
CUIRASSIER et MEDECIN
1912
Mai
- Le 12 mai 1912, Louis quitte Nice pour Paris. Il ne
retrouve pas le Passage. A la fin de 1907, ses parents
s'étaient fixés 11 rue Marsollier, à quelques centaines de
mètres de la boutique qu'ils conservaient.
Il ne retourne pas
travailler à la bijouterie. Il aide sa mère au
magasin. L'été, il va séjourner avec ses parents au bord de la mer
à Dieppe. Son père retrouve en même temps que son amour
des bateaux le plaisir de vivre. Il emmène son fils
naviguer, nager, une complicité neuve et inédite
s'établit entre eux.
" Premières
amours havraises ", nota son père. Premières amours,
peut-être pas. Dernières vacances heureuses, assurément
!... dernières vacances de sa jeunesse...
Septembre
Le 28
septembre 1912, Louis-Ferdinand Destouches s’engage pour
trois ans au 12° Cuirassiers en garnison à Rambouillet.
Il est incorporé le 3 octobre. Il séjournera à la
caserne de Rambouillet du 3 octobre 1912 au 31 juillet
1914.
Mais qu'est-ce qui
a pu pousser Louis Destouches à devancer ainsi l'appel ?
La raison officielle est connue : plus vite Louis sera
libéré de ses obligations militaires, et plus vite il
pourra revenir chez Lacloche et y faire carrière.
Cet engagement dans l'armée, Céline en a donné dans ses romans deux
versions. Dans Voyage au bout de la nuit, c'est
par bravade autant que par curiosité que Bardamu
s'engage. Il voit passer un régiment avec le colonel
par-devant sur son cheval, et même qu'il avait l'air
bien gentil et richement gaillard, le colonel ! Il
ne fait qu'un bond d'enthousiasme.
- J'vais voir si c'est ainsi ! que je crie à
Arthur, et me voici parti à m'engager, et au pas de
course encore.
Dans
Mort à crédit, le jeune homme s'engage par désespoir,
parce qu'il est malheureux et se sent coupable.
" Je t'aime bien mon oncle, tu sais !... Mais je peux plus rester !...
je peux plus !... Je te fais du chagrin aussi !... Je
veux partir mon oncle !... Je veux aller m'engager
demain... "
Octobre
Le 3 octobre, Louis Destouches, engagé volontaire, a dix-huit ans.
La lourde grille du château de Rambouillet qui abrite le
12° régiment de cuirassiers se referme derrière lui.
Dans Casse-pipe, un roman dont il ne reste qu'un
fragment (publié pour la première fois en 1949), Céline
se souviendra de son arrivée, de nuit et sous une pluie
battante comme d'un cauchemar de dégoût et
d'incompréhension.
- " J'avais attendu devant la grille longtemps. Une
grille qui faisait réfléchir, une de ces fontes vraiment
géantes, une treille terrible de lances dressées comme
ça en
plein noir. L'ordre de route je l'avais dans la
main... L'heure était dessus, écrite. Le fonctionnaire
de la guérite il avait poussé lui-même le portillon avec
sa crosse. Il avait prévenu l'intérieur : " Brigadier !
C'est l'engagé ! - Qu'il entre ce con-là ! "
Ses
parents sont inquiets, ils vont demander à des officiers
du régiment, à un gradé (Roger Gorus) et à un simple
cavalier de les renseigner sur leur fils. Le simple
cavalier s’appelle Pierre Servat :
« un ancien cabot cassé… faux et brute mêlant à un
bagout de méridional vantard une roublardise et un
égoïsme étrange. Aucune gentillesse ne lui sera trop, et
combien de fois j’ai mêlé à mes ennuis particuliers les
siens ou ceux que je me crée pour lui ou pour lui en
éviter. » (Carnet du cuirassier Destouches).
Et ils apprennent des faits internes : Louis a
voulu déserter, il est tombé de cheval, il a fait
semblant d’être blessé plus qu’il
ne l’est en réalité,
il a emprunté de l’argent ou bien il a refusé de se
soumettre.
A lire toute la correspondance entre les parents de
Louis et les officiers, ce qui étonne ce n’est pas tant
l’attachement extrême des parents pour leur fils unique,
que la sollicitude, l’écoute attentive de ces militaires
pour le jeune recrue qui eut beaucoup de mal à
s’adapter. Il avait une peur farouche des chevaux,
souffrit de dépression, voulut déserter, empruntait sans
cesse et ne rendant pas, multipliait déjà les aventures
amoureuses.
1913
Janvier
Rambouillet ce 10 janvier 1913,
Monsieur,
Si je ne vous ai pas répondu plus tôt c’est que j’ai
voulu étudier à fond la situation de votre fils, revoir
son instructeur, son capitaine commandant ainsi que son
chef d’escadrons, en parler au Colonel, enfin causer
avec votre fils ce que j’ai fait ce matin.
En résumé la décision prise par le Colonel a été
motivée par la difficulté de votre fils à suivre le
cours actuellement pour le cheval ; le forcer à
continuer eût pu amener un accident absolument
regrettable et qui n’aurait servi à rien ou tout au
moins à donner sur lui une impression fâcheuse dont il
aurait eu de la peine à se relever plus tard.
Au contraire, comme je le lui ai dit ce matin, il va
pouvoir s’entraîner dans son escadron plus facilement
pour le cheval, pourra préparer d’avance l’étude de ses
règlements, et au lieu d’être classé tout à fait dans
les derniers du cours actuel il pourra facilement sortir
dans les premiers du second cours et sera nommé comme me
l’a fait prévoir le Colonel à la fin de septembre au
départ de la classe. Ne pouvant sortir dans les premiers
du 1er cours il vaut mieux pour sa réputation
et sa situation dans le régiment qu’il n’en fasse plus
partie et sorte au mois d’août dans les premiers du
second cours.
Madame Destouches a eu parfaitement raison de venir
me trouver et sa démarche ne peut qu’attirer davantage
encore notre attention sur votre fils que cette grande
affection maternelle et le patriotisme du Père rendent
encore plus intéressant.
Si vous avez jamais encore besoin d’avoir recours à
moi n’hésitez pas à le faire, je suis entièrement à
votre disposition et vous prie de vouloir bien présenter
mes respectueux hommages à Madame Destouches et croire à
mes sentiments très distingués.
Le Comte Guy de Marcieu
Lieutenant
Colonel au 12ième Cuirassiers.
Lettre de Pierre Servat à Marguerite Destouches
Rambouillet, 17-1-13
Madame Destouches
Je vous assure que Louis a très changé il marche bien
mieux et j’espère que sa continuera. Je le fais
travailler un peu plus que d’habitude pour le coup qu’il
avait reçu au pied il est guéri jeudi il était exempt de
bottes il est resté garde écurie et puis le soir s’était
a son tour a la prendre il voulait se faire remplacer,
il l’avait déjà demandé au Brigadier fourrier dont je
lui ai parlé moi a mon tour pour qu’il la lui fasse
prendre il l’a prise la nuit dernière ce qui ne peut pas
lui faire du mal. Pour les papiers et l’argent je n’ai
rien pu savoir pour diner à la cantine il y aura une
petite chambre a part car a Bézard il couche a la boite
de temps en temps il commence de le prendre du bon coté.
Cordiale poignée de mains.
P.S.
Pour la
réalité de ce vécu en caserne, Céline disait à Claude
Bonnefoy : " J'étais à Rambouillet... J'étais un
militaire bien docile. Je faisais ce qu'on me disait de
faire. Pour ça, j'avais l'habitude... J'ai dû apprendre
à monter à cheval. Des chevaux, je n'en avais jamais
approché. Au début, c'était effroyable, je tombais tout
le temps... C'était dur, presque plus dur que les
prisons du Danemark et celles-ci étaient pourtant pas
roses, une infection !... On n'avait pas le temps de
chômer au 12e cuirassiers. On nous réveillait à cinq
heures... Il fallait s'occuper de quarante-cinq
chevaux... Finalement, je savais bien tout faire. J'ai
fini maréchal des logis. "
Août
-Nommé brigadier le 5 août 1913.
Novembre
Une
année s’est écoulée, depuis son incorporation, quand, en
novembre 1913, il entreprend la rédaction d’un journal
intime qui sera publié sous le titre Carnet du
cuirassier Destouches. Il y évoque son quotidien à
la caserne et organise ses propos, probablement
inconsciemment, en trois grandes parties : d’abord la
description des misères quotidiennes, puis l’évocation
d’un chagrin qui le plonge dans une remise en cause
complète, et enfin, la découverte d’une nouvelle
identité qui va de pair avec la révélation d’un projet
d’avenir.
Epuisé par les corvées, les épreuves physiques, les
brimades et les moqueries, désespérée par la
promiscuité, la brutalité et l’enfermement, en plein
hiver, saison propice à la neurasthénie, le jeune recrue
commence son journal en ces termes :
« Ces notes
qui
sont comme on peut en juger d’une pâleur diaphane ne
sont que purement personnelles et c’est à seule fin de
marquer dans ma vie une époque (peut-être remplie) la
première vraiment pénible que j’ai traversée, mais
peut-être pas la dernière. »
Le
jeune soldat s’observe, comme à distance, tantôt
condescendant, tantôt méprisant, pour devenir son propre
juge : « J’ai senti que les grands discours que je
tenais un mois plus tôt sur l’énergie juvénile n’étaient
que fanfaronnade et qu’au pied du mur je n’étais qu’un
malheureux transplanté ayant perdu la moitié de ses
facultés et ne se servant de celles qui restent que pour
constater le néant de cette énergie. C’est alors dans le
fond de mon abîme que j’ai pu me livrer aux quelques
études sur moi-même et sur mon âme que l’on ne peut
scruter je crois à fond lorsqu’elle s’est livré
combat. »
Le
Carnet du cuirassier Destouches
figure
un cas unique dans la bibliothèque célinienne. Cette
particularité s’explique par son histoire.
En août 1914, quand son régiment partit au combat, le
fraîchement promu maréchal des logis plaça dans son
paquetage ce petit carnet de moleskine. Vint ensuite la
blessure. Evacué dans l’urgence, lui-même, ou une tierce
personne, confia son barda à un aîné, le cuirassier
Langlet, qui sortit vivant de la guerre et conserva le Carnet pendant près de quarante ans sans savoir
ce qu’était devenu son propriétaire. Ce n’est qu’en
1957, avec la publication de D’un château l’autre,
et la notoriété renaissante de Céline, que Maurice
Langlet put enfin faire le lien entre le romancier et le
cuirassier de Rambouillet. Il confia alors l’objet au
directeur du journal Le Havre qui se mit aussitôt
en rapport avec un éditeur.
Roger Nimier, qui travaillait pour le compte de Gaston
Gallimard, semble avoir le premier mesuré l’intérêt
éditorial d’un tel texte. En août 1957, il écrit à
Céline : « P.S. J’aimerais que nous parlions du petit
carnet, de cuirassier, qu’un monsieur veut vous
remettre. »
Le Carnet du cuirassier Destouches a fait, et
fait encore aujourd’hui, figure d’îlot de sincérité.
Puisque le jeune Destouches n’y est pas encore Céline,
puisqu’il n’écrit, dit-il, que pour lui et qu’il ne
cherche pas à donner de lui-même une image feinte, le
Carnet constitue un témoignage et un discours sur un
évènement maintes fois évoqué.
1914
Mai
Nommé maréchal des Logis
le 5 mai. Son quotidien : briller à cheval au
défilé du 14 juillet à Longchamp devant le président
Poincaré dans son bel uniforme, marcher au
pas, les grèves où les soldats font barrière de loin rue
des Pyramides à Paris, l'accompagnement des chasses dans
les forêts voisines de Rambouillet, de la duchesse
d'Uzès ou du prince Orloff auxquels l'armée prête
complaisamment certains de ses cavaliers pour aider à
tenir leurs chevaux. Rien de tout cela ne pouvait
convenir à ce garçon plein de fougue et d'orgueil. Il a
l'impression de perdre son temps, de gâcher son talent.
Dans un sursaut de lucidité, avec une pointe d'accent
prophétique, il écrira : " Mais ce que je veux avant
tout c'est vivre une vie remplie
d'incidents que j'espère la providence voudra placer sur
ma route, [...] si je traverse de grandes crises que la
vie me réserve peut-être, je serai moins malheureux
qu'un autre car je veux connaître et savoir, en un mot
je suis orgueilleux - est-ce un défaut je ne le crois,
et il me créera des déboires ou peut-être la Réussite. "
Quelques mois après la
rédaction de ces lignes, il allait traverser la plus
grande épreuve de sa vie, et de celle de millions de
jeunes hommes de sa génération.
Juillet
- Le 31 juillet, sous les ordres du colonel Henry Blacque-Bélair,
le « margis » Destouches et son cheval anglo-normand
quittent la caserne de Rambouillet. Armés d’un sabre et
d’une carabine, équipés de munitions et de vivres,
couverts d’une coquille de tôle d’acier embouti pesant
près de 6 à 8 kilos, les cavaliers et leur monture
embarquent le lendemain pour se rendre en train à Sorcy-Saint-Martin,
dans l’actuel département de la Meuse. Commence alors
une remontée désordonnée vers le Nord.
Août
- Le 1er
à 16 h, la mobilisation générale est décrétée. Le 3, l'Allemagne déclare la
guerre à la France.
Septembre
Durant les mois d’août et de septembre 1914, dans la
confusion la plus totale, guidé par des injonctions
contradictoires, le 12e
cuirassier
évolue dans la Woëvre et dans l’Argonne, s’arrêtant par
étapes dans des villages dont les noms allaient devenir
synonymes de massacre : Apremont, Les Eparges… La
guerre, qui avait commencé comme une promenade estivale,
montre peu à peu les contours de sa face sombre.
Des villages brûlent au loin, les habitants fuient,
des patrouilles s’accrochent et le 18 août, le 12e
« Cuir » compte son premier
blessé. Ce n’est que le 10 septembre, en apportant une
contribution décisive à la bataille de la Marne, que le
régiment découvre le vrai
visage de la guerre. La tuerie est redoutable et le
combat dure trois jours. S’en suit une période d’attente
durant laquelle le régiment revient sur ses pas pour
reprendre un train, précisément là où il se trouvait
trois semaines plus tôt, et se rendre dans le région
d’Armentières afin d’y mener de nouveaux combats.
- Gen Paul s’engage le 11 septembre à la mairie de
Montmartre, au titre du 111e régiment d’infanterie. Se
retrouve à Antibes puis est expédié dans les Vosges. A
Bois-le-Prêtre, un éclat d’obus, ablation d’un orteil.
Permission à Paris puis retour au front dans les
tranchées.
- Le
15 septembre le cuirassier Destouches note : « Ce que
l’on voit ne saurait se dépeindre » et espère « la
fin de cette tuerie effroyable ». Il entre ce jour
dans Verdun qui, bien avant la grande bataille de 1916,
est déjà au cœur des combats.
- Le
17 septembre, ses parents reçoivent le livret militaire
d’un Allemand que leur fils vient d’abattre, un dragon
du génie.
Octobre
- Les 23 et 24, le 12e cuirassier
fait mouvement dans la région d’Ypres, qui allait
devenir le terrain d’expérimentation de la guerre des
gaz.
- Du 25 au 28, il assure la couverture du flanc gauche
d’un régiment d’infanterie qui avait reçu pour ordre de
reprendre Poelkappelle.
- Le 27 octobre, il est blessé à Poelkapelle, en
Flandre. C’est là, en revenant d’une mission de
transmission périlleuse pour laquelle il s’était porté
volontaire, que le cavalier descendu de cheval est
atteint au bras droit. Il s’agissait d’assurer une
liaison entre le 66e et le 125e
régiment d’infanterie. C’est au retour vers 18h, qu’une
balle l’atteint au bras droit (balle qui a
initialement ricoché).
Il obtient la reconnaissance de ses chefs et une
évacuation qui donnèrent lieu, quelques mois plus tard,
pour la première, à l’obtention de la médaille militaire
et, pour la seconde, à la démobilisation.
- Le
28, évacué du front, il a refusé l’amputation avec
la dernière énergie, il arrive
en gare d’Hazebrouck, d’où il est conduit, par un
officier anglais, à l’hôpital auxiliaire n° 6 installé
dans une partie du collège Saint-Jacques de cette ville.
- Le 29 octobre, un médecin militaire extrait la balle
qui s’était logée dans son bras, ses chairs le
faisait atrocement souffrir, mais il préférait rester
éveiller et s'assurer qu'on ne l'amputait pas à son insu.
Novembre
- Le 15 novembre 1914, pétri encore du patriotisme
ambiant il écrit à ses parents de la main gauche : « Le
canon tonne toujours aux environs, les clients de
l’hôpital s’en émeuvent heureusement très peu des
Allemands ». C’est à Hazebrouck qu’il est prévenu de
sa nomination à l’ordre du régiment pour son fait
d’armes. On lui fait fête à l’hôpital auxiliaire de
cette distinction. « Les dames de la Croix-Rouge
l’ont félicité de sa distinction » écrit M. Houzet ,
le correspondant du père de Céline le 10 novembre.
Son moral reste bon, son patriotisme demeure intact,
il est prêt à retourner au front : « Je crois que 4
Divisions de Cavalerie sont parties en Egypte dont la
mienne. C’est là que j’irais peut-être les rejoindre » ;
« Enfin ceci n’est rien si le succès doit enfin nous
sourire après tant de souffrance. »
Un peu plus tard, le 24 novembre, il sera informé qu’il
est proposé pour la médaille militaire avec étoile
d'argent qui lui sera remise ensuite au Val-de-Grâce par
le maréchal Joffre en personne. Mais il est surtout
préoccupé par son opération et par son évacuation sur
Dunkerque , ce qui ne lui convient pas du tout. Le 10
novembre, à ses parents : « Tenez-moi au courant des
nouvelles, ce qu’il faut surtout éviter c’est un séjour
à Dunkerque où on est très mal. J’ai appris que l’on
était bien dans les sanatoriums du Val-de-Grâce mais ce
doit être difficile d’y
aller. »
Dans Guignol’s band I, il fantasmera sur sa
fameuse blessure : « Comment qu’à l’hôpital
d’Hazebrouck ils étaient prêts à m’amputer tellement
qu’ils me trouvaient la jambe toque… et le bras en même
temps !... C’est dire si j’étais arrangé… Ma tête en
plus… la méningite… un petit éclat dans l’oreille
gauche… »
On sait, par une lettre de son père du 5 novembre 1914,
« qu’il n’a pas voulu qu’on l’endorme et a supporté
l’extraction avec beaucoup de courage » tant il
avait peur d’être amputé.
Décembre
- Début décembre, il est transféré au Val-de-Grâce. Il
se lie d’amitié avec un voisin de chambre, Albert Milon,
blessé à la poitrine dès le début des hostilités. Il
restera un de ses plus fidèles amis. Céline lui écrira
d'Afrique et l'entraînera après-guerre dans les tournées
de la Mission Rockefeller. Ce
sera le sergent Branledore de
Voyage au bout de la
nuit.
C’est
aussi dans cet hôpital qu’il s’est fait un véritable
ami, Raoul Farcy, neveu du proxénète Cascade : « je
m’étais fait un vrai ami, salle d’hôpital d’Hazebrouck…
Salle Saint-Eustache !... exactement !... Farcy Raoul,
blessé main gauche… Farcy Raoul du 2e d’Af…
Comme moi !... même salle… deux lits plus loin !...
Salle Saint-Eustache… »
Ce personnage, accusé de mutilation volontaire à la
main, sera fusillé en poussant un dernier cri :
« Mort aux vaches ! qu’il leur a gueulé comme ça au
moment du feu. C’est tout. »
Parmi toutes les infirmières, une d’entre elles joua un
rôle particulier. François Gibault n’avait-il pas révélé
qu’elle avait eu une relation avec Céline et peut-être
même un enfant de lui…
Alice David était né en 1874 dans le milieu bourgeois
et antirépublicain d’Hazebrouck où son père était le
directeur d’un journal local qui existe toujours
L’Indicateur des Flandres. Avant-dernière d’une
famille de neuf enfants, marquée par le catholicisme,
trois filles et un garçon furent religieux, elle devint
infirmière diplômée. Elle ne se maria pas et vécu auprès
de ses parents jusqu’à leur mort. Elle
était infirmière-major, chargée des « gros blessés » et
de la formation des « non-diplômées ».
C’est donc cette femme, âgée de quarante ans, qui en
novembre 1914, s’éprit du fringuant cuirassier
Destouches, âgé de vingt ans, ce qui donna lieu, après
le départ de celui-ci pour le Val-de-Grâce, à un échange
de correspondance dont il nous reste sept lettres
d’Alice (du 29 décembre 1914 au 24 mars 1916). Quand
Alice fut malade, de juillet-août 1915 environ à
avril-mai 1916, d’après ce que l’on peut déduire des
documents que l’on possède, le bruit ne manqua pas de
courir qu’il s’agissait d’une grossesse cachée : il faut
reconnaître qu’il y a effectivement une certaine
coïncidence des dates !
- Le
27 décembre, Louis-Ferdinand est transféré dans un
hôpital situé boulevard Raspail où il refuse une
nouvelle intervention chirurgicale.
On l’adresse alors à l’hospice Paul-Brousse de
Villejuif dirigé par Gustave Roussy (le
docteur Bestombes dans Voyage).
Là, il consent enfin à se faire opérer du bras.
Son exploit fait la couverture de L'Illustré National
de décembre 1914. Par la suite, Céline reviendra constamment sur les séquelles de cette blessure, auxquelles il attribuera des maux incurables. En tout cas, le Maréchal
des Logis Destouches ne devait jamais se remettre véritablement du spectacle de cette guerre sanglante et destructrice...
1915
Janvier
- Le 19
janvier, opéré
du bras une deuxième fois.
- Le 22 janvier 1915, sortie de l’hôpital Paul
Brousse. Il bénéficie d’une convalescence de trois mois
à passer à Paris où, selon ses biographes, il parada
dans les rues de la capitale, drapé de son uniforme et
paré de sa médaille.
Février
- Admis le 22 février, à l’hôpital militaire annexe de
Vanves pour y subir un ultime traitement à l’électricité
qui se poursuivit jusqu’au 27 mars. Il se reposait alors
chez ses parents, 11 rue Marsollier.
Sa convalescence s'achevait dans la gaieté de plus en plus factice
des fêtes de la capitale - ces distractions de l'arrière
dont il donna, dans Voyage au bout de la nuit,
une image précise, avec leur mesure d'agitation lâche et
intéressée, d'ivresse morose et de sexualité exacerbée
et répétitive. Son exaltation guerrière retombait...
Mai
- 10 mai 1915, départ pour Londres affecté au consulat
de France. Il sera réformé définitivement le 2 décembre
1915. - De
mai à décembre il est employé avec Georges Geoffroy au
bureau des passeports du consulat. Celui-ci raconte
comment les maquereaux français leur venaient en aide.
Il deviendra joaillier près de la place Vendôme et
retrouvera Destouches en 1932 .
Il raconte : « C’est là, quelque temps plus tard, que je vis arriver
Louis Destouches avec sa « batterie de cuisine »
(Destouches dixit) : Médaille militaire et Croix de
guerre. […] Certains soirs, nous fréquentions le milieu,
le « milieu français » bien entendu. Ou bien Louis
m’entraînait au music-hall (la batterie de cuisine
suffisait pour entrer gratuitement), ou à des spectacles
de ballets. »
Juin
- Le 24 juin 1915, à Régineville (Meurthe-et-Moselle),
Gen Paul est blessé par balle au-dessus du genou droit.
Médaille militaire et gangrène jusqu’à la cuisse. Sa
mère accourt, implore l’amputation. Opération
rudimentaire, hospitalisation auxiliaire.
L’absence
quasi-totale de témoignages sur la période londonienne
et la possibilité de combler ce manque en s’appuyant sur
les tendances autobiographiques des romans, tels
Guignol’s band I et II, ont favorisé l’émergence
d’une conclusion d’abord avancée par François Gibault,
puis soutenue par la plupart des biographes céliniens :
puisque Destouches a passé sous silence sa vie en
Angleterre, et puisque seule l’affabulation et la
diversion romanesque lui ont permis d’évoquer cette
période, c’est sans doute qu’elle fut peu glorieuse.
Et Georges Geoffroy précise : " Nous avions l'occasion de voir - à côté
de gens bien - beaucoup d'individus bizarres et douteux
qui enchantaient Louis Destouches, lequel aimait
observer les gens, faire leur connaissance pour les
écouter parler et les étudier.
Certains soirs, nous fréquentions le milieu, le " milieu français ", bien
entendu. Notre vie était à la fois simple et
mouvementée, avec des rencontres étranges comme celle,
de Mata-Hari qui nous invitait à dîner au Savoy où elle
résidait. Nous avions des instructions de lui accorder
son visa mais, toutefois, en la faisant lanterner un
certain temps. Certains soirs nous avions de l'argent,
d'autres jours nous étions totalement fauchés ! Les
choses s'arrangeaient toujours à Soho. Les maquereaux
français et leurs protégées étaient gentils pour nous,
toujours prêts à nous offrir à dîner. "
Il faut mentionner : « D’après Charlotte Robic,
cousine germaine de Louis, son rôle dans le
contre-espionnage français n’aurait pas été limité aux
tâches administratives […] Louis serait allé en Suisse
allemande pour prendre un bain de germanisme, puis après
un court séjour dans une famille, il serait passé en
Allemagne par la Hollande avec un passeport d’une
puissance neutre comme représentant d’une fabrique de
bijouterie. » (Gibault, Céline, Délires et persécutions,
p.170).
Dans
une lettre dont le destinataire est inconnu Céline écrit : « En
Angleterre, je m’occupais de la fabrication d’ailes
d’avions. » (Ibid. p.172).
A la fin de Guignol’s band I, le
protagoniste découvre une annonce dans le Time
qui vise à embaucher de jeunes ingénieurs pour masques à
gaz. (Op. cit. p.244). Il s’agit d’essayer des
masques pour le ministère de la Guerre. Guignol’s
band II réserve une place centrale à la description
de ce nouvel emploi.
C’est
parce qu’il fut jugé apte, malgré sa blessure au bras, à
servir dans un emploi sédentaire que le maréchal des
logis Destouches fut détaché à Londres au début du mois
de mai 1915 par ordre du Grand Quartier Général. Il y
servit en qualité d’inspecteur auxiliaire au contrôle
militaire du Consulat général de France, dont les locaux
étaient situés au 51 Bedford Square. Ce nouveau poste le
destinait à des besognes strictement administratives.
Le régime des passeports entre puissances alliées
avait été renforcé en mars 1915 par des mesures
favorables au contre-espionnage qui exigeait désormais
l’établissement d’une pièce annexe au passeport,
nécessitant, outre l’inspection des papiers d’identité
du demandeur, un interrogatoire sur sa destination, les
motivations de son déplacement, l’inscription de
mentions multiples et l’apposition de photographies
récentes et timbrées. Ces tâches nouvelles, auxquelles
venaient s’ajouter des flux incessants de populations en
exil, accroissaient considérablement le travail du
Consulat. C’est donc pour faire face à ce surcroit
d’activité que des personnels civils et militaires
furent appelés en renfort avec, parmi eux, des soldats
convalescents..
1916
Janvier
A Londres, le 19 janvier, Louis Destouches épouse
Suzanne Germaine Nebout (1891-1922) sans doute une
danseuse ou entraîneuse de bar de 24 ans, connue sous le
nom de Janine Nevers. Il la quittera quelques mois plus
tard. Il en parle dans son œuvre
de façon explicite dans Féerie pour une autre fois
lorsqu'il se rappelle avoir recroisé sa sœur
: " Je les avais quittées Leicester Square...
abandonnées sa sœur et
elle... [...] C'est en plein Londres vous connaissez ?
[...] En détresse là, orphelins d'hommes... "
puis
encore " J'ai commis qu'un crime dans ma vie, un
seul, là, vrai, comment j'ai quitté mes petites belles-sœurs,
pauvres fillettes... "
Cela correspond très bien aux confidences que Lucette Almansor aurait
recueillies à leur sujet. D'après elle, Louis est un peu
amoureux des deux sœurs, qui
en effet sont entraîneuses dans des bars. Elles ont
l'argent facile et se montrent parfaitement généreuses
avec lui en proposant en particulier de lui payer ses
études lui qui songe à passer son bac et peut-être même
à la médecine.
Témoin du mariage civil, Edouard Bénédictus
(1878-1930), qui n’est pas n’importe qui : juif, artiste
peintre, chimiste, inventeur du verre Triplex, mage et
décorateur, ami de Ravel, employé au ministère de la
Guerre pour découvrir des gaz asphyxiants. Dans
Guignol's band, Benedictus apparaîtra longuement,
divisé en deux personnages, mélangé à d'autres
inspirateurs, sous le nom de Borokrom d'une part et sous
celui d'Hervé Sosthène de Rodiencourt de l'autre. Est-ce
cette rencontre qui lui donne envie de continuer à lire,
à lire sans cesse, comme il en avait pris l'habitude
durant ses petits boulots ? En tout cas, le témoignage
de son colocataire à ce sujet est éloquent : il passait
son temps libre à lire, se réveillant parfois
volontairement à 6 heures du matin pour finir un livre
commencé la veille, beaucoup de philosophes justement,
des Allemands, Nietzsche, Fichte, Schopenhauer, Hegel...
Louis Destouches omit de déclarer cette union au consulat de France. Marié
tout à fait légalement devant la loi française, il
pouvait donc être considéré comme célibataire pour la
France.
On ne sait pas très bien quelle existence Louis Destouches mena en 1916,
après avoir quitté le Deuxième Bureau et comment il
connut le neveu de Raoul Pictet qui était lui aussi un
ingénieur et un physicien. Aux uns, il parlera de
proxénétisme, aux autres, de la construction d’ailes
d’avion.
- La dernière lettre de Céline à Alice David sera
probablement de mars 1916 puisque la dernière réponse
d’Alice est du 24 mars. Le séjour au Cameroun mettra un
terme définitif à leurs relations. Toute
cette vie londonienne ne saurait durer très longtemps.
Emile Brami notera : " Son père, apprend ses
frasques, le rappelle à Paris, fait annuler son mariage
qui n'a pas été légalement enregistré au consulat de
France, lui obtient une réforme définitive. Finis la
tignasse et les cols déboutonnés de Londres, il sera
rhabiller en bourgeois, costume, gilet, cravate,
pochette blanche et guêtres. Le cheveu, soigneusement
plaqué, est redevenu court. Comme tout garçon bien né,
Louis a pu jeter sa gourme, mais il doit maintenant
redevenir sérieux, se faire une situation. "
Mars
- De retour à Paris au mois de mars 1916, Louis
Destouches va y rester deux mois avant de partir pour
l’Afrique. Il emploie cette période de transition à
chasser le gibier féminin. C’est à Londres que sa
passion de la danse et des danseuses s’est révélée.
« Louis m’entraînait au music-hall ou à des spectacles
de ballets, rappelle Georges Geoffroy. Nous connaissions
bien Alice Deylsia […] un camarade qui travaillait au
Palace nous présenta à des femmes de théâtre. Louis
raffolait des danseuses. Il avait une passion pour la
danse. »
Il s’installe au Café de la Paix, proche de l’Opéra, et il y
établit son quartier général. Les missives retrouvées
laissent imaginer le procédé : une femme d’ailleurs lui
répond : « Ayant reçue votre lettre dans laquelle
vous me dite que ca sera pour poser le demi-nu j’accèpe »
(sic).
Avec toutes, Louis recherche là comme partout
l’émotion, le choc biologique. Il ne cherche pas à
prolonger sous forme de liaison amoureuse. Au
commencement, il n’est pas sélectif, toute femme lui
semble bonne à prendre, et puis, en définitive, il
recherche ce qui représente la perfection à ses yeux, la
danseuse.
Il est grand temps pour lui de
vivre pleinement, de partir à la découverte du monde, de
cette Afrique dont il rêve et qui tiendra une si grande
place dans Voyage au bout de la nuit. Vendeur
dans une bijouterie ? Pas après le front, pas après les
bas-fonds. Et puis rester à Paris, rester en France, ou
même rester en Europe, ce serait subir le patriotisme
triomphant, les nouvelles de la guerre permanente, et le
spectacle indécent des planqués enrichis, il ne veut
plus de tout cela. " En Afrique ! que j'ai dit moi.
Plus que ce sera loin, mieux ça vaudra ! " (Voyage au
bout de la nuit).
- Par
contrat pour deux ans et demi, il
semble être engagé en mars, comme " surveillant de
plantation " par la Compagnie forestière
Sangha-Oubangui.
Son rôle est d'encadrer des équipes de travailleurs
indigènes pour exploiter les ressources du pays.
Mai - Le
10 mai 1916, un bateau anglais de la British and African
Steam Navigation Compagny, le RMS Accra, (l'Amiral
Bragueton),
leva l’ancre et quitta le port de Liverpool pour
rejoindre l’Afrique. A son bord, se trouvait un
sous-officier réformé qui avait signé, deux mois
auparavant un contrat avec la Compagnie forestière
Sangha Oubangui.
Au terme d’un voyage éprouvant qui dura près d’un mois
avec deux escales à Freetown et à Lagos,
Louis-Ferdinand Destouches débarqua à Douala au Cameroun
où il resta une quinzaine de jours.
Le voyage avait été épouvantable, grelottant de fièvre, abruti par des
doses massives de quinine, Louis fut achevé par la
chaleur et une mer démontée.
Juin
Fin juin, il rallia le poste de surveillant qui lui
avait été attribué par la Compagnie dans une plantation, Bikobimbo, qu’il quittera en septembre. C’est là qu’il
découvrit les « tourments » de la vie en Afrique : la
chaleur, les épidémies, les moustiques, les fleuves
boueux, la traîtrise supposée des indigènes, la forêt
équatoriale, ses animaux et ses bruits inquiétants…
Quant à son activité commerciale, il la décrivit en ces
termes à Simon Saintu dans une lettre du 28 juin 1916 :
« Le commerce que je fais est d’une simplicité
angélique il consiste à acheter des défenses d’éléphants
pour du tabac. »
- Entre mai 1916 et avril 1917, la correspondance
africaine (lettres à ses parents, à Simone Saintu et à
Albert Milon (le sergent Milon et le maréchal des logis
Destouches étaient voisins de lits au Val de Grâce en
1914), révèle combien l’indépendance fut importante aux
yeux de Louis. Le mot « liberté » est le plus souvent
utilisé.
Egalement une attitude sceptique et contestataire
doublée d’une critique sociale et militante qu’il
attribue au grand ébranlement survenu en août 1914 :
« Combien j’ai vu aussi de vessies dégonflées, qui
tenaient en respect quelques jours avant, des peuples de
subalternes, aussi, suis-je, maintenant avec beaucoup
d’autre rempli d’un scepticisme piteux, pour cette
cohorte de prétentieux imbéciles pour la plupart, dont
tout le talent résidait, à maintenir entre les
observateurs et eux un écran opaque, ou plutôt de
couleur favorable, à travers lequel le peuple moutonnant
contemplait son oppresseur, se révoltait parfois – mais
par la même, consacrait l’efficacité de ce mirage
trompeur. » (Lettre à Simone Saintu, 31 juillet 1916).
Quand
on essaie de deviner le tout début de son intérêt pour
la médecine on peut y déceler ces traces : il écrit le
12 octobre à Simone Saintu : « Je suis à la tête
d’une pharmacie, je soigne le plus de nègres
possible, quoique je ne sois nullement persuadé de leur
utilité »
- Libéré en juin 1916, Gen Paul hérite d’une jambe en
bois, d’une invalidité à 95% et d’une pension de
retraite de 750 francs, transformée en pension à vie en
1932. Retour à Montmartre. Morphine et absinthe. Il se
marie le 26 août avec sa marraine de guerre, une amie
d’enfance, Fernande Pierquet, âgée de 20 ans, cousette
puis vendeuse chez Worth le grand couturier.
Installation au 2 avenue Junot qu’il ne quittera plus.
La
plupart des lettres publiées sont destinées à Simone
Saintu, elles furent conservées par la sœur de cette
dernière Madeleine Saintu, selon laquelle
Louis-Ferdinand et Simone se rencontrèrent pour la
première fois en 1904, alors qu’ils étaient encore
enfants, lors d’une audition de piano.
Agé de 10 ans, le très jeune Destouches y avait
exécuté son morceau : « Une toute petite soirée. »
Les jeunes gens se retrouvèrent pendant la guerre et
continuèrent à échanger lorsque Louis-Ferdinand partit
pour Afrique. Simone joua alors comme le rôle d’une
« marraine » pour l’exilé. Sa féminité et sa jeunesse
eurent sans aucun doute un effet sur le discours du
jeune colon, et l’on devine un jeu de séduction dans
leurs échanges épistolaires. Tantôt frondeur, tantôt
aristocrate, tantôt poète, le jeune exilé cherchait
probablement à se démarquer en multipliant les masques
et en soulignant avec vigueur les aspects d’une
personnalité trop stéréotypée pour être sincère.
Hormis celles à ses parents, les autres lettres sont destinées à Albert
Milon. Le sergent Milon et le maréchal des logis
Destouches avaient été voisins de chambre au Val de
Grâce. En 1916, ils travaillèrent tous deux dans une
revue, puis, une fois Destouches revenu d’Afrique, ils
entrèrent ensemble à la Mission de la Fondation
Rockefeller contre la tuberculose. C’est dans ce cadre
qu’ils apprirent, le 11 novembre 1918, que l’armistice
mettait fin à la guerre.
Destouches, semble-t-il, jusque dans les années vingt, fut très
généreux en conseils pour Albert Milon. Soucieux de
faire réussir son ami, il l’exhorta à venir le rejoindre
au Cameroun. Plus tard, il lui conseilla de profiter des
avantages offerts aux anciens combattants pour devenir
notaire, comme lui le fit pour la médecine.
1917
Le temps passé en Afrique est
essentiel pour Louis Destouches. l'Angleterre a été une
longue convalescence qui lui a permis de s'éloigner des
horreurs de la guerre, mais c'est en Afrique qu'il se
construit.
C'est là qu'il répudie vraiment son enfance et les croyances de sa
jeunesse, là aussi qu'il aborde pour la première fois
les deux activités qui seront désormais au cœur
de sa vie, en se livrant à ses premiers essais
littéraires et en réalisant ses premières expériences
d'ordre médical.
Mars
Une dernière lettre datée du 6 janvier 1917, adressée à ses parents et
émanant à nouveau de l'un des directeurs de la Compagnie
forestière Sangha-Oubangui, nous apprend qu'il est bien
noté et promis à un brillant avenir. Il est devenu
gérant de plantation et ne songe sans doute pas à
quitter le Cameroun si rapidement, quand des raisons de
santé l'obligent à solliciter un rapatriement, qui lui
est accordé le 10 mars 1917.
Il souffre essentiellement de
dysenterie, et son état justifie une hospitalisation
d'urgence à Douala. Une " entérite chronique ayant
retenti sur l'état général. "
- Louis
revient à Douala (Fort
Gono du Voyage),
en mars, après avoir rompu son contrat, pour y
être hospitalisé à la suite de crises de dysenterie.
Avril
- Le 2 avril, évacuation immédiate.
- Le 30, lors de son retour en Europe, il compose à bord du RMS Le Tarquah,
entre Douala et Liverpool, une nouvelle sans grand
intérêt intitulée Des vagues, relation d’une
conversation dans le salon d’un paquebot où se trouvent
réunis, au moment de la rupture des relations
diplomatiques entre les Etats-Unis et l’Allemagne,
différentes personnalités très typées.
Mai
- Le 1er
mai 1917, Louis Destouches regagne l’Angleterre, et l’on
ne sait s’il reste un mois ou quatre à Londres. François
Gibault situe son retour à Paris en septembre. Il
bénéficie d'une petite autonomie financière, encore
étourdi et même halluciné par tout ce qu'il avait subi
depuis quelques années. Il ne songea pas un instant à
retourner chez Lacloche et y faire carrière. Il avait
goûté à une " absolue liberté ", il se voyait mal sous
les traits d'un vendeur de bijouterie dans le monde
étriqué de la petite bourgeoisie commerçante.
C'est probablement par le biais
d'Edouard Benedictus, le témoin de son mariage éclair à
Londres, que Louis entend parler de la maison d'édition
La Sirène. Fondée en mars de la même année par
Paul Laffitte, cette maison s'est donné comme ligne de
rééditer des œuvres
oubliées. Il y est rapidement embauché comme homme à
tout faire, " employé, livreur, secrétaire ", dira-t-il
lui-même. L'occasion pour le jeune homme de faire des
rencontres. Celles d'Abel Gance le cinéaste (il dira
avoir été son " grouillot "); du Dr Joseph-Charles
Mardrus, auteur d'un Ali Baba, d'une Reine de
Saba et d'une nouvelle traduction des Mille et
Une Nuits ; de Madame Fraya, la voyante la plus
renommée du moment, écoutée jusque dans le ministère de
la Guerre ; ou encore du " Docteur " Vaschid qui a
publié en 1909 un essai sur... la psychologie de la main
! Une faune d'excentriques dont la figure marquante sera
Henri de Graffigny.
Juin
- En juin l’éditeur lance le journal Euréka, « revue des Inventions
dans leurs rapports avec l’Industrie »,
et le nom de Benedictus figure dans le premier numéro.
Le nom d’Henry de Graffigny
apparaît sur les couvertures d’Euréka en novembre
1917 avec le titre de « secrétaire général ».
- A la fin de l’année, Louis Destouches rencontre pour la première fois
Raoul-Henri-Clément-Auguste-Antoine Marquis, alias Henri
de Graffigny (de son vrai nom Léon Charles Punais).
Raoul Marquis travaillait alors dans les bureaux de la
revue de vulgarisation scientifique Eurêka,
située rue Favart, près du passage Choiseul. Il est
difficile de savoir quelles fonctions exactes Louis a
rempli auprès de Marquis – les affirmations de
l’écrivain variant selon les entretiens. Henri Mahé
assurait que Louis Destouches fut le secrétaire de Raoul
Marquis et qu’il collabora à la rédaction de la revue.
-De novembre 1917 à février 1918, il va travailler pour
Euréka cette revue scientifique où il côtoie Abel
Gance ou Blaise Cendrars.
Mythomane invétéré, une
sorte d’imposteur que les scrupules n’étouffaient pas.
Il savait faire feu de tout bois et il est indéniable
que Céline avait de l’admiration pour un tel hurluberlu.
Avant de le prendre pour modèle pour Courtial des Péreires, il l’avait
regardé et écouté attentivement. Il partagea des mois
durant son existence, subit son autorité un peu comme
celle d’un père tout en préservant, comme il a toujours
fait, son indépendance et sa liberté.
" Des hommes comme Roger-Marin Courtial des Pereires, on en rencontre
pas des bottes... J'étais encore, je l'avoue, bien trop
jeune à cette époque-là pour l'apprécier comme il
fallait. C'est au Génitron, le périodique favori
(vingt-cinq pages) des petits inventeurs artisans de la
région parisienne, que mon oncle Edouard eut la bonne
fortune de faire un jour sa connaissance... Courtial des
Pereires, secrétaire, précurseur, propriétaire,
animateur du Génitron, avait toujours réponse à
tout et jamais embarrassé, atermoyeur ou déconfit !...
Son aplomb, sa compétence absolue, son irrésistible
optimisme le rendaient invulnérable aux pires assauts
des pires conneries...
[...] Il avait en somme en cours de carrière expliqué à peu près tout...
Les plus hautaines, les plus complexes théories, les
pires imaginations de la physique, chimie, des " radio-polarites
" naissantes... La photographie sidérale... Tout y avait
passé peu ou prou à force d'en écrire... "
La revue Eurêka
lui paraît-elle par trop farfelue ? Ou bien les gens
qui tournent autour ? Pressent-il sa disparition
prochaine ? Son ambition l'emmène ailleurs que d'être
garçon à tout faire. Il a déjà arpenté Paris en long et
en large à 15 ans, il n'a pas envie de faire cela toute
sa vie. A l'affût de toute occasion, celle-ci se
présente sous la forme d'un petit papier reçu par le
directeur de la revue par lequel la fondation
Rockefeller informe rechercher des conférenciers pour
une campagne d'information contre la tuberculose en
Bretagne, sur lequel Louis tombe par hasard.
Tout l'attire donc
: la Bretagne de ses ancêtres, le salaire, s'éloigner de
Paris et de l'appartement parental, être employé par des
Américains et porter un uniforme proche des soldats
américains... Un peu tout ça mais surtout la perspective
de travailler dans le domaine de la santé. Il a
découvert le plaisir de soigner en Afrique, cette envie
le tient. Conférencier hygiéniste, c'est loin d'être
médecin mais ce pourrait être une étape. Sa maîtrise de
l'anglais, sa réactivité et peut-être son goût pour les
sciences, sans parler de son passé récent de héros de
guerre militent dans son sens.
1918
Mars
- Le
10 Mars, grâce à l'appui du professeur Gunn, Louis Destouches et Raoul Marquis sont
embauchés par la fondation Rockefeller comme
conférenciers et partent pour la Bretagne. Destouches
engagé comme conférencier et interprète et Henry de
Graffigny comme " mécanicien et marionnettiste ". Ce
dernier enseigna l'hygiène aux enfants avec son "
guignol prophylactique ". Quant à Louis, nous dit
François Gibault, son rôle " consistait à faire deux
types de conférences, les unes destinées aux enfants des
écoles, qui n'étaient que de brèves causeries d'une
vingtaine de minutes avec distribution de brochures et
de cartes postales. Peut-être entonnait-il aussi
quelques chansons comme celles-ci : " J'ai du bon
soleil dans ma chambrette... sur l'air de : J'ai
du bon tabac... Les autres conférences étaient
faites le soir à des adultes, toujours des discours
types de trois quarts d'heure environ. "
A Claude Bonnefoy, Céline donna
d'autres précisions : " On faisait des conférences
dans les écoles sur la tuberculose. On en faisait
jusqu'à cinq ou six par jour. Les paysans à qui on
s'adressait et qui parlaient surtout patois ne
comprenaient pas toujours nos explications... Ils
écoutaient sagement, sans rien dire... Ils regardaient
surtout les films... Très instructifs, les films... On
voyait des mouches se promener sur le lait... La
pellicule cassait toutes les cinq minutes, ou sautait.
Ca ne faisait rien... On réparait... "
Louis y
rencontre le docteur Follet Athanase ainsi que sa fille
dont il tombe amoureux.
Au service des instructeurs américains ils sont presque
une dizaine qui se déplacent en camions bâchés à travers
la Bretagne. Ils combattent les ravages de la
tuberculose, cette maladie contagieuse par la toux et le
crachat qui s’en prend aux faibles. Il faut prévenir les
enfants et convaincre les parents des bienfaits de
l’hygiène contre le terrible bacille de Koch qui
s’attaque à leurs poumons. Inciter la population à se
laver les mains dans un pays qui n’en a pas tellement
l’habitude.
Il est superbe, Destouches, dans son uniforme quasiment
militaire, avec vareuses à larges poches, baudrier
viril, casquette de cop californien ! Superbe et tout
heureux car il sort de la forêt africaine, de la
touffeur camerounaise qui l’écrasait, lui qui n’a jamais
supporté la canicule.
Dans cette grande salle des fêtes de l’Ecole de médecine de Rennes
où la mission américaine du professeur Selskar Gunn
reçoit les applaudissements de tous les notables de la
ville, une jeune fille à l’allure de gamine délurée, à
l’œil de feu, aux lèvres ourlées et sensuelles se moque
des discours. C’est la fille du docteur Follet, Edith.
Elle n’a pas dix-neuf ans. Louis l’a déjà remarquée. Il
y a foule à table, Edith vient se placer audacieusement
à côté de lui. Elle sent, toute excitée, l’odeur virile
de l’uniforme, la jeune fille va coller sa jambe contre
celle de son voisin. Elle s’en excuse à peine, fascinée
par son talent de conteur. Le Dr Follet a repéré le
manège, il connaît un peu ce conférencier hâbleur qui
lui ressemble.
Farfelu et ambitieux, héros de cette guerre
interminable. Il sait aussi que son oncle, le professeur
Georges Destouches, est secrétaire général de la Faculté
de médecine de Paris qui supervise administrativement
l’Ecole de médecine de Rennes. Ça peut toujours servir,
même s’il est déjà galonné.
Quelques semaines plus tard, devant les tourtereaux, Athanase
Follet lui fait une promesse. Le beau jeune homme pourra
devenir son gendre à la condition qu’il passe son bac et
entame des études de médecine.
La guerre est finie. Aux survivants de l’hécatombe, aux jeunes
rescapés du massacre, Raymond Poincaré est obligé de
faire une faveur. Ce n’est pas une récompense mais une
nécessité, puisque la France manque de bras. Sur les
huit millions de morts au total, le pays recense un
million et demi de victimes. Il faut les remplacer. Le
gouvernement ordonne un raccourcissement des études pour
ceux qui ont combattu, des facilités de notations,
d’avancement. Ainsi à vingt-cinq ans, Louis Destouches
passera son bac à Bordeaux.
Avril
- En
vacances à Retiers au mois d’avril 1918, Henri Mahé
écoute le discours d’un hygiéniste de la mission
Rockefeller. Il se nomme Louis Destouches.
Novembre
- Le 11 novembre, jour de l'armistice la
mission se trouve à Dinan. Elle y partage la liesse de
la population.
Décembre
- Le 3 décembre, Louis donne sa dernière conférence de
l'année à Lamballe. La mission partit ensuite pour le
Morbihan et la Loire-Inférieure, mais Louis préféra
retourner à Rennes. Il était devenu ambitieux, avide
d'instruction sinon de diplômes, Louis Destouches
quitte la Fondation Rockefeller et prépare son bac.
1919
Janvier
- Le
dernier numéro d’Euréka sort en janvier. Louis
Destouches prépare le baccalauréat, diplôme qu’il
situera toujours avant la guerre… le rapprocher de son
mariage avec Edith Follet lui paraissait une faiblesse
de sa biographie.
Avril
- Le 2 avril, il passe la première partie du bac à
Bordeaux. En application d'un décret limitant l'examen
aux seules épreuves orales pour les anciens combattants
(latin-langues, mention bien).
Juillet
- Le 2 juillet, il passe la deuxième partie du bac à
Bordeaux. (Philosophie, mention bien).
- Le 15 juillet 1919, en se recommandant de la revue
Fantasio, Louis Destouches écrit à Gaston Picard
pour obtenir l’adresse de Chana Orloff à laquelle il
aimerait acheter des statuettes. Chana Orloff est encore
peu connue à l’époque. Née en Ukraine en 1888, fuyant
les pogroms russes de 1905, après séjour en Palestine,
elle arrive à Paris en 1911, s’installe à la Ruche,
fréquente Modigliani, Soutine, Pascin, Kisling, Zadkine,
Chagall et Picasso, expose deux bustes en bois au Salon
de 1913 et tout en sculptant maternités, femmes et
enfants, animaux, elle deviendra en 1924 la portraitiste
attitrée de l’élite parisienne.
Chana Orloff crut à une
blague et ne donna pas suite à la demande. L’étudiant en
médecine avait pourtant eu du flair. En 1937, une salle
du Petit Palais sera réservée à Chana Orloff, et à
Tel-Aviv, un musée lui sera consacré à sa mort.
Août
- Epouse Edith Follet le 19 août 1919 à Quintin, dans
les Côtes-du-Nord. Le couple s'installe 6 quai
Richemont, à Rennes, dans le même immeuble que les
Follet. Sa belle-mère, Marie Follet lui offre un tableau
de Degas en
cadeau de mariage. Le couple Follet s'engageait par
contrat à verser une pension aux nouveaux
mariés durant toute la durée des études de Louis.
Ses beaux-parents réservèrent au
jeune ménage une chambre et un salon au rez-de-chaussée
de l'immeuble qu'ils occupaient. Louis et Edith
prenaient tous leurs repas chez les Follet, à l'étage
supérieur, et ceux-ci se gardaient de trop empiéter sur
l'indépendance du couple. Il entreprend des études de médecine
tambour battant.
Novembre
- En novembre, s’inscrit à la Faculté des Sciences de
Rennes pour préparer le certificat d’études physiques,
chimiques et naturelles.
1920
Mars
- Il
travaille énormément, il investit la bibliothèque, la
transforme en cabinet de travail, s'y enferme, voit peu
sa femme et encore moins sa belle-famille. Ses études
l'accaparent.
- Le 26, il obtient le PCN, un
certificat d’études en sciences physiques, chimiques et
naturelles, qui l'autorise à s'inscrire en médecine.
Quatre jours plus tard le dossier d'inscription est
rempli, rendu, validé.
Juin
- Le 15 juin, naissance de sa fille
unique Colette. Il ne désirait pas d'enfant. Son
pessimisme ne s'accordait pas à cette marque de
confiance et de foi dans la vie. Mais son épouse s'en
félicitait.
Durant l'été 1920, Louis travailla
à Roscoff au laboratoire de zoologie marine. Il y donna
une communication sur les Convoluta et l'année
suivante, sur les Galleria Mellonella.
Se contenta-t-il jusqu'aux années 1922 de passer sans encombre ses examens
et de demeurer auprès de sa femme ? Il semble que ces
années d'études furent aussi pour lui des années
d'intenses lectures. Rabelais, Dickens, Tallemant des
Réaux, Remy de Gourmont... Des années où il se ménagea
de vastes espaces de solitude : promenades en forêt,
équitation... Des années de dissipation, peut-être, si
l'on en croit Marcel Brochard.
" Anarchiste déjà tu étais, Louis. Brutal aux aspects puérils,
révolutionnaires, égalitaires, oui ! Ton entrée dans un
salon rennais faisait sensation. Le chapeau genre
cow-boy sur l'oreille, tu disais salut à la ronde, et
une fois assis on ne voyait que tes gros souliers.
L'homme aux gros souliers, disait ma petite Jacqueline
tout enfant !
Quelle instabilité ! A peine entré dans un cinéma, dans un café, que
sorti ! A peine tenant une fille qu'il en fallait une
autre, et souvent sans y toucher. A peine écrite une
demi-page ? le style, le destinataire et l'idée
changeaient, mêlant le meilleur et le pire. "
1922
Novembre
Louis Destouches a
passé, en deux ans et demi, l'équivalent des quatre
premières années du cycle normal. Avant d'avoir terminé
son dernier examen de médecine à Rennes, il vient faire,
en novembre,
un stage à la maternité Tarnier à Paris dans le service
du professeur Brindeau.
Reçu à tous les examens que
l'Ecole de médecine de Rennes est habilitée à délivrer,
il obtient l'autorisation de s'inscrire à la Faculté de
Paris.
1923
Janvier
- Janvier, 2ième stage
obstétrical à l’hôpital Cochin à Paris. (Professeur
Delbet).
- Fernand Destouches, le père, est nommé
sous-chef de bureau de la Cie d’assurances
Le
Phénix.
Juin-Août
- Remplacement du Dr Porée à Rennes. Fin juin, il a passé
à Paris ses deux dernières cliniques (externe et
obstétricale).
Août-Octobre
- Le Dr Destouches débute à Rennes en remplacement
du Dr Follet, son beau-père.
Avec son père à cheval.
Novembre
-
En novembre, il a fréquenté l'Institut Pasteur, le
laboratoire de Félix Mesnil et rencontré le Dr Serge Metalnikov (Parapine de
Voyage).
Edith et Louis
emménagent en meublé à Paris en novembre 1923.
Et vient le temps de la rédaction de sa thèse de médecine consacrée à la
vie et l'œuvre du médecin
hongrois Philippe Ignace Semmelweis. Le professeur
Brindeau et son beau-père lui avaient conseillé ce
sujet. Un sujet parfaitement accordé à son tempérament
et à ses rêves qui constitua donc aussi la matière de sa
première œuvre vraiment
personnelle.
1924
Janvier
- Nouveau remplacement du Dr Porée à Rennes.
Avril
- Le 4 avril, il dépose à la faculté
les 500 exemplaires réglementaires de sa thèse de
médecine.
Mai
- Le 1er
mai, devant un jury où se tiennent les professeurs
Follet, Gunn, et Brindeau, il soutient sa thèse de
médecine sur la vie et l'œuvre
de Philippe Ignace Semmelweis (1818-1865), précurseur
hongrois dans la lutte contre l'infection puerpérale.
- La recherche médicale ne cessait de
l'intéresser. Allait-il entrer à L'Institut Pasteur ?
Sans doute l'aurait-il fait si un stage rapide accompli
en novembre 1923 n'avait achevé de le dégoûter de cette
morne entreprise bureaucratique qu'il peignit, dans le
Voyage, sous le nom d'Institut Bioduret Joseph.
Les professeurs Emile Roux et Serge Metalnikov qu'il y
avait rencontrés se reconnurent plus tard dans ce roman
sous les traits de Jaunisset et de Parapine.
Pouvait-il rêver mieux qu'un poste à la Société des nations à Genève avec
ses promesses de nombreuses missions ?
Juin
- Grâce à l'appui de Selskar Gunn, de la Fondation Rockefeller, il rencontre
le Dr Ludwig Rajchmann (Yudenzweck dans L'Eglise et
Yubelblat dans Bagatelles pour un massacre) et
obtient d'être détaché comme hygiéniste à la Société des
Nations.
- Le
21, il quitte Rennes. Son contrat courant jusqu'à
la fin de 1927. Il est prévu que sa femme et Colette
viennent le rejoindre en Suisse, le temps qu'il organise
leur installation.
- Le 26, nommé pour trois ans, il s'installe à Genève à
l'hôtel " La Résidence ", 9-11 route de
Florissant et y vit séparé de sa femme,
qui devait venir le rejoindre. Plus jamais ils ne
vivront ensemble.
- Fin
juin : La Presse Médicale publie " Les derniers jours
de Semmelweis ", un résumé de sa thèse.
Août
- Le 10 août 1924, le docteur Louis Destouches signe son
contrat pour être nommé au poste de « responsable des
échanges de médecins spécialistes. » Nomination
pour une durée de trois ans avec une fin de contrat au
31 décembre 1927.
Sous l’égide de cette organisation internationale, il
se verra confier la direction d’une délégation de
médecins sud-américains qui va l’emmener à traverser
l’Amérique du Nord. De Cuba en Louisiane, de New York à
Montréal, les quatre mois de voyage à un rythme
soutenu.
Objectif du voyage : la création d’un réseau mondial
d’échanges visant à l’amélioration du niveau de santé
publique.
- De novembre 1924 à janvier 1925, première mission de
Destouches au Pays-Bas et à Paris. Il visite à La Haye
un musée présentant des dispositifs de protection des
machines pour éviter les accidents corporels des
ouvriers.
Décembre
- Entre le 24 et le
30, Louis reçoit Edith et Colette... Colette
apprend à dessiner avec un Chinois, Edith se sent de
trop dans le tourbillon.
1925
Février
Mission
médicale aux Etats-Unis et en Europe pour le compte de
la Société des Nations.
- Le 14 février 1925, il s’embarque sur le Minetonka
II, cargo de commerce de l' "Atlantic Transport Line ",
pour l’Amérique. Son vieux rêve se réalise. Voir
en vrai ce fameux nouveau monde vu au cinéma. Destouches
est chargé d'accompagner et de diriger jusqu'au 8 août
une mission médicale composée de dix membres
sud-américains en Amérique du Nord et en Europe.
Il débarque à New York,
la " ville debout " le 22 février et descend à
l'Hôtel McAlpin. Cet hôtel, à l'angle de Broadway et de
la 34th Street, ne fait pas que dominer le métro aérien
évoqué dans Voyage... C'est le plus grand hôtel
du monde. Il a vingt-cinq étages, couleur brique, avec
un hall d'entrée de style Renaissance italienne et des
tapisseries racontant l'histoire maritime de la ville.
Il peut accueillir 2 500 personnes, est équipé de 1 800
téléphones, d'un petit hôpital et d'une piscine.
- Le 24, Destouches écrit à Rajchman : " Mon
cher Directeur, Nous sommes arrivés
après toutes sortes de délais et de contre-marches,
brouillard, mauvais temps, etc… J'irai voir
les Rockefeller demain. Tout ce
que je vois ne ressemble à rien, c’est insensé comme la
guerre »
Mars
- 2 au 9 mars 1925 : Cuba.
Le passage à La Havane a pour but essentiel de
rassembler le groupe de médecins latino-américains.
Avant l’arrivée de tous les participants Destouches est
accueilli à la Direction de la Sanidad « grand et
magnifique palais », un ministère qui « possède
par ailleurs des moyens financiers qui surpassent ce
qu’on pourrait imaginer quand on a vécu en Europe ».
La qualité des infrastructures médicales et le
faste de la ville frappe le médecin dès son arrivée : « L’or
en effet ruisselle à Cuba. […] J’ai visité un hôpital
Mercedes où sont réunis pour le bien de 200 malades à
peine tout ce que la science moderne peut offrir de plus
coûteux y compris 500 milligrammes de radium. L’aspect
de la ville et de ses environs a quelque chose
d’invraisemblable par le luxe et la beauté réelle de
l’ensemble » mais il remarquera tout de même
quelques jours plus tard que « les prix de toutes
choses sont terrifiants et notera « aucune
réception officielle, aucune auto, rien. L’accueil
charmant mais réservé. »
Tous les médecins étant réunis, le départ de La
Havane pour les Etats-Unis est prévu le 7 mars.
- 10 au 21 mars 1925 : Louisiane.
Il séjourne à La Nouvelle-Orléans et parcourt pendant
une dizaine de jours la Louisiane en auto, visitant
plusieurs villes et villages (New Iberia, Crowley,
Alexandrie, Lake Charles, Monroe, Shreveport,
Bâton-Rouge, Houma), se mettant au courant des
conditions agricoles, industrielles et sociales dans les
Etats du Sud. La Nouvelle Orléans aura droit à un
jugement sévère : « ville infiniment sale et ce
quartier français le plus malpropre d’entre tous ».
Un accident, conséquence peut-être du rythme « frénétique »
des visites en Louisiane est intervenu le 16 mars entre
Lake Charles et Shreveport : « la première de nos
trois voitures où nous étions Dr Rowling conducteur,
Alavarez, Gubetich et moi-même au passage d’un pont trop
étroit a renversé une Ford dans une petite rivière… »
- Le 16 mars, publication dans Candide,
hebdomadaire de droite, d’une postface à Voyage au
bout de la nuit : « Qu’on s’explique. »
Mars-Avril
- 22
mars au 3 avril : Mississipi et Alabama.
Arrivée à Jackson dans l’Etat du Mississipi le 22 mars.
Reçus à déjeuner par le Gouverneur, suivra une série de
conférences, la visite
d’un asile d’aliénés, de cliniques, d’hôpitaux et de
laboratoires.
- 6 au
11 avril : Washington.
Après une rencontre à New York avec les responsables de
la Fondation Rockefeller, la délégation est à Washington
pour le point
culminant de cette tournée américaine : une rencontre à
la Maison-Blanche avec le Président des Etats-Unis,
Calvin Coolidge, fraîchement élu,
« puritain du
Massachusets que les américains appelaient « Silent
Cal » et dont le faciès dénué d’expression était d’une
tristesse comparable à celle du masque de Buster
Keaton ».
- 18
au 28 avril : New York.
Le marathon continue : des écoles, trois abattoirs, un
égout collecteur, plusieurs administrations, des
cliniques, une station
de quarantaine. Le 27, c’est Ellis Island et son service
d’inspection des immigrants qui est visité. Un passage
en restera dans les souvenirs du futur Céline, source
d’inspiration d’une scène de Voyage au bout de la
nuit.
Mai
- 5 au
8 mai : Détroit et Pittsburgh.
De cette visite sortiront les principaux enseignements
que retiendra Céline de son voyage américain et qu’il
regroupera dans deux rapports : « Note sur
l’organisation des usines Ford à Detroit » et « Notes
sur le service sanitaire de la compagnie Westinghouse de
Pittsburgh ».
Il écrira : « Nous
sommes venus à Detroit avec l’intention de savoir si
l’hygiène appliquée à l’industrie augmentait le
rendement de cette industrie, la chose nous est apparue
prouvée par l’expérience de la maison Westinghouse à
Pittsburg ; mais chez Westinghouse les produits
fabriqués sont divers encore, la standardisation n’est
pas encore possible, l’ouvrier garde sa valeur
d’ouvrier. […] Chez Ford la santé de l’ouvrier est sans
importance, c’est la machine qui lui fait la charité
d’avoir encore besoin de lui, les facteurs sont
inversés. »
Chaîne d'assemblage usines Ford 1914
- 10
au 21 mai : Le Canada.
Niagara est la dernière étape américaine avant l’arrivée
en terre canadienne le 10 mai. A Toronto, Ottawa,
Montréal, Trois-Rivières, Grand’Mère et Québec,
conférences, banquets et visites rythment le séjour. La
presse locale fera largement échos au passage de la
délégation internationale à la Faculté de Médecine de
Montréal, aux visites de la laiterie de Joubert pour
assister à la pasteurisation, au
musée, à l’hôpital Notre-Dame, ou au dispensaire anti
tuberculeux de Trois- Rivières.
- Le
22 mai 1925, départ pour l’Angleterre sur Le Mont
Royal qui accostera à Liverpool le matin du 30 mai.
Juin
-
Juin : publication de La
quinine en thérapeutique
chez Douin
à son compte.
Juin-Août
- Belgique, Hollande, Suisse (Genève, Bâle,
Berne), Paris, Lyon, Lille, Italie (Rome, Ferrare,
Turin).
- Du 18 juillet au 8 août 1925, les travaux du groupe
sud-américain sous la houlette du Dr Destouches se
poursuivent en Italie, au titre de la S.D.N., mission
médicale en Italie. Elle fut officiellement reçue par
Mussolini le 3 août (voir photographie dans Gibault,
Céline 2).
Août-Décembre
- Genève, avec
des voyages à Paris, La Haye et Bruxelles.
- Décembre : il emménage à Champel (Genève), chemin de Miremont, où une amie de
Rennes, Germaine Constant, séjourne quelque temps avec
lui.


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