1941
Février
- En
février 1941, Céline après avoir
regagné Paris, s'installe au 4 rue Girardon, toujours à
Montmartre, à l'angle de la rue Norvins, devant la rampe
d'accès au Moulin de la Galette, face à l'avenue Junot
et à l'atelier de Gen Paul. C'est le peintre qui lui
a déniché cet appartement. Le couple peut quitter le 11,
rue Marsollier, où la cohabitation avec la très
possessive mère de Céline, dont il reconnaît qu'elle est
aussi difficile à vivre que lui (ce qui n'est pas rien),
est devenue pénible. Dans cet immeuble petit-bourgeois assez laid, il occupe au cinquième
étage : " un appartement tranquille, clair, assez
vaste, mais de petite-bourgeoisie, comme l'immeuble
l'annonçait. Un mobilier du genre rustique breton, tel
que l'eût choisi un employé de bureau ayant fait un
héritage. Le tout bien briqué, ciré, luisant ", témoigne Lucien Rebatet. C'est là qu'il rédigera son quatrième pamphlet :
Les Beaux draps. -
En face de son atelier où se réunissent les « Amis de la
Butte » : Marcel Aymé, Bourdat-Parménie, Victor Carré,
Louis Chervin, Clochette, Coccinelle,
Daragnès, René Fauchois, Serge Perrault, Jean Perrot,
Pomme, André Pulicani, Max Revol, Oscar Rosembly,
Antonio Zuloaga… D’autres habitués de l’atelier auront
des comptes à rendre à la Libération : Jean Bonvilliers,
Benoîte Lab, Robert Le Vigan, Arthur Pfannstiel, Henri
Poulain, Ralph
Soupault, André Zucca… D’autres encore se
feront discrets : le professeur Allaix, René Blanchetot,
Jean Bouchon, un certain Denfert, Peppino Morato, Jean
Noceti, Jo Varenne, André Villeboeuf… Tous ses amis montmartrois seront évoqués par Marcel Aymé dans
Avenue
Junot.
- Le 28
février, Les Beaux draps sont publiés par les Nouvelles éditions françaises, société crée par
Denoël pour les textes à orientation idéologique
conforme au nouveau pouvoir.
Durant toute l'occupation,
trente-cinq textes de Céline, lettres, interviews
ou réponses à des enquêtes seront publiés dans la presse
pour y parler de son antisémitisme, sans rémunération.
Pourtant il refuse obstinément de rallier un quelconque
parti politique ou un journal.
Dans la France de l'Occupation,
Pétain (que Céline a caricaturé dans L'Ecole des
cadavres sous le nom de Bedain ou de Maréchal
Prétartarin) est une véritable idole, une icône sacrée.
On peut discuter sa politique,
critiquer ses ministres, penser que son chef de
gouvernement Pierre Laval est un vieux cheval de retour
de la IIIe République, trouver ridicule ou délétère
l'atmosphère qui règne à Vichy, mais le personnage est
intouchable. Son portrait est partout, des hymnes sont
composés à sa gloire, il est l'objet d'un véritable
culte qui n'a rien à envier à Staline ou à Mao.
Tout cela n'impressionne
nullement Céline qui dans une lettre à L'Appel du
9 avril 1942, finira par interpeller directement le chef
de l'Etat français d'égal à égal : " Je me fous des
employés je ne parle qu'au patron, comme personne ne
l'a fait publiquement avant lui ni ne le refera : "
Pour moi, simple et buté, une seule question qui se pose
: qui détient en définitive le Pouvoir en France : Dache
ou le Maréchal Pétain ? " et plus loin : " Le
Maréchal Pétain, notre chef, est-il raciste, Aryen ? "
Pendant tout le temps
qu'il croit possible une victoire allemande
Destouches se prend pour Céline, barde breton friand de
légendes celtes, médium capable de ressentir
d'interpréter et de traduire les aspirations du vieux
pays gaulois. La catastrophe de la défaite a bouleversé
la société française qui touche littéralement le fond.
Sur ces décombres, il projette de reconstruire une
communauté radicalement différente, précisant que c'est
la dernière chance : " L'Histoire ne repasse pas les
plats ". Il refuse l'ordre que tente d'imposer l'Etat français : "
La
Révolution nationale lui apparaît très vite comme une
lugubre farce, une sorte de fascisme en charentaises
pour chaisières, vieux schnocks et sacristains. La
médiocrité intellectuelle et morale du personnage de
Vichy n'échappe pas à sa clairvoyance. Mais surtout, il
a le sentiment que sous un changement illusoire de
protagonistes, c'est la société bourgeoise d'avant la
guerre qui se poursuit. " (Pierre-André Dessalins,
Papillon en automne).
Les Beaux draps vont
apporter les solutions. Racisme d'abord, l'impératif est
de se débarrasser des Juifs que Céline continue à voir
partout, toujours aussi puissants malgré les statuts,
les décrets et les numerus clausus : "
Plus de juifs que jamais dans les rues, plus de juifs
que jamais dans la presse, plus de juifs que jamais en
Sorbonne, plus de juifs que jamais en médecine, au
Théâtre, au Français, dans l'industrie, dans les
banques. Paris, la France, plus que jamais livrés aux
maçons et aux juifs, plus insolents que jamais. " Puis battre les juifs sur leur terrain,
instauration du " communisme Labiche "...
Programme radical : "
Je nationalise les banques, les mines, les chemins de
fer, l'industrie... Ceux qui ne veulent pas travailler,
je les fous en prison, les malades, je les soigne. "
Réduction du temps de travail : " trente-cinq heures... Il me
semble que trente-cinq heures c'est le maximum par
bonhomme et par semaine au tarabustage des usines, sans
tourner complètement bourrique. " Salaire règlementaire : " Je décrète salaire national 100 francs
par jour... 100 francs pour le célibataire, 150 pour les
ménages, 200 francs avec trois enfants... Logement et sécurité pour tous : " Le pavillon permis, héréditaire
et bien de famille, insaisissable dans tous les cas et
le jardin de cinq cents mètres. " La réforme indispensable, celle de l'école :
" Pédagogie
privilégiant l'éveil artistique et le sport, qui devra
préserver et faire éclore l'artiste que chaque enfant
porte en soi... "
-
Gen Paul ne semble pas trop souffrir de l’Occupation.
Les Allemands qu’il a combattus en 14 resteront toujours
pour lui des Boches. Les questions politiques lui sont
étrangères. Le principal est de vendre des toiles.
Mars
- En mars 1941, la revue Images de France
évoquait l’atelier, le peintre et Céline, dans une
atmosphère amicale. Gen Paul bien que
mutilé, handicapé, connaît des passions amoureuses.
Céline écrit à Karen en juin 1941 : « Popaul nous
donne bien du souci, en plus de sa tuberculose il est
devenu amoureux. Il dépérit. Je me sers beaucoup de
votre souvenir pour le ramener à la modération. L’espoir
de vous revoir le calme un peu. »
Mai - Le 11, participation de Céline à
l’inauguration de l’Institut d’étude des questions
juives (voir
La Semaine du 22 mai qui reproduit une photographie de
Céline « parmi les invités »).
- Le 30, Céline annonce à Mahé père qu'il se
rend à Quimper. C'est une réponse à un cri d'alarme du
Dr Tuset concernant Noël L'Helgouarch, marin pêcheur
condamné à mort par les Allemands le 15 avril 1941 pour
sabotage d'un câble téléphonique. Tuset et Céline lui
rende visite dans sa cellule. Céline se rend chez
François Morvan à Beg-Meil, petit port au sud de Quimper
et de Fouesnant. Puis, pour tenter de sauver Noël L'Helgouarch,
Céline écrit à M. Georges, préfet du Finistère et à F.
de Brinon, ambassadeur de Pétain auprès des autorités
allemandes, qui lui répond favorablement. Céline a quelques espoirs. Ils seront déçus. Noël L'Helgouarch sera
fusillé le 27 juin 1941.
- Participation de Céline à l’exposition
La France européenne, le 31
mai 1941 au Grand-Palais (sa présence est attestée par
une lettre qu’il adresse deux jours plus tard à Fernand
de Brinon).
Juin
- Bretagne, Finistère, Côtes-du-Nord. A
Saint-Malo, Céline habite chez André Dézarrois qui lui
prête son logis. Il lui dédiera un premier temps Scandale aux abysses. Celtisant en Bretagne pendant
l’Occupation, il aura des ennuis à la Libération et sera
aussi honoré pour avoir participé au Débarquement.
Juillet
- Le 18, Evelyne Pollet séjourne à Anvers chez
une amie et ne voit pas Céline qui poursuit son voyage
en direction d’Amsterdam après avoir glissé un billet
dans sa boîte aux lettres. De retour à Anvers le 20, il expliquera brièvement qu’il s’était rendu en
Hollande « pour une affaire d’argent qui n’avait pas
abouti ». On sait que Céline avait ouvert un compte
à la Nederlansche Bank
d’Amsterdam en 1938 et déposé 184 pièces de dix florins
or. Sans doute s’y rendait-il avec l’intention de
retirer cette somme. Mais ce fut pour apprendre que les
Allemands avaient bloqué son compte.
Septembre
- 5, Paul Cézille,
directeur de l'Institut d'études des questions juives
organise l'exposition : " Le Juif et la France " au
palais Berlitz.
Octobre
- La
lettre de protestation du 21 octobre 1941 au capitaine
Cézille. Il constate que ses pamphlets ne figurent pas
dans son exposition antisémite.
Novembre
- Réédition de Bagatelles pour un massacre.
Décembre
-
4, : saisie des Beaux draps en zone non
occupée sur ordre du gouvernement de Vichy. Emile Brami
peut écrire : " Le régime de Vichy avec son vieillard
cacochyme, ses ganaches galonnées, ses amiraux sans
navires, son goût masochiste de la pénitence et celui si
chrétien de la rédemption, sa mythification du travail
aux champs, de la paysannerie et du retour à " la
terre qui ne ment pas ", sa peur du peuple et des
ouvriers, juge Les Beaux draps assez
révolutionnaire pour l'interdire en zone sud et le faire
partiellement saisir par la police à Toulouse et
Marseille. " Céline ne manquera pas
de s'en plaindre à plusieurs reprises :
" On me brûle trois mille exemplaires " (lettre à
Lucien Combelle du 29 mars 1942).
- Les
11 et 20 décembre 1941, les déclarations pour le « Parti
unique » sous l’égide de Au pilori.
Tout cela ne va qu'accroître la
notoriété de Céline auprès de l'opinion à Paris: oracle et deux fois condamné,
interdit par un gouvernement de gauche avant la guerre,
et par un régime de droite ultra-conservateur après la
défaite...
-
En décembre, Gen Paul se rend à Marseille tenter de
récupérer de l’argent qu’une compagne lui avait dérobé.
- Le 24, Céline demande à Victor Carré, employé de mairie,
des bons supplémentaires d’alimentation pour Gen Paul et
lui-même au titre d’anciens mutilés.
1942
La
période de l'Occupation est pour Céline des plus
exceptionnelle, il est célèbre, reconnu, indiscuté,
indiscutable ; pour une fois en paix et en adéquation
avec le monde qui l'entoure. Les conditions de travail au dispensaire de Bezons sont peu
contraignantes. Il peut s'absenter quand bon lui semble,
ce dont il ne se prive pas pour se reposer à Saint-Malo,
Camaret, Quimper (en Bretagne, il se ravitaille au
marché noir, achète beurre, pâtés, jambons en quantité),
ou pour se rendre à Berlin.
Entre 1941 et 1944, en France, les cinémas, les music-halls, les théâtres
refusent du monde ; les librairies sont prises d'assaut,
on n'a jamais tant lu. Les ouvrages de Céline rapportent
beaucoup d'argent. Le seul problème en cette période de
pénurie généralisée, c'est trouver du papier pour
imprimer. Son ami et admirateur Karl Epting va l'aider. Les Beaux draps est retiré douze fois entre le 10 mars 1941 et le
27 octobre 1943. Tous ses autres livres ressortent : L'Eglise sous une nouvelle couverture ;
Voyage au
bout de la nuit et Mort à crédit avec des
dessins de Gen Paul ; Bagatelles pour un massacre
et L'Ecole des cadavres - ce dernier augmenté
d'une violente préface -, illustrés par des
photographies de Juifs, de nègres, de francs-maçons,
d'Anglais, de parlementaires, légendés par Céline d'une
façon humoristique.
Janvier
- Le 5
janvier 1942, Gen Paul griffonne un portrait de Céline,
muni de moufles, dans l’atelier. Voyage sortira
en mars avec 15 dessins à l’encre. Mort à crédit
en septembre avec 16 dessins. Le peintre du mouvement et
des instantanés de la vie quotidienne illustrait
l’écrivain qui avait su capter l’émotion et la musique
de pauvres gens. Travail terminé le 21 février 1942 comme le laisse
supposer une lettre de Gen Paul à son ami Sanz : « Par
revu Zuloaga qui est à Vichy à l’ambassade… Un travail
terrible m’attendait le tout est terminé. »
Février
- Le 1er février 1942, sa présence à un meeting de
Doriot au Vel' d'Hiv, (voir
L’Emancipation nationale du 7
février qui reproduit la photo de Céline dans
l’assistance).
Céline a commencé
Guignol' band.
- Jean Cocteau, dans une lettre au
maréchal Pétain (passée à Drouot le 28 janvier 1983),
se recommandant de son cousin l’amiral Darlan
écrit : « Ma seule politique est de vous suivre et de
faire acte de foi en ce qui vous concerne… J’avais
décidé d’écrire une grande pièce lyrique exaltant ce que
votre noblesse nous enseigne… Je vous vénère et vous
aime. »
Mars
-
Il est à Berlin en mars, où il accompagne le docteur
Auguste Bécart hématologue chez lequel il a rencontré
Doriot « 3 ou 4 fois ». Membre du Cercle européen, du
Parti populaire français, du Groupe des médecins
collaborateurs. Il se lancera dans la gastronomie après
la guerre. Il s’agissait pour Céline de rencontrer Karen au
Danemark afin de lui confier la clef de son coffre à
Copenhague et de rencontrer à Berlin un dignitaire qui
puisse lui débloquer ses florins déposés dans une banque
d’Amsterdam. Pour Gen Paul, qui l’accompagnait, c’était
une occasion de vadrouiller et de revoir Karen. Et puis,
Vlaminck, Derain, Belmondo, Segonzac et Van Dongen, ne
s’étaient-ils pas rendus à Berlin en octobre.
Ce voyage de cinq jours à Berlin à partir du 8 mars
1942, avec les docteurs Rudler et Bécart ? Céline en
compagnie de Lucette et de Gen Paul, tente d’obtenir un
visa pour le Danemark, qui lui est refusé, retrouve
Karen Marie Jensen, qui produit une revue, et lui remet
les clefs de son coffre à Copenhague.
A Berlin, Céline
rencontre Otto Abetz pour la première fois. Le trio se
rend au château de Jaeckelsbruch, où le sculpteur Arno
Breker a un atelier, en compagnie du poète français
d’origine suisse René d’Ueckermann. Une photographie de
Céline a été prise en compagnie de celui-ci.
Sans doute Gen Paul aurait-il dû s’abstenir de suivre l’écrivain à
Berlin, même si c’était pour revoir Karen. Même si
Céline avait qualifié ce voyage de « cirque français »,
imaginant Gen Paul en clown, Bécart en rouleur de tapis,
Rudler en Monsieur Loyal et se présentant comme Auguste…
Encore le cirque… Mais aussi « lettre de château »
adressée par Céline à Epting à son retour pour le
remercier.
- Céline proteste dans la
presse contre les bombardements anglais du 3 mars 1942.
Dans le " Manifeste des intellectuels contre les
crimes anglais " apparaissent les noms de Céline, de
Lucienne Delforge, de Gen Paul et de Ralph Soupault,
parmi les Montmartrois.
- Le 27, premier départ des juifs internés à Drancy
pour le camp d’Auschwitz… le même jour où les actualités
cinématographiques montrent Junie Astor quittant la gare
Saint-Lazare pour un voyage en Allemagne avec Suzy
Delair, Danielle Darrieux et Viviane Romance…
-
Présence à une conférence du Dr Hauboldt au Cercle
Européen (voir La France Européenne du 20 juin
1942, le nom de Céline a figuré sur une liste des
membres du Cercle).
Juin
- Dans le Finistère.
Il passe l'été en Bretagne.
On retiendra de cette période des
plus fastes pour Céline, qu'il atteint la consécration :
désormais les obligés, les journalistes, " montent " sur
la butte de Montmartre voir Céline comme on allait dans
le temple de Delphes consulter les oracles de la Pythie.
" De son cinquième étage aérien, surplombant en plein ciel le moulin de
la Galette
et les toits croulants de Montmartre, Louis-Ferdinand
Céline, l'inoubliable et prophétique voyageur au bout de
la nuit, tend son rêve lucide comme un arc, et ses
flèches sifflent dru, comme autant de vérités criantes,
sur la ville inconsciente et sa dolente population.
Epouvantail à bourgeois, au-delà de sa rude et franche
parlure, il apparaît chez lui, toutes fenêtres closes,
le ciel gris collant aux vitres sa mélancolie hivernale,
un homme doux et bon, solidement charpenté pour la lutte
qu'il mène, un sage d'une force morale peu commune, un
guide sûr et reconnu. " (Robert Cardinne-Petit, Céline
et l'actualité 1933-1961).
Juillet
- Guignol’s
band est entrepris et sera
publié en mars 1944.
Septembre
-
Sort l’édition de luxe de Mort à crédit. Céline
est à Saint-Malo.
Octobre
-
Le 29, Toute la vie publie un reportage
« Un village a trois maires : c’est Montmartre
» ? Photo centrale : « Louis-Ferdinand Céline,
médecin légiste parce qu’il préfère la compagnie des
morts à celle des vivants. » « Pierre Labric, maire de
la commune de Montmartre, L.-F. Céline et Gen Paul,
peintre, prennent chaque jour l’apéritif ensemble. »
Novembre
- Le 9, Otto Abetz est rappelé à Berlin où il
restera treize mois. Rudolph Schleier le remplace.
Faut-il placer avant son départ ou à son retour en
décembre 1943, le fameux dîner organisé par Abel Bonnard
et Zuloaga à l’Ambassade d’Allemagne ou plutôt au
Ministère de l’Intérieur avec Schleier et Achenbach, ce
fameux dîner où Gen Paul, à l’incitation de Céline,
imita Hitler et ses hurlements après que Céline eut
prétendu qu’Hitler était mort et avait été remplacé par
un sosie ?... Quatre témoignages ont été consignés : 1 / Le premier,
anonyme, en 1950, puis 2/ : celui de Zuloaga auprès de
Dominique de Roux en 1962, 3/ : celui d’Adry de
Carbuccia en 1987, 4/ : enfin celui de Benoist-Méchin en
1989. Le premier, sans le dater, situe le dîner à cinq
(Céline, Gen Paul, Zuloaga, Schleier, Achenbach), dans
l’Hôtel de Beauharnais, 78 rue de Lille où siégeait
l’Ambassade d’Allemagne. Zuloaga situe l’action au
Ministère de l’Intérieur, avant son départ de Paris fin
1942, et se rappelle de la présence de Brinon, de Simone
Mittre, de « deux ou trois écrivains plutôt journalistes
», et d’un chef de la police. Adry de Carbuccia,
rapportant des propos de Zuloaga, date la scène avant la
fin de l’été 1942, à l’Ambassade d’Allemagne, en
présence de Zuloaga, de Schleier et d’Acchenbach.
Benoist-Méchin date l’épisode de février 1944, au retour
d’Abetz, le situe rue de Lille, avec lui-même, Drieu La
Rochelle et Abetz. Y eu-t-il deux dîners, deux
imitations ? Benoist-Méchin n’a- t-il pas cherché à
fondre en un seul chapitre plusieurs confidences
rapportées et plusieurs rencontres avec Céline ?
Cette aventure illustre bien la
position de Céline durant l'occupation. Au fond, il tint
le rôle d'un provocateur suicidaire, complètement
irrécupérable, complètement à l'écart des prudences, des
intérêts et des soucis de tous les partis. S'il accepta
tout de même de se rendre à l'ambassade d'Allemagne, de
choisir ses amis ou son auditoire parmi les milieux plus
germanophiles ou plus proches des thèses national-socialistes, ce n'était pas par hasard.
Il faut préciser qu'il continua à mener la même vie de bohème à
Montmartre avec ses amis, sa vacation de médecin-chef au
dispensaire de Bezons le lui permettait, soignant
vraisemblablement résistants ou collaborateurs, Juifs
traqués ou bourgeois indifférents, flanqué d'un nouveau
compagnon, le chat Bébert, adopté par Lucette après
avoir été négligé par l'acteur Le Vigan et sa femme Tinou.
1943
Février
-
Céline se marie avec Lucette Almanzor le 24 février, à
la mairie du XVIIIe. Aux côtés de Victor Carré,
historien de Montmartre, Gen Paul est témoin. L’écrivain
se sait menacé, hésite entre le Danemark et l’Espagne,
commande de fausses pièces d’identité. L’une d’elles est
fabriquée par Gen Paul qui demande un port d’arme. Leur
destin semble lié. - Passe l'été à Saint-Malo.
Mars
- Pressentant des difficultés d’argent en cas de
révolution politique, Céline vend à Etienne Bignou, galeriste de la rue de la Boétie, son manuscrit
de Voyage pour la somme de 10 000 francs et
contre un petit Renoir, Buste de jeune fille.
Bignou exposait des Impressionnistes, Vollard,
Delacroix, Courbet, Gauguin, Dufy, Picasso, Vlaminck.
Qui choisit le petit Renoir ? Le marchand ou Céline ? Et
qu’est devenu ce petit tableau ?
Juin-Septembre
-
Saint-Malo. Il termine la rédaction de
Scandale aux abysses,
argument de dessin animé et travaille à Guignol's
band.
Août
- Le 13, dans Je suis partout, Marcel Aymé
publie une nouvelle, Avenue Junot, où il met en
scène Céline et les amis de la Butte dans l’atelier de Gen Paul. Illustration de Ralph Soupault : « Les
amis de la Butte » :
Gen Paul, Céline, René Fauchois, André Villeboeuf.
- Mais Céline reste conscient et inquiet, Ralph
Soupault, le dessinateur vedette de Je suis partout
se déplace armé comme un bandit mexicain : " Il est
costaud Soupault, Hercule, et pas commode, et
bagarreur... il ouvre son veston, c'est un arsenal sa
poitrine, des baudriers qui s'entrecroisent, un couteau
encore... des chargeurs et plein de grenades dans ses
poches. " (Maudits soupirs pour une autre fois). Céline aussi trimbale son colt ; c'est qu'ils ont tous reçu par
courrier des petits cercueils, des menaces de mort.
Radio-Londres diffuse tous les jours les noms de ceux
qui doivent rendre des comptes à la Libération à qui on
promet le tribunal pour commencer, mais le poteau pour
la suite. Le magazine américain Life l'a dénoncé
dès le 24 août 1942 et la BBC le 15 octobre de la même
année.
" Les
radios sont contradictoires... C'est pendu ! c'est
désossé !... écartelé ? [...] à la micro des vaillants
de Londres c'est " empalé !... " New York l'hallali le
plus terrible ! Le monstre de Montmartre sera haché !
Cependant, je fais l'effort devant Lucette... je veux
paraître insouciant... rassuré... je persifle, galèje...
que tous ces aboyeurs des ondes radio BBC ne sont que
des chiens apeurés, leurs listes d'assassinats,
rigolades de collégiens ivres... " (Maudits soupirs pour
une autre fois).
De Saint-Malo, Céline écrit à Gen Paul :
« Le vieux Montmartre s’agite,
prépare l’arrivée des Américains. On chasse la crapule…
le vent est à la merde… Je viens de lire Avenue Junot de
Marcel… Marcel est un petit sournois. Je suis toujours
le furieux, le bouffe-juif, le maniaque, le fou
dangereux… Il se dédouane ainsi Marcel, lui le
raisonnable, l’impartial, le pas sectaire, l’humain et
en fait le toujours bon ami des youtres. Il dérive la
foudre, que tout me retombe bien sur ma gueule. C’est
humain… »
- Le 26 août, Céline pousse Gen Paul à venir à
Saint-Malo : « Tu as tort de ne pas venir en Bretagne
– Je t’assure que c’est féerique en ce moment – J’ai des
nouvelles de toi il paraît que tu es en plein bonheur –
Tâches de venir tout de même. »
Décembre
- Le 25, dernier réveillon de l’Occupation chez
Georges Geoffroy, bijoutier, ancien camarade à Londres
de Louis Destouches, avec Gen Paul et Céline. Sans doute
est-ce ce soir-là que Céline lance : « Aussi
longtemps que les Boches seront assez cons pour se faire
tuer à l’Est, ça ira, mais le jour où ils décrocheront,
alors les Asiates arriveront à Paris et ce sera
effroyable. »
1944
Février
-
Publication de Bezons à travers les âges
d'Albert Serouille chez Denoël,
avec une préface de Céline. L'écrivain est médecin-chef
au dispensaire de Bezons. Il réimprime également les
pamphlets. Voyage
et Mort à crédit
sont réédités enrichis d'illustrations de Gen Paul.
Mars
- Publication de Guignol’s band.
Avril
-
Le 21, : dans la nuit le bombardement de
Montmartre (483 morts et 2000 blessés) annonce à tous
les gens de la Butte la fin de l’Occupation.
Mai
- Caché chez Gen Paul pour éviter le STO, Serge
Perrault assiste à un certain relâchement d’amitié entre
l’écrivain et le peintre. Il expliquera ainsi la prise
de conscience qui éloigne Gen Paul de Céline : Céline
est condamné à mort par la Résistance, et Gen Paul
craint de passer pour complice. « Gen Paul, lui-aussi
est une forte personnalité. C’est un esprit libre… mais
prudent. Il a souvent mis Céline en garde… Mais les
ennemis de Céline ne sont pas forcément au courant de
tout ça… Aux oreilles complaisantes de la Butte il fait
entendre un discours qui n’est rien d’autre qu’un
reniement… Gen Paul prend ses distances. Il aurait même
traité Céline de « boche » devant tout l’atelier. –
« T’es un faux derche Popaul !... et de première !...
tous tes vilains ragots assassins dans Montmartre… Tu
fais dans le Judas Popaul ! c’est pas beau ! »
Céline, lui, aurait dénoncé Gen Paul auprès du
percepteur de Montmartre…(Serge Perrault).
Gen Paul et Le Vigan étaient encore amis puisque Serge Perrault les
emmène applaudir Lycette Darsonval, sa sœur, dans
Gisèle, à une soirée de Ballets à l’Opéra de Paris.
Dans le métro, Le Vigan annonçait à la cantonade
l’arrivée des Chinois à Paris.
Juin
- Le 6, le débarquement en Normandie avive l’espoir des
uns et l’inquiétude des autres. Les forces alliées ont
débarqué à l'aube. Le petit monde parisien de la
Collaboration s'affole.
- Céline décide d’aller faire « juste
un petit tour au Danemark ».
Il propose à Gen Paul et à Henri Mahé de l’accompagner.
Il vend un état préparatoire de Guignol's band II,
en confie un premier état à Marie Canavaggia ainsi que
les premiers chapitres de Casse-pipe.
- Le 8, Grâce à Karl
Epting, Céline obtient un passeport pour se rendre en
Allemagne. Le couple possède en outre de fausses cartes
d'identité datées du 8 février 1944.
- Le 10, il écrit à Karen : « Nous partons avec
Lucette le 15 juin pour Baden Baden. Il le faut… La
vie ici devient presque impossible pour moi, je resterai
quelques semaines à Baden Baden puis je prendrai un
poste médical là-bas en
attendant les évènements… Gen Paul et Le Vigan sont
bien inquiets. Tout le monde est à présent bien
malheureux – Ils viendront peut-être me retrouver
».
Dans ses Cahiers de prison, Céline rassemblant
ses souvenirs notera : « Je voudrais aller au
Danemark. Je vais chercher Lucette chez Wacker… Popol
est tout drôle – Il dit qu’on va l’abandonner – il
prépare son « refuge »… Je ne vois plus Popol… Le Vigan
ses braies… Il part en bombe avec Popol qui boit à
présent… Plus personne chez Popol – Il est tout le temps
sorti à présent… Varenne vient, Blanchetot c’est entendu
– Tout d’abord les paniers… on ne peut pas se dire que
l’on ne reviendra jamais – juste un petit tour au
Danemark… Lucette fait son baluchon – En bas Blanchetot
nous attend : il faut faire vite – pas remarqués – Popol
est tout de même là – On l’embrasse – Il pleure – il a
bu – Il ne sait plus – Il claudique vers la
Pomme… »
- Le 15, il solde
son compte en banque à Paris.
- Le 16, dernière
visite à Gen Paul.
- Le 17 juin, fuite de Céline, Lucette et du chat Bébert
en Allemagne. Ils prennent le train à la gare
Saint-Lazare pour Baden Baden. Les deux amis, Céline et
Gen Paul, ne se
reverront plus jamais. Céline a obtenu sans difficulté
les papiers nécessaires, mieux, ils seront les invités
officiels du Reich. Le saut qu'il avait fait à Berlin,
lui avait permis de retrouver son ami le Dr Haubold,
haut placé dans la hiérarchie administrative allemande.
Même Bébert aura un passeport (Nord). Ils partent avec environ un million de
francs en espèces caché dans la sacoche en cuir de
receveur d'autobus qui sert à transporter Bébert, des
louis d'or cousus dans un gilet et " vingt malles,
dont une douzaine remplies de fers à chevaux, de fers de
pioches, de fil barbelé, haches, bassines, serpes,
harnais, pour le troc alimentaire avec les cultivateurs
teutons. " (Lucien Rebatet, D'un Céline l'autre).
Leur but est Copenhague où Céline a
confié un trésor, onze kilos de pièces d'or (des
souverains anglais) dans deux boîtes de cacao, à son
amie la danseuse Karen Marie Jensen ; mais il leur faut
pour cela passer auparavant par l'Allemagne pour obtenir
un visa pour le Danemark.
- Le 17, ils arrivent à Baden-Baden où le couple est retenu,
leurs papiers confisqués et l'autorisation de gagner le
Danemark, où se trouvent leurs économies, refusée. Ils
vont restés quelques semaines à Baden-Baden (Bains-Bains
pour Céline), au Brenner's Park Hotel, un palace
réservé aux hôtes de marque du gouvernement allemand.
Ils y seront rejoints par le gratin de la Collaboration
en fuite. Un Bottin mondain politico-artistique. On
reconnaît parmi les célébrités : Marcel Déat, Alphonse
de Chateaubriant, Jean Luchaire, Pierre Costantini, Jean
Hérold-Paquis...
Juillet
- Le 20, attentat
manqué contre Hitler.
Août
- Le 3, un commando se rend chez le Dr Montandon à
Clamart, tue sa femme et croit l’abattre.
- Le 16, Le Vigan arrive à Baden Baden avec Georges Oltromare. L'acteur était compromis dans les milieux de
la Collaboration pour ses émissions de propagande à la
radio. Autres personnages connus : Mordrel, Querrioux,
Mercadier, Bonny, von Bose, Lucienne Delforge, les deux
filles du professeur Montandon.
Céline et Lucette déménagent au Zenith-Hotel. Céline n'obtient pas
l'autorisation de se rendre au Danemark.
-
Le 19, c’est l’insurrection à Paris. Le 21, Sacha Guitry
est emmené à Drancy.
- Le 25, Paris est libéré. A
Montmartre, Yvon Morandat, Compagnon de la Libération,
après avoir réquisitionné l'appartement de Le Vigan,
avenue Junot, sur les conseils du montmartrois Oscar
Rosembly qui y a effectué une perquisition, emménage
dans l'appartement de Céline, rue Girardon. Des
manuscrits de Céline disparaissent, entre autres ceux de
La Légende du Roi Krogold et de Casse-pipe.
Gen Paul ne s'est pas opposé à cette expédition. Pas voulu ? Absent ?
Céline le soupçonnera de complicité.
- A son arrivée à Quimper, Mahé est arrêté, mis en
prison, menacé pendant trois jours d’être fusillé, sur
erreur d’homonymie et témoignages de trois résistants
quimpérois. Il dut d’avoir la vie sauve grâce à
Jacqueline Schmidtn célèbre galeriste de Paris.
Sont arrêtés la journaliste Titaÿna et son époux le
professeur Desmarest, ami de Le Vigan.
Septembre
Gen Paul a de
quoi être inquiet. Le 5, son protecteur Oscar Rosembly est arrêté et emprisonné à Fresnes, suite à de
« nombreuses plaintes »
-
A Paris, des rumeurs circulent sur Céline. On le dit en
Espagne ou au Portugal. Après accord avec le conseiller
Schlemann, séjour des époux Destouches et de Le Vigan
d'une dizaine de jours à Berlin, d'abord au Dom Hotel,
Muddlestrasse. Puis grâce à Karl Epting, rencontre avec
le docteur Hauboldt (Königsallee 62, à Grünwald) pour
gagner le Danemark ou s'établir au Schleswig.
- Ce sera Berlin ensuite, dévasté par
les bombes : " C'était une ville plus qu'en décors...
des rues entières de façades, tous les intérieurs
croulés, sombrés dans les
trous... pas tout mais
presque... " (Nord).
- Le 6, dans
Le Figaro, publication de
la première « liste noire » du CNE. Céline en fait
partie. Avec Aymé, Barjavel, Paul Fort, Giono,
Jouhandeau, Montherlant, Morand, Rebatet, André Salmon, Thérive et Vlaminck.
Le maréchal Pétain et les ministres du gouvernement de Vichy sont
installés par les Allemands à Sigmaringen, en Allemagne
du Sud.
- Vers le 15, une femme-médecin vient
prendre Céline, Lucette et Le Vigan en voiture, et les
conduit à Kränzlin, près de Neuruppin, au nord-ouest de
Berlin, où le docteur Hauboldt a trouvé à les loger chez
les Scherz, dans un domaine agricole qui abrite un
service ministériel. Ceux-ci, les propriétaires se jugeront
diffamés par le récit de Céline lors de la parution de
Nord.
Céline accepte car cela le rapproche de son trésor, mais la vie y est
dure : " L'existence fut effroyable pendant deux
mois. Nous ne mangions qu'une soupette maigre et
quelques patates à chaque repas [...]. Nous étions
suspects à la population paysanne. Nous fûmes lapidés
deux fois par les gosses du village. La femme de Céline
fut blessée au sein. [...] Nous avions la réputation
d'être des parachutistes capturés. " (Lettre de Le Vigan
à Paraz, 1er fév.1950).
-
Le 15, Jean Bonvilliers est exclu du cinéma
pendant un an par un comité d’épuration.
-
Le 21, dans Les Lettres françaises, publication
d’une deuxième liste d’écrivains frappés d’exclusion
dont Giono, Henri Labroue, Maurice Laporte, N.B. de la
Mort, Oltromare, Montandon, Paul Morand, Henri Poulain,
Rebatet, Vlaminck.
- Vers le 25, première tentative pour
gagner le Danemark par mer. Céline rencontre, sur la
recommandation d'Hauboldt, à Rostock un confrère médecin
supposé pouvoir les embarquer. Echec.
- Le 26, lettre à Paul Bonny qui est à
Sigmaringen : " Pour le Danemark rien à faire ! Pour
le Schlesvig non plus ! J'ai dû me contenter de Rostock
- donc au fond rien du tout ! "
Lettre également à Brinon pour obtenir une place de médecin à
Sigmaringen, à condition que ce ne soit qu'une base de
départ pour la Suisse, en espérant secrètement gagner un
jour le Danemark.
Octobre
- Le 4, seconde tentative pour gagner
le Danemark, à Warnemünde où Céline et Lucette doivent
convenir qu'il est impossible d'embarquer. Retour à
Kränzlin.
-
Le 25, Céline, Lucette et Le Vigan quittent Kränzlin pour gagner Sigmaringen.
Céline apprend qu'en septembre 1944, les Allemands avaient aménagé dans
l'enceinte de Sigmaringen une retraite pour le
gouvernement de Vichy et les collaborateurs les plus
notoires. A défaut de pouvoir rejoindre le Danemark, il
demande à rejoindre, en tant que médecin, la colonie
française réfugiée. En train, par Leipzig, Fürth,
Augsbourg et Ulm ils arrivent à Sigmaringen.
Ville impossible, ville d'opérette, dira Céline, territoire
français sur lequel flottait le drapeau tricolore et
dont la population allemande devenait de fait
occupée, se partageait en deux zones. Tout d'abord,
la ville où s'agglutinaient dans des conditions
d'hygiène précaires près de mille cinq cent
collaborateurs français : les obscurs, les sans-grade,
miliciens, journalistes, trafiquants de deuxième zone.
Puis, le château où résidaient les dizaines de
personnalités politiques de Vichy, qui se considéraient
prisonniers des Allemands comme Pétain, Laval, Marion,
ou Bichelonne, et ceux qui croyaient encore au
gouvernement provisoire en exil comme Brinon ou Déat...
Leur arrivée
ne passe pas inaperçue : " Mémorable entrée en scène.
Les yeux encore pleins du voyage à travers l'Allemagne
pilonnée, il portait une casquette de toile bleuâtre,
comme les chauffeurs de locomotive vers 1905, deux ou
trois de ses canadiennes superposant leur crasse et
leurs trous, une paire de moufles mitées pendues au cou,
et au-dessous des moufles, sur l'estomac, dans une
musette, le chat Bébert, présentant sa frimousse
flegmatique de pur Parisien qui en a connu bien
d'autres.
Il fallait voir, devant l'apparition de ce trimardeur, la tête des
militants de base, des petits miliciens : " C'est ça, le
grand écrivain fasciste, le prophète génial ?... "
(Lucien Rebatet, D'un Céline l'autre).
Le
couple Destouches loge à l'hôtel Löwen. Retrouve Lucien
Rebatet, Abel Bonnard et sa mère, Lucienne Delforge,
Paul Bonny, Henry Mercadier, Georges Oltramare. Avec le
docteur Jacquot, Céline devient le médecin de la colonie
française (deux mille réfugiés).
Façade du
Löwen actuel.
- Ils resteront cinq
mois à Sigmaringen. Céline loge à l'extérieur du château
et soigne les réfugiés. Depuis la libération de Paris,
en août 1944, Céline est traité par la presse
française comme une figure infâme de la collaboration.
En Allemagne, ses démarches pour être autorisé à passer
au Danemark restent toujours vaines.
Derrière le décor
" où la pièce se joue dans un paysage d'opérette
", la réalité quotidienne est tout autre. Le village,
berceau de la dynastie des Hohenzollern, est
officiellement devenu une enclave française en
territoire allemand. Pétain et Laval, conduits contre
leur gré vivent enfermés au château et se considèrent
prisonniers. Les chefs de la collaboration, coupés
totalement des réalités refusent d'accepter la défaite.
Fernand de Brinon dirige une fantomatique " délégation "
qui se prétend le seul gouvernement légal de la France.
Déat, Darnand et Doriot ne rêvent, chacun de son côté,
que d'être le chef du futur Grand Parti Unique et
courtisent leurs protecteurs nazis.
Le petit peuple, " un plateau de condamnés à mort !... 1 142 ! "
nous dit D'un château l'autre, a des ambitions
bien plus modestes. Il lutte contre la famine, est
infesté de parasites et attend dans l'angoisse
l'effondrement du Reich de mille ans qui entraînera sa
propre débâcle... Les femmes et les vieillards essaient
d'échapper au travail forcé dans les usines allemandes,
les hommes valides à l'enrôlement obligatoire dans la
division Charlemagne.
Tous se savent pris dans la nasse : la Suisse a fermé ses frontières, et
les troupes alliées approchent...
Au village,
Céline a laissé le souvenir d'un bon médecin, dévoué à
ses malades, qui paye de sa poche les remèdes achetés au
marché noir. Il est absolument sans illusions sur la
suite des évènements : " Il est sans indulgence pour
les Allemands, il sème à pleine voix le défaitisme, et
les gens qui passent une heure avec lui en sortent
catastrophés. Au demeurant Céline est un cœur d'or et il
ne marchande pas son dévouement... " écrira plus
tard Marcel Déat dans ses Mémoires politiques.
Décembre
-
Le 23 décembre, à Paris, Lucien Combelle, directeur de
L'Emancipation nationale est condamné à quinze
ans de réclusion (il sera libéré après sept ans de
réclusion).
- Le 29, procès
hâtif d'Henri Béraud, défendu par Me Naud : condamnation
à mort (article 75). Il sera gracié par De Gaulle après
intervention de François Mauriac.
1945
Janvier
- Le 11,
Le Figaro
produit le bilan de la répression après la
Libération : « 18 700 affaires en
cours, 50 000 affaires prévues, 2 200 arrêts rendus dont
300 verdicts de mort, 340 de travaux forcés à temps, 180
de travaux forcés à perpétuité. Tous n’étaient pas des
dénonciateurs ou des collaborateurs.
- Le 22, Nana de Herrera est interdite de
spectacle pour six mois. Le 30, André Saudemont, ancien
avocat de Céline, en chargeant l’écrivain, est acquitté
du chef de trahison, mais, pour avoir parlé à
Radio-Paris,
est déclaré coupable d’indignité nationale, et radié du
barreau.
Février
- Le 6 Robert Brasillach est exécuté, malgré
l'intervention de François Mauriac. Le 15, le
corps de Léon Deffoux est retrouvé dans la Seine.
Mars
- Le 6 : la
mère de Céline, Marguerite Guillou meurt à Paris. Céline
n'en sera informé qu'en mai.
- Le 16, à Paris
Pierre Drieu La Rochelle se suicide.
- Le 21, Bickler
obtient de Boemelburg, responsable allemand de
Sigmaringen, l'autorisation pour Céline de se rendre au
Danemark.
Alors que les
1 142 pris au piège sont dans l'attente résignée, "
Céline réussit l'exploit de décrocher le phénoménal "
Ausweis ", d'un mètre cinquante de long, militaire,
diplomatique, culturel et ultra secret, qui allait lui
permettre, faveur exceptionnelle, de franchir les
frontières de l'Hitlérie assiégée. " racontera
Lucien Rebatet qui sera présent pour le voir partir.
- Le 22, départ de Sigmaringen. L'infirmier Germinal
Chamoin les accompagne jusqu'à la frontière : train pour
Ulm, Kassel, Göttingen, Hanovre, Hambourg, Flensburg où
ils passent 24 heures dans l'attente d'un train pour le
Danemark. A Hanovre, le convoi est victime d'un
bombardement. Lucette est blessée au genou. Le couple
passe par Korsor.
En train, ils vont traverser l'Allemagne à feux et à sang, bombardée, du
sud au nord. Quelle future aubaine pour le futur
chroniqueur d'Un château l'autre. Dans tous ses
écrits il en donnera de multiples versions. " Nous
[Lucette, le chat Bébert et lui] avons changé vingt-sept
fois de train. [...] Nous avons fait des trente-cinq
kilomètres à pied d'une armée à l'autre, sous des feux
pire qu'en 17. " écrira-t-il au Dr Camus.
Dans son roman D'un château l'autre, encore plus terrible : "
Nous... zut !... à travers quatre furieuses armées !
tonnantes !... du ciel et des rails ! foudroyant tout !
roustissant tout ! hommes, trains blindés, bébés,
belles-mères !... vous parlez des forteresses volantes
!... escadres sur escadres ! [...] Götingen, Cassel,
Osnabrück ! volcans éteints, ranimés, rephosphorés,
rerémouladés !... bing et brroum !... les
faubourgs dans les cathédrales !... locomotives dans les
clochers !... perchées !... Satanbamboula ! faut avoir
vu ! "
Evidemment, le voyage fut des plus pénible,
dans cette Allemagne de 1945, mais il se fera à près de
150 kilomètres du front et il dura quatre jours.
- Le 27, Céline, Lucette et Bébert débarquent à
Copenhague (A Flensburg, dans l’extrême nord de
l’Allemagne, ils sont montés dans un train salvateur,
direct sur Copenhague. Etait-ce un train de la
Croix-Rouge suédoise, comme dit Céline ou plus
vraisemblablement un train de permissionnaires allemands
blessés ?…). Copenhague est encore occupé par les
Allemands. Court séjour à l'Hôtel d'Angleterre, 34 Kongens Nytorv.
- Ils logent 20 Ved Stranden, dans l'appartement de
Karen Marie Jensen. Sa cousine Ella Johansen, mère de 3
enfants est l’épouse d’un industriel et habite dans une
villa dans un quartier chic de Copenhague. L’aînée est
Bente Johansen qui leur sert d'interprète. Là, Céline apprend la mort de sa mère.
- Knud Otterstrom, docteur en pharmacie à Korsor (100
kms de Copenhague) cultivé, parlant le français, il
fréquente les milieux de la danse classique, et connaît
Karen Marie. Céline est mis en relation avec lui, qui
lui présente aussi un avocat Me Thorvald Mikkelsen, qui,
résistant, a conservé tout un réseau d’amis.
Mikkelsen s’emploie à régulariser la situation des
deux français, permis de séjour, puis tickets de
rationnement. Grâce au soutien de Birger Bartholin, danseur,
chorégraphe et maître de ballet rencontré par Céline en
1935 puis à Copenhague en 1936, à qui il a proposé un
argument de ballet sans succès, clandestinement, sans
permis de travail, Lucette donne des cours de danse.
Durant ce temps, Céline s’occupe beaucoup de Bente,
corrige son français et se montre très paternel. Il vit
dans la semi-clandestinité, il se laisse pousser la
barbe et prend le nom de Courtial H., un personnage de
Mort à crédit.
Il va passer plus de huit mois dans le plus grand incognito.
- Le 29 mars 1945 :
malgré le témoignage en sa faveur de Louis Daquin, son
metteur en scène, communiste, Marcel Aymé reçut de la
Préfecture de police, de la part du Comité de Libération
du Cinéma Français, un " blâme sans affichage, pour
avoir favorisé les desseins de l'ennemi ". La même "
punition " qu'à Arletty
et à Junie Astor, tandis que Jean Bonvilliers et
Lucienne Delforge se virent infliger un arrêt de travail
portant sur une année, et Henri Mahé un licenciement
sans indemnité. On reprochait à Marcel Aymé d'avoir vendu le scénario du
Club des
soupirants à la Continental-Films, société
allemande. La réponse sera Uranus, en juillet
1948, où Marcel Aymé fustigeait, non pas les
communistes, mais la violence qu'engendrait l'idéologie
communiste.
Avril
- Le 6, les autorités danoises renouvellent pour un an
le passeport de Céline.
- Le 19, la Cour de Justice de Paris inculpe Céline
de trahison (article 75 punissant de la peine de mort).
Le Président de la Cour a désigné comme juge
d'instruction Alexis Zousmann qui décerne un mandat
d'arrêt et notifie une demande d'extradition.
Mai
- Le 3, arrestation de Le Vigan à
Feldkirch par les troupes françaises. Il est
interné au camp d’Ecrouves, puis transféré à la
Santé : interrogatoires portant sur Guédon, Tinou,
Céline, Bickler… La Vigue ne lâche rien. Il sera jugé le
16 novembre 1946 et écopera du maximum.
- Le 5 mai : ils
assistent à la libération de Copenhague par les Anglais.
- Le 16, deuxième
rencontre avec l'avocat Thorvald Mikkelsen. "
Mikkelsen vient me voir - Il me rassure - Il pourra me
défendre - Je reprends espoir - " Thorvald Mikkelsen régularise auprès des autorités la présence au
Danemark de Céline et de Lucette. Rencontre avec
l'ingénieur Herman Dedichen, résistant, francophile,
admirateur de l'écrivain, qui habite 66 Vester Sogade.
- Le
27, Céline à 51 ans.
Juin
- Le
1er, Mikkelsen dépose une demande officielle de permis
de séjour pour le couple auprès de la Police nationale.
- Le
20, Céline est entendu par la police au sujet du permis
de séjour. Il déclare qu'il possède des revenus
suffisants pour vivre au Danemark, ayant déposé
avant-guerre, en 1938, 30 000 couronnes (soit environ 1
500 000 francs 1947) chez des amis à Copenhague.
Juillet
- Le 2 juillet, Gen Paul réapparaît et
fête ses 50 ans chez « La Mère Catherine », sur la place
du Tertre.
- Le 14, l'or enfoui
dans le jardin de K. M. Jensen est déterré par Johannes
Johansen, qui l'y avait placé, puis est confié à Ella
Johansen.
Août
- Le 5, bombe
nucléaire sur Hiroshima. Le 15, à Paris le maréchal
Pétain est condamné à mort.
Septembre
- Céline se
remet au travail sur la suite de Guignol's band 2 commencé à Paris. Il ébauche
La bataille du Styx,
titre de travail de Féerie pour une autre fois.
Il s'enquiert auprès de sa secrétaire Marie Canavaggia
de Denoël, de Bignou, de Mme Arnold, de Geoffroy et de
Charles Bonabel. Il se compare au masque de fer, aux
Huguenots, aux Communards, à Vallès. Il souffre d'un "
exil dans l'exil " : personne avec qui parler le
français. Il reçoit de France Le Monde et Le
Figaro.
- Le
25, il demande à Marie Canavaggia de détacher de
Bagatelles les deux ballets La Naissance d'une
fée et Voyou Paul, brave Virginie, et de les
lui envoyer. Il veut proposer à Bartholin de les monter.
Octobre
- Le
1er, une information anonyme informe la légation de
France de la présence de Céline à Copenhague.
Charbonnière transmet l'information au ministère des
Affaires étrangères.
- En octobre, Céline renoue avec Suzanne Chenevier, sa
dactylo, et reçoit des nouvelles de Bonvilliers qui va
passer en jugement.
- Le 9, L’Aurore annonce que l’écrivain se terre
du côté du « nord brumeux ». Robert Denoël se rend chez
Gen Paul à Montmartre. On ne sait pas ce qu’ils se sont
dit. Le peintre lui raconte que Céline " vit sur un
tas d'or ".
Une lettre du 11 à Marie Canavaggia peut se
faire l’écho de cette rencontre : « Je vous ai dit
qu’une femme m’avait reconnu dans la rue, ici, une
danoise de Montmartre, immédiatement elle a écrit à
Paris… et Radio-Brazaville s’est empressé d’apprendre la
bonne nouvelle au monde. […] Gen Paul qui a une langue
d’archi vipère a appris aussi la nouvelle il propage
partout que je suis ici sur un tas d’or que je vis dans
la ribouldingue et le pompéisme. » Qui de Paris ou
de Montmartre renseignait Céline ? Ceux qui lui
écrivaient étaient alors peu nombreux. André Pulicani ou
Bonvilliers ?
- Le 11, exécution de Jean-Hérold Paquis que
Céline dira avoir croisé dans l’atelier de Gen Paul.
Le 15, exécution de Pierre Laval.
- Le 25, Le
Figaro révèle que Céline a obtenu " des autorités
allemandes et danoises de servir comme médecin dans une
formation sanitaire. " Il serait à Oslo.
- Le 26, il a
terminé une première version de Foudres et flèches.
Novembre
- Le 13, le général
De Gaulle est élu Chef du Gouvernement à l'unanimité de
l'Assemblée.
- Le 15, la police
danoise autorise les Destouches à percevoir des tickets
de rationnement. Ils se sont engagés à ne pas quitter le
territoire sans autorisation, suivant en cela le conseil
de Mikkelsen.
- Le 21, ministère
Charles De Gaulle : Thorez, le communiste déserteur en
1940 est amnistié et nommé ministre d'Etat. Pierre-Henri
Teitgen (M.R.P.) est à la Justice, Bidault (M.R.P.) aux
Affaires étrangères.
A Marie Canavaggia, Céline dit avoir
reçu une lettre du Dr Gentil sur l’épuration ; un autre,
par l’intermédiaire de Gentil, de « l’ami d’Amérique » -
Jo Varenne -, alors à New York, qui lui propose une aide
matérielle.
Décembre
- Le 1er, dans une lettre à un
Président de la Cour, Henri Mahé se voit obligé de se
justifier : « Si j’ai connu Céline ? C’est vrai. Et
je ne veux pas avoir un sentiment de lâcheté devant vous
en niant cette relation. Dois-je vous énumérer tous mes
amis ? Steve Passeur, Théo Briant, Doderet,
diamétralement opposés. »
Etienne Bignou, le marchand de tableaux, témoignera
en sa faveur pour avoir évité le STO à son fils.
Les Temps Modernes publient " Portrait de l'antisémite " par Jean-Paul
Sartre qui accuse Céline d'avoir été " payé par les
nazis "...
- Le 2, Robert Denoël est
assassiné dans des conditions mystérieuses, devant le
square des Invalides. Emile Brami écrit : " le
meurtrier ayant utilisé une arme de gros calibre, la
police croit d'abord à un " meurtre de rôdeur,
probablement un nègre américain ". Les déserteurs
étaient nombreux à Paris à cette époque et formaient de
véritables bandes. Mais la police retrouva sur le
cadavre une somme importante d'argent liquide, ce qui
excluait le vol crapuleux. On soupçonna ensuite la
maîtresse de Denoël, Jeanne Loviton, qui héritait de la
maison d'édition du disparu. Les investigations dans ce
sens tournèrent court, Jeanne Loviton possédant de
puissants appuis politiques. L'affaire ne fut jamais
élucidée et reste aujourd'hui encore très mystérieuse. "
(Céline, 2003).
- Le 4, Mikkelsen
écrit à Per Federspiel, ministre des Affaires spéciales,
pour qu'il accorde une attention toute particulière au
dossier Céline en ce qui concerne la délivrance d'un
permis de séjour.
- Le 5, Mikkelsen
annonce à Céline son voyage à New York : " Il me
laisse en garde directe à un important personnage. Je
n'aurai ainsi pas trop à redouter pendant son absence. "
écrit-il à Marie Canavaggia.
- Le 10, il essaie
de renouer avec Charles Bonabel, disquaire à Clichy, qui
pourrait l'éditer.
Aurait été abordé dans la rue par une Danoise, " vaguement danseuse "
qu'il avait rencontrée chez Gen Paul, maîtresse du
chirurgien Coudert, épouse d'un Français maquisard, l'un
et l'autre morts en captivité en Allemagne. Céline
affirmera : " Elle a sauté à l'ambassade caveter... "
- Le 14, Henri Mahé reçoit une lettre : « Si
vous voulez savoir où est Céline, lisez Samedi-Soir. »
Signature illisible, auteur bien renseigné…
- Le 15, Samedi-Soir titre : « A
Copenhague L.-F. Céline soigne à crédit » : « Il vit
là-bas fort tranquillement […] donne des consultations
gratuites dans un hôpital danois. » Jytte
Seidenfaden, belle-fille du directeur de la Police,
prévient par téléphone les Destouches et leur conseille
de fuir en Suède. Se croyant protégés, et sans
passeports, ils choisissent de rester. -
Le 16 : Informé par
Samedi Soir, le
quotidien Politiken (dont Dedichen est
actionnaire), révèle à la Une « un nazi
français se cache à Copenhague chez une amie danoise » et donne son nom :
Céline. (Un mandat d’arrêt avait été délivré le 19 avril
1945, par le juge d’instruction, le chef de la légation
de France au Danemark, Guy de Girard de Charbonnière,
pour demander l’arrestation puis l’extradition du
fugitif).
A 19 heures, un marchand de journaux de Copenhague téléphone à la Sûreté
pour dénoncer le fugitif qui fait partie de sa
clientèle.
-17 décembre au soir : après la fermeture
des bureaux, par téléphone, la légation française au Danemark
demande l'extradition le soir même de Céline au
directeur du cabinet du ministre danois des Affaires
étrangères en lui fournissant son adresse.
A 21h15, ils sont arrêtés au 20 Ved Stranden, en présence de
Bartholin appelé au téléphone par Lucette sans difficulté – contrairement à ce qu’il
a écrit dans D’un château l’autre. Plusieurs interrogatoires dans les bureaux de la
police. Lucette ne sera relâchée qu’au bout de 11 jours
(les juristes ont reconnu sa détention tout à fait
illégale).
Bébert, " dans son propre panier avec filet " écrira Helga
Pedersen dans Le Danemark a-t-il sauvé Céline ?,
est enfermé, contre un dépôt de 50 couronnes, dans une
clinique vétérinaire. Son innocence ne faisant aucun
doute, il sera confié dès le lendemain à une amie du
couple, Bente Johansen.
Céline est en prison, dans la forteresse de Vestre
Faengsel. Il avait presque terminé Foudres et flèches,
un argument de ballet. Mikkelsen est en voyage aux USA.
Son adjoint va lui rendre visite à la Vestre Faengsel
(la prison de l’ouest). Séjour pénible, cellule individuelle, aucune mesure de faveur. Les
autorités danoises devant un dossier bien léger
demandent des explications supplémentaires. Sa santé
périclite. Un gardien intérimaire, artiste peintre
Henning Jensen, sympathise et fait tout pour l’aider,
parler en français l’aide beaucoup.
- Lucette ne sera libérée que le 28 décembre. Elle
occupe toujours l’appartement du 20 Ved Stranden, a peur
de rester seule et demande à Bente Johansen de venir
habiter avec elle. Durant ses 11 jours de détention
Lucette aurait refusé toute nourriture, d'où un
transfert à l'hôpital. A la Sûreté, Ella Johansen se
déclare prête à s'occuper de Lucette qui, le jour même,
est relaxée et assignée à résidence 19 Staegers Allé.
Céline, lui, a été transféré à l'infirmerie de Vestre Faengsel. Il y
restera jusqu'au 5 février 1946.
Céline peut lire maintenant des livres français à la
bibliothèque. Lucette lui en porte avec Bente. Il
entretient surtout une importante correspondance. Les autorités danoises sont de plus en plus
embarrassées, le dossier n’est pas consistant. Pas de
haute trahison pour elles, et on n’extrade pas au
Danemark pour un délit d’opinion.
- L'extradition est réclamée par
l'ambassadeur de France à Copenhague, G. Girard de
Charbonnière (Carbougniat dans D'un château l'autre).
Me Mikkelsen obtient que l'affaire soit examinée par le
ministre de la justice danois. Echanges de
correspondances, les accords réciproques ne prévoient
pas l'extradition pour trahison. Le travail de sape de Mikkelsen se révèle payant. Lentement, la justice
danoise devient favorable à l'écrivain.
Les deux membres du gouvernement
concernés par l'affaire, Aage Elmquist, ministre de la
Justice et Per Federspiel, ministre des " Affaires
spéciales " (en période de guerre, tout ce qui concerne
l'Occupation et la Résistance), se trouvent bien
embarrassés. Ils décident donc qu'il est urgent
d'attendre. Helga Pedersen toujours dans son livre Le
Danemark a-t-il sauvé Céline ?, écrira : " Il
apparut très vite, au cours de la procédure, qu'il n'y
avait pas de charge qui justifiât une mesure
d'extradition, mais Céline fut maintenu en détention,
conformément à la législation danoise sur le statut des
étrangers, parce qu'il ne disposait pas d'un permis de
séjour et qu'on n'avait pas encore décidé s'il serait
expulsé ou extradé. "
Cette longue détention
provisoire qui débute le 17 décembre 1945 pour se
terminer le 24 juin 1947 le sauvera car il ne fait aucun
doute que renvoyé en France, début 1946, il y aurait été
exécuté.
1946
-
Année éprouvante pour la
santé physique et nerveuse de Céline. En plus de sa
défense en réponse aux accusations de la justice
transmises par la légation de France à Copenhague, il
écrit plusieurs centaines de lettres à Lucette ainsi
qu'une première version de Féerie pour une autre fois.
Janvier
- Le 27, en tournée pour raisons
professionnelles à Copenhague,
sous l’auspice de l’Exposition de la Mode française,
Eliane Bonabel vient voir Lucette et rend visite à
Céline en prison. En cellule, il prend des notes sur des
Cahiers de prison et a commencé la rédaction de
ce qui deviendra Féerie pour une autre fois après
avoir eu pour titre, entre autres, Au vent des
maudits ou Soupirs pour une autre fois.
Elle est, en dehors de Lucette, la première
à le voir en prison où il n'est enfermé que depuis sept
semaines : "
Je suis bouleversée lorsque Céline
apparaît. L'homme qui avait quitté Paris était encore
jeune, et j'ai devant moi un vieillard paraissant vingt
ans de plus que son âge. Physiquement, il est très
amaigri, faible, voûté, presque courbé en deux, le plus
impressionnant est sa bouche, il a perdu ses dents,
alors qu'autrefois il avait une très belle dentition, un
sourire éclatant. Psychologiquement, il est malheureux,
anxieux, il ne comprend pas pourquoi il se retrouve
enfermé, et surtout, ce qui m'a le plus frappée, il est
très craintif vis-à-vis du gardien, rentrant la tête
dans les épaules comme s'il craignait à tout instant
d'être battu. L'impression générale est celle d'un
animal pris au piège. "
- Le 29, par
voie diplomatique, Paris fait une demande
d'extradition au ministre des Affaires étrangères du
Danemark. Les Affaires étrangères danoises demandent aux
autorités françaises des précisions sur les charges
retenues contre Céline.
La porte de la Vaestre Fengsel où
Céline passa 552 jours.
Février
- Le 5, retour de
Céline en cellule isolée, obtenue sur sa demande,
division Ouest, cellule 84. Il est autorisé à recevoir
des journaux français.
- Le 28 : Mikkelsen
et Dedichen rentrent des Etats-Unis.
Mars
- Le 5, Céline
adresse à Mikkelsen une première version de ses "
Réponses aux accusations ".
- Le 18, retour de
Mikkelsen et Dedichen à Copenhague, Mikkelsen se rend au
ministère des Affaires étrangères. Conférence sur
l'affaire Céline au ministère de la Justice, en présence
de Mikkelsen.
- Le 25, au sujet de
Céline, l'avocat écrit à son ami Helge Wamberg, attaché
de presse à la légation de Danemark à Paris : " Cet
homme est un antisémite virulent, un anti-tout, mais je
veux néanmoins l'aider [...] complètement piqué,
mais d'un immense talent ".
- En mars, il écrit à Lucette : « J’ai
commencé notre récit des
Maudits, par le bombardement de la Butte.
Comme c’est drôle à remémorer. Je place Gen Paul en
chef d’orchestre du Bombardement – il dirige tout sur la
haute plate-forme du Moulin avec sa canne, l’esprit du
mal, que tout le paysage gondole enfle gonfle les
maisons perdent leurs formes. Tout chahute. C’est
l’esprit de ses tableaux qui se réalise. C’est le sabbat
à Popol. »
Avril
- Le 1er,
interrogatoire de Céline au poste de police, en anglais,
avec l'aide d'un interprète, au sujet de Guignol's
band, de sa préface à Bezons à travers les âges
et de sa prétendue adhésion au Cercle Européen.
- Le 4, Mikkelsen et
Dedichen sont entendus par la police. L'avocat offre de
déposer la caution qui sera exigée pour la remise en
liberté provisoire de son client, jusqu'à ce qu'il soit
statué sur la question de l'extradition.
- Le 8, Céline est
transféré à l'infirmerie de Vestre Faengsel. Il y
restera jusqu'au 13 août. Il dit avoir " perdu 33 kilos
" depuis son départ de Paris, mais en pèse 63 au lieu de
92. Visites de Mikkelsen sous la surveillance de
résistants armés. Les autorités pénitentiaires veulent
supprimer à Céline les journaux français, sous prétexte
qu'il peut lire Politiken et Billedbladet
(hebdomadaire illustré).
Mai
- Le 1er mai 1946,
Guy de Charbonnière sait qu'il a perdu la partie. Les
autorités danoises refusent l'extradition de Céline. Du
point de vue juridique, le dossier est vide.
- Le 5, Gen Paul se rend à New York où Jo Varenne
organise une exposition. Il écrit à Henri Mahé : « Jo
a reçu des nouvelles de Louis. Son avocat (Mikkelsen)
est venu le voir. Il est très inquiet. Malheureusement
il est difficile de faire quelque chose pour lui. »
Il y rencontre Milton Hindus à qui il évoque le cas de
Céline.
- Le 27, Karen, compagne de Juan Serat, ambassadeur de
Franco en Pologne puis consul à Stockholm jusqu’en
1943, revient d’Espagne pour Copenhague et en chemin,
rencontre Gen Paul à Paris avant son départ pour New
York. Elle va habiter chez Ella Johansen ou à Stroby
Egede et se rend souvent à Stockholm. Elle cohabite
parfois avec Lucette. Elle soigne ses relations avec les
cercles politiques influents et rejoint, elle aussi, le
camp des résistants. Elle contribua avec Ella Johansen, à changer l'or pour fournir des
couronnes à Lucette.
- Le 28, Gen Paul réunit la Chignole chez Pomme. On
s’amuse Place du Tertre… On ne craint plus l’épuration.
Céline reçoit des échos de Montmartre, il écrit à
Lucette le 8 juillet : « Popol
a raison, bien rusé au fond. Il jouit de chaque seconde,
vil, as, et génial. »
Céline
occupe tour à tour les cellules 31, 20, 13, 84, puis les
603 et 609 dans la section réservée aux condamnés à
mort, changements dus à de fréquents passages à
l'infirmerie où la détention surveillée par des médecins
lui paraît presque supportable...
Juin
- Mahé renoue avec le « colonel Rémy » le
10 juin 1946. Agent secret en France, il dirige le
réseau Confrérie Notre-Dame. A la Libération, il est
l’un des animateurs du RPF (Rassemblement populaire
français).
- Le 2 : élection de
la 2ième Assemblée constituante en France : les
communistes représentent 26 % du corps électoral.
- Le 24 : écho dans
L'Humanité sur le manque d'empressement de
Charbonnières à faire extrader Céline : " Ce
distingué diplomate " qui " n'eut pas tellement à
se plaindre du gouvernement de Vichy ".
Juillet
- Du 1 au 7 :
Mikkelsen se rend à Londres pour demander conseil sur la
situation de Céline et étudier la procédure anglaise en
matière d'extradition : les Anglais n'extraderaient pas.
- Le 13, retour en
cellule de Céline. Il lit Les Misérables, les
Lettres de Voltaire, Les Vies parallèles de
Plutarque.
- Le 16 juillet, Gen Paul est à New York, Langwell Hotel,
129 West, 44e Street, là où descendait
autrefois Céline. Maurice Chalom lui commande six
gouaches (mille dollars pièces) pour Gloria Vanderbilt
que le marchand a présentée au peintre. A Radio City il
retrouve la danseuse Margaret Sande. Il rencontre sans
doute, Milton Hindus, le professeur de littérature de
Chicago, admirateur de Céline, dont Marie Canavaggia lui
a donné l’adresse. Heureux, gâté, Gen Paul quitte New
York le 21 septembre.
- Le 30, à Paris, Le
Vigan est inculpé d'atteinte à la Sûreté extérieure de
l'Etat, et déféré à la Cour de Justice au nom de
l'article 75. Tixier-Vignancour l'assiste.
Août
- Le 7, Mikkelsen
adresse à Aage Elmquist, ministre de la Justice, un
mémoire de huit pages sur l'affaire Céline et demande sa
mise en liberté. Lequel le renvoie aux Affaires
étrangères.
- Le 8, dans une lettre à Lucette, Céline : « Le
beau Popol voudrait bien je crois rester en Amérique. Il
est malin. » Et le 24 août à Lucette encore : « Je
persiste à penser que les Varenne jouent à mon égard un
jeu chinois. Ils ont éloigné Popol trop bavard vers N.
York. Ils sont enchantés de me savoir bouclé. L’oncle
pouvait très bien arranger tout s’il avait voulu. Rien
n’a été fait. »
- Le 10, Au vent
des maudits devient Soupirs pour une autre fois.
- Le 13, renvoyé en
cellule, section K, cellule 609.
- Du 15 au 20 :
Mikkelsen relance le Ministère de la Justice et réclame
la libération sans délai de son client. Le ministre
s'informe sur la procédure appliquée dans d'autres pays
occidentaux, et relance la légation de France pour
savoir si la police française compte venir interroger
Céline.
Il se rend aux
Affaires étrangères où l'on penche en faveur d'une
libération sous caution contre remise d'un
certificat médical. Demande d'un certificat médical aux
autorités pénitentiaires qui, invoquant " l'usage "
refusent. Démarches orales et écrites au Ministère de la
Justice, où l'on obtient ce certificat.
Septembre
-16 : depuis le mois d'août, les relations
entre Karen Marie et Lucette se sont détériorées.
Lucette s'est plaint à Céline qui lui répond : " Tu
dis que Karen te déteste. Et moi l'Hidalgo donc ! "
Karen est effrayée des dépenses de Lucette en vêtements,
bains, fruits et cadeaux. Céline, qui a confiance en
Karen fait de violents reproches à Lucette. Le 16, Lucette s'installe dans le studio des peintres Henning et Else
Jensen à Kronprinsessegade, en échange de leur
invitation à Nice par les Pirazzoli. Karen veut s'installer à
Copenhague, et doit se séparer de son appartement pour y
faire des travaux. Demande-t-elle à Lucette de partager
les frais de location mais aussi de restauration (des
assiettes cassées, et des fauteuils griffés par
Bébert ?...).
- Le 23, Mikkelsen,
inquiet du mauvais état de santé de Céline, presse les
choses, par l'intermédiaire du directeur de la police.
Octobre
- Le 19, la police
interroge Céline en présence de Mikkelsen qui propose
d'aller en France s'informer du procès ouvert contre son
client.
- Le 23, Céline
rédige un Mémoire en défense : " Réponses aux
accusations formulées contre moi par la Justice
française au titre de trahison ", 17 pages in-folio.
Mikkelsen lui conseille de revoir ce texte trop violent.
Novembre
- Le 6, Céline signe un texte
intitulé " Réponses aux accusations formulées contre moi par la
justice française au titre de trahison et reproduites par la police
judiciaire danoise au cours de mes interrogatoires, pendant mon
incarcération 1945-1946 à Copenhague ". 13 pages in-folio, version qui sera
ronéotée à 75 exemplaires et envoyée aux journaux et aux
amis.
- Le
8, il est transféré au Sundby Hospital, service du
professeur Gram (Medicin II), où il est "
admirablement soigné ". Il y restera jusqu'au 24
janvier 1947.
-16 novembre : procès de Le Vigan à
Paris, qui refuse de charger Céline. Dix
ans de travaux forcés et l'indignité nationale.
- Le 22, Pierre-Antoine Cousteau et
Lucien Rebatet sont condamnés à mort (ils seront
graciés, puis élargis six ans plus tard).
- Le 30, le médecin romancier rédige
lui-même son état médical. Il fait naturellement mention
des douleurs habituelles, mais évoque aussi des
souffrances nouvelles qu’il met sur le compte de sa
participation à la guerre de 14-18 :
« Intestin : Depuis 1917 à la suite d’une
dysenterie contractée dans l’armée française au Cameroun
je suis atteint d’entérite grave qui a résisté depuis 30
ans à tous les traitements […] Dentition : J’avais eu
bien des dents cassées par le choc que j’avais subi en
1914 lors de ma première blessure, mais à la Vestre
toutes les dents qui me restent se sont mises à tomber
sans aucune douleur. »
Il signe à Mikkelsen un
billet à ordre de 8 400 couronnes (420 000 francs 1947),
contre lequel l'avocat s'engage à verser 350 couronnes
le 1er et le 15 de chaque mois durant un an.
1947
- En 1947, Gen Paul connaît Samy Chalom,
frère de Maurice et prend l’habitude d’aller déjeuner
dans son hôtel particulier. Jacques, fils de Samy se
voit proposer de venir peindre dans son atelier.
Caroline, d’origine danoise, femme de Samy sert souvent
de modèle au peintre.
- En début d’année, en Amérique, circule une pétition en
faveur de Céline dirigée par le juge Cornell, avocat
d’Ezra Pound. Hindus est des signataires.
Janvier
- Le 7 :
Charbonnière écrit à Léon Blum, se plaignant de la
légèreté des accusations portées contre Céline. Blum
répond que le Parquet allait collationner, parmi les
écrits de Céline pendant la guerre, les textes
témoignant d'appels au meurtre ou ayant provoqué des
arrestations par la Gestapo. Le Parquet n'ayant pu
trouver ces textes - et pour cause - la lettre de Blum
n'eut pas de suite. A Charbonnière, il fut demandé
d'attendre. Rien ne vint.
A
l'initiative de Jo Varenne, et du ministre Hartvig
Frisch, ami de Mikkelsen, Julian Cornell, avocat à New
York, traduit en anglais le " mémoire en défense ", le
fait imprimer et le diffuse en lançant une pétition en
faveur de Céline. Il est aidé par Milton Hindus,
professeur à l'université de Chicago. Signataires :
Henry Miller, Edgar Varèse, Robert A. Parker, James
Laughlin...
- Le 15, Céline convoque à l'infirmerie Karen et Lucette
au sujet de l'or " dépensé ". Ella Johansen, qui est
restée à la porte, devient " La Thénardienne ".
Sur ses cahiers de prison, Karen est devenue " une
idiote ivrogne malfaisante ".
Mikkelsen
demande au ministre de la Justice d'accorder à son
client la liberté provisoire ; s'engage à assumer tous
les frais inhérents à la mise en liberté, à la
surveillance et à l'entretien de Céline.
- Le 16 : lettre de
Céline à Mikkelsen où il dit avoir " demandé à ses
amies de lui remettre les " sommes " en paquet dont
elles ont la garde ".
- Le 17,
concertation entre les ministres danois de la Justice et
des Affaires étrangères : Céline ne sera ni extradé ni
libéré.
- Le 24, Céline retourne à l'infirmerie de Vestre Faengsel.
Il y restera jusqu'à sa libération, le 25 février.
- Le 31,
à Paris, Ralph Soupault le dessinateur de Je suis
partout, ami montmartrois, est condamné à quinze
ans de travaux forcés. Il sera libéré en 1950.
Février
- Le 11, Milton Hindus remercie Gen Paul pour
son envoi de Guignol’s band qu’il n’avait pas
encore lu.
- Gen Paul fait la connaissance de Gabrielle Abet, dite
Gaby.
- Céline n’en peut plus. Hospitalisé. C’est une loque
humaine qui sort de prison le 25 février 1947.
- Le 26, il est transféré au Rigshospital (l’hôpital
Royal), il pèse 62 kilos. L’organe du Parti communiste
danois le poursuit haineusement et veut qu’on le chasse
de l’hôpital. Il promet de ne pas quitter le Danemark "
sans permission des autorités danoises. "
Là, et jusqu'à sa libération sur parole le 24 juin, il va bénéficier d'un
régime de semi-liberté à peu près supportable : chambre
ouverte, visite de sa femme quotidienne, courrier libre
et libre circulation dans l'hôpital.
Appartement de Kronprinsessegade où
il vécut à sa sortie
(dernier étage de l'immeuble à la façade blanche).
Mars
- En mars 1947 : période d'intense
correspondances. Commence l’échange épistolaire avec le
professeur Milton Hindus. Céline, en exil est dans une
situation délicate. Outre des avocats fiables, il
recherche la caution de fidèles et de « pairs » en
écriture. L’irruption d’Hindus dans l’orbe de ses
malheurs va être rapidement interprétée comme une
providence : Céline compte bien en cultivant cette
relation, faciliter la relance de son audience hors de
France, notamment par le biais de la retraduction en
anglais de ses romans.
Et puis Hindus est juif : inutile
de gloser sur les avantages que cela représente aux yeux
de celui qui incarne le collabo absolu. L’indomptable se fait flagorneur. Ayant reçu des photos du couple, il
s’exclame : « que Madame Hindus est gracieuse et que
M. Hindus est mâle majestueux et princier » ! Il se
plie de bonne grâce aux questions, parfois naïves, que
lui soumet son interlocuteur, ce qui lui donne
l’occasion d’étoffer l’arsenal allégorique dont il va
user pour évoquer son projet, ses apports, ses
trouvailles. Il avance : l’invention du style oral, « petit tour de
force harmonique » infléchissant sa prose, demeure
l’élément fondateur qui lui permet de « resensibiliser
la langue ». « Qu’elle palpite plus qu’elle ne
raisonne, tel fut mon but », ajoute le médecin,
développant ainsi la métaphore d’un vitalisme qui sera
désormais invariablement associé à son écriture « tout
nerf ». Les comparaisons avec le crayon
plongé
dans un verre d’eau et qu’il faut casser si on veut le
faire paraître droit, ou encore avec le métro filant
sans dérailler, apparaissent ici dans un réseau dont les
mailles sont finement serrées et se font écho.
-
Il annonce à Marie Canavaggia que
Guignol's band II est terminé.
Il travaille à
Féerie pour une autre
fois,
et termine le manuscrit de
Foudres et flèches.
- Début de la correspondance avec Albert
Paraz. De nombreuses lettres à Daragnès, Pierre Monnier,
Charles Deshayes, Lucien Descaves, Robert Le Vigan,
Henri Mahé, le Dr Camus, Pierre Marteau, etc...
Avril
- Du 11 au 14, le
journaliste danois Eric Danielsen commence une campagne
de protestation dans le quotidien communiste danois
Land og Folk (directeur : Borge Houmann) contre la
présence à Rigshospital de " l'écrivain pro-nazi
Céline ".
- Le 15, Fernand de Brinon est exécuté au fort de
Montrouge.
- Le 19, première
lettre à Me Albert Naud, qui a accepté de se charger de
sa défense sur recommandation de Zuloaga.
- Le 30, visite de
Céline à l'évêque catholique du Danemark, " pour lui
demander un peu d'appui. "
Mai
- Le 4, Ramadier
exclut les communistes de son gouvernement.
- Le 5, Henri Poulain est condamné
par contumace aux travaux forcés à perpétuité.
-
Le 15 : première interview accordée à Lucienne Mornay et
Pierre Vals pour
Nuit et Jour. Vals, relation de Montmartre prend
quatre photos. Le n° 125, publie un
article intitulé « Céline au bout de la nuit »,
illustré de deux photos de l’écrivain sur son lit.
- Du 29 au 13 juin : Séjour de Mikkelsen à Paris,
avec une compagne, " agente du Deuxième Bureau ", pour
rencontrer les " Cromagnons " de Montmartre. Il voit
Zuloaga, Varenne, Gen Paul, Marie Bell, le docteur
Camus, Villefosse, Canavaggia. Il apporte de l'or à
Geoffroy pour le changer. Le docteur Camus conseille à
Céline le silence et l'oubli. Un danseur danois répète
qu'il a entendu dire à Paris que Céline aurait livré aux
Allemands les plans de la ligne Maginot...
Juin
- Les 13 et 14 :
nouvelles protestations du journaliste Eric Danielsen
contre la présence de Céline au Rigshospital. Il cite
des extraits du " Manifeste des Intellectuels français "
contre les bombardements aériens alliés en France. Le
nom de Céline et de Gen Paul apparaissait parmi les
signataires. Au lieu de nuire à Céline, cette dernière
furia le sert. Elle pousse les autorités
danoises à mettre fin à une absurdité, cet
emprisonnement sans légifération, puisque la Justice
danoise n'a rien à reprocher à Céline. Les Affaires
étrangères avisent la Justice qu'elles n'ont plus
d'objection à la libération sur parole de Céline.
- Le 19, décision de
mise en liberté. Le 22, Céline invite Hindus à venir le
voir au Danemark.
- Le 24 juin 1947, les autorités françaises
ayant semble-t-il renoncé à l'extradition, Céline doit s’engager sur parole à ne
pas quitter le Danemark et est libéré sur parole. Il
rejoint sa femme dans le studio-atelier d’Henning
Jensen, le gardien compatissant au terme d'un échange. Eux, avec son épouse
iront habiter à Nice, chez Mme Pirazzoli la mère de
Lucette.
En effet, Lucette avait séjourné
jusqu'au 16 septembre 1946 chez leur amie Karen Marie
Jensen en tournée en Espagne. A son retour celle-ci veut
récupérer son appartement ravagé par les griffes de
Bébert.
Ils habitent donc au 8 Kronprinsessegade. Céline va promener
quotidiennement Bébert. Il se refait une santé. Reprend
Féerie pour une autre fois.
Un an va passer. Le
logement est petit, inconfortable, et va très vite
sentir le pipi de chat. Céline se fait soigner les
dents, reçoit quelques visiteurs.
L'écrivain
retrouve du poil de la bête, il a besoin d'exutoires,
d'ennemis, de cibles vers lesquels orienter sa colère,
cette hargne furieuse dont il se nourrit, il écrit à
Albert Paraz le 1er juillet : " Une immense haine me
tient
en vie. Je vivrais mille ans si j'étais sûr de voir
crever le monde. "
Août
- Le 1er, resté silencieux depuis
1944, Céline reprend la parole dans la presse en
envoyant une lettre à Combat pour répliquer à la
critique des Izvestia. Malgré les milliers de kilomètres qui le séparaient de
son pays, Louis-Ferdinand Céline, durant ses années
d’exil resta parfaitement informé de ce qui se disait et
s’écrivait sur lui. En plus des journaux que lui
faisaient parvenir ses amis, une admiratrice, Jeanne
Feys-Vuylstecke, lui avait offert les services de
l’Argus de la Presse : l’écrivain recevait ainsi à
domicile tous les articles qui, parus dans la presse
française, faisaient mention de son cas.
Parfaitement renseigné, Céline était donc en mesure,
d’une part, de répondre aux accusations dont il faisait
l’objet et, d’autre part, d’avancer les arguments qui
pourraient le réhabiliter aux yeux de l’opinion
publique.
- Visite d’Eliane Bonabel. - Visite de Jacques et Magdeleine Mourlet en septembre.
Octobre
- Le 1er, Mikkelsen est à Paris voie Naud et
revoie Gen Paul qui lui présente Gabrielle Abet, une
jeune femme qu’il va épouser.
Céline, autour du 16 octobre,
lui envoie cette lettre tout
émoustillé : « Frère Jacques les cloches
sonnent-elles au mariage ? Dis-nous vite !
Dépêche-toi ! Mimick nous fait de ces descriptions de
beauté qui lui font pétiller les mires…ça va être joli
au printemps ! Lucette que ces choses-là intéressent
bien aussi demande à être présentée – Enfin en somme tu
ferais bien de venir en personne – toi et ta merveille,
qu’on se rende compte – Je te vois sur la photo déjà
maqué avec Hindus… »
- Début octobre du 6 au 13 : Mikkelsen se rend huit
jours à Quimper où il rencontre Henri Mahé, les docteurs
Tuset et Mondain. Commentaire de Mahé : « Type
normand, trapu, frisant allègrement la soixantaine. Son
visage reflétait la bonté sous une pointe d’ironie que
laissait percevoir le jeu de ses épais sourcils. Il me
conta les tribulations de Louis et son emprisonnement
protecteur. Il refusa les 25 000 francs que je voulais
faire porter à l’exilé : « Céline est riche et je
serais confus ! »
Nous devînmes tout de suite
amis. Mik !... Erudit avocat et fin diplomate. Généreux
donateur des lettres et des arts ! Il avait épousé une
Bretonne, rencontrée à New York, comme la Molly du
Voyage. Ce fut un grand amour. Elle était morte de
leucémie et reposait dans sa propriété de Korsor près
d’un énorme roc de l’époque glaciaire. Thorvald, mon ami
Mik, repose à présent près d’elle. Avant de mourir, il
nous a laissé par testament 2 800 000 francs et a
demandé que je sois le premier à inaugurer sa fondation
à Korsor pour artistes franco-danois. »
-
Par contre François Gibault présente Mikkelsen comme « un
curieux petit homme, retors et tenace, dont la carrière
avait été diverse et parfois émaillée d’incidents peu
reluisants. Avant d’être avocat, il avait été commerçant
et avait connu la faillite, puis il était entré au
barreau et avait fini par avoir un cabinet important,
une solide fortune et de puissantes relations. » Céline, par la curieuse expression « juif
synthétique » qui vise l’avocat danois le soupçonnait
d’appartenir à la franc-maçonnerie (lettre
à M. Canavaggia).
- Le 13, visite de Robert Massin qui
recueille une interview dans sa " soupente ".
Novembre
- Du 7 au 13, visite de René Héron de Villefosse,
historien, et sa femme Madeleine. Il se rend à Elseneur
avec eux et avec Mikkelsen qui leur présente le couple
Dedichen.
- Le 18, visite de Guy Tosi, directeur littéraire de la Société
Denoël. La discussion sur la réédition des livres
n'aboutit pas.
Curzio Malaparte, ami du docteur Camus, a proposé que tous ses droits
d'auteurs au Danemark soient versés à Céline, qui
refuse.
- Par Albert Paraz,
qui prend vigoureusement sa défense en toute occasion, Céline apprend que Sartre a écrit et publié en
décembre 1945 : " Si Céline a pu soutenir les
thèses socialistes des nazis, c'est qu'il était payé ".
Il répondra par " A l'agité du bocal " terminé en
novembre. Il l'adresse à Jean Paulhan, directeur des
Cahiers de la Pléiade chez Gallimard.
- Le 22, Samedi-soir
titre : " Nourri d'avoine dans un grenier de
Copenhague, Céline jure de " torcher " l'avorton Sartre.
"
Céline qui a vendu pour 200 couronnes des aquarelles de Gen Paul à Anne
Marie Lindequist, une ancienne amie danoise, espère
encore que le peintre viendra le voir avec Gabrielle
Abet, sa nouvelle compagne.
Visite d'Henri Philippon, journaliste, ami de celui-ci, cherchant à
intéresser les éditions Fasquelle à Céline.
La Démocratie, journal d'Alger, publie un article de Charles
Deshayes qui attribue à Céline l'invention, dans
Bagatelles, de l'expression " bla-bla-bla ".
- Le 29, l'O.N.U. vote le
partage de la Palestine.
Décembre
- Le 1er, Lucette loue un
studio pour donner des cours de danse.
- Le 8, lettre
recommandée de Céline à la société Denoël, par
laquelle il s'estime libre de publier ailleurs puisqu'il
n'a pas été réédité depuis 1944. C'est le début d'un
litige avec l'héritière Denoël, elle-même contestée par
la veuve de l'éditeur.
- Le 25, Noël chez le
pasteur Löchen.
- Gen Paul ne viendra pas le voir, prétextant un manque
d’argent. Céline n’est pas dupe, le ton est sceptique,
il écrit à Daragnès le 28 décembre :
« Popol ne doit pas être drôle dans
l’intimité, même de la déesse, il a trop de fantômes
autour de lui, même pour le muscadet ! Il ne jouit pas
autant qu’il l’aurait pensé… Il ferait bien de venir
nous voir. »
1948
Janvier :
- Du 3 au 10, deuxième visite d'Henri
Philippon, " Mercure " de l'éditeur Fasquelle.
- Le 5, visite de Jean-Gabriel
Daragnès, imprimeur et illustrateur, venu présider
l'Exposition du Livre français à Copenhague : " tout
guilleret, jeunet, etc... "
-
Le 7, il espère encore,
il écrit à Gen Paul : « Fiston…
File la déesse (surnom de Gaby) au Hollandais qu’il vous
amène en sa bouzine ! Fais un sacrifice ! Pas besoin de
l’Angleterre, pour vous on trouvera un gentil hôtel… Si
tu viens c’est pour l’affection – le vin : zéro – la
bière seulement. Il faut venir quand même ; autant se
marrer. – Déjà 4 ans ! Tu as ici 200 couronnes de la
vente de tes aquarelles. Pour la super garce Lindequist.
Régale tu ? La jeunesse c’est tout. Ne bois pas trop. »
- Céline
est sans éditeur. Paulhan refuse " A l'agité du bocal
"
qui lui paraît trop violent pour sa revue. Céline lui
propose Foudres et flèches : " C'est du
Florian, c'est du cucul. Rien à redire. "
- Arletty demande à Céline un ballet pour
Roland Petit.
- Le 17, Jean
Dubuffet écrit à Jean Paulhan : " Céline a bien
raison de traiter comme rien ces messieurs qui ont nom
Sartre, Cassou, Mauriac, et qui ne sont rien en effet et
il est temps que quelqu'un le dise. "
- Le 20, visite de Philippe-André Crozier avec la danseuse
Jacqueline Moreau le. Grand ami de Mahé,
assureur international de Voyages et Bagages, celui-ci
le soupçonne d’appartenir au 2ième Bureau. Il
avait formé le projet de venir chercher Céline au
Danemark avec son bateau, la Soizic, et
d’héberger Céline à Genève ou de l’emmener en Irlande. Jacqueline Moreau, nommée première danseuse de l’Opéra
en février, entrera aux Ballets des Champs-Elysées du
marquis de Cuevas et deviendra danseuse étoile en 1953.
Ils se rendent avec Céline au Théâtre Royal pour
assister à une représentation des Ballets Garnier.
- Le 24, il écrit à
Geoffroy pour l'achat d'un bracelet-montre en or.
Février
- Le 16, envoie à
Arletty un schéma de scénario : Arletty, jeune fille
dauphinoise. La jeune héroïne se fait remarquer dans
une boîte de nuit par un maharadjah.
Mars :
- Daragnès met Céline en
contact avec Paul Marteau. Il lui adressera
quarante-quatre lettres. Président du Club des 100
(cercle de gastronomes), rival de Gaston Gallimard
auprès de Valentine Tessier, il incitera Céline à
engager Tixier-Vignancour comme second défenseur.
- Le 14,
lettre à Naud sur les rumeurs
rapportées par Hindus, que fait courir le consulat
de Chicago sur Céline, d'avoir voulu se faire
naturaliser allemand pendant l'Occupation et d'avoir
soigné Pétain à Sigmaringen. Lettre à Bonnet,
ambassadeur à Washington sur cette rumeur.
Le Droit de vivre, dans " A bout portant ", assimile Céline
à Hitler.
Avril :
- Le 8 avril, Daragnès
revient voir son ami, accompagné de M. D'Arquian,
marchand de tableaux en Suède. Les ressources manquent,
les réserves s'épuisent. Tout au plus accepte-t-il de
vendre par l'intermédiaire de Daragnès, deux manuscrits.
Un a été vendu à Jean Dubuffet, l'autre à un mécène,
Paul Marteau, le propriétaire des cartes à jouer et de
tarots Grimaud. Il lui vend le manuscrit de la version A de Féerie pour une
autre fois : dédicace " A Mr Marteau, ce début de
manuscrit de Féerie pour une autre fois, écrit en
prison à Copenhague (Vestre Faengsel) cellule 84,
pendant l'hiver 1947 avec mes bien sincères sentiments
de gratitude et d'amitié. "
Il lui recommande d'en prendre bien soin... de ne montrer ces
feuilles à personne... de considérer ce début de travail
comme une " carte " qui n'est pas encore jouée, juste
ébauchée... imprécise encore... dont j'attends
merveille, hélas, il le faudrait ! (Catalogue vente
Drouot 17 juin 1977).
- Le 9 avril, visite de
Georges Geoffroy,
son ami de Londres, devenu joaillier. Il
va s’occuper de ses affaires d’argent, changer l’or en
dollars et les dollars en bijoux. Il viendra le voir à
Meudon.
- Le 30, la Cour de Justice de
la Seine acquitte la société Denoël de l'accusation
d'avoir édité en temps de guerre des publications
favorables à l'ennemi. Les crimes de collaboration et de
propagande raciste ne sont pas retenus. Ce jugement
servira la défense de Céline, qui se considère donc
acquitté de la réédition de ses pamphlets et de la
publication des Beaux draps.
Mai :
- Le 3, à Paris, Gen
Paul (52ans) épouse Gabrielle (22ans) à la mairie du
XVIIIe. Témoins : Marcel Aymé, Jean Perrot, Antonio Zuloaga, et Mimiche Chalom. Il retourne aux Etats-Unis
en juillet, après la visite d’Hindus.
- En mai 1948, les Jensen rentrent de Nice. Il faut
trouver un autre logis. C’est Me Mikkelsen qui va leur
offrir l’hospitalité dans sa résidence secondaire à
Klarskovgaard à quelques kms de Korsor.
- Le 19 mai, ils quittent Copenhague pour
Korsor, logés chez Mikkelsen, sur les bords de la
Baltique. Une page est tournée, celle de la prison. Y
habite aussi un vieil ami le pharmacien Knud Otterstrom.
Le séjour durera 3 ans. Le nouveau chapitre est
l'histoire d'un combat incertain en vue du procès et
d'une solitude en campagne humide.
Les premières
descriptions seront proches de la réalité, il écrit à
son ami Geoffroy qui doit venir
le voir : " Rustique bien sûr mais confortable -
canapés, sofas, véritables
cheminées - Campagne très
supportable auprès d'une mer pas vilaine. " Mais
au fur et à mesure de l'exil, la représentation des
lieux va prendre avec le prisme de la transposition
romanesque, des aspects apocalyptiques : " landes
désertiques battues par les vents polaires, températures
glaciales neuf mois de l'année, chaumières proches de la
cabane à cochons sans chauffage ni commodités, rien à
manger, pas de viande, pas de légumes, pas de fruits,
leur " ordinaire sempiternel " se composant de hareng et
de porridge (quand ce n'est pas d'avoine) vendus à
prix d'or par des paysans hostiles, arriérés et cupides,
les bidons d'eau qu'il faut aller chercher avec une
brouette..." tout cela relevé par le biographe Emile
Brami.
En réalité : Cinq maisons. Il y a Hovedhuset (la maison de
maître) où habite Mikkelsen. Précédée de quinze mètres
par Gaestehuset (la maison d’hôtes). A cinquante mètres
Avlsgaarden (la ferme). Skovly (à l’abri de la forêt).
La chaumière dénommée Fanehuset (la maison du drapeau).
Céline écrit en dehors de longues promenades, près de
4000 lettres en 3 ans. Nombreuses visites au cher Otterstrom le pharmacien pour évoquer le bon temps de
Montmartre en 1930. Il vient les prendre en auto, ou
bien Céline prend le taxi. Céline fréquente le libraire-papetier-imprimeur Mogens
Zachariassen pour ses activités épistolaires, enveloppes
et papier à lettres.
- Il reçoit de temps en temps des visiteurs de France ;
Daragnès, P. Monnier, Marcel Aymé de passage pour
assister à sa pièce Clerambard. Il est invité souvent
chez Mikkelsen et sympathisa avec Hartvig Frisch le
ministre de l’Education nationale.
- Le 25, visite de James Laughlin,
l'éditeur
américain. Lettre de Mikkelsen à Daragnès : " Notre
Céline est, dès hier, parqué dans une de mes chaumières,
et je crois qu'il ne trouvera pas la vie de la campagne
si affreuse qu'il en avait pensé, et Lucette paraît être
heureuse ".
- Une lettre à Daragnès datée du 29 mai illustre son
état d’âme : « Plus
rien de Naud non plus de Fasquelle… ni de Philippon… ni
de Sorlot l’indigné. On va me retrouver comme
l’explorateur André 60 ans plus tard dans les glaces… Un
seul qui jouit c’est Popol de plus en plus con souriant
entre ses barreaux. »
Juin :
- En
juin, Céline apprend que Gen Paul va se rendre à New
York et écrit à Daragnès : « Popol part en Amérique
chercher la toison d’Or. Il va m’y faire tout le mal
possible. Lui non plus ne peut pas s’en empêcher. »
- Visite le 12
de Ole Vinding, l'écrivain danois incomparable francophile qui donna lieu
à des propos passionnés et passionnants entre les deux
hommes. Visite également de Georges Geoffroy.
Juillet :
- Le 7, Dubuffet
écrit à Paulhan : " J'ai relu trente-six fois ce
merveilleux texte de Céline sur Sartre. Quel plaisir !
Qui ne donnerait toute l'œuvre
de ce Sartre pour ce petit texte merveilleux ! "
- Vers le 10 juillet, en
route pour Korsor, Milton Hindus arrive à Paris et
retrouve Gen Paul qui s’apprête à partir pour New York.
Que se sont-ils dit sur Céline ? Gen Paul lui soutient
que Céline était communiste après la guerre de 14…
-
Le 15, recommandé par Gen Paul, Georges de Caunes,
journaliste, revenant d'une expédition polaire avec
Paul-Emile Victor, rencontre Céline à Korsor.
Céline emménage à Fanehuset.
- Le 16 juillet, Gen Paul et Gaby arrivent à New York.
Au retour des Etats-Unis, fin septembre le couple se
séparera. On n’en connaît
pas la raison. Gaby ne parlera pas. Mais Gen Paul
accusera Céline d’être responsable à cause d’une lettre
à Gaby.
- Le 20, reçoit la visite du professeur juif
américain Milton Hindus, du 20 juillet à fin août. Il
est logé à l'hôtel. Les
échanges très chaleureux tournèrent vite à l’aigre.
Le premier contact est glacial : " Buster Keaton sans
écran ". Hindus juge Céline ingrat et grossier.
- Le 27, Hindus se
rend à Klarskovgaard et rencontre Mikkelsen. Céline lui
présente Madame Dupland, qu'Hindus revoit les 28 et 29.
Août
- Le
1er : " Hindus est une espèce de rabbin imbécile
amoureux d'Hitler ! Quelle fatigue... ! Il en est à
décortiquer Zola ! au baba ! " (à Marie Canavaggia).
- Le
2 : " Hindus est scandalisé que je n'aie jamais lu
Mein Kampf " (à Geoffroy). Hindus se rend à
Klarskovgaard. Plage. Note : " Céline est fou à lier
". Le 4, Hindus à Copenhague - Le 5, il se rend à
Elseneur.
- Le
8 : Repas avec Hindus chez Mikkelsen. " Le rabbin
Hindus m'a tellement fatigué en deux heures d'entretien
que je l'ai liquidé ! Il m'a flanqué une archi migraine
avec ses sottes lourdes imbéciles questions ! " (à
Marie Canavaggia).
Céline qualifie devant Hindus, Henri Mahé « d’admirable
initiateur de la vie française, de belle âme noble, de
fin psychologue, de guide éminent de la vie parisienne ».
Les rapports avec Hindus
tourneront court au bout d’un mois, quand
l’universitaire aura eu la révélation du fossé existant
entre l’image idéale de l’écrivain qu’il s’était forgée
et l’homme, en chair et en os, à qui il sera confronté.
-
Le 13, départ de Milton Hindus qui s'arrête à Paris et y
passe dix jours. Il se rend sur la tombe de Marguerite
Destouches. Le 23, de Paris il annonce à Céline qu'il a
été nommé à la Brandeis University (université juive) à
Waltham (Massachussetts).
- En août : visite
d'Ernst Bendz, professeur d'université et écrivain
danois vivant à Göteborg.
Septembre
- Le 3,
Céline n'éprouve aucune compassion pour les turpitudes
de Gen Paul. Il apprend que Gabrielle se sépare de Gen
Paul,
il écrit à Zuloaga : "
L'affaire Popol a mal tourné. Enfin il s'est bien amusé.
Ce sont peines littéraires - bien guérissables. Il n'a
qu'a venir nous voir. Dis-le lui. On l'aime toujours.
Mais faudra qu'il apporte son piv ! Et puis il faut
qu'il rambine avec Daragnès. Il a fait le jeune homme !
(Je parle de rien). "
-
Le
15, : visite des époux Pirazzoli, Ercole
et Gabrielle, qui seront d'un secours permanent.
- Le 20, Céline
annonce à Paul Marteau l'arrivée de Mikkelsen à Paris.
Paul Marteau et Jean Perrot recommandent à Céline de
prendre Tixier-Vignancour comme second avocat.
-
Fin septembre : première visite de Pierre Monnier avec
Victor Soulencq, folkloriste auvergnat. Il va
réussir à intéresser au sort de Céline qu'il admire,
Paul Lévy, le directeur
du journal Aux écoutes, où il
travaille comme dessinateur pigiste sous le pseudonyme
de Chambri.
Octobre
- A partir d’octobre 1948, Pierre Monnier va se démener
pour sortir Céline de son impasse éditoriale. Il ne
rencontrera jamais Gen Paul qui ne lui paraît pas avoir
un comportement digne d’un ami. Pulicani a rompu avec
Gen Paul. Duverger de même.
Mahé, dont Gen Paul ne se gênait pas pour en dire du mal, prendra sa
défense jusqu’au bout.
- Le 10, retour de
Mikkelsen. Première lettre de Céline à Tixier-Vignancour
pour le remercier d'avoir accepté d'assurer sa défense.
- Le 14, Daragnès
reçoit 100 000 F de Jonquières contre la remise du
manuscrit de Foudres et flèches.
- Le 30, publication
de Casse-pipe dans le numéro d'été des Cahiers
de la Pléiade.
- Le 31, Milton
Hindus propose à Marie Canavaggia de lui acheter les
lettres qu'elle reçoit de Céline : " Even lies
laundry bills would interest me ".
Novembre :
-
Le 2 : visite de François Gillois, journaliste
à L'Indépendance française.
- Retour de Gen Paul de New York en novembre.
-
Le 15, publication du Gala des vaches d'Albert
Paraz, contenant des lettres de Céline et A l'agité
du bocal, pamphlet contre Sartre, Editions de
l'Elan. Ce qui va sonner la fin des relations entre Gen Paul et
Céline est la publication dans Le Gala des vaches d’Albert Paraz des lettres que Céline a envoyées à ce
dernier. Page 122, « pour Paul,
tu parles si je suis fixé, roublard, jaloux, avec un
damné génie du mal bien amusant, je l’aime bien. Comme
un frère. Mais d’illusions ? point l’atome. »
Le livre est lu par tous les
amis de Céline à Paris, Gen Paul, Camus, Mahé. Ils sont révoltés. Ils accusent Paraz, nouveau venu pour eux, de se servir de Céline
pour attirer l’attention sur lui.
- Le 17, Jules Moch
demande des mesures d'exception contre les communistes
qu'il accuse d'être financés par l'étranger.
- Le 26, dans Aux
Ecoutes, Paul Lévy répond au journal Action :
" Je continuerai à plaider pour Céline [...] sacra
res miser. Vous êtes, vous, des écrivains politiques et
vous vivez grassement. Lui meurt longuement. La partie
n'est pas égale. "
- Fin novembre :
Céline se rend à Copenhague pour un interrogatoire de
police.
Décembre :
- Le 10 , Céline écrit à Paraz : «
Ca va mal,
très mal. Camus est furieux, fâché à mort contre toi,
contre moi. Et Popol et les amis de Popol ce qui est
pour moi très grave.»
Le 13, à Daragnès : « Ce Gala est un cauchemar.
Toutes ces indignations, offusqueries des copains
sonnent bien factices – bien à propos. Tu parles que
Gégène ne s’est jamais gêné pour se faire de la
publicité sur mes os ! et me mettre moi en péril ! »
Le 14, au même : « Henri
Mahé aussi est furieux, charmant planqué, antisémite (en
chambre) du livre de Paraz ! Du fait que je ne persiste
pas à hurler Mort aux Juifs pour les frémissements de la
galerie. Il plaint Popol que je veux faire assassiner !
Délire ce chiasse ! J’ai écrit surtout que je l’aimais
Popol comme un frère. Alors Popol doit déjà se voir
pendu. »
- Le 24, Céline
remercie Paul Lévy : " Votre article me fait un bien
immense. Il est difficile de crever sous l'opprobre
totale, unanime [...] Si j'avais été le Christ, ce sont
les crachats qui m'auraient fait le plus de mal ".
- Le 25, Mikkelsen
passe Noël avec Céline. - Pierre
Monnier retourne rendre visite à Céline. - Pierre
Lanauve de Tartas, ami de Daragnès, publie un tirage
limité de Lettre à J.B. Sartre.
1949
Le temps passe, pèse à l’exilé qui
attend son procès.
Janvier
Foudres et flèches
est publié en
Suisse chez Charles de Jonquières.
- 20 janvier :
visite de Charles Frémanger, éditeur.
Février
- Le 2, le couple
Destouches se rend à Copenhague et se présente avec le
pasteur Löchen à l'ambassade de France pour avoir des
passeports. Céline voit le sien refusé. Lucette en
obtient un.
- Vers le 15, Milton
Hindus annonce à Céline le projet de son essai sous le
premier titre Céline, le monstrueux géant. Hindus
demande surtout l'autorisation, contre paiement, de
publier ses lettres. Céline est méfiant et refuse. Six
mois passent.
- En février 1949, Roger Nimier envoie à Céline son
premier livre Les Epées, paru l’année précédente
chez Gallimard. Celui-ci est enchanté et lui écrit le 24 : « Moins con je ne serais jamais tombé si
bas ! Je vois bien d’autres « génies » qui s’en tirent à
merveille ! Malraux, Giono ! Gide ! Duhamel, des
centaines ! Et pourris d’honneur ! Vous êtes vous-même
« génial » je le vois, foutre ! et vous vous portez
superbement ! Ce cynisme jovial bonenfant [sic] c’est le
genre du jour ! »
Mars
- En mars, Le Vigan est libéré. Suspecté, menacé, il
passe en Espagne et correspond avec Céline. Il n’écrira
pas à Gen Paul. Les amis de Céline voyagent sans venir
le voir. Céline écrit le 18 mars à Zuloaga : « Tu vas
faire un immense voyage ! Junot part aussi en voyage !
Vous partez tous ! Vous arrêtez pas de partir ! Gologolo
aussi il paraît ! On dirait pas que l’heure est grave !
Y a des gens stables heureusement qui pensent, peinent
et œuvrent pour vous ! »
- Le 26, visite de Raoul Nordling, consul de
Suède. " exprès amené en auto " (lettres à Mahé,
Canavaggia et Zuloaga). Ami de Daragnès il aurait fait
relâcher Céline de prison.
Avril
Visite
d'Ercole et Gabrielle Pirazzoli.
- Le
10 : lettre de Marcel Aymé à Paraz : " Je suis
persuadé qu'il vaut mieux pour lui qu'on ne fasse pas de
tam-tam comme pour Bardèche. "
- Le
25, Paraz assure à Nordling qu'il a obtenu les
signatures de Cendrars et de Marcel Aymé pour une
pétition en faveur de Céline.
Mai
A Paris, le dossier de l'information est communiqué au Parquet et confié
pour règlement à Jean Seltensperger.
- Le
27, Céline a 55 ans. Il écrit pour la première fois à
Jean Seltensperger le commissaire du Gouvernement.
- Le
28, Paraz écrit à Nordling qu'il a obtenu la signature
du colonel Rémy pour la pétition en faveur de Céline.
- Le
30, Céline écrit à Pierre Monnier : " Nous
déménageons, on nous a virés de la maison où vous
vîntes, pour la masure au bord de la mer, sans eau, sans
gaz, sans lumière, croulante, c'est notre supplice
d'aller chercher l'eau au bidon à la mer ! "
Jules Almansor envoie à Lucette " six draps coton très usagés et six
taies d'oreiller ".
Juin
- Le 19 juin, lettre désabusée à Pulicani :
« Peu de chances de retourner jamais en France… Oh Paul
et la bande pas intéressants (sauf Daragnès) pas de
cœur, pas de courage. Popol est bien de la paroisse
Saint-Pierre. Il m’a renié une bonne douzaine de fois !
cocu, ivrogne, lâche, imbécile ! »
Polémiques dans France-Dimanche
entre Paraz et les lecteurs, à la suite de la
publication de propos de Céline : " Je ne crois pas à
l'amnistie, c'est du vent... "
- Le 20, avec une
nouvelle préface de Céline, réédition de Voyage au bout de la
nuit par Charles Frémanger, aux éditions Froissart
fictivement domiciliées à Bruxelles.
Brouille immédiate avec Frémanger. Puis plainte sans
suite judiciaire de l'héritière Denoël.
- Le 25 : Lettre à Seltensperger sur le chantier de
Katyn. - Lettre à Marteau sur les tarots de Marseille :
" J'ai gagné ma vie avec les Tarots un certain temps
à Londres ! " - Dedichen se rend à Paris pour
organiser un Tournoi international de bridge, en partie
financé par Marteau. Il est invité avec sa femme à loger
chez Marteau. - Daragnès a perçu 390 000 francs de
Frémanger.
Juillet
- Le 6 : Le Vigan a quitté Barcelone. Céline lui écrit.
Bonny a gagné L'Argentine. Daragnès
remet 90 000 francs à Jacques Derval pour Céline.
- Du 7 au 10 :
visite d'Henri Mahé à Klarskovgaard. Il est accompagné
de Pierre Delrieux, ancien marchand de tableaux.
Excursion au camp viking de Traelleborg. Mahé fait le
portrait de Céline au crayon.
Céline recommande Henri Mahé à Paul Marteau en tant " qu'admirable ami
et admirable peintre, français, breton et parisien,
artiste et cœur généreux ".
- Le 18, Céline
incite Mahé à s'installer à Nouméa, où il le suivrait.
Il demande des ouvrages sur la Nouvelle-Calédonie à
Marie Canavaggia.
Août
- Le 18, Hindus
termine son introduction à The Crippled Giant où
il compare Céline à Hitler.
-
Le 20, Céline apprend que Gen Paul, avec Jean
Perrot, s’est rendu à Vence chez Paraz et qu’il l’a
accusé d’être responsable de sa séparation avec
Gabrielle. Réponse laconique à Daragnès : « Voici un
homme heureux qui peut se payer encore des chagrins
d’amour, des tribulations de conasses ! et des millions
de voyages ! »
- Dès le 23, à la
première lecture des épreuves du livre d'Hindus envoyées
sur la recommandation de son éditeur : " Soyez heureux
! Votre livre est aussi méchant que possible ! Il va me
faire tout le tort possible ! " Céline était bien
conscient du mal
que pouvait créer ce livre s'il était publié avant son
procès.
-
Le 25 : il écrit à Milton Hindus en le menaçant d'un
procès s'il publie son " journal " et lui interdisant de
publier la moindre de ses lettres.
-
Le 26, Céline demande à Marie Canavaggia d'envoyer
Semmelweis à Jacques Deval, qui a un projet
cinématographique. - Il répond à Paris-Match sur
un article du 20 août. -
le pasteur Lôchen se souvient de la visite de deux
journalistes, Jean Kohler et sa femme, qu'il avait
croisés à Jeanson-de-Sailly, porteurs d'un message de
Morvan Lebesque, de Carrefour, qui tenait à ce
que l'on parle de Céline dans la presse. Ce sont eux qui
transportèrent le miroir nécessaire pour les exercices
de danse de Lucette.
Septembre
- Le 16, visite de Jacques et Magdeleine Mourlet,
résistant et négociant en vins, autour du 16
septembre. Ils apportaient des nouvelles de Quimper.
- Le 19, lettre recommandée à Charles
Frémanger pour obtenir communication de ses comptes.
Celui-ci venait de le prévenir que le premier tirage de
Voyage était épuisé, qu'un second était sous
presse, que Mort à Crédit est en composition et
qu'il lui envoie un deuxième exemplaire de Voyage.
- Le 27, lettre à Jean Seltensperger
pour lui demander un " non-lieu " et l'obtention d'un
passeport.
Octobre
- Le 4, Mikkelsen se rend à Paris avec
Helga Pedersen et Frithiof Brandt, professeur de
philosophie. Il y rencontrera Seltensperger.
- Vers le 12, Jean
Seltensperger, dans son réquisitoire, prononce le renvoi
de Céline devant la Chambre civique et requiert la
mainlevée du mandat d'arrêt. La Cour de
Justice abandonne l'accusation pour trahison et le
poursuit pour activités de nature à nuire à la défense
nationale.
- Le 17, Tixier-Vignancour annonce à
Mikkelsen que " la décision concernant Céline est signée
et que l'avis de mainlevée du mandat d'arrêt sera
diffusé aujourd'hui ". Céline peut demander un passeport
français au consulat de France. Mieux, en ce qui
concerne sa comparution en Chambre civique, Tixier-Vignancour
peut espérer que ce sera Seltensperger qui prononcera le
réquisitoire.
- Le 27, Mikkelsen est de retour à
Copenhague. - Le 28, René Mayer (Radical) devient garde
des Sceaux dans le gouvernement Bidault. Céline va lui
écrire plusieurs lettres. Céline et Mikkelsen.
- Le 28, F. Parlier, administrateur de
sociétés, informe Céline qu'il a été chargé par Yvon
Morandat de prendre contact avec lui au sujet de la
restitution de son mobilier.
- Le 31, Céline se montre
provocateur en s’adressant directement au directeur de
L’Humanité : « Moi ce qui me surprend
Monsieur, c’est que Monsieur Maurice Thorez, déserteur à
l’ennemi en temps de guerre ne se trouve pas encore au
Panthéon. Ce qui me surprend aussi c’est que vous
n’appreniez pas à vos lecteurs que Mr Aragon et Mme
Triolet ont traduit dès 1934 le Voyage au bout de la
nuit […] Vous pourriez encore leur apprendre que je
suis engagé volontaire des deux guerres, médaillé
militaire depuis novembre 1914, mutilé de guerre 75 %.
C’est drôle n’est-ce pas ? »
- Gen Paul repart aux Etats-Unis avec sa femme sur
l’Oregon, pour ne revenir qu’en 1950.
Novembre
- Le procès approchant, Céline prend ses précautions,
comme le révèle une lettre à Daragnès datée du 12
novembre : « J’ai écrit à
l’ivrogne pour connaître ses réactions… Je me méfie de
lui à la veille du procès. »
- Le 12,
Zuloaga a rendu visite à Mayer qui, d'après Céline
l'aurait reçu fraîchement.
- Le 15, sixième
lettre à Seltensperger à propos de l'article de François
Sauvage dans Paroles françaises. Aucune allusion
aux conclusions du magistrat.
Jean Seltensperger, qui avait conclu son réquisitoire par le renvoi devant
la Chambre civique et par la mainlevée du mandat
d'arrêt, est dessaisi de son dossier au profit de René
Charrasse (croix de guerre 39-45 et médaille de la
Résistance) qui renverra l'affaire devant la Cour de
justice, mais sous l'inculpation de l'article 83, et non
plus 75. - Naud accuse Tixier-Vignancour d'avoir été
indiscret et d'avoir fait échouer la conclusion de
Seltensperger.
- Le 19, Tixier-Vignancour
reproche à Mikkelsen d'avoir trop parlé au Palais à
Paris ou aux journalistes de l'Aurore.
- Le 23, dernière lettre à Seltensperger :
" J'apprends par Tixier, que par ordre, on vous a trouvé
en haut lieu finalement trop magnanime. "
Décembre
- Le 13 décembre 1949, Carrefour
publie la
reproduction de l’Illustré National, et
Louis Pauwels publie une lettre de Céline : " Autant
de cloches à Montmartre que de potes qui m'ont renié...
"
- Le 15,
première audience du procès Céline à Paris en son
absence. La Cour de justice décide du renvoi au 29.
Présents : Daragnès, Monnier, Marie Canavaggia et le
docteur Camus. Des campagnes de presse démarrent de part
et d'autre.
- Le 17 :
par admiration pour Céline, Pierre Monnier devient
éditeur sous le pseudonyme de Frédéric Chambriand et
publie Casse-pipe. - Le Cri de Paris
publie un article sur Céline et Ichok. - Second voyage
de Monnier à Korsor. - Le président Deloncle est
remplacé par le président Drappier.
- Le 24 et
le 25, Céline va jusqu’à écrire trois lettres au président de la Brandeis University
M. Sacher, pour
empêcher la parution de The Crippled Giant (le
géant estropié). Il sera toutefois publié en 1950 par l’University
Press of New England et traduit en français sous le
titre Céline tel que je l’ai vu par André
Belamich (traduction contestée aujourd’hui) en 1951 pour
les éditions de L’Arche et repris par Dominique
de Roux pour les éditions de l’Herne en 1969
(édition augmentée de la correspondance entre les deux
hommes).
Hindus y insistait notamment sur l'imprégnation idéologique de Céline, ce
qui risquait fort de desservir son dossier, son procès
approchant à grands pas...
- Le
29, seconde audience devant la Cour de justice
(président Deloncle), qui met en œuvre la procédure par
contumace avec injonction à L. F. Céline de se présenter
à l'audience le 21 février 1950.
- En décembre 1949, à la suite d’une rixe, Gen Paul est
hospitalisé à l’hôpital Saint-Maurice et y reste
jusqu’en février 1950. Il y reçoit, en sort librement, y
dessine, mène joyeuse vie. Chantal Le Bobinnec qui
fréquente son atelier se souviendra d’avoir posté
plusieurs lettres destinées à Céline mais aussi d’avoir
reçu l’interdiction d’ouvrir l’exemplaire de
Bagatelles pour un massacre que Gen Paul avait
caché. (Gen Paul à Montmartre,
Chalmain et Perrin, 1995).
1950
Janvier
- Albert Paraz
mobilise les journalistes favorables. Pierre Monnier
rassemble des témoignages. Maurice Lemaître publie, dans
plusieurs numéros du Libertaire, les résultats
d'une enquête pour ou contre Céline qui fait
apparaître, ailleurs que chez les anarchistes, des
réticences envers le procès. Une éphémère "
Association israélite pour la réconciliation des
Français " dont c'est à peu près la seule
manifestation d'existence, défend Céline.
- Relation rompue entre Céline et Mahé.
Alors que Mikkelsen invite Mahé à revenir, cette fois
avec sa famille, Céline
s’emporte, mentionne une remarque de Mahé à Milton
Hindus lors de son passage à Paris, que celui-ci publie
en janvier 1950 dans Crippled Giant. Commentaire
d’Henri Mahé : « Lorsque Milton Hindus manifesta le
désir de l’aller voir à Korsor, il reçut l’ordre de
passer d’abord à Paris me voir. C’était l’anniversaire !
Ripailles et rigolades. On parla des pamphlets
antisémites : « C’est notre frère. Il souffre comme
notre race. – Il ment comme il respire ! »… Menteur comme tout poète, fallait-il comprendre, comme un enfant
traqué… Céline et Mahé ne reprendront contact qu’en
1954.
-
Le 2, Zuloaga et Naud obtiennent une audience de René
Mayer, garde des Sceaux. Céline écrit à Georges Bidault
et à René Mayer. Il envoie
des copies de " l'acquittement Denoël " de janvier 1948
et de Casse-pipe à Zuloaga, Deloncle, Bidault, Lecoin,
Lemaître...
- Pour, dans Combat du 19
janvier : " Un juif témoigne pour Louis-Ferdinand
Céline " extrait de la préface de Milton Hindus à
l'édition américaine de Mort à crédit, avant leur
brouille. Or Hindus vient de publier The Crippled
Giant (19/01/1950), où il décrit Céline comme un géant
estropié.
- Contre, on voit paraître une
plaquette : L'affaire Céline, l'école d'un cadavre,
signée Maurice Vanino. Roger Vaillant, dans Tribune
des nations, regrette d'avoir hésité, du temps où il
était résistant, entre la mitraillette et la grenade
lorsqu'il pouvait " exécuter " Céline.
- Le 23, dans une lettre à Daragnès, Céline va jusqu’à soupçonner Gen Paul du
pire : « Oh vieux à propos de l’ivrogne il y a plus
moche. Veux-tu te procurer La Tribune des Nations, - un
article de Roger Vaillant 13 janvier véritable appel au
meurtre. […] Tout ceci est vétilles – mais le plus
curieux est l’omission des réunions du Dimanche matin
chez Popol ! où mon dieu là… il y avait vraiment du
« monde » ! Je n’y allais plus la dernière
année… mais
cet oubli est plus que « singulier »… il pue c’est un
oubli qui pue… la mouche. »
- Le 24, Céline
rédige un second mémoire en défense (daté à la machine
par erreur du 24 février), le fait taper à la machine,
l'enrichit de longs paragraphes, puis fait ronéoter les
cinq pages dactylographiées par le pasteur Löchen :
Réponse à l'exposé du Parquet de la Cour de justice : "
C'est ça la vérité, en gros et en détails ! Pas autre
chose ! "
- Le 25, le président de la
Cour de justice de la Seine convoque Céline, et l'annonce de son procès
est commentée dans la presse.
- Les
26 et 29 : Echange de lettres entre Daragnès et François
Mauriac. - Création d'une " Association d'Israélites
pour la réconciliation des Français " à l'instigation de
Paul Lévy et de Maurice Bismuth (Lemaître). Son
témoignage à décharge pour Céline sera critiqué dans la
presse. - Défense de l'homme (n°17) publie une
réponse de Jean Vita en faveur de Céline, " Céline et
l'enfance ". - Bernard Lecache, président de la
L.I.C.A. écrit au président Drappier pour dénoncer la
représentativité de l'Association de Maurice Lemaître.
Février
- Le 1er, Le Vigan, libéré
depuis un an et vivant en Espagne, témoigne par écrit de
la conduite de Céline sous l'occupation puis en
Allemagne. Des lettres de Céline sont publiées
dans le Crapouillot et dans Défense de l'Homme
de Louis Lecoin.
- Jean Paulhan, ancien résistant,
collaborateur des Temps modernes, membre du
Comité national des écrivains (le CNE était un organe de
la Résistance littéraire, émanation du Front national
des écrivains créé en 1941 sur l’instance du Parti
communiste français), jusqu’en 1946 et, lui aussi,
invalide de guerre, écrit ces quelques mots à Maître
Naud le 3 février 1950 : « Je
suis commandeur de la Légion d’Honneur, croix de guerre
14 et médaille de la Résistance. Voilà qui peut, dans la
circonstance, servir. »
Pierre Monnier écrit en faveur de Céline au président Drappier.
- Le 5, lettre de
Céline au docteur Tuset pour lui demander de témoigner
sur son intervention auprès de Brinon afin de sauver
Noël L'Helgouarch, exécuté par les Allemands en juin
1941.
Lettre à Galtier-Boissière : " C'est un procès de Sorcellerie ! une
affaire Dreyfus à l'envers ! "
- Entre le 10 et le
20 février, veille du procès, accumulation de
témoignages et d'interventions en faveur de Céline : -
Marcel Jouhandeau écrit au président Drappier. - Le
docteur Bécart, Mac-Orlan, Théophile Briant et Jean
Galtier-Boissière également. - Thierry Maulnier écrit
lui aussi et Raoul Nordling envoie la lettre d'Ernst
Bendz au président de la Cour.
- Le 21 février 1950, le procès de Céline
s'ouvre. La Cour de Justice
rend son arrêt. Céline est condamné par contumace à un
an de prison, à l’indignité nationale, à 50 000
francs d'amende, et à la
confiscation de ses biens pour moitié présents et à
venir. On lui reproche les Beaux draps, la
réédition des
pamphlets et ses lettres à des journaux sous
l'Occupation. Gen
Paul n’a pas envoyé de témoignage à décharge au
président Drappier. Parmi les témoins à décharge : les
écrivains Marcel Aymé, Albert Paraz, Maurice Lemaître
(du Libertaire, et champion du Lettrisme), René
Barjavel, Morvan Lebesque, Galtier-Boissière, Thierry
Maulnier, Théophile Briant, Marcel Jouhandeau, Mac-Orlan,
Louis Pauwels, Jean Paulhan, Paul Marteau, Louis Lecoin
(Défense de l'Homme) et Paul Lévy (Aux Ecoutes)
; le peintre Jean Dubuffet ; les docteurs Tuset, Camus,
et le professeur Henri Mondor, membre des deux Académies
; les actrices Arletty et Marie Bell.
- Les 22 et 23 : de
vives réactions se font jour après le verdict. Pour
Combat, Franc-tireur, il est jugé insuffisant ("
Une bagatelle pour un massacre "). L'Humanité
(Madeleine Jacob) titre : " Audience de Cour de justice
? Non ! Séance de réhabilitation de l'agent de la
gestapo Céline ". Le Droit de vivre publie : " Un
an de prison (par contumace) et les félicitations de
Mlle Arletty. "
Combat publie sur trois colonnes : " Trois semaines avec L.-F.
Céline " par Milton Hindus, suite d'extraits de
The Crippled Giant publiés dans The Nation
aux Etats-Unis et apportés à Paris par M. Roskolenko,
critique littéraire. - Dans un article non signé, mais
sans doute d'Eric Danielsen, Land og Folk,
reprenant les accusations de L'Humanité, demande
encore une fois l'expulsion de Céline.
Mars
- Le 2 : Céline doit
600 000 francs d'impôts sur l'année 1944 ( " Etat Pétain
") plus une amende de retard. au fisc.
- Le 18 :
visite d'André Pulicani, ami montmartrois et assureur pour la troisième fois.
Mai
- Du 16 mai au 30
juin : Lucette subit une intervention chirurgicale à
Copenhague. Céline loge chez Mikkelsen, qui est en
voyage : " Les dernières couronnes y ont passé pour
payer chirurgie et hospitalisation ".
- Le 18, à Daragnès
qui lui conseille d'aller en Espagne avant de revenir en
France Céline répond : " Pour l'Espagne, certes, je
suis preneur, mais comment y parvenir ? les revenus ?
d'où ? Saisi comme je suis par tous les bouts !...
Retourner en France ?... Ce serait pratique chez les
parents de Lucette à Nice. "
- Le 22 : toujours à Daragnès : " Il serait
préférable que je fasse un petit stage préparatoire en
Espagne avant de rentrer dans ma chère Patrie, vachement
occupée
ma chère Patrie, par de drôles de Sino-palestiniens
coriaces en diable ! mais bouffer là-bas ? et crécher ?
"
Juin
- Le 6, Pierre
Monnier verse 75 000 francs à Daragnès. - Le 10, Jean
Dubuffet verse 50 000 francs à Daragnès. - Le 12,
Daragnès remet 100 000 francs au pasteur Löchen pour
Céline.
- Le 20 : dans
Valsez saucisses, chez Amiot-Dumont, Albert
Paraz publie des lettres de Céline. Pas de réactions,
Céline avait relu le texte.
- Le 30, Lucette
sort de l'hôpital et revient à Korsor. Céline écrit à
Daragnès : " Si Naud arrive à me décrocher ce papier
qui me dispense de tôle à l'arrivée alors je rentrerai,
nous rentrerons en France. "
Juillet
- Lettre à Henri
Queuille, ministre de l'Intérieur pour lui demander de "
mettre un terme à cette persécution qui dure depuis 7
ans ! "
- Le 12, Pierre
Monnier verse 40 000 francs à Daragnès. - Le 13 : retour
à Klarskovgaard. - Le 18 : le pasteur Löchen est invité
chez les Pirazzoli à Menton. Il rencontre Daragnès et
Pulicani en passant par Paris. Daragnès lui remet 100
000 francs pour Céline.
- Le 25 : suite à
une opération bénigne, décès de Daragnès. Céline perd là
un ami de poids. - Le 26 : Mme Daragnès fait un envoi de
130 000 francs au pasteur Löchen pour Céline. C'est
Jules Almansor, le père de Lucette qui se charge des
transactions financières.
Août
- Le 4, lettre de Le
Vigan disant à Céline son intention de gagner
l'Argentine. - Le 10, le pasteur Löchen s'arrête à Paris
; il rencontre Janine Daragnès et Pulicani. - Le 15, il
est avec Céline. - Le 19, Janine Daragnès annonce à
Céline qu'elle remet à Paul Marteau l'argent que son
mari avait en dépôt. - Le 31, à Jules Almansor : "
Vous allez recevoir la visite de Knud Otterström, vieil
ami, délicat, très honnête, très scrupuleux... "
Septembre
- Du 3 au 8 : Séjour
de Knud Otterström en France. Il passe chez Jules
Almansor récupérer de l'argent versé par Pierre Monnier.
Paul Rassinier publie Le Mensonge d'Ulysse, Regard sur la littérature
concentrationnaire, avec une préface d'Albert Paraz,
éditions Bressanes. Bande-annonce : " Les légendes
qui basculent. Louis-Ferdinand Céline ".
- Le 19 : des
journalistes de Paris-Match, recommandés par Naud,
cherchent à l'interviewer.
- Le 27, " Mme Gen Paul est annoncée... " Céline apprend par Mikkelsen que Gaby va
se rendre à Copenhague. Gen Paul n’a pas prévenu Céline
ce qui lui vaut de nouveaux reproches : « J’ai appris
par tout le monde sauf par toi que ton épouse devait
venir à Copenhague et peut-être venir nous voir ?... Ah
c’est dur la main à la plume ! Dieu sait si vous en
demandez vous, des noms ! des noms ! comme Zoulou
Farouk ! A croire que vous montez tous des archives, on
ne sait jamais – C’est si compromettant les lettres ah !
ah ! ah ! Apprends petit caveau qu’un homme c’est mon
cas, conserve pas les lettres il les brûle toutes dès
réception. Pour un homme tout est flics provocateurs
délateurs, mouches et C. »
Octobre
- Pour Scandale aux abysses, Pierre Monnier
s’était proposé. Il avait réussi à publier Casse-Pipe
et Mort à crédit avec audace et ténacité.
Dessinateur humoristique sous le nom de Chambri, il
offre à Céline d’éditer Scandale aux abysses en
l’illustrant sous le pseudonyme de Pierre-Marie Renet.
Sceptique du résultat, l’écrivain lui répond : « C’est
un rude labeur l’illustration. Ils ont tous cané
jusqu’à vous. » Mais devant la naïveté des images
qui convient à l’argument de dessin animé, Céline
complimente l’artiste : « J’aime votre technique,
votre adresse du trait. » Pierre Monnier était
récompensé de son entreprise. Céline critique cependant,
en amateur attentif, la couleur de la mer un peu fade
sur la dernière planche.
- Le 16 octobre,
Scandale aux abysses paraît.
« Un argument de dessin animé » dont Denoël avait
entrepris la publication en avril 1944 et qu’il n’avait
pas pu mener à bien pour raisons inconnues. Nouvelle édition publiée par Chambriand , elle est
illustrée de 5 aquarelles et de 41 dessins en noir par
Pierre-Marie Renet (pseudonyme de Pierre Monnier).
Tirage : 3320 exemplaires numérotés. Les acheteurs ne
se manifestant guère, début 1956, un jeune soldeur
Jean-Jacques Pauvert en rachètera 456 exemplaires à
Pierre Monnier.
- Le 30 : nouveau
gouvernement danois où Helga Pedersen est nommée
ministre de la Justice.
- Le 31, Pierre
Monnier reçoit des Domaines une lettre l'enjoignant de
bloquer les comptes de Céline. Le Vigan a gagné
Buenos-Aires, où il retrouve Maurice Rémy.
Novembre
- Visite de Gaby, divorcée de Gen Paul, vers le 4
novembre. C’est l’hiver et le froid et la tourbe… Elle
regagne Paris quelques jours après. Céline imagine tout.
Elle est venue pour réserver à Gen Paul l’illustration
de Féerie ou pour renseigner une police
quelconque ? L’ouvrage était loin d’être terminé, et Gen
Paul n’en connaissait pas le contenu. La visite de Gaby
n’a pas rapproché les amis. La raison du voyage de Gaby était simple : récupérer
200 couronnes et en dépenser une partie sur place. Cette
visite n’aura pas été sans effet. Une lettre de Céline à
Robert Le Vigan de novembre 1950, marque un tournant
dans les reproches de Céline à l’encontre de Gen Paul. Le peintre amuse la galerie en racontant des histoires
croustillantes sur ses anciens amis. Il tient le fait de
Gaby elle-même : « Popol et ses
1 500 francs de champagne par jour se porte à merveille,
et boume mon ami ! Il vend ce qu’il veut, d’avance ! nos
légendes rapportent. Les martyrs c’est du biftek ! Je
sais par sa jeune femme qui est venue, charmante. A la
tête du client, comme au Resto « les langoustes selon
grosseur » il leur vend les croustilleries sur La Vigue
et Ferdinand – aux schmouts plein de vacherie ! et
gigot ! enlevée la gouache ! Il va faire son numéro
Popol dans tous les bistrots de la Butte et 9 Tontons,
avec son garde du corps banquier Perrot (et flic !) Il a
peur d’aller dans la rue seul ! Jamais plus seul ! Y a
des règlements ! »
- Le 20, Naud rend
visite à René Mayer.
- Fâcherie avec l'oncle
Guillou qui n'enverra plus Samedi-Soir.
Pas rancunier, malgré ses déconvenues
avec son auteur préféré, Milton Hindus rédigera et
enverra (avec retard) un témoignage favorable à Céline
pour son procès par contumace en 1950.
Décembre
Morandat
propose à Monnier de restituer à Céline des " pelures "
de Casse-pipe, trouvées rue Girardon.
- Le 2, Paris-Match
publie la reproduction de l’Illustré National, en
indiquant sous le dessin : « Héros
de 1914, médaillé militaire, mutilé à 75 %, trépané :
« J’entends sans cesse un train qui roule dans ma
tête. »
- Le 9, jeune philologue, Alphonse
Juilland rencontre Monnier et se propose d'écrire une
étude sur Céline.
-
Le 10, lettre à Zuloaga : " Le Vigan
crève à Buenos-Ayrès - il y arrive un bateau de
Palestiniens par semaine ! et tous artistes ! comme tu
bien penses ! et " attendus " comme tu bien penses ! "
- Le 13, les Domaines confisquent les arrérages de
la pension de mutilé de Céline.
- Le 24, Céline
s'enquiert auprès de Naud sur le résultat de son
entrevue avec Mayer. Lettre de Roger Nimier l'informant
qu'il veut monter un mouvement d'écrivains en sa faveur.
- Le 25, Céline
écrit à Monnier : " Voici encore un réveillon au
hareng fumé et au porridge dans une cabane glacée. Nous
n'avons plus de tourbe. Dans la septième année d'exil et
la cinquante-septième année de mon âge. [...] vous me
devez au moins 600 000 francs et vous me proposez je ne
sais quel chichi le versement éventuel de 15 000 francs,
c'est grotesque et insultant ".
- Le 30 : visite d'Otterström
et du pasteur Löchen.
1951
Janvier
- Du 6 au 10 : Dernière visite de Pierre Monnier à Klarskovgaard.
- Le 29, pour Tixier-Vignancour, aucun
doute : " Jusqu'ici la Chancellerie n'a pas voulu,
sous l'influence de Mayer, donner main levée de ce
mandat... " Mais Tixier annonce à Céline : " J'ai
pris contact avec le tribunal militaire de Paris, où le
Commissaire du Gouvernement est à votre égard dans les
mêmes sentiments que moi-même. Le programme a été arrêté
d'accord entre nous. "
Février
- Le 1er : suppression des Cours de
Justice. Une réforme de l'appareil judiciaire allait
permettre à Céline d'être jugé une seconde fois, mais
devant une autre juridiction, le Tribunal militaire,
devenu seul compétent.
- Le 24, Tixier-Vignancour essaie
d'obtenir l'équivalence des peines et la levée du mandat
d'arrêt.
- Le 26, Lettre de Lucette à Jules
Almansor : elle a subi une série d'examens médicaux à
Korsor. Otterström sert d'interprète.
Mars
- Le 2, lettre de René Barjavel à
Paraz : " le vingtième siècle ne compte jusqu'à
présent qu'un novateur, c'est Ferdinand. Et je dirai
même qu'un seul écrivain. "
- Le 6, Louis Destouches fait
opposition à l'arrêt de la Cour de justice.
- Du 8 au 11, Marcel Aymé se rend à
Copenhague pour assister à une représentation de
Clérambard et rencontre Céline. On peut imaginer Marcel
Aymé écoutant religieusement l'exilé.
- Le 10, Tixier-Vignancour rend visite
au colonel René Camadau, chef du Parquet au Tribunal
militaire, qui est Béarnais et qui, depuis l'Algérie
déteste De Gaulle. - Jules Almansor envoie 100 000
francs au pasteur Löchen. - Otterström passe voir Jules
Almansor.
- Le 15 : Auprès du Tribunal militaire
siégeant rue de Reuilly à Paris, Tixier-Vignancour
obtient par ordonnance l'équivalence des peines et la
levée du mandat d'arrêt lancé contre Céline le 19 avril
1945. Céline est donc convoqué devant le Tribunal
militaire le 15 avril, puis le 20.
- Le 18, Tixier est à Korsor. - Le 19
: Céline se rend à Copenhague. Emmanuel d'Harcourt, le
consul chargé d'Affaires à l'Ambassade de France étant
absent, le vice-consul Jacques Thomas refuse de prendre
sur lui l'établissement d'un passeport, mais à la
demande de Tixier rédige un document qui établit que le
docteur Destouches a fait la demande d'un passeport.
Cette pièce permettra à l'avocat de prouver au
commissaire du gouvernement que seul un cas de force
majeure empêche Louis Destouches de se rendre à
l'audience du 20 avril prochain, ce qui lui évitera
d'être jugé par contumace. - Dîner avec le pasteur
Löchen : " Tixier prétend qu'il peut me faire
amnistier ! " (à Marie Canavaggia).
- Le 29, Robert Schuman, nouveau
Ministre des Affaires étrangères, autorise M. Thomas à
délivrer un laissez-passer valable pour un seul voyage
en France.
Avril
Tixier-Vignancour prépare une requête en amnistie visant
les dispositions de la loi du 16 août 1947 permettant
d'accorder l'amnistie aux grands invalides de guerre qui
n'avaient pas été condamnés à plus de trois ans de
prison, dont la peine était définitive, avait été
effectuée avant le 1er janvier 1951, et qui n'avaient
pas été reconnus coupables de dénonciations ni de faits
ayant exposé des personnes à la déportation.
-
Le 20 avril 1951, grâce à Tixier-Vignancour, le tribunal
militaire, composé de deux juges et de six militaires, accorde l’amnistie à Céline, en tant que grand
invalide de
guerre, titulaire de la médaille militaire
(loi du 16 août 1947). Pour réussir son tour de
passe-passe, Tixier présente son client sous le nom de
Louis-Ferdinand Céline. Le secret, condition du succès
est total. L'audience est présidée par M. Jean Raynard,
conseiller à la Cour d'appel de Paris. Aucun
des magistrats présents ne fait le rapprochement. Après
une courte délibération, l'amnistie est accordée. Les
avocats
Albert Naud et Tixier-Vignancour
peuvent être satisfait.
-
Le 26, le Ministère public n'ayant pas formé de pourvoi, Tixier-Vignancour annonce la nouvelle à la presse. Elle
fait scandale : L'Humanité crie à la trahison, le
garde des Sceaux manque de s'étrangler en lisant son
journal et Jules Moch, le ministre de l'Intérieur en
casse une chaise de rage. Au garde des Sceaux qui le
convoque pour une franche explication, M. Raynard répond
benoîtement : " Oh ! moi, monsieur le ministre, en
littérature, je me suis arrêté à Flaubert. "
- Le 27, le
lendemain L'Humanité donne le ton : " L.-F.
Céline, agent de la Gestapo et glorificateur des
chambres à gaz nazies est amnistié... " Ce soir
(Aragon directeur) enchaîne : " Ainsi la justice de
Monsieur Queuille fait qu'aujourd'hui le porte-parole de
Goebbels et de Rosenberg, qui salua frénétiquement les
déportations et les massacres des patriotes, va pouvoir
rentrer librement. "
- Le 30 : achevé
d'imprimer de L.-F. Céline tel que je l'ai vu,
ouvrage de Milton Hindus traduit en français qui
expose la brouille entre les deux hommes. Paraz,
dans Valsez saucisses continue de plaider en
faveur de Céline.
Mai
- Le 2, le vice-consul Thomas délivre
un passeport à Céline. - Son beau-père l'invite à
Menton, Paul Marteau à Neuilly. Paraz lui conseille le
Maroc, Pulicani la Corse.
- Le 4, Céline offre à Tixier son "
château " de Dieppe (venant de sa mère).
- Le 10, Jean
Perrot recommande à Céline de prendre " mille
précautions " à son retour.
- Le 19, lettre à Zuloaga
pour se renseigner encore sur les conditions d'une
installation en Espagne.
- Le 21, la décision est prise,
ce sera Menton chez Gaby Pirazzoli, bien que celle-ci
soit malade.
- Le 24, Lucette consulte un chirurgien à Korsor, craignant un cancer du sein.
- Le 27, Céline à
57 ans.
Juin
- Parmi la liste des dix
meilleurs livres du demi-siècle publiée par le Figaro
littéraire ne figure pas Voyage au bout de la
nuit.
- Le 7, élections législatives en
France : les communistes représentent toujours 25 % du
corps électoral.
- Le 19, il prévoit de quitter Menton
pour Paris le 7 juillet pour consulter le chirurgien
Tailhefer.
- Le 20, les Céline sont invités par le
maréchal Juin au Maroc.
- Le 21, le divorce entre Gen
Paul et Gabrielle Abet est prononcé.
- Le 28, Céline
envoie une lettre de remerciement au directeur du
Korsor Avis, le journal local : " Au moment où
nous allons quitter, ma femme et moi, la jolie ville de
Korsor, je vous prie de croire que ce n'est pas sans
tristesse que nous nous éloignons de ces lieux où nous
avons reçu le plus aimable, le plus humain, le plus
délicat des accueils [...] Nous penserons toujours à
Korsor avec plaisir ".
- Le 30, les Destouches quittent
Korsor par le train.
Juillet
- Au Danemark, les dernières formalités
furent réglées avec l’aide du pasteur François Löchen,
pasteur de l’Eglise réformée à Copenhague et le 1er juillet 1951, l’avion
emporta Céline et Lucette. Il a enfin récupéré son
passeport pour revoir sa France où malgré tous ses
efforts il ne retrouvera jamais la place qui fut la
sienne dans l'immédiat avant-guerre et pendant
l'Occupation, lorsqu'il était devenu non seulement
l'écrivain le plus célèbre du pays, mais aussi un
voyant, presque un oracle.
- Le 1er juillet,
Mikkelsen, Mme Georges Sales, Mme Antoine Ribière,
épouse du représentant de Michelin à Copenhague,
accompagnent les Destouches à l'aéroport de Copenhague.
Céline prend l'avion pour la première fois de sa vie. Céline et Lucette avec la chienne Bessy et les chats Bébert, Thomine et Flûte
sont de retour en France, ils atterrissent à Nice. Ils
vont séjourner chez ses beaux-parents à Menton.
- Le 13, il écrit à
Monnier : " Ah ! vous parlez d'une Afrique, ici ! Et
miteuse ! Des beaux-parents cupides, cons, on bouffe peu
ou pas, et on s'emmerde au possible. C'est
mieux que la
Baltique à cause de la langue française dans la rue,
mais pour le reste, ça serait plutôt pire. "
-
Le 16, à Jules Almansor : " La vie avec nos hôtes est
impossible. Leur nervosisme incompatible avec le
constant acharné labeur que j'ai à fournir... "
- Le 18, Pierre
Monnier, qui l'a négocié, fait signer à Céline un
contrat avec les éditions Gallimard pour la publication
de Féerie pour une autre fois et la réédition de
tous ses romans. Il apporte un chèque de 5 millions que
Céline fait suivre à Jules Almansor.
- Le 20,
L'Humanité écrit : " Gracié par le gouvernement,
Céline se pavane sur la Côte d'Azur. [...] Fasciste
notoire, antisémite forcené, littérateur douteux et
grossier, Céline était un grand admirateur des nazis au
service desquels il mit sa plume nauséabonde dès
l'occupation de la France. C'était aussi un agent de la
Gestapo. "
- Le 23, il est à Neuilly chez
Paul Marteau, 66 bis boulevard Maurice-Barrès, mécène qu’il n’a encore jamais vu.
- Le
28, Céline et Paul Marteau se rendent chez Tixier-Vignancour.
- Le 30, repas chez Paul Marteau, avec
Antonio Zuloaga, avec Jean Perrot et Jean Bonvilliers. Pascaline Marteau se rend chez Gen Paul
pour l’inviter à dîner avec Céline. Gen Paul refuse
vertement. S’il ne
vendait plus de tableaux depuis 1944, c’était de la
faute de Céline… Dix ans d’amitié et sept ans d’exil
pour
entendre cela ! Ce soir-là Céline ne descendra pas
pour se mettre à table.
Août
Les
Marteau gagnent la Côte d'Azur, laissant leur villa et
leur chauffeur à la disposition de Céline.
Céline cherche
à acquérir une maison. Il hésite entre Dinard, Quimper
et Saint-Germain-en-Laye.
Septembre
Céline intente
un procès aux Editions Julliard qui viennent de publier
le journal d'Ernst Jünger. L'écrivain s'estime diffamé
et Ernst Jünger reconnaît lui-même que son éditeur
français a effectué une modification de son texte (le
nom de " Merline " est devenu " Céline
" ...). Il s'agit de montrer la mauvaise foi de
Julliard qui a sciemment laissé le nom de Céline lors de
la publication de la traduction.
- Le
6, Lucette signe le compromis d'achat du pavillon de
Meudon, 25 ter route des Gardes.
Octobre
- Le
1er, début des travaux dans la villa " Maïté " de
Meudon.
Céline et
Lucette s’installe à Meudon. Lucette Almanzor ouvre un
cours de danse et le Dr Destouches recommence à exercer
la médecine.
C'était une belle demeure délabrée et sans confort, construite au milieu
du siècle dernier et fort mal distribuée avec ses pièces
les unes au-dessus des autres, sur trois niveaux. Elle
domine la Seine face à l'île Seguin et aux ruines des
usines Renault. Céline ne devra plus en bouger jusqu'à
sa mort. Travaillant sans relâche, il demeura là, ne
s'accordant aucune distraction, refusant obstinément de
boire un seul verre d'alcool ou de fumer une seule
cigarette.... Pas de sortie au
restaurant, pas de théâtre ni cinéma...
Lucette
ouvre-là un cours de danse, et Céline - ou plutôt le Dr
Destouches - un cabinet médical, pour un temps tout au
moins. Mais si Lucette bénéficia rapidement d'une
clientèle de jeunes élèves qui venaient au premier étage
s'initier aux " danses classiques et de caractère ", lui
au contraire, ne pratiqua plus la médecine. Sa
réputation sulfureuse s'étant vite répandue dans le
voisinage. Sa vie de bohème et de sauvage faisait peur
aux patients.
Entouré de la meute assez terrifiante de
ses chiens molosses : Bessy, Agar, Balou..., vêtu d'un
amoncellement incroyable de pull-overs mités enfilés les
uns par-
dessus les autres, il ne soignait guère que les malades
non prévenus se risquant jusqu'à sa porte, ou les
voisins trop pauvres pour se payer un médecin
d'apparence plus rassurant.
Peu après son installation à
Meudon Roger Nimier prend le chemin de la route des
Gardes : « Conduit pour la première fois par Marcel Aymé, Roger Nimier devient
un familier de Lucette et de Louis. Il téléphonait,
écrivait, venait sans prévenir. » précise F. Gibault. Nadine Nimier est invitée à prendre des leçons de danse
avec Lucette, tandis que Roger montre les détails de sa
nouvelle Aston Martin à Céline, qui a pourtant les
automobiles en horreur. Mais de bonne grâce il l’écoute.
On ne peut rien refuser à celui qui est devenu
l’homme-orchestre des Editions Gallimard. Une étrange
amitié va dès lors unir les deux hommes : « Céline
aimait Roger Nimier, il aimait sa générosité, son humour
et s’amusait de sa fantaisie et de l’ignorance dans
laquelle il était toujours de ce qu’il allait faire dans
l’instant suivant. » Une antithèse de Céline en quelque sorte. En retour, Nimier ne mégotte ni
son temps, ni sa patience, ni son énergie, pour son
« maître » en littérature.
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