MONNIER TEMOIGNAGES
Habitant
Nice durant de nombreuses années, tu as eu la chance de
bien connaître Pierre Monnier qui y a pris sa retraite.
Voudrais-tu évoquer cette rencontre et dire ce qu'elle
t'a apporté ?
Je n'ai pas rencontré Pierre à Nice, mais à Paris, lors
d'une " Journée Céline " que le Bulletin
célinien organisait alors chaque année depuis 1991.
Ma bibliothèque célinienne s'était étoffée depuis des
années passées dans les Pyrénées, à Carcassonne, en
Lozère et, à cette époque, à Nice où je venais d'être
muté.
Montant à Paris pour accompagner mon épouse, " Salon
dentaire ", je joignais l'utile à l'agréable en écumant
les bouquinistes des quais (bonjour André Bernot et
Jacques Giraudo !...) Saint-Michel, Saint-Germain et
tout le quartier Saint-Sulpice.
Abonné au Bulletin célinien, je connaissais
l'existence de Pierre Monnier et son rôle éminent joué
auprès de Céline, tant au Danemark qu'après son retour
avec Gaston Gallimard, mais je l'ai rencontré pour la
première fois en 1995 pour la " Journée Céline "
où le professeur Juilland était l'invité vedette.
Intimidé, j'avais osé, lors d'une pause où je venais
d'acheter Ferdinand furieux, lui demander de le
dédicacer en lui disant quelques mots de respect et de
sympathie.
Il me dit alors qu'il se partageait entre Paris et
Nice, où il se promettait de prendre sa retraite et nous
sommes vite tombés d'accord pour se retrouver soit place
Cigalusa, tout en bas de chez lui ou bien à mon bureau
de poste sur les quais du Port Lympia où j'exerçais
depuis trois ans maintenant.
Débuta là une merveilleuse et si attachante amitié,
forte d'histoires, d'histoires de notre France, remplie
d'anecdotes vécues, de faits historiques, politiques,
narrés dans leur contexte avec la précision d'un
historien paternel. Comme tout cela me permit enfin de
comprendre pourquoi et comment les chapes de plomb se
referment inexorablement sur tel auteur et pourquoi et
comment les portes de la renommée sont offertes à tel
autre !...
Que de soirées passées ensemble avec sa charmante
épouse Renée... Que de magrets au feu de bois dégustés
au " Vieux Four " !... Il avait été surnommé, je
ne sais plus par qui " le James Stewart dégingandé ".
Lumineux, enjoué, merveilleux conteur, il rayonnait,
pétillait de finesse et d'intelligence. Il connaissait
tout, avait tout vécu : la guerre, le Front populaire,
le 6 février 34, l'Action française, le journalisme avec
Thierry Maulnier et L'Insurgé, Vichy, puis le
dessin de presse chez Paul Lévy, directeur de Aux
Ecoutes, avant de terminer brillamment sa carrière
chez Loréal.
Imaginez un seul instant mon état d'esprit lorsqu'il
évoquait celui qu'il appelait Ferdinand...
- " Pierre, comment était-il dans la vie, réellement ?
- Tu sais, c'est difficile de décrire un tel génie. Il
avait connu tellement d'évènements, de bouleversements
des mœurs avec le désarroi des petits commerçants devant
la révolution technologique, la guerre surtout (clef de
son œuvre...), la S.D.N. où il avait démasqué " les
tireurs de ficelles ", l'Afrique, l'Amérique, sa
médecine, la Fondation Rockefeller, la montée du Front
populaire, les dessous de la 2ième Guerre Mondiale, la
gloire en 32, l'URSS et ses horreurs, la trouille pour
sa vie, Sigmaringen, la prison, tant d'années...
C'était surtout un homme de contradictions et il
connaissait l'existence de son talent. Imaginer les
champs de bataille se remplir à nouveau de milliers de
cadavres français lui était insupportable... Il lui
fallait réagir... "
(Entretien avec Michel Mouls, BC n°345, octobre
2012).

Cours
Saleya à Nice
Alphonse
Boudard, Louis Nucéra et Pierre Monnier dégustent la
socca
***
Pierre MONNIER
Un homme d’amitié et de fidélité
Nous l’avons annoncé dans
Présent du 30 mars 2006 : Pierre Monnier est décédé le
mardi 28 mars, à Nice, où il passait, depuis la fin des
années soixante-dix, une retraite heureuse (et
laborieuse), auprès de sa famille et de ses amis.
D’origine nantaise, né en 1911, Pierre Monnier a quatre
ans quand son père, officier de carrière, est tué à « la
Main de Massiges », durant les combats de l’année 1916.
Orphelin de guerre… Voilà sans doute qui contribuera à
orienter son engagement à la fois nationaliste et
pacifiste… Souvent aux risques de l’histoire !
Réfugié
avec sa mère à Bordeaux, le jeune Pierre révèle très tôt
un tempérament d’esthète, épris de peinture et de
littérature. C’est à l’Ecole des Beaux-Arts qu’à l’âge
de dix-sept ans il se liera avec un autre bordelais, le
futur dessinateur Chaval, auquel il consacrera plus tard
un ouvrage, Avant Chaval (éditions de La Butte
aux cailles).
Etudiant, Pierre Monnier milite à l’Action
française. C’est dans les rangs royalistes qu’il
rencontrera Thierry Maulnier et Jean-Pierre Maxence,
avec lesquels il participera à la fondation, en 1936, de L’Insurgé,
hebdomadaire vigoureusement opposé à la coalition du
Front populaire.
Cette période d’engagement à la pointe du combat
politique, dans une époque de troubles et de passions
exacerbées, Pierre Monnier l’a racontée avec brio dans A
l’ombre des têtes molles paru en 1987 (1) aux
éditions de La Table ronde.
Dans ce livre, l’auteur nous relate son passage à l’Action
française, sa participation à la Cagoule et
l’aventure de presse mouvementée que fut L’Insurgé.
Tout cela sur fond de deux idéologies en train de
s’affronter : communisme et fascisme.
Au passage l’auteur portraiture de façon très vivante
et très colorée des hommes qu’il a, durant cette période
de grande agitation, croisés, approchés ou avec lesquels
il s’était lié d’amitié : Charles Maurras, Thierry
Maulnier, Maurice Blanchot, Kléber Haedens, Claude Roy,
Pierre Boutang, Robert Brasillach, et quelques autres…
Mobilisé en 1939, Pierre Monnier participe durant
l’Occupation à la création et au développement des
« centres d’apprentissage de jeunes Français », créés
par le gouvernement de Vichy en zone occupée.
Après-guerre, Pierre Monnier se consacre, sous le
pseudonyme de Chambri, au dessin de presse. Il collabore
notamment à l’hebdomadaire de Paul Lévy, Aux Ecoutes.
Puis il crée les éditions Frédéric Chambriand dont le
principal objectif était de publier les écrits de
Louis-Ferdinand Céline, proscrit parmi les proscrits,
alors en exil au Danemark.
Céline autre grande affaire dans la vie de Pierre
Monnier. « Je suis de ceux qui ont lu Le Voyage au
bout de la nuit à l’appel de Léon Daudet dans l’Action
française du 22 décembre 1932. » Depuis, son
admiration pour l’écrivain Céline et son affection pour
le docteur Destouches ne se sont jamais démenties.
La conspiration de la haine judéo-stalinienne contre
l’auteur de Mort à crédit et de Bagatelles
pour un massacre durera onze années : de 1944 à
1955. Onze années
durant lesquelles, raconte Pierre Monnier dans son Ferdinand
furieux, « nous avons formé une équipe minuscule de
fidèles, connus ou inconnus, attachés, avec bien du mal
à la sauver de l’oubli : Albert Paraz, Daragnès, Marcel
Aymé, André Pulicani, Arletty… » De cette dernière, il
deviendra également l’ami, le confident et le
biographe : Arletty (chez Stock).
C’est d’ailleurs la grande comédienne qui le poussera
à publier Ferdinand furieux (1979, à L’Age
d’Homme), livre-culte parmi les céliniens. Il contient
les 313 lettres (commentées par l’auteur) que, de son
exil danois, Céline a envoyées à Pierre Monnier. Des
lettres qui nous dépeignent « dans sa crudité et
quotidienneté le Céline de l’exil en proie à l’amertume,
au délaissement et à ses ruminations dont sa vie durant
il tira la littérature de génie que l’on sait ». Une
époque où, à gauche comme à droite, qu’on le déplore ou
non « l’invective avait force de loi ».
Les années « Frédéric Chambriand » sont aussi celles
de sa rencontre avec un autre monstre sacré de la
littérature : Marcel Jouhandeau. Pierre Monnier édita
Marcel Jouhandeau et ses personnages. Et lui-même
consacra à l’auteur des Journaliers une plaquette
intimiste : En écoutant Godeau (Editions du
Lérot).
Au début des années cinquante, notre dilettante
impénitent eut brusquement charge de famille. Le dessin
et l’édition ne suffisant plus pour subvenir
pécuniairement à sa nouvelle situation, Pierre entra, à
42 ans, comme cadre commercial chez l’Oréal, où il
demeura vingt-cinq ans. Une expérience professionnelle
qu’il a racontée avec beaucoup de verve dans Irrévérence
gardée (1999).
Toujours jovial, courtois et chaleureux, d’une
originalité désinvolte, la curiosité sans cesse en
éveil, Pierre était avant tout un homme de fidélité.
Fidélité à ses admirations, à la France et à son passé,
à ses amis – l’amitié, ce vin de la vie qui réchauffe
les cœurs -, mais aussi à ses détestations : « Je suis
antigaulliste depuis juin 40 » aimait-il à répéter… Le
« lobby qui n’existe pas » lui inspirait le même
ressentiment.
J’avais fait la connaissance de Pierre Monnier en
1980, sous les auspices de Philippe Colombani (Aramis).
Pierre se partageait alors entre Paris et Nice. Puis, au
fil des ans, ses séjours dans la capitale se firent plus
rares et plus brefs. Passant généralement mes vacances
dans les Alpes-Maritimes, je continuais néanmoins à le
rencontrer, toujours avec la même joie et le même
plaisir, au moins une fois ou deux par an.
A Nice, Pierre avait instauré une sorte de rite :
chaque matin, il faisait sa revue de presse en prenant
son café dans un petit bistrot de la place Barel, Présent toujours
largement déployé. C’est là que souvent des amis le
rejoignaient, comme l’écrivain Raoul Mille ou le
libraire Jean-Pierre Rudin. Et bien sûr, lorsqu’ils
séjournaient à Nice, Louis Nucéra et Alphonse
Boudard. Alphonse surtout, l’ami intime, le « pote
inoxydable » qui avait trouvé chez Pierre et Renée
Monnier comme un second port d’attache.
Alphonse (mon voisin de Paris) que Pierre admirait
sans réserve, tous deux unis par une fraternité
d’esprit, faite de compréhension, d’indulgence, d’humour
et d’ironie frondeuse. « L’homme dont le caractère se
confond avec le nôtre vaut mieux que mille parents ».
Point central de cette géographie de l’amitié (tous ou
à peu près habitaient le vieux Nice), le petit bistrot
de la place Barel était aussi le passage obligé des amis
venus de Paris (n’est-ce pas Roger Granjean, Philippe
Colombani, Serge de Beketch) ou d’ailleurs. Je me
souviens tout particulièrement d’une matinée solennelle,
du mois de juin 1993 avec, autour de la même table,
Pierre Monnier, Alphonse Boudard, Louis Nucéra, et,
rentrant tous deux de Nouvelle-Calédonie, bronzés comme
des statues de vielle or, A.D.G. et Pierre Durand.
De cette assemblée cordiale et rieuse je suis
aujourd’hui le seul survivant. A un certain âge, disait
Céline, votre carnet d’adresses commence à ressembler à
un cimetière. Le mien sans doute plus que d’autres. Une
nécropole où mes souvenirs dansent, certains soirs,
comme des feux follets. Dans ce cimetière où nul cyprès
ne frissonne, je commence à me sentir bien seul.
Comme nous l’enseigne la Bible, « les jours de l’homme
sont plus rapides que la navette du tisserand » (Job
VII, 6). Et le temps humain fuit sans retour, emportant
ceux que l’on aime…
Adieu, Pierre !
A ton épouse Renée, à tes enfants Frédéric et
Sophie, j’envoie, de tout cœur, toute ma tendresse.
Jean
COCHET
(Présent,
samedi 8 avril 2006).
***
Dès que la triste nouvelle se répandit, nombreux
furent ceux qui manifestèrent leur émotion, amis connus
ou inconnus. Nous voudrions les associer à cet hommage
en les citant tout simplement ici : le romancier Raoul
Mille qui prononça, le 3 avril, une émouvante allocution
lors de la messe funèbre à l'église Notre-Dame du Port ;
François Gibault qui adressa aussitôt ses condoléances à
Renée Monnier et qui fit part du décès à Lucette
Destouches ; Michel Mouls, l'ami niçois qui déposa une
couronne mortuaire au nom du Bulletin célinien ; Gérard
Silmo, autre fidèle célinien qui informa les amis du
décès via internet ; Florient et Yvonne Morési, de
Reims, très affectés par la nouvelle de la disparition
de leur ami ; Serge de Beketch, P.-L. Moudenc et Jean
Cochet, les seuls journalistes qui rendirent hommage à
Pierre dans leur journal respectif ; et ces lecteurs du
BC qui nous firent part de leur émotion, tel Eric Petit.
Notre compatriote Christopher Gérard, animateur de la
revue Antaios, a diffusé le communiqué suivant : "
Pierre Monnier est mort : il était le dernier survivant
des milieux non conformistes des années 30, lui qui
avait côtoyé Maulnier, Blanchot (le premier !),
Brasillach, Drieu et bien entendu Céline, qu'il défendit
bec et ongles. C'était un vieux civilisé, ironique, un
homme épatant à l'esprit éveillé, comme j'ai pu m'en
rendre compte lors d'une rencontre parisienne (chez
d'autres non conformistes). Relisons A l'ombre des
grandes têtes molles, son chef-d'œuvre (La Table
ronde) : sans doute l'un des tableaux les plus justes
des années 30 et 40, que je comparerais à Sol
Invictus d'Abello. Sit tibi terra levis. "
Quand à Philippe Colombani, auteur du beau portrait de
couverture, il nous écrit que " dans sa fixité, ce
dessin est bien incapable de traduire l'incroyable
vitalité qui habitait cet éternel jeune homme. On
appartient, dit-on, d'abord à sa génération : celle de
Pierre, pour étrange que cela paraisse, courait sur un
siècle. Le même regard bleu, le même sourire, le même
enthousiasme pour Maurras, Maxence, Maulnier, Céline,
Chaval, Arletty, Boudard et Nucéra.
La même exigence du regard qui lui faisait aimer la
peinture de Matisse ou de Nicolas de Staël. Pierre fut
en fait une sorte de passe-muraille imperméable à la
bêtise, la bassesse, la vulgarité et sur lequel on avait
fini par croire que le temps lui-même glissait. "
M.L.
***
Quand l’ami Pierre Monnier remonte
la rue du temps passé
Des souvenirs aussi sympathiques
qu’irrévérencieux
Comme c’est beau la jeunesse ! Agé aujourd’hui de
quatre-vingt-huit printemps, ou quelque chose
d’approchant, Pierre Monnier n’a certes rien perdu de
l’enthousiasme d’un éternel adolescent.
Il reste à jamais l’étudiant des Beaux-Arts de
Bordeaux qui posait un regard curieux sur le monde et
avait décidé une fois pour toutes que l’ironie et le
sérieux pouvaient
faire bon ménage, pourvu que brûle la flamme de
l’enthousiasme.
On sent qu’il a aimé les farces estudiantines, les
copinages festifs et aussi le sain désir d’épater le
bourgeois.
Pourtant, en 1936, l’année du Front populaire
triomphant, il devait fonder avec ses amis Thierry
Maulnier et Jean-Pierre Maxence, un curieux brûlot :
L’Insurgé.
Il faut dire qu’il s’était trouvé un maître, Charles
Maurras. Il ne cache pas d’être resté fidèle à son
enseignement politique, à ses maximes comme à ses
phobies, à cette perpétuelle recherche d’un parfait
système qui résoudrait tous nos problèmes de la vie en
société dans cette France qu’il fallut quarante rois
pour bâtir.
Et il y tient, Pierre Monnier, à cette France « de
quinze siècles », qu’il lui plaît d’imaginer
intangible au milieu d’un monde assez hostile, comme la
petite « Ile » originelle des premiers Capétiens.
Appliquant la vieille « grille » maurassienne à toute
analyse de la planète telle qu’elle évolue sous nos
yeux, l’auteur de ce petit livre, qui tient des Mémoires
et du pamphlet, exhale la lumineuse certitude des
croyants.
N’allez pas croire pour autant que son ouvrage soit
rébarbatif, car Pierre Monnier possède un incontestable
talent de mémorialiste, plus convaincant parfois que sa
rigueur de polémiste.
Il continue donc à nous donner à voir, car Irrévérence
gardée est le troisième tome d’une alerte trilogie
qui fut commencée par A l’ombre des grandes têtes
molles, aux éditions de La Table Ronde, et Les
pendules à l’heure chez Flammarion (avant d’être
repris par Le Flambeau).
Ce dernier avatar d’une longue promenade s’inscrit
donc dans une perspective plus vaste, qui devait
s’appeler Rue du temps passé.
On y découvre vite que Pierre Monnier est un
personnage plus complexe que ne le fait croire son
ancien engagement militant dans les « Camelots du roi ».
Il est en effet grand amateur de jazz, de rugby, de
cinoche, de peinture…
Ce charmant vieux monsieur d’une étonnante jeunesse ne
ressemble en rien au nervi fascisant des caricatures. On
le découvre sympathique, affable, indulgent (même avec
ses adversaires), séduisant en un mot.
Ce petit livre qui commence sous une IVe République,
devenue bien préhistorique pour les jeunes générations,
se poursuit jusqu’à nos jours, où l’on constate qu’un
certain Breton a remplacé le défunt Provençal dans le
panthéon politique de notre auteur. Il n’est pas besoin
d’avoir en poche une carte de militant pour se situer
aussi vigoureusement à contre-courant de l’idéologie
dominante et de la pensée unique. En témoigna, voici
peu, un curieux portrait intitulé Le Pen, le peuple
et la petite fille Espérance, qui avait le premier
mérite d’exprimer une admiration sans flagornerie. Ce
sont souvent les plus solides et les plus fidèles. Pas
de plan dans ce nouveau livre, qui n’est qu’une
promenade où l’on rencontre de nombreux amis, dont
quelques-uns inattendus dans ce qu’on nomme nos milieux.
Pierre Monnier, qui partage le goût populaire pour la
chanson, y clame, entre autres, son admiration pour
Georges Brassens. On le comprend.
Ce sera sans doute une révélation pour ceux qui
croyaient connaître Pierre Monnier de découvrir qu’il
fut, pendant vingt-deux ans, un des cadres commerciaux
de la société l’Oréal et qu’il visita en voyageur
insistant des centaines de salons de coiffure. Nous
abordons ainsi tout un monde où les VRP sont souvent
pittoresques et fort accortes les clientes.
La République, cinquième du nom, va beaucoup moins
plaire à notre ami que la précédente. Il y découvre vite
le visage de la haine et le spectre de la guerre civile.
A lui faire regretter Mendès France et surtout le bon
président Coty.
Pierre Monnier ne tarde pas à nous avouer une habitude
qui est devenue chez lui une seconde nature : celle de
noircir des petits carnets de notes qui ne le quittent
jamais. Il y en aurait ainsi quatre ou cinq mille
pages : « Des bribes, des babioles, des broutilles,
des souvenirs, des tendresses et des rencontres, et des
humeurs… »
Patriote, catholique, anglophobe et eurosceptique,
voici un homme qui n’a jamais mis son drapeau dans sa
poche. Même si je ne partage pas sa conception du
nationalisme, éloigné tout autant de la diversité des
patries charnelles que de l’unité d’un continent
réconcilié dans un commun espoir, je ne pense jamais à
Pierre Monnier sans beaucoup d’amitié. Quel bon copain !
Et drôle ! Et fidèle !
(Jean Mabire, National hebdo n°773, 13 au 19 mai
1999).
***
Un
souvenir
Je
n’ai rencontré Pierre Monnier que deux ou trois fois
mais je garde le souvenir de quelqu’un d’attachant et de
passionné. C’est en me rendant à Bruxelles (ville de mes
« ancêtres »), à ma première réunion du Bulletin,
que j’avais fait sa connaissance.
J’étais parti en oubliant de prendre l’adresse du
rendez-vous. En parcourant le train dans l’espoir de
rencontrer un autre célinien, je suis tombé sur deux
messieurs, un peu moins jeune que moi, qui discutaient
paisiblement. En les voyant, j’ai deviné qu’ils se
rendaient en Belgique pour les mêmes raisons que moi. Je
ne les avais pourtant jamais vus. Il s’agissait – je
l’ai compris assez vite – de Pierre Monnier et de Paul
Chambrillon. J’aurais pu tomber plus mal. Et quand je
leur demandai s’ils avaient l’adresse de la réunion, ils
s’aperçurent qu’ils n’en savaient pas plus que moi.
Arrivé à la gare, Monsieur Chambrillon passa un coup
de fil à Paris et on lui indiqua enfin le lieu de
rendez-vous. Nous prîmes un taxi ensemble. Et c’est
comme ça que je suis arrivé (en retard) à la réunion
bruxelloise du Bulletin célinien accompagné de la
plus belle et de la plus réjouissante des escortes.
Quand nous avons pénétré dans la salle, Marc Laudelout
est arrivé vers nous les bras ouverts. Bien sûr, c’était
pour accueillir ses deux invités prestigieux…
Je me suis assis discrètement et j’étais bien ravi
tout de même. Ceci est une minuscule anecdote sans
intérêt pour quiconque. En revanche c’est un souvenir
personnel auquel je tiens beaucoup. Je trouve que mon
entrée dans le monde célinien était plutôt réussie.
Pierre Monnier me fit, quelques temps après, une belle
dédicace de Ferdinand furieux. C’était le jour où
il avait disparu de l’estrade pendant qu’il nous
racontait ses souvenirs avec Céline. Nous avions eu peur
mais lui, ne s’était même pas arrêté de parler et était
réapparu illico.
Merci à Pierre Monnier de nous avoir fait partager son
émotion. Nous pensons très fort à lui. Et merci au Bulletin
célinien de nous l’avoir fait connaître et
rencontrer.
Eric PETIT.
Magnifiquement
Français
Pierre Monnier a été le parrain, l’âme, l’inspirateur
du Libre Journal qui est donc, très modestement
un enfant mal élevé de L’Insurgé qu’il anima aux
côtés de Maxence et Maulnier. Il m’a ouvert la porte de
la vraie culture populaire, m’a fait aimer Matisse,
Maillol, et découvrir la poésie. Il m’a légué la devise
du Connétable du Guesclin : « Puisque sommes vilains,
seront bien hardis ».
Lui aussi était un être fort, lumineux, patient,
délicat. Un pédagogue, un modeleur d’âme, de goût,
d’idées. Sans aucun argument d’autorité. Avec son seul
sourire, sa formidable culture non pas
formidable culture non pas acquise mais comme
co-naturelle à son être, son bon goût si profondément
français et cette délicatesse, cette discrétion qui,
jamais, n’imposait
rien, mais forçait l’attention et l’interrogation.
Je me souviens de son sourire indulgent et de son
mouvement de tête, cette belle tête aux yeux vifs et
couronnée de boucles blanches, lorsque je pérorais,
jeune crétin, sur Céline que j’avais décrété illisible
(pour ne pas dire comme ADG qui l’idolâtrait).
Il savait bien que ça ne pouvait pas durer.
Nous avions fondé un club ultra-secret et ultra-sélect
puisque nous en étions les deux seuls membres : le
Cercle Apollinaire où la seule condition d’adhésion se
résumait à être Français d’origine étrangère… ou pas.
Le « ou pas » était une concession imposée par
l’évidence que Pierre était totalement,
irrémédiablement, absolument, radicalement,
incurablement, magnifiquement Français.
Pierre était avant tout un homme d’une rigueur morale
absolue. Lorsque je préparais le numéro du Crapouillot sur
« Mitterrand très secret », je le taraudais, sachant
qu’il avait approché de très près la mystérieuse
Cagoule, pour qu’il me dise une bonne fois si oui ou non
le vieux satrape avait été, dans sa folle jeunesse,
membre du mouvement de Deloncle.
- Nous avons juré de ne jamais révéler l’appartenance
d’un membre, me répondait-il.
- Mais enfin, Pierre, ce serment a cinquante ans, c’est
de l’histoire ancienne !
- J’ai juré, tu sais.
Ce fut tout ce que j’obtins.
Serge de BEKETCH
(Le
Libre Journal, 5 avril 2006)
Un homme lucide et fervent
Si l’on veut avoir un éclairage original sur la période
qui va de 1938 à 1952, il faut lire Pierre Monnier. Les
Pendules à l’heure, second volet d’un récit
autobiographique entamé avec A l’ombre des grandes
têtes molles, offre un témoignage plein de verve,
résolument non-conformiste, que nombre de nos lecteurs
qui ont vécu ces temps difficiles pourraient corroborer.
Il appelle un chat un chat, et De Gaulle « le général
La Caution ». Son franc-parler donne à ses souvenirs une
saveur particulière. Il dénonce les impostures, prend à
rebrousse-poil les vérités consacrées. Bref, il ne
s’embarrasse ni de révérence, ni de circonlocutions. De
la version des évènements donnée a posteriori par les
vainqueurs, il ne subsiste rien, ou presque. Les mythes
colportés depuis un demi-siècle, mythes auxquels le
temps et les multiples complicités confèrent une manière
d’intangibilité confortée par le matraquage officiel,
s’écroulent comme châteaux de cartes.
Simplement parce qu’il raconte, sans idées préconçues,
sans en fausser la perspective par des réajustements
malhonnêtes, ce qu’il a vécu, à l’instar d’un grand nombre
de Français de bonne foi. Hérétique, certes, mais « par
rapport au mensonge institutionnalisé ». Son livre est
en quelque sorte, un contrepoison. Il s’adresse en
priorité aux jeunes gens d
priorité aux jeunes gens dont les yeux ont grand besoin
d’être dessillés. C’est une œuvre pédagogique, dans le
meilleur sens du terme.
Le rôle pernicieux de l’Angleterre, son écrasante
responsabilité dans la déclaration de guerre, le double
jeu des communistes, la lâcheté et les compromissions du
personnel politique, les profits illicites tirés tant de
l’Occupation que de la Résistance, les vengeances
sordides, la persécution des élites, tout cela, qui
demeure soigneusement occulté par les prébendiers de
tout poil et leurs successeurs, apparaît en pleine
lumière.
Sans doute Pierre Monnier n’est pas le premier à
révéler que le roi est nu. Mais son propos, animé d’un
bout à l’autre d’une allégresse frondeuse, jouant sur
tous les registres, de l’humour à l’ironie la plus
cinglante, acquiert une portée d’autant plus
dévastatrice qu’il se défie des grandes professions de
foi idéologiques. Plus parlantes, les anecdotes, les
rencontres, les réflexions notées au jour le jour.
Dans ces pages pleines de passion, on croise mille
personnages, de Brasillach à Albert Paraz, de Thierry
Maulnier au dessinateur Ben, de Chaval, son condisciple
aux Beaux-Arts, à François Sentein. Toutes figures plus
ou moins familières, croquées de main de maître – comme
ces caricatures dont Monnier, qui signait Chambri,
fournit quelque temps à Paul Lévy, le patron de
l’hebdomadaire Aux Ecoutes. Et Céline, bien sûr,
à qui il rendit visite dans son exil danois avant de
devenir son éditeur.
Le tableau qu’il brosse d’une des plus sombres époques
de notre histoire contredit, et fort éloquemment, le
manichéisme professé par les historiens. Il sera mal
reçu dans les salons de la gauche caviar. On lui
opposera le mur du silence. Une technique qui a fait ses
preuves. Mais les murs finissent toujours par céder, et
c’est à des gens tels que Pierre Monnier qu’on le doit.
P.-L. MOUDENC
(Rivarol, 12 avril 1993)
***
UNE BRASSEE D'HOMMAGES FERVENTS ET MERITES...
" Une
brassée d'hommages fervents et mérités ", écrit
l'hebdomadaire Rivarol (2 juin 2006) à propos de
notre numéro dédié à Pierre Monnier. Nous avons été
surtout touchés par la réaction de la fille et du fils
de notre ami disparu. Sophie Monnier nous a écrit
ceci :
" Je vous remercie infiniment pour le très bel
hommage que vous avez consacré à mon père. Il aurait
aimé cette amitié, cette tendresse, et surtout l'humour.
Je l'ai retrouvé au fil de vos pages, avec un sourire
empreint de mélancolie. Il restera quelque chose de lui
dans tous ces souvenirs, il était le dernier d'une
sacrée bande qui manquera à tous les amoureux de
l'ironie et du respect. "
Frédéric
Monnier a,
lui aussi, pris la plume : " J'ai lu le BC avec
l'émotion que tu imagines. Merci de tout cœur pour ce
bel hommage rendu à mon père. Les témoignages que tu as
rassemblés constituent un portrait très juste et très
émouvant. C'était en effet un homme d'une qualité peu
courante. Je croyais, étant enfant, que tout le monde
devait être comme ça. J'en suis revenu ! Ma mère se
joint à moi dans le grand " merci " que je t'adresse. "
Vera
Maurice (Paris)
: " Les propos de Pierre Monnier reproduits à la
page 10 du BC de mai - " Je connais peu de choses
plus difficiles que d'écrire une vingtaine de lignes sur
L.-F. Céline " - m'ont aidée à comprendre pourquoi
les hommes entiers et authentiques sont toujours une
leçon. Ces propos m'ont aussi apporté un éclairage
important sur mes prédilections pour certains auteurs
brésiliens sur lesquels je travaille toujours : presque
tous persécutés, exilés, emprisonnés, mais jamais
lâches. Ils ont en commun génie et authenticité. A
l'époque où j'enseignais le portugais au Brésil, ils
étaient proscrits, souvent pour des raisons opposées,
tel Céline à l'Alliance française.
Aucun doute, Pierre Monnier est une LEÇON d'intégrité
et d'honnêteté à tous les points de vue. "
Pierre Lainé (Rennes) : " Le décès de Pierre
Monnier m'a attristé. Je l'ai bien connu, à Nice, à
Paris, en Bretagne et au Maroc où Renée et lui étaient
venus me voir. "
Marcella Maltais (Paris) : " Dans mon Hôtel
crève-cœur, pp.76 à 86, ce promeneur du Canal
Saint-Martin qui a bien voulu me rapprocher de Céline et
d'Arletty, n'est nul autre que Pierre Monnier. Avec sa
générosité habituelle, il a su nourrir ce chapitre, sans
lequel mon livre n'aurait pas été ce qu'il est. Qu'il en
soit remercié (il l'a été) ainsi que de toutes les
rencontres fertiles avec son épouse Renée, où la
littérature, la peinture, l'histoire étaient vérifiées
par ses connaissances. J'ai eu beaucoup de chance
d'avoir un tel ami, que je n'ai pas fini de regretter. "
Odile Barckicke (Pavillons-sous-Bois) : " Je
garde un souvenir émerveillé de la réunion célinienne à
laquelle vous l'aviez convié à Bruxelles. J'ai pu ainsi
faire un peu la connaissance de Pierre. Au retour vers
Paris, j'ai eu la chance de partager son compartiment.
Jamais voyage ne m'a paru plus court ! J'étais
littéralement sous le charme. "
Robert Le Blanc (Paris) : " J'ai lu avec grand
plaisir votre numéro consacré à Pierre Monnier. Cela me
touche qu'il ait évoqué, en 1997, son professeur de
troisième de 1925 à Bordeaux, Paul Avisseau, citant dans
un discours de distribution des prix des vers que je
tiens à rectifier. La première citation vient des Complaintes (1885)
de Jules Laforgue, charmant poète que Charles Dantzig
(qui ne craint pas le ridicule) voudrait substituer à
Céline comme inventeur de la modernité littéraire : " Celle
qui doit me mettre au courant de la Femme ! / Nous lui
dirons d'abord, de mon air le moins froid : / La somme
des angles d'un triangle, chère âme, / Est égale à deux
droits. "
La seconde citation est le début d' " Outwards " dans Cartes
postales de H.J.M. Levet (1874-1906), - vers qui
n'étaient connus que depuis 1921 : " L'Armand-Béhic (des
Messageries Maritimes) / File quatorze noeuds sur
l'Océan Indien... "
(Marc Laudelout, BC n°275, mai 2006).
***
IRREVERENCE
GARDEE
Né
en 1911, fondateur avant la dernière guerre de L'Insurgé avec
Thierry Maulnier, sous la direction de Jean-Pierre
Maxence, dessinateur de presse sous le nom de Chambri,
éditeur de Céline, il est " entré en littérature " en
1988, avec Ferdinand furieux (L'Age d'Homme). Ont
suivi des ouvrages sur ses amis - Arletty, Chaval,
Jouhandeau - avant le récent Céline et les têtes
molles (Ed. Le Bulletin célinien). Sans compter deux
recueils de chroniques, A l'ombre des grandes têtes
molles (La Table ronde) et Les Pendules à
l'heure (Ed. Le Flambeau), qui constituent
d'irremplaçables témoignages sur la période d'après
1930.
C'est que Monnier est, avant tout, un homme libre.
D'une indépendance d'esprit et d'une honnêteté
sourcilleuses. Doté, ce qui ne gâte rien, du sens de
l'humour. Tout le contraire d'un idéologue à œillères.
Il pose sur les êtres et les choses un regard aigu, mais
dénué de méchanceté. Politiquement incorrect, dans la
mesure où la sottise et l'imposture le hérissent. Soyons
assurés qu'il n'en a cure.
Irrévérence gardée - joli titre ! - est le
troisième et dernier volet de son triptyque de
chroniques. Digne en tous points des précédents. Même
verve, même vagabondage (cette fois de la Quatrième à
nos jours) mêlant portraits, anecdotes, témoignages,
commentaires. Avec pour fil conducteur le récit d'une
vie qui lui a permis de côtoyer les gens les plus
divers, Pierre Monnier fait le point, sans amertume,
sans jouer les donneurs de leçons. Son propos est direct
et coloré, animé toujours d'une chaleur qui fait qu'une
connivence s'établit d'emblée avec son lecteur. Il
aborde avec la même simplicité tous les sujets, l'art ou
la littérature, la politique ou la philosophie. Sans
oublier sa vie professionnelle chez l'Oréal à laquelle
il consacre des chapitres savoureux. Des carnets qu'il a
remplis au jour le jour tout au long de son existence,
il tire la substance de son livre. C'était la méthode de
Montaigne.
Ses détestations, on les devine : une anglophobie
dûment étayée par des références à Jean-Louis Forain,
Hugo, Barbey, Béraud et Céline. Le communisme, mais
aussi le capitalisme apatride. Le résistantialisme et
son avatar, le moralisme démocratique. Bref, la Pensée
unique et son catéchisme. A l'inverse, dans son Panthéon
personnel, nombre de divinités au culte desquelles,
majeures ou secondaires, on s'associe volontiers. Au
sommet de l'Olympe, Ferdinand, ce qui ne saurait
surprendre. Mais aussi Brassens, Louis Armstrong et Fats
Waller, qu'il célèbre avec un enthousiasme juvénile. En
peinture, il admire Matisse et tient pour un faux La
Guerre du Douanier Rousseau. Parmi ses prédilections
littéraires, Anouilh, Vialatte et Jacques Perret. C'est
assez dire que nous nous trouvons en présence d'un
auteur de bonne compagnie.
On ne résume pas un tel livre. Sa diversité même
interdit une telle gageure. On s'y plonge avec le
plaisir de découvrir à chaque page le détail qui fait
réfléchir, la formule frappante dont on eût aimé être
l'auteur - voire des fable-express dont les meilleures
sont évidemment les plus approximatives... Le plaisir,
surtout de retrouver, un écrivain de la famille et de
partager, l'espace d'une lecture, son expérience et sa
culture.
P.-L.
MOUDENC
(Rivarol,
21 mai 1999)
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