BLONDIN SA VISION
ENCRES VAGABONDES (Claude Chanaud)
Né à Paris en 1922, le collégien
Blondin Antoine, mauvais sujet du lycée Louis-le-Grand,
fut excellent en classe de philosophie et devint dans la
foulée un brillant lauréat du Concours Général.
Cependant, il ne fit pas carrière dans les collèges de
la République, ce terrain habituel aux gens pourvus
d'une licence es lettres. Bien au contraire.
D'abord, il fut expédié en Allemagne en
1942 où, travailleur non volontaire, il vécut fort
malheureux jusqu'à la libération, puis il revint à
Paris, non pour se consacrer à un parcours classique de
professeur mais aux seules fins de pratiquer l'école
buissonnière. A la façon d'un des beaux-arts !
Quand il fut publié pour la première fois aux éditions de La Table Ronde (L'Europe
buissonnière, prix des Deux Magots en 1949), il
connut très vite la notoriété. Pourtant, il affichait
des idées à contre courant des tendances lourdes de cet
après-guerre. Dans les faits, non seulement il apportait
la nécessaire insolence du renouveau littéraire mais de
plus, politiquement, il poussait le bouchon à l'extrême
limite du jeu en laudateur inutile de Robert Brasillach
et contempteur assez systématique du Général de Gaulle.
Ses convictions de jeune homme, situées à la droite de
la droite, l'avaient poussé à réagir vis-à-vis d'une
littérature engagée dans la mode stalinienne de
l'époque, mais son goût naturel pour la " provoc " y
trouvait indubitablement son compte.
Dans ce contexte, il rencontra des copains de route talentueux : Roger
Nimier, Jacques Laurent, Michel Déon et quelques autres
qui contestaient les engagements politiques de Louis
Aragon et la philosophie de Jean-Paul Sartre. En 1953,
Bernard Frank les baptisera les Hussards.
" Ils nous font passer pour des écrivains de droite pour faire croire
qu'il existe des écrivains de gauche " ironisera
Blondin.
Evidemment c'était faux, évidemment
c'était polémique mais, tout en ne trompant personne,
que la formule était drôle ! Quelques années plus tard
goût du paradoxe ou changement de cap... Antoine Blondin
se liera d'amitié avec François Mitterrand qu'il
accompagnera dans des meetings politiques et pour lequel
il votera à plusieurs reprises. Il n'est pas pour autant
installé à gauche car il ne fait que passer. Il est
ailleurs et il y restera.
Conséquence qui va de soi, en le lisant
attentivement, on ne succombe pas à une quelconque
fascination concernant sa conception des affaires
publiques mais on observe en permanence le refus des
idéologies.
Ensuite et surtout, on est séduit par
l'homme de plume. Débarrassé de ses prises de position
politique, l'essentiel apparaît : ses textes, originaux
sur le fond et à la fois sobres et brillants dans la
forme, sont marqués du classicisme le plus exemplaire. A
la fin des années quarante, un nouveau style vient donc
d'apparaître, clair, concis, limpide et d'une grande
élégance que la métaphore poétique, le pastiche, les
jeux de mots et les citations littéraires truffent tour
à tour de manière juvénile et primesautière.
Enfin, si effectivement l'œuvre ne se
démode pas, elle ne doit rien à la quantité montrée du
doigt par certains et plaisantée par lui dans
Monsieur Jadis : " Je suis resté mince, mon œuvre
aussi ". Dans l'ensemble, elle reflète une tristesse
allègre dans une tradition de causticité et reste -
désespérée mais gaie - un décapant efficace pour les
idées reçues et les lieux communs. De plus, sa
conjonction avec le clin d'œil intertextuel et le
raccourci sulfureux échappe à toutes tentatives de
récupération par une quelconque école si ce n'est pour
une anthologie de l'humour.
" Après la seconde guerre
mondiale, les trains recommencèrent à rouler. J'en
profitais pour quitter ma femme et mes enfants. "
Cependant la chute des masques et le
décarpillage des hypocrisies ne furent pas ses uniques
motivations car il sut aussi s'attendrir sur les pauvres
gens et les asociaux. La solitude et la misère qui
accompagnent et scandent la vie des défavorisés le
rendent attentif et définitivement pessimiste. "
L'indifférence, l'hôtel, la prison... voilà les cases de
notre jeu de l'oie. " D'évidence, voilà une facette
compassionnelle qui est sans doute la moins connue de
l'écrivain. On ne peut la passer sous silence.
Ce caractère exigeant avait des choix pudiques et cette vertu le
rapprochait de Marcel Aymé pour lequel il avait une
véritable vénération. Sans compter que l'œuvre de ce
dernier partagea avec celle de Blondin la convergence
infiniment rare du merveilleux avec la quotidien.
Il ne faut pas oublier pour autant ses autres amis qui se répartissaient
très largement dans l'éventail des idées et dont
certains, à l'occasion, partageaient ses neuvaines
bretonnes. Des journalistes du Canard Enchaîné à
ceux de l'Equipe, de Colette à Kléber Haedens,
d'Albert Vidalie à Paul Guimard et de René Fallet
jusqu'à Louis-Ferdinand Céline. Comme eux, il n'hésitait
pas à vitupérer les tartufes et comme eux il puisait ses
héros dans le petit peuple, cette autre façon de
compatir à la vie des obscurs. C'est ainsi qu'il faisait
vivre des destins ordinaires qui donnaient une auréole
au quotidien avec la grâce des cœurs purs. Benoît
Laborie dans L'humeur vagabonde, Perrin,
professeur d'Histoire dans Les enfants du Bon Dieu
et Superniel de L'Europe buissonnière en sont
l'illustration exemplaire. Mais Antoine Blondin qui,
l'alcool en plus, peut se reconnaître chez les trois
précédents, passa aussi facilement à l'épopée avec
d'autres héros générateurs de feux d'artifice : les
poètes, les sportifs et les cinéastes.
Les premiers - même s'il n'a pas écrit de
poésie - il les pratique comme des voisins de palier.
Ils ont en commun la passerelle des mots qui subliment.
Et les sportifs, il les aime, surtout quand ils se
dépassent dans des épopées méritant d'être chantées par
les précédents. Mieux, il les accompagne au cours de
vingt-huit Tours de France et de très nombreuses
manifestations dont cinq Jeux Olympiques. Ses articles
les concernant sont marqués de ses jeux de mots et de sa
culture littéraire qui est vaste. D'essence homérique au
col du Galibier, ils ont des accents shakespeariens
après certains matchs du quinze de France et frôlent le
dithyrambe lorsqu'il partage la troisième mi-temps des
vainqueurs.
Et voilà des millions de lecteurs
pour des milliers d'articles qui paraîtront un peu
partout - revues, hebdo et quotidiens de tous bords - y
compris le journal l'Humanité. Parfaitement
documentés sur les performances - voire les prouesses -
de ses contemporains, ces textes tiendront les
spécialistes et les véritables sportifs en haleine
durant plus de deux décennies. Mais les aficionados de
comptoir ne s'abstiendront pas non plus de goûter les
odyssées vélocipédiques à la manière d'Antoine et de
colporter son dernier calembour.
Quand il écrit pour la grande presse il
fait encore de la littérature. Ce qui fit dire à
l'essayiste Alain Cresciucci (Antoine Blondin,
écrivain, Bibliothèque contemporaine, Klincksieck) :
" Blondin transforme en genre majeur ce qui,
d'ordinaire, n'excède pas l'habileté du bien dire. "
Rien d'étonnant après cela que l'écrivain canalise
l'hommage des critiques les plus éminents, la fidélité
des lecteurs les plus divers et l'attention de
distingués académiciens dont certains pensèrent à lui
pour un de leurs confortables fauteuils du Quai Conti et
un habit vert. Mais loin de ces préoccupations et de ces
éloges, notre homme, en pull-over et sans cravate,
restait arrimé au bar de ses bistrots préférés.
En permanence dans sa vie, il y avait ses copains de frairie et dans sa
pensée, Marcel Proust, Céline et Marcel Aymé, qu'il
plaçait au top de la littérature. S'ajoutent à ce beau
monde quelques auteurs de chevet tels que Stendhal,
François Villon, Voltaire et Jules Renard, Arthur
Rimbaud et Verlaine ainsi que son ami et complice Roger
Nimier.
Ces maîtres es-écriture accompagnèrent ce bègue surdoué,
lequel parlait mieux quand il avait bu et lisait
facilement un livre par jour. S'il trouvait au fond des
verres de quoi repousser ses fantômes, il est clair que
l'alcool n'apporta rien de plus à son talent. Car, sans
ce dernier, Antoine Blondin n'aurait eu que des gueules
de bois mais pas d'éditeurs.
En fait, il buvait comme le Brûlebois de Marcel
Aymé que la fréquentation des mastroquets du coin mène
euphoriquement dans un ailleurs de transcendance, comme
Fouquet et Quentin les deux héros de la picaresque
aventure Un singe en hiver où l'amitié se décline
au présent des boissons fortes. D'ailleurs dans ce
roman, on peut parier que les deux personnages sont
évidemment une partie de lui-même, bien avant que la
vérité d'Antoine vieillissant ne se confonde avec la
fiction sous les traits de Monsieur Jadis.
Mystère étonnant de l'œuvre littéraire qui cousine avec la biographie
en lui volant sa substance ce qui fait penser à Joseph
Kessel disant dans L'Homme de Plâtre : " La
véritable biographie d'un écrivain, ce sont ses
personnages. "
Hors les romans et les nouvelles, les textes éparpillés et de nombreuses
préfaces, l'écrivain Blondin ne travailla qu'à une seule
pièce de théâtre en collaboration avec Paul Guimard.
C'était Un garçon d'honneur.
Néanmoins, il intervint une dizaine de fois pour le cinéma en tant que
co-scénariste ou dialoguiste. Hélas, comme pour cet
autre plumitif doué qu'il baptisa " Notre Fallet " dans
Ma vie entre les lignes, aucune œuvre inoubliable
n'est sortie de ses coopérations pour le grand écran. En
revanche, partant de son roman Un singe en hiver,
Henri Verneuil saura réaliser avec Jean Gabin et
Belmondo un excellent film qui n'a pas trahi son auteur.
Mon témoignage concernant Antoine Blondin s'arrêtera là pour faire place à
d'autres plumes vagabondes. Il n'a pas prétention
d'exhaustivité mais le simple désir de vous le remettre
en mémoire ou de vous recommander sa découverte si, par
malchance, vos lectures l'avaient ignoré. En synthèse,
je ne chercherai pas à vous dire s'il faut fouiller chez
Baudelaire, analyser chez Stendhal ou triturer la pensée
d'André Breton pour définir les sources de l'inspiration
blondaine et les tendances sous-jacentes de son œuvre.
Je laisse ce soin aux exégèses professionnelles, mais je
vous le confirme, en 2003, on se plonge et on se
replonge avec bonheur dans sa littérature amplifiée par
l'amitié et dans la pureté de sa langue.
Ce bonheur, à la portée de toutes les bourses grâce au Livre de Poche,
vous transportera dans l'univers d'un Grand pour lequel
l'adjonction d'un épithète serait réducteur. Et vous y
découvrirez au-delà d'un humour désespéré, une promesse
de poète : " Un jour, nous prendrons des trains qui
partent. "
***
France
Culture
Il existe un style Antoine Blondin.
Mais qui était ce journaliste et écrivain, hérissé
par les intellectuels de la rive gauche, journaliste
dans des publications d’extrême droite, admirateur
de Morand et chroniqueur du Tour de France ?
Né à Paris en 1922 et mort en
1991, Antoine Blondin se livre peu sur son
enfance. Dans son journal intime, il décrit
le "phalanstère" que ses parents auraient
édifié en guise de foyer. En réalité, peu
enclins à assumer leurs rôles, ces derniers
l’ont placé dès l’âge de neuf ans dans un
pensionnat. C’est au lycée Louis-le-Grand,
où il reste un élève médiocre mais aimant la
lecture, qu’il se met à écrire et découvre
sa vocation d’écrivain. Pendant
l’occupation, il participe activement à la
collaboration, pour des raisons parfois plus
complexes qu’une simple adhésion aux idées
de l’extrême droite et du régime de Vichy.
Après la guerre, il sévit
dans les publications de la droite
nationaliste, dans des journaux tels que Rivarol, La
Dernière Lanterne ou encore L’Indépendance
française, et, durant la guerre
d'Algérie, il fera partie des ultras en
publiant dans L’Indépendance
française et L’Esprit
public. Il devient membre d’un groupe
composé de jeunes écrivains lassés par le
terrorisme intellectuel de la rive gauche,
réunis par leur admiration pour Morand et
leur haine de Sartre. Pendant la guerre
d’Algérie ils écrivent un contre-manifeste à
celui dit des "121". C'est son roman, Un
singe en hiver, paru en 1959 aux
éditions de la Table Ronde, qui le fait
connaître du grand public. Il n’y parle pas
tant de la guerre d’Algérie que de l’alcool,
de ses problèmes sentimentaux, de son
attitude de père irresponsable.
(Jérôme Leroy, scénariste,
écrivain, 22 juillet 2022)
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