BLONDIN TEMOIGNAGES

 

 

Contrairement au Tour contemporain qui se barricade dans des bus géants et se calfeutre derrière des déclarations, Blondin fraternise avec les coureurs. Il en pince tout particulièrement pour les équipiers anonymes. Une réminiscence de ses débuts dans la presse d'extrême droite, pendant l'Occupation puis à la Libération, chez Rivarol entre autres, quand il égratigne la haute société. Mais la légende de Blondin dans le Tour et dans les lettres confond toujours sa prose et l'homme.
 Cet « anar de droite », qui va soutenir François Mitterrand à l'époque du programme commun, affirme qu'il n'est « pas un écrivain de droite ». Dans la saga qu'il a nourrie, l'homme et son œuvre se confondent pourtant. Parfois, la prose glisse vers un véritable Tour de rance… Comme lorsqu'il donne ce qualificatif affectueux à Roger Walkowiak, vainqueur surprise du Tour 1956 : « Poujadiste égaré dans le Bottin mondain."

 
Célébrer Blondin, c'est aussi célébrer un journalisme qui n'existe plus. Le maître roupillait pendant l'étape et déchirait sa page d'un éclair de génie sur le coup de 19 heures. Quand il était trop imbibé de bourbon, son compère Pierre Chany terminait ses odes - Sorj Chalandon, de Libération, s'y colla en une occasion lui aussi. Un jour, Blondin avale le contenu de son encrier : « Maintenant, je vais pisser de la copie. » Ses bons mots sont passés à la postérité plus encore que ses textes sur le vélo, un peu étouffe-chrétien. Son style, donc. « Homérique », dit-il, forgé à l'imparfait et au passé simple, tressé de métaphores bibliques et gréco-latines, jamais de cette «pop culture» qui prend forme doucement. Le calembour n'est jamais loin : sa première chronique, sa meilleure, raconte la traversée des Landes sous le titre « Du pin et des jeux ».
 Les pastiches de poètes ou dramaturges sont de brillants exercices de plume mais ils ont mal vieilli. A son époque, lire un Blondin frais pondu était le régal du matin. Aujourd'hui, l'intégrale donne des ballonnements. La confrérie du Tour 2016 en redemande pourtant. Et plus largement un public recroquevillé. Le Tour selon Blondin, c'est aussi une certaine France, néomaurrassienne, jamais perturbée par l'esprit de 1968 ou autre soubresaut moderne. L'auteur aimait le cercle fermé du Tour comme il appréciait que les « Français blancs » puissent rester entre eux. Les organisateurs de l'épreuve, qui préfèrent les châteaux du Moyen Age à la banlieue populaire, rendent à leur façon hommage au grand Blondin.

    (Pierre Carrey, Libération, Tour de France 2016, 18 juillet 2016)
 

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        LE POINT


Cyclisme- Tour de France : le meilleur d’Antoine Blondin

Soixante ans après son premier Tour de France, Le Point.fr a sélectionné les extraits des fameuses chroniques de l’écrivain aux 27 Grandes Boucles.

 Par 
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Les lecteurs découvraient un morceau de littérature coincé entre les colonnes du journal sportif, sans connaître le penchant pour la boisson de l’écrivain, son bégaiement et son attirance pour une course qu’il n’a cessé de magnifier. « On quitte les bras de sa mère pour le guidon d’une bicyclette », avait-il coutume de résumer. Soixante ans, donc, après son dernier Tour de France, Le Point.fr lui rend hommage en proposant quelques extraits savoureux de ces chroniques.

  19 juillet 1954 : l ’enthousiasme d ’une première (Première chronique, extrait de « Du pin et des jeux »)

« De Bordeaux à Bayonne, je me suis étonné d’être dans cette caravane qui décoiffe les filles, soulève les soutanes, pétrifie les gendarmes, transforme les palaces en salles de rédaction, plutôt que parmi ces gamins confondus par l’admiration et chapeautés par nescafé.
Je peux le dire, mon seul regret est de ne pas m’être vu passer. [...] C’est donc aux spectateurs que j’en avais, tandis que nous poussions notre troupeau de coureurs à travers des villages où les notables s’érigent en chefs d’îlot de l’enthousiasme.
Je savourais la ferveur qui s’attachait à notre transhumance. Elle nous rappelle que l’art de vivre est d’abord un système de communication des êtres. »

  23 juillet 1955 : « J ’ai été ce petit garçon » (Extrait de « Cépage et sans pitié »)

 " J'ai été ce petit garçon, le nez collé à la vitre , qui me regarde écrire avec un respect patient, et quand je lève un peu la tête j'ai l'impression de me regarder moi-même à travers le miroir sans tain du souvenir. Ce que pense cet enfant, je l'ai pensé aussi, comme j'ai attendu ce qu'il espère encore. [...] Il n'écarquille les yeux que pour chiper en fraude les confitures du prestige que les champions endormis nous ont délégué, et se méprend d'un cœur léger sur cette pâle contrefaçon de la gloire qui s'attache à nos macarons. [...] Son innocence gloutonne est celle du bonheur.
 Quand il sera grand, il sera coureur ou journaliste. Ca vient de se décider, là, sur le champ. La vie est si belle de l'autre côté de la vitre. Aujourd'hui que j'ai atteint l'âge où l'on croit savoir ce que les enfants ignorent, c'est pour lui que j'écris ces lignes, le petit bonhomme d'Ax-les-Thermes. "

  20 juillet 1957 : " quand le Tour s'achève " (Extrait de " Tour d'Ivoire "

« Un maillot jaune, une peur bleue, une copie blanche et peu de matière grise… Nous en aurons vu de toutes les couleurs pendant trois semaines. La mémoire, comme un arc-en-ciel, retient et dilapide des souvenirs confonds, pépite qu’il nous faudra extraire de leur gangue et rentrer avant l’hiver, pour les veillées.

 Seul s’impose aujourd’hui ce sentiment que Gustave Flaubert appelait la mélancolie des sympathies interrompues. Le Tour, carrefour des nations et de langages, pâque tournante pour les amitiés, est maintenant semblable à un quai de gare tout bruissant de partances et de déchirements refoulés. Des idées noires… »

  14 juillet 1954 : la rivalité Anquetil-Poulidor : Extrait de « La Fièvre jaune »


 Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, lors du Tour de France 1964.
« Bien sûr, le peuple attend que Poulidor, que l’on a très longtemps fait passer pour un « sans-culot », prenne la Bastille. La voxpopulidor ne s’en cache guère et son exaltation  n’est pas pour nous déplaire à condition qu’elle n’entache pas de goujaterie à l’endroit de l’extraordinaire aristocrate de la bicyclette qu’est Jacques Anquetil.

 On ne demande pas la tête de l’homme de tête aussi impudemment que nous l’avons vu faire sur les routes. [...] Il faut que les gens sachent que le moment est venu où l’on peut être pour l’un sans être contre l’autre, car ils sont désormais complémentaires dans le cadre de ce Tour de France inoubliable et se font mutuellement valoir ».

 

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Extraits de Bivouacs d’un hussard.

Sur Antoine Blondin : Le verbe blondiner : action de rentrer dans la vie avec son cœur comme ouvre boîte. Roger Nimier.

Blondin blondinait dans la vie, il dira à Roger Nimier : « un jour tu verras, on prendra des trains qui partent. »

Pol Vandromme écrit : quand j’ai connu Antoine, il s’appelait encore Blondin. La France était gaulliste, pour se faire pardonner son mauvais goût bourgeois des années noires où elle délaissa un général à titre temporaire au profit d’un maréchal aux yeux bleus. Antoine pendant la guerre n’avait été ni déporté, ni maquisard, ni résistant, ni collaborateur. Entre 1949 et 1959, il écrivit la France buissonnière, les Enfants du bon dieu et un Singe en hiver. Durant ces années-là, il ne fut pas avare de son talent. On ne pouvait pas rencontrer Antoine sans l’aimer, ni lire une de ses pages sans l’admirer. Je tutoyais Antoine et je vouvoyais Blondin.        D’une coquetterie sans apprêt, d’un naturel nonchalant, dans son complet prince de galles, il avait l’air d’une gravure de mode. Il m’expliquait que son bégaiement avait contribué à enrichir son vocabulaire. Pour ne pas trébucher sur les mots, il lui fallut en inventer d’autres, d’une prononciation plus aisée. Dès lors la conversation d’Antoine était aussi éblouissante qu’un texte de Blondin.
Je ne veux me souvenir que de cet homme là, jeune avec la grâce d’un adolescent, beau comme un page, droit, discret, chaleureux, dans le plein été de sa vie.              Non de son long hiver de clochard édenté, à la barbe broussailleuse, affalé sur le comptoir d’un troquet blafard avec des allures de vieux seigneurs déchus.                    Roger Nimier venant discrètement éponger l’ardoise de son vieux compagnon.

 

 

 

        

       

        

       

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                          

 

 
 

 

 
 
 
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