NIMIER TEMOIGNAGES

 

 

       EXTRAITS DE BIVOUACS D’UN HUSSARD

 

Sur Roger Nimier :

A l’annonce de sa mort, révolté, abasourdi, incrédule, je téléphonai à La Table Ronde, ma maison de famille. Dans la chapelle de l’hôpital de Garches, la dignité de la mère de Roger empêcha la mondanité par Le carré des amis, autour de Marcel Aymé,  d'Antoine Blondin, de Jacques Perret et de Michel Mohrt. Au mur des lamentations, le chœur des belles amies du temps jadis.       

« Nous devons beaucoup à nos morts déclara Jacques Perret, alors ce qu’ils nous demandent à voix basse, il faut le faire tout de suite ». Je me suis remémoré le mot de Nietzsche, qui justifiait l’honneur et la grâce d’exister de Nimier : l’amour de la vie est parfois le contraire de l’amour d’une longue vie.

                                                                                                                              
                                                                                                                                 ***

 

        LeBeffroideDouai,

 Roger Nimier 1925-1962, à toute vitesse, 15 mars 2009).

Jacques Brenner : Dictionnaire des auteurs

Nimier Roger. Romancier français. Né à Paris le 31 octobre 1925, mort à Garches (Hauts-de-Seine) le 28 septembre 1962. Ses ancêtres avaient appartenu à la maison des comtes de la Perriere, qui fournit un certain nombre de corsaires malouins.

Nimier aimait faire allusion à ses ascendances bretonnes. Son père, ingénieur, était l’inventeur de l’horloge parlante. Sa mère, premier prix de violon du Conservatoire de Paris, abandonna la musique lors de son mariage. Le jeune Roger fit ses études au lycée Pasteur où il eut comme condisciple Michel Tournier. En 1942, il obtint le 2e prix de philosophie au Concours général. Tout en commençant à gagner sa vie, il suit les cours de la Sorbonne et devient licencié en philosophie. Peu après la Libération, il s’engage au 2e régiment de hussards. Il se bat dans la poche de Royan où il est blessé. Il est démobilisé au printemps 1945. Sans doute son premier roman L’Etrangère, qui se situe pendant l’été de cette même année, est-il quelque peu autobiographique : le héros se prénomme d’ailleurs Roger. Nimier garde ce manuscrit dans ses tiroirs (publication posthume, 1968). On s’aperçoit en le lisant que le jeune auteur était un disciple de Giraudoux et de Cocteau. mais il allait vite s’inventer un style bien à lui. Son deuxième roman, le premier qu’il ait publié, s’appelle Les Épées (1948) et il est d’une extrême violence. On y voit un adolescent passer de la Résistance à la Milice, mais il ne croit en vérité qu’aux " chemins solitaires ". Le livre fut aussitôt remarqué. Jouhandeau a dit son saisissement quand il le lut : " Ce fut comme si j’avais reçu une gifle de gloire, une gifle de lumière."

Avec ses deux romans suivants. qui parurent en 1950, Perfide et surtout Le hussard bleu, Nimier s’imposa comme la figure littéraire la plus marquante de sa génération. Les revues se disputèrent sa collaboration et il se révéla excellent critique. En 1951, on lui proposa de diriger un nouvel hebdomadaire, Opéra. Rédacteur en chef de vingt-cinq ans il imagina une mise en pages aérée et des titres à sensation, très parisiens. Alors qu’il était partout fêté, il écrivit deux nouveaux romans d’un romantisme désabusé : Les Enfants tristes (1951) et Histoire d’un amour (1953) Chardonne lui conseilla alors d’attendre dix ans pour publier un nouveau livre. Nimier voulut-il suivre ce conseil ? En tout cas, abandonnant provisoirement le roman, il allait se consacrer au journalisme, au cinéma et à l’édition. Côté cinéma Ascenseur pour l’échafaud (1957) dont il écrivit le scénario et les dialogues pour Louis Malle fut le premier des films qu’on catalogua " nouvelle vague ". Il adapta lui-même pour l’écran Histoire d’un amour qui devint Les Grandes personnes et que réalisa Jean Valère (1960) en collaboration avec Roland Laudenbach, il s’inspira librement de Flaubert pour permettre à Alexandre Astruc de tourner L’Éducation sentimentale (1962).

Depuis 1957, il occupait un poste de conseiller littéraire aux Editions Gallimard, il était notamment chargé de commander des préfaces pour la collection classique du livre de Poche. Ainsi fit-il présenter Suétone par Montherlant, Tolstoï par Chardonne, Dumas par Morand et Homère par Antoine Blondin. Il travailla aussi à l’achèvement du Tableau de la littérature française entrepris dans les années 30 par Malraux, à la N.R.F. sous forme d’ouvrage collectif. Au début des années 60, il prépara sa propre rentrée littéraire. Aux Enfants tristes, il allait faire se succéder les cavalcades de D’Artagnan amoureux. Le livre serait posthume : Nimier devait être victime d’un terrible accident de voiture. C’est sans aucune raison que certains journalistes parlèrent de suicide. Marcel Aymé fit observer qu’une telle hypothèse était monstrueuse puisque " Nimier avait à son bord une passagère qu’il connaissait à peine ". Dans la littérature contemporaine Nimier reste le chef de file de ceux que l’on a appelés les " hussards " et qui, refusant la littérature selon Sartre, revinrent à la littérature selon Larbaud.

 

  René Wintzen : Littérature de notre temps (Casterman)

 La mort foudroyante de Roger Nimier au volant de sa voiture a contribué à faire entrer l’auteur des Enfants tristes dans la légende. A vingt-trois ans, il publie son premier roman; à vingt-cinq ans il est célèbre et provoque le scandale avec Le Hussard bleu. Il est de toutes les fêtes, promène sa nonchalance, son mépris, son insolence dans les salons littéraires, fait et détruit avec délectation les réputations dans les journaux qu’il dirige ou auxquels il collabore, s’amuse aux dépens d’une petite société vaniteuse, puis, brusquement, se retire de la scène, renonce à publier, se contentant de remplir son rôle de conseiller littéraire aux Éditions Gallimard. Son ami Antoine Blondin a rapporté ce que furent ses dernières années : " Sa carrière va s’effacer devant celle des autres qu’il sert avec une attention méticuleuse. II honore les livres en leur consacrant ses vertus d’administrateur et d’homme de jugement, il honore les auteurs, ses amis, en les tirant du désarroi, de la misère, voire du poste de police. Protecteur, il n’en a pas le ton. Son existence est humble et aristocratique. Il a découvert le rugby dont le goût rejoint bientôt chez lui celui des armes anciennes, du dessin, de la papeterie, des condiments, du champagne et de l’eau fraîche, tout ce qui brûle ou qui glace, tout ce qui fait la vie plus sage et plus virile, plus fidèle et plus folle. " Un mois avant de mourir, Roger Nimier achève son D’Artagnan amoureux, en exergue duquel il inscrit cette phrase de Madame de Sévigné : " Cette belle jeunesse où nous avons souvent pensé crever de rire ensemble. "

Aussi bien, Roger Nimier nous apparaît-il comme un autre Radiguet, qui porte sur son visage les marques d’une vieillesse précoce, qui flambe, tel le héros du Diable au corps, qui se hâte " Comme les gens qui doivent mourir jeunes et qui mettent les bouchées doubles ". Roger Nimier a brûlé les étapes, puis, tout lui ayant réussi, il entre en retraite, se prépare au seul événement qui compte. Il faut faire un choix : accepter de vivre ou s’engager dans la mort qui nous rappelle la vanité des actes, l’illusoire précarité de nos engagements, qui nous lave de tous les soupçons, de toutes les compromissions, de toutes les trahisons chaque jour endurées, acceptées jusqu’à la nausée. Tôt ou tard, on se trouve condamné à la vie, ce qui est une autre forme de renoncement, de capitulation, de suicide, ou bien le courage vous manque et la mort constitue alors la seule issue, l’unique échappatoire.
François Sanders, le héros du premier roman de Roger Nimier, Les Epées, tente de se suicider; nous n’apprendrons que plus tard, dans Le Hussard bleu qu’il a décidé de vivre. " Il me restait donc un avenir, estime-t-il. D’un cœur impatient, je venais l’offrir à tout ce qui dure, à tout ce qui exige, à tout ce qui ordonne l’existence... Je revenais à ma nature véritable qui était de servir à quelque chose, sans amour, mais avec passion. "
 Mais Olivier, le personnage principal des, Enfants tristes met fin à sa vie. Il n’a pu supporter l’hypocrisie enjouée d’une société méprisable, la tendresse insignifiante d’une femme qu’il n’aime pas, la mort de Dominique dans un accident d’avion. A I30, au volant de sa voiture, une Aston-Martin, " Olivier, brûlant les feux rouges, évitant de justesse des camions, des cyclistes... trouva ce qu’il était venu chercher dans un grand chantier où l’on avait creusé des fosses profondes ". Anne, dans L'Histoire d'un amour, choisit une autre voie; la résignation à la vie devient en quelque sorte ascèse, discipline rigoureuse, un long martyre volontairement accepté. Comme Olivier Malentraide, Anne, qui n’aime que Philippe, renoncera à l’épouser; elle refuse que la vie dégrade le sentiment qu’elle lui porte et qu’elle sait qu’il partage. Sa vérité, elle la trouve dans ce sacrifice; d’autres lui préfèreront la fuite dans la mort.
 Pour Roger Nimier, il n’y a pas à regretter la vie qui est trompeuse, mensongère et perverse. En regard d’elle, la mort est une affaire toute simple, libératrice, amicale. I’existence est prisonnière d’une dialectique qui se trouve tout entière compromise entre deux pôles : l’amour et le néant. Le péril est que l’un et l’autre se détruisent réciproquement.

 Dans son essai, Amour et Néant, Roger Nimier a résumé en philosophe sceptique, la portée de son œuvre : " Ce qu’on entend par la mystique, ce n’est pas une expérience rare et confuse, réservée à quelques-uns. C’est le grain dont nous faisons nos jours. La mort elle-même se défait dans cette perspective. On ne parle jamais assez sur sa force. On pense à se munir contre la mort par des maximes, par la fatigue ou par des révérences à l’égard d’un Dieu qui ressemble trop à un examinateur pour être véritable. On s’arme pour une défaite. On n’ose regarder en face une chose aussi simple : c’est que nous y verrions notre image — non pas un long regret de la vie. "
 Lorsqu’il quitte l’Allemagne vaincue, François Sanders, le hussard bleu, attend beaucoup de la France qui va se relever de ses ruines, réconcilier ses enfants. Il attend tout de ce pays : une civilisation, une patrie, une religion. Ces mots ont encore un sens pour lui. Quelle ne sera pas sa déception ! Il n’avait plus guère d’illusion sur les hommes, l’humanité lui était devenue étrangère. Mais il restait à croire, à essayer de croire aux institutions, aux idéologies peut-être, aux philosophies.
 Mais la France de l’après-guerre est plongée dans l’obscurantisme, la bêtise et la veulerie. L’ombre de Sartre et de ses disciples fait peser sur l’intelligence tout le poids du sectarisme et de la dictature de l’esprit. Il n’y a plus de liberté de pensée, de joie de vivre, d’explosion naturelle. Tout est codifié, structuré; chaque jour, en France, on meurt d’asphyxie mentale. Dans Le Grand d’Espagne, Roger Nimier dénonce cet état de choses ; il le fait en pamphlétaire habile. Ses coups portent. Il en découd avec Bernanos, avec tous les pontifes d’une société qui croit pouvoir se survivre à elle-même et qui a disparu depuis longtemps "  Vous nous avez transmis la culture, mais il n'y a plus de société. " Quant à la France, elle n’a plus rien pour galvaniser les tempéraments, enthousiasmer une jeunesse avide d’action, d’éclat, de prouesse. Elle n’est qu’un " triste empire aux yeux creux, vieux rêve dont le fard empeste, cadavre échoué sur la plage. Ses prestiges sont morts ? Ses charmes fanés. "

 Seule démarche acceptable, peut-être même exaltante, la révolution restait à faire ; la révolte pouvait encore sauver de l’ennui mépris, de la honte une génération éprise du plus pur idéal. " Hélas ! A peine avions-nous fait un pas dans cette voie, nous reculions avec horreur : il y avait une académie de la révolution, un conseil supérieur du désordre et la poussière déjà collait sur une flaque de sang... "
 Pour Roger Nimier, il n’y a de place désormais que pour le mépris ; la société n’est plus composée que de vieillards odieux, méchants et imbéciles qui ont rendu la vie mécanique, en ont fait métier plus ou moins lucratif grâce à quelques trucs qui s’apprennent. Les idéologies trahies chaque jour ce qu’elles portent en elles de respectable; en les acceptant, en s’y soumettant l’homme travaille à sa propre déchéance.


Que vaut donc la vie ? Quelle peut en être la signification? Comment la mener à bien en mal d’une communauté d’êtres avilis par les super chéries? Roger Nimier, dans son œuvre et par l’exemple, a répondu à ces questions. Il n’existe qu’une issue à ce dilemme : celle du jeu solitaire pour reprendre l’expression d’Yves Berger. Il s’agit d’un défi lancé aux idéologies, à une collectivité, aux morales. L’ homme doit s’accomplir seul, refuser tous les engagements. Dans un monde cruel, qui se complait à sa propre perte, " il ne reste que des chemins solitaires ". Déjà, dans Les Épées, Roger Nimier propose à ses lecteurs cette ascèse hautaine, répondant par le mépris à toutes les comédies sociales et éthiques.
 A l’exemple de François Sanders et d’ Olivier Malentraide, il ira jusqu’au bout d’une logique implacable, tout en restant cet " indifférent passionné ", si gravement meurtri par des lendemains sans espérance, toujours à la recherche d’un acte qui ne serait pas gratuit, d’une innocence nouvelle, malgré les apparences du cynisme et de la désinvolture qu’il aimait à se donner. Roger Nimier, qui fut sans doute l’écrivain le plus doué de cet après-guerre, et qui nous a laissé quelques œuvres qui comptent (Les Épées, Le Hussard bleu, Amour et Néant), est mort d’une blessure que nous avons contribué à élargir, dans le chaos organisé d’un monde qui tue les individualités. Comme beaucoup, sans s’y tromper pourtant tout à fait, il a cru trouver dans l’amour, qu’il peint dans une prose claire, ferme, élégante, cet élan régénérateur : " Il vient un temps, écrit-il dans Amour et néant, au cœur du doute, où seul un acte figure la certitude. Dans le cheminement qui nous occupe, l’amour physique apparaît comme un point fixe et la seule chance de sauver ce que le temps et la société rongent sans cesse. Alors, on retourne aux gestes du plaisir, comme on retournerait à l'innocence. "

" Écrivain puissant , d’une force à tout arracher, et à passer sur le ventre de la critique, il se pose des questions pointues au lieu de se laisser aller à son humeur. Il se méfie de sa force, de sa joie, de sa tristesse ardente et se demande si le mieux n’est pas d’écrire sur la pointe des pieds des choses rares et nettes." 
  Marcel Aymé

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                     TERRA IGNOTA

                     Humeur et parti pris

              Je n’ai pas de Panthéon

  Je n’ai pas de Panthéon, même littéraire, chez moi, tout s’organise en circonstances. Je lis Maïakovski quand je bois de la vodka, d’Aurevilly quand j’ai besoin d’éclat baroque, Huguenin pour un retour à une certaine naïveté de bord de mer, Nimier pour l’insolence hussarde, Apollinaire quand le monde me fatigue.
    08/01/2021

             La mêlée !

 Certains sont entrés dans le rugby comme d’autres entraient en religion au temps des croisades : Il s’en suit une liste de martyrs mais aussi de saints et de renégats. Roger Nimier disait d'ailleurs, " l’homme naît mauvais, la société le déprave, mais le rugby le sanctifie ".
    20/06/2016

     Tout prendre au tragique

Il faut vivre sous le signe de la désinvolture, ne rien prendre au sérieux, tout prendre au tragique.
Roger Nimier
  31/08/2014

      La guérison de la colère

Seule compte la révolte. C’est la guérison des sentiments de colère et de haine. Mais ces passions ne se guérissent qu’en éclatant.
Roger Nimier
  11/07/2014

     Wagon rouge

 Roger Nimier parlant de Valery Larbaud : « Quand il voulait adresser un compliment à une dame, il ne connaissait que deux étapes ; rougir ou l’inviter dans un wagon-lit ».
  06/10/2013

   A la recherche de la beauté

On sait qu’il existe trois types de beauté, de mérites différents. Les beautés sanglantes, les beautés sublimes et les beautés vénitiennes.
Roger Nimier
 19/04/2012

   Tragique Athos, sanglant, fidèle Athos

 D'Artagnan, Porthos, Aramis demeurent pour les vrais hommes - ces grands enfants, comme les femmes faites ou les femmes-fêtes l'assurent - trois carrières séduidantes : celle d'ardent jeune homme qui rêve d'une situation, et d'Artagnan en est l'exemple ; celle d'orgeuilleux athlète, qui, après une rude carrière de ski nautique, épousera une héritière : Porthos dicte la voie. Ou Aramis, plus séduisant encore parce qu'on le connaît très mal et qu'il sera Valmont un siècle plus tard.
 Tragique Athos, sanglant Athos, au milieu de ce maréchal de France, de ce général des Jésuites, de cet adjudant des colosses. Fidèle Athos qui doit nous apprendre à tirer l'épée, non pas comme un fou [...], mais dès qu'il le faut, plus souvent que nous le croyons. L'épée, ce n'est pas la force, ni le talent. C'est le désir de ne rien laisser passer qui soit insupportable à nos oreilles,
c'est ce langage aussi : " Messieurs, je ne vous écouterai pas, je n'ai rien à faire de vos manières, mais il faut se limiter avec moi. J'appartiens à cette catégorie des corps solides que les physiciens n'ont pas prévue, sauf Pascal, et qui ne tiennent pas à leur conservation. C'est un péché d'ailleurs, mais je l'assume et Dieu m'en donnera raison. En garde s'il vous plaît ! "
Roger Nimier
 17/04/2011
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                          

 

 
 

 

 
 
 
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