| 
                           
                                                                                             
						
						                            
DOUCE   JEUNESSE 
						  
						  
						
                                               1894-1911 
                           
                           
						  - " Qu'est-ce que vous 
						vous voulez savoir ?... Ma jeunesse ? Mais ça 
						n'intéresse personne... ça a si peu d'importance. Ce 
						n'est rien, ma jeunesse, ça n'existe plus... Vous feriez 
						mieux de demander à d'autres... ça leur ferait plaisir 
						de parler d'eux... Ils ont une carrière à faire, ils y 
						croient... l'Académie... Moi, aujourd'hui on ne m'aime 
						pas... Et puis c'est triste, ma jeunesse... Vos 
						lecteurs, ils veulent des choses gaies, le monde est 
						bien assez moche comme ça... Alors, inventez, c'est pas 
						moi qui vous contredirai... " 
  (Entretien avec Claude Bonnefoy, 1961). 
						   
                                
                          
                        1894  
						       
						Mai 
						 -  A 
						16 h, le 27 mai, naissance de Louis Ferdinand Auguste 
						Destouches au 11 Rampe du pont à Courbevoie, de 
						Fernand Auguste Destouches né en 1865 au Havre, et de 
						Marguerite " Céline " Guillou, née en 1868 à Paris, 
						mariés le 13 juillet 1893 à Asnières.  
						  Le petit 
						Louis-Ferdinand descend par la branche paternelle, de 
						petits nobliaux installés entre la Bretagne et la 
						Normandie depuis le Moyen Age. Les Destouches possèdent 
						même un blason, " d'azur à la rose d'or, accompagné de 
						trois feuilles de chêne d'argent ", avec pour devise : " 
						Plus d'honneur que d'honneurs. "  
						 
						- Le 
						28, Fernand Destouches déclare à la mairie de Courbevoie 
						la naissance de son fils en se faisant accompagner de 
						deux témoins, Victor Terrier, négociant au café « La 
						Glaneuse » et Abraham Lévy, employé du précédent, 17 rue 
						de Paris. Le même jour, ce lundi, Louis, Ferdinand était 
						baptisé par l'abbé Piquemal en l'église Saint-Pierre et 
						Saint-Paul de Courbevoie en présence de Céline Guillou, 
						sa grand-mère, et de Louis Guillou son oncle et parrain.
						 
            			- Le 30 
						mai, Louis Destouches, « Petit Louis », est placé à 
						Voisines, dans l’Yonne, à onze kilomètres de Sens, chez 
						Julien Bouland, cousin de Fernand, dont la femme, 
						Justine Bouland, nourrice recommandée par le Dr 
						Courtois, venait d’avoir un fils, Auguste. Puis ce sera  
						Puteaux à partir du printemps 1895. 
						  
						La raison de cette séparation était sans doute la mode à 
						l’époque de placer les enfants en nourrice, au bon air. 
						La version de Céline sera autre : « madame Destouches 
						serait tombée malade et aurait craché le sang. » (Lettre 
						à Paraz, Gala des vaches, p.137).
						  La mère tient un 
						magasin de modes, d'antiquités et de lingerie à Paris, 
						au coin des rues de Provence et Lafayette ; le père est 
						rédacteur, correspondancier depuis 1890 à la compagnie 
						d'assurance Le Phénix à Paris. (La fameuse " 
						Coccinelle " de Mort à crédit). 
						 Il faut 
						s'arrêter ici sur deux silhouettes singulières qui 
						marquèrent durablement Céline. D'abord celle du 
						grand-père, Auguste Destouches, né en 1835 et mort 
						précocement en 1874. Auguste Destouches, c'était la 
						réussite de la famille, l'intellectuel qui avait bien 
						tourné. Brillant élève du collège du Havre, secrétaire 
						particulier du préfet d'Ille-et-Vilaine, il rédigeait 
						les discours de celui-ci et écrivait des poèmes et 
						feuilletons dans les gazettes locales. Reçu à 
						l'agrégation, il devint par la suite professeur au lycée 
						du Havre. A sa mort, il laissa cinq orphelins, dont le 
						père de Louis. 
   
  Dans sa préface à Guignol's band, Céline écrit : " Faut que je 
						vous avoue mon grand-père, Auguste Destouches par son 
						nom, qu'en faisait lui de la rhétorique, qu'était même 
						professeur pour ça au lycée du Havre et brillant vers 
						1855.  
 C'est dire que je me méfie atroce ! Si j'ai l'inclinaison innée ! Je 
						possède tous ses écrits de grand-père, ses liasses, ses 
						brouillons, des pleins tiroirs ! Ah ! redoutables ! Il 
						faisait les discours du préfet, je vous assure dans un 
						sacré style ! Si il l'avait l'adjectif sûr ! s'il la 
						piquait bien la fleurette ! Jamais un faux pas ! Mousse 
						et pampre ! Fils des Gracques ! La sentence et tout ! En 
						vers comme en prose ! Il remportait toutes les médailles 
						de l'Académie française. 
 Je les conserve avec émotion . C'est mon ancêtre ! Si je la connais un peu 
						la langue et pas d'hier comme tant et tant ! je le dis 
						tout de suite ! Dans les finesses ! 
						  A 
						son grand-père s'oppose sa grand-mère maternelle, Céline 
						Guillou, que l'enfant, lui, avait connue. Né à Paris 
						mais d'origine bretonne, son mari avait été soudeur de 
						cuivre. Veuve, elle tint une boutique d'antiquités 
						spécialisée dans la porcelaine et la dentelle anciennes. 
						D'origine fort modeste, marchande à la toilette puis 
						propriétaire de son petit fonds de commerce, elle finit 
						par placer son capital dans l'achat de plusieurs 
						pavillons à Asnières. On se souvient de Mort à crédit 
						et de l'image improbable et atroce que Céline en a 
						donnée avec ses maisons et ses locataires... 
 Il adorait sa grand-mère et voulut se rapprocher d'elle encore en 
						s'appropriant son prénom - Céline.   
						   
						                   
						
						 
						1895 
						 
						 Le 
						père, Fernand Destouches : élève médiocre au lycée 
						Condorcet, il n'avait même pas tenté de passer la 
						seconde partie de son baccalauréat. Il n'a donc jamais 
						été le licencié ès lettres que Céline se plaisait à 
						évoquer. Engagé volontaire pour cinq ans dans l'armée, 
						il n'en sortit que pour s'engager, en 1890, dans une 
						autre administration  - Le Phénix - 
						dont il ne devait franchir là aussi que laborieusement 
						les premiers grades. 
  Lorsqu'il se maria avec Marguerite Guillou le 13 juillet 1893 à Asnières, 
						Fernand Destouches, qui se targuait de ses origines 
						intellectuelles et bourgeoises, voire nobles, ne 
						possédait quasiment rien. Son épouse, en revanche, 
						n'avait pas de ces prétentions sociales, mais sa dot lui 
						assurait une petite sécurité. Elle lui permit de 
						racheter le bail de cette boutique de lingerie de 
						Courbevoie dont la clientèle était en train de 
						péricliter. 
						  François 
						Gibault note bien : " Il y avait donc entre l'homme 
						et la femme qui allait devenir le père et la mère de 
						Louis-Ferdinand Céline, une origine bretonne commune, 
						mais une grande dissemblance de mentalité et 
						d'éducation. Louis en ressentit les effets pendant toute 
						son enfance et sa jeunesse. " 
 Et c'est peut-être à ce déséquilibre social que Céline dut, par la 
						suite, son perpétuel déclassement : ce regard féroce et 
						lucide qu'il jeta, de l'extérieur, sur les conformismes 
						de tous les milieux qu'il lui arriva de côtoyer, et 
						cette impossibilité d'adopter durablement les 
						conventions d'aucun d'entre eux.  
						 - Louis 
						en nourrice à Puteaux à partir du printemps. 
						
						-  Eugène 
						Paul : naissance le 2 juillet 1895, 96 rue Lepic, dans un 
						milieu simple, mère bretonne ménagère et brodeuse, père 
						plombier musicien dans les cabarets rarement au foyer 
						qui meurt en 1910.   
						
						  
						                     
						1897 
						   A Courbevoie, la clientèle ne se précipite pas dans le magasin
de lingerie tenu par Marguerite Destouches. En 1897, les époux
Destouches décident de s'en débarrasser et emménagent au 19 rue de
Babylone, à Paris. Marguerite est contrainte de travailler dans le
magasin de sa mère Céline Guillou ( " Grand-mère Caroline " de Mort à crédit).  
						  " Après la 
						faillite dans les Modes à Courbevoie, il a fallu qu'ils 
						travaillent double mes parents, qu'ils en mettent un 
						fameux coup. Elle comme vendeuse chez grand-mère, lui 
						toutes les heures qu'il pouvait, en plus, à la " 
						Coccinelle ". 
						 
 Très vite, Louis rejoint ses parents rue de
Babylone (avril 1897), avant qu'ils ne s'installent au 9 rue Ganneron à 
						Montmartre. Louis est plongé au cœur de la capitale 
						   
						                   
						 1898 
						
						Agé de 
						quatre ans, il vit dix mois rue Ganneron, avant d’être 
						mis sous cloche Passage Choiseul. 
						
						  
						                  
						  1899  
						  
       
						 Céline Guillou pouvait 
						triompher : elle l'avait bien prévue, cette faillite ! 
						Mais sa fille ne voulait pas renoncer pour autant à 
						voler de ses propres ailes. 
						   En
1899, Marguerite reprend un fond " d'objets de curiosité en
boutique " au 67 du 
						Passage Choiseul, dans le deuxième
arrondissement.  
						  " On avait un 
						logement au-dessus de tout, en étages, trois pièces qui 
						se reliaient par un tire-bouchon. [...] En haut, notre 
						dernière piaule, celle qui donnait sur le vitrage, à 
						l'air c'est-à-dire, elle fermait par des barreaux, à 
						cause des voleurs et des chats. C'était ma chambre, 
						c'est là aussi que mon père pouvait dessiner quand il 
						revenait de livraisons. " 
						   
						                   
						  1900 
						  Le 
						grand évènement de l'enfance de Louis, c'est 
						l'Exposition universelle de 1900. Il va avoir sept ans 
						lorsque lui déboule dessus le grand cortège de la 
						modernité et ses sortilèges, annonciateurs d'un siècle 
						en mouvement. 
 Le 14 avril 1900, le président de la République, Emile Loubet, inaugure en 
						grande pompe l'Exposition universelle. C'est la 
						cinquième qu'accueille Paris. l'organisation d'un tel 
						évènement a nécessité pas moins de huit ans de 
						préparation. 
   Si le cœur de l'Exposition se concentre 
						sur près de 110 hectares situés entre le Champ-de-Mars, 
						les Invalides, le Trocadéro 
						 et les Champs-Elysées, on 
						compte de nombreuses annexes dont la principale est à 
						Vincennes. Restait à l'aménager. La ville de Paris 
						disposait de bâtiments hérités des précédentes 
						manifestations : le palais du Trocadéro de 1878 ainsi 
						que la tour Eiffel et la galerie des Machines de 1889. 
						Comme toujours en pareille occasion, il importe de faire 
						du neuf. De nouvelles constructions sortent de terre : 
						le Grand et le Petit Palais, le pont Alexandre III ou 
						encore la Porte monumentale de l'Exposition, érigée 
						place de la Concorde. 
						   Cherchant à 
						attirer et à retenir le public, l'Exposition tente de 
						l'amuser en multipliant les attractions. A côté du 
						trottoir roulant considéré comme le " clou de 
						l'exposition ", les visiteurs se ruent au Panorama animé 
						qui propose un tour du monde, observent, subjugués, le 
						pavillon Schneider et sa coupole rouge hérissée de 
						canons, symbole de la puissance de la métallurgie et de 
						l'artillerie françaises ou découvrent les effets de 
						lumière de la " Fée électrique ".  
   
  Les pavillons des différents pays rivalisent d'ingéniosité, chacun 
						vantant les mérites de ses productions. Signe des temps, 
						la question sociale est aussi au rendez-vous : le 
						président Loubet n'inaugure-t-il pas un Congrès 
						international d'assistance publique ?  
  L'exposition ferme ses portes le 12 novembre 1900 sur un indéniable 
						succès. Avec près de 51 millions de visiteurs, quelque 
						85 000 exposants, des recettes supérieures de 7 millions 
						de francs aux dépenses engagées, elle augure bien du 
						siècle à venir !
						 
  Avec son père, ils ont tout vu, tout entendu, goûté à tout. Ah ! on peut 
						dire qu'ils s'en sont goinfrés du Progrès. De 
						l'époustouflant, du fantastique, du monumental : le 
						grande Porte de la Concorde et ses fanfreluches, le 
						Palais de l'électricité et les fontaines lumineuses du 
						Champ-de-Mars, la galerie des Machines, le Palais de la 
						boisson, les nègres du Pavillon colonial. Forcément, le 
						retour au Passage allait être triomphal. 
						  " Papa il 
						racontait les choses avec les quinze-cents détails... 
						des exacts... et des moins valables... Ma mère elle 
						était contente, elle 
						 se trouvait récompensée... Pour une 
						fois Auguste était tout entier à l'honneur... Elle en 
						était bien fière pour lui... Il plastronnait. Il 
						installait devant tout le monde... Des bobards elle se 
						rendait bien compte... Mais ça faisait partie de 
						l'instruction... Elle avait pas souffert pour rien... 
						Les autres pilons, ils demeuraient la gueule ouverte...
						Ça c'était de l'admiration. 
 Papa leur en foutait du mirage au fur et à mesure, absolument comme on 
						respire... Y avait magie dans notre boutique... le gaz 
						éteint. Il leur servait à lui tout seul un spectacle 
						mille fois étonnant comme quatre douzaine 
						d'Expositions... Seulement il voulait pas du bec !... 
						Rien que des bougies !... Les petits tôliers nos amis, 
						ils amenaient les leurs de calebombes, du fond de leurs 
						soupentes. Ils sont revenus tous les soirs pour écouter 
						encore papa et toujours ils en redemandaient... 
  C'était un prestige terrible... Ils connaissaient rien de meilleur. Et La 
						Méhon à la fin, elle en serait tombée malade, dans le 
						fond de sa cambuse, hantée par les sentiments... On lui 
						avait tout répété, les moindres paroles... le quinzième 
						soir environ, elle pouvait plus résister... Elle est 
						descendue toute seule, elle a traversé le Passage... On 
						aurait dit un fantôme... Elle était en chemise de nuit. 
						Elle a cogné à notre vitrine. Tout le monde s'est 
						retourné alors. Elle a pas dit un seul mot. Elle a collé 
						un papier, c'était court en grosses majuscules... : 
						MENTEUR... " 
						  Avec ses 
						façades presque toutes identiques, le Passage est un 
						petit village. On s'épie, on médit, on se calomnie entre 
						boutiquiers. C'est une communauté réduite aux caquets. 
						Il y a là, brassée en un flux incessant, la houle 
						montante et descendante des passants. Non seulement le 
						Passage sert de promenoir au public des théâtres des 
						alentours mais il est très apprécié des flâneurs et des 
						jolies filles. C'est le spectacle du Passage qui va 
						initier le petit Louis à la grande confrérie des 
						voyeurs. Mateur et pas qu'un peu : pour un romancier, 
						c'est l'enfance de l'art. 
						  
      
						  Le gaz, c'est 
						celui qui siffle par les 320 becs Auer chargés 
						d'éclairer le Passage dès 4 heures de l'après-midi et 
						qui empuantit si fortement l'air confiné du lieu. Céline 
						l'a ressassé cent fois : " Sous cloche qu'on était... 
						j'ai été élevé dans une cloche à gaz. On a beau dire, ça 
						marque d'avoir été élevé dans une cloche à gaz. "  
  " On avait beau répandre du soufre, c'était quand même un genre 
						d'égout le Passage des Bérésinas. La pisse ça amène du
						
      					monde. 
						Pissait qui voulait sur nous, même les grandes personnes 
						; surtout dès qu'il pleuvait dans la rue. On entrait 
						pour ça. Le petit conduit 
						adventice l'allée Primorgueil on y faisait caca 
						couramment. On aurait eu tort de se plaindre. Souvent ça 
						devenait des clients les pisseurs, avec ou sans chien ". 
						   
						Louis découvre l'école communale de la rue de Louvois,
située à quelques pas de la boutique de sa mère. Ses résultats
scolaires ne brillent pas comme l'attestent les commentaires du
directeur de l'école: " Enfant intelligent mais d'une paresse excessive, 
						entretenue par la faiblesse de ses parents. 
						Etait capable de 
						très bien faire sous une direction ferme. Bonne 
						instruction, éducation très relâchée." Il conseille 
						la pension et ses rigueurs. 
						   
						                    
						
						1901 
						 
						 Si 
						le Passage Choiseul est une cloche à gaz, c'est aussi 
						une cloche à chansons, une salle de concert permanent 
						parcourue du matin au soir par des rengaines fredonnées 
						par les passants, des voix nasillardes qui s'échappent 
						de la boutique du marchand de gramophones ou encore des 
						" voix enchanteresses " qui s'élèvent dans la salle des 
						Bouffes-Parisiens dont Jacques Offenbach a fait depuis 
						1855, l'un des temples de l'opéra-bouffe et l'opérette. 
  
  L'opéra-comique, ses divas, ses morceaux de bravoure, ses mises en scène 
						fastueuses emplissent l'imaginaire du petit Louis. Très 
						jeune, il est, à sa manière, un spectateur assidu du 
						théâtre des Bouffes-Parisiens qu'il rebaptise le " 
						Grenier-Mondain " dans Mort à crédit.  Ce qu'il en 
						perçoit de l'extérieur - bribes chantées, chatoiement 
						rococo, exubérance du public bourgeois de la Belle 
						Epoque - le ravit et le transporte au-delà du quotidien 
						confiné au Passage. 
 La Périchole, Manon, PhiPhi, Véronique, Les Cloches de Corneville, 
						Fortunio, Miss Heylett : tous les grands airs d'un 
						répertoire trop souvent présenté aujourd'hui comme 
						mineur ou négligeable vont lui restés gravés dans la 
						tête au point d'envahir son œuvre telles des résurgences 
						venues de l'enfance. 
						 
						  
						                
						 1902 
						-1903 
						  Après 
						la mort d'Offenbach survenue en 1880, les 
						Bouffes-Parisiens demeurent un des hauts-lieux de la 
						scène parisienne. Un de ses entrées se trouve au 65-67 
						du passage Choiseul. Céline est aux avant-postes pour en 
						recueillir les effluves sonores. La scène lyrique est 
						alors occupée par les pièces montées viennoises. Ces 
						pâtisseries habsbourgeoises telle La Veuve 
						joyeuse de Franz Lehar déchaînent l'enthousiasme du 
						public parisien.  
						  L'autre 
						affluent où baigne la prosodie célinienne est celle de 
						la chanson populaire. Refrains, fredaines, couplets 
						servent à l'exploration d'un continent disparu, celui de  
						l'ancienne France quand la chanson s'offrait à tous en 
						école de la vie, en enseignait toutes les facettes, 
						enracinait les hommes dans une tradition. 
  
  " Ma mère chantait d'abord parce qu'elle aimait ça et ensuite parce 
						que dans ce temps-là ça se faisait : les gens 
						chantaient. Le chant est devenu affaire de spécialiste, 
						ou bien il y a des appareils qui le font à votre place. 
						" 
  
 " On peut dire que j'ai assisté à la fin des chansons. Au début, avant la 
						guerre de 14, chaque fois qu'il entrait une arpette ou 
						une midinette au début du Passage, elle commençait à 
						chanter. Elle chantait pendant toute la durée du 
						Passage. Et puis après 14, on n'a plus chanté dans le 
						Passage. C'est un signe des temps. C'est tout ce qu'on 
						avait comme distraction, la chanson des petits apprentis 
						et des midinettes ". 
						  Céline 
						Guillou, la grand-mère, celle dont il empruntera le 
						prénom pour en faire l'un des patronymes les plus 
						illustres de l'histoire littéraire, l'emmène parfois au 
						cinéma Robert-Houdin (aujourd'hui musée Grévin) en 
						matinée du jeudi. Le chien Tom est de la partie. Le 
						petit Louis y reste jusqu'à trois heures d'affilée pour 
						un franc la place. Il y découvre émerveillé à peu près 
						tous les films de Méliès : Le Voyage dans la lune, 
						L'Homme à la tête de caoutchouc, Barbe-Bleue, Le Royaume 
						des fées, Le Petit Chaperon rouge. 
  A la fin c'est lui qui réveille le chien et la grand-mère 
						Guillou. Sur le chemin du retour, chez le marchand de 
						journaux, au coin du Passage, elle lui achète le dernier 
						numéro des Belles Aventures illustrées que 
						l'enfant dévore en cachette de son père.                                           
						  Vacances en 
						charrette.         
						 
						   
						                   
						 1904 
						 
						   
						 En 1904, les Destouches déménagent dans la boutique d'en face, au 64
du Passage Choiseul. La dentelle et les objets anciens restent leur
fonds de commerce. Céline pouvait écrire le 26 août 1935 à Lucienne Delforge : "
						Ma mère travaille encore. Je me souviens, au Passage, 
						quand elle était plus jeune, de l'énorme tas de 
						dentelles à réparer, le fabuleux monticule qui 
						surplombait toujours sa table - une montagne de boulot 
						pour quelques francs. Ce n'était jamais terminé. C'était 
						pour bouffer. J'en avais des cauchemars la nuit, elle 
						aussi. Cela m'est toujours resté. "  
						   En décembre, la mort de Céline
Guillou, mère de Marguerite et grand-mère de Louis affecte durement l'enfant. Son premier vrai contact avec la mort
injuste date de là.  
						    Rencontre dans un cours de piano de Simone Saintu, qui sera 
						sa correspondante en 1916-1917, lors de ses séjours en 
						Angleterre et en Afrique. 
						   
						                    
						1905 
						     
						Février 
						  La mort de Céline 
						Guillou apporta à sa fille et à son gendre une petite 
						aisance, Louis quitta l'école communale de la rue de 
						Louvois. L'héritage que leur lègue Céline offre aux
Destouches la possibilité d'inscrire Louis dans une école privée,
l'école Saint  Joseph des Tuileries, en février 1905. 
  Il s'agissait d'une école privée, payante, catholique bien entendu, où 
						l'enfant était censé recevoir une bonne éducation 
						religieuse et préparer sa première communion. 
 Sa scolarité s'y déroula sans aucun de ces éclats dont le récit contribua 
						à bâtir sa légende d'enfant malveillant et frondeur. 
						      
						 Mai 
						 - Le 18 mai, il
fait sa première communion en l'église Saint-Roch.  
						   Eté : vacances à Dieppe et 
						dans la région. 
						  Durant toutes ces 
						années, Louis ne quitta guère le passage Choiseul. Ce 
						décor construit dans les années 1820 marqua 
						durablement et profondément sa vie. Il en fit certaines 
						descriptions dans Mort à crédit : " Un projet 
						était à l'étude pour amener l'électricité dans toutes 
						les boutiques du passage ! On supprimerait alors le gaz 
						qui sifflait dès quatre heures du soir, par ses trois 
						cent vingt becs, et qui puait si fortement dans tout 
						notre air confiné que certaines dames, vers sept heures, 
						arrivaient à s'en trouver mal... (en plus de l'odeur des 
						urines des chiens de plus en plus nombreux...). 
  On parlait même bien plus encore de nous démolir complètement ! de 
						démonter toute la galerie ! de faire sauter notre grand 
						vitrage ! oui ! et de percer une rue de vingt-cinq 
						mètres à l'endroit même où nous logions... 
  Ah ! mais c'étaient pas des bruits sérieux, c'étaient plutôt des 
						balivernes, des racontars de prisonniers. Cloches !... 
						Sous cloche qu'on était ! sous cloche qu'il fallait 
						demeurer ! Toujours et quand même ! Un point c'est tout 
						!... C'était la loi du plus fort !... " 
						   
						                    
						1906 
						    Il intègre, en octobre
1906,   l'école communale d'Argenteuil, 11 rue d'Argenteuil. Sa dernière 
						année de scolarité. 
						   
						                    
						1907 
						 
      					 
						 -  Il décroche son certificat
d'études primaires le 21 juin 1907. De toute cette période, le
petit Louis Destouches gardera une nostalgie certaine du petit commerce
et de la difficulté à s'y faire une place. Le Passage Choiseul marquera
à jamais l'enfant, et l'écrivain Céline s'en souviendra au moment de
rédiger Mort à crédit.  
						  Une cloche 
						de verre le passage Choiseul ? Sans doute... C'était 
						bien le lieu clos par excellence, l'aquarium, le village 
						transparent où tous s'agitaient, se connaissaient, 
						s'épiaient. Ce passage a donc constitué pour Céline un 
						terrain d'observation idéal. Mais il a été plus encore. 
						Ce lieu clos, ce lieu coupé du ciel par ses gigantesques 
						verrières au-dessus du deuxième étage, masquant le 
						troisième étage mansardé, ce lieu clos était aussi un 
						lieu de circulation. Il n'abritait pas sa seule 
						population commerçante. Ouvriers et clochards 
						l'empruntaient. De grandes bourgeoises venaient à 
						l'occasion y faire leurs achats. Et, surtout, il 
						invitait à la fuite, aux voyages. Il ouvrait de 
						prodigieuses perspectives. 
  Pour l'enfant, il fut donc comme une tentation permanente : il débouchait 
						sur l'inconnu. 
						  Le passage 
						Choiseul, à la fois espace immobile et fermé, espace de 
						mouvement et de fuite, fit travailler, plus que nul 
						autre, son imagination. Pour Céline, le passage Choiseul 
						a débouché d'un côté sur ses voyages et sur sa vie 
						d'adulte. Il l'a retenu, de l'autre, dans le XIXe 
						siècle. Il lui a donné ce sentiment de la disparition 
						des modes, des choses, des classes sociales des êtres. 
						Il lui a forgé son pessimisme et communiqué ce goût du 
						beau style sur lequel s'évertuer. 
  " D'abord maman se rendait bien compte, elle se l'avouait dans les 
						larmes, le goût des belles choses se perdait... C'était 
						un courant pas remontable... Lutter même devenait 
						imbécile, c'était se ronger pour des prunes... Plus de 
						raffinements chez les gens riches... Plus de 
						délicatesse... Ni d'estime pour les choses du fin 
						travail, pour les ouvrages tout à la main... Plus que 
						des engouements dépravés pour les saloperies mécaniques, 
						les broderies qui s'effilochent, qui fondent et pèlent 
						aux lavages... Pourquoi s'évertuer sur le beau ? Voilà 
						ce que les dames demandaient ! Du tape à l'œil 
						à présent ! Du vermicelle ! Des tas d'horreur ! Des 
						vraies ordures de bazar ! la belle dentelle était morte 
						!... Pourquoi s'acharner ? "  
						
					
						 
						Frédéric Vitoux assure que le père de Céline « lisait
						La Patrie, journal populaire et réactionnaire, et 
						qu’il devait être par conséquent 
						nationaliste, anglophobe, antimaçonnique, 
						antiparlementaire, antisémite, antiprussien, anti-tout. » 
						 Le conformisme qui émane des lettres envoyées 
						d’Allemagne, où le jeune Destouches se trouve en 1907, 
						montre, en dépit de la maturité manifeste du jeune 
						destinateur, combien les déclarations paternelles ont 
						déteint sur les siennes. Qu’il évoque les Allemands, la 
						situation diplomatique, ou qu’il émiette des jugements 
						politiques, le garçon de 13 ans est de toute évidence en 
						accord avec l’opinion tutélaire, dont on sait 
						aujourd’hui qu’elle reflétait l’avis d’une majorité des 
						Français de l’époque. 
						  
						-  Avant de lancer le jeune Louis-Ferdinand dans le grand 
						commerce, ses parents désiraient qu’il apprît les 
						langues étrangères. 
                            Entre 1907 et 1908,
Louis Destouches est envoyé par ses parents en Allemagne et en
Angleterre pour apprendre les langues étrangères avant de se destiner à
une carrière commerciale. C'est aussi l'époque où son père, que sa
condition professionnelle au sein de la compagnie d'assurances rend
aigri, marque l'enfant par ses prises de position
antisémites.  
						      
						Juin  
						 - Louis, 13 ans depuis 
						15 jours, est reçu au certificat d'études. Deux mois 
						plus tard, il est envoyé en Allemagne. 
						    Août 1907 - juillet 1908 
						 
						- Louis 
						part en Allemagne. A la fin août, les parents de Louis 
						l'envoient dans une petite bourgade du Hanovre, Diepholz, 
						où il suit les cours de la Mittelschule. Le paysage est 
						triste et maussade, l'enfant ne parle pas un mot 
						d'allemand, il loge dans l'école du Rektor Hugo Schmidt. 
  Ses parents l'ont accompagné à Diepholz. A la Toussaint, sa mère vient le 
						voir. A Noël, ce sera son père qui se déplacera. Après 
						une période d'acclimatation difficile, l'enfant 
						s'adaptera à son nouveau milieu. Il suivra des cours de 
						piano. Il s'initiera à l'anglais et pratiquera de 
						nombreux sports. 
						   " Hugo Schmidt 
						fut frappé par la facilité avec laquelle Louis apprit 
						l'allemand qu'il parlait assez couramment après quelques 
						semaines. Il le considérait comme un bon garçon, louait 
						sa gaieté, sa bonne santé et son ardeur au travail ",
						note François Gibault. 
  Il remarque encore que l'enfant écrivait longuement et fréquemment à ses 
						parents, rédigeant de véritables petites chroniques qui 
						parvenaient mal à contenir l'affection ou la tendresse 
						qu'il éprouvait pour son père et sa mère, et que ceux-ci 
						lui avaient appris justement à ne pas extérioriser. Il 
						constate enfin à quel point Louis semblait obsédé par 
						les problèmes d'argent et d'économie. Souci, qui ne 
						devait plus guère le quitter. 
						   
						                     
						1908 
						 - A Pâques 1908, il 
						revient passer quelques jours à Paris dans le nouvel 
						appartement de ses parents, 11 rue Marsollier à quelques 
						mètres du passage Choiseul.  
						 
						
						    Septembre - décembre 
						  
						 - A la 
						rentrée de septembre, 
						après les grandes vacances, il repart pour l'Allemagne, 
						mais à Karlsruhe cette fois, dans la famille d'un 
						professeur, Rudolf Bittrolff, chargé de l'éduquer, de le 
						loger et de le nourrir. Il y reprend ses études 
						d'allemand mais aussi ses exercices de piano. 
						   
						Décembre 
						 - Le 29, il 
						débarque à la gare de l'Est. Son premier séjour en 
						Allemagne est achevé. En comptant les deux séjours il y 
						sera resté presque un an. Il faut songer maintenant à 
						l'Angleterre. Ses parents lui octroient deux mois de 
						vacances, et maintenant que l'allemand est acquis, 
						direction l'Angleterre. 
						   
						                   
						1909 
						     
						Février 
						 - février 1909, Fernand 
						Destouches accompagne son fils à Rochester, dans le 
						Kent. Il l'avait inscrit à l'University School, 
						une bâtisse formée de deux maisons mitoyennes que tenait 
						un couple, M. et Mme Toukin. 
  Autant Céline n'évoquera jamais ses voyages d'enfant en Allemagne, autant 
						il donna de ses premiers séjours en Angleterre des 
						relations longues, passionnées et délirantes.  
						  L'university 
						School devint le fameux Meanwell College dans
						Mort à crédit. " Le Meanwell College on ne 
						pouvait pas désirer mieux comme point de vue. C'était un 
						site magnifique... Du bout des jardins, et même des 
						fenêtres de l'étude, on dominait tout le paysage. Dans 
						les moments d'éclaircie on pouvait voir toute l'étendue, 
						le panorama du fleuve, les trois villes, le port, les 
						docks qui se tassent juste au bord de l'eau... Les 
						lignes de chemin de fer... tous les bateaux qui s'en 
						vont... qui repassent encore un peu plus loin... 
						derrière les collines après les prairies... vers la mer, 
						après Chatham... C'était unique comme impression... " 
						  Nora Merrywin qui 
						tient avec son mari le Meanwell College, et dont 
						l'enfant tombe éperdument amoureux, a-t-elle vraiment 
						existée ? Une enseignante de l'University  School 
						s'était-elle, comme Nora, suicidée ? Avait-elle 
						auparavant violé l'enfant ? La preuve n'en a jamais été 
						fournie. Reste que ce collège abrita sans doute la 
						sexualité solitaire, rêveuse, exténuante et insatisfaite 
						de Céline. 
   
 Louis avait alors quinze ans. " Au dortoir, ça continuait les grosses 
						branlées... les suçades... Je m'intriguais bien sur 
						Nora... Mais toujours en suppositions... " 
						  Fernand 
						Destouches avait bien proposé à son fils de lui payer 
						des suppléments de nourriture. Louis s'y refusa par 
						pudeur, pour ne pas gêner ses camarades et ses maîtres. 
						 - A Pâques, son père 
						prit la décision de le transférer dans une autre pension 
						qu'il avait dénichée à Broadstairs, Pierremont Hall 
						près de Ramsgate, une petite station balnéaire sur la Manche : une pension où 
						l'enseignement était plus consciencieux, l'ordinaire 
						plus copieux, les locaux plus vastes, les prix plus 
						élevés et la responsable - Mme Farnfield - plus 
						gracieuse... Louis y dispose d'une chambre particulière 
						et pratique beaucoup de sports. L'ambiance est si 
						chaleureuse que pour son retour en France, une soirée 
						d'adieu est organisée : lecture de poèmes, concert de 
						violon et de piano, courte pièce de théâtre, le tout 
						joué par les pensionnaires et certains professeurs. Bien 
						loin des récits aussi drôles que désespérants du séjour 
						catastrophique du jeune narrateur de Mort à crédit.                                                         
						  En Angleterre étudiant en 
						1909. 
						    
						Novembre 
						  - En novembre, de
retour en France, Louis Destouches va entamer sa période d'apprentissage. Il parlait 
						et écrivait sans difficulté l'anglais et l'allemand. Il 
						était armé pour la vie... 
						  De ses voyages à 
						l'étranger, sans doute gardait-il la blessure des 
						premières séparations, l'habitude de la solitude forgée 
						dans un milieu différent sinon hostile, le goût des 
						situations instables, mais d'abord une curiosité 
						inépuisable pour de nouveaux décors, de nouveaux 
						paysages, de nouveaux individus.  
 A partir de cette date, Céline n'allait plus rêver que de départs...  
						   
						                    
						    1910 
						    
						Janvier 
						 
						- Le 1er janvier, à l'âge de 16 ans, il entre Chez Raimon, rue 
						du 4
septembre, un gros marchand de tissus. Il 
						occupa sans doute les fonctions de livreur et peut-être 
						d'aide-vendeur. 
  Sept mois plus tard, il quittait la maison, libre de tout engagement. 
						 
    Septembre 
						 - En septembre, il
travaille chez Robert, 16 rue Royale, un bijoutier. Il y restera jusqu'au 31 
						mars 1911. 
						   
						                     
						1911 
						    
						Avril 
						 - Le lendemain, il est embauché chez Wagner,
un joaillier, au 114 de la rue du Temple, à une vingtaine de minutes de marche 
						de chez ses parents. 
						 
    Octobre 
						 - Le 6 octobre 1911, Louis 
						Destouches quitta Wagner pour entrer chez les 
						frères Lacloche, joailliers rue de la Paix. La maison 
						était puissante. Installée à Paris, comme tous les 
						grands joailliers, elle avait des succursales à 
						l'étranger et en province. 
  Toutefois, il ne semble pas que les travaux qui lui furent confiés là, 
						relèvent d'une quelconque promotion. Il continua de 
						promener les chiens et de surveiller les clientes du 
						magasin pour prévenir tout risque de vol. 
						 
   Décembre 
						 - En décembre, il est 
						affecté à la succursale Lacloche de Nice, jusqu'au 12 
						mai 1912 : le monde de Mort à crédit. Premiers 
						grands moments de liberté avant l'armée... 
  
 Fernand Destouches s'inquiétait un peu de voir son fils de dix-sept ans, 
						d'un caractère déjà très indépendant, bénéficier ainsi 
						d'une totale liberté. Cette liberté, il est probable en 
						effet que Louis en usa abondamment... 
  Mais nous savons peu de chose sur son séjour à Nice et ses activités de 
						grouillot chez Lacloche, boulevard Masséna... Dans 
						Bagatelles pour un massacre, il raconte qu'il se 
						tenait debout dans l'arrière-boutique, derrière une 
						cloison où se trouvaient des petits carreaux vitrés à 
						travers lesquels il a une vue discrète sur tout le 
						magasin.  
						- " C'est moi qui surveillais les mains des clients 
						et des clientes... C'était ma consigne... épier les 
						moindres furtifs gestes... surtout les furtifs gestes... 
						Les poignes !... pas quitter des yeux les poignes !... 
						Jamais... Voilà... "  
						  Que dire des 
						premières années professionnelles de Céline sinon qu'il 
						n'y a rien à en dire, précisément ? Il est difficile de 
						faire correspondre les " Puta ", " Gorloge 
						" et autres " Berlope " de Mort à crédit 
						et de Voyage au bout de la nuit avec les 
						employeurs qu'il eut à servir. 
      					 
  A Claude Bonnefoy, qui l'interrogeait pour le journal Arts (août 
						1961), Céline confia les souvenirs pénibles de ses 
						courses et de ses livraisons dans Paris : " J'ai 
						surtout travaillé dans la bijouterie... On me donnait 
						tout à faire... Nettoyer l'argenterie, surveiller les 
						mains des clientes... Promener les chiens !... Surtout 
						je faisais les courses... J'accompagnais le placier... 
						Moi, je portais la marmotte, une énorme caisse, dans 
						laquelle on mettait des modèles d'épingles de cravate en 
						plomb. Elles étaient affreuses, ces épingles, très 
						compliquées, allégoriques, symboliques... C'était la 
						mode... On marchait beaucoup... De la place de la 
						République à l'avenue de l'Opéra, de l'Odéon à la Seine, 
						on faisait toutes les bijouteries... On ne vendait pas 
						grand-chose. Le soir, ça finissait sur les marches de 
						l'Ambigu... Tous les placiers se retrouvaient là... tous 
						miteux... Ils parlaient des affaires, échangeaient des 
						tuyaux... Mais au mois de juillet avec les chaleurs, 
						tout ça, ce n'était pas agréable... La caisse était très 
						lourde. 
 [...] Le plus affreux, atroce, c'étaient les chaussures... Des chaussures 
						à bout étroit, souvent trop petites, en plus... C'était 
						un supplice pour marcher... Je marchais beaucoup, je ne 
						faisais que ça. Pour aller de la rue Royale à l'Etoile, 
						j'allais aussi vite que le métro... Je gardais l'argent 
						de la course. C'était comme ça... J'ai fait tout Meudon 
						pour les livraisons... J'avais les pieds en morceaux. " 
						                    
						   
						   
                            
                           
                                                                                   
                            
                                                                                   
                
                          
                         |