
Françaises ! (les plus belles de toutes !) "
- Ils ont dit tout ça les critiques ? Je n'avais pas tout lu, je ne reçois
pas L'Argus. Ah ! Mais dis donc ils se régalent !
Ils sont pas Juifs ? Qui c'est tes critiques ?...
- Mais la fine fleur de la critique !... Tous les grands critiques
français !... Ceux qui se décernent les Grands Prix !...
" Monsieur, vous êtes un grand critique "... " Un jeune critique de grand
talent !... "
Ce sont des cons ! Tous des sales cons, des Juifs ! Tous
des ratés ! des suçons ! des outres ! ils ont chacun tué
sous eux, au moins quinze ouvrages... Ils se vengent...
Ils crèvent... Ils dépitent... Pustulents !...
- Ah ! Si j'étais camelot du roi... ventriloque... stalinien... Célineman
rabineux... comme ils me trouveraient aimable... Si je
rinçais tout simplement... table, zinc ouverts... Les
critiques se sont toujours inévitablement gourés... leur
élément c'est l'Erreur... Ils n'ont jamais fait autre
chose dans le cours des temps historiques : se gourer...
Par connerie ? Par jalousie ?... Les deux seuls plateaux
de ces juges.
(Bagatelles pour un massacre, Ed. 8, Ecrits polémiques, août 2017,
p.22).
Eric MAZET :
DURAFFOUR-TAGUIEFF : FLORILEGE (OMISSIONS, TRITURATIONS,
AMALGAMES et MENSONGES).
Dans
Céline, la race, le Juif, tout au long de 1175 pages,
dont 387 de notes, Annick Duraffour et Pierre-André
Taguieff, couple d' "historiens ", dressent le portrait
d'un Céline politiquement diabolique, humainement
médiocre et littérairement surestimé.
Tout amateur de Céline, simple lecteur, universitaire ou acteur, est soit
d'une pathétique naïveté, soit d'une roublardise
condamnable, soit d'une suspecte indulgence.
Quand Taguieff écrit page 68 que " le thème de la " guerre
pour les Juifs " commence à circuler dans la
presse de droite et d'extrême droite ", et que "
le 2 septembre 1933, Daudet donne le ton, dès le début
de son éditorial de L'Action française, intitulé
" Croisade pour Israël ", notre professeur oublie
que cinq mois avant, le 24 mars, le Daily Express
publie en première page " Judea declarer war on
Germany ! Jews of all the world unite ". Daudet
avait du retard.
Le 25 mars, sous le titre " La conversion de l'Angleterre ",
Céline pouvait lire dans L'Intransigeant : " M.
Winston Churchill se fait applaudir par la Chambre des
Communes en critiquant les plans révisionnistes et
désarmeurs du Premier Ministre (Mac Donald). "
Remercions Dieu, osa-t-il dire, qu'il existe une armée
française ".
Céline n'a pas attendu la création d'officines nazies en France pour
craindre une nouvelle guerre franco-allemande. Aux uns
et aux autres, depuis longtemps il a dit sa hantise d'un
nouveau conflit.
L'Eglise,
pièce esquissée en 1929, publiée en 1933,
n'accuse-t-elle pas la S.D.N. d'être dirigée pas des
Juifs ? Bien sûr. Mais le 3 novembre 1933, sous le titre
" La protection des Juifs par la S.D.N. c'est
l'expansion impérialiste à l'aide du sionisme ",
L'Humanité publiait : " C'était hier l'infâmant
anniversaire de la déclaration Balfour [...] La réalité
est que les impérialistes anglais et français veulent se
servir de la détresse juive en Allemagne pour leur
politique d'expansion et de pillage en Arabie (en
même temps que leur antagonisme avec le Reich) et avec
l'aide du sionisme. " Et qui ne lisait L'Humanité
au dispensaire de Clichy ?
Le professeur Taguieff pourtant spécialiste de l'entre-deux-guerres, n'a
pas lu le quotidien communiste, mais prétend tout savoir
des secrets de Céline. Pour lui (p.161), Céline n'a pu
lire que ce qu'écrit Henry Coston en novembre, où il
prétend " s'inquiéter des massacres d' " Aryens " qui
résulteraient d'une guerre franco-allemande ". Mais
Taguieff ne fournit aucune preuve sur un abonnement de
Céline à la Libre Parole en 1933.
Page 268, quand
dans les Beaux draps, Céline écrit " Bouffer
du juif ça suffit pas, je le dis bien, ça tourne en
rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on
saisit pas leurs ficelles, qu'on les étrangle pas avec
", Taguieff s'interroge : " Pourquoi ne pas prendre à
la lettre la métaphore de l'étranglement ? " Il
s'arrête au verbe " étrangler " pour conclure que
Céline pousse à " l'élimination physique des Juifs
".
Il superpose une phrase du Talmud citée dans Bagatelles où le verbe
étrangler a son sens premier. Taguieff oublie évidemment
que " ficelles " dans la phrase des Beaux
draps ne peut avoir d'autre sens que celui d' "
astuces " et n'est en aucun cas le synonyme de
cordes.
Page 269, on lit :
" Gohier, dont on sait qu'il [Céline] lisait les
articles dans sa jeunesse ". Et en note 599, page
886, on lit : " Céline cite Urbain Gohier dans sa
lettre du 25 octobre 1916 à Simone Saintu in Lettres,
2009, 16-51. On sait qu'au Cameroun, où il séjourna de
juin 1916 au début d'avril 1917, Céline lisait Le
Journal, dans lequel Gohier publiait des éditoriaux
comportant des pointes antijuives ".
Taguieff ne dit pas que dans la même lettre, le jeune Destouches cite
également Musset et Pascal. Dans d'autres lettres de
1916, il cite Maeterlinck, Voltaire, Goethe, Baldwin,
Bergson, Brunetière, Lemaître, Kipling... Que Céline en
onze mois ait cité une fois Gohier, pas d'erreur. Qu'il
ait lu régulièrement Le Journal, c'est probable.
Il est vrai que Gohier y publiait des éditoriaux. Mais
sur quels sujets ? Le 21 décembre 1916, sur " les
nouveaux impôts ", " l'argent de l'Etat " et
les profiteurs de la guerre, tout ceci sans aucune "
pointe antijuive ". Gohier réservait sans doute son
racisme à d'autres publications.
En quinze années de recherches, Taguieff n'a pas retrouvé l'article
de Gohier cité par Céline le 25 octobre 1916 mais fait
semblant d'en savoir plus que quiconque sur les lectures
de Céline en Afrique. On ne compte plus au fil des pages
les " vraisemblablement ", " on peut supposer
", " il est vraisemblable que... "... Ce que dit
Taguieff du propos du pamphlétaire, page 445, s'applique
à lui-même : il " n'invente rien ", "
s'approprie ce qu'il trouve, reprend, répète, emprunte,
paraphrase, détourne, parodie ", et avec des fonds
de tiroir s'autoproclame critique scientifique en raison
de son statut de chercheur au C.N.R.S. Chercheur de quoi
?
Page 275, Taguieff
me reproche de ne pas avoir donné de référence quand je
signalais dans le n° 1 d'Etudes céliniennes le
fait que Céline avait recommandé à Jacques d'Arribehaude
L'Aryen de Vacher de Lapouge lors d'une interview
enregistrée. Taguieff devrait pourtant savoir qu'en
compagnie de Jacques d'Arribehaude, se trouvait Jean
Guenot, et qu'en 1995 ce dernier a publié intégralement
l'enregistrement de février 1960 sous le titre Céline
à Meudon. Cet " A.R.Y.E.N. " épelé apparaît
page 100. Par ailleurs si pointilleux sur la validité
des sources, Taguieff en est resté aux transcriptions
incomplètes de la revue L'Herne de 1972 et du
Cahier Céline 2 de 1976.
Au passage, Taguieff si érudit et disert sur Lapouge, aurait pu dire à
ses lecteurs que Lapouge, selon Boissel, avait servi de
modèle à " M. Teste " de Valéry. Valéry ! en 1899, avec
Léautaud et Pierre Louÿs, participera à la souscription
pour l'érection d'un monument à la gloire du colonel
Henry, l'auteur des " faux patriotiques " (dixit
Maurras)
contre Dreyfus ! Y participera également Degas, le
peintre aux danseuses, dont Céline possédait un petit
tableau. Mais me voici digressant comme Taguieff.
Il est significatif
que soient écartés du big burger de Taguieff-Duraffour
les amis résistants de Céline : ceux de Quimper comme le
docteur Augustin Tuset, l'ami de Jean Moulin et de Max
Jacob, Jacques Mourlet, décoré de la Medal of Freedom,
Georges Arzel, Croix de guerre 39-45 et Médaille de la
Résistance, futur maire du 16e arrondissement de Paris ;
à Paris, rue Girardon, Robert Chamfleury, le voisin du
dessous. Georges Arzel n'avait pas oublié la colère de
Céline lui répliquant en juin 1941 ou en avril 1942 : "
Pour te montrer que j'aime pas les boches, viens avec
moi qu'on en butte un !... "
Taguieff ignore évidemment la lettre du colonel Rémy, célèbre agent
secret de la France Libre, adressée à Henri Mahé le 24
juillet 1949 : " Je suis content que vous ayez vu
Céline. Vous connaissez mon opinion sur le sort qui lui
est fait alors que tant de petits saligauds ou de petits
opportunistes se promènent en liberté ou tiennent même
le haut du pavé. Il est des cas où l'injustice honore
ceux qui en souffrent, si d'autres en profitent. "
Non, non et non, le salaud Céline, le dénonciateur, n'a
pu fréquenter que des salauds !
Page 363, tout se
brouille et s'embrouille, auteurs, dates, écrits. Si
Paul Riche écrit " Mort aux juifs ! " le 14 mars
1941 dans Au Pilori, pour Taguieff il "
paraphrase L'Ecole des cadavres ". Si Maurras écrit
dans L'Action française le 30 septembre 1941
qu'il faut respecter les Juifs " qui résident chez
nous ", notre politologue ressort la diatribe de
Céline contre Maurras dans L'Ecole des cadavres
et celle de Rebatet, admirateur de Céline, dans Les
Décombres (de 1942 !). Une vraie salade russe.
Mais Taguieff ne dit pas que Céline refusa d'être membre de tous les
cercles, mouvements, clubs, instituts, partis, exceptée
l'inscription en août 1942 au Cercle européen, dont il
demanda sa radiation dès mai 1943.
Page 373, Taguieff indique que Céline assista le 20 mars 1942 à un
déjeuner organisé par Georges Oltramare et l'Association
des journalistes antijuifs pour commémorer le
cinquantième anniversaire du premier numéro de la
Libre Parole, le journal d'Edouard Drumont. Taguieff
ne dit pas ce que L'Appel publia huit jours après
: " Céline était là ! Quelle belle réponse à ceux qui
s'en vont affirmant que Louis-Ferdinand est un égoïste
sauvage ! S'il ne resta qu'une petite heure, c'est parce
que l'auteur de Bagatelles devait, en bicyclette
regagner rapidement Bezons... " Et Henry Coston
regrettait encore, vingt ans après, que Céline n'ait pas
dit un mot de tout le repas. Mais pour Taguieff, si
Céline ne fréquente pas les autres collabos, c'est parce
qu'il n'a rien à dire, est incapable d'argumenter. En
quelque sorte, c'est un idiot de génie ou un muet
vociférant.
Un beau procédé
d'amalgame, p. 392, que d'évoquer le titre de L'Ecole
des cadavres, sans suite, quand on apprend que dans
Le Réveil du peuple du 10 août 1942 Jean Boissel
propose la stérilisation eugénique comme " solution
de la question juive ". Le même procédé est utilisé
p. 394 quand est associé, sans justification, le nom de
Céline à un article, d'ailleurs non publié, du 13 août
1940, dû à Montandon qui prétendait couper le nez des "
jolies juives ". Et toujours ce procédé
d'amalgame dans les pages suivantes : page 400, Céline
devient le programmateur d'un projet de stérilisation
des Juifs parce que, le 23 juillet 1942, un de ses
admirateurs, un certain Jacques Bouvreau, imagine sa
réalisation dans un récit fictif se situant en l'an
2142.
Page 402, Taguieff,
fort spécialiste du décryptage, décèle chez Céline des "
effets métaphoriques ", " louvoie à travers
des connotations ", pour " interpréter
correctement " des pages de L'Ecole des cadavres
et conclut à la solution choisie de la stérilisation : "
Le programme antijuif de Céline s'énonce sur ces deux
registres, entre lesquels il ne cesse de jeter des
ponts, entretenant l'équivoque. Ce programme
relativement [sic, je souligne], crypté a été
cependant clairement décodé par des agitateurs antijuifs
" (p. 403).
Est-ce décryptage paranoïaque ou traduction scientifique ? Quelques
vérités archi connues sont noyées au milieu de beaucoup
d'interprétations ; le lecteur est bombardé de noms et
de citations de journalistes, qui encerclent le nom et
les livres de Céline pour déteindre sur eux par taches
noires successives et faire du
pamphlétaire le chantre de la stérilisation ou des fours
crématoires.
Nos historiens ne
citent évidemment pas la lettre de Céline à Mahé datant
du 3 mars 1941 : " Tous ces gens là font carrière.
Ils seraient aussi bien dans les postes ou les P. et
Chaussées. Ils se servent pour arriver de tout ce qu'ils
trouvent. Pas plus d'idéal et de mystique que de beurre
au fondement. Tout ceci les dépasse de mille univers
poétiques. On ne demande pas au chien de jour du
flageolet " (Lettres 41-19).
Taguieff a beau extirper les unes des autres matriochkas antisémites que
contient la poupée gigogne de Bagatelles, le
dessein poétique lui échappe : obsédé par la politique,
il n'entend que les échos hitlériens et pas le son
fragile du flageolet.
Si Céline assiste,
avec Denoël et Gen Paul, à un déjeuner organisé par
Pfannstiel (ce que Taguieff ne dit pas) à l'occasion de
la publication du numéro spécial de Welt Kampf
(Combat mondial), consacré à la question juive en
France, et s'il improvise des propos " en faveur de
la vraie Révolution qui ne pourra pas être considérée
comme amorcée, " tant que le mur d'argent de la juiverie
restera debout " (L'Appel, 5 novembre 1942,
in CC7, p. 92), cela devient sous la plume de
Taguieff, p. 411, à partir d'une autre citation, celle
du Matin du 30 octobre, et en s'en éloignant : "
La véritable Révolution nationale reste à faire. Une
Révolution raciale, sur le modèle national-socialiste
". Au même jeu des ricochets, Taguieff en arrive, pour
mieux expliquer Céline, à l'associer à Oussama Ben Laden
(p. 529) !
Page 415, parce que
le docteur Brami a écrit que Céline était " homme bon
", Taguieff cite Alphonse de Châteaubriant décrivant
Hitler comme un homme bon. Pour notre historien, le "
cœur d'or de l'homme Céline, dont on connaît
l'égocentrisme et l'égoïsme absolu, relève de la chimère
"(p. 415) : " Céline n'a cessé de se montrer
grossièrement égoïste, menteur et affabulateur,
misérablement calculateur, et " près de ses sous ",
dénué de générosité, furieusement égocentrique,
cultivant à l'égard d'autrui le mépris, la jalousie et
la haine " (p. 416).
Céline est pourtant venu en aide à Henri Mahé et à Gen Paul, pour
promouvoir leurs talents. Pour la jeune Lucienne Damas,
le docteur Destouches restera celui qui lui a permis de
" vaincre la misère " en finançant ses études
d'infirmière. Il est le seul à l'avoir " aidée
financièrement ", avec " sa gentillesse à toute
épreuve ". Son petit ami, Raymond Siméon , échappa
au S.T.O. avec un mot signé le 26 mai 1942 par le
docteur Destouches. Céline vint encore en aide
financièrement au vieil archiviste Albert
Serouille et poussa Denoël à publier son livre sur
Bezons.
Présenter le
docteur Destouches comme peu apprécié par les malades de
Bezons est simple spéculation. Aucun des confrères du
docteur Destouches au dispensaire ne témoigna contre lui
auprès de la police ou des biographes. Le docteur
Jacquot qui rencontra après guerre la tante de Céline
écrivait à celui-ci : " Elle m'a dit que
Louis-Ferdinand était regretté par ses malades de
Bezons, qui seraient prêts, étaient disposés à un moment
à faire une pétition à son égard ".
Qu'importe le témoignage de Lucette Destouches pour notre psychologue qui,
pour disqualifier les propos de la veuve, cite des
propos de Céline sur deux amies danoises. Et comme cela
ne suffit pas, Taguieff accole au nom de Lucette un
propos de Robert Faurisson. Voici la bonté de Céline
exprimée par l'amour de Lucette, niée, rangée dans la "
perversité " du négationniste (p. 417).
On se demande si Taguieff, à force de s'être spécialisé dans les
théories du complot et dans les écrits à tiroirs, n'en a
pas adopté les méthodes et n'a pas écoulé ses fonds de
tiroirs sur le racisme en se servant du nom de Céline
comme publicité commerciale.
(Eric Mazet, Manipulations, L'Année Céline 2017, p. 249).
Michel CREPU
: DURAFFOUR-TAGUIEFF sur CELINE : L'ENQUETE MYOPE. Le facteur vient de déposer à notre porte le volume Céline, la race, le juif par Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff, aux Editions Fayard. L'ouvrage pèse quarante tonnes, comme à l'usage sous ce que l'on ose à peine nommer la " plume " de Pierre-André Taguieff. Jamais un livre au dessous d'un million de signes : Stakhanov, près de lui, semble un petit souffreteux. Cette fois, en plus, ils sont deux. Cette partie à quatre mains ne fait pas pour autant les affaires du style. Le livre est écrit comme un rapport de stage. Mais de cela, les auteurs se moquent, ils ne sont pas du petit monde exquis où l'on se pâme à la lecture des " pamphlets ". Ils sont la justice même. C'est impressionnant. Le but de l'ouvrage, car il en faut bien un : faire tomber ce que les auteurs appellent " la légende célinienne " faire triompher la somme documentaire, l'implacable
accumulation des faits qui démontrent à quel point l'antisémite Céline a poussé le bouchon, au-delà de ce qui paraissait déjà inadmissible. Qu'importe qu'il s'agisse d'un des plus grands écrivains du XXe siècle avec Proust et Beckett. Cela, les auteurs s'en moquent et à vrai dire, ils ont raison. C'est vrai, on se demande bien pourquoi l'obtention du prix Goncourt vaudrait comme une sorte d'excuse, la beauté de l'écriture venant laver l'abject, comme une éponge invisible. Moyennant quoi, les auteurs se simplifient la tâche : faire un sort aux " célinolâtres " dans un premier temps, ouvrir le procès dans un second temps. C'est le fantasme critique du livre : être à lui seul un tribunal de Nuremberg. Hélas pour les auteurs, les choses ne marchent jamais ainsi. Qui ne sait que l'écrivain Céline, traumatisé de la Grande Guerre, a poursuivi sa trajectoire d'écrivain comme un navire sans boussole, puisant dans sa seule capacité littéraire, il est vrai vertigineuse, la matière d'une vision de son temps ? Ecrivain du nihilisme, pris lui-même dans les filets, s'en débattant comme un beau diable, privé d'un Autre à qui se fier, comme le petit curé d'Ambricourt de Bernanos. Bernanos est le seul grand écrivain français à avoir vu clair dans ce puits sans fond. Il est dommage que Taguieff-Duraffour passent à côté du compte-rendu du Voyage publié dans le Figaro du 13 décembre 1932 : " Nous ne demandons pas si la peinture de Céline est atroce, nous ne demandons pas si elle est vraie : elle l'est ".
Bernanos a vu le point, ignoré par Duraffour-Taguieff : Céline, embarqué dans la folie de son siècle, devenant son œil du cyclone. Cela est essentiel à la compréhension de l'œuvre, que cela plaise ou non : à partir du Voyage et combien plus avec les ouvrages qui suivent (la fameuse trilogie, Nord, D'un château l'autre, Rigodon), Céline figure un interlocuteur majeur pour quiconque veut comprendre ce qui s'est joué, là, au travers de livres " boîtes noires ". Les fameux pamphlets, ici, n'allègent ni n'alourdissent : ils permettent de voir fonctionner à nu un esprit en proie à la passion du bouc-émissaire. Cela vaut la peine, encore faut-il s'en donner les moyens. C'est une pitié de voir Taguieff-Duraffour passer volontairement à côté de ce défi. Myopes, infatigables soutiens de la masse documentaire, ils se persuadent que l'accumulation culpabilisante fera figure de Preuve avec un P majuscule. Or cette Preuve magistrale ne cristallise jamais comme il conviendrait, il manque toujours le dernier élément qui pourrait enfin faire basculer l'idole. Deux mille pages, trois mille, n'y changerait rien. Fasse le Ciel que le duo Duraffour-Taguieff n'éprouve pas le besoin de revenir à la charge. Dix pages bien pensées pourraient suffire. Ils n'en sont pas capables. Au vrai, une véritable haine de la littérature se cache là derrière, qui laisse perplexe. Pourquoi ce besoin de s'en prendre à une prétendue idolâtrie, au lieu de lire ? Il n'y a pas d' " idole " hormis pour l'habituelle petite bande fanatique, familière des soutes de l'extrême droite. Dieu merci, il existe de vrais lecteurs de Céline, qui n'éprouvent pas le besoin de se cacher la vérité sur ses douteuses fréquentations, ses déclarations ahurissantes, son point aveugle dont il ne s'est jamais délivré. Cela change-t-il un iota à la dimension allégorique d'une œuvre majeure ? Pas le moindre. Il n'y a pas deux Céline, l'un bon, l'autre mauvais. Il faut considérer les deux et voir dans l'énormité des faits matière à appauvrissement. Nous avons besoin de lecteurs intelligents, non d'exorcistes qui ont l'air d'inspecteurs de l'Education nationale. C'est ainsi : Céline a été le peintre nihiliste de son propre nihilisme. Il y a quelque chose d'émouvant, oui, d'émouvant, à le voir ainsi aux prises avec son démon. Le plus troublant de ce livre est la haine de la littérature qui le traverse d'un bout à l'autre. Quel obscur règlement de comptes ! Quel curieux acharnement, fasciné, possédé par son sujet ! Mais c'est là un débat d'une autre nature, on laisse aux auteurs le soin de s'en expliquer avec leur propre conscience. Pour nous, qui avons souffert à les lire, nous retournons à l'œuvre. Féerie pour une autre fois. (Le blog de Michel Crépu, publié le 23 février 2017).
Pierre-Antoine
COUSTEAU : " Il ne craint personne ".
En
mettant en scène dans D'un château l'autre
l'agonie de la collaboration à Sigmaringen, Céline
choisit délibérément le scandale afin de retrouver les
faveurs de la presse et du public. Dans un article de
L'Express intitulé Voyage au bout de la haine,
il développe un système de défense dont il ne déviera
plus : il n'a jamais été antisémite ni collaborateur et
les pamphlets ont été écrits par pacifisme.
Pierre-Antoine COUSTEAU, qui fut un des journalistes vedette de
l'hebdomadaire nazi Je suis partout, rappelle
ironiquement à celui qui est désormais vu comme un
traître par sa famille politique quelles furent ses
véritables positions avant et pendant la guerre.
Personne
ne soupçonnait que Louis-Ferdinand Céline n'était PAS
antisémite. On avait même tendance à le considérer - les
gens sont si méchants ! - comme le pape de
l'antisémitisme.
Cette illusion était si répandue que lorsque sonna l'heure des
catastrophes et des options, des tas de jeunes Français
qui avaient lu Bagatelles pour un massacre et
L'Ecole des cadavres - mais qui les avaient mal lus,
bien sûr - et qui avaient eu la stupidité - le maître
Céline dirait : la connerie - de les prendre au sérieux,
se trouvèrent automatiquement embarqués dans une
aventure qui finit mal. (...)
Quant à avoir été " collaborateur " pendant l'occupation, c'est là une
autre calomnie dont il est temps de faire justice.
Les Beaux Draps furent un divertissement purement
littéraire, et si la signature de Céline apparaît
fréquemment dans la collection du Pilori, c'est à
n'en pas douter à la rubrique du cœur.

Naturellement, lorsque Céline affirme qu'il n'a jamais
mis les pieds à l'ambassade d'Allemagne, il faut le
croire sur parole, et lorsqu'il fait dire par Paris
Match qu'il n'a jamais été imprimé dans Je suis
partout, il faut le croire également, et ne pas
croire que dans le numéro du 7 mars 1941 du dit Je
suis partout il a pu conseiller : " Le Juif en
l'air, bien entendu, viré dans ses Palestines, au
Diable, dans la Lune. "
Ni croire qu'il a pu reprocher aux collabos, le 29 octobre 1943, dans le
même Je suis partout, d'être trop " timides
" et de se préparer à " mourir très sublimement,
c'est-à-dire comme des cons et des veaux, assassinés,
bâillonnés, sans même avoir osé cracher à la gueule de
leurs assassins la seule vérité qui nous venge, toute
leur sale imposture, toute leur jactance obscène, leur
sermonage pourri. "
On voit donc à quel point on est abominablement
injuste avec Céline, lorsqu'on l'accuse d'antisémitisme
ou de collaboration . Les réfugiés de Sigmaringen que
Céline couvre si crânement de pipi dans son dernier
best-seller étaient, eux, des antisémites et des
collabos et ils n'avaient pas volé leur déconfiture.
Affreusement trouillards par surcroît, pas du tout comme
Céline le gros dur, le Davy Crockett de l'Apocalypse 44
qui a joliment raison de livrer en pâture aux preux de
L'Express (...) tout ce ramassis de ganaches, de
pleutres, de mouchards et de traîtres. Car pour
l'honneur, le courage et la fidélité, lui, le
Louis-Ferdinand, il ne craint personne.
Une
seule ombre sur sa carrière et prestigieuse. Elle ne l'a
pas enrichi. Certes, Céline avait bien dit dans
L'Ecole des cadavres : " Je gagne avec mes
livres, mes romans tout simplement dix fois plus
d'argent qu'il ne m'en faut pour vivre... J'ai mis de
côté un petit paquesson pour les jours périlleux. J'ai
planqué suffisamment pour n'avoir plus jamais besoin,
devrais-je vivre encore cent ans, des secours de
personne. " Et à Sigmaringen, tout le monde savait
que ce voyage-là au bout de la nuit s'effectuait avec un
joli paquet de lingots d'or.
Mais sans doute le " petit paquesson " s'est-il évaporé, puisque lorsque
Céline eût accepté de recevoir les rédacteurs de
L'Express (éblouis, bien sûr, par ce renfort imprévu
que récoltaient les héros du Système), il se hâta de
leur dire :
- Je parle, parce que je voudrais bien toucher une
avance de Gallimard... Si votre journal m'offrait une
rente à vie de 100 000 frs par mois, je renonce à tous,
j'interdis qu'on m'imprime, avec plaisir, avec joie.
Il faut croire que cette idée et ce chiffre n'étaient
pas lancés à la légère puisqu'à un rédacteur d'Artaban,
notre grand Céline exprime un souci identique.
- Mais, dîtes-moi, la seule question qui m'intéresse :
croyez-vous qu'il (le roi de France) me donnerait cent
mille francs de rente par mois ?
Ce qui dénote, pour le moins, chez Céline, un admirable détachement. Pas
regardant sur l'origine du grisbi. A droite ? A gauche ?
Peu importe. Passez la monnaie : le fantôme est à
vendre.
Un tout petit ennui, toutefois. Le fantôme à vendre est déjà vendu. Je le
savais depuis longtemps. Je savais que la " pauvreté "
de Céline était un aussi fameux bidon que ses autres
poses plastiques.
(Fantôme à vendre, Lectures françaises n°5-6, juillet-août 1967, dans
Le Monde Hors-Série, juillet-août 2014).
André DERVAL :
a lu FEERIE POUR UNE AUTRE FOIS
(1952-1954).
Etablie
par Henri Godard, l'édition de Féerie pour une autre
fois dans la Pléiade permet de mieux comprendre le
projet d'ensemble constitué par les derniers romans de
Céline.
Le
17 décembre 1945, alors que Céline est en train de
travailler sur la suite de Guignol's band dans un
petit appartement de Copenhague, des policiers frappent
à la porte. Persuadé qu'il s'agit d'un commando
communiste venu le liquider, il se barricade, armé d'un
révolver, et ouvre les fenêtres afin de trouver une
issue. Lorsque les policiers arrivent à prouver leur
qualité, il se laisse emmener, ainsi que sa femme, à la
prison Vestre Faengsel. C'est là qu'il va mettre en
chantier " un petit mémoire " - qu'il considère comme un
intermède dans sa production romanesque - qui va
rapidement prendre une ampleur extraordinaire et sur
lequel il va travailler huit ans.
Il abandonne la mise au point de Guignol's band, qui l'absorbait
pourtant au point qu'il différait sans cesse son départ
de Paris en 1944 : " Je suis trop ahuri par
Guignol's band, par la transposition sur le plan
fantastique, l'entraînement à l'irréel, je perds le sens
de la terrible réalité, de celle qui me concerne, mon
assassinat que l'on donne dans tout Paris comme prochain
", avoue-t-il dans une version intermédiaire de
Féerie pour une autre fois.
Céline en prison, entre deux réponses aux accusations
portées contre lui, rédige sur des cahiers d'écolier
achetés en prison le " canevas " du roman : l'histoire
débute à Montmartre en 1944 par la visite de la femme
d'un compagnon d'infortune, mutilé comme lui dans les
premiers mois de la Grande Guerre : elle vient lui
demander des
autographes,
car bientôt il sera trop tard. Suivent une description
hallucinée du bombardement de Paris, les adieux aux amis
de la Butte, le départ pour l'Allemagne (Baden-Baden,
Berlin, le village de Brandebourg et Sigmaringen), puis
la traversée des champs de ruines, le passage au
Danemark, la semi-clandestinité et l'emprisonnement.
On le voit, cet ensemble, donné en premier appendice du volume Romans
IV en collection " Pléiade ", recouvre autant les
derniers romans que Féerie pour une autre fois
proprement dit, dont " l' " histoire " s'arrête au
bombardement avec Normance. Regroupant les deux
textes publiés, Entretiens avec le Professeur Y,
et dix manuscrits de travail, Romans IV
(1) permet
une sorte de lecture génétique de Féerie en
lisant dans l'ordre la suite d'annexes puis les deux
textes - mais cela suppose de la part du lecteur une
très grande attention, confinant à la manie, que l'on ne
rencontre guère que chez les céliniens endurcis.
Car Féerie pour une autre fois (Normance n'est
qu'un titre de circonstance, à la demande de l'éditeur)
est sans conteste le roman le plus difficile dans l'œuvre
de Céline, représentant le pari fictionnel le plus
ambitieux de cet auteur, qui profite de son isolement
forcé pour explorer les confins de sa veine romanesque.
Très clairement, il cherche à s'y défaire des
contraintes du récit et à ne plus donner à lire que du
style. Si le premier tome est encore tributaire de
quelques esquisses d'intrigues (autour de Clémence, de
la vie en prison, des jalousies du peintre cul-de-jatte
Jules) et est truffé d'allusions à l'actualité, le
second volume est constitué pour l'essentiel de
descriptions rythmiques du bombardement, d'où émergent
de vagues figures et d'obscures tribulations.
Cheval de bataille des tenants d'une interprétation ésotérique de l'œuvre
de Céline, Féerie pour une autre fois, il
désarçonne à la première lecture et a longtemps désarmé
la critique. Essentielle à l'imaginaire célinien, la
vision du bombardement de Paris qu'on ne verra pas de
sitôt. " Je vous l'écris de partout par le fait ! de
Montmartre chez moi ! du fond de ma prison batave ! et
en même temps du bord de la mer, de notre cahute !
Confusion des lieux, des temps ! Merde ! C'est la féerie
vous comprenez... Féerie c'est ça... l'avenir ! Passé !
Faux ! Vrai ! Fatigue ! "
Au milieu de ce matériau en fusion, entremêlant
souvenirs, réflexions, apparitions, de nombreuses
réussites, de somptueux morceaux qui tiennent autant à
l'art de l'écrivain que de sa puissance d'imagination et
d'évocation. Le style n'a jamais été " aussi hardi
dans l'ellipse et dans le saut ", souligne Henri
Godard, " jamais aussi léger dans l'allusion sur
laquelle repose le passage d'un segment à l'autre. Et
donc, jamais il n'avait requis du lecteur, en même temps
provoqué de tant de façons, une compréhension qui tend à
la complicité. L'expérience littéraire très forte de ce
mélange d'hostilité et de connivence sera désormais la
marque de la seconde moitié de l'œuvre
romanesque. "
Il convient d'être vigilant à cet effet de lecture, le premier tome
notamment contient plusieurs passages polémiques au
sujet des camps nazis, que Céline aurait eu tout intérêt
de ne pas prendre à son compte. Il ya des degrés dans
l'atroce et les conditions d'incarcération du romancier
- même décrites à l'aide d'un style en pleine maturité -
ne peuvent masquer, ni amenuiser la marque d'horreur du
siècle.
Céline avec Féerie pour une autre fois voulut une
nouvelle fois crever le plafond, comme il l'avait fait
avec Voyage au bout de la nuit : il n'obtiendra
qu'une très faible audience et aucun compte rendu
important. A la suite de Normance, il décidera de
retracer la vie à Sigmaringen, de donner quelques
concessions au pittoresque et de bénéficier d'un succès
de scandale : ce sera D'un château l'autre.
(1) : Romans IV : Féerie pour une autre fois 1 ;
Féerie pour une autre fois II ; Entretiens avec le
Professeur Y , Louis-Ferdinand Céline. Edition
présentée, établie et annotée par Henri Godard, Ed.
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.
(André Derval, Un
pari fictionnel, Magazine Littéraire Hors Série n°4, 4e
trimestre 2002).
EXAMEN D'UNE CAMPAGNE ANTICELINIENNE.
Philippe
Muray, auteur d'un Céline paru en 1981, répond
avec talent aux duettistes Bounan et Martin et sans
aucune complaisance vis-à-vis de l'auteur des
Bagatelles. Extrait.
C'est
ainsi que l'actuelle campagne anticélinienne, avec en
éclaireurs deux petits livres complémentaires, L'Art
de Céline et son temps de Michel Bounan et Contre
Céline de Jean-Pierre Martin, n'a d'autre objectif
ultime que le bannissement de Céline des bibliothèques.
Pas le Céline des pamphlets, bien sûr, introuvable
depuis longtemps, mais le reste, tout ce qui reste
encore de Céline, depuis Voyage jusqu'à
Rigodon, avec en point d'orgue son expulsion manu
militari de la collection de la Pléiade.
Plus émotif que son collègue en purification ethnique, Martin nous le dit
d'emblée avec une belle franchise : " quatre volumes
dans la Pléiade ", c'est trop pour ses nerfs. D'une
façon quelque peu lourde, et afin que nul n'en ignore,
il l'énonce dès le sous-titre de son ouvrage : D'une
gêne persistante à l'égard de la fascination exercée par
Louis Destouches sur papier bible.
Il y revient plusieurs fois, il s'en plaint amèrement :
" Céline, Maître penseur aigri de notre fin de siècle,
Céline sur papier bible. Le consensus est désormais de
son côté. Il est sur papier bible. Il est au programme
de l'agrégation. "
Nous voilà prévenus, on ne fera pas de cadeaux. Le temps est révolu où on
pouvait prétendre lire encore Céline, et le commenter,
et le critiquer. Il convient maintenant de
l'instruire en bloc. Comme une cause jugée d'avance.
Comme une affaire de droit commun. L'inquisiteur moderne
est au travail : regardons-le donc exercer son pouvoir.
Et tentons de comprendre au nom de quoi il juge.
L'intelligence de la société hyperfestive est le
commencement de sa critique.
Les attaques de Bounan et de Martin ne relèvent pas de
l'histoire des idées ; elles ressortissent pleinement de
la post-histoire des loisirs et de la propagande qui les
accompagne. La morale, au même titre que la culture et
le tourisme, offre un certain nombre de débouchés
compensatoires que le monde ancien du labeur ne procure
plus, Bounan et Martin sont des employés de l'Espace
Bien. Ils n'analysent pas Céline ; ils confessent en
long et en large une foi antiraciste dont on ne peut que
les féliciter, ainsi que le désir de liquider un
problème qui leur paraît un scandale, et une survivance
abominable en nos temps rénovés. Ils ne veulent plus
voir le problème puisqu'ils connaissent la solution. Ils
n'ont pas de questions à poser puisqu'ils disposent des
réponses. Ils ne questionnent pas Céline, ils le mettent
à la question. La bataille qu'ils engagent ne vise pas à
éclairer d'une façon nouvelle les livres de leur bête
noire, elle a pour objectif de les disqualifier. Il ne
faut pas que Céline soit seulement responsable des
crimes qu'il a commis. Il faut enfin
qu'intégralement il soit accusé. Et de naissance, comme
on le verra.
(...)
A la lettre, les libelles de Bounan et Martin sont des
entreprises d'intoxication par lesquelles on prétend
désintoxiquer le lecteur naïf qui n'aurait jamais rien
su de l'infamie célinienne, et c'est bien ainsi que
cette double offensive a été saluée : " Il y a, en
France, un gros non-dit autour de Céline " (Gilles
Tordjman dans Les Inrockuptibles). " Voilà Céline
remis à sa place. Ceux que bouleversent ses livres ne
pourront plus l'ignorer " (Grégoire Bouiller, Le
Monde). " Deux ouvrages viennent d'établir la vérité
sous les masques si convenus " (Alain Suied, Le
Mensuel littéraire et poétique).
Ayant constitué en axiome un aveuglement général qui n'a jamais existé,
Bounan et Martin peuvent bonimenter à leur aise. Sans ce
bluff du scoop, leurs livres n'auraient même pas lieu
d'exister. Et leurs auteurs n'auraient pu se décerner,
en les écrivant, de si précieux brevets de néo-bien-pensance.
De même ne paraissent-ils comprendre les
œuvres que dans la mesure
où ils peuvent croire qu'elles adhèrent ou militent. De
ce fait, les arcanes de l'histoire récente, c'est-à-dire
l'étendue des dégâts causés par l'évaluation morale des
choses et l'élimination de toute vision critique, leur
échappent fatalement. En moins de deux générations,
notait un employé de Libération juste après la
mort de William Burroughs (mais sans avoir bien sûr, lui
non plus, les moyens d'examiner le lièvre qu'il était en
train de soulever), ce sont certaines des
caractéristiques les plus " marginalisantes " de la
personnalité de cet écrivain (le fait, tout simplement,
qu'il était drogué et homosexuel) qui lui ont permis "
d'intégrer le panthéon de la political correctness ".
C'est aussi à la faveur de cette mutation qu'est apparue une nouvelle
classe étrange, mais parfaitement logique, d'opposants
rituels et officiels : organisateurs de subversion,
mécontents appointés, salariés dans la branche rébellion
de l'Institution, panégyristes de la guérilla qui
décoiffe, révoltés connivents, scouts de l'émeute,
Fripounets des barricades et Marisettes du Grand Soir.
Autant de personnages inédits dont notre excellent
Bounan et notre magnifique Martin n'ont pas la moindre
idée puisque, d'une façon ou d'une autre, en tout ou
partie, ils les incarnent.
(Philippe Muray, BC n° 192, novembre 1998).
CELINE SUR UN FIL
D'OR.
Louis-Ferdinand
Céline, sa vie, son œuvre.
Ses options, ses " idées ", son style. Ses dits et ses
non-dits. Rien qui n'ait été exploré, disséqué,
interprété, passé au crible. Gloses et commentaires de
gloses. De quoi emplir toute une bibliothèque.
De cette énorme littérature, énorme au sens quantitatif s'entend,
beaucoup d'ouvrages tendancieux, voire extravagants.
Bien peu, au bout du compte, qui apportent quelque chose
- sinon un éclairage, du moins une lueur - au lecteur de
bonne foi. On compterait sur les doigts d'une main ceux
qui méritent d'être sauvés. Au nombre de ceux-ci,
assurément, le très beau livre que Nicole Debrie a tiré
de sa thèse de psychanalyse, " Il était une fois...
Céline. "
Dieu sait pourtant si le propos de l'auteur (procéder à
une lecture analytique par l'apport célinien) pouvait
susciter la méfiance. Céline a été accommodé à tant de
sauces, linguistique, structuraliste, statistique,
psycho-critique, que la circonspection était de
mise. Peu versé, de surcroît, dans les arcanes de la
psychanalyse, ne connaissant des théories de
l'illustre Viennois que les rudiments accessibles au
profane, autant dire pas grand-chose, j'ai ouvert cet
essai non sans appréhension.
J'avais tort. Non seulement l'ouvrage est un modèle de
clarté, mais il témoigne d'une rigueur intellectuelle,
d'une probité qu'on salue d'autant plus volontiers
qu'elle est, sur le sujet qui nous occupe, une denrée
fort rare.
Nicole Debrie a le mérite de s'attacher à la totalité de l'œuvre,
thèse de médecine, romans, pamphlets, voire articles et
correspondance, sans privilégier un aspect particulier
ni esquiver aucun problème. Elle tire de la polyphonie
célinienne des harmoniques
jusqu'ici inexploitées, battant souvent en brèche, avec
l'alacrité qu'on lui connaît, les élucubrations
partielles et partiales. Si bien que le Céline qu'elle
nous présente, ce Céline tout neuf, avec ses
contradictions et ses conflits, sa sensibilité et son
intelligence, a toutes les chances d'être le vrai
Céline. Admirable et pitoyable tout à la fois. Aux
antipodes des caricatures habituelles, qu'elles soient,
d'ailleurs, le fait des détracteurs ou des hagiographes.
(...) Tous les grands thèmes céliniens sont déjà
présents dans " Semmelweis ", et les apparentes
contradictions qui ont égaré tant d'exégètes. On sait
gré à l'auteur de rappeler combien, dans sa pratique
médicale, le Docteur Destouches mit en
œuvre les valeurs de
Semmelweis, probité et charité, trop souvent occultées
pour les besoins d'une cause douteuse. Et, à propos du "
Voyage ", de pourfendre sans ménagement les Foucault,
Deleuze, Guattari, Roustang et autres Kristeva, prompts
à assimiler délire et folie et à voir en Céline un
apôtre de la déconstruction.
" Si Céline s'inscrit dans le mouvement antirationaliste, il s'inscrit
peut-être encore davantage dans celui qui s'élève contre
une mystique de la destruction. "
(...) C'est qu'aucun d'eux n'a compris l'essence du
tragique célinien. On a voulu voir dans l'auteur de "
Nord ", un fasciste, ou un gauchiste, voire un
nihiliste, un pervers ou un psychotique, alors qu'il se
borne à mettre en évidence des déchirements inhérents à
notre nature humaine, et l'impossibilité d'y échapper.
Le rôle d'imprécateur provocant où il finit par s'enfermer, celui des
romans mais surtout des " pamphlets " (encore
l'appellation est-elle sujette à caution) se trouve en
germe dans " Mort à crédit " : " Ayant découvert le mal
de son siècle et l'usage pathologique de la culpabilité,
Céline se met, comme Semmelweis, à insulter ses
contemporains ; il dénonce, trouvant dans cette
dénonciation une satisfaction compensatoire à ses
tourments. "
Ses prises de position tonitruantes, excessives, contradictoires, à tout
le moins mal comprises ou incomprises, reçoivent ici un
éclairage qui leur restitue toute leur cohérence.
(...)
Son chapitre sur " Céline et la judaïté " (à
différencier de la judéïté) propose une interprétation
qui présente le double mérite de se garder de toute
passion, de tout jugement a priori, et de reposer sur
une logique fort convaincante. Autant dire qu'elle prend
le contre-pied des théories de Muray et d'Alméras qui
prétendent déceler chez Céline un antisémitisme foncier.
Or, selon notre auteur, la notion de judaïté telle qu'elle se trouve
utilisée dans les textes polémiques polarise un ensemble
de critiques. Les juifs symbolisent pour Céline
l'intelligence abstraite et conceptuelle - le pôle
paternel de notre culture - par opposition à la
sensibilité, à l'émotion, à la poésie.
" Quand Céline réclame un racisme aryen (...), il réclame - obnubilé par
sa problématique personnelle, son absence indéniable de
narcissisme - ce qui lui manque. Il réclame, sur le plan
national, l'amour de soi. "
Au demeurant, Nicole Debrie insiste sur l'influence
qu'ont pu exercer sur ses prises de position ses
lectures d'Elie Faure et de Disraéli. Sources sur
lesquelles aucun commentateur n'avait, jusqu'ici, mis
l'accent. Surtout, elle souligne à juste titre qu' "à
aucun moment de sa vie et son œuvre,
Céline n'est sorti du point de vue éthique ou esthétique
".
Sa violence, toute subjective, vient de son incapacité à réconcilier les
antinomies multiples dont il était porteur. Nulle
idéologie, nul calcul dans ses vociférations. On sait
qu'elles attirèrent sur lui, prophète de malheur, tous
les malheurs du monde, l'anathème des bien-pensants de
droite et de gauche, et l'emprisonnement dans " la
fausse image d'un antisémitisme déchaîné ". Tel fut, en
d'autres temps et pour d'autres raisons, l'opprobre que
connut Semmelweis, autre précurseur de génie.
Ces quelques aperçus, forcément fragmentaires, ne
donneront qu'une faible idée de la richesse et de
l'originalité d'un essai que les fervents de Bardamu
découvriront avec passion. Il suscitera, à n'en pas
douter, bien des polémiques. J'entends d'ici la meute
des lacaniens, celle des cuistres sorbonnards hurlant de
concert à la mort, avatars de ces Kirghizes que Céline
imaginait campant sur les rives de l'Odet.
A moins qu'ils ne choisissent la conspiration du silence. Quoi qu'il en
soit, Nicole Debrie n'a rien d'une victime expiatoire.
Son pavé dans la mare prouve, à l'évidence, qu'elle ne
manque ni de munitions, ni de l'art de s'en servir.
P. L. Moudenc.
(Il était une fois... Céline, Les intuitions
psychanalytiques dans l'œuvre
célinienne, Aubier, Ecrit sur parole, dans Rivarol, 18
mai 1990).
CELINE, BOUC
EMISSAIRE.
Mystères
de la critique...
Sollers, qui avait accueilli avec une
certaine réserve la biographie de Céline par Alméras,
avalise cette fois pleinement la thèse de son dernier
essai. Où Céline apparaît comme le révélateur radical du
siècle finissant.
Paradoxe : les livres sur cette part maudite du corpus célinien sont de
plus en plus nombreux, alors même que les pamphlets -
qu'on serait sans doute mieux inspirés d'appeler "
satires " - sont toujours interdits de réédition.
La
cause est entendue. Il y a eu un grand écrivain
français, Céline, qui, tout à coup, est devenu
l'antisémite le plus virulent que le monde ait jamais
connu. Un délire s'est emparé de lui, une fulguration
négative, une révélation biologique tombée du ciel, une
effroyable tumeur.
Ses pamphlets (toujours introuvables en librairie) sont le symptôme de
cette folie soudaine. Du coup, mécanisme classique, il
devient la victime sacrificielle rêvée, le bouc
émissaire de la monstruosité du siècle. Céline est
l'homme qui a commis le péché mortel. L'antisémitisme,
c'est lui, à un moment particulièrement horrible.
Passons sur l'antisémitisme véniel. Le diable, c'est
lui.
Bouc
idéal : il a du génie, il vocifère, il rutile, personne
n'ose crier sur les toits à ce point. Vous dites
" antisémite ", donc " Céline ". A côté de
lui, il ne peut y avoir que des fièvres passagères, des
dérapages sans importance, des phrases malheureuses, des
mouvements d'humeur. D'ailleurs, tout cela est dépassé,
il s'agit d'une vieille histoire. A-t-elle même existé ?
On peut en douter.
Replaçons donc, comme le fait Philippe Alméras, Céline
dans l'Histoire. La France est ce curieux pays qui
s'agite beaucoup dès qu'on lui rafraîchit la mémoire.
Vous ouvrez des placards, et c'est aussitôt des visages
fermés, des grincements de voix, des silences lourds,
des poissons noyés à n'en plus finir. Pourtant, la
question est simple. Il suffit de rappeler que la
République est née d'une guerre religieuse sans merci,
dont l'affaire Dreyfus n'est que le moment culminant.
D'un côté : " Le cléricalisme, voilà l'ennemi ", de l'autre : "
La France juive ". D'un côté, le petit père Combes,
de l'autre le " complot judéo-maçon ". La
Révolution est un bloc, l'Argent aussi. On oublie
toujours que le best-seller de Drumont (114 éditions en
un an chez Flammarion) a été lu et propagé dans toutes
les chaumières. On ne comprend rien à l'enfance de
Céline si on fait l'économie de l'énorme masse de
discours violents qui, d'un côté comme de l'autre,
occupe tous les esprits. Il n'y a pas que les
plaisanteries de Léo Taxil sur " la vie secrète de
Pie IX ".
L'expulsion des jésuites, la dissolution des Congrégations, la
persécution objective des catholiques (la France prenant
le relais du Kulturkampf de Bismarck) déclenchent
une marée noire sans précédent. Les uns voient partout
des juifs aux commandes, les autres s'alarment sans
cesse du complot obscurantiste militaro-clérical. Les
dénonciations pleuvent, les insultes grouillent, les
journaux se déchaînent. Les vrais Français " de
souche " se sentent expropriés, les " juifs
allemands " les dépossèdent de leur civilisation et de
leurs croyances, tandis que le Vatican, dans l'ombre,
trame une restauration détestée. L'obsession règne, et
on la retrouve sans mal à travers les noms de Gobineau,
Léautaud, Gide, Jules Renard, Daudet, Maurras, en
attendant Chardonne, Giraudoux, Drieu, Jouhandeau,
Morand.
La guerre de 14-18 exaspère le mal, la défaite de 40 en sera la révélation
globale. Mais enfin, le grand possédé de cette tragédie
est Céline, nul doute. Bagatelles pour un massacre
(1937) dépasse toutes les bornes dans le genre
explosif.
Céline
est sans doute un voyou halluciné, mais c'est d'abord un
puriste. Alméras a raison de montrer son admiration pour
la campagne de purification menée aux Etats-Unis par
Ford. Voici ce que dit la propagande : " La musique
populaire est un monopole juif. Le jazz est une création
juive. La molle, la poisseuse, l'insidieuse suggestion,
la sensualité débridée des glissandos sont d'origine
juive. "
Ford imaginait, par rapport à ce poison, une " solidarité blanche
". Mais, dès Voyage au bout de la nuit, si admiré
à l'époque par l'intelligentsia (le spectre est large :
de Bernanos à Sartre et Simone de Beauvoir, sans parler
d'Aragon et Elsa Triolet), que voit Céline à Paris, dans
la " caverne de l'Olympia " ? " En bas, dans la
longue cave-dancing louchante aux cent glaces, la paix
trépignait dans la poussière et le grand désespoir en
musique négro-judéo-saxonne ".
Céline a publié L'Eglise, dont une phrase se
retrouve en exergue de La Nausée. Il va être très
mortifié des attaques dont il est l'objet lors de la
parution de Mort à crédit.
Peu importe que Le Figaro ne comprenne rien au Voyage et
parle de " scatologie ". Ce qui intéresse Céline, c'est
que Stavisky, l'homme de tous les scandales, soit choqué
par son livre et parle de créer un prix de littérature "
propre ". De quoi rire noir, en effet.
Dès lors, la machine est lancée. Le retour d'URSS de
Céline (traduit là-bas par Elsa Triolet) donne lieu à
Mea culpa : toute cette histoire de communisme est
une faribole juive. Les Américains ? " Une nation de
garagistes ivres, hurleurs, et bientôt complètement
juifs ".
Le Russe ne vaut pas mieux : " Geôlier-né, Chinois raté, tortionnaire
". Finalement, tout le monde y passe : Staline,
Roosevelt, Clémenceau, Freud, Montaigne, Racine,
Stendhal, Cézanne, Maupassant, Picasso. La maladie vient
des " latins ", le salut ne peut venir que du Nord, la
France devrait être coupée en deux à partir de la Loire.
Le racisme torrentiel de Céline n'épargne personne : "
Quel est l'animal de nos jours, plus sot, plus épais
qu'un aryen ? " Ce dernier est " con, buté,
ivrogne, jobard, cocu, esclave-né, ahuri dès l'école,
obscène de muflerie fanfaronne, lécheur de culs, torrent
de viande à buter ".
Quant aux juifs, virtuoses de la publicité au tam-tam, ils
sont " illusionnistes, paranoïaques voraces, vampires
intelligents, messianiques crépus et myopes frénétiques
de rédemption, réglisses, crucifiés tétaniques, jésuites
du monde moderne, toucans, négrites oniriques. " etc.
Passion religieuse ? Mais oui, et on en trouve la preuve
synthétique dans une lettre du 17 mars 1942 à
Lucien Combelle : " L'église, notre grande métisseuse,
la maquerelle criminelle en chef, l'antiraciste par
excellence... "
Cent autres exemples seraient à citer. L'important, au-delà de la
thèse défensive des " deux Céline " (un bon, un méchant)
; un génie écrivain, un monstre), est en définitive de
considérer ce " bouc " comme révélateur radical. Alméras
conclut justement, qu'il participe à chaque péripétie du
siècle dont il partage les émois, les combats, les
préjugés. Céline moins menteur que tous les autres ?
C'est probable. " Bon et méchant, écrit Alméras,
il donne au siècle sa voix. C'est bien pourquoi, de
Voyage à Rigodon, il est le seul à le citer de
bout en bout : patrie, guerre, massacres, santé, race,
génétique, eugénisme, musique, danse, mort, tout y passe
et tout est payé comptant. C'est bien le contemporain
incontournable. " On peut le regretter, mais c'est
ainsi.
(Philippe SOLLERS, Le Monde, 3 novembre 2000,
dans BC n°215, déc. 2000).
BHL et le " GENIAL
ECRIVAIN ".
"
Si vous êtes las de cette incroyable légèreté avec
laquelle l'époque - la nôtre, celle des fascismes -
décide d'éluder ses plus brûlantes questions, alors je
vous invite à suivre le conseil que donne Philippe Muray
dans son superbe essai, et à relire très vite, le plus
grand, le plus actuel des historiens du XXe siècle : je
veux parler, bien entendu, de Louis-Ferdinand Céline...
(...) Le génial écrivain des romans va partir en quête
du virus, du bacille qui, instillé dans le corps du
monde, y a induit tout son désordre. Brusquement
optimiste, affreusement impatient d'instruire le procès
du siècle, il part en guerre contre la littérature et le
cinéma yankee et il tombe ainsi dans le panneau de cet
antiaméricanisme primaire qui, depuis quelques années
déjà, figurait dans l'arsenal idéologique de
l'extrême-droite fascisante.
Et puis, bien sûr, à bout de souffle, au bout de sa
longue traque, à l'horizon de toutes ses menues et
provisoires inculpations, il détecte enfin son microbe,
le vrai, le seul, le corrupteur par excellence, celui
que deux mille ans d'histoire occidentale avaient
désigné à sa fureur : en un mot, le juif. (...)
Concrètement, et aussi atroce que cela paraisse : avant
d'être un délire, le racisme est un remède, une potion
de providence, un peu d'ordre dans le désordre et le non
sens du monde - un rai de lumière, enfin, à l'horizon de
la nuit.
Lisons-le donc enfin, ce Céline des pamphlets ! Entendez
comme sa voix a mué ! C'est comme un convalescent guéri
de ses propres songes et qui commencerait à croire au
monde et à ses positivités. Un très ancien exilé,
longtemps absent à toute place, qui découvrirait sur le
tard le charme des terroirs, des folklores, des douces
racines françaises. (...) Céline le collabo revendique,
qu'on le veuille ou non , sa part à la fondation du "
socialisme à la française ". Là encore, il a tout dit.
Il a deviné, cerné et fait lui-même l'épreuve du
paradoxe de l'époque. Car s'il peut être ainsi
progressiste et raciste, c'est, on l'aura compris, que
racisme et progressisme sont les deux figures,
simplement, de la même volonté de guérir.
Lire Céline, c'est comprendre pourquoi il n'y a pas de
rêve communautaire qui ne porte comme son ombre et sa
limite la tentation de l'exclusion. Pourquoi, si l'on
préfère, l'ère moderne a inventé une religion et une
seule capable, comme le dit l'étymologie, de recueillir
les fils épars du lien social dénoué : la religion
fasciste. (...) On trouve tout dans le célinisme. Toutes
les pièces du dossier réunies en un seul homme. Toutes
les séquences du film noir mises à nu et à plat. Et
cette invraisemblable impudeur avec laquelle,
finalement, il dévoile les moindres trucs, les ficelles
les plus obscures de la folie persécutrice... (...) On
peut rêver à la façon dont ses pires délires antisémites
auraient été reçus s'il s'était contenté, comme tant
d'autres, comme tant de phares incontestés de la pensée
française, de les chuchoter, de les murmurer entre les
lignes et de passer en ombre discrète au lieu de vendre
ainsi la mèche. Le bougre a préféré aller partout, dans
la cité, éventer le terrible, le brûlant secret de la
communauté.
Au vu de cette gaffe monumentale qu'il a en quelque sorte commise, il
est, de ce même siècle le symptôme et le révélateur. Il
a quelque chose du gêneur, de l'indésirable témoin et,
donc, de l'homme à abattre. (...) Immense écrivain ou
fasciste typique ? Les deux à la fois, bien sûr, et
indissolublement. Le même paladin d'ordure ou, parfois,
de vérité. A la limite de l'âge moderne, remonté depuis
ses combles, surgi de ses plus noires bouches d'ombre,
il y a un raté, une ratage, une propre vomissure et
comme inaudible lapsus - qui s'appelle Louis-Ferdinand
Céline. "
(Le Nouvel Observateur, 17 octobre 1981,
dans Spécial Céline n°8, E. Mazet).
LES PAMPHLETAIRES.
" C'est la faiblesse de presque tous les
écrivains qu'ils donneraient le meilleur d'eux-mêmes et
ce qu'ils ont écrit de plus propre pour obtenir un
emploi de cireur de bottes dans la politique. "
Marcel Aymé.
Vous l'avez aussitôt deviné. Il s'agit de cette joyeuse
et délirante troupe, en charge de réduire
malicieusement, sournoisement, servilement et
définitivement, Céline à ses pamphlets.
Comme à l'accoutumée, ses membres ne tiennent généralement aucun compte
de leurs véritables contenus. Certains même, avouent ne
les avoir jamais lus, élèves exemplaires !... Quant aux
dates auxquelles ils ont été écrits, les motifs
essentiels qui les ont déclenchés, un bon nombre n'osent
s'étendre, d'autres enfin, préfèrent les ignorer
totalement, c'est plus sûr. Mais tous ont ceci en
commun, ils ont retenu deux mots de passe, sur lesquels
ils tartinent à l'infini, c'est la coutume démocratique,
il faut s'y faire.
Pour la plupart, c'est évident, les pamphlets, au nombre de huit, sont l'Introibo,
le Magnificat et l'Ite missa est, de l'œuvre
de Céline.
Dans le Bulletin célinien de juin dernier, Monsieur Marc Crapez
intitule son article " Que faire de Louis-Ferdinand
Céline ? " N'en faites rien Cher Monsieur ! Il s'en est
fort bien chargé lui-même. Plus loin, cette phrase : "
Loin des salves échangées... Naviguent les quelques ceux
du frêle esquif de la liberté d'esprit ". Que l'auteur
nous permette de lui faire aimablement remarquer que la
liberté d'esprit qui n'a pas subi, personnellement,
quelques dures réalités du siècle, connu les délices de
l'Epuration, risqué sa vie pour défendre son pays, subi
les lois liberticides de la démocratie, les calomnies du
politiquement correct, les falsifications de l'Ecole, et
le silence des médias, ne peut se targuer d'avoir été le
passager de ce frêle esquif.
Quant au cuirassier célinien (cuirassier est une autre
histoire !), constamment harcelé par une escadre de
sous-marins nucléaires, et autres torpilleurs aux ordres
depuis plus d'un demi-siècle, il est miraculeux qu'il
n'ait pas encore été envoyé par le fond. Est-ce
maladresse ? Façon astucieuse de pouvoir entretenir
moultes calomnies autrement plus fructueuses à leurs
yeux ? Ou bien enfin, est-il insubmersible ? Dans ce
cas, Marins de haute mer ! regagnez votre port
d'attache, et attendez des jours meilleurs.
A la cadence où coulent les libertés les plus fondamentales, inscrites
pourtant au fronton de la Déclaration des Droits de
l'Homme, telle la Liberté d'expression, l'ultime
regrettable solution s'imposera : le sabordage, lorsque
tout son équipage composé de curieux, de cultivés et de
braves, devenus rares, aura peu à peu disparu.
Monsieur Marc Crapez insiste : " Céline n'en reste pas
moins l'auteur de trois pamphlets antisémites ".
L'horreur capitale du XXe siècle, il faut en convenir.
En comparaison, la Grande Guerre, et la Guerre mondiale,
déclenchées directement ou indirectement - par qui ? -
ne sont que broutilles.
Puisque les dits pamphlets - sous quelle réelle pression ? - sont
interdits de publication, qu'attend-on pour faire un
immense autodafé dont l'histoire est coutumière, plutôt
que de surveiller, menacer les bouquinistes en quais de
Seine, laisser saccager à répétition les libraires,
blesser leurs gérants ou propriétaires, et pour finir
les traduire hardiment devant les tribunaux dont les
sentences pourraient être prêtes, comme l'étaient tant
d'autres avant l'Epuration.
Puis, pour parachever cette œuvre
démocratique de bien public, pourquoi ne pas faire
pondre, en catimini par le Parlement, une loi
liberticide supplémentaire ? Ainsi serait complété
l'arsenal répressif européen déjà exemplaire, nommé
petit goulag par certain. A quand le très grand ?
Certains seraient-ils en manque ?
Toujours dans le même article, M. Marc Crapez, nous
parle d'adhésion de Céline au racisme biologique.
Serait-il un humoriste ? " Céline a toujours voulu
adhérer au racisme biologique " (p. 17). Pourrait-il
nous dire qui lui en aurait donné l'exemple ?
Enfin, il est question de "... culte célinien ". Culte :
hommage religieux rendu à une divinité ou à un saint
personnage. Admiration mêlée de vénération,
considération avec le respect dû aux dieux, nous dit
Le Petit Robert. Rien de tout cela, cher Monsieur.
Un homme cultivé, abstraction faite de la culture NTM
favorisée par certains de ses ministres, est un homme
apte à comparer, à juger l'œuvre
d'un écrivain, de le différencier avec d'autres, et de
donner son opinion. De tels témoignages ont-ils manqué
en France et de par le monde pour établir que Céline est
au Parnasse des plus grands ? Ces auteurs le
vénèrent-ils pour autant ? Lui portent-ils un culte ?
Néanmoins, le contemporain capital de ce siècle n'en
continue pas moins - sous la pression de qui ? - d'être
considéré, crescendo ! comme le chien galeux de la
littérature française, pour avoir énoncé quelques
vérités irréfragables, dans ce siècle de mensonges
éhontés. N'est-ce pas risible, monsieur le "
pamphlétaires " ?
Pire encore, Céline s'est génialement déclaré contre la
guerre, c'est-à-dire contre ses responsables. Avec sa
seule plume, il s'est malencontreusement opposé à la
disparition de 50 millions de morts, quelle erreur ! si
l'on en juge à ce que ça lui a coûté. Preuve tout de
même que cette affaire, pour d'autres, a été un
excellent placement.
Alors
que Céline est de plus en plus reconnu comme l'un des
écrivains majeurs de ce siècle, les ouvrages de
Hans-Erich Kaminski, Céline en chemise brune, une
fois de plus réédité et abondamment commenté, de
Jean-Pierre Martin, Contre Céline, et Gilles
Tordjmann, lequel a même été jusqu'à écrire qu'il était
temps d' " en finir, non seulement avec Céline, mais
encore avec les céliniens ". Hé ! Hé ! ne seriez-vous
pas curieux, chers amis, de savoir si chacun de nous
serait autorisé à tenir de tels propos, sans que Thémis
s'en mêlât ?
Afin que notre ami Marc Laudelout ne me gronde, il me
faut en passer et des meilleures. Mais je ne puis
décemment m'empêcher de citer également Frédéric Vitoux
qui juge que Céline est " de cette race de visionnaires
qui ne voient jamais rien... " Lui qui a tout prévu ! et
Michel Bounan qui traite Céline de " truqueur de texte
", et dont la théorie, ironise Philippe Alméras, est à
replacer dans la série des théories à expliquer
l'inexplicable.
Parmi ceux qui apprécient vivement Céline, un bon nombre
pourtant, afin de se dissocier, font la grimace devant
les pamphlets. Ignorent-ils encore les temps forts de
son œuvre ? Ne
permettent-ils pas d'aborder plus aisément et plus
amplement ce monument inépuisable dont tout homme
cultivé devrait être fier ? Si malgré ce, ils insistent,
qu'ils se mettent dans un coin, feuillettent Bécassine
et nous oublient.
Nombre de ces sergents-majors, c'est évident, ont besoin de se mettre au
vert. Ils ne sont ni en jambes ni en cerveaux, car ça
frôle trop souvent le dérisoire. Ce dont nous avons un
besoin urgent, c'est de clarté, de faits et
d'expériences vécues.
Dans Céline scandale de M. Henri Godard, auquel
les céliniens doivent tant, et ne mérite assurément pas
d'être classé parmi les " pamphlétaires ", il est tout
de même surprenant de lire que les idées de Céline sont
moins intellectuelles que celles de Marcel Proust et de
James Joyce. Si l'adjectif est pris dans le sens actuel,
je lui accorde bien volontiers, vu que les
intellectuels, chaque jour, nous montrent ce dont ils
sont capables. Sinon, je crois me souvenir que Céline "
n'... pas les mouches ", lui ! Plus
respectueusement, je
dirai que chez l'un comme chez l'autre, bagatelles,
détails, frivolités et longueurs interminables, se
bousculent au portillon. Néanmoins, je garde envers le
premier, un souvenir de jeunesse romantique qui m'est
resté cher, ma première émotion littéraire. Et parce que
novateur, je le considère toujours parmi les écrivains
de ce siècle.
A la page 53, je relève aussi que " Céline s'était mis
avec les pamphlets du côté des agresseurs, que dans ses
romans mêmes, il agresse encore ". A Poelkapelle mis à
part, n'est-ce pas ? Où Georges Guynemer, soit dit en
passant, mourut en plein ciel de gloire, où Père, sur un
Farman, risqua le pire, conséquemment de n'avoir
moi-même jamais vu le jour, et pouvoir suivre
son exemple, 36 ans après, dans une cuvette mémorable au
cœur du pays thaï. Depuis
quand un poilu a-t-il eu l'envie de remettre ça, M.
Godard ? En matière d'agression, sur le plan des lettres
françaises, qui, plus que Bardamu, assassinés et
fusillés à la va-vite exceptés, peut se vanter d'en
avoir été la victime ? Lui, dont le dossier était vide !
(BC, n°182, p.10).
La Quinzaine littéraire du 16 janvier 1994,
faisant allusion à Céline nous révèle, que " ce grand
écrivain fut un salaud ". Dans les faits, ne serait-il
pas intéressant d'en connaître précisément les motifs ?
En revanche, que l'école et les media ressassent à
longueur de décennies, que Churchill, Roosevelt et " son
grand ami démocrate Staline ", furent des hommes d'Etat
angéliques, ne paraît gêner personne. Puisque nous y
sommes, pourquoi ne mériteraient-ils pas canonisations ?
Histoire pour cette brochure mémorable, de remplacer
avantageusement, par leur nombre, Isabelle la Catholique
dont le dossier s'est peut-être égaré dans quelque cave
vaticane.
Trêve de plaisanterie ! Un petit brûlot par la taille,
mais un maître-livre par sa clarté et son modèle de
concision vient de paraître sous la coupole célinienne :
Céline et les têtes molles de notre ami Pierre
Monnier. Une heure de lecture sur le petit nuage. Des
pages opportunes, impartiales, limpides, crédibles,
authentiques. Elles nous donnent illico l'envie de
planter-là les têtes molles, et de reluquer Céline tel
qu'en lui-même la vérité le change.
Trois fois merci, Pierre Monnier, pour ce moment de bonheur. Pour cette
heure de salubrité et de réhabilitation littéraires sans
bavure. Pour cette mémoire en défense qui devrait être
lu par tout lecteur vraiment désireux de pénétrer dans
l'univers célinien.
Jacques CARLON.
(BC
n°193, décembre 1998).
Philippe ALMERAS a lu : Michel Bounan,
Lettre à un universitaire, in L'art de Céline et son
temps, Ed. Allia, 1998, 3ème édition revue et corrigée,
pp. 129-131.
Cher Marc Laudelout,
Vous m'envoyez la lettre que Michel Bounan publie en
m'invitant à y répondre. Vous aimez la polémique. A vous
la copie, à moi les insultes. Et j'ai beaucoup donné !
Bounan traite de " truqueur de textes " celui que Nicole Debrie voyait en " porteur de valises " et que Poirot-Delpech
dénonçait à une assemblée générale de l'Alliance
Israélite Universelle, ce qui le faisait traiter illico
de " révisionniste " dans " Tribune juive ". Et
je résume. Tout cela pour avoir raconter en détail ce
que tout le monde sait en gros, c'est-à-dire que, tout
en construisant une œuvre à succès dans une langue
populaire réputée " de gauche " sinon révolutionnaire,
Céline nourrissait des convictions racistes-biologiques
à incidence antisémite ( ou vice-versa ).
Chacun choisit chez l'auteur de Mort à crédit et des
Bagatelles pour un massacre ce qui l'intéresse : ce
racisme, la poétique, l'anarchie, la musique, le
symbole, le pacifisme, que sais-je ? J'ai insisté sur ce
que les autres négligent et qui peut être important
sinon essentiel pour comprendre son génie propre. On
n'isole pas Stendhal, Balzac, Flaubert de leurs "
idées ". Je n'isole pas non plus Céline de son temps : car il
ne me paraît guère plus excessif dans ses options que la
plupart de ses confrères ou de ses contemporains. Si on
tient à lui attribuer une responsabilité dans la Shoah,
il faut qu'Aragon prenne sa
part de Goulag. Au moment où l'on enterre les Romanov,
personne ne cite son hymne à leur assassinat ( voir Hourra l'Oural chez le même Denoël ).
C'est par Le Monde que j'ai appris l'existence de
L'Art de Céline du Dr Bounan. Sa thèse selon
laquelle l'antisémitisme toujours contre-révolutionnaire
résultait d'un complot d'Etat y était présentée de façon
positive. Voyage au bout de la nuit, disait le
critique, était " un piège dans lequel toute la gauche
des année 30, d'Aragon à Sartre et Trotski est tombé ".
Je l'achetai et je constatai que, comme Jean-Pierre
Martin et Marc Crapez qui publiaient au même moment,
Bounan m'avait beaucoup lu. Eux le disaient, lui pas.
Mon tort a été de lui envoyer un petit mot d'admiration
étonnée - où avait-il pêché toutes ces belles choses ?
On ne se méfie jamais assez des quinquagénaires
homéopathes qui présentent le Sida comme une machination
du pouvoir d'Etat " pour protéger ses intérêts, fut-ce
au prix de millions de morts " ( Le Monde ).
J'ai
reçu mon diagnostic par retour : " redondant ", j'étais
redondant. Le cas de Céline était connu depuis sa
condamnation pour collaboration en 1951 ! Il m'avait
fallu tomber sur le seul homme qui crut que la justice
faisait l'histoire ! Cela me rendit curieux de savoir ce
qu'était cet éditeur ' Allia " que " Le Monde
des poches " jugeait " impeccable ", je demandai
leur catalogue. Ce qui me valut d'autres sottises sur
papier de luxe.
Je redonde donc. Vous redondez et nous redonderons
quelques temps car personne ne croit plus aujourd'hui
que le président Drappier et ses assesseurs ont réglé
l'affaire Céline. Où sont d'ailleurs ceux qui croyaient
que l'auteur de Voyage au bout de la nuit était "
de gauche ", renégat avec Mea culpa, ou fou après
1936 - et qu'il avait perdu tous ses moyens en publiant
ce qu'on intitule aujourd'hui ses " pamphlets " ? Henri
Godard, de chez Gallimard, nous dit, sans donner de
chiffres, que ce sont " les livres de la fin " qui se
vendent le mieux.
Dans les années soixante, quand je demandais ce que
venait faire dans le roman traduit en russe par
Aragon-Triolet, adoré par Sartre et de Beauvoir - la
musique " négro-judéo-saxonne " de la page 72, où était
donc Bounan ? A moi, il semblait que la petite phrase
s'expliquait par Henri Ford et sa croisade contre la
perversion de l'Amérique blanche par l'alcool et le jazz
" juifs ", Ford que Céline... Bounan aurait dû m'avertir
que tout le monde le savait et que je redondais tout
seul. Il m'aurait évité quelques tracas. Maintenant tout
le monde lit Céline sans peine : l'éditeur du texte de
Voyage pour les scolaires, dit à ceux-ci : "
Vous
avez remarqué cette page 72 au racisme franc..." ( je
cite de mémoire ). Les enfants de Bounan sont autrement
dégourdis que leurs anciens !
En Amérique, écrire qu'il n'y avait pas deux Céline : un
bon romancier, un mauvais pamphlétaire était très mal
pris. De retour en France où tout cela me ramenait, je
me voyais avec surprise obligé d'assumer le rôle opposé
: parler de Céline raciste-antisémite était tout aussi
mal vu qu'en Amérique mais pour des raisons opposées.
Tous les " céliniens " réprouvant rituellement ses "
idées ", insister sur celles-ci était jugé " réducteur
". Il y avait aussi les ayant-droits. Céline ayant
interdit la réédition des ses " pamphlets ", tout ce qui
touchait aux " idées " entrait dans leur chasse gardée.
J'ai raconté tout cela, vous le savez, dans un Voyager avec Céline, qui, avant même d'être imprimé,
m'a purgé. C'est pourquoi aujourd'hui j'en parle avec
autant de détachement.
(...) A la vérité, l'auteur des Bagatelles
déboussole tout le monde. Et, soyons impartiaux, de
l'extrême gauche à l'extrême droite. Les plus sérieux
docteurs en viennent à lire sans lire ( Godard ) tout en
jouissant de leur indignation, ce qui est un comble.
D'autres, à force de gloses et de rapprochements, en
oublient le sens des mots. " Massacre, cadavres, poteau,
corde, pendus, fixer ou luxer ", rapprochés, répétés,
finissent par dire autre chose que massacre, cadavres,
poteau, corde, pendus, fixer ou luxer. Dans " luxer le
juif au poteau ", si l'on se concentre bien sur "
luxer ", on ne voit plus " juif au poteau
". Sollers a
patronné un Céline-juif démontré par la rose qui
précédait ou suivait un Proust-hétéro du même auteur.
N'importe qui peut être n'importe quoi, rien à craindre.
D'une notion à l'autre, l'antisémite le plus constant de
toute notre littérature peut se retrouver colon à
Hébron, sémite-antisémite par le fait. Et ce n'est sans
doute qu'un début, le brouillard du mythe - qui n'est
jamais un mensonge - recouvre d'autant mieux Céline
qu'on escamote dix ans de sa production, dix ans de vie
militante, un bon tiers de l'œuvre et qu'il faut en
parler à demi-mot et par sous-entendus.
Et cela dans un temps ou jamais le terme de " racisme "
n'a été aussi galvaudé, l'ethnicité aussi combative, la
génétique si complètement déployée et l'eugénisme autant
pratiqué. En établissant ces fossés, ces gouffres entre
leurs pratiques et leur idéologie, les civilisations
s'amusent.
Sans que cela crée d'ailleurs une ride sur la mare. J'ai
lu avec ravissement dans le Bulletin les sujets
de communication du colloque Céline à l'abbaye d'Ardenne
organisé par la " Société des Etudes céliniennes
" que j'ai présidée : rien qui puisse perturber la
sérénité des lieux, ni le silence de rigueur !
(Alméras
répond à Bounan, BC n°191, oct. 1998).
Emilien
AUGER a lu : "
Christine COMBESSIE-SAVY, Voyage au bout de la nuit,
Céline. Ed. Nathan, 1993, coll. " Balises ", 127 p. ".
VOYAGE AU BOUT DE LA HAINE ET DU FRIC.
Agrégation et centenaire : ça siffle de partout. Pas les
merles moqueurs ! les pies voleuses plutôt. Les éditeurs
se frottent les mains : ils vont écouler l'invendable.
Les thèses illisibles et déjà dépassées. Grilles sur
grilles, politico-structuro-linguistiques, s'entassaient
sur Voyage au bout de la nuit, à encager son
grand rire et tout le plaisir du lecteur.
Le marché étant ce qu'il est, on envoie à la casse les meilleures études,
et l'on sort des brochures composées en trois mois, mais
bien au goût du jour. A coups d'ordinateurs, ils vous
raboteraient l'Himalaya ! Il faut donc " baliser " ce
Voyage pour les jeunes, les moins jeunes, pour les
pions, et les " fabricants de déserts ", leur
dire comment lire ce chef-d'œuvre,
en se bouchant le nez ou avec des pincettes.
Faudrait pas se tromper d'odeur ! Découvrir un poète, s'énamourer d'un
musicien, se transir pour un grand esprit ! Les chefs-d'œuvre
du gars Céline ne sont que des accidents de son esprit
malade ou de sa bêtise criminelle. Il est interdit de
rire en parlant de Céline.
Voilà d'ailleurs une brochure qui remettra les yeux en
face des trous dans nos chères têtes blondes : chez
Nathan, collection " Balises ", Voyage au bout de la
nuit, commenté, résumé, expliqué par Mme Christine
Combessie-Savy, agrégée de lettres classiques, ancienne
élève de l'E.N.S. de Sèvres... Tarde venientibus ossa
?... Quand vous avez lu ça, vous savez presque tout
!
Les meilleurs cours de l'Alma Mater y sont concentrés. Les toutes
dernières finesses, les toutes récentes approches. Une
vraie compil d'idées nouvelles. Repères, synthèses,
jugements et foutaises... pour lycéens de premières ou
de terminales, bacheliers en tous genres, ceux qui n'ont
pas le temps, le goût de penser par eux-mêmes.
Qu'est-ce qu'elle leur raconte, l'"agrégée en dentelles " ? Dans
les finesses, y a aussi des ficelles !
Ça commence assez mal. L'air
de rien, par Mea culpa... (Achetez L'Infini !)
Chinois, Russes et Cubains peuvent respirer.
Soljenitsyne retourner au goulag. Pour notre magister,
Mea culpa n'est pas un pamphlet contre le
communisme (ni contre le rousseauisme), mais seulement
une critique du " régime soviétique " (p. 5). Ce doux
euphémisme sent diablement sa nostalgie des " lendemains
qui chantent ", le doux espoir de rechanter
l'Internationale le poing serré sur des millions de
morts au nom de la démocratie.
Quand les Russes d'aujourd'hui pensent qu'on devrait élever une statue à
Céline pour avoir écrit Mea culpa, et quand on
apprend tous les jours l'horreur criminelle des régimes
communistes, page 12, Mme Combessie dénonce Mea culpa
comme un danger (fasciste ? antisémite ? raciste ?) pour
un jeune lecteur de Voyage, " quatre années
seulement séparant les deux œuvres
et ne suffisant pas à dresser une barrière ". Toujours
la nostalgie des murs !
Il est vrai que page 5, notre professeur s'étonnait déjà
de la soudaine violence des pamphlets, comme si les
romans de Céline, sa thèse de médecine, n'étaient pas
des pamphlets tout aussi violents contre la
collaboration des hommes avec la mort. Et Madame
Combessie de susurrer, d'insinuer, page 12, qu'il faut
alerter le lecteur sur " tout ce qui dans le roman peut
s'apparenter aux forces à l'œuvre
dans les pamphlets ". Admirez le sophisme !
La formule est juste assez vague pour laisser fantasmer l'innocent lycéen
sur l'abjection qu'il doit découvrir entre les lignes.
Nazi Céline avant Hitler, caca Céline au berceau !
Attention au sida en ouvrant le Voyage !
Et veuillez ne pas jouir, s'il vous plaît, en lisant ce
chef-d'œuvre ! Et ne pas
vous moquer des anciennes croisades. Y a encore des
tombeaux à délivrer de part le monde. Madame Combessie
n'est guère pacifiste. A la trappe Giono ! Elle se méfie
des " pacifistes complaisants " (p. 12). A la prochaine
guerre, elle sera la première.
Madame Combessie a le sens de l'Histoire. Tout en colonnes et en "
repères " (page 7 à 10). Mais tout de même, quels
curieux oublis, page 9, et qui ne sont pas, eux, sans
certaine complaisance : ni mention de la signature du
pacte germano-soviétique (qui assassina la Pologne et la
France), ni mention bien sûr de sa rupture, puisqu'elle
vient après (et non avant) la publication des Beaux
draps. Ne dirait-on pas que Madame Combassie "
contourne, tait et masque ", mais cela ne se peut,
puisque c'est ce qu'elle reproche à ce grand menteur de
Céline (p. 6). Notre professeur refuse de croire au
pacifisme de l'écrivain : peut-être à cause de sa
bravoure pendant la guerre de 1914.
Le livre est plein de préventions. De résumés aussi, et
fort bien faits. Mais autant résumer Les fleurs du
mal ou les Mémoires d'outre-tombe... Et que
de paraphrases ! La " petite musique " de Céline
couverte par le marteau-piqueur de l'idéologie. Et on
arpente et on mesure. Avec en plus quelques belles
sentences bien morales. Et on pense et on pèse.
Céline évoque-t-il chez les noirs d'Afrique leur " lenteur hilare
" (oxymore à la fois poétique et réaliste), leur "
percussion radoteuse " (aussi répétitive que
les tambours de Goude), et leur " pagne drapé à la
romaine " (n'en déplaise au grand Jules César) : le
voilà le racisme qui montre son museau de hyène pour Mme
Combassie (p. 49).
Elle n'a pas vu de films d'ethnologue des années 1914 ou 1932 tournés au
Cameroun ou ailleurs, ni lu les Voyages d'André
Gide, ni regardé les cartes postales de cette époque.
Tout est mal lu. Et quand les arguments lui manquent,
elle fait parler les silences. C'est encore plus facile.
Parce que Céline n'exerce pas sur les Africains sa "
méchanceté ", cela devient douteux pour elle, ce ne peut
être que la forme d'un racisme honteux, le pire, celui
qui ne s'exprime pas. Contradictions et diffamations ne
font pas peur aux Trissotin et Philaminthe de notre
époque.
Mais le style, la musique de Céline, toute sa poésie ? O
Bélise ! Parfaitement bien étudiés pages 112 et 113 :
admirez ces " écarts syntaxiques ", saluez ces " écarts
sémantiques ". Mordez-moi ce néologisme ! Que dites-vous
de cette architecture ? Ajustez votre équerre, tendez le
fil à plomb. Pas d'illusion ici. Et pour la poésie, ces
mots comme " branlocher ", " pustuler ", "
trimarder ", et nulle part ailleurs.
Dans l'audace et l'argot. Lycéens de Pantin et de Garches, voilà
qui va vous estomaquer. Pour Madame Combessie, le style
de Céline ? D'où, comme ? Le langage paysan de Martine,
la servante de Molière (p. 110), à peu près le langage "
péquenot " que certains reprochaient à Céline en 1932.
Notre agrégée aurait pu évoquer Boileau, son chat et ses halles, sa quête
de naturel, ou mieux, au comble de l'artifice, les
exemples de Villon, Rabelais, La Fontaine. Mais il n'est
pire sourd qui ne veut entendre.
Quels sont les thèmes de cette " symphonie émotive
" qu'était Voyage au bout de la nuit pour Céline
? Pour Madame Combessie : la vérité, le sexe, la mort,
la pauvreté... Là, pas d'erreur. L'œuvre
est si riche ! Mais pas un mot sur sa philosophie, le cœur
même de cette œuvre, son
inspiration : en un mot, la musique. Il est vrai que
c'est peu quantifiable. Qu'il est beaucoup plus facile
d'aborder les problèmes de l'autobiographie et du
noircissement d'attribuer à Monsieur Godard la
comparaison de la " vieille Henrouille " et de la
grand-mère Guillou, et d'affronter le stade anal et le
stade oral dans l'ignominie du biologique. Pas une seule
citation non plus sur la musique dans le florilège qui
clôt l'étude.
Et puis, la bibliographie, à la fin, nous éclaire :
Julia Kristeva, Jean-Pierre Richard, Danielle Latin...
aux thèses si peu musicales, si pesantes d'idéologie
surtout, si peu accessibles en lycée. Mais tant pis ! On
place ses petits camarades. C'est humain. Et le
principal est fait. Affluent pognon et félicitations.
Servez la rente. Quel argent sale ? Une mine d'or, ce
salaud de Céline, en fin de compte !
Autant recommander aux lycéens, de Nicole Debrie, son
petit L.-F. Céline (préfacé par Marcel Aymé) aux
éditions du Trident (Librairie française), et vous
dépêcher d'acheter son Il était une fois Céline
(éditions Aubier) avant que l'ouvrage, boycotté dans les
librairies, ne finisse au pilon.
Il fait si froid sur les quais de la Seine en hiver...
Emilien AUGER.
Quand on est un obscur écrivaillon, une bonne façon de
faire parler de soi c'est de s'attaquer à une célébrité
littéraire. Pour plus de sécurité, on choisira un
écrivain mort. C'est ce qui arrive aujourd'hui à Céline
avec ce médiocre fascicule baptisé Contre Céline. Double
habileté de consacrer un pamphlet à l'un des plus grands
génies littéraires : ses adorateurs comme ses
détracteurs parleront de vous. Aussi, afin de ne pas
tomber complètement dans le panneau, nous ne citerons
pas le nom de l'énergumène qui a commis ce crachat sans
saveur. Mentionnons juste qu'un âne célèbre porte son
patronyme, ce qui n'est sans doute pas fortuit.
La thèse de notre olibrius est simple : Céline a écrit
des pamphlets racistes ce qui n'est pas bien. Nous le
savions déjà.
Mais
le fait que Céline ait écrit des saloperies n'enlève
rien à son génie. La littérature n'est pas le domaine du
Bien et du Mal. Il y a des tribunaux - ou mieux
encore des Dieux - pour cela. L'auteur de ce livre aussi
bête que prétentieux aime Duras, Sarraute et les
écrivains déportés par les nazis. Cependant, les bons
sentiments et les idées généreuses, comme le fait d'être
persécuté ou emprisonné, ne suffisent à vous donner du
talent. Le style n'a rien à voir avec la politique. Ces
évidences doivent être rappelées à l'heure où les
autodafés reviennent à la mode. Contre Céline s'insurge
contre la " glorification " de l'auteur du Voyage au
bout de la nuit et des Beaux draps. Comment peut-on
encenser quelqu'un qui a écrit des textes antisémites ?
Rassurons notre Tartuffe. Les pamphlets de Céline sont
censurés et tombent sous le coup de la loi. Que faire de
plus ? Crever les yeux de ceux qui les ont lus depuis 50
ans ? Sauf erreur, c'est bien Malraux et non Céline qui
est au Panthéon ! De même, ce sont les thuriféraires de
Staline, Mao et Pol Pot - comme Sartre - qui sont
étudiés dans les lycées !
Au début des années 30, Léon Daudet défendait dans les
colonnes du journal monarchiste L'Action française
la prose de Céline comme il avait défendu auparavant
Proust. Dreyfusard, homosexuel et juif, Proust était
lavé par les tenants du Roi et de l'Eglise ! La
littérature était encore un espace de liberté, de beauté
et de plaisir où les préjugés moraux et politiques ne
dictaient pas le goût.
Ce qui est intéressant dans la poussive démonstration de
notre ayatollah, c'est que l'on y touche du doigt l'air
du temps. Derrière le charabia abscons, l'invective
plate, les pathétiques difficultés avec la syntaxe, la
médiocrité étalée et satisfaite d'elle-même, la bassesse
des contre-vérités apparaît la sale gueule du
politiquement correct. Une pincée de Le Pen et de Bosnie
pour être complet et nous voilà au sein des glauques
troupeaux entonnant la mélodie haineuse du " Pas de
liberté pour les ennemis de la liberté ". Leur liberté
aigre, fourmillante de prisons et de listes noires,
n'est pas la nôtre. Un jour, peut-être, ces gens-là
gagneront la partie. Ils ouvriront des camps de
concentration pour que plus jamais le fascisme ne
revienne. Ils brûleront les livres de Céline pour lutter
contre l'intolérance. Nous vivrons dans le meilleur des
mondes. (L'Opinion indépendante du Sud-Ouest,
hebdomadaire toulousain).
JACQUES D'ARRIBEHAUDE
a lu : Essai de situation des pamphlets, nouvelle
édition revue, Du Lérot Ed. , collection " Céline Etudes
", 1987, d'Eric SÉEBOLD
Cette nouvelle étude de l'essai d'Eric SÉEBOLD
est d'autant plus justifiée que les récentes biographies
de Maurice Bardèche et de Paul Del Perugia sont réticentes ou
muettes sur la question des pamphlets, tandis que
l'étude de Philippe Alméras verse dans tous les travers
de l'idée fixe.
Le mérite de SÉEBOLD est de ne viser ni au
panégyrique ni à l'éreintement, mais de s'en tenir le
plus rigoureusement possible aux faits. D'emblée il
rejette ainsi les amalgames et tripotages de textes qui
tentent trop souvent d'imposer la pire image de
l'écrivain français le plus génial mais aussi
le plus dérangeant du siècle. Caractéristiques de ces
tripotages, grossièrement montés au nom de " l'ordre
moral " digne de Tartuffe, les publications du "
journaliste " Ganier-Raymond, ou de " l'historien "
Pascal Ory, fanatiques de délation et de zèle épurateur.
Dans le fourmillement de polygraphes qui officient par
ailleurs dans une " critique " tout aussi alignée et
chafouine, SÉEBOLD épingle
également également Nourrissier qui, s'avisant de
distinguer entre le Céline
romancier et le Céline pamphlétaire, nous ressert l'écœurant
poncif habituel : " Outre que les pamphlets de
l'avant-guerre sont méprisables dans leurs propos, ils
sont littérairement assez médiocres. "
SÉEBOLD
n'a aucune peine à démontrer que l'éblouissante
virtuosité des pamphlets, leur verve torrentielle, leur
puissance s atirique
inégalée, s'intègrent parfaitement à l'ensemble de l'œuvre
et qu'il est ridicule de prétendre les en dissocier.
SÉEBOLD ne manque pas
non plus de rappeler au passage que le titre même de "
Bagatelles pour un massacre " concerne la révolte
du combattant de 14-18 devant la guerre imbécile et
fratricide dont il restait marqué, et que rien ne permet
d'interpréter ce livre écrit en 37 comme l'odieux
ricanement d'un pourvoyeur d'hypothétiques chambres à
gaz.
En ces années cruciales 37-39, est juif pour Céline tout ce qui pousse à
la récidive de l'holocauste 14-18. Et ses sarcasmes les
plus exaspérés, les plus désopilants aussi, vont surtout
aux " ahuris vinassiers aryens ", ces Français
dont il décrit inlassablement la
bouffissure vaniteuse, l'égalitarisme haineux, et les
adulations grotesques.
En 1934, trois ans avant " Bagatelles ", Paul Morand, dans "
France la doulce ", observant la jungle financière
de certains milieux, " qualifiés on ne sait trop
pourquoi de français ", avouait, face à ce "
mépris pour nos mœurs, la
torture infligée à notre langue et à notre culture,
n'avoir rien inventé et s'être souvent tenu en deçà du
réel... En défendant les Français je revendique
simplement pour eux,
écrivait ironiquement Morand,
le droit des minorités. " Céline, au fond n'en
demandait pas davantage, mais comme il criait plus fort
que Morand, qu'il n'épargnait personne et qu'il
s'époumonait à vouloir la paix avec l'Allemagne - crime
inexpiable - rien ne pouvait lui être pardonné.
Le scandale éclate avec L'Ecole des cadavres où il écrit : "
Quel est le véritable ennemi du capitalisme ? C'est
le fascisme. Qui a fait le plus pour l'ouvrier, l'URSS
ou Hitler ? C'est Hitler. " Non seulement il tempête
et vaticine furieusement à vouloir la paix à tout prix,
mais il aggrave son cas en préconisant avec l'Allemagne
une alliance dont Hitler ne se souciait guère. "
Séparés, hostiles, on ne fait que s'assassiner.
Ensemble, on commandera l'Europe. Ca vaut bien la peine
qu'on essaie. "
La droite patriote et maurassienne est ulcérée, la gauche
institutionnelle, devenue hyper nationaliste comme par
enchantement, écume de rage, le livre est officiellement
frappé d'interdiction en 1939.
(...) " Homme d'une inconséquence remarquable, écrit SÉEBOLD,
Céline a subi son châtiment pour des ambiguïtés qu'il
fut lui-même incapable de résoudre ;
pro-allemands/patriote n'aimant pas les Allemands -
Violent dans ses écrits/médecin dans la vie. Encore
faut-il préciser ici : médecin des pauvres,
essentiellement.
Dans sa démesure, on pourrait ajouter que le combat
solitaire et fou de Céline n'est pas sans évoquer la
figure de Quijote et ce qu'il y avait de désespéré dans
l'ironie de Cervantès, de nostalgie profonde à l'égard
d'un passé irrémédiablement englouti (et sans doute
imaginaire) de chevalerie, de charme naïf et de féerie
perdue.
Etrange correspondance, chez le docteur Destouches, avec cette Espagne
gothique et chimérique que l'on retrouve aussi bien chez
Calderon ( " La vie est un songe " ), tandis que la
poignante confidence d'Unamuno, écartelé par l'affreuse
guerre civile qui déchirait sa patrie, fait entendre,
comme en écho, la conclusion possible de l'œuvre
tourmentée, des hallucinations poétiques, et des
tragiques contradictions de Louis-Ferdinand Céline : "
La véritable foi est de savoir se résigner au songe.
"
Jacques d'ARRIBEHAUDE. (BC n° 62, oct. 1987).
NICOLE DEBRIE
- COURRIER.
M. Alméras, dont nous lisons l'épopée
depuis plusieurs mois dans le Bulletin , ressasse
et mâchure son idée fixe. Depuis toujours, il n'en a
qu'une : toute l'inspiration de Céline s'origine dans
son antisémitisme.
Il y a quelques mois déjà, il fondait sa preuve sur une seule expression
de Voyage : " Déjà notre paix hargneuse faisait dans
la guerre ses semences. On pouvait deviner ce qu'elle
serait, cette hystérique rien qu'à la voir s'agiter déjà
dans la taverne de l'Olympia. En bas dans la longue
cave-dancing louchante aux cent glaces, elle trépignait
dans la poussière et le grand désespoir en musique
négro-judéo-saxonne ".

J'avais renoncé à signaler à notre éminent Docteur que
l'expression " négro-judéo-saxonne ", loin d'être
raciste, était un remarquable raccourci de Céline
concernant les phases du jazz, crée par les noirs,
adopté par les immigrants juifs qui habitaient à
l'origine les mêmes quartiers, puis assimilé par les
saxons...
Dans le Bulletin de février, Alméras se caresse à nouveau la jugeotte en
commentant la préférence revendiquée par Céline pour "
n'importe quel vinasseux ahuri d'Aryen " contre "
cent vingt-cinq mille Einstein ". Il se sert d'un
fragment du journal de Jünger représentant un Céline
sanguinaire en 1941, parlant de nettoyer Paris, maison
par maison. " Si je portais la baïonnette, je saurais
ce que j'ai à faire "... Or, en 1985, Jünger,
interrogé par Jean-Louis Foncine, déclare : " J'ai vu
aussi Céline. Il avait un caractère terrible, et pas du
tout chevaleresque. Mais il aimait les chats et moi
aussi. Je l'ai caricaturé dans l'une de mes
œuvres sous le nom de Merlin
" (La Nouvelle Revue de Paris, Ed. du Rocher, 1985,
p.14).
Céline ne pouvait pas être chevaleresque aux yeux de Jünger,
étant avant tout un médecin, et non un soldat. La
rectification de Jünger devrait par ailleurs éclairer
les malveillants.
Quant à la judéité de Racine ? J'ai fait un sort et
surtout expliqué cette cocasse qualification... que
Racine partage d'ailleurs avec Maurras. Si Alméras avait
pris la peine d'essayer de comprendre la pensée de
Céline, il aurait saisi que la haine du poète Céline
s'adresse aux idéologues. La clef de cette
surprenante qualification concernant Racine, et valant
tout autant pour Maurras, m'a été donnée par Emile Zola.
Etudiant les intuitions de son maître Hippolyte Taine,
Zola s'étonne du rapprochement fait par Taine entre
Stendhal, élève des idéologues et féru de science de
l'âme, et Racine, analyste minutieux des passions. Mais
il conclut : " Le parallèle peut d'abord surprendre,
mais il est strictement juste. Chez le poète tragique et
chez le romancier, le procédé est le même (...) C'est
toujours, je le répète, une psychologie pure, dégagée de
toute physiologie et de toute science naturelle. Dans un
psychologue, il y a un idéologue et un logicien " (Emile
Zola, Du Roman, p.399).
Avec le vocabulaire de l'époque, Zola explique pourquoi Céline a buté
sur l'abstraction racinienne et pourquoi il le
qualifie de Juif. Je n'insiste pas, ayant montré dans
L'Enjeu esthétique des pamphlets, que la bête noire
de Céline, poète lyrique, est l'abstraction, comme il
l'écrit à Elie Faure et comme il le redit à Cocteau.
L'abstraction, l'idéologie sont la mort de la poésie, et
du poète. On le voit, Alméras s'entend bien avec M.
Taguieff, alias " le renard dans le poulailler ".
Rien de surprenant : ils ont le même inépuisable fromage. En somme, ce
sont, comme l'écrit Céline à son ami espagnol, des "
rentiers de la haine. "
(Nicole DEBRIE. Quand la mort
est en colère. L'Enjeu esthétique des pamphlets
céliniens, Chez l'auteur, 23 rue du Cherche-Midi, 75006,
Paris, dans BC n° 240, mars 2003).
Nicole DEBRIE Bobards et falsifications.
Ce que les Lettres Françaises appellent "
faire le point " sur Louis-Ferdinand Céline est dans
la bonne tradition. Décidément, le Parti ne change
jamais de méthode. Il aurait bien tort d'ailleurs
puisque ça marche. Ça marche
?... tant qu'il y aura " les autres " et que nos
bolcheviques trouvent une société à parasiter. Cela ne
marche plus, dès que " les autres "
disparaissent. La ruine de l'union soviétique et de
toutes les autres tentatives de ce genre en témoigne.
C'est ce que constatait Céline : " On y avait juré à prolo que c'était
justement " les autres " qui représentaient toute la
caille, le fiel profond de tous ses malheurs ! Ah !
l'entôlage ! La putrissure ! Il trouve plus " les autres
". Mea culpa. (Cahiers Céline 7, p.41).
Au lieu de rendre hommage à tant de lucidité prophétique,
les Lettres Françaises se livrent à un vrai concours
de crapuleuse falsification. Seul Sollers prend ses
distances vis à vis de ces canailles... et se fait du
même coup insulter dans le même numéro par Jacques
Guéraud.
Inutile de répertorier ces bobards, notons seulement les plus gros.
Une certaine Marie Redonnet, auteur de l'article " Haine et damnation "
cite Bagatelles. " S'il faut des veaux,
saignons les juifs ". Or, nous lisons dans
Bagatelles, p.319, " je trouve qu'ils (les juifs)
hésitent pas beaucoup quand il s'agit de leurs
ambitions, de leurs purulents intérêts... (10 Millions
rien qu'en Russie)... S'il faut des veaux dans
l'Aventure, qu'on saigne les juifs c'est mon avis ! si
je les paumes avec leurs charades, en train de me
pousser sur les lignes, je les buterai tous et sans
férir jusqu'au dernier ! C'est la réciproque de l'Homme.
" On le voit, en enlevant " dans l'Aventure
", Marie Redonnet transforme le sens de la phrase : dans
l'Aventure de cette guerre à venir. En supprimant la
suite de la citation, elle interdit au lecteur de
comprendre qu'il s'agit de se défendre et non
d'agresser. C'est, écrit Céline " la réciproque de
l'Homme " : la réaction humaine à toute agression.
Marie Roudinesco est un personnage trop médiatique pour être présentée.
(" Le Docteur D et l'invasion microbienne "). Le docteur
Destouches devient un obsédé du microbe ! Elle lit dans
la thèse sur Semmelweis un " antisémitisme présent
(...) d'une manière détournée ". Notre perspicace
clinicienne démasque cet antisémitisme " refoulé
" (sic) à l'aide d'un superbe raisonnement : Céline y
attaque la Révolution Française, or celle-ci " avait
émancipé les juifs ", donc Céline est antisémite.
Imparable.
Que cette commère qui confond épistémologie et ragots puisse se prévaloir
d'être psychanalyste en affichant un tel délire
interprétatif peut justifier la crise de cette
discipline. On a honte d'appartenir à la même
corporation.
C'est encore " les cruels ardents Cordeliers " que Jean-Pierre
Faye ira chercher pour couvrir la voix célinienne...
Bigre ! on ne soupçonnait pas les Bolcho d'avoir une
tripe aussi républicaine...
Le Parti ne change pas de méthode. Céline ne s'y est pas trompé.
Cela ne lui fut jamais pardonné.
(Le dossier des
Lettres Françaises sur Céline (décembre 1991, dans BC
n°115).
Nicole DEBRIE
a lu : Frédéric VITOUX, La vie de Céline, Grasset, 1988.
Ce livre, onéreux et long, n'apporte strictement rien.
Mieux, il reprend à propos de Ferdinand les clichés les
plus éculés, les plus faux : ceux de la démagogie
galopante et du goût - rose - des concierges. Un livre
qui n'enrichit pas le lecture d'un poète est un livre
inutile.
" La prétention tue comme le reste, mieux que le reste
", notait Céline qui, pour une fois, prenait ses désirs
pour la réalité. Si la prétention tuait, Frédéric Vitoux
serait depuis longtemps raide mort. " Un romancier est
un voleur. C'est sa vocation. Son devoir. Il prend aux
uns, il prend aux autres. Il observe, il note, il
thésaurise, il transforme. " (p. 203). Voilà ce qu'écrit
Vitoux, en croyant parler de Céline alors qu'il parle de
lui-même - ce qu'il fait d'ailleurs tout au long de sa
Vie de Céline. Ce phénomène a un nom : c'est une "
identification projective ".
Comment ce portrait de gratte-papier besogneux, avare et
plagiaire pourrait-il convenir au poète de Voyage
? Céline n'est pas un romancier. Il avait atteint le pur
lyrisme, lequel est anonyme : qu'il s'agisse de sa
propre existence ou de celle d'autres individus (Marcel
Lafaye par exemple). Il s'en servait pour élaborer le
poème d'une Parole qui touche...jusqu'aux Japonais.
Aucun rapport avec les petites crottes comptabilisées
par notre scribouillard , aucun rapport avec sa "
vocation de voleur ".
Frédéric Vitoux justifie pleinement le mépris dans
lequel Céline tenait ce genre de bavard, et qui s'est
traduit toute sa vie par son silence ou par de grosses
plaisanteries. Silence devant les crétins qui jasent sur
sa " trépanation ", alors qu'il a remis les choses au
point dès 1916 : " Je ne me reconnais encore que deux
infirmités : une paralysie radiale qui m'a rapporté la
médaille militaire, et une légère phobie inconstante qui
ne m'a encore rien rapporté " (sic). Silence devant les
crétins qui épiloguent sur l'encadrement naïf de
L'Illustré National. Vitoux saute à pieds joints
dans la trappe : " Tout n'était que du bluff, un
montage, un trucage ! " (p. 90). Vitoux, qui n'a fait
aucune guerre, se sert là d'un chercheur - Daniel Bordet
- qui se prévalant du fait que la page de L'Illustré
était la dernière de couverture et non la première,
ainsi que de la photo de Louis effectivement ajoutée par
le père Destouches, fera un article pour qualifier
l'évènement de " montage " et de " mystification " à tel
point que le lecteur finit par penser devant le "
triomphe " de cet étrange chercheur que la gravure et
même la médaille n'ont jamais existé. Vitoux n'en loupe
pas une !
A t-il au moins rectifié l'affaire-Jünger qui a fait
couler tant d'encre ? Que non pas. Sans doute
ignore-t-il (voir Bulletin
célinien n° 40, p. 4) que l'auteur des " Falaises
" a reconnu, dans un entretien à La Nouvelle Revue de
Paris (septembre 1985), avoir " caricaturé " Céline
dans son Journal paru chez Julliard en 1951. Il
est vrai que Vitoux ne pouvait trouver cette information
dans Gibault, Jünger ayant refusé de répondre au
biographe.
En revanche, nous apprenons (p. 356) que Céline a
insulté Robert Desnos, alors que c'est...l'inverse. Un
petit effort de recherches aurait permis au critique de
lire les insultes prodiguées à Louis : " Ses colères
sentent le bistrot et en cela il est, comme beaucoup
d'hommes de lettres, intoxiqué par la moleskine et le
zinc (...) Les colères de Céline évoquent les fureurs
grotesques des ivrognes " (Cahiers Céline n°7 pp.
112-113). On reconnaît le genre de diffamation dont
certain Parti a le génie...
Nous découvrons aussi une étonnante et très farfelue
association : Céline impuissant parce que circoncis !
(Outre ses multiples activités Vitoux devrait faire une
communication à la Société de Médecine !) - " La vérité,
c'est que Céline (que ses parents avaient fait circoncir
quand il était enfant, pour des raisons d'hygiène ou des
raisons médicales, on ne sait) était plus voyeur
qu'acteur " (p. 304). " L'impuissance (?) de Céline,
certains critiques ont voulu en voir aussi une
confirmation dans la rédaction haletante des pamphlets,
comme si l'écrivain, saisi d'une rage fébrile et
désolée, voulait en quelque sorte se rattraper par
l'écriture, etc..." (p. 304). Vitoux baigne dans une
pseudo-littérature où se répandent les fantasmes de ces
Messieurs de la Jacquette ; et il est vrai que la fable
du Superman Erectus satisfait leur fétichisme.
Comment faire comprendre à ces petits crétins la
fonction spermatique du Verbe, le " logos Spermaticum "
des Stoïciens ? " Je suis le Père Sperme ", écrit
Céline, à juste titre. Comment expliquer à notre vibrion
que l'énergie sexuelle, quand elle crée des oeuvres, ne
peut évidemment pas se manifester en même temps à son
niveau élémentaire ? Rabelais le savait, Balzac et Freud
aussi. Vitoux l'ignore.
Les femmes qui ont connu Céline avant la mise en oeuvre
de sa création témoignent de sa fougue et de son plaisir
à les aimer. " Il était bien constitué " avoue la
pudique Edith. " Il n'était nullement impuissant " a
confié Evelyne Pollet à l'éditeur de ce Bulletin.
Une seule indication aurait, peut-être, pu nous
intéresser mais que Vitoux ignore. Céline a-t-il
souffert d'un phimosis ? La " circoncision " en
question, dont on parlait en plaisantant chez les
Destouches, était-elle le surnom humoristique donné à
l'opération qui consiste à découvrir le gland ? " Je
suis circoncis ", annonçait parfois Céline, en souriant.
Ce sourire aurait pu interroger Frédéric. Mais la
réflexion n'est pas son fort.
(...) " Vingt ans de travail ", annonce le vibrion sur
Europe 1. " Vingt ans de thé, dans les coussins à
Lucette ", ont murmuré les mauvaises langues. Vingt ans
? - comme Alméras ! - pour tant d'erreurs et
d'interprétations primaires ? pour faire de Céline un "
passéiste ", alors qu'il est encore aujourd'hui
d'avant-garde, dans sa pensée sur la médecine, dans sa
critique des mystiques de la déconstruction de l'homme,
dans sa poétique enfin...
Vingt ans pour parler ensuite de " l'esprit destructeur
" qui animait le poète (p.133), alors qu'il est
fondamentalement habité par un esprit dialectique qui
nous vaut des intuitions créatrices et positives. Il est
vrai qu'en bon journaleux, Vitoux est allé ausculter un
autre témoin, Edith, la BCBG. " Il y avait en lui des
choses terribles, raconte Edith Follet, il aimait moquer
et démolir tout ce qu'il trouvait (...) cela me perdait
un peu (...) Mais après, quand Louis se rendait compte
qu'il vous avez tourmenté, il faisait machine arrière
parce qu'il était très gentil. On aurait dit qu'il y
avait deux êtres en lui " (p.139), remarque la vieille
ingénue, ignorant le peuple qui nous habite, et aussi
plate qu'une image de " Elle ".
Vingt ans pour présenter le goût de Louis pour la
médecine comme une découverte de Rennes ( " Eurêka, la
médecine ! ", chapitre VI), alors que Céline parle de
son initiation à la vocation de soignant, dans
Guignol's band, par le docteur Clodowitz dont il
fait d'ailleurs un portrait attendrissant. Vingt ans
pour parler des " morbides fantasmagories céliniennes "
(p.383) lorsque la Veuve raconte leur séjour à Quimper,
chez le docteur Mondain, directeur de l'hôpital
psychiatrique fondé par Follet. Vitoux ignore
apparemment les réelles et pertinentes connaissances
psycho-pathologie mentale de Céline, fort explicites
cependant dans Voyage !
Vingt ans pour dire de la première femme de Louis,
Suzanne Nebout : " Ce mariage devait leur être utile
pour pouvoir rester en Angleterre, pour des questions de
papier d'identité " (p.97) alors que de toute évidence,
la Molly de Voyage entretient des liens étroits
avec elle. Louis était véritablement amoureux - " nous
devîmes intimes par le corps et par l'esprit " - et,
dans sa vie si soumise aux exigences parentales, ce
mariage fut un acte libre, un choix. Féerie porte
le signe de ce premier amour : " Myosotis, géranium, un
banc, c'est fini... envolez piafs... dentelle si fine...
Je m'étais arraché par raison, par une sorte de
conscience
pour ainsi dire ". Et Céline précise : " J'ai commis
qu'un crime dans ma vie, un seul, là, vrai...comme j'ai
quitté mes petites belles-soeurs ". Jamais plus Céline
ne parlera d'une femme en ces termes.
Vingt ans pour oser prétendre que dans Mea culpa,
Céline estime que " l'imposture suprême c'était l'espoir
" (p.316) comme si un médecin, un soignant... un
biologiste ! pouvait se passer de cette vertu. Vitoux
confond l'espoir, qui soutient le courage de celui qui
lutte, avec l'idéologie du bonheur chère à nos
socialistes. C'est cette idéologie que Céline dénonce
dans Mea culpa après l'avoir stigmatisée dans
Voyage, comme diabolique - et avec raison.
Vingt ans pour nous déclarer que Céline " aurait aimé
être juif " (p.359) alors qu'il souhaite être " un Aryen
d'honneur " (cf. CC7, p.165) au sens où Massignon écrit
: " Soyons des sémites spirituels "...
Vingt ans pour déclarer aussi que " Céline prenait à
partie ses confrères (...) les poussait à se déclarer
racistes " sous l'occupation (p.358) sans indiquer par
ailleurs ce que signifie le mot " race " pour Céline.
Que Monsieur Vitoux lise Molière ou Péguy...
Décidément, les ouvrages consacrés à Ferdinand
ressemblent de plus en plus à des enquêtes policières.
Et ça fouille, et ça se vole les dites " découvertes ",
alors que si Louis est quelque part, c'est d'abord et
sans doute uniquement dans son oeuvre. Ce qui les
intéresse ? C'est de trouver ce qui va leur permettre
d'EVITER Céline, éviter le sens... la communication !
S'est-on
tellement préoccupé de la vie de Corneille ? de Racine ?
de la façon de baiser de Bossuet ? Ce type de recherche
appartient aux Anglo-saxons. Ce n'est pas du journalisme
mais une application de la philosophie du comportement.
Et cette philosophie est une thèse. Frédéric Vitoux
l'applique, sans le savoir, et - qui plus est - il
l'applique mal : Vanni n'est pas un docteur (p.366) mais
un commissaire de police. " Victor Carni " (p.371)
désigne sans doute Victor Carré ? Le médecin résistant
que Céline connut en Bretagne s'appelait Georges Desse
et non Georges Besse (p.384). Lucien Rebatet écrivait
dans l'hebdomadaire Dimanche Matin et non dans...
France-Dimanche (p.545). La première femme de
Mahé n'accompagnait pas Lucette à l'accordéon (p.309),
c'est l'intéressée elle-même qui nous le téléphone de
Suisse. La " Malamoa " de Mahé n'est pas
fréquentée par le milieu dans les années 1929-30, quand
Louis rencontre le peintre. Ce dernier n'a jamais décoré
le Sphinx, etc...etc... Le compte des erreurs
grossières de Monsieur Vitoux est bien trop long pour
être détaillé ici.
Les encens du " Figaro-Magazine ", du " Nouvel
Obs ", de " France-Culture " et des autres
compères peuvent chatouiller agréablement les narines de
ce curieux biographe. Nous nous contenterons de dire :
Vitoux ? C'est du bran.
(De l'art d'accommoder les
restes, BC n°66, février 1988).
Eric
MAZET : Céline et les ventriloques.
Leur haine de tout ce qui les dépasse, de tout ce qu'ils
ne comprennent pas est visible. Ils sont aussi avides de
rabaisser, de détruire, de salir, d'émonder le principe
même de la vie que les plus bas curés du Moyen-Age.
Ils me fusilleront peut-être les uns ou les autres. Les nazis
m'exècrent autant que les socialistes et les communards
itou...
A Elie Faure, mai 1934.
La
méthode qui consiste à couper en tranches les livres de
Céline, à mettre en relief un passage aux dépens de
l'ouvrage, d'occulter la philosophie et la poésie de l'œuvre
par trois pamphlets circonstanciés, est fort répandue,
peut séduire les néophytes, en pousser à la réflexion,
mais nous semble parfois malhonnête et malheureuse. Un
livre est un tout. Une œuvre
aussi. " Donnez-moi une ligne d'un auteur et je vous
le ferai pendre..."
Si on mesure Céline à l'aune de la littérature
contemporaine, de la morale humanitaire d'aujourd'hui,
des atrocités nazies révélées par l'Histoire, L'Ecole
des cadavres devient poétiquement et politiquement
illisible. Cours d'Histoire, radio, télévision, photos,
films, livres, conférences, en cinquante ans, nous ont
fait oublier la mentalité des anciens de 14, des
Français de 1938, des appelés de la classe 40. Qui se
souvient des scandales financiers et politiques qui
avaient ébranlé la confiance démocratique ? Comment
comprendre la peur égale devant le danger communiste et
le danger fasciste qui menaçaient l'Europe ? La guerre
d'Espagne et le Front populaire poussaient à descendre
dans l'arène.
Céline avait lu La Cavalière Elsa de Mac Orlan, où les hordes
bolcheviques, fanatisées par des penseurs juifs,
déferlaient sur la France. N'était-ce que littérature
d'imagination ou expression d'un danger réel ? Dès 1917,
les bolcheviques russes avaient éliminé les démocrates
russes, créé des camps de concentration, massacré
opposants ou attentistes. En 1937, le danger venait-il
de l'Allemagne ou de la Russie ? Quelle idéologie serait
la plus forte, ferait le plus de morts ?
Henri Béraud s'était rendu en Russie et en avait
rapporté un témoignage. Ce que j'ai vu à Moscou
passait en 1925 pour un pamphlet. Après la lecture
d'ouvrages comme le Brise-Glace ou Le livre
noir des crimes communistes, le reportage de Béraud,
dédié à son ami et compagnon de lutte Joseph Kessel,
frappe aujourd'hui par sa lucidité : " Ce qui, devant
l'Histoire, condamne les Bolcheviks, n'est pas leur
échec. C'est le prix que cet échec a coûté aux hommes.
(...) Ils ont pratiqué le massacre comme une science
exacte. Maintenant qu'ils ne fusillent plus, ils
affament et font mourir, avec une précision de savants
au laboratoire, des centaines de gens qui commirent le
crime de naître bourgeois. A leurs yeux, la vie humaine
ne compte pour rien. Périsse le peuple, plutôt que la
doctrine ! Lénine l'a proclamé sans réticence : "
Qu'importe que les quatre-vingt-dix centièmes du peuple
périssent, pourvu que les survivants soient convertis à
la foi communiste ! "
Béraud avait compris que " la guerre des classes " n'avait eu
pour but que l'instauration d' " un capitalisme
d'Etat ". Pour les européens, pendant vingt ans, de
1917 à 1937, le danger ne vint pas du fascisme, mais du
communisme. Et Béraud échappait à l'injure de " petit
bourgeois " qu'un Martin ose encore utiliser à
l'encontre de Céline.
Céline n'était pas le premier à avoir dénoncé la
propagande soviétique. Ce que j'ai vu à Moscou
n'a pas pu lui échapper, avant ou après son voyage à
Léningrad. Dans Mea culpa, dix ans après, le
constat est le même. Les mêmes mythes y sont dénoncés :
celui de la classe ouvrière au pouvoir, mythe du
socialisme réalisé, mythe de l'antiracisme, celui du
communisme comme vecteur de libération nationale. Béraud
antisémite par anticommunisme ? Comme Céline ? Béraud
pose en effet la question : " La Révolution des
bolcheviks serait-elle donc une révolution juive ? "
Il fait avancer par l'un de ses interlocuteurs le
chiffre de " trois cents juifs au Comité Central ". Sa
réponse est claire : " Il y a des juifs rouges,
parbleu ! pourrait-il en être autrement, en ces terres
de pogroms ? (...) Il y a des juifs rouges, et ce sont
des chefs : Kamenev, Zinoviev, Trotsky. Oui. Mais la
Révolution est une œuvre
russe, vraiment russe. Le Bolchévisme est russe par son
caractère religieux. (...) Mais, incontestablement, il y
a autre chose qui est la part des juifs. Les juifs y ont
porté un esprit qui est l'esprit scientifique. Notre
grande erreur, en France, est de tenir un homme comme M.
Zinoviev, par exemple, pour un politicien. C'est un
savant. Je n'ose écrire un vivisecteur. Pour un esprit
comme le sien, un peuple n'est en vérité qu'une
provision de cobayes, et la Russie n'est qu'une table
d'expérience de cinq millions de kilomètres carrés.
Etait-il au monde un champ où pût s'exercer la cruelle
curiosité de ces sociologues ? "
Question abominable, posée en 1925, qui hantera les esprits
pendant vingt ans, jusqu'à ce qu'une autre question
abominable fasse réponse. Lutte des classes, lutte des
races, on fait les comptes, et les millions de morts ne
se comptent plus. Revendiquer tous ces morts en devient
indécent. Ils appartiennent à l'Humanité. Capitalisme,
communisme, fascisme, que de souffrances, de sang versé,
à l'école des cadavres du XXe siècle.
(...) Bien des phrases de L'Ecole des cadavres,
aujourd'hui, parce que l'atroce folie de l'Histoire a
rattrapé la colère prophétique, sont devenues
infâmantes, politiques, homicides. Mais à la fin de ce
même chapitre de L'Ecole des cadavres, au titre
sans ambiguïté, Céline approuve les accords de Munich
comme des millions de Français et d'Anglais, par
jansénisme pacifiste, parce qu'il est " du côté de la
vie ", et qu'il se bat contre les va-t-en guerre de tous
bords, qu'ils soient communistes, juifs ou doriotistes.
S'il les compare à des microbes, c'est parce qu'ils n'ont pas sa religion
de la vie, sous toutes ses formes, mystique, poétique et
physique. D'où la création d'appellations souvent
employées, qui ne s'expliquent pas biologiquement comme
" enjuivé " ou " juif synthétique ", qui ne se
comprennent que littérairement et esthétiquement.
De là à faire de Céline un écrivain fasciste, il n'y a
qu'un pas, et vite franchi. Fasciste, Céline ? A-t-il
fait l'apologie de ce système politique, la louange d'un
parti ou d'un chef, parce qu'il oppose dans une ligne,
par provocation contre les communistes ou en réponse à
leur propagande, Hitler à Staline et à Blum ?
En 1941, eût-il brièvement la tentation de ramasser les désespoirs et de
trouver une solution qu'il y a vite renoncé. Aurait-il
oublié ses blessures de la guerre de 14 et ses
compagnons morts ? En juin 1933, à Henriette Valet qui
menait une enquête sur le fascisme, il répondait : "
Défense contre le fascisme ? Vous voulez rigoler, vous
n'avez pas été à la guerre (...) Quand le militaire
prend le commandement, il n'y a plus de résistances, on
ne résiste pas au Dinosaure. Il crève de lui-même - et
nous avec - dans son ventre " (Cahiers Céline 7, p.18).
Céline avait alors compris que si le franc baissait, le peuple irait au
fascisme, et que des guerres en résulteraient. A la même
époque, à Elie Faure, il déplorait encore en Cassandre :
" Au fascisme nous allons, nous volons. Qui nous
arrête ? Est-ce les quatre douzaines d'agents
provocateurs répartis en cinq ou six cliques hurlantes
et autophagiques ? Ça une
conscience populaire ? (...) Si nous devenons fascistes.
Tant pis. Ce peuple l'aura voulu. Il le veut. Il aime la
trique ".
Curieux éloge du fascisme ! Citation qu'Alméras a tronquée - comme
nous l'a fait remarquer Marina Alberghini, biographe
italienne de Céline - pour faire accroire que Céline
était favorable au fascisme (Entre haines et
passions, p.140).
Comment passer de Bagatelles pour un massacre à
Féerie pour une autre fois si l'on raisonne en
politologue ? Martin et
Bounan ont raison sur ce point :
à question perverse, réponse absurde. La liberté se
heurte à l'inadmissible. Les jugements littéraires
portés dernièrement sur France-Culture, où l'on
encensait le livre de Martin, allant jusqu'à douter que
Céline fut un grand écrivain, rejoignent dès lors, avec
40 ans de retard (déjà !), les jugements que certains
portaient sur Féerie pour une autre fois, qu'on
disait " illisible au commun des mortels ", ce qui
révélait déjà une imperméabilité à la poésie, mais
surtout une idiosyncrasie politique ou littéraire.
On peut se demander aujourd'hui ce que le " commun des mortels " goûterait
aujourd'hui à Villon, Rabelais, Lautréamont ou Rimbaud.
Autant crier " A bas Mozart et vive la techno !
". Rassurez-vous. Point n'est besoin de se parer de
peaux d'ânes, d'être docteurs ès-ceci ou cela, pour
s'enchanter à la poésie célinienne. Nous connaissons
tous des enthousiastes de Féerie, de ces lecteurs
de " pauvre et de petite extrace " comme disait
Villon, qui n'ont pour seul bagage que le certificat
d'études, et que la lecture de Féerie aide à
oublier " povreté, chagrine, dolente "...
Si Céline a pu dire, en parlant de " littérature
", qu'il avait " fini ", avait " tout dit
", après Mort à crédit, c'était pour préciser
qu'après
ce dernier roman, il visait autre chose, abandonnait une
forme romanesque, encore " classique ", où il avait
exprimé toute sa " philosophie des profondeurs ", pour
tenter de crever le plafond, privilégiant davantage
encore son lyrisme, jaillir au zénith, en poésie totale,
cette musique intime dont il prend la défense dans
Bagatelles, qu'il illustre dans Guignol's band
et Féerie, et qu'il explique dans
Entretiens avec le professeur Y.
Sa " philosophie des profondeurs ", son humanité de médecin, sa
sensibilité aux souffrances, a inspiré bien peu de
chercheurs, la plupart davantage attirés par ce qu'ils
nomment les " idées ", en néo-cafardeurs,
pseudo-historiens, sourds au message " vital " de Céline
qu'ont pourtant su écouter, traduire, chacun sur une
portée différente, certains céliniens connus : Pol
Vandromme, Marc Hanrez, Nicole Debrie, Pierre Monnier
parmi les premiers ; François Gibault, même s'il
privilégie la biographie ; Henri Godard, même s'il
préfère l'étude de la poétique ; Denise Aebersold, même
si elle ne s'attache qu'à la goétie ; Anne Henry - même
si elle néglige Féerie -, et surtout Michaël
Donley, qui a mis en lumière la grandeur de la " petite
musique ".
Ceux-là et d'autres savent que la " petite musique " n'est pas que
poétique, lyrique, stylistique, qu'elle exprime une
pensée profonde, vitale, existentielle, sur l'homme et
son essence, ses pauvres atouts pour s'en tirer au moins
mal, pour rendre à peu près vivable son pitoyable
destin.
Ne parler que des deux pamphlets contre le Front populaire et la guerre
qui s'annonçait, ou du pamphlet de la défaite française,
c'est ne parler que de trois ouvrages sur douze, soit du
quart de l'œuvre, et
occulter volontairement que de Semmelweis à
Rigodon, sans compter Progrès, Céline s'en
est pris, comme l'a souligné Pierre Monnier, aux
pontifes de la médecine qui cachaient leur orgueil et
leur mensonge sous leurs diplômes et leurs formules, les
profiteurs du colonialisme, les dominants des instances
internationales, les exploitants de la domination
urbaine, les artistes au renom fondé sur l'épate et le
mensonge, les admirateurs de tous les impérialismes,
anglais, américains, communistes, staliniens, les
pourvoyeurs de charniers, par mercantilisme ou
idéologie, tous les complices de la mort poétique ou
physique.
Le Voyage et Mort à crédit étaient dans le
fond comme dans la forme des appels à la liberté
individuelle comme on n'en avait pas entendu depuis
longtemps. Bernanos, Elie Faure, Léon Daudet, Georges
Altman, Eugène Dabit, Lucien Descaves, Claude
Levy-Strauss, qui n'étaient pas des imbéciles, des
fascistes ou des racistes forcenés, avaient été frappés
par cette humanité profonde, cette douce pitié envers
les malheureux, cette révolte contre la cruauté des
hommes.
Pas nos beaux esprits d'aujourd'hui, qui ne voient qu'artifices, haine et
racisme ! N'en déplaise aux Martin, Alméras, Bounan et
consorts. Ecouter la " petite musique " de
Céline, ce n'est ni se distraire en préciosités, ni
s'enrôler sous bannière, mais apprendre à danser avec "
l'air de la mort " et faire chanter la vie.
Philosophie de médecin, de poète, de chroniqueur, non prétentieux
messages d'écrivain, et encore moins théories d' " homo
politicus ".
Ne s'en tenir qu'aux trois pamphlets contre la guerre,
ceux de 37, 38, 41, et en occulter le message esthétique
- comme l'a souligné dernièrement Nicole Debrie à partir
de ses recherches sur Zola et Claude Bernard -, c'est
négliger la philosophie humaniste, sous le rire du
pamphlétaire des autres œuvres,
dès Semmelweis, L'Eglise et Progrès, de
Voyage et de Mort à crédit même, enfin
de Mea culpa, pour la période d'avant-guerre.
Autant réduire le génie de Baudelaire à Pauvre Belgique, à n'en
retenir que l'exécration ou le ressentiment, alors que
ce pamphlet contient toute une révolte existentielle et
esthétique. La malveillance est aussi grotesque de
réduire volontairement Céline à un rôle d'écrivain
politique ou de romancier historique, en ne tenant
compte que d'une centaine de pages, alors que son génie
déborde toutes les catégories, philosophiques et
poétiques.
Bagatelles pour un massacre, je l'ai souvent dit, je l'ai souvent
dit, provient d'une réflexion poétique, et propose une
révolution esthétique. Ce sont ces pages-là qui nous
intéressent, point les autres, et nos idéologues ne
parlent jamais de celles-là.
Comme Rabelais, Céline a raté son coup, comme Molière !
C'est le triomphe de Diafoirus et de Trissotin. Voltaire
aussi peut craindre à l'avenir. L' Infâme, aujourd'hui ?
" L' homo-ficheur " fanatique, prosaïque, sans ferveur
ni musique. L'intellectuel ventriloque. Le philosophe
optimiste à système. Le critique épicier vingtiémiste.
Le bousier qui se nourrit de ses déchets d'idées. Le
classificateur obtus d'idéologies mouvantes. L'adepte
des " lectures méthodiques ", l'ouvrier des " axes de
lectures ". Le commandeur de bois face au rire de Don
Juan. L'allergique aux grands et petits félins. Le
cerveau sourd aux ronrons de Bébert. L'anti-poète...
Légions ! (BC n°185, mars 1998).
Eric MAZET.
François RICHARD
CELINE une ORDURE ANTISEMITE
Dans l'Evènement du Jeudi, " l'hebdo qui ne mâche
pas ses mots " - Bon appétit, cher lecteur, actionnaire
et ami - une plumassière dont le nom m'échappe
(1) a écrit que
Louis-Ferdinand Céline était " une ordure antisémite ".
Cette déclaration - de poids - d'un sous-fifre de Jean-François Kahn
(ex-intello bafouillard de l'audiovisuel, devenu en 84
le fondateur de ce torchon à sensation) ne tombe pas
vraisemblablement sous le coup de la loi ; en effet,
d'abord le Céline en question est mort depuis plus de
trente ans (c'est toujours moins risqué de cogner sur du
macchabée), d'autre part la juridiction laïque et
républicaine permet sans doute d'insulter les trépassés,
sauf s'ils sont juifs, naturellement : le laïcisme
fléchissant (bien évidemment) devant l'ignominie d'un
tel sacrilège imprimé ; ensuite les rédacteurs - mais
est-ce le mot juste ? - du mensuel Information Juive,
à l'odorat si délicat quant aux effluves antisémites,
ont donné le ton depuis fort longtemps et ne ratent
jamais une occasion d'injurier grossièrement - et
impunément - l'auteur du Voyage et des fameux
pamphlets si souvent incriminés, qu'ils rendent
responsable de tous leurs malheurs passés, présents et à
venir ; enfin, ceci expliquant logiquement cela, tous
les coups sont permis contre les judéophobes ou
assimilés tels, qui sont incontestablement - et pour le
moins - d'immondes résidus de poubelles et on ne peut
pas parler d'incitation à la haine, lorsqu'on traite
comme ils le méritent, les membres de ce qu'il faut bien
appeler une sinistre communauté infra-humaine.
C'est pourquoi si un confrère de Kahn l'éboueur, révolté par la manière
dont l'exécutrice des basses besognes de L'Evènement
du Jeudi a évoqué l'un des écrivains les plus
talentueux et les plus authentiques de ce siècle, le
qualifie, lui, J.F.K., d'ordure juive affairiste et sa
sicaire appointée de foutriquette de la plume, de
béotienne à petite tête et de journaleuse à ras de
bitume, il sera traîné en justice par quelque organisme
antiraciste ou judéoflic, non pas pour avoir utilisé des
tournures polémiques à l'égard de Citizen Kahn, mais
pour les avoir associées à l'épithète la plus détonante
(actuellement) de la langue française : " juive ".
Car dans notre société totalement désertée par le sacré, ce vocable qui
ressemble à un chuchotement à peine audible, à l'élément
d'un code onomatopique pour débiles légers, apparaît
comme le seul qui prenne encore les résonnances tragico-mystiques
du suprême interdit.
Les mots : meurtre, viol, inceste - même crime contre l'humanité - se
sont parfaitement banalisés, ainsi que beaucoup d'autres
appartenant à divers registres de la langue, populaire,
religieux, juridique, socio-politique et évoquant des
réalités terribles, monstrueuses et mortifères, mais pas
le mot " juif ", qui se réfère pourtant à une communauté
humaine très ancienne, avec une histoire, une culture,
des croyances, les heurs et les malheurs de toutes les
communautés humaines, sans rien (cependant) qui justifie
une sacralisation particulière et les réactions
véritablement hystériques auxquelles on assiste, dès
qu'un juif d'ici ou d'ailleurs fait l'objet d'une
critique et se trouve être verbalement malmené.
Comment, mais comment ? s'insurgera-t-on. Et " l'holocauste ", le "
génocide des juifs " perpétré par Hitler et ses séides,
l'abomination des camps de concentration ? Avez-vous
oublié tout cela ? Pourrions-nous oublier ce qu'on nous
rappelle quotidiennement, en livres, films, articles,
émissions, débats, colloques, reportages divers qui,
sous prétexte de ne pas
effacer ces actes criminels de notre mémoire, non
seulement perpétuent la haine, la douleur et l'esprit de
vengeance chez les descendants des victimes, mais
réveillent aussi bien des démons chez les jeunes gens
des nouvelles générations, qui ne devraient (pourtant)
accéder à cet aspect de l'histoire contemporaine que
dans une perspective purement informative et apprendre,
par exemple, - ce que tous les historiens sérieux savent
fort bien - que l'Allemagne nazie n'est pas la seule
responsable de la Deuxième Guerre mondiale, que celle-ci
était contenue en germe dans le traité de Versailles et
que la punition sévère infligée alors aux vaincus
implique directement la responsabilité des puissances
alliées dans le déclenchement du deuxième conflit
mondial, et cela avant même qu'on ait commencé à évoquer
la politique étrangère laxiste - de la France, par
exemple - d'une boucherie l'autre, aurait dit Céline, et
la barbarie de nombreux actes de guerre commis contre
les forces de l'Axe par les démocraties. Cela n'excuse
en rien l'atrocité des crimes nazis, mais toute
évocation de ce type doit être située dans un contexte
global précis.
(...) Et à propos d'intolérance, qui pourrait nier que certains organismes
et intellectuels juifs n'hésitent pas à pratiquer un
véritable terrorisme intellectuel et moral en ce qui
concerne cette tragédie collective que fut la Seconde
Guerre mondiale et à faire de cette hécatombe qui toucha
des hommes, des femmes et des enfants de toutes les
nationalités, un phénomène essentiellement antijuif ?
Rien n'est dit (naturellement) d'une manière aussi explicite, mais les
victimes juives de la violence guerrière hitlérienne
sont systématiquement sacralisées par eux, alors que les
Français, les Allemands, les Anglais, les Américains,
les Arabes, les Africains, les Japonais... sont
seulement (si je puis dire) considérés comme les morts
anonymes de tout conflit généralisé de ce type. Anomalie
d'autant plus gênante qu'il y a d'illustres
littérateurs, philosophes, hommes friands de justice
expéditive, rattachés à cet horizon confessionnel, qui
ont fait depuis belle lurette un véritable fonds de
commerce des malheurs aujourd'hui sexagénaires de la
communauté juive européenne, avant, pendant et après la
Seconde Guerre mondiale : Klarsfeld and co, les fameux
chasseurs de crimes, Elie Wiesel, B.H.Lévy qui a trouvé
dans le prosionisme (antifasciste) de quoi alimenter ses
haines, Marek Halter, écrivain peintre humaniste
télégénique, roi de l'esbroufe médiatique (idéologique)
et tant d'autres moralisateurs charognards, qui touchent
les dividendes de la mort et du désespoir, sermonneurs
du néant, fonctionnaires de l'ultime, classificateurs
truqueurs d'une réalité qui, grâce à eux, continue à
faire mal, à faire peur et à fasciner des militants
loubards avides de violence et de pouvoir.
Ajoutons pour conclure que Céline n'était pas plus " une ordure
antisémite " que la pisse-copie de L'Evènement du
Jeudi n'est une critique talentueuse et pertinente ;
en ce domaine comme dans beaucoup d'autres le chemin qui
conduit à la vérité passe par la qualité de l'âme et par
un souci réel de rigueur intellectuelle et morale.
(1)
Ne l'oublions pas pour un éventuel florilège des bêtises
anti-Céline : il s'agit de la dénommée Elizabeth
Kaufmann.
A noter que le fait de traiter Céline d' " ordure
antisémite " n'empêche pas L'Evènement du Jeudi de
proposer à ses lecteurs " 20 invitations pour L'Eglise "
représentée en mars à Toulouse.
François RICHARD.
(texte extrait d'un recueil de
chroniques et de pamphlets à paraître aux éditions Res
Universis. 1992).


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