LEAUTAUD AVEC CELINE

 

 

      Louis-Ferdinand Céline et Paul Léautaud

Paul Léautaud est né en 1872, c’est-à-dire 22 ans avant Louis-Ferdinand Céline. Abandonné par sa mère peu après sa naissance, son père préfère s’occuper de ses petites amies plutôt que de son fils, qui grandit entièrement laissé à lui-même. Cette enfance malheureuse l’a profondément marqué, son premier livre, « Le petit ami » raconte les retrouvailles de la mère et du fils où le souffle de l’inceste reste en suspens.
A 30 ans, Léautaud est trop exigeant pour une mère qu’il n’a jamais vraiment connue et qui a refait sa vie en Suisse ; les relations se terminent par un nouvel abandon, après une correspondance «  Lettres à ma mère » qui s’échelonne sur quelques années et montre toute la sensibilité d’un homme à l’enfance bafouée, ne désirant que retrouver une mère idéale. D’ailleurs, il n’a jamais décacheté la dernière lettre reçue d’elle, ne voulant pas être davantage meurtri par son contenu.
 Quant à son père, sa mort est froidement et minutieusement décrite par Léautaud dans « In Memoriam ».

Devenu Secrétaire général au « Mercure de France », il est également critique de théâtre de la revue entre 1907 et 1920, sous le pseudonyme de Maurice Boissard. Acerbe et impitoyable, les articles de Léautaud ne fignolent jamais dans la dentelle, il démontre une liberté d’esprit et d’indépendance peu commune. Le critique préfère écrire sur les animaux maltraités, plutôt que s’attarder à une pièce ennuyeuse dont le sort est réglé en quelques phrases destructices.
 Après bien des tractations et des pressions, Alfred Valette, lui retire sa chronique. De nos jours, Léautaud est surtout connu pour son « Journal littéraire », des milliers de pages qui s’échelonnent sur plus de 60 ans de vie et d’histoire (1893-1956) ; journal en 19 volumes dont la publication ne débuta qu’à l’année de sa mort en 1956.

Après avoir vécu à Paris, Léautaud s’installe à Fontenay-aux-Roses pour un loyer selon ses maigres moyens et avec de l’espace pour ses animaux. L’homme existe hors du monde et du temps ; solitaire et misanthrope, il n’aime que ses bêtes et sa solitude, n’écrit qu’à la plume d’oie en s’éclairant à la chandelle, ne possède pas de poste de radio, déteste la modernité avec ce qu’elle apporte de pire… le bruit ! Il s’habille en clochard et le téléphone entre dans sa maison que dans les dernières années de sa vie à la demande de Marie Dormoy.

Comme Céline, Léautaud est également connu pour ses entretiens radiophoniques qu’il donne en 1951, à Robert Mallet ; série d’émissions qui s’échelonne sur plusieurs semaines.
C’est en retournant ainsi dans le temps que l’on se rend compte du recul de la liberté d’expression  imposé par le politiquement correct qui écrase toute forme d’imagination et de libre-pensée pour celui qui ose affronter les normes de l’uniformisation du discours. Les propos que Léautaud tient sur les femmes, la morale ou l’art soulèveraient aujourd’hui des tollés, protestations, poursuites judiciaires, demande de rétractations et excuses publiques… De toute manière, trop sincère, trop tendre, Léautaud ne passerait pas la rampe… De nos jours un tel personnage n’est plus possible, il faut être propre, bien mis de sa personne et dire comme à la télé pour y passer soi-même. Triste époque.
 De retour en France en 1951, Céline rata de peu la prestation de Léautaud à la radio, il aurait certainement apprécié le personnage en se reconnaissant quelque peu dans sa verve et sa vivacité. Il aurait reconnu cette France qui lui a tellement manqué pendant toutes ces années.

Cependant, Paul Léautaud n’aime pas beaucoup le style de Céline, mais quel écrivain trouve grâce à ses yeux ? Stendhal, Chamfort… pas beaucoup plus ; Gide à ses débuts, James, Schwob. Plus il vieillit et moins ils s’en trouvent à pouvoir se vanter de retenir ses faveurs, même les moins ampoulés… Toute sa vie il dénonce les « faiseurs de phrases » ; le style se doit d’être dépouillé, réduit, simple et sans artifices. Dans son journal, il raconte avoir offert à ronger deux belles éditions de Paul Fort à un de ses chiens, qui aiment la belle littérature. Léautaud est ainsi, sans appel.

En tant que secrétaire du « Mercure », Paul Léautaud lit peu les nouvelles parutions qu’il reçoit en service de presse et se contente de les feuilleter distraitement pour s’en désintéresser aussitôt ; il les vend chez les bouquinistes afin de nourrir ses bêtes. En 1932, Céline n’échappe pas à la règle, mais le scandale du prix Goncourt suscite beaucoup de discussions au « Mercure » et les avis sont partagés, comme partout ailleurs.

Léautaud écrit dans son journal :
jeudi 8 décembre 1932 – J’ai reçu son livre à sa publication, avec un envoi, ce qui me donne à peser qu’il (Céline) me connait comme écrivain. Il est encore dans mon casier, dans mon bureau. Pas lu, naturellement. Je l’ai regardé un peu, ce soir, sur ce que m’en disait Auriant, qui en parle comme d’un livre remarquable (…). Le peu que j’ai lu, je ne crois pas que ça me plairait beaucoup. Je n’ai pas beaucoup de goût pour la littérature de mœurs populaire. Journal littéraire P.1 138 t.2, Mercure de France 1986.
Par contre, en rapportant les commentaires des uns et des autres sur la nature même des prix littéraires, il sait fort bien que la qualité ou l’originalité de l’œuvre compte bien peu dans l’attribution des prix ; le tout se limite aux jeux d’influences des éditeurs et d’argent sur les membres du jury, l’incorruptibilité des uns et l’hypocrisie des autres.

A la parution de « Mort à crédit » Léautaud raffermie son jugement sur le style célinien à un dîner où est présent Gaston Gallimard :
Jeudi 13 juin 1936Arrivent ensuite Gaston Gallimard et sa femme. On se met à table. Conversation, moi muet tout d’abord, sur le dernier roman de Céline : Mort à crédit. Unanimité à le célébrer. Grand déplaisir pour ma part à entendre parler d’un livre et le célébrer sous le jour d’une chose réussie, bien combinée, produisant bien ses effets, comme un tour de force difficile et réussi, la difficulté à vaincre etc. etc. Je n’ai jamais pu voir la littérature sous cet aspect. On me demande mon avis. Je dis que lorsque j’ai reçu le premier Céline : « Voyage au bout de la nuit », je l’ai feuilleté et quand j’ai vu ce vocabulaire je l’ai laissé là, que je n’ai lu du nouveau que des extraits dans des articles de critiques et que cela me suffit. Je n’ai aucun goût pour ce style volontairement fabriqué, que les inventions ne m’intéressent pas comme sujet ni comme forme. J’ajoute que dans moins de cinq ans, on ne pourra plus lire un livre de ce genre. Journal littéraire P.1 668 t.2 Mercure de France 1986.
On ne s’étonnera pas de la réaction de Léautaud devant le style célinien ; pour lui l’écriture doit refléter la simplicité du quotidien, il ne transpose pas en féérie, comme Céline. Léautaud aime à s’attarder à l’ordinaire, la banalité de l’existence, la flânerie, la paresse, la contemplation ; avec lui-même l’amour se limite à une question physique. La solitude, les animaux, là, se concentrent ses points d’intérêts, le naturel et la simplicité, aussitôt qu’un style particulier ressort de l’écriture, il pousse les hauts cris et réfute.
Littérairement, tout semble les séparer. Céline écrit en transe avec le désir de briser le langage et le remplace par l’émotion, Léautaud y voit seulement l’expression de son propre plaisir ; question de style, ils sont aux antipodes.

Par contre, la vision des deux écrivains envers les hommes ne peut que les rapprocher. En examinant leurs parcours en parallèle, on remarque tout de même quelques similitudes, des points de convergences et aussi une certaine complicité non avouée. Tout d’abord, les deux sont des pacifistes acharnés et considèrent la guerre, comme une absurdité totale. En 1914, Léautaud a 42 ans et ne se laisse pas prendre, il connaît la capacité de l’Etat à organiser sa propagande en fonction de ses besoins en chair à canon. Il reste l’un des rares écrivains à dénoncer la folie qui gagne les cœurs et les esprits des plus sages… « Tous à Berlin ! »
 Son journal à l’époque de la « Grande Guerre » regorge d’arguments percutants contre la fièvre belliqueuse qui monte de partout, entretenue par les élites ; le Céline des années 30-39, n’aurait nullement renié. A propos d’une affirmation de Rémy de Gourmont, dans une lettre à Alfred Valette, lors de la mobilisation générale : «  c’est tout de même beau la solidarité », Léautaud s’insurge et écrit :
 « Lui le contempleur, le solitaire, l’homme sans parti, le contradicteur perpétuel, le voila qui célèbre la solidarité. La solidarité ! Il oublie la contrainte, la force la potence en cas de refus. (…) Où voit-il la solidarité ? Chez les ivrognes, chez les têtes brulées. Chez le plus grand nombre : la contrainte. Il faut aller tuer, se faire tuer, - ou l’être ici : refus d’obéissance, par un peloton d’exécution. C’est la société. Gourmont s’est-il mis à l’admirer ? » P. 956-957 Journal littéraire t .1

Tout comme Céline, Léautaud s’est toujours vanté de n’avoir jamais voté, appartenu à aucun parti, participé, impliqué, appuyé, rien ! Toute sa vie il a dénoncé les absurdités et les travers de la démocratie parlementaire. Par contre Léautaud n’est pas antisémite, mais affirme les mêmes réserves que Céline sur les responsabilités du Front populaire dans la guerre, la désorganisation sociale et politique, les grèves et, par la suite, une fois le gâchis consumé, s’interroge sur la mise en place d’une Europe anglo-américaine qui se pointe déjà, après toutes les dévastations possibles.
D’ailleurs, dans son journal, il revient à plusieurs reprises sur la discipline des soldats allemands, sur l’efficacité de l’approvisionnement, malgré les circonstances et qui se détériore lorsque le pouvoir tombe entre les mains des libérateurs. Il se plaint, manque de tout, nourriture, charbon et chandelles. A la libération, il craint, un moment, les représailles, il écrit dans son journal avoir trouvé, sur un mur près de chez lui ; des menaces qui le visent directement.
D’ailleurs, il faut lire toutes les pages de cette période et particulièrement celles consacrées à l’entrée des Allemands dans un Paris déserté de ses habitants ; une véritable pièce d’anthologie.

Peu avant son départ pour le Danemark en 1944, Céline aurait reçu un mot de Paul Léautaud. Lettre détruite dans l’incendie du pavillon de Meudon en 1968 et que Frédéric Vitoux rapporte dans « Bébert le chat de Louis-Ferdinand Céline » Grasset 1976 P.32.

Vitoux rapporte : « Vous allez sans doute être liquidé à la libération, lui dit en substance le solitaire de Fontenay-aux-Roses, et vous l’aurez bien cherché et je ne verserai pas une larme, mais vous pouvez mourir en paix, sachez que je suis prêt à recueillir Bébert, qui seul m’importe ».

Selon Vitoux, Céline aurait été sensible à cette proposition, mais décide tout de même de prendre Bébert, ce dernier deviendra le chat le plus important de la littérature française. Cela implique nécessairement que Bébert n’était pas n’importe quel chat et possédait, déjà, une certaine notoriété pour que Léautaud puisse exprimer sa proposition à Céline ; il ne l’a probablement jamais rencontré. Cependant, précisons que Céline et Léautaud avaient certaines connaissances en communs, dont Lucien Combelle. Il est possible que l’un d’entre eux ait pu l’informer des intentions de Céline et de la situation de Bébert. Tout cela pour dire l’amour que Léautaud portait aux animaux et peu importe les circonstances et les réputations.

Même de loin Léautaud a certainement suivi la saga de Céline au Danemark, comme les multiples attaques de la part des communistes dans la presse et ailleurs. Comme Céline, Léautaud n’appréciait pas particulièrement les subtilités politiques de la gauche. De son procès, sa condamnation et son retour en 1951, il n’en dit rien, nulle part, ni dans son journal ou dans sa correspondance ; la dernière référence à Céline date du 12 septembre 1948 où il note sans aucun commentaire un sondage du journal « Combat » sur les écrivains les plus aimés, soient : Gide avec 423 votes, Camus 342, Sartre 324, Malraux 298, Montherlant 290 ; Céline obtient 46 votes et Léautaud 25.

On ne peut non plus passer sous silence les allures de Léautaud et de Céline ; l’un est surnommé l’ermite de Fontenay-aux-Roses et l’autre, celui de Meudon. Ils s’habillent en clochards, Léautaud vit seul avec ses animaux dont il fait parfois le décompte, une dizaine de chats, des chiens, une oie, un singe ; il dresse un plan de son jardin, marquant la tombe de chacun. Céline entretient aussi nombre de chats, de chiens, d’oiseaux et un perroquet ; il marque la tombe de Bébert et de Bessy. Léautaud se prive de nourriture pour nourrir ses bêtes et Céline ne s’alimente presque plus. Il vit avec Lucette mais possède le rez-de-chaussée du pavillon où il est seul la plupart du temps.

Léautaud n’aurait pas renié non plus la conception de Céline sur l’amour. Céline est hanté par la mort qui demeure l’unique destinée humaine, la seule vérité. Léautaud est également fasciné par la mort. Plus jeune il court les funérailles et aime surtout saisir les traits figés du trépassé reposant sur son lit de mort, comme pour conjurer le sort, saisir l’empreinte du dernier souffle sur le visage du macchabée. Comprendre l’inéluctable.
La lecture de la description de l’agonie de son père dans « In Memoriam » fit scandale à l’époque et sa lecture demeure aujourd’hui troublante où la mort est devenu un évènement que l’on banalise plutôt que de chercher à l’apprivoiser. Enfin, inutile de s’attarder sur l’opinion que Paul Léautaud affiche pour l’humanité en général et les hommes en particulier. Elle ressemble trop à celle de Céline.

Le jour de sa mort, Céline dit à Lucette qu’il va crever et demande le laisser seul… Peu avant de mourir, à l’infirmière qui s’informe s’il a besoin de quelque chose Léautaud lui répond : « maintenant, foutez-moi la paix ».
Après la mort de Léautaud, Céline s’amuse à dire aux journalistes qu’il le remplace et représente le nouveau clown de la littérature française. En disant cela Céline savait fort bien que, foncièrement, ils partageaient plusieurs points en communs et une vision bien particulière de la réalité, une certaine vision du monde.
De son côté, Léautaud ne l’aurait probablement jamais admis mais pourtant… Il est indéniable que ces deux hommes représentent la France dans ce qu’il y a de plus vivant. On connait l’amour de Céline pour la France et la langue française… Sur sa tombe, Léautaud a fait inscrire : « Paul Léautaud, écrivain français », non par patriotisme, mais pour « l’esprit français » et tout ce que cela signifie, une certaine légèreté.

(19 janvier 2015 dans Paul Léautaud, par Gavroche)

 

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Céline et Léautaud

 

Par Amaury Watremez 

26 mars 2017

 

« Une ville sans concierge ça n'a pas d'histoire, pas de goût, c'est insipide telle une soupe sans poivre ni sel, une ratatouille informe. » Extrait de Voyage au bout de la nuit de Céline

« Le mensonge compte bien plus que la vérité. La preuve : n'est-il pas répandu à bien plus d'exemplaires ?
 » de Paul Léautaud dans Propos d'un jour

Les Lettres à la NRF de Céline sont au fond comme un journal littéraire de ce dernier ainsi que celui de Léautaud, et dans les considérations de ces deux misanthropes on perçoit des remarques qui se rejoignent très souvent sur eux, sur leur entourage, leur œuvre, le reste de l’ humanité.
Ce que dit Céline dans sa correspondance sur la littérature, il le mettra en forme plus clairement encore dans les  
Entretiens avec le professeur Y  en particulier. Céline écrit tout du long de sa vie littéraire qui se confond avec sa vie tout court car la littérature, n’en déplaise aux petits marquis réalistes, est un enjeu existentiel.
Il écrit des lettres pleines de verve, parfois grossières, à la limite du trivial. Il y explique, en développant sur plusieurs courriers sa conception de l’écriture, basée sur le style.
 Il se moque de l’importance de l’histoire par l’écrivain (« des histoires, y’en a plein les journaux »), se moque des modes littéraires, n’est pas tendre avec ses amis, dont Marcel Aymé, dont il suggère l’édition sur papier toilettes ainsi que l’œuvre de Jean Genet, comme un gosse jaloux du succès de ses pairs, qui entend conserver toute l’attention sur lui.

 

 

 

 

 

 

 

Car il cultive les paradoxes, il est misanthrope mais a soif de gloire et de la reconnaissance la plus large possible des lecteurs.

Ses correspondants ne sont pas sans talent, ainsi Gaston Gallimard, son éditeur : on s’étonne encore du flair remarquable de celui-ci en matière d’édition, on chercherait vainement son équivalent de nos jours où domine à des rares exceptions le clientélisme, l’obséquiosité, le copinage entre « beaux messieurs coquins et belles dames catins » pour reprendre le terme de Maupassant dans sa correspondance. Ce qui montre d’ailleurs que ce copinage ne date pas d’hier, ce qui n’est pas une excuse vu les sommets himalayens qu’il atteint en ce moment dans les milieux littéraires en particulier, culturels, ou plutôt « cultureux » en général.

Céline comme Léautaud est un misanthrope littéraire exemplaire, ce que sont finalement la plupart des littérateurs de toute manière, qui se libèrent des blessures subies par eux à cause de l’humanité en écrivant, en ouvrant un passage vers des univers mentaux et imaginaires inexplorées. Mais l’écriture n’est pas qu’une catharsis, contrairement à ce que les auteurs d’auto-fiction voudraient nous laisser croire, eux qui font une analyse en noircissant des pages qui ont pour thème central l’importance de leur nombril.

La misanthropie en littérature est un thème couru, maintes fois traité et repris, souvent lié à la pose de l’auteur se présentant en dandy, en inadapté, en poète maudit incompris de tous.

C’est un sujet d’écriture au demeurant très galvaudé.

Parfois, l’auteur qui prend cette posture a les moyens de ses prétentions, de ses ambitions, et d’ailleurs la postérité a retenu son nom à juste titre, pour d’autres, c’est souvent assez ridicule voire grotesque. Les artistes incompris de pacotille, les rebelles de ce type sont des fauves de salon comparés aux écrivains qui refusent les mondanités, les dorures, et l’ordure. Ces fauves de salon ne sont pas méchants, ils sont émouvants à force d’évoquer Rimbaud ou Baudelaire pour tout et n’importe quoi, de manière aussi désordonné que l’adolescent post-pubère clame sa détestation de la famille pour mieux y coconner, et continuer à se vautrer ensuite dans un mode de vie bourgeois. Et après tout, Claudel qui se réclamait de Rimbaud, et qui était un grand bourgeois conservateur, était aussi un grand écrivain, les fauves de salon peuvent donc avoir encore quelque espoir que leur démarche ne soit pas totalement vaine.

C’est encore mieux quand le prétendu inadapté rebelle, artiste et créateur, est jeune, et vendu comme génie précoce pour faire vendre (ne surtout pas oublier la coiffure de « rebelle » avec mèche ou frange « ad hoc »).

Cette rentrée littéraire, on nous refera sans doute encore le coup…

Les personnages misanthropes les plus connus sont le capitaine Némo et Alceste, les plus intéressants, les plus remarquables aussi. Louis-Ferdinand Destouches alias Céline, semble être eux aussi de véritable misanthrope, détester ses semblables.

Au final, on songe plutôt à son encontre au mot de Jean Paulhan répondant à une lettre d’injures de Céline, ces misanthropes, ce sont à la fois des enfants, des fous, mais aussi des hommes de talent, des génies avides de gloire. Ils ont des blessures diverses, surtout à cause du monde, dont ils ressentent la sottise et la cruauté plus fortement que les autres. Ce sont finalement des blessures d’amour, en particulier pour Léautaud, mais aussi pour Céline, qui feint de haïr ses semblables mais qui veut à tout prix ou presque leur reconnaissance.

Céline fût fidèle à Lucette, toujours discrète, toujours présente, consolatrice, fluette et solide, qui avait son atelier de danse au-dessus du cabinet de l’écrivain à Drancy, l’exception peut-être de quelques « professionnelles » de Bastoche, ce qu’évoque Claude Dubois dans son ouvrage sur La Bastoche : Une histoire du Paris populaire et criminel dont l’auteur de ses lignes a déjà parlé sur Agoravox.fr. Derrière les pétarades de l’auteur du Voyage on distingue aussi un grand pudique goûtant la présence discrète de sa femme attentionnée.

Ces deux auteurs comme beaucoup de natures très sensibles sont dans l’incapacité au compromis sentimental, amical, à l’amour mesuré, raisonnable, sage, et finalement un rien étriqué. Il est difficile de leur demander de rentrer dans un cadre ce dont ils sont incapables.

Sur ce point-là, Céline est aussi un enfant comme Léautaud, on sent dans ses amitiés, à travers ses lettres à Roger Nimier, Denoël ou Gaston Gallimard, cette recherche de la perfection et d’une amitié sans réelle réciprocité où c’est l’ami qui couve, qui prend les coups, les responsabilités à la place, et à qui l’on peut reprocher la brutalité et la sottise du monde extérieur, du monde des adultes où ils ne sont jamais au fond rentrés en demeurant des spectateurs dégoûtés par ce qu’ils y voient.

Sa misanthropie est aussi sa faiblesse, mais comme du charbon naissent parfois quelques diamants, de celle-ci naît le génie particulier de son œuvre littéraire. Cette hyper-émotivité du style que l’on trouve surtout chez Céline, ce chuchotement fébrile et passionné.

 

 

 

 

 

 

 

        

       

        

       

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                          

 

 
 

 

 
 
 
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