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LEAUTAUD
SON PARCOURS
Paul Léautaud,
né le 18 janvier 1872 à Paris 1er arrondissement,
et mort le 22 février 1956 à Châtenay-Malabry,
est un écrivain et critique
dramatique français.
Père indifférent, mère absente, Léautaud quitte l’école
à 15 ans, exerce toutes sortes de petits emplois pour
vivre, s’éduque lui-même en lisant tard le soir les
grands auteurs. Connu des milieux littéraires dès 1903
avec Le Petit Ami, du grand public seulement en
1950 après ses entretiens radiophoniques avec Robert
Mallet qui
le rendent célèbre, il publie peu, ayant en horreur la « littérature
alimentaire ». Pour avoir la liberté d’écrire ce
qui lui fait plaisir, il accepte, en 1907, un travail
mal payé d’employé au Mercure
de France.
Chargé — un temps seulement — de la chronique dramatique
sous le nom
de plume de
« Maurice Boissard »,
il se fait connaître par sa franchise, son esprit
moqueur et subversif.
Solitaire, recueillant les animaux abandonnés dans son
pavillon de Fontenay-aux-Roses et
vivant lui-même pauvrement, il se consacre pendant plus
de 60 ans à son Journal, qu’il appellera littéraire,
où il relate, au jour le jour, sous l'impression
directe, les événements qui le touchent. « Je
n’ai vécu que pour écrire. Je n’ai senti, vu, entendu
les choses, les sentiments, les gens que pour écrire.
J’ai préféré cela au bonheur matériel, aux réputations
faciles. J’y ai même souvent sacrifié mon plaisir du
moment, mes plus secrets bonheurs et affections, même le
bonheur de quelques êtres, pour écrire ce qui me faisait
plaisir à écrire. Je garde de tout cela un profond
bonheur. »
Ses dernières paroles avant de mourir ont été : « Maintenant,
foutez-moi la paix. »
Marie Dormoy,
dont il devient l'amant en 1933, fut sa légataire
universelle et son exécutrice testamentaire et contribua
à faire publier et connaître son Journal littéraire après
sa mort.
Enfance et jeunesse
« Une mère un peu catin qui m’a laissé tranquille dès
ma naissance, un père qui était un brillant cascadeur
plein de succès de femmes et qui ne s’occupait pas de
moi. Enfin, ces gens qui m’ont laissé faire ma vie
moi-même… je trouve que c’est quelque chose. »
Paul Léautaud naît le 18 janvier 1872 dans
le premier arrondissement de Paris au no 37
de la rue
Molière,
de parents comédiens.
Son père, Firmin Léautaud (1834-1903), d’une famille de
paysans de Fours dans
les Basses
Alpes,
vient à Paris vers l’âge de 20 ans ; admis au Conservatoire,
il obtient un deuxième prix de comédie, joue dans
différents théâtres dont l’Odéon,
puis entre, en 1874, à la Comédie-Française comme souffleur,
emploi qu’il occupe durant 23 ans.
Les femmes se succèdent chez Firmin Léautaud. Parmi
elles, Jeanne Forestier (1852-1916), chanteuse d’opérette,
n'est remarquable que pour avoir donné la vie à Paul.
Elle reprend son métier après la naissance de l'enfant
et part dans des tournées. (Avant sa relation avec
Jeanne Forestier, Firmin avait été en ménage avec Fanny
Forestier, sœur aînée de Jeanne, actrice elle aussi,
dont il avait une fille, Hélène, morte en 1882. Paul n’a
jamais connu cette demi-sœur - et cousine germaine.)
Firmin Léautaud met son fils en nourrice jusqu’à l’âge
de 2 ans, puis le reprend chez lui et engage une vieille
bonne Marie Pezé qui s’occupe de l’enfant pendant une
dizaine d’années. « Maman Pezé », que Paul considère
comme sa mère, l’emmène chaque soir coucher dans sa
propre chambre, rue
Clauzel,
pour qu’il ne soit pas témoin des multiples aventures de
son père. Paul revoit, une huitaine de fois lors de
courtes visites, sa mère qui part ensuite à Genève,
épouse en 1895 le docteur Hugues Oltramare dont elle
aura deux enfants, et ne retrouvera son fils que vingt
ans plus tard, à l’occasion de la mort de sa sœur Fanny,
à Calais,
en 1901. Cette rencontre fournit à Paul Léautaud la
matière des derniers chapitres de son livre en cours, Le
Petit Ami. S’ensuit une correspondance émouvante
(publiée par le Mercure de France en 1956, Lettres
à ma mère) entre la mère et le fils qui dure 6 mois,
puis les lettres de Paul restent sans réponse.
Léautaud grandit dans les quartiers Saint-Georges et Rochechouart.
Il habite chez son père, no 13 puis no 21 rue
des Martyrs. « À
cette époque, mon père descendait chaque matin au café,
avant le déjeuner. Il avait treize chiens. Il descendait
la rue des Martyrs avec ses chiens et tenant à la main
un fouet dont il ne se servait pas pour les chiens.
Quand une femme passait qui lui plaisait, il l’attrapait
par derrière en passant le fouet autour d’elle. »
Dès leur installation dans ce nouveau logis, Firmin
remet une clef à son fils de 5 ans : « Fais
ce que tu veux pourvu que tu sois là pour le diner, et
que tu ne sois pas ramené par un gendarme. »
Son père ne s’occupe guère de lui mais il l’amène
régulièrement à la Comédie-Française dans sa boîte de
souffleur et le laisse circuler dans les couloirs et les
coulisses du théâtre. En 1881, Firmin Léautaud installe
chez lui une jeune bonne de 16 ans, Louise Viale, qu’il
finira par épouser et dont il aura un fils, Maurice,
demi-frère de Paul. Il renvoie Marie Pezé et quitte
Paris pour Courbevoie.
Paul Léautaud fait ses études à l’école communale de
Courbevoie dans l’indifférence de son père. Il s’y lie
d'amitié avec Adolphe
van Bever « d’une
précocité étonnante et d’un naturel hardi, entreprenant,
organisant des conférences littéraires à 15 ans à la
mairie de Neuilly ». En 1887, à 15 ans, après son
certificat d’études, Paul Léautaud quitte l’école et
commence à travailler à Paris. Il exerce toutes sortes
de petits métiers. C’est un enfant soumis et docile. Le
soir, il rentre à la maison. Le salaire à peine versé
est prélevé par son père.
En 1890, à 18 ans, il quitte Courbevoie et s’installe à
Paris. Il exerce divers métiers pour vivre. « Pendant
huit ans, j’ai déjeuné et dîné d’un fromage de quatre
sous, d’un morceau de pain, d’un verre d’eau, d’un peu
de café. La pauvreté, je n’y pensais pas, je n’en ai
jamais souffert. » En 1894, il devient clerc dans
une étude d’avoué, l’étude Barberon, 17 quai
Voltaire,
puis, de 1902 à 1907, s’occupe de liquidations de
successions chez un administrateur judiciaire, M.
Lemarquis, rue
Louis-le-Grand.
Son goût pour les lettres se dessine. Il consacre de
longues soirées à la lecture : Barrès, Renan, Taine,
Diderot, Voltaire et Stendhal, qui est une révélation. « J'ai
appris tout seul, par moi-même, sans personne, sans
règles, sans direction arbitraire, ce qui me plaisait,
ce qui me séduisait, ce qui correspondait à la nature de
mon esprit (on n'apprend bien que ce qui plaît). » En
1895, il va porter au Mercure
de France un
poème, Élégie, dans le goût symboliste de
l’époque. Le directeur Alfred
Vallette accepte
de le publier dans le numéro de septembre.
Le Mercure
En 1929 par Émile Bernard. « Alceste,
un satirique, un homme d'une gaîté mauvaise, aux
plaisanteries mordantes, aux vérités cruelles dites avec
des éclats de rire, l'excès de clairvoyance et de
désenchantement aboutissant à une sorte de moquerie
féroce avec bonne humeur. Ce que je suis. »
Immeuble du Mercure de France, 26 rue de Condé (6e arr.),
ancien hôtel de Beaumarchais.
Léautaud a son bureau au premier, où il restera plus de
30 ans.
« Une collaboration de 45 années, doublée de mon
emploi comme secrétaire pendant 33 ans, une intimité de
chaque jour, depuis 1895, avec Alfred Vallette. »
Le Mercure
de France,
à cette époque, est non seulement une revue littéraire
et une maison d’édition, mais aussi un centre
littéraire, une sorte de vivier de la génération symboliste,
attirant des écrivains comme Guillaume
Apollinaire, Remy
de Gourmont, Alfred
Jarry, Henri
de Régnier, Paul
Valéry, André
Gide.
Paul Léautaud a 23 ans. Il devient un familier du
Mercure. Il est accueilli avec une grande sympathie
par son directeur Alfred
Vallette qui
l’encourage (mais lui conseille d’écrire en prose) et
avec qui il passe tous les après-midi du dimanche. Il se
lie en particulier avec Remy de Gourmont et Paul Valéry,
alors inconnu. C’est au Mercure que nait la
grande amitié qui lia pendant des années Léautaud et
Valéry.
En 1899, il commence, avec Van Bever, à préparer
l’édition des Poètes
d'Aujourd'hui pour
rendre accessibles au public lettré les œuvres des
poètes contemporains. Ils en choisissent trente-quatre
et se partagent les notices de présentation. Léautaud
est à l'origine de la découverte du talent d’Apollinaire,
dont il fait publier, au Mercure, La
Chanson du mal-aimé,
mais il prend ses distances avec la poésie et suit le
conseil de Vallette d’écrire en prose. « J’ai
perdu dix ans de ma vie intellectuelle à me laisser
bercer par les ronrons de ces farceurs de poètes, qui
sont, je le pense fermement, zéro pour la culture
spirituelle et les progrès de l’esprit. Je m’en suis
aperçu le jour que j’ai lu certains livres qui m’ont
réveillé, qui ne m’ont rien appris certes (les livres
n’apprennent rien), mais qui m’ont fait prendre
conscience de moi-même. »
Le Petit Ami
En 1902, Léautaud apporte au Mercure une œuvre en
grande partie autobiographique, Souvenirs légers,
que Vallette, sur l’avis favorable d’Henri
de Régnier,
accepte de publier sous le nom de Le Petit Ami.
Tiré à 1 100 exemplaires, il ne sera épuisé qu’en 1922.
Le livre est pourtant bien accueilli par le milieu
littéraire. Le jury
Goncourt s’y
intéresse. Octave
Mirbeau et Lucien
Descaves veulent
lui donner le prix. Marcel
Schwob introduit
l’auteur dans son salon littéraire où il rencontre Gide
et se lie avec Marguerite
Moreno.
Mais la forme du livre ne satisfait pas Léautaud : « Que
de fautes de goût ! Que de descriptions vulgaires ! Il
faudrait que j'enlève tout ça un jour. Il y a là-dedans
trop de choses auxquelles je tiens, trop de choses de ma
vie pour les laisser présentées ainsi. ») .
Il s’opposera toujours à sa réimpression, réécrira les
deux premiers chapitres et n’ira pas plus loin.
Il continue dans la même veine avec In memoriam,
le récit de la mort de son père. « Je
tiens que ma carrière d’écrivain commence à In memoriam.
En deux ans j’ai fait des progrès énormes vers la vérité
— la vérité qui consiste à ne pas hésiter — et dans le
style. »
En 1907, Vallette, sous l’influence de Remy
de Gourmont, lui propose une place de secrétaire de
rédaction aux éditions du Mercure, 26 rue
de Condé.
Léautaud accepte pour assurer sa liberté d'écrivain : « Toute
ma liberté littéraire tient à cela, joint à la modestie
de mes goûts et de mes besoins ». En 1911, il
occupe son bureau, au premier, où il restera plus de
trente ans, chargé de la réception des manuscrits et de
la publicité. « Son fauteuil
était assez souvent inoccupé, la recherche de croûtons
de pains l’obligeant à bien des courses chez les
concierges de la rive gauche qu’il avait intéressées à
sa ménagerie. Il reparaissait généralement vers 4 ou 5
heures, porteur d’un sac dont il étalait le contenu sur
le plancher de son bureau ; il s’agenouillait pour en
faire le tri, et ce qu’on voyait d’abord, en entrant,
c’était la partie postérieure de son individu » écrit
son ami André
Billy.
La collaboration avec Valette se fait sans trop de
heurts. Il y a entre eux une totale entente littéraire,
tout au moins jusqu’en 1914, mais les questions
financières les opposent souvent, Léautaud trouvant
qu’il en fait trop pour ses maigres appointements et ne
se gênant pas pour s’absenter, Vallette tenant le
raisonnement inverse.
En 1912, il s’installe dans le pavillon, au no 24
de la rue Guérard à Fontenay-aux-Roses,
où il restera jusqu’au 21 janvier 1956, délabré et
dépourvu de confort, avec un grand jardin en friche (« J'ai
un grand jardin, tout à fait à l'abandon. Tout y pousse
à son gré, les arbres et les herbes. Je n'y suis jamais. »),
entouré d'animaux — de 1912 à sa mort, il recueillera
plus de 300 chats et 125 chiens abandonnés — dont sa
guenon Guenette, perdue et réfugiée dans un arbre en
1934.
Les Chroniques de Maurice Boissard
Pendant longtemps, Léautaud n’est connu qu’en tant que
critique dramatique, le succès du Petit Ami ayant
été oublié. Il tient la rubrique des théâtres au Mercure,
de 1907 à 1921, sous le pseudonyme de « Maurice
Boissard [archive] »,
présenté comme un vieux monsieur, n’ayant jamais manié
une plume, n’acceptant de tenir la rubrique que pour
aller au théâtre gratuitement, mystification éventée
par Octave
Mirbeau qui
reconnaît le style de Léautaud à la troisième chronique.
Il se fait remarquer par son esprit d’indépendance, sa
franchise brutale, son non-conformisme. Ses critiques
sont, la plupart du temps, féroces et lui attirent des
conflits avec les auteurs. Des lecteurs le trouvent
immoral, scandaleux, subversif. Quand une pièce lui
déplait, il parle d’autres choses, de lui-même, de ses
chiens, de ses chats.
Les lecteurs adorent ou détestent, écrivent au Mercure qu’ils
achètent la revue uniquement pour la rubrique théâtrale
ou qu’ils se désabonnent. En 1921, lassé par les
récriminations des lecteurs et de son épouse Rachilde qui
reproche à Léautaud d’éreinter des gens qui fréquentent
son salon littéraire, Vallette lui retire la chronique
des théâtres, mais crée pour lui la chronique Gazette
d’hier et d’aujourd'hui, dans laquelle il publiera
des essais, en partie repris dans Passe-Temps (1928).
Aussitôt, Jacques
Rivière lui
offre la rubrique des théâtres à la La
Nouvelle Revue française,
et Gaston
Gallimard lui
propose d’éditer en deux volumes un choix de ses
articles de critique dramatique parus dans le Mercure
de France. Léautaud accepte, mais, négligeant, ne
donne le texte du premier volume qu’en 1927 et celui du
second qu’en 1943. En 1923, Rivière lui demandant la
suppression d’un passage désobligeant sur Jules
Romains,
alors un des principaux collaborateurs de la NRF,
Léautaud refuse et préfère donner sa démission.
Maurice Martin du Gard lui
offre alors la même rubrique aux Nouvelles
littéraires et
publie l’article refusé par la NRF. Trois mois
plus tard, il est sur le point de démissionner encore,
n’admettant pas qu’on lui demande de supprimer la
phrase : « Libéré. Il est
remarquable que le mot s’emploie également pour les
soldats et pour les forçats ». Martin du Gard
finit par céder, mais après d'autres menaces de censure,
Léautaud quitte définitivement les Nouvelles
littéraires six mois après le début de sa
collaboration. Il écrit : « Les
gens sont décidément bien drôles. Ils viennent chercher
un monsieur parce qu'il a les oreilles de travers. Il
n'y a pas deux mois qu'ils l'ont qu'ils
l'entreprennent : « Vous ne pourriez pas les remettre
droites ? » »
Réduit à ses appointements du Mercure, Léautaud
connait des moments difficiles : « Quand
je marque mes dépenses chaque jour, quand j'inscris
20 francs, il y a 15 francs pour les bêtes et 5 francs
pour moi. Je vais avec des souliers percés, du linge en
loques et souvent sale par économie, ce qui est une
grande souffrance pour moi, je mange insuffisamment et
des choses qui me répugnent, je porte mes vêtements
au-delà de toute durée et toujours par économie ou
impossibilité de les remplacer, je ne m'achète rien, je
ne m'offre aucun plaisir, aucune fantaisie. Je vais même
peut-être être obligé de cesser de m'éclairer à la
bougie pour travailler, ce qui me plaît tant. Voilà ma
vie à 52 ans accomplis ou presque. »
En 1939, Jean
Paulhan lui
demande de reprendre, cette fois sous son nom, dans la NRF,
la chronique dramatique. Il accepte, mais, trois mois
plus tard, survient une nouvelle rupture à la suite
d’une chronique où il traite le savant Jean
Perrin de « bavard
démagogue » et de « sot
malfaisant », pour avoir déclaré dans une réunion
publique que « bientôt grâce aux
loisirs tous pourront accéder à la grande culture ».
En novembre 1940, Drieu
la Rochelle lui demande de reprendre la chronique
dramatique dans la NRF. Une première chronique
paraît en février 1941, mais la suivante est refusée.
Toutes ces chroniques ont été intégralement publiées
chez Gallimard en
1958.
En 1939, Léautaud considère qu'il est temps de commencer
la publication de son Journal dans le Mercure.
Le directeur, Jacques
Bernard,
donne tout de suite son accord. La publication commence
le 1er janvier 1940 dans le Mercure devenu
mensuel, et se poursuit jusqu'au 1er juin,
allant de 1893 à 1906.
En septembre 1941, Jacques Bernard le renvoie, « sans
autre motif que le désir de ne plus le voir, et de la
façon la plus grossière ».
La notoriété
« Écrivain pour hommes de lettres » selon
son expression, Paul Léautaud devient connu du grand
public dans les années
1950 grâce
à la radio. Mais il approche de 80 ans et la gloire — et
l’argent — viennent bien tard.
Après son renvoi du Mercure, Léautaud se retire
de plus en plus dans son pavillon de Fontenay avec ses
bêtes. Venir à Paris le fatigue. Il faut le dévouement
de Marie
Dormoy et
de quelques amis pour qu’il ne soit pas totalement
isolé.
En 1950, à la demande de Robert
Mallet,
il accepte avec beaucoup de réticences d’enregistrer,
pour la radio qu’il n’aime pas (il n’a pas d’appareil de
radio chez lui), une suite de 28 Entretiens sur
le Programme
National,
une des chaînes de la Radiodiffusion
française,
les lundis vers 21 h 15 et
les jeudis à 21 h 40. Chaque entretien dure environ
15 minutes.
Léautaud n’a pas connaissance à l’avance des questions.
L’opposition entre le ton volontairement conformiste et
solennel de Mallet et la verve anticonformiste de
Léautaud fait merveille. « Le
vieux, c’est Mallet, le jeune, c’est Paul Léautaud »,
écrivent les critiques.
« Nous n’avons jamais eu d’entretiens aussi vivants,
intéressants et qui aient un pareil succès. »
— Paul
Gilson,
directeur des Services artistiques de la radio
« Je n’en reviens pas, on ne parle que de cela » dit
Gide, peu avant sa mort. Devant le succès remporté, une
deuxième série de 10 entretiens commence
le premier dimanche de mai 1951, à 20 h 30 sur Paris-Inter.
Les propos de Léautaud sont bien sûr jugés trop
audacieux pour être entendus dans leur intégralité. Tout
ce qui touche à la famille, à la sexualité, à
l’homosexualité, et notamment à celle de Gide, à l’armée
et à la patrie, aux comportements des gens de lettres à
la Libération est soumis à la censure. Mallet et
Léautaud doivent revenir enregistrer certains passages
pour les rendre conformes à ce que la radio peut offrir
à ses auditeurs.
Léautaud note le 2 novembre 1950 dans son Journal,
à propos de la scène, racontée par lui, où Firmin
Léautaud couche avec sa mère et sa tante dans le même
lit :
« Le directeur de la radio a jugé qu’on ne pouvait
offrir un pareil sujet aux familles, les familles dans
la plupart desquelles il s’en passe bien d’autres. »
Le 9 avril 1951, à l’Assemblée
nationale,
où l’on délibère sur le budget de la radiodiffusion, un
député MRP interpelle
le gouvernement : « Nous avons
entendu récemment pendant des semaines un critique, dont
j’ai appris le nom en l’écoutant à la radio, déblatérer,
traiter de tous les noms possibles ses contemporains et
prétendre ne se plaire que dans la société des animaux.
Je ne crois pas indispensable que de telles réflexions
soient produites à la Radiodiffusion française. » Le
ministre socialiste de l’Information répond : « Je
crois, et une très nombreuse correspondance le confirme,
que c’est tout à l’honneur de la radiodiffusion d’avoir
donné à Monsieur Paul Léautaud un public plus large que
celui du Mercure de France et qu’il n’est pas
inutile que, sortant d’un conformisme quelquefois
excessif, des voix comme la sienne puissent se faire
entendre. »
Les journaux s’emparent de l’affaire. Le
Canard enchaîné du 11
avril 1951 imagine une réponse de Léautaud au député. Combat prend
la défense du vieil écrivain.
Ses livres se vendent, les revues sollicitent sa
collaboration. Le Mercure de France lui fait
l’hommage, pour ses 80 ans, d’un numéro spécial.
Gallimard publie les Entretiens avec Robert Mallet (non
censurés) à 30 000 exemplaires et fait intervenir Mallet
pour obtenir la publication du Journal dans la bibliothèque
de la Pléiade.
Léautaud refuse.
Le Mercure demande la réimpression du Petit
Ami. Léautaud refuse. Marie Dormoy lui propose de
donner en échange le premier tome du Journal. Il
finit par accepter et le premier tome est publié le 20
octobre 1954 à 6 000 exemplaires. Tous vendus en trois
semaines, on en fait aussitôt un nouveau tirage.
« L’argent continue à me tomber. Je ne sais qu’en
faire. Je n’ai envie de rien. Le régime que j’ai dû
subir pendant la plus grande partie de ma vie d’employé
m’a donné un pli que je garde. »
Le 21 janvier 1956, sentant ses forces diminuer, après
avoir noyé sa guenon Guenette par crainte qu’après sa
mort elle ne soit malheureuse, et confié à des amis les
chats qui lui restent, il quitte sa maison pour
s’installer à la Vallée-aux-Loups,
dans la demeure de Chateaubriand,
chez son ami le docteur Henri
Le Savoureux (1881-1961)
qui tient là, une maison de santé. Il y meurt le 22
février. Il est inhumé dans l'ancien
cimetière communal de Châtenay-Malabry,
où il avait acheté, quinze ans auparavant, son futur
emplacement, " éloigné de toutes les tombes à grand
tralala de marbre, de colonnes et de dimension ".
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